N° 257
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2002.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2003 (n° 230)
TOME II
AFFAIRES SOCIALES, TRAVAIL ET SOLIDARITÉ
ACTION SOCIALE, LUTTE CONTRE L'EXCLUSION ET VILLE
Par Mme Christine BOUTIN,
Députée.
___
Voir le numéro : 256 (annexe n° 4).
Lois de finances
INTRODUCTION 5
I.- DES MOYENS MAINTENUS ET RÉORIENTÉS VERS LES VRAIES PRIORITÉS 7
A. LE MAINTIEN DES MOYENS GLOBAUX 7
1. Une évolution contrastée des crédits de la politique de la ville 7
2. Une nette hausse des crédits spécifiquement dédiés à l'intégration et à la lutte contre les exclusions. 8
B.- DES ÉCONOMIES JUDICIEUSES 9
1. Une politique de la ville tirant les conséquences de l'évolution de l'environnement réglementaire 9
2. Des économies moins nombreuses mais de poids sur les crédits « exclusion » 9
C. DES MOYENS INTELLIGEMMENT AFFECTÉS AUX VRAIES PRIORITÉS 10
1. Des actions recentrées sur les dispositifs les plus performants de la politique de la ville 10
2. Un effort à peu près général dans la lutte contre l'exclusion 10
II.- QUEL AVENIR POUR LE RMI ET SES BÉNÉFICIAIRES ? 11
A. UN DISPOSITIF QUI N'A QUE PARTIELLEMENT RÉPONDU AUX OBJECTIFS INITIAUX 11
1. Un revenu minimum qui n'a que partiellement répondu aux objectifs initiaux 11
2. L'échec du volet insertion 14
B. UNE RÉFORME RADICALE DEVENUE IMPÉRIEUSE 18
1. Il convient tout d'abord de mettre fin à l'hypocrisie selon laquelle chacun pourrait se réinsérer par l'emploi 19
2. Il faut privilégier des mesures incitatives au retour à l'emploi 21
a) Du côté des entreprises par une aide à l'embauche pour les titulaires du RMA 21
b) Donner des moyens accrus aux acteurs de l'insertion 21
c) Confier la prise en charge de l'offre d'insertion aux acteurs de terrain 21
3. Redonner une espérance à tous 22
TRAVAUX DE LA COMMISSION 23
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est appelée, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2003, à se prononcer pour la première fois simultanément sur les crédits de l'action sociale, de l'exclusion et de la politique de la ville.
En effet, le rôle essentiel de la politique de la ville dans la lutte contre l'exclusion et le fait que ces crédits soient - outre leur examen au fond par la commission des finances, de l'économie générale et du plan - examinés pour avis par la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ont conduit la commission à proposer l'examen conjoint des crédits relatifs à l'exclusion et de ceux consacrés à la ville, sous un angle spécifiquement social.
La rapporteure pour avis a d'ailleurs choisi, après une présentation succincte des crédits, de traiter une question au c_ur de cette problématique de l'exclusion : le revenu minimum d'insertion.
I.- DES MOYENS MAINTENUS ET RÉORIENTÉSVERS LES VRAIES PRIORITÉS
Dans le difficile exercice que constitue la construction du premier projet de loi de finances de la nouvelle majorité, la rapporteure pour avis se doit de relever le double exploit que constituent, d'une part, la préservation des crédits concourant - soit directement, soit par le biais de la politique de la ville - à la lutte contre l'exclusion et d'autre part, la rupture avec une simple logique de reconduction des actions menées.
Il convient d'opérer une distinction entre les moyens affectés à la politique de la ville et ceux inscrits au budget de la solidarité.
On rappellera pour mémoire que ces crédits ne sont pas uniquement ceux du ministère de la ville mais aussi ceux inscrits dans l'annexe explicative - le « jaune » - au projet de loi de finances.
Ces crédits sont les suivants :
2001 (1) |
2002 (1) |
2003 (2) |
|||||
M€ (DO+CP) |
M€ (DO + CP) |
M€ (DO+CP) | |||||
A-1. Crédits spécifiques |
389,73 |
383,55 |
385,90 |
||||
A-2. Crédits contractualisés relevant de divers ministères |
67,39 |
67,39 |
67,39 | ||||
A-3. Crédits relevant de divers ministères contribuant à la politique de la ville |
2 092,30 |
2 636,05 |
2 556,45 |
||||
A-4. Solidarité urbaine |
472,54 |
484,98 |
484,98 | ||||
TOTAL A |
3 021,96 |
3 571,97 |
3 494,72 |
||||
B. Dépenses fiscales et compensations |
511,47 |
589,67 |
513,16 | ||||
TOTAL A + B |
3 533,43 |
4 161,64 |
4 007,88 |
||||
C. Fonds européens |
221,60 |
221,60 |
221,60 | ||||
D. Intervention de la CDC |
228,90 |
287,20 |
224,20 |
||||
(équivalent subventions) |
|||||||
E. Autres financements publics |
155,90 |
160,50 |
160,50 |
||||
TOTAL A + B + C + D + E |
4 139,43 |
4 830,94 |
4 614,18 | ||||
F. Contribution des collectivités territoriales |
1 082,82 |
1 093,48 |
1 093,48 |
||||
TOTAL GÉNÉRAL |
5 222,25 |
5 924,42 |
5 707,66 |
(1) Loi de finances initiale
(2) Projet de loi de finances
On constate donc que la légère baisse des crédits (3,6 %) résulte essentiellement de la baisse des crédits non contractualisés relevant de ministères autres que celui de la ville et de la diminution des dépenses fiscales et compensations, fruit de la modification des dispositifs d'allégement de cotisations sociales. Autant dire qu'elle ne porte pas sur le c_ur des actions de la politique de la ville.
La rapporteure pour avis tient à souligner l'effort exceptionnel consenti en faveur de ces actions avec une hausse de plus de 5 % des crédits de l'agrégat 24 « Intégration et lutte contre les exclusions ».
Crédits de paiement | ||||
Dotations 2002 |
Total pour 2003 | |||
Dépenses ordinaires |
|
| ||
Titre IV |
|
|
5.471.360.078 |
5.747.907.952 |
Chapitre |
46-81 |
Action sociale d'intégration et de lutte contre l'exclusion (libellé modifié) (intégralité du chapitre) |
949.805.078 |
1.014.427.952 |
Chapitre |
46-82 |
Couverture maladie universelle et aide médicale |
|
|
|
Article 20 |
Aide médicale |
60.980.000 |
233.480.000 |
Chapitre |
46-83 |
Prestations de solidarité |
|
|
|
Article 20 |
Revenu minimum d'insertion |
4.417.585.000 |
4.460.300.000 |
|
Article 30 |
Revenu de solidarité dans les départements d'outre-mer |
42.990.000 |
39.700.000 |
Totaux pour les dépenses ordinaires |
5.471.360.078 |
5.747.907.952 | ||
Dépenses en capital |
|
| ||
Titre VI |
|
|
2.088.000 |
1.881.000 |
Chapitre |
66-20 |
Subventions d'équipement social |
|
|
|
Article 40 |
Etablissements de réinsertion sociale et professionnelle |
2.088.000 |
1.881.000 |
Totaux pour les dépenses en capital |
2.088.000 |
1.881.000 | ||
Totaux généraux |
5.473.448.078 |
5.749.788.952 |
B.- DES ÉCONOMIES JUDICIEUSES
Outre quelques économies sur les crédits de fonctionnement stricto sensu les principales baisses de crédits résultent de l'ajustement des dotations et à la venue à terme ou à la redéfinition d'un certain nombre de dispositifs :
- La suppression du service national permet une économie de près de 305 000 euros sur les frais de soins des « appelés ville ».
- La sortie progressive du dispositif emplois-jeunes permet de réaliser une économie d'environ 100 millions d'euros qui explique la décroissance de la contribution des divers ministères (i.e. autres que celui de la ville) à la politique de la ville.
- La préférence marquée par les entreprises installées en zones de redynamisation urbaine (ZRR) pour l'allégement « Aubry II » a entraîné une baisse de 8 millions d'euros des crédits au PLF 2003.
- La modification du dispositif « zones franches urbaines » , qui traduit par l'arrêt des entrées dans le régime et la sortie de nombre d'entreprises dudit dispositif, génère une économie d'environ 70 millions d'euros.
L'ensemble de ces économies ne constitue donc qu'une adaptation des crédits aux dispositifs existants et n'entame en rien les moyens disponibles pour la politique de la ville.
On notera par ailleurs une économie de 69 millions d'euros d'une nature différente sur les subventions de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Cette baisse résulte de la prise en charge partielle par l'Union d'économie sociale pour le logement de l'activité de bonification des prêts renouvellement urbain de la CDC.
L'économie la plus marquante résulte de la baisse du nombre d'allocataires du RMI et de l'amorce d'une démarche de redynamisation du volet insertion sur laquelle on reviendra en deuxième partie du présent rapport. La mesure d'ajustement est de 150 millions d'euros.
La seconde mesure d'économie résulte de la prise en charge des évacuations sanitaires concernant l'aide médicale par la caisse de prévoyance sociale de Mayotte en vertu de l'ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002, soit une révision des services votés de 7,5 millions d'euros.
La rapporteure pour avis ne reviendra pas sur l'effort fait en faveur des handicapés, les crédits consacrés à ces actions faisant l'objet d'un avis spécifique. Elle ne peut cependant que s'en réjouir.
Une mesure nouvelle de 20 millions d'euros permet de tripler le soutien aux communes en grandes difficultés engagées dans une procédure de renouvellement urbain.
Priorité est donnée aux crédits d'investissement avec par exemple une hausse de 30 millions d'euros des crédits de paiement du fonds interministériel pour la ville (qui fait plus que compenser la baisse de ses crédits de fonctionnement) et une hausse de 24 millions d'euros des crédits de paiement destinés aux grands projets de ville. L'accent est donc résolument mis sur l'aide au renouvellement urbain.
La plupart des postes budgétaires étant en hausse, à l'exception notable du RMI, la rapporteure pour avis ne rappellera que les augmentations les plus marquantes :
- la consolidation des 3 000 places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile créées en 2002 (4,4 millions d'euros) et la création de 1 718 nouvelles places (15 millions d'euros) ; il convient de signaler dans le même esprit une mesure nouvelle de 8,1 millions d'euros pour la prise en charge des déboutés du droit d'asile ;
- l'ajustement des moyens aux besoins s'agissant de l'aide médicale (163 millions d'euros) ;
- la mise en _uvre d'un programme de création de « pensions de famille » et de structures pour les « enfants des rues » (5 millions d'euros) ;
- la création de 500 places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (6,4 millions d'euros).
En conclusion, on peut se réjouir non seulement de la bonne tenue de ces crédits mais également des choix nets opérés par le gouvernement dans l'usage des moyens nouveaux et dans la réallocation de ceux existants.
II.- QUEL AVENIR POUR LE RMI ET SES BÉNÉFICIAIRES ?
Le revenu minimum d'insertion (RMI) a treize ans. Le dispositif, voté par le Parlement en 1988 est entré en application en janvier 1989. Il peut à juste titre être considéré comme une avancée sociale majeure en ce qu'il contribue indéniablement à la lutte contre la pauvreté et constitue le minimum vital pour ceux des Français qui vivent en état de grande exclusion.
Pour autant, son « succès » apparent, si l'on en juge d'après le nombre d'allocataires, dénote la persistance voire l'aggravation de la pauvreté dans notre pays et l'échec du dispositif conçu à l'origine comme une aide pour sortir de l'exclusion.
Pire même, le sentiment croissant dans l'opinion publique qu'il constitue un piège à pauvreté, un handicap dans certaines situations pour revenir à l'emploi, trouve confirmation dans un certain nombre d'analyses économiques. Les rapports sur le sujet sont légion : on ne citera à titre indicatif que le numéro 346-347 de 2001 de la revue Economie et statistiques intitulé « Le RMI : entre redistribution et incitation » publiée par l'INSEE et le rapport du Commissariat général au Plan de mai 2000 intitulé « Minima sociaux, revenus d'activité et précarité ».
Cette contradiction a progressivement émergé dans le débat politique et sous-tend un certain nombre de propositions de réforme du RMI telle celle que MM. Alain Lambert et Philippe Mariani l'an dernier de créer un revenu minimum d'activité (RMA). Une réflexion en ce sens est actuellement menée par le gouvernement, le ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité a d'ailleurs ces derniers jours avancé quelques pistes d'action. Il a semblé opportun à la rapporteure de faire le point sur le dispositif et de livrer quelques propositions dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, à quelques semaines de la mise en _uvre d'une démarche de décentralisation qui pourrait concerner le RMI.
Le RMI relève d'une démarche originale par rapport à la revendication parfois formulée d'une allocation universelle, c'est-à-dire d'une allocation versée par l'Etat de manière permanente et inconditionnelle, forfaitairement à chaque adulte, quels que soient son niveau de revenu et son statut d'activité.
S'apparente à cette conception le premier objectif affirmé par la loi du 1er décembre 1988 et exprimé dans l'article L. 115-1 du code de l'action sociale et des familles, l'instauration d'une allocation de ressources et d'une aide au logement, constitutifs d'un revenu minimal : « Toute personne qui en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation de l'économie et de l'emploi, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »
Toutefois, la rédaction de la loi de 1988 reprise à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles affirme d'emblée la dualité de l'objectif, avec le nécessaire engagement de l'allocation de ce revenu dans une démarche d'insertion : « Toute personne résidant en France dont les ressources (...) n'atteignent pas le montant du revenu minimum [défini par décret], qui est âgée de plus de vingt-cinq ans ou assume la charge d'un ou plusieurs enfants nés ou à naître et qui s'engage à participer aux actions ou activités définis avec elle, nécessaires à son insertion sociale ou professionnelle, a droit (...) à un revenu minimum d'insertion. »
Ce droit se distingue donc de l'allocation universelle sur plusieurs points.
Le premier concerne le champ des bénéficiaires. Peuvent seuls être allocataires du RMI les personnes :
- résidant en France ;
- âgées de plus de vingt-cinq ans, cette condition d'âge étant cependant levée pour celles assumant la charge d'un ou plusieurs enfants ;
- qui s'engagent dans la démarche d'insertion précédemment évoquée.
Ce droit qui n'est donc pas universel ne se caractérise d'ailleurs pas par une allocation forfaitaire mais différentielle. L'allocation est égale à la différence entre le montant du RMI, calculé selon la composition de la famille, et celui de l'ensemble des ressources de la personne ou du foyer.
Complément aux ressources du foyer dans la limite de :
Allocataire isolé |
Couple | |
Sans personne à charge |
405,62 € |
608,43 € |
1 personne à charge |
608,43 € |
730,12 € |
2 personnes à charge |
730,12 € |
851,80 € |
3 personnes à charge |
892,36 € |
1 014,05 € |
4 personnes à charge |
1 054,61 € |
1 176,30 € |
+ par personne supplémentaire |
162,25 € |
162,25 € |
La demande peut être déposée auprès :
- des centres communaux ou intercommunaux d'action sociale (CCAS) ;
- du service départemental d'action sociale :
- des associations ou organismes à but non lucratif agréés à cet effet par le préfet.
L'allocation est attribuée pour une durée limitée :
- attribution initiale pour une durée de trois mois par le préfet dans référence au contrat d'insertion ;
- prorogation de trois à douze mois par le préfet au vu du contrat d'insertion élaboré par un service social et conclu avec le président de la commission locale d'insertion (CLI) ;
- renouvellement pour une période également comprise entre trois et douze mois.
Son bénéfice comporte des conséquences en matière de protection sociale :
- droit aux prestation en nature maladie et maternité ;
- droit à l'allocation logement social (ALS) ;
- droit à la couverture accident du travail dans le cadre des activités d'insertion.
Le caractère conditionnel de l'allocation, son calcul sur une base différentielle, l'exigence d'insertion font du RMI une prestation originale.
Après une montée en charge assez lente, le dispositif n'a cessé de prouver de façon croissante qu'il répond à un besoin social majeur.
Ainsi le nombre d'allocataires est allé croissant depuis sa création jusqu'en 2000.
Évolution du nombre de bénéficiaires du RMI en métropole depuis 1996 (en %)
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
1er semestre 2001 |
+ 7,5 |
+ 5,8 |
+ 3,8 |
+ 2,5 |
- 5,3 |
- 1,7 |
La réduction actuelle du nombre d'allocataires laisse tout de même ceux-ci à un niveau important : au 31 décembre 2001, 1 073 446 bénéficiaires pour un montant moyen de 343 euros en métropole ; 308 529 entrées dans le dispositif ; 765 000 contrats d'insertion signés.
Il est d'ailleurs frappant de constater que le recul du chômage dans les années 1997-2000 n'a pas de façon proportionnelle réduit l'exclusion, comme le rappelle le rapport 2001-2002 de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale. De façon éloquente, la baisse du nombre de bénéficiaires du RMI a semble-t-il recentré celui-ci sur les publics les plus marginalisés.
On peut se demander si, de façon paradoxale, le RMI n'a pas contribué à maintenir cette partie de la population dans une trappe à inactivité, un piège à pauvreté. Cette interrogation semble devoir recevoir une réponse positive au vu de l'ancienneté dans le dispositif d'une partie importante des allocataires.
On notera ainsi que plus d'un allocataire sur deux ne sort pas du dispositif plus de trois mois sur une période de deux ans. Il semble donc bien qu'une grande partie de la population bénéficiant du RMI soit, volontairement ou non, durablement installée dans le dispositif... Le sentiment est d'ailleurs de plus en plus prégnant dans l'opinion publique que le RMI n'est plus un sas vers autre chose, une bouée de sauvetage.
« Au sujet de revenu minimum d'insertion, pensez-vous que... »
N. B. : la question n'a pas été posée dans la vague 1993 de l'enquête.
Source : Crédoc, enquête conditions de vie et aspirations des Français, 2001, pour la Cnaf.
Ce sentiment est malheureusement confirmé par certaines études économiques et l'échec avéré du volet insertion du RMI.
En dépit de la conditionnalité forte établie par la loi de 1988 entre la composante revenu minimum et la composante insertion du RMI, chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître que cette deuxième dimension est généralement insuffisante quand elle n'est pas totalement absente. Il s'agit là d'un véritable détournement de l'esprit de la loi qui ne visait pas à mettre en place un régime pérenne d'assistance mais plutôt une allocation temporaire de survie permettant et incitant à une sortie par le haut du dispositif.
L'ensemble des personnes auditionnées confirme de façon unanime le constat dressé de façon officielle par divers organes de contrôle et notamment la Cour des comptes dans son rapport public pour 2001. Celle-ci relevait ainsi que « la contractualisation demeure le point faible du dispositif » et la « nécessité de renforcer l'efficacité du volet insertion ».
Ce constat peut être dressé au travers de plusieurs indicateurs.
La faiblesse du taux de contractualisation
On ne rappellera que pour mémoire le constat dressé dès 1995 par les juridictions financières sur le fait que « les contrats d'insertion ne concernaient que la moitié du public RMI » et n'étaient « souvent établis qu'avec plusieurs mois de retard. »
En dépit de ses insuffisances liées à l'hétérogénéité des méthodes de calcul d'un département à l'autre, ce taux moyen demeure un symptôme fort du divorce durable entre les deux objectifs du RMI. Il est d'ailleurs à noter que ce taux est resté étonnamment stable à 50 % en 1998 et 49 % en 2000. Il n'y a donc jusqu'à cette date pas eu de progrès de la dimension insertion.
L'absence de mesures de suspension significatives
On rappellera une fois encore que la loi du 1er décembre 1998 (disposition codifiée à l'article L. 262-23 du code de l'action sociale et des familles) avait prévu que si le contrat d'insertion n'est pas établi dans le délai de trois mois « du fait de l'intéressé et sans motif légitime _...._ le versement de l'allocation est suspendu par le représentant de l'Etat après avis de la commission locale d'insertion ».
On ne peut que noter la rareté de telles mesures de suspension. Il est vrai que la nature même de la prestation, un revenu censé constituer un minimum pour vivre, ne s'accorde guère avec l'idée d'une suspension et pis d'une suppression. Outre cette raison de fond, des raisons liées aux procédures administratives - peu de départements disposent d'une statistique des contrats conclus au terme de trois mois - et à la difficulté de nouer et conserver un contact régulier avec certains allocataires expliquent cette situation.
Elles ne justifient pas pour autant des situations dans lesquelles un allocataire présent parfois depuis plusieurs années dans le dispositif n'a jamais rencontré un référent social.
La faiblesse du contenu des contrats d'insertion
Il est mal aisé de parvenir à une vision d'ensemble du contenu des contrats d'insertion. Il n'existe en effet pas de normalisation des catégories d'actions d'insertion prévues en dépit des pistes ouvertes par l'article L. 262-38 du code de l'action sociale et des familles. De fait, l'action d'insertion se caractérise souvent par la faiblesse des ambitions affichées, le flou des actions proposées, l'absence de suivi entre les différents contrats. La même action d'insertion peut être proposée à plusieurs reprises au même allocataire, de façon consciente ou non. Le volet insertion apparaît trop souvent comme une clause formelle, un alibi administratif destiné à maintenir le versement du revenu minimum.
La paradoxale sous-consommation des crédits
L'obligation pour les départements d'inscrire à leur budget pour financer des actions d'insertion des crédits équivalents au moins à 17 % des allocations RMI versées l'année précédente dans le département part d'une bonne intention. La situation n'en est pas moins paradoxale puisque l'on constate que même les départements les plus frappés par l'exclusion ont du mal à consommer ces crédits en dépit de l'existence d'une réelle pauvreté.
Cette situation s'explique par plusieurs facteurs :
- Il existe tout d'abord une situation de report structurel des crédits lié à leur faible utilisation dans les premières années de mise en place du dispositif qu'il conviendrait d'apurer.
- Force est également de constater que certaines collectivités territoriales, même si elles sont minoritaires, se refusent à jouer le jeu de l'insertion et se contentent d'appliquer formellement ces dispositions.
- Il convient enfin de se pencher sur les causes structurelles de cette situation qui résident à la fois dans la capacité et la volonté des bénéficiaires d'entrer dans une démarche d'insertion et dans la possibilité pour les pouvoirs publics de répondre à leur demande.
La question de l'incidence du RMI sur le retour à l'activité a fait l'objet de nombreuses études depuis trois ans, en particulier de la part du Commissariat général au Plan. Elle a également fait l'objet de plusieurs réformes d'ordre législatif et réglementaire destinées à rendre le retour à l'activité plus attractif.
Les éléments de « désincitation » au retour à l'emploi
Il faut d'abord faire justice de l'idée reçue selon laquelle les allocataires du RMI « préféreraient » s'accommoder de ce minimum social plutôt que d'accomplir un travail ne procurant que des revenus faiblement supérieurs. Cette approche ne relève que de l'intuition, du préjugé et ne repose sur aucune donnée objective. Les éléments disponibles, par exemple l'engagement des titulaires du RMI dans une démarche de recherche d'emploi, tendent plutôt à prouver le contraire. Il existe d'ailleurs une raison logique à cela : le gain marginal découlant du retour à l'activité, quelques dizaines d'euros voire parfois moins, constitue dans les situations de pauvreté des allocataires du RMI, un gain de pouvoir d'achat très important. Il n'est donc pas question d'aborder ce débat en termes de stigmatisation ou de culpabilisation de ces allocataires mais d'étudier les facteurs objectifs défavorisant le retour à l'activité.
Le premier d'entre eux tient à la nature des emplois proposés aux titulaires du RMI : il s'agit en très grande majorité d'emplois précaires (CDD, contrats aidés), souvent à temps partiel. Cette précarité, outre qu'elle contraste avec la certitude d'un revenu que constitue le bénéfice du RMI, pose le problème des conséquences de la venue à terme du contrat. La période séparant celle-ci de la nouvelle attribution du RMI peut créer dans les foyers vivant « à flux tendu » des ruptures de revenus aux conséquences dramatiques.
Le deuxième élément de désincitation réside dans le faible différentiel, voire le différentiel négatif, existant entre le RMI et les revenus tirés d'une activité salariée ; notamment lorsque celle-ci est exercée à temps partiel. On ne saurait manquer de citer les analyses faites à ce sujet par la direction de la prévision sur l'incidence du système de prélèvement et de transfert en 1997.
Effet de la reprise d'un emploi (niveau)
Emploi à plein temps rémunéré au SMIC | |||
Gain net en euros |
Chômeurs |
Inactifs |
Ensemble |
moins de 152,45 |
12,2 % |
6,9 % |
9,0 % |
152,45-304,90 |
32,5 % |
20,4 % |
25,3 % |
304,90-457,35 |
8,7 % |
8,6 % |
8,6 % |
457,35-609,80 |
20,5 % |
33,1 % |
28,0 % |
plus de 609,80 |
26,2 % |
31,1 % |
29,1 % |
Emploi à mi-temps rémunéré au SMIC | |||
Gain net en euros |
Chômeurs |
Inactifs |
Ensemble |
moins de 76,22 |
54,0 % |
33,9 % |
42,0 % |
76,22-152,45 |
3,0 % |
5,1 % |
4,2 % |
152,45-228,67 |
2,0 % |
1,8 % |
1,9 % |
228,67-304,90 |
20,0 % |
18,7 % |
19,2 % |
plus de 304,90 |
21,1 % |
40,5 % |
32,7 % |
Source : MM. Laroque et Salanié (Economie et Statistiques)
La faiblesse de ce différentiel ne suffit pas nécessairement à compenser la diminution progressive de l'aide au logement, l'imposition de l'ensemble des revenus, les coûts supplémentaires liés à la reprise d'activité (frais de transport, garde d'enfants, ...).
Des mesures pour rendre l'emploi plus rémunérateur
Plusieurs mesures ont été prises ces trois dernières années face à cette situation paradoxale dénoncée dès 1998 par le rapport de Mme Marie-Thérèse Join-Lambert. Ce toilettage a connu plusieurs étapes :
- La première, en 1998, a consisté par la loi relative à la lutte contre l'exclusion sociale à modifier le système dit d'intéressement. Les possibilité de cumul du RMI - et plus largement des minima sociaux - avec une activité à temps partiel sont facilités par un taux de prélèvement variable suivant la durée de reprise de l'emploi (taux de prélèvement nul sur les revenus de l'activité dans les trois premiers mois, de 50 % dans les douze mois suivants, de 100 % au-delà). Est parallèlement conservé l'ancien système d'intéressement lorsque le seuil des 750 heures n'est pas atteint au terme de quinze mois de cumul. L'idée est donc, au-delà du cap des trois mois d'essai, de retirer progressivement le soutien de l'Etat à la personne revenue durablement à une activité salariée.
- La deuxième, très ciblée, réside dans l'entrée en vigueur le 15 juillet 2000 de l'aide à la reprise d'activité des femmes (ARAF), qui consiste, pour les femmes percevant l'un des minima sociaux et qui sont mères (par forcément célibataires) d'un enfant de moins de six ans, en une allocation forfaitaire de 305 à 457 euros compensant les frais de garde.
- La troisième, essentielle, concerne les allocations logement et vise à éviter les effets de seuil puisque le barème des aides tient désormais compte du RMI dans le calcul des ressources, maintient l'aide à un niveau constant jusqu'à ce niveau de ressources et décroît progressivement au-delà. Cette réforme est essentielle puisqu'elle évite la perte automatique de ce droit social complémentaire du RMI en cas de retour à l'activité.
- La quatrième concerne le calcul et le régime d'exonération de la taxe d'habitation, l'exemption de celle-ci pour les bénéficiaires du RMI ayant été prolongée.
Toutes ces mesures concourent à rendre l'emploi plus rémunérateur : une analyse menée par l'INSEE sur quelques cas types montre que le revenu disponible est désormais fonction croissante de la durée du travail, à court comme à moyen terme.
On peut cependant s'interroger sur les effets à long terme de ces mesures faute de données statistiques disponibles en raison leur mise en place récente.
En effet, un célibataire rémunéré au SMIC, à mi-temps ou à temps plein conserve presque tous ses gains salariaux pendant la première année d'activité. Pour un temps plein, il conserve la moitié au-delà de la première année, mais seulement 20 % s'il s'agit d'un mi-temps.
Ne faut-il pas envisager de nouvelles mesures rendant le retour à l'activité plus rémunérateur ?
Le RMI est une avancée sociale majeure, nul ne le conteste. Le volet insertion est un échec, tout le monde le reconnaît.
Plus de 7,5 milliards d'euros d'argent public sont versés pour abonder cette allocation et les contrats des bénéficiaires du RMI présentent le paradoxe d'être toujours majoritairement orientés vers l'emploi alors que les bénéficiaires sont de moins en moins employables.
Sans anticiper sur la mission de réflexion annoncée par le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, la rapporteure propose quelques mesures, quelques pistes, qui pourront contribuer à enrichir le débat.
1 - Il faut tout d'abord, arrêter l'hypocrisie du « I » et reconnaître qu'il existe des populations qui ne pourront, pour des raisons diverses, jamais retrouver du travail.
2 - Ensuite, il convient de privilégier des mesures incitatives au retour à l'emploi.
3 - Enfin, il s'agit de redonner une espérance à tous par l'accès au logement dans la perspective d'en devenir propriétaire, chacun trouvant à son niveau un ensemble solidaire d'engagements de droits et de devoirs.
Quatre éléments préalables doivent être pris en compte dans la réflexion :
- Se profilent désormais deux types de populations : ceux dont on pense qu'à plus ou moins brève échéance, ils seront capables de retrouver le chemin de l'insertion réussie et ceux dont on sait avec un degré important de certitude qu'ils n'en seront pas capables avant longtemps, voire jamais. Ces deux populations doivent être accompagnées différemment ;
- Il n'est pas envisageable de ne rien demander en échange d'une allocation d'insertion, quelque forme qu'elle prenne : il faut absolument mettre fin à l'assistanat total, méprisant pour les allocataires comme pour tout le monde ;
- Il est nécessaire que le revenu du travail soit suffisamment incitatif pour favoriser, par cette incitation, le retour à une activité normale : assurer par son travail la part la plus importante de sa subsistance est un des éléments de la réinsertion ;
- Il faut en définitive organiser trois niveaux de revenus, à part de leur origine : l'assistance, l'insertion en cours, l'insertion réussie (le salariat).
La rapporteure pour avis a, ces derniers mois, effectué de nombreux déplacements dans toutes les régions de France. Elle est au regret de devoir partager l'idée, fréquemment exprimée par les personnes auditionnées dans le cadre de la préparation de ce rapport, selon laquelle certains bénéficiaires du RMI sont et resteront durablement exclus de l'emploi.
Il n'y a pas là de jugement de valeur mais un simple constat : comment escompter par exemple qu'un titulaire du RMI depuis plusieurs années, ayant dépassé cinquante ans, sans qualification, retrouve un emploi ? On observe d'ailleurs que certains de ces Rmistes glissent parfois vers d'autres minima sociaux comme l'allocation adulte handicapé (AAH) au motif de leur handicap social.
Il n'est évidemment pas question de les priver d'un revenu minimum, vital pour eux, mais de mettre fin à l'hypocrisie de leur prétendue possibilité d'insertion professionnelle.
La rapporteure pour avis propose de dissocier un revenu minimum d'existence (RME) et un revenu minimum d'activité (RMA).
Le revenu minimum d'existence (RME) serait accordé à toute personne résidant en France dans des conditions régulières. Il pourrait consister en l'attribution sans contrepartie d'un revenu minimum bloqué au niveau de l'actuel RMI. Ce droit accordé à tous sur la base de la solidarité nationale s'accompagnerait pour le bénéficiaire d'un « devoir », celui d'accepter un accompagnement social personnalisé afin d'accompagner le bénéficiaire du RME dans toutes ses démarches sociales (aide au logement, accès aux soins, aides administratives...).
Le revenu minimum d'activité (RMA) constituerait la deuxième marche vers l'insertion. Il s'agirait d'un droit à prestation calqué sur l'actuel RMI et qui verrait son montant différentiel indexé sur l'évolution des prix de façon à creuser progressivement l'écart avec le RME. Il s'accompagnerait d'un devoir d'insertion par l'activité grâce à la mise en _uvre de nouveaux dispositifs d'encouragement au retour à l'emploi. Les titulaires du RMA devront pouvoir continuer à bénéficier de l'ensemble des droits sociaux complémentaires actuellement attachés au RMI.
Pour être incitatif au retour à l'emploi, diverses mesures pourraient être mises en place comme par exemple :
- le mécanisme dit d'intéressement, y compris à long terme, afin de favoriser la reprise d'activité ;
- la présentation aux candidats et aux titulaires du RMA de simulations - couvrant l'ensemble de leur situation, y compris au plan fiscal et en matière de logement - montrant le gain financier, à court et moyen terme, tiré du retour à l'activité. Il faut par ailleurs poursuivre l'effort fait au travers de la prime pour l'emploi en faveur de la reprise d'activité à temps partiel. On rappellera que cette prime ne bénéficie pas aux titulaires de minima sociaux ;
- la stricte limitation de revalorisation du RMA à l'évolution des prix afin de creuser le différentiel avec le SMIC qui va être lui revalorisé sur trois ans de 11,4 % ;
- enfin, pour tenir compte des situations réelles, diversifiées de chaque personne titulaire du RMA, laisser du temps à la démarche d'insertion professionnelle. Celle-ci peut en effet prendre plusieurs mois, voire deux à trois années. Il faut donc éviter toute logique de sanction automatique qui pénaliserait une insertion longue ou une rechute du bénéficiaire : on sait que cette démarche n'est pas toujours linéaire.
En conséquence, il faut prévoir que la démarche d'insertion s'inscrit dans une durée fixée contractuellement avec le bénéficiaire (plafonnée à deux ou trois années cependant par la loi). C'est seulement au terme de ce délai que pourrait être appliquée une logique de sanctions consistant à substituer au versement du RMA celui du RME et traduisant ainsi la notion de devoir.
On peut s'interroger sur l'opportunité de créer une aide à l'embauche des bénéficiaires du RMA par un mécanisme de réduction des charges sociales patronales, cotisations et contributions.
Les difficultés d'embauche rencontrées par les titulaires du RMA étant assez comparables à celles dont souffrent les jeunes non qualifiés, on peut imaginer une solution comparable à celle adoptée pour ceux-ci en août dernier, soit un remboursement total des charges au niveau du SMIC en contrepartie de l'embauche via un contrat à durée indéterminée. Celui-ci lèverait en outre l'une des principales difficultés rencontrées actuellement par les bénéficiaires du RMI, l'un des principaux freins à leur insertion, à savoir la précarité de l'emploi.
Les difficultés d'insertion doivent être traitées au bon moment, c'est-à-dire avant que les personnes ne soient « enkystées » dans leurs problèmes.
Il convient d'accorder un soutien budgétaire accru aux organismes en charge de l'insertion, afin notamment de leur permettre d'augmenter leurs moyens en personnel et, donc, le taux d'encadrement des bénéficiaires du RME.
Ce soutien peut se faire, à moyens constants, par un redéploiement des crédits jusque-là destinés aux contrats aidés. Ceux-ci doivent être concentrés sur la revalorisation du travail social et l'augmentation de ses effectifs plutôt que sur la subvention de contrats qui ont très souvent consisté en la seule mise à disposition de salariés à bas prix. Mieux vaut par un accompagnement efficace favoriser l'insertion du bénéficiaire du RMA sur un emploi normal plutôt que financer son embauche sur un contrat emploi solidarité.
La rapporteure pour avis plaide, dans le cadre de la décentralisation annoncée, pour un transfert total de l'actuel RMI ainsi que des futurs RME et RMA aux départements.
Cette décentralisation devrait se traduire par le transfert de la gestion des moyens actuellement dévolus au RMI, à l'insertion mais également par l'attribution aux départements d'une compétence pleine et entière sur l'offre d'insertion. Les départements, via des CLI aux contours mieux définis - correspondant par exemple aux cantons - devraient ainsi être en mesure de mieux définir, suivre et contrôler l'adéquation entre demande et offre d'insertion.
Le problème du logement est une question fondamentale pour l'insertion de toutes les personnes et des plus fragiles en particulier.
Assurer un logement pour tous doit devenir une cause nationale. Aussi surprenant que celui puisse paraître, différentes réponses peuvent être apportées à ce principe fondamental. Les organismes de logements sociaux ont de multiples propositions à faire, l'une d'entre elles mériterait une attention particulière : il s'agit de la possibilité qui pourrait être accordée à tous d'accéder à la propriété quel que soit le niveau des revenus des locataires, fussent-ils ceux du RME. Il s'agit de créer un nouveau type de société civile immobilière, dite de capitalisation qui permettrait à tous d'acquérir des parts de société chaque mois lors de l'acquittement du loyer.
Celui qui n'a pas de logement sûr ne peut pas être inséré, intégré dans la société. Il faut répondre à cette réalité.
*
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné pour avis, sur le rapport de Mme Christine Boutin, les crédits de l'action sociale, de la lutte contre l'exclusion et de la ville pour 2003, au cours de sa séance du jeudi 7 novembre 2002.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
M. Georges Colombier, président, a souligné la qualité de la réflexion de la rapporteure pour avis sur l'avenir du RMI et le caractère constructif de propositions qui concilient respect de la personne et devoir de solidarité. Il s'agit de pistes intéressantes qui devraient inspirer M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, dans sa réflexion sur la réforme du dispositif.
Mme Hélène Mignon a exprimé son accord avec les constats de la rapporteure pour avis en ce qui concerne le relatif échec du « I » du RMI. Il faut promouvoir une démarche d'insertion globale, pas seulement professionnelle, en abordant les thèmes du logement et de la santé. On peut comprendre les tensions qui existent entre certaines personnes travaillant à temps partiel et d'autres touchant le RMI, pas toujours volontairement. Il faut d'ailleurs être conscient du fait que le temps partiel peut, comme le RMI, être une trappe à pauvreté. On ne peut que souscrire par ailleurs à la nécessité évoquée de laisser du temps à la démarche d'insertion.
Il faut en revanche regretter le décalage entre ce discours et le projet de budget qui n'est pas à la hauteur des enjeux. On constate ainsi une diminution du financement des structures d'insertion (les associations intermédiaires par exemple), pourtant indispensables à la réussite de l'insertion professionnelle. On ne peut pas en effet demander à un chef d'entreprise ou d'atelier de jouer un rôle de tuteur par rapport aux problèmes sociaux, personnels et psychologiques des personnes à réinsérer.
Dans le même ordre d'idées, les crédits diminuent pour le programme TRACE et pour les bourses à l'emploi, dispositifs qui mettaient en avant le tutorat, alors que le futur CIVIS n'est encore défini. On peut donc exprimer des craintes pour les 130 000 jeunes qui bénéficiaient de ce programme dont le taux de réussite avoisine les 50 %. Plus généralement, en matière de lutte contre l'exclusion, le projet de loi de finances pour 2003 se traduit par une diminution des emplois aidés, notamment des CES. Il faut en revanche reconnaître le bien fondé de l'augmentation des places en CADA et en CHRS, depuis longtemps demandée ; cet effort doit être consolidé.
M. Jean-Paul Anciaux a estimé nécessaire de faire porter les efforts tant en amont qu'en aval du RMI. Sans démarche préalable de formation à destination des jeunes, on court le risque que certains se contentent d'attendre d'avoir 26 ans pour toucher le RMI. Il faut leur offrir des perspectives de parcours d'insertion.
On ne peut pas classifier la population des RMIstes car il existe des situations d'une extrême variété, liés à des facteurs parfois contradictoires : la localisation géographique (Nord/Sud, zone urbaine ou rurale), les différences entre bassins d'emplois, ... En tout état de cause, on ne passe pas immédiatement du RMI à un CDI.
Une allocation forfaitaire de solidarité doit effectivement être maintenue car il s'agit d'un socle minimal que la société doit à ses membres défavorisés, même s'il faut bien reconnaître qu'elle constitue parfois une rente pour une petite minorité de RMIstes. Cette allocation doit être complétée par un dispositif autorisant toutes les formes de retour à l'emploi, y compris à temps partiel. Ce renforcement de l'accompagnement passe par les associations intermédiaires, les entreprises d'insertion temporaire, les chantiers d'insertion dont l'activité serait coordonnée par les commissions locales d'insertion (CLI) qui fonctionnent aujourd'hui de manière trop cloisonnée et aléatoire.
La mise en place d'un tutorat permettra de définir un projet de vie, pas seulement professionnel, avec des étapes formalisées qui pourraient prendre la forme d'un contrat. Il s'agit d'une formule pédagogique, pas nécessairement coercitive - même s'il peut s'avérer nécessaire d'être à un moment, plus directif - qui permettra d'éviter certaines dérives aujourd'hui constatées dans les CLI, où certains élus baissent parfois les bras.
M. Georges Colombier, président, a souligné les difficultés spécifiques aux zones rurales, au premier rang desquelles se trouve le manque de mobilité lié aux transports.
Mme Martine Carillon-Couvreur s'est déclaré favorable à ce que le RME relève de la solidarité nationale et a insisté sur l'importance des termes utilisés pour qualifier ces dispositifs, la disparition du terme « insertion » au bénéfice de celui d'« existence » pouvant entraîner une perte d'espoir pour ces populations. Il est également nécessaire de réfléchir aux conditions d'accueil au sein des services publics ainsi qu'à la coordination entre les différents intervenants.
M. Dominique Tian a relevé le caractère choquant du versement d'une prestation sans contrepartie au regard de la condition difficile de nombreux salariés ainsi que l'existence simultanée d'un déficit de main d'_uvre dans certaines filières d'emplois peu qualifiés et d'un nombre important d'allocataires du RMI. Ce dispositif n'incite pas à revenir dans le monde de l'emploi ; il conviendrait de permettre la sortie partielle et temporaire du RMI pour accéder à un contrat à durée déterminée et de prévoir pour les allocataires des activités d'intérêt général qui aideraient par exemple le monde associatif.
Mme Catherine Génisson s'est déclarée en accord avec la volonté de ne pas stigmatiser les allocataires du RMI et a attiré l'attention sur la difficulté de différencier a priori les individus au sein de cette population. Il serait difficile de déterminer la frontière entre RME et RMA.
La diminution des crédits relatifs à l'insertion et à l'aide au retour à l'emploi est regrettable. Le temps de retour à l'emploi est nécessairement long en raison de la perte de repères sociaux de ces personnes qui ne peuvent satisfaire immédiatement aux conditions exigées sur le marché du travail sans période intermédiaire de resocialisation. Il faut également être vigilant par rapport au temps partiel, qui peut constituer une trappe à pauvreté même s'il est en apparence plus digne.
Il est nécessaire de porter une grande attention au phénomène de l'exclusion en milieu rural, notamment aux problèmes liés aux transports et à la garde des enfants. Le thème de l'accession à la propriété est particulièrement intéressant mais il faut d'urgence se pencher sur les agissements plus que douteux de certains bailleurs privés à l'encontre des allocataires du RMI. En ce qui concerne l'idée de décentraliser le domaine de l'insertion, il convient d'être prudent car les écarts de richesse entre les différentes collectivités locales peuvent générer des inégalités et aller de ce fait à l'encontre de la nécessaire solidarité.
En réponse aux intervenants, la rapporteure pour avis a apporté les éléments suivants :
- Il est nécessaire de recruter davantage de travailleurs sociaux et surtout de valoriser leur travail, afin de mettre en place un accompagnement social individualisé, à l'image du tutorat.
- Les crédits dévolus au programme TRACE pour l'année 2003 permettent d'accueillir le même nombre de jeunes que lors de l'exercice précédent et la pérennisation de 410 emplois au sein des permanences, d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO).
- Le projet relatif au CIVIS est actuellement en phase de réflexion et l'on ne dispose pas encore d'éléments concrets.
- De l'avis quasiment unanime des acteurs de terrain qui ont été auditionnés, la suppression du RMI à destination des jeunes doit être envisagée.
- Il faut regarder la situation avec lucidité et admettre qu'une fraction des allocataires du RMI ne parviendra jamais à se réinsérer dans le monde du travail. Il n'est pas question pour autant de les abandonner, ni de les enfermer dans un dispositif. Il faut faire preuve de souplesse.
- Seule une minorité d'allocataires considère le RMI comme une rente. Il ne faut pas oublier que, pour de nombreux allocataires qui vivent avec le strict nécessaire, le RMI représente l'assurance de la survie, alors que le passage sur le marché de l'emploi peut fragiliser leur situation et avoir des conséquences dramatiques en cas d'échec.
- Il arrive en effet que des élus locaux baissent les bras dans la gestion locale du RMI. Il en va de même pour certains membres du corps préfectoral. Ils sont toutefois minoritaires et il importe surtout, a fortiori dans ce cas, de savoir à qui revient la responsabilité de la gestion du dispositif.
- L'appellation « revenu minimum d'existence » (RME) n'est pas définitive. Il ne faut en aucun cas stigmatiser les populations concernées et les aider à sortir de leur situation d'exclusion. La réforme du RMI devra donc également permettre d'infléchir l'attitude des organismes publics face aux victimes de l'exclusion : des formations adaptées devront sûrement être mises en place.
- La question de la « sortie » du RMI est essentielle : c'est pour cela qu'est proposée la création du RMA. Il est en effet vital que, lorsque les bénéficiaires du RMI retrouvent un emploi - qui, on le sait, est le plus souvent un emploi précaire et faiblement rémunéré - ils ne courent pas le risque de perdre leur allocation et donc de se retrouver sans ressource en cas de cessation de leur activité salariée.
- Il faut bien avoir conscience que, pour les personnes en situation de grande exclusion, le retour à l'emploi est extrêmement difficile. Les liens sociaux ont été rompus, les habitudes horaires n'ont plus de sens. Il convient donc d'assurer un accompagnement, de les rassurer et de veiller à ce que les emplois qui leur sont proposés soient de véritables emplois, et non pas un outil d'exploitation supplémentaire.
- On devra veiller, dans ce secteur de l'action sociale et de lutte contre l'exclusion, à ce que la décentralisation ne soit pas source de nouvelles inégalités.
Conformément aux conclusions de la rapporteure pour avis, la commission a ensuite donné un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action sociale, de la lutte contre l'exclusion et de la ville pour 2003.
--____--
N° 0257 - 02 - Avis de Mme Christine Boutin sur le projet de loi de finances pour 2003 - Affaires sociales, travail et solidarité : action sociale, lutte contre l'exclusion et ville
- Cliquer ici pour retourner au sommaire général
- Cliquez ici pour retourner à la liste des rapports et avis budgétaires