Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 2340

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 novembre 2014.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les espèces végétales et animales
dont la prolifération
nuit à la santé humaine,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Alain MOYNE-BRESSAND, Damien ABAD, Olivier AUDIBERT-TROIN, Jacques Alain BÉNISTI, Étienne BLANC, Xavier BRETON, Gérard CHERPION, Jean-Louis CHRIST, Dino CINIERI, Philippe COCHET, Jean-Michel COUVE, Philippe DAUBRESSE, Rémi DELATTE, Stéphane DEMILLY, Dominique DORD, Daniel FASQUELLE, Georges FENECH, Philippe FOLLIOT, Annie GENEVARD, Bernard GÉRARD, Franck GILARD, Philippe GOSSELIN, Jean-Claude GUIBAL, Christophe GUILLOTEAU, Michel HEINRICH, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Francis HILLMEYER, Denis JACQUAT, Valérie LACROUTE, Lionnel LUCA, Patrice MARTIN-LALANDE, Dominique NACHURY, Michel PIRON, Bérengère POLETTI, Jean-Luc REITZER, Martial SADDIER, Claudine SCHMID, Jean-Marie SERMIER, Claude STURNI, Alain SUGUENOT, Lionel TARDY, Philippe VITEL et Michel ZUMKELLER,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 17 avril 2013, avec plusieurs de nos collègues, nous avons pris l’initiative de déposer une proposition de loi visant à lutter contre l’ambroisie à feuilles d’armoise, l’ambroisie trifide et l’ambroisie à épis lisses.

Par le dépôt de ce texte, nous entendions répondre à l’inquiétude des personnes allergiques au pollen d’ambroisies, personnes notamment rassemblées dans l’association Stop Ambroisie et l’Afeda qui alertent depuis de nombreuses années l’administration et les élus, de l’accroissement continu du nombre de personnes concernées et de l’aggravation de leurs symptômes.

Le 5 décembre 2013, cette proposition de loi a été examinée par l’Assemblée nationale.

En séance publique, la ministre déléguée chargée de la famille a notamment indiqué : « (…) nous partageons l’objectif de lutte contre les ambroisies que vise la proposition de loi. Celle-ci va dans le bon sens (…).

(…) Il est regrettable que cette proposition de loi ne concerne que la lutte contre les ambroisies. Si celle-ci doit pouvoir être rapidement organisée, elle ne peut être menée que dans le cadre plus large d’un combat contre l’ensemble des espèces végétales ou animales nuisibles pour la santé humaine. Je pense notamment aux chenilles processionnaires, aux papillons de cendre, aux punaises de lit et à d’autres espèces qui touchent directement la santé des Français.

(…) Le Gouvernement soutient donc la demande de renvoi présentée par le groupe socialiste et se tient à la disposition des parlementaires pour travailler avec eux à l’amélioration de la proposition de loi et poursuivre le travail déjà entamé avec certains d’entre eux en vue du dépôt prochain d’un texte plus large. »

Sous prétexte qu’il était préférable de faire plus, le Gouvernement préféra enterrer notre initiative, au grand dam des personnes allergiques.

Il était, sans doute, possible d’en admettre l’augure si l’ambition ainsi affichée avait été, très rapidement, suivie d’effet.

Or, que s’est-il passé depuis avril 2013 ? Rien, absolument rien. Sauf à constater que la lutte coordonnée a pris du retard et que les malades sont restés bien seuls avec leur pathologie.

Faut-il le rappeler, l’ambroisie à feuilles d’armoise Ambrosia artemisiifolia (nommée ambroisie dans la suite du texte) est une plante annuelle envahissante originaire d’Amérique du nord, introduite involontairement en France vers 1860 dont l’allergie, dans une zone donnée, apparaît après plusieurs années d’exposition à son pollen. Son pollen est très allergisant : quelques grains de pollen par mètre cube d’air sont suffisants pour que des manifestations allergiques apparaissent chez les sujets sensibles : rhinite survenant en août-septembre avec écoulement nasal, conjonctivite, symptômes respiratoires tels trachéite ou toux, et parfois urticaire ou eczéma. Dans 50 % des cas, l’allergie à l’ambroisie peut entraîner l’apparition de l’asthme ou provoquer son aggravation.

La fréquence de l’allergie à l’ambroisie est importante : selon la zone, 6 à 12 % de la population exposée y est allergique, et cette proportion pourrait augmenter pour atteindre 25 % comme en Hongrie.

En Rhône-Alpes, région française la plus infestée, il a été estimé, par l’Agence régionale de santé, qu’en 2013, environ 200 000 personnes ont dû recourir à des soins en rapport avec l’allergie à l’ambroisie, soit des coûts de santé évalués à 15,5 millions d’euros, sans compter les coûts induits d’un montant à peu près équivalent.

L’ambroisie est capable de se développer sur une grande variété de milieux (surfaces agricoles, friches, chantiers, bords de routes, bords de cours d’eau…).

La dissémination des semences d’ambroisie se fait essentiellement par l’homme (pneus de camions, tracteurs et tous engins travaillant le sol…) mais aussi le long des cours d’eau.

Chaque pied d’ambroisie pouvant produire de 300 à 3 000 semences, un important stock de semences peut rapidement être constitué dans les sols et s’exprimer pendant un grand nombre d’années (supérieur à 10 ans, et jusqu’à environ 30 ans).

Aujourd’hui, l’ambroisie est majoritairement présente dans la vallée du Rhône, mais son aire de répartition s’étend d’année en année sur le territoire national. Elle est notamment en extension en direction du nord et du sud de la région Rhône-Alpes. Des plants d’ambroisie sont désormais observés non seulement dans les régions limitrophes de Rhône-Alpes (Auvergne, Bourgogne, Paca, Languedoc-Roussillon…), mais également dans la plupart des autres régions métropolitaines : Aquitaine, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes, Pays de la Loire…

De nombreuses plantes envahissantes prolifèrent rapidement sur l’ensemble du territoire. Outre l’ambroisie, on recense en particulier le datura, et la berce du Caucase.

La berce du Caucase (Heracleum mantegazzianum) s’élève à 3-4 mètres de haut et a été introduite comme plante ornementale et mellifère. Cependant, sa présence en très forte densité affecte la santé humaine. Par contact avec la peau, ses composés photosensibles en combinaison avec le rayonnement ultraviolet entraînent des affections de la peau. Ces dermites sont d’intensités variables : du simple érythème jusqu’à l’apparition de vésicules voire de bulles. On observe entre 500-1000 cas par an en Belgique.

Le datura (Datura stramonium L.) est aussi dénommé l’herbe du diable, l’herbe des sorciers, la trompette de la mort. Comme ses noms l’indiquent, c’est une plante très toxique originaire d’Amérique-du-Sud qui peut affecter la qualité sanitaire des récoltes. C’est un vrai poison. On peut la retrouver dans les cultures semées au printemps (maïs, tournesol), dans les cultures pérennes (vignes, vergers), friches et bords de routes. Il peut arriver que le consommateur en retrouve dans des boîtes de haricots provoquant ainsi des intoxications. Via les tourteaux, il est également toxique pour les animaux. Les chevaux de course y sont très sensibles. Des contrôles anti-dopage sont d’ailleurs effectués !

Gestionnaire d’espaces verts et de chantiers, agriculteurs, jardiniers amateurs, collectivités locales… les plantes invasives constituent un casse-tête et un défi pour les acteurs de terrain. Les plantes invasives peuvent avoir un impact environnemental, sanitaire et économique importants. Éradiquer ces plantes quand elles sont implantées depuis plusieurs années, est un objectif impossible : il s’agit plutôt de les gérer avec efficacité. En complément de la réglementation, la prévention (réseau de surveillance, code de bonne conduite de jardinerie…) et une action précoce contre ces plantes en milieu naturel sont plus rentables à moyen et long terme qu’appliquer une gestion curative (confinement, désherbage répété…). En agriculture, des plans de gestion responsable doivent être favorisés, les agriculteurs étant, avec les personnes allergiques, les premières victimes de ces plantes invasives.

Le coût de la gestion des plantes envahissantes est estimé à 12 milliards d’euros par an à l’échelle de l’Union européenne (Sciences, 3 avril 2009). À l’échelle des seuls Pays de la Loire, l’arrachage de la jussie s’élève à 360 000 euros par an.

Néanmoins, il convient de préciser que toutes les plantes ne sont pas invasives et on estime que seule une plante introduite sur mille devient envahissante. Il est impossible de dresser a priori le portrait-robot d’une espèce invasive. Pour qu’une plante le devienne, il lui faut des caractéristiques intrinsèques et des milieux favorables.

Le symposium international (4th International symposium on weeds and invasive plants) qui s’est tenu à Montpellier du 18 au 23 mai 2014 insiste sur la nécessité de privilégier la prévention. Celle-ci repose sur la sensibilisation du plus grand nombre et par une réglementation adaptée. Ainsi deux espèces de jussies sont-elles interdites à la vente et à l’introduction dans le milieu naturel. Une proposition de règlement européen (concernant animaux et plantes), votée le 16 mai dernier par le Parlement, a été adoptée par la Commission. La date de sa traduction en droit français est pour le moment floue.

Dans tous les cas, la mise en place en France de dispositions législatives et réglementaires de niveau national pour lutter contre des espèces dont la prolifération est nuisible à la santé humaine favorisera l’articulation avec les actions développées dans d’autres pays, notamment les pays voisins. À titre d’exemple, la Suisse a réussi à contrôler de façon efficace l’ambroisie à feuilles d’armoise sur son territoire grâce à la mise en place précoce d’un corpus réglementaire ambitieux rendant la lutte obligatoire sur les différents milieux colonisés par la plante, notamment agricoles, et s’inquiète de l’inaction relative sur les territoires limitrophes.

Aussi, la présente proposition de loi vise non seulement les espèces du genre ambroisie mais également d’autres espèces, végétales ou animales (chenille processionnaire du pin et du chêne, papillon de cendres) dont la prolifération est nuisible à la santé humaine, et cela sans porter atteinte aux dispositions existantes par ailleurs dans le code la santé publique (concernant les moustiques vecteurs de maladie) et dans d’autres codes (code de l’environnement, code rural…).

Le droit de propriété privée étant un droit fondamental, l’entrée sur des terrains privés d’agents publics habilités pour constater la présence d’espèces et y effectuer, le cas échéant, des travaux d’office, n’est juridiquement possible que si elle est expressément prévue par une loi.

Or, face à des espèces envahissantes nuisibles pour la santé humaine, il est nécessaire que des actions de lutte soient effectivement et efficacement mises en place dans les zones infestées, ainsi que des actions de prévention dans les secteurs susceptibles d’être rapidement concernés.

C’est pourquoi, il est nécessaire de pouvoir donner la possibilité à des agents publics de pénétrer sur des propriétés privées pour observer la présence éventuelle d’une espèce ou de mettre en place des actions de lutte en cas de manquement des personnes concernées.

D’où la nécessité de prévoir une loi à cet effet.

Tel est le sens de la présente proposition de loi que nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La liste des espèces végétales et animales visées par les dispositions du présent texte ainsi que les mesures de prévention et de lutte sont fixées par décret des ministres chargés de la santé, de l’environnement et de l’agriculture, après avis du Haut Conseil de la santé publique, du Conseil national de protection de la nature et du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale.

Article 2

Pour lutter contre ces espèces sur le territoire du département, l’autorité compétente est le préfet, qui prend, par arrêté, des mesures :

– de surveillance ;

– de prévention ;

– de lutte.

Parmi les actions de lutte, figurent :

1° L’obligation pour les propriétaires, locataires, concessionnaires, exploitants ou occupants de terrains bâtis et non bâtis de mettre en œuvre sans délai et à leurs frais toute mesure visant à éviter ou réduire la prolifération de l’espèce considérée ou à l’éradiquer ;

2° L’obligation pour les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre, les entrepreneurs de travaux publics et privés de mettre en œuvre sans délai et à leurs frais toute mesure visant à éviter ou réduire la prolifération de l’espèce considérée ou à l’éradiquer.

Article 3

Le préfet de région veille à la cohérence de ces mesures avec celles prises par ailleurs en application d’autres dispositions notamment du code rural et du code de l’environnement.

Il rend compte au ministre chargé de la santé de la mise en œuvre de ces mesures.

Article 4

I. – L’autorité compétente peut confier, par convention, la réalisation de mesures de surveillance, de prévention ou de lutte à un organisme de droit public ou de droit privé, ou le cas échéant à une collectivité territoriale.

II. – Les agents habilités peuvent pénétrer avec leurs matériels sur les propriétés publiques et privées, après en avoir informé les personnes concernées, et procéder d’office aux prospections et contrôles nécessaires, dans les conditions définies par l’autorité compétente. Cet accès a lieu entre huit heures et vingt heures, sauf dispositions particulières définies par l’autorité compétente. Ils peuvent, en outre, installer des dispositifs d’observation ou de lutte contre les espèces visées.

Les agents mentionnés à l’alinéa précédent sont les agents des ministères chargés de la santé, de l’agriculture, de l’environnement, de la concurrence, de la consommation, de la répression des fraudes, des douanes, des finances publiques, des collectivités territoriales ou d’organismes de droit public.

III. – Pour l’exécution des différentes opérations, les propriétaires, locataires, concessionnaires, exploitants ou occupants de terrains bâtis et non-bâtis des zones définies par l’autorité compétente, se conforment aux prescriptions des agents mentionnés au II et définies par l’autorité compétente et, notamment, procèdent aux déplacements d’animaux et de matériels nécessités par ces opérations.

IV. – Dans les zones définies par l’autorité compétente, à défaut d’exécution des mesures prescrites par l’autorité compétente et après mise en demeure par cette dernière restée sans effet, les agents mentionnés au II peuvent pénétrer avec leurs matériels sur les propriétés publiques et privées pour procéder d’office aux traitements et travaux nécessaires aux frais des intéressés. Cet accès a lieu entre huit heures et vingt heures, sauf dispositions particulières définies par l’autorité compétente. Les intéressés disposent d’un délai de trois mois pour procéder au paiement. À défaut de paiement dans ce délai, la somme due par les intéressés est majorée de 25 %.

V. – Les agents sont autorisés à pénétrer dans les locaux à usage de domicile et leurs dépendances bâties pour la réalisation des opérations contre les espèces figurant sur la liste fixée par arrêté. L’occupant des lieux ou son représentant est informé dans un délai raisonnable de la réalisation de ces opérations avant qu’elles n’aient lieu et de la possibilité de refuser pour des raisons légitimes leur réalisation. Ces opérations ne peuvent être réalisées qu’après accord écrit de la personne concernée. En cas de silence dans le délai indiqué dans la notification ou lorsque l’accès est refusé, les agents sont autorisés à pénétrer dans les locaux à usage de domicile et leurs dépendances bâties par l’autorité judiciaire dans les conditions définies à l’article L. 1421-2-1 du code de la santé publique.

VI. – Les opérations peuvent être réalisées avec l’assistance d’agents des organismes de droit privé mentionnés au I. Ces opérations ne peuvent entraîner que des sujétions temporaires limitées à leur stricte durée.

Article 5

Les infractions aux dispositions des règlements pris pour l’application de la présente loi, sont recherchées et constatées par les officiers et agents de police judiciaire conformément aux dispositions du code de procédure pénale et les agents mentionnés au II de l’article 4 habilités et assermentés dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Les procès-verbaux dressés par ces officiers et agents font foi jusqu’à preuve du contraire.

Article 6

Les dommages résultant des opérations de prospections, traitements, travaux et contrôles réalisés par les agents sont considérés comme des dommages résultant de l’exécution de travaux publics et réparés dans les mêmes conditions.

Article 7

Un arrêté des ministres chargés de la santé, de l’environnement et de l’agriculture peut limiter ou interdire l’introduction, le transport, le colportage, l’utilisation, la mise en vente, la vente ou l’achat, sous quelque forme que ce soit, d’une des espèces.

Article 8

En coordination avec le ministre chargé de l’environnement et le ministre chargé de l’agriculture, le ministre chargé de la santé organise une surveillance aérobiologique des pollens et une surveillance cartographique de l’extension des espèces. Cette surveillance permet de mesurer l’efficacité des actions de lutte et de déterminer de nouvelles actions ciblées.

Article 9

Le ministre chargé de la santé pilote des campagnes d’information, de communication et d’alerte envers les services et les populations concernées.

Article 10

En tant que de besoin, les conditions d’application de la présente loi sont déterminées par décret en Conseil d’État.

Article 11

Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la majoration du tarif de la taxe mentionnée à l’article 991 du code général des impôts.


© Assemblée nationale