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2197

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 septembre 2014.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER (1)

sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

(n° 2188),

PAR

M. Serge LETCHIMY

Député

——

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Catherine Beaubatie, Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Stéphane Claireaux, M. Édouard Courtial, Mme Florence Delaunay, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Napole Polutélé, M. Pascal Popelin, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, Mme Maina Sage, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Gérard Terrier, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Jean Jacques Vlody

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

I. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE CONSTITUE UNE NÉCESSITÉ ET UNE CHANCE POUR LES COLLECTIVITÉS D’OUTRE-MER : ELLE LEUR PERMET D’ENVISAGER, À TERME, L’ÉMERGENCE D’UN NOUVEAU MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 11

A. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE EST UNE NÉCESSITÉ POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES D’OUTRE-MER 12

1. La demande d’énergie dans les DOM et dans les COM est en forte croissance 12

2. Si la part des énergies renouvelables progresse dans les économies ultramarines, ces dernières sont encore fortement dépendantes des importations en charbon et en pétrole 14

3. Malgré le système de péréquation établi pour compenser le prix élevé de la production d’électricité outre-mer, le coût de l’énergie reste un poste important dans le budget des ménages et dans les comptes des entreprises 16

B. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE CONSTITUE AUSSI UNE CHANCE POUR LES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES 17

1. Grâce à la transition énergétique, les Outre-mer vont pouvoir accéder à un nouveau modèle de développement 18

2. Dans le cadre de ce mouvement vers un nouveau type de développement, les Outre-mer vont pouvoir bénéficier de la mise en œuvre de techniques innovantes 20

C. LES TERRITOIRES ULTRAMARINS DISPOSENT D’UN FORT POTENTIEL DANS LE DOMAINE DES ÉNERGIES RENOUVELABLES 22

1. L’énergie photovoltaïque 22

2. L’énergie éolienne 23

3. Les énergies marines 24

4. L’énergie tirée de la biomasse 25

5. L’énergie géothermique 26

6. L’énergie hydraulique 27

D. DANS LES DOM, UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE RÉUSSIE SUPPOSE LA MISE EN PLACE, AU PRÉALABLE, D’UN CERTAIN NOMBRE D’ÉLÉMENTS DÉTERMINANTS 27

1. Le pilotage stratégique, dans le domaine du développement durable, doit désormais appartenir, à titre principal, à la région 28

2. Il est nécessaire d’accomplir un effort significatif de recherche et de développement afin d’améliorer les possibilités d’utilisation des énergies intermittentes 30

3. Une attention particulière doit être apportée aux modes de financement de la transition énergétique afin que les coûts ne pèsent pas trop lourdement sur les ménages et sur les entreprises 31

II. LE PROJET DE LOI RELATIF À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE POUR LA CROISSANCE VERTE : UN TEXTE D’ENVERGURE ET QUI MOBILISE D’IMPORTANTS LEVIERS OUTRE-MER 33

A. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU PROJET DE LOI 35

B. LES AVANCÉES EN FAVEUR DES OUTRE-MER 37

1. Les objectifs particuliers de la politique énergétique (article 61) 38

2. Le renouvellement des habilitations énergie des départements de Guadeloupe et de Martinique et le renforcement des SRCAE dans les DOM (articles 62 et 63) 40

C. LES AUTRES MESURES QUI, TOUT EN S’APPLIQUANT À L’ENSEMBLE DE L’HEXAGONE, PEUVENT PRÉSENTER AUSSI UN INTÉRÊT PARTICULIER POUR L’OUTRE-MER 41

1. Les dispositions nécessaires pour mieux isoler les bâtiments (articles 3, 4 et 5) 41

2. Le développement des véhicules électriques et des sources d’énergie renouvelable dans le secteur des transports (articles 10 et 11) 43

3. La promotion de l’économie circulaire (article 19) 44

4. Le développement de l’autoproduction d’électricité (article 30) 45

5. La mise en place d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (article 49) 45

6. L’accroissement du rôle de la recherche dans la définition des stratégies nationales concernant les énergies nouvelles (article 53) 46

7. Le développement des expérimentations dans les collectivités locales (articles 56, 58 et 59) 47

8. L’institution du chèque énergie (article 60) 49

D. LES DISPOSITIFS DU PROJET DE LOI QUI DOIVENT ÊTRE ENCORE APPROFONDIS 49

1. Améliorer la déclaration d’objectifs contenue dans l’article 1er du projet de loi 49

2. Bonifier davantage les certificats d’économies d’énergie lorsqu’ils correspondent à des investissements effectués outre-mer (article 8) 50

3. Favoriser les énergies marines (article additionnel après l’article 38) 51

4. Prévoir, lorsque les investissements concernent l’outre-mer, que les attributions de CSPE pourront être effectuées en tenant compte de l’utilité sociale des projets (article 50) 51

5. Élargir le champ d’application de l’habilitation énergie pour la Martinique (article 62) 52

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 55

PROPOSITIONS ADOPTÉES 67

AUDITIONS DU RAPPORTEUR 69

AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 71

Quand la terre acagnardée scalpera le soleil…

Aimé Césaire

Le grand midi

Extrait du recueil Les armes miraculeuses

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 2188) est incontestablement un projet de la plus haute importance.

Non seulement il doit donner à la France les moyens d’améliorer son mix énergétique dans le sens d’une place plus grande accordée aux énergies renouvelables, mais, plus généralement, il doit aussi permettre d’accomplir une véritable mutation dans la consommation.

Bien entendu, ce passage à la « troisième révolution industrielle » concerne tout particulièrement les Outre-mer, et ce point a bien été mis en exergue par Mme Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, au cours de son déplacement en Martinique, les 30 et 31 août et le 1er septembre 2014, à l’occasion de la signature du protocole « Martinique île durable ».

Les collectivités d’outre-mer, en effet, si elles sont originairement dépourvues de sources d’énergie fossile, sont, au contraire, particulièrement bien pourvues en sources d’énergie renouvelable (la mer, le vent, le soleil, la géothermie…). Grâce à la transition énergétique, elles pourraient donc passer d’une situation d’extrême dépendance à une situation d’extrême indépendance – ce qui est un enjeu particulièrement motivant.

Telle est la raison pour laquelle la Délégation aux outre-mer a souhaité se saisir de ce texte.

La saisine porte naturellement sur le volet ultramarin du projet de loi, c’est-à-dire sur les articles 61, 62 et 63.

Mais elle porte aussi sur tous les articles qui, tout en s’appliquant principalement dans l’hexagone, peuvent présenter également un intérêt pour les DOM. Il s’agit des articles 3, 4, 5, 10, 11, 19, 30, 49, 53, 56, 58, 59 et 60.

S’agissant du volet ultramarin, l’article 61 définit les objectifs particuliers de la politique énergétique outre-mer et il prévoit que les DOM feront chacun l’objet d’une programmation pluriannuelle de l’énergie. L’article 62 renouvelle aux conseils régionaux de Guadeloupe et de Martinique, en application de l’article 73 de la Constitution, les habilitations leur permettant de prendre pour leur territoire des dispositions spécifiques en matière d’énergie, notamment de maîtrise de la demande d’énergie et d’énergies renouvelables. Et enfin, l’article 63 vise à intégrer le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) dans le schéma d’aménagement régional (SAR) pour les régions d’outre-mer.

En ce qui concerne les mesures à caractère général, les articles 3, 4 et 5 ont trait à la rénovation énergétique des bâtiments. Les articles 10 et 11 visent à favoriser le développement des véhicules électriques ou des véhicules utilisant des biocarburants. L’article 19 intègre l’économie circulaire (c’est-à-dire le recyclage des déchets) dans la transition énergétique. L’article 30 prévoit des dispositions pour la mise en place de l’autoproduction dans le domaine électrique. L’article 49 (combiné à l’article 61) prévoit la réalisation d’une programmation pluriannuelle de l’énergie, aussi bien dans l’hexagone que dans chaque département d’outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon. L’article 53 affirme le rôle de la recherche et de l’innovation dans la politique énergétique et précise les modalités d’élaboration d’une stratégie nationale de recherche en énergie – stratégie qui doit s’appuyer notamment sur les DOM et sur les COM. L’article 58 prévoit des expérimentations pour le développement de « boucles locales », c’est-à-dire de périmètres qui – en rapprochant les producteurs et les consommateurs – se dotent de moyens pour créer localement de l’électricité à partir de sources renouvelables. Les articles 56 et 59 prévoient des expérimentations pour le développement de réseaux électriques intelligents (les « smart grids »). Enfin, l’article 60 met en place un chèque énergie destiné aux bénéficiaires des tarifs sociaux pour financer leurs travaux d’économie d’énergie.

Le cheminement retenu pour le rapport est le suivant :

– Dans un premier temps, votre rapporteur montera en quoi la transition énergétique est à la fois une nécessité et une chance pour les Outre-mer ;

– Et, dans un second temps, il montrera en quoi le texte du projet de loi constitue un ensemble de leviers destinés à mobiliser les énergies et à accompagner notre pays – et singulièrement les Outre-mer – dans la direction de la « croissance verte ».

Bien entendu, un texte n’est jamais complet et votre rapporteur ambitionne de l’améliorer sur un certain nombre de points qui sont développés à la fin de la seconde partie du présent rapport.

Parmi les propositions qui sont avancées, on peut citer les suivantes :

– S’assurer des conditions juridiques permettant de multiplier les expérimentations dans les DOM ;

– Revaloriser, à l’attention des producteurs, le prix d’achat de la biomasse. Par exemple, ainsi que la Délégation aux outre-mer l’avait demandé dans son rapport d’information consacré à l’OCM « sucre », il serait tout à fait utile qu’EDF achète plus cher la tonne de bagasse aux entreprises qui la produisent (la bagasse est actuellement achetée par EDF aux industries sucrières à un prix qui s’élève à un peu plus de 11 euros la tonne) ;

– Revaloriser le prix d’achat de l’électricité produite par des équipements photovoltaïques et trouver, le cas échéant, un système incitatif qui relance l’investissement en ce domaine – les équipements photovoltaïques ayant cessé d’être éligibles à la défiscalisation des investissements productifs outre-mer, à partir de l’année 2011, ainsi qu’au crédit d’impôt développement durable, à partir de l’année 2014 ;

– Bonifier davantage les certificats d’économie d’énergie (CEE) lorsque les investissements sont effectués outre-mer (sinon les entreprises assujetties à ces certificats n’iront pas nécessairement faire les investissements requis dans les DOM) ;

– Prévoir que la CRE (la Commission de régulation de l’énergie) ne favorise pas nécessairement, dans les DOM, en cas de projet concernant une énergie renouvelable, la proposition la moins coûteuse (à cause de la péréquation du prix de l’énergie qui suppose ensuite l’attribution à EDF d’un différentiel alimenté par la contribution au service public de l’électricité ou CSPE). Ou encore, ce qui revient au même, faire en sorte que la CRE prenne en compte des objectifs régionaux pour ses calculs concernant la CSPE. C’est ainsi qu’en Guadeloupe, à Marie-Galante, la réalisation d’une centrale thermique – qui fonctionnerait principalement avec de la bagasse – marque le pas, parce que le prix d’achat du kilowatt par EDF n’a pas été validé par la CRE ;

– Élargir, enfin, l’habilitation énergie prévue en faveur de la Martinique à l’ensemble des questions qui concernent la « croissance verte ».

À noter que cette dernière mesure est particulièrement attendue dans le département/région (DROM) de la Martinique et qu’elle lui permettrait d’accomplir un pas décisif vers une nouvelle forme de croissance – dans le droit fil de la pensée d’Aimé Césaire qui plaçait la nature, ainsi que les relations harmonieuses de l’homme au sein de son environnement, au nombre des biens les plus précieux.

I. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE CONSTITUE UNE NÉCESSITÉ ET UNE CHANCE POUR LES COLLECTIVITÉS D’OUTRE-MER : ELLE LEUR PERMET D’ENVISAGER, À TERME, L’ÉMERGENCE D’UN NOUVEAU MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Le souci de favoriser la transition énergétique, c’est-à-dire le souci de rechercher et de développer de nouvelles sources d’énergie indépendamment des énergies fossiles – énergies dont les réserves ne semblent plus désormais inépuisables et dont l’utilisation génère d’importants dégagements de gaz à effet de serre – est une préoccupation qui s’est faite jour dans le courant des années 80.

En France, cet effort en vue d’obtenir une croissance à la fois plus indépendante de certaines ressources naturelles et plus respectueuse de l’environnement s’est traduit, sur le plan législatif, par l’adoption de deux lois très importantes qui ont constitué ce que l’on a appelé le « Grenelle de l’environnement » – par référence aux accords de Grenelle dont le but était de mettre en place, après les différents mouvements de contestation intervenus en mai 1968, une nouvelle donne économique. Il s’agit de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (ou « Grenelle I ») et de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (ou « Grenelle II »).

Par ailleurs, la nécessité d’entrer désormais dans un processus de croissance durable a été formulée, d’une manière tout à fait précise, au cours des deux conférences environnementales pour la transition écologique qui se sont tenues à Paris, en 2012 et en 2013, dans l’enceinte du Conseil économique, social et environnemental.

La transition énergétique est ainsi devenue un enjeu prépondérant pour notre pays. Et cet enjeu n’est pas moins grand pour les départements et les collectivités d’outre-mer.

En effet, le développement durable constitue une nécessité pour les territoires ultramarins qui ne disposent ni d’énergies fossiles – même si des recherches pétrolières sont actuellement conduites en Guyane – ni de centrales nucléaires et qui sont très dépendants des importations d’hydrocarbures.

Il constitue aussi une chance pour les collectivités territoriales d’outre-mer dans la mesure où, grâce à la recherche, elles ont la perspective d’accéder, à court ou à moyen terme, à de nouvelles formes d’énergie – des énergies renouvelables, des énergies sans doute moins onéreuses pour le pouvoir d’achat des ménages – lorsqu’elles seront totalement opérationnelles – que le pétrole importé, et surtout des énergies tirées de ressources dont les DOM ou les COM disposent à profusion : l’air (avec l’énergie tirée des éoliennes), le soleil (avec l’énergie photovoltaïque), la mer (avec l’électricité issue des usines marémotrices) ou la biomasse (avec l’énergie produite à partir du bois ou de la bagasse, cette dernière étant un résidu de la canne à sucre). C’est ainsi que, comme on l’a affirmé fréquemment, la transition énergétique peut conduire les départements et les collectivités d’outre-mer à la « troisième révolution industrielle ».

Naturellement, s’il est vrai que la matière première est abondante outre-mer pour donner naissance à de nouvelles formes d’énergie, il est non moins vrai que la transition énergétique ne pourra trouver sa pleine application, dans les DOM et dans les COM, qu’à la condition qu’un certain nombre de facteurs – liés notamment à la gouvernance, aux techniques mises en œuvre ou au mode de financement mobilisés – soient réunis.

Ce sont ces facteurs que votre rapporteur va examiner dans la dernière partie du présent chapitre.

Ensuite, dans le chapitre qui suit, il examinera les orientations retenues par le projet de loi de programmation sur la transition énergétique et – plus particulièrement – il étudiera les mesures prises pour la réalisation, outre-mer, de ces prérequis indispensables.

A. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE EST UNE NÉCESSITÉ POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES D’OUTRE-MER

Il existe trois types de raisons qui, outre-mer, plaident pour la nécessité d’une transition énergétique à court ou à moyen terme, ou encore – ce qui revient au même – qui plaident pour la recherche d’un véritable accroissement dans la capacité de production des énergies renouvelables : la hausse continue de la consommation, le poids des importations en charbon et en hydrocarbures et l’importance du coût de l’énergie pour le budget des ménages et des entreprises.

1. La demande d’énergie dans les DOM et dans les COM est en forte croissance

Compte tenu à la fois de leur développement économique et de la demande de la population – demande tirée par la croissance démographique et par l’augmentation du niveau de vie qui a pour conséquence d’accélérer le taux d’équipement des ménages, notamment dans le domaine de l’électroménager et de la climatisation – les départements et les collectivités d’outre-mer enregistrent, depuis 10 ans, une progression de la consommation énergétique très supérieure à celle de l’hexagone.

Ainsi, le département de La Réunion connaît, depuis 2004, une croissance de sa consommation énergétique de 7 % par an, soit une progression trois fois supérieure à celle de l’hexagone. Les départements de la Guadeloupe et de la Martinique enregistrent, pour leur part, depuis la même date, une hausse de leur consommation énergétique de l’ordre de 4 à 5 % par an. Enfin, la collectivité de Mayotte, dont la population est plus jeune et dont le développement économique est plus récent, a connu, entre 2003 et 2004, une progression de 30 % de sa consommation électrique.

Comme le remarque M. Patrick Ganelon, rapporteur au nom de la section des activités économiques du Conseil économique, social et environnemental, dans son rapport intitulé : « Les énergies renouvelables outre-mer : laboratoire pour notre avenir », cette forte croissance constitue également un « rattrapage » par rapport à l’hexagone, ainsi que le montre le tableau suivant :

Source : Conseil économique, social et environnemental - Avis - juillet 2011.

Dans ce tableau – qui présente la consommation moyenne en électricité des habitants des différents DOM et COM exprimée en pourcentage par rapport à la consommation totale de ces territoires – on peut voir, en effet, que la consommation des départements et des collectivités d’outre-mer tend à se rapprocher de celle de l’hexagone, étant entendu que le tableau n’établit pas de différenciation entre les différents types de consommation (éclairage, chauffage individuel ou collectif, usages industriels, etc.).

Parallèlement, on peut évaluer aussi, en observant la dernière colonne – c’est-à-dire celle qui présente le PIB par habitant en milliers d’euros –, le poids de la consommation électrique dans le budget des ménages. Ce poids paraît d’ailleurs souvent important – par exemple pour les départements de la Martinique et de la Guadeloupe – dans la mesure où la consommation individuelle d’électricité est élevée, alors que le revenu disponible est beaucoup plus faible que dans l’hexagone.

Au total, il est bien certain que, si la consommation d’énergie doit poursuivre à l’avenir la progression que l’on vient de décrire – et il n’y a aucune raison pour qu’elle ne le fasse pas, puisqu’il semble s’agir, comme on vient de le dire, d’un rattrapage, c’est-à-dire d’une tendance sur le long terme –, en ce cas, cette croissance, pour des raisons de sécurité élémentaire dans les approvisionnements, doit impérativement être accompagnée d’un développement des énergies durables au sein de chaque territoire. Il en va de l’autonomie des collectivités d’outre-mer et de leur indépendance énergétique.

2. Si la part des énergies renouvelables progresse dans les économies ultramarines, ces dernières sont encore fortement dépendantes des importations en charbon et en pétrole

Les énergies renouvelables se sont beaucoup développées ces quinze dernières années. Leur essor constitue d’ailleurs un objectif qui figure dans les deux lois instituant le « Grenelle de l’environnement ». Notamment, l’article 56 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 (ou « Grenelle I ») a fixé l’objectif de parvenir, dans les départements d’outre-mer, à une autosuffisance énergétique dès 2030. Elle prévoit également un objectif intermédiaire de 50 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale en 2020, cet objectif s’élevant à 30 % pour Mayotte.

Par ailleurs, dans les collectivités d’outre-mer non soumises à la loi « Grenelle I », les réglementations locales assignent des objectifs de même nature. Ainsi, en Polynésie, il est prévu qu’à l’horizon 2020 la production d’électricité d’origine renouvelable devra atteindre 50 % de la consommation finale. Elle devra atteindre 100 % à l’horizon 2030.

Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, le taux des énergies renouvelables (ENR) dans le mix énergétique des DOM et des COM varie actuellement de 2 à 56 % en puissance installée, alors que ce taux est égal à 15 % dans l’hexagone. Cette situation permet ainsi d’envisager – selon toute vraisemblance – la réalisation effective en 2020 de l’objectif intermédiaire fixé à 50 % par la loi de 2009.

Source : Conseil économique, social et environnemental - Avis - juillet 2011.

N.B. : Ce tableau statistique a été fourni au CESE par la délégation à l’Outre-mer et le ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Pour la Martinique, votre rapporteur dispose d’une autre statistique qui fixe la part des énergies renouvelables à 2,5 % en 2010. Selon cette statistique, le chiffre de 7 % est atteint en 2014.

Il convient de remarquer cependant que, malgré le développement des énergies renouvelables, la consommation énergétique des DOM et des COM reste très dépendante des énergies fossiles.

En effet, on doit se rappeler, tout d’abord, que, lorsque l’on observe – en étudiant le tableau ci-dessus – que la Guadeloupe, par exemple, consomme 30 % d’énergies renouvelables, cela revient à signifier aussi que, pour la part de la consommation non couverte par ce type d’énergie, c’est-à-dire pour les 70 % des besoins restants, la Guadeloupe a principalement recours à du charbon ou à du pétrole, c’est-à-dire à des ressources importées. Cela provient du fait que cette île – comme toutes les autres collectivités d’outre-mer – ne dispose sur place ni d’énergies fossiles, ni d’énergie nucléaire, et qu’elle constitue ce que l’on appelle une ZNI, c’est-à-dire une zone non-interconnectée au réseau électrique continental.

Le tableau ci-dessus montre donc, indépendamment de la progression des ENR, que le poids des importations dans le domaine énergétique reste encore très prégnant outre-mer.

Par ailleurs, on doit noter aussi que, comme la consommation croît de manière très sensible, le développement des capacités de production à partir des énergies renouvelables va très souvent de pair avec la progression du recours aux énergies fossiles.

À cet égard, on peut citer l’exemple du département de La Réunion. Alors que cette collectivité, dans le cadre des énergies renouvelables, avait recours, jusqu’en 1983, à 100 %, à une énergie d’origine hydraulique, la contribution de cette source d’énergie à la consommation n’a que peu évolué depuis cette date, restant stable à environ 500 GWh (gigawatt-heures) en 2012. En revanche, La Réunion a développé l’utilisation de la biomasse à partir de 1992, par le biais de la transformation de la bagasse en électricité – la bagasse étant le résidu fibreux de la canne à sucre après extraction du sucre. La bagasse représente aujourd’hui environ 10 % des besoins énergétiques de l’île. C’est ainsi que le pourcentage d’ENR de La Réunion est passé, en 2012, à 45 %. Par contre, dans le même temps, le recours au diesel, inexistant en 1983, a cru, lui aussi, et de manière notable. Il est passé à 35 % de la consommation finale en 2012.

Cela prouve que, malgré tous les efforts pour faciliter les énergies renouvelables, les besoins croissants d’énergie de la population continuent de rester largement comblés par un recours significatif aux énergies fossiles (charbon et pétrole), énergies qui, comme on vient de l’indiquer, sont importées.

Il paraît donc indispensable d’inverser cette tendance et de faire en sorte que la valorisation des énergies renouvelables puisse connaître une nouvelle étape décisive. En effet, seul l’approfondissement de la transition énergétique pourra diminuer la dépendance des DOM et des COM aux importations, et tout particulièrement aux importations d’hydrocarbures.

3. Malgré le système de péréquation établi pour compenser le prix élevé de la production d’électricité outre-mer, le coût de l’énergie reste un poste important dans le budget des ménages et dans les comptes des entreprises

Pour le consommateur ultramarin, le prix de l’électricité produite à partir d’une source d’énergie renouvelable et le prix de l’électricité produite à partir d’une origine fossile est identique, même si, à l’heure actuelle, le coût de revient des énergies nouvelles est assez élevé.

Ce phénomène est dû au système de péréquation géré par la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Le système de péréquation, établi pour tenir compte de la situation difficile des zones non connectées au territoire hexagonal (Corse, départements d’outre-mer et collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon), prend en charge – en faisant appel aux ressources tirées de la CSPE (la contribution au service public de l’électricité) – la différence existant entre le montant lié aux frais de production dans les régions non connectées et le montant constaté pour ces mêmes frais dans l’hexagone. De ce fait, un consommateur martiniquais ou alsacien se voit proposer l’électricité au même tarif, alors que les coûts de production sont très différents. Ainsi, si le coût de la production avoisine les 60 € par mégawatt/heure au niveau national, ce dernier, dans les systèmes énergétiques insulaires, peut varier de 90 à 200 € pour cette même quantité d’énergie – soit 90 € pour La Réunion, 120 € pour la Martinique et la Guadeloupe et près de 200 € pour Saint-Pierre-et-Miquelon.

La péréquation garantit ainsi une continuité des prix. Néanmoins, comme on l’a vu précédemment, dans la mesure où le revenu disponible des ménages est moins élevé outre-mer que dans l’hexagone, le poids de la facture énergétique reste important pour les particuliers.

Par ailleurs, on doit noter aussi que, dans le cadre de la péréquation, à cause de l’attribution à EDF du différentiel alimenté par la CSPE, la CRE a assez fréquemment tendance – au moment de la validation d’un projet – à favoriser la proposition la moins coûteuse, indépendamment de tout autre objectif social ou environnemental. C’est ainsi qu’en Guadeloupe, par exemple, la réalisation d’une centrale thermique à Marie-Galante – qui fonctionnerait principalement avec de la bagasse – marque le pas, parce que le prix d’achat du mégawatt/heure par EDF n’a pas été validé par la Commission.

Il faudrait donc faire en sorte que la CRE puisse davantage prendre en compte les objectifs régionaux dans ses calculs d’attribution de la CSPE.

Dans un autre ordre d’idées, on doit souligner également que les revenus des ménages ou les comptes d’exploitation des entreprises, dans les DOM ou dans les COM, ne sont pas seulement impactés par le prix de l’électricité mais aussi par celui des hydrocarbures.

Dans les DOM – et contrairement à la pratique de l’hexagone où ce sont les compagnies pétrolières et leurs distributeurs qui arrêtent tous les prix – le préfet fixe, chaque mois, le tarif de certains produits pétroliers. Il s’agit du prix du litre d’essence sans plomb et du prix du litre de gazole.

Or, malgré le caractère « administré » du prix de vente de ces deux produits, le prix des hydrocarbures est souvent plus élevé outre-mer que celui pratiqué dans l’hexagone. Cela est dû au fait que les hydrocarbures sont importés et que le prix de vente intègre nécessairement le coût du transport par bateau.

Ainsi, dans l’hexagone, pour en rester à l’essence sans plomb et au gazole, et en établissant un tarif moyen – car le prix de l’essence varie en fonction des régions, des sociétés pétrolières et des stations-service –, l’essence sans plomb coûte actuellement 1,53 € le litre et le gazole 1,34 € le litre.

Dans les DOM, en revanche, le prix du litre d’essence sans plomb a varié, au cours du second trimestre de l’année 2014, de 1,50 à 1,74 €. Le prix du litre d’essence sans plomb est en effet fixé respectivement à 1,50 € à Mayotte ; à 1,57 € en Martinique ; à 1,58 € en Guadeloupe et à La Réunion, et à 1,74 € en Guyane. De même, le prix du litre de gazole oscille, à la même date, entre 1,21 et 1,52 €. Le prix du litre de gazole est en effet fixé respectivement à 1,21 € à La Réunion ; à 1,25 € à la Martinique ; à 1,30 € à Mayotte ; à 1,36 € en Guadeloupe et à 1,52 € en Guyane.

Le prix élevé de la majeure partie des produits pétroliers constitue ainsi un vrai poids pour le budget des ménages et pour le bilan des entreprises.

La transition énergétique, une fois encore, paraît une nécessité pour régler ce problème. Elle doit intervenir sur trois facteurs : tout d’abord, le développement d’énergies nouvelles moins coûteuses ; ensuite, la diminution du prix de la facture énergétique des ménages en agissant notamment sur la domotique – avec la mise en place, dans chaque habitation, d’une source d’énergie autonome – et sur les transports – avec le développement de voitures électriques dont les bornes de recharge pourraient fonctionner à partir de l’énergie photovoltaïque ; et enfin, la recherche d’une réduction du coût de l’énergie pour les entreprises, en remplaçant, par exemple, le diesel par une énergie renouvelable.

B. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE CONSTITUE AUSSI UNE CHANCE POUR LES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES

La transition énergétique n’est pas seulement une nécessité, c’est aussi une chance pour les Outre-mer. Elle peut en effet leur permettre d’accéder à un nouveau modèle de croissance, à un moment où les technologies liées aux énergies nouvelles sont de plus en plus performantes.

Telle est la raison pour laquelle M. Jean-Marc Ayrault, alors Premier Ministre, dans un discours prononcé à Fort-de-France, le 26 juin 2013, avait fait de la transition énergétique un axe prioritaire pour le développement des territoires ultramarins, à côté de la compétitivité des filières de production et de l’économie du savoir. En effet, ainsi que le soulignait M. Jean-Marc Ayrault, l’essor des énergies nouvelles n’est pas seulement un phénomène susceptible d’assurer la relance de l’activité économique au sein des Outre-mer ; c’est aussi un facteur capable de provoquer de véritables changements dans leur mode de développement.

1. Grâce à la transition énergétique, les Outre-mer vont pouvoir accéder à un nouveau modèle de développement

Selon certains économistes, un changement significatif dans l’utilisation de la principale source d’énergie, au sein d’une société donnée, finit toujours par provoquer une rupture ou un « saut qualitatif » à l’intérieur de cette société. Ce « saut qualitatif » s’analyse comme étant une mutation très profonde de la société en cause – une mutation qui concerne aussi bien la production industrielle que la culture ou les mentalités.

Dans le prolongement de ces réflexions, un professeur à l’Université de Pennsylvanie, M. Jérémy Rifkin, a attiré l’attention des décideurs politiques, dans le courant des années 2000, sur le fait qu’avec l’essor des énergies renouvelables, les sociétés développées allaient devoir changer de paradigme et aborder de plain-pied « la troisième révolution industrielle ».

Ce professeur a d’ailleurs écrit un livre sur cette question, paru en France en 2012 : « La troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde ».

La « troisième révolution industrielle », annoncée par M. Jérémy Rifkin, fait suite à la révolution du charbon et à celle de l’électricité.

En France par exemple – comme d’ailleurs dans la plupart des autres pays occidentaux –, on peut distinguer, en effet, une première révolution industrielle qui a eu lieu entre 1830 et 1880 et qui a coïncidé avec l’avènement du charbon. Cette révolution a culminé avec la construction des grandes lignes de chemin de fer et avec l’essor des transports ferroviaires.

Ensuite, il est possible de parler d’une seconde révolution technologique qui a eu lieu entre 1900 et 1920 et qui est liée à l’apparition de l’électricité. Elle conditionne toujours le développement de notre pays, même si – depuis les années 70 – l’électricité, pour sa plus grande part, est produite désormais par des centrales nucléaires.

Enfin – selon M. Jérémy Rifkin – il est nécessaire d’envisager aujourd’hui une « troisième révolution industrielle » – une révolution qui va résulter du « saut qualitatif » provoqué par les énergies renouvelables.

Cette révolution va non seulement modifier les modes de production de l’énergie, mais aussi les représentations culturelles et sociales.

S’agissant des modes de production, le livre de M. Jérémy Rifkin indique que les mutations correspondant au nouveau modèle de développement induit par la « troisième révolution industrielle » devraient s’effectuer en prenant appui sur cinq grands piliers :

– la démocratisation de l’accès aux énergies renouvelables, ce qui doit passer notamment par la promotion de tarifs de rachat incitatifs ;

– la transformation du parc immobilier en un ensemble de microcentrales énergétiques ; en effet, à la différence des énergies fossiles ou de l’uranium, les énergies renouvelables sont présentes dans le monde entier et elles peuvent servir partout à l’évolution de l’habitat ;

– l’amélioration des techniques de stockage et l’utilisation accrue de l’hydrogène ;

– le développement du réseau Internet pour créer des sites de mise en relation permettant aux particuliers de produire leur propre énergie et de la partager – les grandes compagnies qui opèrent dans le secteur de l’électricité étant conduites, dès lors, à recentrer leurs activités sur la distribution ;

– Et enfin, le passage aux véhicules électriques ou aux véhicules fonctionnant au moyen de piles à combustible.

En ce qui concerne l’évolution des mentalités et des modes de représentation, M. Jérémy Rifkin estime que « la troisième révolution industrielle » va modifier l’ensemble de nos déterminations de pensée, et notamment celles qui concernent les rapports économiques, le gouvernement de la cité, l’éducation des enfants et la participation à la vie sociale. En outre, les représentations collectives seront aussi caractérisées par une attention plus grande apportée aux générations futures et au capital énergétique de la planète. C’est ainsi, au total, que ces changements culturels aboutiront, de manière à peu près certaine, à l’émergence de sociétés plus responsables et plus justes.

Cette approche globale a été adoptée par l’Union européenne le 14 mai 2007 dans une déclaration écrite du Parlement européen relative à l’établissement d’une économie verte de l’hydrogène et d’une troisième révolution industrielle en Europe. De même, la région Nord Pas-de-Calais a officiellement lancé son plan pour une troisième révolution industrielle le 25 octobre 2013.

Bien entendu, ces mutations vont aussi concerner les Outre-mer. On peut même dire qu’elles vont constituer une véritable opportunité pour les collectivités ultramarines.

Du point de vue de la production et de la consommation énergétique, la « troisième révolution industrielle » va permettre aux DOM et aux COM de changer de modèle de développement pour aboutir à un système beaucoup plus autonome et beaucoup plus durable.

Du point de vue des changements culturels, les collectivités territoriales d’outre-mer – compte tenu de l’importance de leurs ressources dans le domaine des énergies nouvelles – vont cesser de se sentir en position de faiblesse par rapport à l’hexagone. Elles vont pouvoir bâtir leur propre développement avec leurs propres forces, et elles vont même pouvoir devenir des leaders en matière d’énergie renouvelable – notamment au niveau régional.

Il s’agit là de changements essentiels et que votre rapporteur appelait de ses vœux depuis très longtemps.

2. Dans le cadre de ce mouvement vers un nouveau type de développement, les Outre-mer vont pouvoir bénéficier de la mise en œuvre de techniques innovantes

Les techniques permettant de valoriser les énergies nouvelles sont assez variables en fonction des sources à partir desquelles elles opèrent et elles ont actuellement un degré de maturité qui est, lui aussi, assez variable.

C’est ainsi que l’on peut distinguer les technologies les plus avancées (énergie marémotrice, hydroélectricité…) et, à l’inverse, celles qui en sont encore à un stade d’étude ou de première expérimentation (énergie thermique des mers, énergie tirée de la houle...).

Cependant, ce qu’il importe d’observer, c’est que – au moment où la transition énergétique devient vraiment un enjeu de société et au moment où l’on s’aperçoit que les collectivités d’outre-mer ont, à l’évidence, un rôle de premier plan à jouer en ce domaine – ces dernières se trouvent en situation de pouvoir bénéficier d’un certain nombre d’avancées technologiques qui, petit à petit, deviennent pleinement opérationnelles.

Parmi ces techniques innovantes, on citera trois exemples : le système SWAC qui fonctionne à La Réunion et en Polynésie française dans le domaine de l’énergie marine ; la technologie qui relève du projet « Bouillante III », une technologie qui doit être prochainement mise en place en Guadeloupe, au sein de la commune de Bouillante, dans le domaine de la géothermie ; et enfin, les installations au sol de la centrale photovoltaïque gérée par la société Helios Bay, une centrale d’exception qui fonctionne dans la baie de Saint-Vincent en Nouvelle-Calédonie.

Il est possible de donner quelques précisions sur ces trois types de technologie :

– Le système SWAC – Sea water air conditioning – est un système de climatisation qui utilise l’eau profonde. Il a été mis en place, depuis 2010, à La Réunion, dans les zones urbaines de Saint-Denis et de Sainte-Marie, dans le cadre du programme GERRI (Grenelle de l’environnement à La Réunion-Réussir l’innovation), ainsi qu’en Polynésie française, dans un hôtel et un hôpital à Bora-Bora.

– La technologie développée dans la commune de Bouillante en Guadeloupe – une commune située au pied du volcan de la Soufrière – utilise la chaleur du noyau terrestre pour produire de l’électricité. La structure de gestion de la centrale électrique (Géothermie de Bouillante) est détenue à 97,8 % par le BRGM (le Bureau de recherches géologiques et minières), un établissement public industriel et commercial placé sous la double tutelle du ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et du ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie. Actuellement, la centrale de Bouillante représente 15 MW de puissance installée sur les 483 MW existant en Guadeloupe. Demain, avec le projet « Bouillante III », la capacité de la centrale devrait considérablement augmenter puisque la puissance installée pourrait atteindre 40 MW. Par ailleurs, l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie) réalise actuellement des forages pour analyser le potentiel géothermique de certaines parties du territoire de la Martinique. Si les forages venaient à être concluants, une centrale électrique de type « Bouillante » pourrait voir le jour dans ce département (projet GEODROM).

– Enfin, la technologie développée par la société Helios Bay dans la baie de Saint-Vincent en Nouvelle-Calédonie est une technologie qui repose sur la captation de l’énergie solaire. Cette technologie est tout à fait innovante puisque, au lieu de recourir à des panneaux solaires intégrés à des toitures – méthode qui est appliquée habituellement, mais qui ne peut donner accès qu’à une quantité d’énergie limitée – la société a implanté, en 2010, près de 10 000 panneaux photovoltaïques sur la pente d’une colline qui surplombe la mer, cette pente correspondant à une surface de près de trois hectares. La puissance installée est donc très significative – elle atteint 2,1 MW – et elle permet de répondre, de manière quasi permanente, aux besoins énergétiques d’environ 500 foyers. Cette réalisation a permis à la filière d’effectuer un bond considérable, aussi bien en Nouvelle-Calédonie et dans l’hexagone que dans le reste du monde.

Au total, le développement de ces nouvelles technologies constitue incontestablement des opportunités pour les Outre-mer, au moment où ces collectivités sont désireuses de prendre en main leur destin énergétique. En effet, il ne suffit pas d’avoir des ressources naturelles diversifiées et d’être en état de produire de l’énergie. Il faut aussi que les modes de production soient fiables.

C. LES TERRITOIRES ULTRAMARINS DISPOSENT D’UN FORT POTENTIEL DANS LE DOMAINE DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

Après avoir montré en quoi la transition énergétique est à la fois une nécessité et une chance pour les collectivités ultramarines, votre rapporteur va détailler succinctement les différentes potentialités des territoires en matière d’énergies renouvelables.

Ces potentialités sont très variées. En effet, l’ensoleillement, le vent, la présence de la mer, le climat, la végétation, les reliefs, la géologie ou les cours d’eau sont autant d’atouts qui peuvent faciliter la transition énergétique.

1. L’énergie photovoltaïque

L’énergie photovoltaïque correspond à la conversion de l’énergie lumineuse issue du rayonnement du soleil en énergie électrique, par l’intermédiaire de cellules spécifiques ou de photopiles.

La production d’énergie photovoltaïque outre-mer a été multipliée par dix entre 2007 et 2010 du fait de la combinaison de trois facteurs : tout d’abord, la possibilité offerte aux particuliers ou aux entreprises de procéder à la défiscalisation d’au moins 50 % du montant des investissements effectués outre-mer en ce domaine – soit pour leur compte, soit pour le compte d’un exploitant ultramarin – au titre de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés (articles 199 undecies B et 217 undecies du code général des impôts) ; ensuite, la possibilité pour les particuliers – au cas où ils n’auraient pas utilisé le précédent dispositif plus avantageux – de déduire néanmoins un certain montant (11 % en 2013) des frais d’acquisition correspondant à des panneaux photovoltaïques, dans le cadre du crédit d’impôt développement durable – crédit d’impôt concernant les personnes physiques qui procèdent à des travaux d’amélioration énergétique dans leur résidence principale (article 200 quater du code général des impôts) ; et enfin, la mise en place par EDF d’un tarif de rachat du KWh relativement attractif.

C’est ainsi que l’utilisation de ce type d’énergie s’est beaucoup développée à La Réunion où, actuellement, près de 20 % du mix énergétique relève de la filière photovoltaïque. Par ailleurs, en 2010, comme cela a été indiqué plus haut, une centrale photovoltaïque extrêmement performante a été installée dans la baie de Saint-Vincent en Nouvelle-Calédonie.

Toutefois, afin de réguler la dépense publique – une dépense qui profitait d’ailleurs beaucoup à des équipements importés, spécialement de Chine – le précédent Gouvernement a institué un moratoire, à compter du mois de septembre 2010, dans la prise en compte des installations en cours d’achèvement par EDF. Puis, à partir de 2011, un nouveau tarif de rachat moins avantageux a été institué. À la même date, les équipements photovoltaïques ont été retirés de la liste des investissements productifs éligibles à la défiscalisation. Enfin, à partir de l’année 2014, cette mesure a été étendue au crédit d’impôt développement durable.

Par suite, la période 2012-2014 a été caractérisée par un ralentissement certain de l’activité de la filière photovoltaïque.

Pour relancer cette filière, le Gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault a voulu redéfinir un tarif d’achat plus attractif. C’est ainsi qu’il a été envisagé, pour les équipements installés sur les toitures, de faire évoluer ce tarif de 11 à 20 centimes d’euro le KWh. Cependant, à l’heure actuelle, aucune disposition n’a été publiée en ce sens. Il conviendrait donc de réexaminer, dans un avenir proche, la question de la revalorisation du tarif de l’énergie photovoltaïque.

Par ailleurs, on relèvera que cette énergie est aussi une énergie intermittente, ce qui peut constituer, là encore, un frein à son développement.

En effet, dans la mesure où cette énergie ne se stocke pas, EDF ne l’insère dans ses réseaux – comme d’ailleurs toutes les autres énergies variables – qu’à hauteur de 30 %. Ce montant maximum de 30 % a été établi pour éviter que des problèmes techniques ne se produisent sur les installations – des pannes par exemple – liés, à un moment donné, à une surabondance subite d’énergie non consommée. Toutefois, il est clair que ce plafond freine les producteurs d’électricité solaire.

Pour assurer le bon développement de la filière photovoltaïque, il faudrait donc progresser dans le domaine du stockage et, sans doute, obtenir d’EDF que le chiffre de 30 % puisse être réexaminé. En outre, indépendamment du réseau électrique général, il faudrait réfléchir à la mise en œuvre de ce que l’on appelle les « smart grids », c’est-à-dire les réseaux de distribution interconnectés et « intelligents » – la réactivité de ces réseaux, actionnés par exemple par le biais d’Internet, permettant une gestion plus fine de l’offre et de la demande. Votre rapporteur reviendra sur tous ces points dans la dernière partie de ce chapitre.

Enfin, on observera, d’un point de vue environnemental, que la question de l’élimination et du recyclage des panneaux photovoltaïques en fin de vie demeure posée.

2. L’énergie éolienne

L’énergie éolienne consiste à transformer l’énergie cinétique du vent en énergie mécanique, puis l’énergie mécanique ainsi obtenue en énergie électrique.

Le cadre juridique permettant de construire des éoliennes vient d’être simplifié par la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes. Cette loi a ainsi supprimé les zones de développement de l’éolien (ZDE) et le seuil minimum de cinq mâts pour la construction d’éoliennes dans ces zones – le fait, pour les fermes éoliennes, de figurer dans ces espaces et de disposer d’au moins cinq mâts conditionnant, jusqu’alors, l’éligibilité de leur production d’énergie au tarif de rachat prévu par EDF. Par ailleurs, le texte a établi une dérogation pour les DOM à la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral. La loi « littoral » prévoyait en effet, avant cette dérogation, que la construction d’éoliennes ne pouvait s’effectuer qu’en continuité avec des zones déjà urbanisées. Or, dans les DOM, comme la plupart des communes sont littorales – sauf en Guyane –, ces dernières, en pratique, ne pouvaient pas construire d’éoliennes sans prévoir, en même temps, une continuité d’urbanisation. Cette réglementation constituait ainsi un obstacle à l’extension de la filière.

Par ailleurs, l’arrêté du 8 mars 2013 a revalorisé le tarif d’achat de l’énergie éolienne produite dans les DOM et dans les COM situés en zones cycloniques, à la condition que les entreprises prévoient un dispositif de prévision et de lissage de leur production électrique.

Les départements de La Réunion et de la Guadeloupe font figure de leaders dans la production d’électricité d’origine éolienne. La Guadeloupe, en particulier, a arrêté son schéma régional de développement de l’énergie éolienne le 8 octobre 2012 et, dans ce cadre, elle a prévu la mise en place, à un horizon très proche, de trois nouvelles unités de production.

La Martinique, en revanche, possède une production encore limitée. Deux sites cependant ont été sélectionnés, en 2010, dans le cadre d’un appel d’offres éolien pour l’outre-mer lancé par le ministère chargé de l’Écologie, le premier dans la commune du Marigot et le second dans la commune de Sainte-Marie.

Les principales difficultés de la filière tiennent, d’une part, à la limite de 30% instaurée pour les énergies variables insérées dans le réseau électrique – limite que l’on a mentionnée plus haut à propos de l’énergie photovoltaïque – et, d’autre part, aux nuisances sonores et visuelles créées par les éoliennes. Ces nuisances posent souvent un véritable problème d’acceptabilité sociale au sein des communes.

3. Les énergies marines

Les énergies marines sont générées par les différentes techniques qui permettent de produire de l’électricité à partir de la mer.

L’énergie marine la plus connue est l’énergie marémotrice qui s’appuie sur la force mécanique des marées ; mais il y a aussi l’énergie que l’on peut tirer des courants marins (énergie recueillie par des turbines ou « hydroliennes ») ; celle que l’on peut obtenir à partir des différences de température entre la surface des océans et leur profondeur (énergie thermique des mers) ; celle que l’on peut créer à partir de la différence de pression existant entre l’eau douce et l’eau salée (énergie osmotique), etc.

Ces énergies sont actuellement en cours de développement, notamment en Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion et en Polynésie française.

Parmi les projets ou les réalisations que l’on peut juger les plus intéressants, on citera :

– en Martinique, un projet de centrale de 10 MW reposant sur l’énergie thermique des mers (ou ETM) et financé par le biais d’une convention passée entre la région et l’entreprise publique DCNS (qui s’est substituée, en 2003, à l’ancienne Direction des constructions navales ou DCN) ; et également deux projets de stations de transfert d’énergie par pompage d’eau marine (projets STEP) – stations qui devraient être installées dans les communes de Morne d’Alet et de La Charmeuse ;

– en Guadeloupe, un projet de station de transfert d’énergie par pompage d’eau marine (projet STEP) ;

– à La Réunion, un projet lié à l’énergie des vagues (projet PELAMIS), ainsi que la création de systèmes de climatisation par eau profonde (technologie SWAC) ;

– et enfin, en Polynésie française, un projet de centrale utilisant l’ETM et confié à la société Pacific Otec, auquel s’ajoute la mise en place de différentes structures de climatisation utilisant l’eau de mer (technologie SWAC).

4. L’énergie tirée de la biomasse

L’énergie tirée de la biomasse s’analyse comme étant une énergie qui utilise les organismes vivants. En pratique, il s’agit principalement des végétaux.

La Guyane possède un fort potentiel avec son important domaine forestier. C’est ainsi que dans ce département, actuellement, on peut dénombrer au moins neuf projets qui reposent sur la biomasse. Ces projets sont étudiés par EDF.

Par ailleurs, les départements de La Réunion et de la Guadeloupe exploitent des centrales thermiques utilisant de la bagasse (résidu de la canne à sucre). À La Réunion, il existe deux centrales de ce type : les usines de Bois-Rouge et du Gol. En Guadeloupe, il en existe une : l’usine du Moule située à Grande-Terre.

Très exactement, ces centrales opèrent avec deux sources d’énergie : la bagasse pendant la campagne sucrière et le charbon en inter-campagne ; elles produisent également deux formes d’énergie : la vapeur d’eau qui alimente les sucreries et les distilleries, et l’électricité qui alimente le réseau public.

Bien entendu, EDF rachète à ces trois centrales l’électricité produite. Par ailleurs, EDF rachète aussi aux industriels la bagasse qu’ils ont utilisée dans le cadre du processus de fabrication, à raison de 11,05 euros la tonne. La différence entre le prix d’achat du KWh issu de ces centrales et le prix d’achat standard est couverte par la CSPE, la contribution pour le service public de l’électricité. Il en va de même pour le prix de rachat de la bagasse.

La quantité totale d’électricité susceptible d’être produite avec de la bagasse s’élève, en 2012, à 104,3 MW, soit 73,3 MW à La Réunion et 31 MW en Guadeloupe. La capacité de 73,3 MW permet de couvrir, selon les années, de 10 à 12 % de la consommation totale en électricité du département de La Réunion.

Enfin, il convient de souligner deux difficultés qui se posent actuellement dans le cadre de la valorisation de la bagasse :

– tout d’abord, compte tenu des problèmes que va rencontrer la filière « sucre » des départements d’outre-mer pour maintenir sa production, à compter du 1er octobre 2017, avec la suppression des quotas par l’Union européenne, le prix d’achat de la bagasse aux producteurs par EDF paraît désormais insuffisant ; pour soutenir la filière « sucre » et, partant, pour maintenir l’utilisation de la bagasse comme énergie renouvelable, il faudrait donc revaloriser ce prix d’achat, ainsi que la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale l’avait demandé, dans son rapport d’information n° 1926 – un rapport déposé le 7 mai 2014 et consacré à l’Organisation commune du marché du sucre ;

– par ailleurs, comme cela a déjà été indiqué plus haut, il faudrait que la CRE (la Commission de régulation de l’énergie) prenne davantage en compte les objectifs régionaux pour ses calculs concernant la CSPE ; on a déjà mentionné les difficultés rencontrées par la centrale thermique de Marie-Galante en Guadeloupe – une centrale destinée à fonctionner avec de la bagasse et du charbon – dont la mise en route marque le pas, parce que le prix d’achat du kilowatt par EDF n’a pas été validé ; mais le même cas se présente en Martinique, dans la commune de La Trinité, où la réalisation d’une centrale thermique au sein de l’usine sucrière du Galion – une centrale de 34 MW qui fonctionnerait avec de la bagasse et du bois – est également bloquée.

5. L’énergie géothermique

L’énergie géothermique est issue de la chaleur terrestre et elle peut être utilisée pour produire de l’électricité.

Dans les départements d’outre-mer, l’énergie géothermique est générée par les hautes températures des sols qui entourent les volcans.

À l’heure actuelle, il n’existe qu’un seul site géothermique en fonctionnement, à savoir la centrale électrique de la commune de Bouillante en Guadeloupe – cette commune étant située près du volcan de la Soufrière. Comme on l’a indiqué plus haut, le projet « Bouillante III » est destiné à augmenter prochainement les capacités de la centrale, en les faisant passer de 15 MW à environ 40 MW.

Par ailleurs, indépendamment de cette réalisation, il devrait être également possible – à terme – d’installer une seconde centrale en Guadeloupe, dans la commune de Vieux-Habitants (projet GEOTREF).

Enfin, les départements de la Martinique et de La Réunion sont deux autres territoires où des forages sont en cours en vue de déceler un potentiel géothermique.

6. L’énergie hydraulique

L’énergie hydraulique repose sur la force motrice des cours d’eau.

La production est particulièrement importante en Guyane avec le barrage de Petit-Saut et la centrale hydraulique de Saut Maman Valentin, ces deux équipements représentant une puissance installée de 119 MW. Cette puissance équivaut, en termes de consommation, à plus de la moitié de l’électricité utilisée en Guyane et à la quasi-totalité de la production d’énergie renouvelable de ce département.

Par ailleurs, les collectivités territoriales de La Réunion, de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française disposent aussi de capacités importantes. En particulier, à Tahiti, selon les années, entre 25 et 40 % de la production d’énergie électrique sont issus de l’hydroélectricité. À La Réunion, l’hydroélectricité représente 20 % de la production.

Au total, comme on le voit, les atouts des DOM et des COM en matière d’énergies renouvelables sont nombreux et les potentialités des collectivités territoriales ne demandent qu’à être développées.

Bien entendu, le projet de loi de programmation sur la transition énergétique a pour objet de donner des instruments susceptibles d’accélérer ce développement. Cependant, selon votre rapporteur, pour que le texte puisse prendre toute sa force, il faut aussi qu’un certain nombre de conditions institutionnelles, techniques et financières soient réunies. Ce sont ces différents éléments qui vont être examinés à présent.

D. DANS LES DOM, UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE RÉUSSIE SUPPOSE LA MISE EN PLACE, AU PRÉALABLE, D’UN CERTAIN NOMBRE D’ÉLÉMENTS DÉTERMINANTS

Il convient de distinguer trois types de prescriptions qui sont comme autant de conditions pour une transition énergétique réussie, et, au-delà, pour un changement de modèle de développement.

En matière de gouvernance, tout d’abord, il paraît indispensable de prévoir que – dans une logique de décentralisation – la définition des stratégies dans le domaine du développement durable devienne désormais une compétence qui relève principalement de la collectivité régionale ; dans le domaine de la recherche, ensuite, il convient de s’assurer de la mise en place d’investissements significatifs sur les énergies variables, le couplage des énergies variables avec des moyens de stockage et le développement – parallèlement aux grands projets – de petites unités de production, assez largement centrées sur l’autoconsommation ; en matière financière, enfin, il faut organiser des financements adaptés, destinés à prendre en compte les changements induits par la transition énergétique et à faire en sorte que leurs coûts ne soient pas automatiquement répercutés sur les ménages et sur les entreprises.

1. Le pilotage stratégique, dans le domaine du développement durable, doit désormais appartenir, à titre principal, à la région

Longtemps, les décisions en matière d’énergie, d’aménagement du territoire ou d’environnement ont relevé des seuls départements ministériels et donc de Paris.

Cependant, selon votre rapporteur, c’est plutôt le niveau local – et spécialement le niveau régional – qui paraît être le niveau décisionnel le plus approprié pour la définition de stratégies dans ces différents domaines.

Cette idée a été confirmée, pour la Guadeloupe et pour la Martinique, par deux articles de lois qui ont confié à ces deux collectivités territoriales des habilitations à légiférer dans le domaine de l’énergie.

Ces textes se fondent sur l’article 73-3 de la Constitution qui dispose que les collectivités d’outre-mer peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement.

Ainsi, l’article 69 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des Outre-mer (LODEOM) prévoit que le conseil régional de Guadeloupe est habilité, pour une durée de deux ans, à fixer des règles spécifiques pour cette collectivité « en matière de maîtrise de la demande d’énergie, de réglementation thermique pour la construction de bâtiments et de développement des énergies renouvelables ».

De même, l’article 18 de la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique prévoit que le conseil régional de Martinique dispose de la même habilitation que celle confiée au conseil régional de Guadeloupe (maîtrise de la demande d’énergie, réglementation thermique pour la construction de bâtiments et développement des énergies renouvelables).

La première habilitation concernant la Guadeloupe a été prorogée pendant deux nouvelles années par la loi du 27 juillet 2011. La seconde habilitation concernant la Martinique a pris fin normalement à son terme. Par suite, les deux habilitations sont restées en vigueur jusqu’au 28 juillet 2013.

L’article 62 du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit un renouvellement de ces deux habilitations à compter de la date de publication de la loi et jusqu’aux prochaines élections, soit du conseil régional en Guadeloupe, soit de l’assemblée délibérante en Martinique, assemblée qui remplacera, à la fois, le conseil général et le conseil régional dans le cadre de la collectivité unique. Ces élections auront lieu en décembre 2015. D’autre part, une nouvelle prorogation – prévue par les articles LO.4435-6-1 et LO. 7311-7 du code général des collectivités territoriales – pourra intervenir après la date des élections. Cette prorogation ne pourra avoir lieu que pour une durée ne pouvant excéder la date du prochain renouvellement des collectivités territoriales.

Ce dispositif – qui peut donc aller jusqu’à la fin de l’année 2021 – est évidemment très intéressant. Cependant, il convient de relever que la portée de l’habilitation n’est plus assez large désormais pour faire face aux enjeux que représente le nécessaire changement du modèle énergétique. Il serait donc souhaitable, à l’avenir, que cette habilitation puisse être reconsidérée et que, de manière très générale, elle puisse couvrir tout le champ du développement durable.

Par ailleurs, on doit également observer, en matière de programmation, que les différentes régions vont se trouver confrontées, dans un futur assez proche, à une somme de documents relativement importante – que ces derniers existent déjà ou qu’ils soient en cours de création.

Parmi les documents qui existent déjà, on peut citer, notamment, le schéma d’aménagement régional (SAR) – qui est l’outil principal de planification dans les collectivités d’outre-mer et qui a été créé par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire – et le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) qui est un outil important en matière d’écologie et qui a été créé par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, c’est-à-dire par la loi instituant le « Grenelle II de l’environnement » ; ou encore le plan régional des énergies renouvelables et de l’utilisation rationnelle de l’énergie (PRERURE).

Parmi les documents en cours de création, on peut penser à la déclinaison régionale du plan de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), un plan institué dans le cadre du présent projet de loi relatif à la transition énergétique ; ou encore au plan régional de l’agriculture durable (PRAD), un schéma d’orientation créé par le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Il est clair que tous ces documents vont devoir être mis en cohérence.

L’article 63 du projet de loi sur la transition énergétique tend à intégrer le SRCAE dans le SAR, c’est-à-dire le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie dans le schéma d’aménagement régional. Il s’agit là d’une bonne chose. Toutefois, il est sans doute possible d’aller encore plus loin. C’est ainsi que l’on pourrait envisager – dans le but de faciliter la mise en œuvre des politiques environnementales, ainsi que le pilotage des régions en ce domaine – que les présidents des conseils régionaux disposent d’un pouvoir règlementaire autonome de coordination et de réformation des textes.

2. Il est nécessaire d’accomplir un effort significatif de recherche et de développement afin d’améliorer les possibilités d’utilisation des énergies intermittentes

Le développement sensible des énergies renouvelables, dans le cadre de la transition énergétique, suppose – bien évidemment – un accroissement notable de l’utilisation des énergies variables, notamment l’énergie photovoltaïque.

Toutefois, pour accroître cette utilisation, il faut, au préalable, lever trois obstacles principaux :

– tout d’abord, il faut pouvoir augmenter la limite de 30 % actuellement autorisée pour l’insertion d’énergies variables dans le réseau électrique général ; en effet, moins les entreprises peuvent injecter d’énergie variable dans le réseau EDF et moins elles peuvent en produire, d’autant que cette énergie, pour l’instant, ne se stocke pas ; or, ce taux de 30 % ne semble pas être, aujourd’hui, une norme absolument indépassable ; il semble plutôt s’agir d’une règle prudentielle ; il faudrait donc pouvoir la faire passer immédiatement à 40 % ; puis procéder à des études approfondies pour voir jusqu’où il serait encore possible de la faire progresser ;

– ensuite, il faudrait réaliser des progrès significatifs dans le domaine du stockage ; à cet égard, on pourrait penser, par exemple, à l’utilisation de batteries spécifiques – comme celle qui fait l’objet d’une expérimentation, à l’heure actuelle, à La Réunion ; on pourrait penser aussi à des techniques novatrices comme le déploiement de l’hydrogène, les batteries à flux continu ou les volants d’inertie ; pour résoudre cette question du stockage au plus vite, il est indispensable de consentir des investissements élevés, dans les années qui viennent, au titre du budget civil de la recherche et du développement (BCRD) ; en effet, il est bien certain que c’est seulement lorsque les énergies intermittentes seront en passe d’être mises en réserve qu’une avancée considérable pourra être accomplie sur la voie de la transition énergétique ;

– enfin, il faut favoriser le développement d’installations individuelles d’une puissance inférieure à 100 KW et susceptibles – en étant centrées sur l’autoconsommation – d’accomplir de la production d’énergie, du stockage et de la vente à EDF, à partir d’une connexion sur le réseau ; pour cela, il faudrait prévoir une aide fiscale à l’investissement ; car, loin des caricatures souvent présentées, l’incitation à l’investissement par l’allègement fiscal – et c’est particulièrement vrai pour les départements d’outre-mer qui souffrent de handicaps structurels – constitue un instrument efficace de soutien à l’innovation technologique ; par ailleurs, il faudrait aussi prévoir, pour ces installations individuelles, un tarif de rachat par EDF ; en effet, actuellement, cet organisme n’accepte le rachat d’électricité que pour des équipements d’une certaine ampleur.

3. Une attention particulière doit être apportée aux modes de financement de la transition énergétique afin que les coûts ne pèsent pas trop lourdement sur les ménages et sur les entreprises

Comme on l’a dit, la transition énergétique suppose une augmentation très sensible de l’utilisation des énergies renouvelables.

Par suite, en première analyse, cela suppose une hausse de la péréquation et une hausse des demandes faites à la CSPE.

En effet, s’il est vrai que – lorsqu’une installation a été validée par la CRE et qu’elle a débuté sa mise en service – les charges pesant sur la CSPE sont décroissantes avec le temps – parce que le coût de l’investissement diminue, alors que la production d’électricité augmente – il est non moins vrai qu’avec le changement de modèle énergétique, il y aura aussi une hausse globale de la demande de péréquation, à cause de la multiplication des équipements.

Or, la ressource constituée par la CSPE n’est pas inépuisable.

À un niveau de calcul plus fin, il est donc nécessaire de bien prendre en compte ce phénomène et ne pas perdre de vue la question du maintien de l’équilibre financier de la péréquation.

En effet, il n’est pas possible de supposer que les coûts seront répercutés in fine – lorsque la CSPE sera totalement en déséquilibre – sur les entreprises et sur les ménages. Outre-mer, leur revenu disponible ne le permettrait pas, dans la mesure où les marges des entreprises sont très faibles et où les familles sont souvent confrontées à une grande précarité sociale et énergétique.

Pour le financement des investissements liés à la transition énergétique, il ne faut donc pas seulement s’appuyer sur la CSPE, mais aussi sur d’autres sources de crédits, extérieures au mécanisme de la péréquation.

De ce point de vue, les financements de l’Union européenne doivent jouer un rôle prépondérant. On rappellera que l’Union européenne dispose de très nombreux programmes concernant les ENR. Par exemple, le 8 juillet 2014, la Commission européenne a lancé le programme « NER 300 », doté d’une enveloppe se montant à un milliard d’euros et qui vise à accroître la production d’énergies propres, ainsi que le captage et le stockage du CO2. La plupart de ces programmes sont abondés par les fonds structurels du FEDER et ils sont ouverts aux DOM, en tant que « régions ultrapériphériques » de l’Union.

*

* *

Telles sont donc, au total, les conditions de possibilité pour une transition énergétique réussie.

Dans la seconde partie du rapport, votre rapporteur va s’attacher, à présent, à examiner les dispositions mêmes du projet de loi relatif à la transition énergétique. Dans le cadre de cet examen, il s’efforcera de voir si le projet a tenu compte de toutes les prescriptions émises au cours des pages qui précèdent. Si elles n’y figurent pas – ou si elles n’y figurent que de manière insuffisante – il fera des propositions pour améliorer le texte.

II. LE PROJET DE LOI RELATIF À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE POUR LA CROISSANCE VERTE : UN TEXTE D’ENVERGURE ET QUI MOBILISE D’IMPORTANTS LEVIERS OUTRE-MER

Comme on l’a indiqué dans le chapitre qui précède, le projet de loi sur la transition énergétique a pour ambition de modifier la consommation des Français. Il s’agit donc là d’un texte important. Il a même été présenté comme l’un des textes « les plus importants du quinquennat » par le Président de la République lui-même, M. François Hollande, dans son allocution d’ouverture, lors de la tenue de la deuxième conférence environnementale pour la transition écologique, les 20 et 21 septembre 2013, au Palais d’Iéna.

Important dans ses objectifs, le texte est aussi d’une grande ampleur formelle puisqu’il comporte 64 articles répartis en 8 titres, dont un sur la sûreté nucléaire qui ne concerne pas les Outre-mer :

– Le titre I porte sur les objectifs communs ;

– Le titre II, sur les économies d’énergie dans les bâtiments ;

– Le titre III concerne les transports et la qualité de l’air ;

– Le titre IV porte sur l’économie circulaire (c’est-à-dire, notamment, le recyclage des déchets) ;

– Le titre V vise à favoriser les énergies renouvelables ;

– Le titre VI a trait à la sûreté nucléaire et à l’information des citoyens ;

– Le titre VII simplifie les procédures ;

– Le titre VIII porte sur la gouvernance et la transition énergétique dans les territoires : il comprend un chapitre regroupant les dispositions spécifiques qui concernent les Outre-mer.

Au total, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est donc un texte qui se caractérise par son ambition, sa vision prospective et son souci des générations futures. Il s’agit d’un projet d’envergure.

Son analyse procédera par étapes successives.

– Tout d’abord, votre rapporteur se livrera à une présentation générale du texte.

– Ensuite, il étudiera les avancées que le projet de loi comporte pour les Outre-mer.

À cet égard, les apports du texte reposent sur trois articles : les articles 61, 62 et 63 du chapitre IV du titre VIII (le dernier article de ce chapitre – l’article 64 – ne concernant que la Corse). L’article 61 définit les objectifs particuliers de la politique énergétique outre-mer. L’article 62 renouvelle aux conseils régionaux de Guadeloupe et de Martinique, en application de l’article 73 de la Constitution, les habilitations leur permettant de prendre pour leur territoire des dispositions spécifiques en matière d’énergie, notamment de maîtrise de la demande d’énergie et d’énergies renouvelables. Et enfin, l’article 63 vise à intégrer le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) dans le schéma d’aménagement régional (SAR) pour les régions d’outre-mer.

– Puis, votre rapporteur étudiera les autres mesures du projet de loi qui, tout en s’appliquant à l’ensemble de l’hexagone, peuvent présenter aussi un intérêt particulier pour l’outre-mer.

Il s’agit des articles 3, 4, 5, 10, 11, 19, 30, 49, 53, 56, 58, 59 et 60.

Les articles 3, 4 et 5 concernent la rénovation énergétique des bâtiments. Les articles 10 et 11 visent à favoriser le développement des véhicules électriques ou des véhicules utilisant des biocarburants. L’article 19 intègre l’économie circulaire (c’est-à-dire le recyclage des déchets) dans la transition énergétique. L’article 30 prévoit des dispositions pour la mise en place de l’autoproduction dans le domaine électrique. L’article 49 (combiné à l’article 61) prévoit la réalisation d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) aussi bien dans l’hexagone que dans chaque département d’outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon. L’article 53 affirme le rôle de la recherche et de l’innovation dans la politique énergétique et précise les modalités d’élaboration d’une stratégie nationale de recherche en énergie – stratégie qui doit s’appuyer notamment sur les DOM et sur les COM. L’article 58 prévoit des expérimentations pour le développement de « boucles locales », c’est-à-dire de périmètres qui – en rapprochant les producteurs et les consommateurs – se dotent de moyens pour créer localement de l’électricité à partir de sources renouvelables. Les articles 56 et 59 prévoient des expérimentations pour le développement de réseaux électriques intelligents (les « smart grids »). L’article 60 met en place un chèque énergie destiné aux bénéficiaires des tarifs sociaux pour financer leurs travaux d’économie d’énergie.

– Enfin, votre rapporteur examinera les dispositions du projet de loi qui peuvent être encore approfondies.

Tel est le cas notamment pour l’article 62 du texte (habilitation confiée au conseil régional de Martinique dans le domaine de l’énergie) qui – comme on l’a vu dans le premier chapitre du présent rapport – doit aller beaucoup plus loin et prévoir une véritable autonomie décisionnelle pour tout ce qui a trait à la transition énergétique.

A. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU PROJET DE LOI

Les dispositions les plus emblématiques sont les suivantes :

– Tout d’abord, le texte institue l’obligation, pour les propriétaires d’immeubles collectifs, de prévoir des travaux d’isolation thermique à l’occasion des ravalements (article 5 du projet de loi).

– Pour faciliter le financement des travaux, des sociétés de tiers-financement sont prévues (article 6), sociétés qui peuvent être soit des filiales d’établissements de crédit, soit des sociétés mixtes permettant la participation des collectivités locales.

– De même, également pour faciliter le financement des travaux, le Gouvernement prévoit de créer un fonds de garantie. Ce fonds de garantie pourrait être confié à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), organisme susceptible de consentir des prêts à taux bas (en faveur des ménages engageant des travaux de rénovation énergétique) ou pouvant inciter les banques à le faire.

– Enfin, deux autres types d’aides sont envisagés pour aider les particuliers à faire face à l’obligation prévue par l’article 5 : un allégement fiscal de 30 % du montant des travaux – plafonné à 8 000 euros pour une personne seule et à 16 000 euros pour un couple – les opérations concernées par cet allégement fiscal devant être engagées entre le 1er septembre 2014 et le 31 décembre 2015 ; et la relance des éco-prêts à taux zéro à partir du 1er juillet 2014, leurs procédures d’attribution par les banques devant être simplifiées et le nombre de ces prêts devant passer ainsi de 30 000 à 100 000 par an.

– Ces trois dernières mesures ne figurent pas dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte mais elles pourront être intégrées dans le dispositif du projet de loi de finances initiale pour 2015.

– Indépendamment de l’obligation de prévoir des travaux d’isolation à l’occasion des ravalements, le Gouvernement souhaite aussi instaurer une simplification dans les critères d’éligibilité des travaux de rénovation énergétique au titre du crédit d’impôt développement durable. Ainsi, les ménages ne seront plus dans l’obligation de réaliser un bouquet de travaux mais ils pourront les faire un par un. De même, cette disposition pourra figurer dans le projet de loi de finances initiale pour 2015.

– Le projet de loi envisage également la réforme des certificats d’économies d’énergie (CEE). Chaque producteur d’électricité, en effet, doit contribuer à la diminution globale de la consommation d’énergie. Les producteurs ont des objectifs ou des volumes cibles à atteindre sur trois ans qui se matérialisent par l’octroi de CEE. Le texte étend le système des CEE aux chargeurs qui pourront en bénéficier en mettant leurs marchandises sur des péniches ou sur des trains (article 8).

– Par ailleurs, le texte souhaite accroître l’utilisation des voitures électriques. Les flottes automobiles appartenant à l’État et aux établissements publics devront prévoir une augmentation significative de ce type de véhicules, et les voitures électriques pourront être autorisées à circuler dans les voies réservées aux transports publics (article 9). De plus, le projet de loi prévoit la mise en place de 7 millions de bornes de recharge en France d’ici à 2030, l’installation de bornes de recharge électrique devenant obligatoire sur les parkings, qu’ils soient publics ou privés (article 10). Enfin, le bonus, pour l’achat d’une voiture électrique, sera pérennisé et majoré lorsqu’il s’accompagnera de la mise au rebut d’un véhicule diesel, la somme attribuée pouvant atteindre 10 000 euros sous certaines conditions de ressources (article 13-III, le texte renvoyant au pouvoir réglementaire pour le détail de la mesure).

– De même, l’installation de bornes de recharge pour les voitures électriques par les particuliers bénéficiera d’une déduction fiscale à hauteur de 30 %, à la condition que cette installation ait lieu entre le 1er septembre 2014 et le 31 décembre 2015.

– En outre, le projet de loi sur la transition énergétique souhaite favoriser le développement des énergies renouvelables (articles 23 et 26).

– Cet essor doit être facilité par la mise en place d’une enveloppe de 400 millions d’euros permettant le doublement, d’ici 2017, du « fonds chaleur » qui permet à l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie) de contribuer au financement de certains projets. Les PME pourront avoir recours à des emprunts obligataires de longue durée, de 20 ou 30 ans, délivrés par la Banque publique d’investissement (BPI), pour développer la production d’énergie renouvelable. De même, les entreprises industrielles pourront bénéficier de « prêts verts », également attribués par la BPI, pour financer des projets d’efficacité énergétique. Enfin, des prêts « transition énergétique et croissance verte » seront mis en place par la CDC à l’intention des collectivités locales. Il s’agit de prêts à 2 % devant financer la rénovation énergétique des bâtiments publics et les programmes locaux en matière d’énergies nouvelles.

– Par ailleurs, le projet de loi plafonne, à son niveau actuel, la capacité de production nucléaire, la part du nucléaire dans la production d’électricité devant passer à 50 % à horizon de l’année 2025 (article 1er). Le texte ne prévoit pas la fermeture de centrales. Cependant, il institue, au sein de l’article 49, une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), soumise à l’avis d’un Comité d’experts de la transition énergétique et climatique, et qui s’impose à EDF. Ainsi, le projet de loi devrait donc conduire, mécaniquement, à l’arrêt, à terme, d’un certain nombre de réacteurs. Par suite, EDF devra élaborer des plans stratégiques d’ensemble pour présenter les actions que l’établissement s’engage à mettre en œuvre en vue de respecter les prescriptions posées par la PPE.

– Enfin, une disposition du projet de loi (l’article 42) donne une base légale à la hausse – déjà annoncée par ailleurs – du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, principale ressource du distributeur ERDF (Électricité réseau distribution de France), filiale d’EDF. En contrepartie, pour lutter contre la précarité énergétique, un chèque énergie est mis en place pour aider les ménages modestes à acquitter tout ou partie de leurs factures d’énergie ou de leurs dépenses pour l’amélioration de la qualité environnementale de leurs logements (article 60).

Au cours de deux déclarations, prononcées le 21 juin et le 29 juillet 2014, la ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, Mme Ségolène Royal, a indiqué que l’ensemble de ces dispositions seraient financées par une somme d’environ 10 milliards d’euros sur la période 2014-2017.

Cette somme se décompose de la manière suivante : 5 milliards d’euros au titre de la ligne de crédit débloquée par la Caisse des dépôts et consignations pour les prêts « transition énergétique et croissance verte » en faveur des collectivités locales ; 1,5 milliard d’euros au titre des différents fonds consacrés aux énergies renouvelables, dont l’ADEME ; 1,5 milliard d’euros au titre des allégements fiscaux ; 1 milliard d’euros concernant la rénovation énergétique des collèges (par le biais d’une convention de prêt associant la Banque européenne d’investissement et deux banques françaises) ; et enfin, 1 milliard d’euros, issu principalement du secteur bancaire, pour le financement de toutes les autres mesures soit, notamment, les sociétés de tiers-financement, les 100 000 prêts bancaires à taux zéro pour la rénovation énergétique des logements, ainsi que les prêts consentis aux entreprises par la Banque publique d’investissement.

Par ailleurs, selon une autre déclaration de la ministre, le 28 avril 2014, ces mesures pourraient contribuer à créer environ 100 000 emplois sur la même période 2014-2017.

Au total, le projet de loi sur la transition énergétique est donc porteur d’un grand espoir : à long terme, comme on l’a dit, il est annonciateur d’un changement radical de nos habitudes de consommation ; mais à court terme, il doit aussi contribuer à la diminution du nombre des chômeurs.

B. LES AVANCÉES EN FAVEUR DES OUTRE-MER

La plupart des mesures contenues dans le projet de loi s’appliquent aussi dans les DOM.

Il existe cependant deux exceptions notables : d’une part, le titre VI du projet qui a trait à l’énergie nucléaire ; et d’autre part, l’article 9 (8ème alinéa) du texte qui prévoit que le déploiement des voitures électriques dans les DOM pourra être limité « en fonction des capacités du système électrique ».

S’agissant des COM, en revanche, aucune mesure du texte ne s’applique directement à eux. En effet, ces derniers, au titre de l’article 74 de la Constitution, disposent d’une compétence pleine et entière dans le domaine de l’environnement. Le texte vise seulement, à l’article 61, la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon qui – comme les DOM – sera intégrée à l’effort de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et disposera d’un document spécifique en ce domaine.

Enfin, le projet de loi comporte un volet de trois mesures qui concerne tout particulièrement les départements d’outre-mer : l’article 61 rappelle les objectifs particuliers de la politique énergétique dans ces départements ; l’article 62 porte renouvellement des habilitations énergie de la Guadeloupe et de la Martinique ; et l’article 63 prévoit le renforcement des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) en les insérant au sein des schémas d’aménagement régionaux (SAR).

C’est ce volet que votre rapporteur va examiner à présent plus en détail.

1. Les objectifs particuliers de la politique énergétique (article 61)

L’article 61 du projet de loi constitue, pour une très large part, une déclaration de principes.

L’article 1er prévoit un certain nombre d’objectifs énergétiques pour la France :

– La baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025 ;

– La réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 ;

– La réduction de la consommation d’énergie de moitié en 2050 ;

– L’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale, cette part passant à 32 % en 2030.

En outre, s’agissant des énergies renouvelables, l’exposé des motifs du projet (pages 10 et 11 du document n° 2188) donne un certain nombre de précisions :

– Les énergies éoliennes, solaires et hydrauliques devront fournir 27 % de l’électricité consommée en 2020, puis 40 % en 2030 ;

– De même, 33 % de la chaleur consommée en 2020, puis 38 % en 2030, devront provenir de sources renouvelables (biomasse, valorisation des déchets, géothermie) ;

– Enfin, les biocarburants, en particulier ceux issus de la nouvelle génération, l’hydrogène et les biogaz, devront couvrir 10,5 % des besoins en 2020, puis 15 % en 2030, dans les transports individuels et collectifs.

Dans le cadre de ces objectifs, l’article 61 du projet de loi indique que l’État, les collectivités territoriales et les entreprises s’engagent à déployer tous leurs efforts pour aboutir à la maîtrise de la demande, à la pleine efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables.

Ces efforts sont dictés par le souci de contribuer à la sécurité des approvisionnements, de garantir la compétitivité des entreprises et de maintenir le pouvoir d’achat des consommateurs.

Ils tiennent compte des spécificités des territoires et tout particulièrement de leur situation de ZNI, c’est-à-dire de zones non-interconnectées aux réseaux électriques de l’hexagone.

Votre rapporteur ne voit pas d’obstacles à une telle déclaration de principes – qui, par ailleurs, est bien en phase avec les développements qu’il a effectués au sein de la première partie du présent rapport. Il regrette cependant que, dans sa rédaction, cette déclaration mette tout autant l’accent sur les « contraintes » ou sur les « difficultés » des départements d’outre-mer que sur leurs atouts qui – comme il l’a indiqué également dans les pages qui précèdent – sont très nombreux dans le domaine des énergies renouvelables.

Dans un autre ordre d’idées, il convient d’observer que l’article 61 prévoit des restrictions au regard du développement des véhicules électriques et des bornes de recharge, développement favorisé par les articles 9 et 10 du projet de loi.

L’article 9 prévoit en effet que l’État et ses établissements publics, à compter du 1er janvier 2016, devront faire en sorte que leur parc automobile atteigne 50 % de véhicules fonctionnant à l’électricité, au gaz de pétrole liquéfié ou au gaz naturel. L’article 10 prévoit la mise en place de 7 millions de points de recharge électrique.

Cependant, dans les DOM, l’article 61 (3ème alinéa) dispose que ces objectifs pourront être limités « de façon à ce que les impacts sur le réseau public de distribution électrique soient maîtrisés, et à ne pas induire d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ».

La mesure a pour effet d’éviter que l’accroissement subit des véhicules électriques ne provoque des dysfonctionnements sur les réseaux de distribution locaux ou n’oblige à un recours accru au pétrole ou au fioul pour produire un complément d’électricité – recours qui serait contre-productif du point de vue de l’émission de CO2.

Ce sont les programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) de chaque département – programmations instituées également par l’article 61 du projet de loi – qui fixeront les normes devant être réalisées dans chaque territoire.

Par ailleurs, ce dispositif s’appliquera, de manière similaire, à la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, dans la mesure où elle dispose, elle aussi, d’une PPE au titre du même article.

Votre rapporteur comprend, bien entendu, les motifs de cette restriction. Cependant, il estime qu’elle n’aurait pas lieu d’être – au moins dans les territoires présentant un climat tropical – si les véhicules électriques étaient alimentés par de l’énergie photovoltaïque.

2. Le renouvellement des habilitations énergie des départements de Guadeloupe et de Martinique et le renforcement des SRCAE dans les DOM (articles 62 et 63)

L’article 62 prévoit le renouvellement des habilitations énergie en faveur des conseils régionaux de Guadeloupe et de Martinique jusqu’au renouvellement de ces assemblées, c’est-à-dire jusqu’en décembre 2015.

Conformément aux articles LO. 4435-6-1 et LO. 7311-7 du code général des collectivités territoriales, cette habilitation, à l’issue de ce premier délai, pourra encore être prorogée pour une durée ne pouvant excéder le prochain renouvellement de ces collectivités.

Les décisions prises par les conseils régionaux au titre de leur habilitation devront avoir été inscrites préalablement au sein des programmations pluriannuelles de l’énergie prévues par l’article 61 du projet.

Chaque mesure particulière concernant les énergies renouvelables devra avoir fait l’objet d’une évaluation financière. Cette évaluation sera soumise à l’avis de la Commission de régulation de l’énergie (compte tenu de son incidence sur la CSPE). Si la mesure et son évaluation ne coïncident pas avec les programmations pluriannuelles de l’énergie, ces dernières devront être révisées avant la mise en œuvre de la décision.

L’article 63 prévoit, pour sa part, une meilleure articulation, dans les DOM, entre le schéma d’aménagement régional (SAR) – qui est l’outil principal de planification dans les collectivités d’outre-mer et qui a été créé par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire – et le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) – qui est un outil important en matière d’écologie et qui a été créé par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, c’est-à-dire par la loi instituant le « Grenelle II de l’environnement ». Le dispositif de coordination tend à intégrer le SRCAE dans le SAR, c’est-à-dire le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie dans le schéma d’aménagement régional.

Votre rapporteur est tout à fait d’accord avec l’article 63 du projet. En effet, il avait indiqué, précédemment, que les différents schémas d’orientation régionaux existants devaient être mieux coordonnés.

En revanche, comme il l’a déjà exposé ci-dessus, il estime que l’habilitation accordée, au titre de l’article 73 de la Constitution, pour la Martinique n’a pas une portée assez grande. Il faudrait que l’autorisation de légiférer concerne tout ce qui a trait à la transition énergétique.

Certes, le Conseil d’État – qui a émis un avis conforme sur le texte du présent projet de loi – est généralement assez restrictif sur la portée des lois d’habilitation. Il n’estime conformes à la Constitution que les habilitations qui sont, à la fois, limitées dans le temps et limitées dans leur objet.

Cependant, il ne paraît pas du tout certain que les habilitations reposant sur le fondement de l’article 73 de la Constitution ne soient pas des habilitations sui generis.

Par conséquent, dans la dernière partie du présent chapitre, votre rapporteur fera une proposition pour que le champ de l’habilitation en faveur de la Martinique puisse être étendu et qu’il puisse concerner non seulement l’énergie mais aussi toutes les questions liées à la « croissance verte ».

C. LES AUTRES MESURES QUI, TOUT EN S’APPLIQUANT À L’ENSEMBLE DE L’HEXAGONE, PEUVENT PRÉSENTER AUSSI UN INTÉRÊT PARTICULIER POUR L’OUTRE-MER

Indépendamment du volet concernant les Outre-mer, les articles du projet de loi qui présentent un intérêt particulier pour les territoires ultramarins peuvent être regroupés autour de huit grands thèmes : les dispositions nécessaires pour mieux isoler les bâtiments (articles 3, 4 et 5) ; le développement des véhicules électriques et des sources d’énergie renouvelable dans le secteur des transports (articles 10 et 11) ; la promotion de l’économie circulaire (article 19) ; le développement de l’autoproduction d’électricité (article 30) ; la mise en place d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (article 49) ; l’accroissement du rôle de la recherche dans la définition des stratégies nationales dans le domaine des énergies nouvelles (article 53) ; le développement des expérimentations dans les collectivités locales (articles 56, 58 et 59) ; et enfin, l’institution du chèque énergie (article 60).

1. Les dispositions nécessaires pour mieux isoler les bâtiments (articles 3, 4 et 5)

L’article 3 permet de lever les freins à l’isolation des bâtiments en matière d’urbanisme.

En effet, certaines dispositions des documents d’urbanisme peuvent constituer comme autant d’empêchements pour la réalisation de travaux d’amélioration de la performance énergétique du revêtement des bâtiments. D’autre part, les exigences en termes d’aspect extérieur du bâtiment, d’emprise au sol ou encore d’implantation des constructions décrites dans les documents locaux d’urbanisme en vigueur dans certaines collectivités peuvent faire obstacle, dans certains cas, à la réalisation d’une isolation d’un logement par son propriétaire.

Désormais, l’article 3 complète les dispositions prévues à l’article L. 111-6-2 du code de l’urbanisme en prévoyant que – quelles que soient les règles d’urbanisme en vigueur – celles-ci ne pourront être opposées, dans le cadre de la délivrance du permis de construire, pour refuser la mise en œuvre d’une isolation en saillie des façades ou par rehaussement des toitures, ou encore la mise en place de dispositifs de protection contre le rayonnement solaire.

La dérogation ne sera néanmoins pas applicable dans les secteurs sauvegardés, pour les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques, ou adossés à un immeuble classé, et pour les immeubles protégés, sur des périmètres délimités par délibération du conseil municipal ou de l’organe compétent, après avis de l’architecte des bâtiments de France.

L’article 3 du projet de loi est évidemment très important pour les DOM dans la mesure où il intègre à la liste des travaux d’efficacité énergétique pour lesquels certains freins en matière d’urbanisme sont levés les dispositifs de protection des façades contre le rayonnement solaire. En effet, trop souvent, les règles d’urbanisme – ou leurs dérogations – ne sont pas adaptées aux besoins des territoires confrontés aux climats tropicaux. Ici, les spécificités des départements d’outre-mer – qui sont davantage concernés par la recherche d’une protection contre la chaleur que par celle d’une garantie contre les déperditions d’énergie – ont été clairement prises en compte.

L’article 4 promeut les bâtiments dits « à énergie positive ».

Le I complète l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme pour préciser que le plan local d’urbanisme peut imposer aux constructions, installations et aménagements de couvrir une part minimale de leur propre consommation d’énergie par leurs propres moyens de production d’énergie renouvelable.

Le II prévoit que toutes les nouvelles constructions sous maîtrise d’ouvrage publique devront faire preuve d’exemplarité énergétique et devront être, chaque fois que possible, à énergie positive.

Le III, enfin, étend certaines aides publiques aux constructions à haute performance environnementale. Cette extension vise en particulier à favoriser le développement des bâtiments à structure bois.

Votre rapporteur se félicite de cette dernière mesure qui présente un intérêt certain pour les Outre-mer. En effet, les constructions en béton – qui constituent la norme quasi générale à l’heure actuelle – absorbent et conservent fortement la chaleur. En revanche, les constructions qui font appel au bois sont, par nature, beaucoup plus fraîches et elles permettent d’éviter de recourir à la climatisation.

En dernier lieu, l’article 5 du projet de loi impose de réaliser des travaux de rénovation énergétique dans les bâtiments collectifs dès lors que des travaux de rénovation importants sont engagés. En effet, les travaux d’entretien lourd (ravalement, réfection des toitures, etc.) sont généralement réalisés, dans les copropriétés, avec des cycles d’intervention relativement longs. Ne pas y intégrer l’amélioration énergétique priverait les immeubles de gisements importants d’économies d’énergie pendant de longues années.

L’article 5 renvoie à un décret pris en Conseil d’État pour ses modalités pratiques. Cette formule est suffisamment ouverte pour permettre une adaptation aisée aux Outre-mer et votre rapporteur s’en félicite car la rénovation énergétique est un enjeu très fort pour les DOM.

2. Le développement des véhicules électriques et des sources d’énergie renouvelable dans le secteur des transports (articles 10 et 11)

L’article 10 prévoit le développement des véhicules électriques et hybrides rechargeables.

Pour cela, il encourage la mise en place de bornes de recharge. Cette politique incitative repose sur les quatre orientations suivantes :

– Toutes les constructions neuves équipées de places de stationnement devront prévoir l’existence de bornes de recharge ;

– Tous les bâtiments existants disposant de parkings devront également installer ces bornes à l’occasion de travaux sur les espaces de stationnement ; le vote des travaux d’installation de ces équipements, dans les copropriétés, s’effectue à la majorité simple lors des assemblées générales des copropriétaires ;

– La double obligation instituée concerne aussi bien le secteur privé (bâtiments commerciaux, industriels, liés au secteur tertiaire, etc.) que les services publics ;

– Enfin, les collectivités locales devront poursuivre leurs plans de développement des infrastructures de recharge pour aboutir au déploiement de sept millions de points de charge dans toute la France d’ici l’année 2030.

Bien entendu, les Outre-mer s’inscriront dans cette démarche, en tenant compte des capacités d’accueil du système électrique. Et, pour contourner les difficultés provenant du fait que, dans les DOM, le réseau électrique général est plus fragile que dans l’hexagone, les programmations pluriannuelles de l’énergie de chaque territoire pourront prévoir les moyens nécessaires en vue de favoriser le développement de l’énergie photovoltaïque, cette énergie étant susceptible de servir également de source d’alimentation pour les véhicules électriques.

L’article 11, pour sa part, fixe un objectif de 10 % de sources d’énergie renouvelable, à horizon de l’année 2020, dans la consommation finale d’énergie dans le secteur des transports.

Il prévoit également que les programmations pluriannuelles de l’énergie fixeront un objectif d’incorporation de biocarburants dans le cadre de ces 10 %.

Enfin, il met en place un système de surveillance de la qualité des carburants sur le territoire national. Au titre de ce système de surveillance, l’autorité administrative procédera à des prélèvements d’échantillons de carburants et de combustibles en stations-service et en dépôts, et à l’analyse de ces échantillons. En cas de non-conformité des échantillons avec les exigences réglementaires, l’administration notifiera les écarts constatés aux fournisseurs des produits et les enjoindra d’adopter les mesures correctives indispensables.

Là encore, votre rapporteur estime que ces mesures sont très importantes pour les Outre-mer. En effet, d’une part, avec la pratique des importateurs-grossistes, l’importation des carburants et des combustibles dans les DOM est souvent le fait de quelques sociétés en nombre limité, c’est-à-dire bénéficiant d’une situation d’oligopole. Par suite, l’introduction de contrôles sur la qualité des produits est une disposition qui est loin d’être dénuée d’intérêt. D’autre part, s’agissant des biocarburants, les DOM – qui disposent d’une certaine expérience en ce domaine à cause de la présence de la mer – pourront sans doute profiter de l’environnement favorable créé par l’article 11 pour devenir des laboratoires d’expérimentation. Ainsi, de nombreuses entreprises pourraient apparaître, à l’instar de la start-up Bioalgostral de La Réunion qui, d’ores et déjà, propose un carburant produit à base d’algues.

3. La promotion de l’économie circulaire (article 19)

L’article 19 inscrit dans la loi le principe de l’évolution de notre société vers une économie circulaire, c’est-à-dire une économie où l’on met fin au gaspillage des ressources et où l’on s’efforce en permanence de recycler les produits usés.

Ce principe est décliné en objectifs concrets : réduire de 50 % les quantités de déchet admis en installation de stockage en 2025 ; valoriser 70% des déchets du BTP à l’horizon 2020 ; et enfin, augmenter la quantité de déchets faisant l’objet d’une valorisation sous forme de produits recyclés à 55 % en 2020 et à 60 % en 2025.

Les départements d’outre-mer prendront naturellement toute leur part pour la réalisation de ces objectifs.

Pour approfondir sa réflexion en ce domaine, la délégation aux outre-mer a entendu, le 11 septembre 2014, M. Éric Brac de La Perrière, directeur général de la société Eco-emballages, organisme pilote du dispositif national concernant le tri et le recyclage des emballages ménagers dans l’hexagone et dans les DOM. Le compte rendu de cette audition figure en annexe du présent rapport.

Au cours des débats qui ont suivi cette audition, un large accord s’est fait jour sur les quatre orientations suivantes : mieux définir la notion de déchet (en effet, actuellement, les différentes réglementations existantes empêchent, dans la plupart des cas, la revente directe des déchets, ce qui ne peut qu’entraver le développement du recyclage) ; créer des plans d’action régionaux en matière d’économie circulaire ; favoriser les expérimentations locales sur les questions d’interconnexion en matière de ramassage et de transformation des produits usagés ; et enfin, accroître les sanctions en cas d’abandon de véhicules en fin de vie ou en cas de dépôts sauvages de détritus dans les DOM.

Ces orientations pourront être développées sous la forme d’amendements présentés en séance publique.

4. Le développement de l’autoproduction d’électricité (article 30)

L’article 30 (quatrième alinéa) du projet de loi habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur un certain nombre de domaines et, en particulier, sur le développement de l’autoproduction d’électricité par des personnes physiques ou morales.

Pour être pleinement opérationnelle, la réglementation devrait prévoir, d’une part, la définition de normes en ce domaine (équipements agréés, capacités de stockage et accès au réseau de distribution) et, d’autre part, des mécanismes d’aide (notamment le tarif de rachat par EDF du surplus d’électricité produit).

À cette double condition, cette mesure paraît essentielle aux yeux de votre rapporteur. Il l’avait d’ailleurs appelée de ses vœux, pour les Outre-mer, dans la première partie du présent rapport.

5. La mise en place d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (article 49)

L’article 49 instaure une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) au niveau national.

La programmation est élaborée à partir de documents fournis par chaque région et elle comporte des volets thématiques relatifs à l’amélioration de l’efficacité énergétique, à la baisse de la consommation d’énergie, à la sécurité des approvisionnements, au soutien apporté à l’essor des énergies renouvelables, au développement équilibré des réseaux, au stockage de l’énergie et à l’adaptation de l'offre à la demande en énergie.

Elle couvre des périodes successives de cinq ans et elle prévoit des objectifs précis, assortis d’engagements financiers déclinés par type de réalisations et, le cas échéant, par filière.

L’élaboration de la PPE est soumise à l’avis d’un Comité d’experts de la transition énergétique et climatique et à l’approbation des commissions des deux assemblées chargées de l’énergie, du climat, du développement durable et des finances.

Par ailleurs, l’article 61 prévoit que, compte tenu de leurs particularités (coûts de production plus élevés, plus forte dépendance aux importations, plus faible taille et plus forte vulnérabilité des réseaux, profils de consommation différents…), sept collectivités territoriales disposent d’une PPE spécifique : la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Au total, il y aura donc une PPE pour l’hexagone et une PPE pour chaque département d’outre-mer, ainsi que pour Saint-Pierre-et-Miquelon.

Votre rapporteur se félicite de cette mesure qui va dans le sens d’un renforcement des pouvoirs des régions en matière de transition énergétique (tous les départements d’outre-mer, sauf Mayotte, sont aussi des régions).

Il rappelle cependant que cette démarche de programmation régionale doit aussi s’accompagner d’une démarche de coordination de la PPE avec tous les autres documents prospectifs élaborés par la région (et notamment le schéma d’aménagement régional). Pour cela, votre rapporteur a proposé, dans le chapitre qui précède, que les présidents de conseils régionaux soient dotés d’un pouvoir réglementaire autonome – en quelque sorte, un pouvoir de « codification » – afin de leur permettre de mettre en cohérence tous les documents de programmation régionaux antérieurs à l’institution de la PPE. Ces documents pourront ensuite aisément fusionner avec la programmation pluriannuelle de l’énergie.

6. L’accroissement du rôle de la recherche dans la définition des stratégies nationales concernant les énergies nouvelles (article 53)

L’article 53 affirme que la recherche et l’innovation constituent un axe majeur de la politique de transition énergétique dans le cadre des objectifs et principes définis par le projet de loi.

L’article précise les modalités d’élaboration de stratégies nationales fondées sur la recherche et le développement dans le domaine des énergies nouvelles. Il s’agit tout particulièrement :

– de renforcer le financement public et privé de la recherche pour la transition énergétique ;

– de préparer les ruptures technologiques à l’aide d’un soutien pérenne à une recherche fondamentale d’excellence et pluridisciplinaire ;

– de permettre le développement d’un ensemble de technologies de maturités variées visant un mix énergétique diversifié, une efficacité renforcée et une sobriété énergétique accrue pour répondre aux défis de la « croissance verte » jusqu’à l’horizon 2050 ;

– de favoriser les partenariats en matière de recherche et d’innovation pour accompagner les techniques nouvelles, depuis la recherche fondamentale jusqu’au déploiement industriel, territorial et social ;

– de présenter, enfin, une optimisation maximale en termes de retombées économiques pour la France.

Votre rapporteur approuve pleinement ces principes qui visent également – comme cela est indiqué dans le treizième alinéa de l’article 53 – à « accroître le rayonnement de la France en Europe et dans le monde, en s’appuyant notamment sur les territoires français ultramarins ».

Il observe, par ailleurs, que, dans le cadre de ces stratégies d’avenir concernant les énergies renouvelables, la recherche fondamentale – même en période de rigueur budgétaire – occupe une large place, à côté de la recherche appliquée. C’est là une initiative excellente. En effet, il convient de rappeler fortement que, sans un socle éminent de recherche fondamentale, il n’est pas possible de tirer parti d’une idée fructueuse pour la faire passer au stade d’une technologie appliquée.

7. Le développement des expérimentations dans les collectivités locales (articles 56, 58 et 59)

Les articles 56, 58 et 59 prévoient des expérimentations, au sein des collectivités locales, pour le développement des énergies renouvelables.

L’article 56 (vingt-huitième alinéa) fixe un objectif de 200 expérimentations de territoires « à énergie positive » en 2017. Ces territoires « à énergie positive » sont des intercommunalités qui produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment et qui améliorent donc l’équilibre entre l’offre et la demande d’énergie dans le cadre d’une certaine zone géographique (par exemple la région).

Naturellement, cette situation peut être réalisée par le développement des constructions « à énergie positive » prévues par l’article 4 du projet de loi et qui sont des bâtiments susceptibles de couvrir une part minimale de leur propre consommation d’énergie grâce à leurs propres moyens de production d’énergie renouvelable. En effet, combinés avec d’autres types de production d’énergie (par exemple des fermes photovoltaïques), ces bâtiments peuvent contribuer à l’émergence, à terme, d’un excédent de production d’électricité au sein des territoires concernés.

L’objectif des 200 expérimentations sera atteint grâce à la conclusion de 200 contrats d’association, sur la base de projets précis, entre l’État, les régions, les intercommunalités et les autorités organisatrices de l’énergie (par exemple EDF). Ces expérimentations pourraient intéresser certaines communautés de communes, communautés d’agglomération ou communautés urbaines ultramarines, à condition qu’elles soient déjà fortement engagées en faveur de la transition énergétique.

L’article 58 prévoit des expérimentations, au niveau des collectivités locales, de « boucles locales », c’est-à-dire d’associations, au sein d’une même zone géographique, de producteurs et de consommateurs qui s’entendent en vue de corréler étroitement la production et la consommation d’énergie.

En pratique, les collectivités locales procéderont par appels à projets. Une fois les producteurs et les consommateurs fédérés au sein d’une association, une convention sera conclue entre cette association, les collectivités intéressées et le gestionnaire du réseau de distribution (par exemple EDF) pour rémunérer les économies que leurs actions généreront dans la gestion du réseau (dont les investissements évités).

Un décret pris en Conseil d’État devra déterminer les modalités d’application de cet article. Il conviendra de veiller à ce que le cadre des expérimentations soit adapté aux Outre-mer afin de ne pas exclure, de fait, ces territoires.

Enfin, l’article 59 prévoit des expérimentations, au sein des collectivités locales, de réseaux électriques intelligents. Il s’agit des « smart grids », c’est-à-dire des réseaux de distribution interconnectés qui mettent en relation de multiples producteurs individuels avec le réseau électrique général. Leur développement doit permettre de s’affranchir, à terme, au moins en partie, de la limite des 30 % qui a été fixée pour l’injection des énergies intermittentes dans le circuit EDF. Il s’agit là d’un enjeu important pour l’Outre-mer car ce quota maximal freine actuellement le développement des énergies renouvelables.

De même, en pratique, les expérimentations seront effectuées par appels à projets publiés par les collectivités locales. Une fois le projet validé, l’expérience sera pilotée dans le cadre d’un partenariat regroupant les producteurs, les collectivités locales, les gestionnaires de réseaux et les autorités organisatrices des réseaux publics.

Il convient de noter, en outre, que l’article 59 donne au Gouvernement la possibilité de prendre par ordonnances les mesures nécessaires pour mener à bien ces expérimentations.

Comme pour l’article 58, il conviendra de veiller à ce que les dispositions de ces ordonnances soient bien adaptées aux Outre-mer. Notamment, il faudra prendre bien garde à ce que les conditions techniques de l’appel à projet soient compatibles avec les spécificités ultramarines – le texte législatif, pour sa part, étant rédigé de façon suffisamment large pour inclure potentiellement tous les territoires.

8. L’institution du chèque énergie (article 60)

L’article 60, enfin, institue un chèque énergie versé sous conditions de ressources et destiné aux bénéficiaires des tarifs sociaux. Il est réservé aux achats d’énergie – que ces achats relèvent des énergies traditionnelles (comme le fioul) ou des énergies renouvelables – et au financement des travaux d’économie d’énergie.

Ce chèque est particulièrement bien venu Outre-mer où les ressortissants des DOM bénéficient d’un pouvoir d’achat inférieur, en moyenne, à celui des habitants de l’hexagone et où l’on constate fréquemment des situations de grande précarité sociale.

D. LES DISPOSITIFS DU PROJET DE LOI QUI DOIVENT ÊTRE ENCORE APPROFONDIS

Le texte peut être encore amélioré sur cinq points, sachant que, sur ces cinq points, deux correspondent à la mise en œuvre de principes que votre rapporteur avait jugés comme essentiels, dans la première partie du présent rapport, pour garantir une transition énergétique réussie.

Dans les pages qui suivent, on verra ainsi qu’il y a lieu de compléter l’article 1er du projet de loi (déclaration d’objectifs) en faisant mention des atouts dont disposent les Outre-mer pour changer de modèle de croissance.

On pourra modifier l’article 8 (certificats d’économie d’énergie) en y insérant des mesures plus particulièrement tournées vers les territoires ultramarins.

On pourra aussi créer un article additionnel après l’article 38 pour favoriser le développement des énergies marines.

Enfin, on pourra proposer des amendements sur les articles 50 (gouvernance de la CSPE) et 62 (renouvellement des habilitations énergie aux conseils régionaux de Guadeloupe et de Martinique) en prévoyant, d’une part, que la CRE devra prendre en compte, pour ses calculs concernant la CSPE, les objectifs régionaux et, d’autre part, que la Martinique devra disposer d’une habilitation élargie à l’ensemble des questions concernant la « croissance verte ».

1. Améliorer la déclaration d’objectifs contenue dans l’article 1er du projet de loi

Comme on l’a vu précédemment, on peut regretter que l’article 1er du projet de loi concerne peu les Outre-mer et que l’article 61 du texte (déclaration d’objectifs propres aux zones non-interconnectées) mette plus en avant les « contraintes » et les « difficultés » que les atouts dont disposent ces territoires, pourtant en pointe sur le développement des énergies renouvelables.

Pour corriger cette situation, on pourrait préciser, à l’article 1er, que les Outre-mer disposent d’abondantes ressources naturelles susceptibles d’alimenter des énergies nouvelles et que l’article 56 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (dite « Grenelle I ») fixe l’objectif de parvenir, dans les DOM, à l’autonomie énergétique dès 2030, avec, comme objectif intermédiaire, 50 % d’énergies renouvelables en 2020 (30 % pour Mayotte).

Il conviendrait d’ajouter également que le développement des énergies durables outre-mer passe par l’application d’un « juste prix » de rachat de l’électricité produite par EDF.

Ce « juste prix » suppose la revalorisation du tarif de rachat de l’électricité d’origine photovoltaïque ainsi que la revalorisation de la prime de rachat de la bagasse actuellement plafonnée à 11,05 euros la tonne.

Proposition 1. Insérer des objectifs chiffrés en faveur des Outre-mer dans l’article 1er du projet de loi et préciser que l’une des conditions pour atteindre ces objectifs sera de pratiquer un « juste prix » de rachat pour l’électricité produite, ce qui passe, notamment, par une revalorisation du prix de l’énergie photovoltaïque et de celui de l’énergie tirée de la biomasse.

2. Bonifier davantage les certificats d’économies d’énergie lorsqu’ils correspondent à des investissements effectués outre-mer (article 8)

L’article 8 réforme le dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE) pour la période 2015-2017. Ce dispositif, créé par la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, impose une obligation de réalisation d’investissements dans le domaine des économies d’énergie aux vendeurs d’énergie appelés les « obligés » (électricité, gaz, chaleur, froid, fioul domestique et carburants pour automobiles). Les « obligés » ont des volumes d’investissements obligatoires à réaliser par période de trois ans et l’accomplissement de ces obligations se solde par la délivrance de CEE.

L’article 8 modifie le dispositif, notamment en clarifiant la liste des personnes qui peuvent intervenir sur le registre national des CEE et en étendant la possibilité d’obtenir des CEE aux chargeurs, s’ils recourent, pour le fret, au transport ferroviaire ou fluvial.

On observe cependant que les CEE sont moins mobilisés outre-mer que dans l’hexagone. La mise en place de quotas, ou une meilleure bonification des certificats utilisés dans les Outre-mer, pourrait permettre de rendre ce dispositif plus attractif dans les DOM et augmenter ainsi les ressources financières susceptibles d’être investies pour le financement de travaux de rénovation énergétique de l’habitat.

Proposition 2. Améliorer le financement de la rénovation énergétique de l’habitat dans les DOM en bonifiant davantage les certificats d’économies d’énergie (CEE) délivrés pour des investissements effectués outre-mer.

3. Favoriser les énergies marines (article additionnel après l’article 38)

Dans le cadre de la production d’électricité à partir d’une source d’énergie marine, les pouvoirs publics peuvent être conduits à prendre un certain nombre de décisions administratives à la suite de certaines procédures : appels d’offres, appels à projets de recherche ou contrats de gré à gré passés entre EDF et un porteur de projet (c’est le cas, par exemple, pour le projet SWAC à La Réunion).

Ces décisions administratives sont les suivantes :

– autorisation d’exploiter au titre de l’article L. 311-1 du code de l’énergie ;

– autorisation d’occupation du domaine public maritime visée aux articles L. 2122-1 à L. 2122-3 du code général de la propriété des personnes publiques ;

– concession d’utilisation du domaine public maritime mentionnée à l’article L. 2124-3 du code général de la propriété des personnes publiques.

Or, ces décisions font souvent l’objet de recours, ce qui allonge d’autant les délais de réalisation du projet.

Pour favoriser l’essor des énergies marines, il est donc proposé de diminuer les délais de recours concernant ces décisions en instituant le Conseil d’État comme juge en premier et en dernier ressort.

Proposition 3. Dans le but de favoriser les énergies marines, tout particulièrement outre-mer, intégrer les autorisations d’exploiter, les autorisations d’occupation du domaine public maritime et les concessions d’utilisation du domaine public maritime au nombre des actes administratifs ressortissant d’une voie de recours unique devant le Conseil d’État, pourvu que ces actes administratifs soient liés à un appel d’offres lancé en application de l’article L. 311-10 du code de l’énergie, à un appel à projets européen NER 300 ou à un contrat mettant en cause une personne morale de droit public et une mission de service public ou une activité d’intérêt général se rapportant à la production d’électricité renouvelable en mer.

4. Prévoir, lorsque les investissements concernent l’outre-mer, que les attributions de CSPE pourront être effectuées en tenant compte de l’utilité sociale des projets (article 50)

L’article 50 prévoit une réforme de la gouvernance de la CSPE.

Celle-ci n’est plus seulement confiée à la CRE mais à un comité de gestion composé d’un député et d’un sénateur, d’un représentant de la Cour des comptes, d’un représentant de la CRE, des ministres chargés de l’énergie, de l’économie et du budget ou de leurs représentants, et de trois personnalités choisies en raison de leur compétence.

En règle générale, l’attribution de la péréquation au titre de la CSPE repose principalement sur un critère économique. Sont validés les projets d’énergie nouvelle dont le coût pour l’électricité produite ne diverge pas sensiblement du coût constaté pour la production d’électricité à partir de sources traditionnelles.

Ce type de calcul, cependant, tend à exclure des projets qui peuvent être très intéressants, comme la réalisation de centrales thermiques fonctionnant avec de la bagasse en Martinique ou en Guadeloupe, dès lors que le prix de revient de l’électricité produite paraît trop élevé.

Il serait donc souhaitable, outre-mer, que les critères d’attribution de la CSPE ne soient plus seulement économiques mais qu’ils tiennent compte aussi de l’utilité sociale des projets, c’est-à-dire de l’intérêt de la réalisation pour l’emploi, pour l’aménagement du territoire et pour le service rendu aux usagers.

Proposition 4. Prévoir que les attributions de CSPE peuvent tenir compte, lorsque les projets d’investissement concernent l’outre-mer, de critères reposant sur l’utilité sociale des réalisations.

5. Élargir le champ d’application de l’habilitation énergie pour la Martinique (article 62)

Comme votre rapporteur l’a indiqué à plusieurs reprises au cours des pages qui précèdent, il est indispensable, pour permettre d’accompagner pleinement le texte, une fois qu’il sera adopté, et pour réaliser une véritable transition énergétique en Martinique, que l’habilitation énergie attribuée au conseil régional puisse être étendue à toutes les questions qui concernent la « croissance verte », y compris les questions économiques et sociales.

Cette extension, qui a pour but de créer de la transversalité dans l’action publique, se situe d’ailleurs dans le droit fil de l’article 1er de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (ou « Grenelle I »). Cet article 1er dispose en effet, dans son troisième alinéa : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »

En outre, il est également souhaitable que le président du conseil régional puisse disposer d’un pouvoir réglementaire autonome lui permettant de mettre en cohérence tous les documents de programmation régionaux antérieurs à la PPE, de façon à ce que ces documents n’aient plus qu’à fusionner au sein de la PPE qui les complètera et les développera.

Proposition 5. Étendre le champ d’application de l’habilitation énergie prévue à l’article 62 en faveur du conseil régional de Martinique à l’ensemble des questions qui concernent, localement, la transition énergétique. Prévoir l’institution d’un pouvoir réglementaire autonome de « codification » dévolu au président du conseil régional de Martinique pour lui permettre de mettre en cohérence tous les textes régionaux de programmation antérieurs à la création de la programmation pluriannuelle de l’énergie.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux outre-mer a examiné le présent rapport d’information au cours de sa réunion du jeudi 11 septembre 2014.

M. Serge Letchimy, rapporteur. La présentation de ce rapport d’information fait suite à la série d’auditions que nous avons menées sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Après que j’aurai exposé les grandes lignes de ce travail, je suggère que nous discutions de propositions d’amendements pouvant être présentés au nom de la Délégation aux outre-mer.

La première bataille à remporter lors de l’examen de ce texte est de convaincre l’ensemble de nos collègues de l’importance des enjeux écologiques et environnementaux dans l’outre-mer. Étant donné le positionnement géostratégique que nous apportons à la France, nous devons établir un rapport gagnant-gagnant quels que soient nos statuts. Les Outre-mer représentent 97 % de la surface maritime de la France et la placent en deuxième ou troisième position mondiale pour ce qui est de la biodiversité.

Dans ce cadre, il est possible de construire ensemble une stratégie de mutation écologique qui redonne sens au développement économique de nos pays respectifs en mobilisant une ingénierie interne et endogène. En l’espèce, ce ne sont ni la défiscalisation ni le budget de l’outre-mer pour 2015 qui sont essentiels, mais l’occasion de reprendre la main pour créer les conditions d’un nouveau développement dont nous maîtriserions l’ingénierie et les savoir-faire.

Quelques chiffres pour donner la mesure des enjeux sur le terrain. Depuis 2004, la consommation énergétique augmente annuellement de 7 % à La Réunion, de 4 à 5 % en Martinique et en Guadeloupe. La consommation électrique de Mayotte a connu, entre 2003 et 2004, une progression de 30 %. Cette croissance exponentielle rend d’autant plus importante la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et la mutation vers les énergies renouvelables.

Le niveau de dépendance aux énergies fossiles importées pour la production d’électricité est extrêmement élevé : 98 % en 2010 pour la Martinique, 70 % pour la Guadeloupe et La Réunion, environ 50 % pour la Guyane.

Le Grenelle de l’environnement avait fixé des objectifs clairs : l’autosuffisance en 2030, avec un objectif intermédiaire de 50 % d’énergies renouvelables en 2020. Les élus d’outre-mer devront obtenir des précisions sur ce niveau d’exigence. Maintient-on ces objectifs – et quels moyens met-on en œuvre pour les atteindre – ou les atténue-t-on en fonction des ressources en énergies renouvelables de chaque région ?

Rappelons que le coût de production du MWh, qui est de 60 euros au niveau national, varie entre 90 et 200 euros dans les outre-mer : 90 euros pour La Réunion, 120 pour la Martinique et la Guadeloupe et 200 euros pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Dans d’autres îles ne bénéficiant pas de la CSPE (contribution au service public de l’électricité), le poids de la facture électrique est considérable. La CSPE fait d’ailleurs l’objet d’un débat. Le coût de la péréquation qu’elle permet entre les DOM et l’hexagone est d’environ 2 milliards d’euros.

Enfin, la stratégie de la mutation énergétique doit s’accompagner d’une stratégie à la fois économique et sociétale. Nous ne devons pas être des terres exploitables où la valeur ajoutée est ramenée dans l’hexagone directement ou par des systèmes de défiscalisation. Il faut absolument que l’ingénierie soit domiciliable localement.

Passons maintenant en revue les différentes énergies renouvelables.

S’agissant du photovoltaïque, le système de défiscalisation a été supprimé et le tarif de rachat par EDF a baissé. La commission Baroin souhaitait que l’on ramène ce tarif à 20 centimes d’euro, mais aucune décision concrète n’a été prise. Nous devons donc exiger la mise en place, dans les meilleurs délais, d’un tarif de rachat attractif, seul moyen de relancer la filière. Il convient également d’obtenir une confirmation claire de la ministre concernant l’accès des équipements photovoltaïques au crédit d’impôt développement durable.

C’est EDF qui a fixé unilatéralement le seuil de 30 % d’électricité d’origine variable dans les réseaux. Comme le médiateur de l’énergie et de nombreux collègues, je pense qu’il faut revoir le système de gouvernance d’ERDF (Électricité réseau distribution France) et d’EDF. Ne conviendrait-il pas de prévoir, notamment dans le cadre des plans de performance énergétique régionalisés, d’intégrer une dimension publique dans la gouvernance locale d’EDF, comme c’est le cas pour les grands ports maritimes ou les aéroports ? On ne peut mener à bien le PCET (plan climat énergie territorial), le SRCAE (schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie), le SAR (schéma d’aménagement régional), le PRAD (plan régional de l’agriculture), sans pouvoir peser d’aucune manière sur l’entreprise !

En l’espèce, le seuil de 30 % est un frein. Presque tous les départements et territoires d’outre-mer l’ont aujourd'hui atteint ou dépassé. Il faut le porter à 40 % et mettre en place les réponses technologiques – stockage, réseaux intelligents et interconnectables – appropriées. Nous devons ici structurer l’innovation, ce qui pose la question des appels à projets. Bien que leurs modalités ne soient pas toujours adaptées à l’outre-mer, on enregistre quelques progrès. Le projet européen ENR 300 a ainsi permis de développer l’énergie thermique en mer. On peut également évoquer les STPE (stations de transfert d’énergie par pompage) et le SWAC (Sea-water air conditioning).

Certains de nos projets sont très avancés. C’est à ce titre que l’on peut parler de « laboratoire », étant entendu que ce laboratoire doit servir la puissance économique endogène. Les avancées en matière de géothermie en Nouvelle-Calédonie, en Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion, sont essentielles pour nous donner accès à de nouvelles technologies et à un mix énergétique aussi varié que possible.

Pour ce qui est de la biomasse, la bagasse, utilisée à La Réunion et à la Guadeloupe pour produire de l’électricité, pose un réel problème. L’Union européenne prévoyant de supprimer les quotas pour le sucre en 2017, on risque d’assister à une chute de la production de la filière. Il faudra lutter pour obtenir à la fois le maintien des quotas et l’amélioration des conditions de rachat par EDF, donc de compensation par la CSPE, afin d’assurer aux planteurs une rémunération correcte. Il faudra également apporter des précisions sur le tarif de rachat des matières de deuxième génération – fibres de canne, herbes à éléphant, copeaux de bois importés transitoirement sur les terres chlordéconées de la Martinique et de la Guadeloupe. Alors que la plupart des unités prévues pour fonctionner avec de la biomasse brûlaient une proportion de charbon très importante – 90 % en Martinique –, on a inversé le rapport, mais une grande partie de la biomasse est importée.

Pour en revenir à la filière canne à sucre, le potentiel de production en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion est de 104 MW. Beaucoup de résidus de canne actuellement non utilisés pourraient être valorisés dans différents secteurs – plastiques, etc.

Il faut souligner l’importance du rôle et de l’avis de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) dans les choix en matière de mutation énergétique, mais aussi s’interroger sur son contrôle lorsqu’elle remet en cause la dynamique régionale de production d’énergies renouvelables en privilégiant une décision d’opportunité en fonction des prix. Le raisonnement de la CRE est extrêmement arithmétique : si le coût de production dépasse celui de l’énergie fossile, le projet est éliminé. Mieux vaudrait développer une approche globale : en faisant des choix économiques différents, on participe à la diminution des émissions de gaz à effet de serre et, à terme, on réduit la facture énergétique et on accompagne la sortie du fossile.

Dans le domaine de la géothermie, nous préconisons un développement en interconnexion avec la Dominique pour ce qui concerne la Guadeloupe et la Martinique. Notons que le coût des forages est extrêmement élevé. Là aussi, la mutation énergétique a un prix ; or, nulle part le texte ne prévoit de moyens pour accompagner les régions et les collectivités.

L’éolien, enfin, fait l’objet d’un tarif de rachat. La filière essaie de redémarrer selon les choix que chacun a faits localement.

Le succès de la transition énergétique dépend tout d’abord du mode de gouvernance adopté. Une forte décentralisation est nécessaire, notamment en matière de recherche, d’innovation et de stratégie. Le texte prévoit, certes, une intégration du SRCAE dans le SAR, mais d’autres documents de planification – PCET ou autres – devront être harmonisés localement.

Pour ce qui est du pilotage du développement durable, deux régions ont à ce jour demandé une habilitation. La Réunion, pour sa part, se trouve quelque peu bloquée du fait de l’amendement Virapoullé. Cela dit, l’habilitation n’est pas le transfert des compétences. Sans doute faudrait-il aller beaucoup plus loin. Une habilitation sur des points purement énergétiques n’a guère de sens sans habilitation en matière fiscale, sociale, foncière, etc. Si l’on veut mettre en place un laboratoire, il faut qu’il soit complet ! C’est pourquoi nous devrions revendiquer une habilitation large. L’article 73 de la Constitution, n’en déplaise à certains juristes, ne limite pas la portée des domaines sur lesquels les collectivités peuvent exercer leurs compétences.

Parmi les éléments nouveaux du projet de loi, la régionalisation des PPE (plans de performance énergétique) me semble intéressante. On pourra ainsi construire un PPE en cohérence avec la dynamique de développement et les documents de planification des territoires.

Au total, je propose que l’on fasse passer le plafond d’électricité d’origine variable de 30 à 40 % – ce qui implique que l’on mette fortement l’accent sur le stockage – et que l’on favorise le développement de l’autoproduction. Je pense en particulier aux installations photovoltaïques d’une puissance inférieure à 100 kW, qui ne font pas aujourd'hui l’objet d’appels à projets ou à manifestations d’intérêt. On pourrait ainsi développer des stratégies individuelles d’autoproduction avec recommercialisation, vente à EDF et injection dans le réseau, moyennant une aide fiscale à l’investissement et un tarif de rachat spécifique. Aujourd'hui, EDF refuse de racheter l’électricité produite par des installations de faible capacité.

Il faut néanmoins être très prudent quant à l’utilisation de la CSPE pour le financement de la transition énergétique. Cette contribution servant à la fois aux énergies renouvelables et à la solidarité, un risque d’explosion existe, auquel cas le volet solidarité pourrait être remis en cause au profit du volet investissement. On pourrait dénoncer les quelque 2 milliards d’euros mobilisés au profit des Outre-mer, et nous nous entendrons une fois de plus traités de « danseuses de la République ». Il me paraît plus sage de rechercher des sources d’investissement différenciées.

Seuls trois articles du projet de loi concernent spécifiquement l’outre-mer, mais je crois que la ministre, consciente qu’il s’agit pour nous d’une occasion unique de changer les choses, est ouverte à la discussion de nombreux amendements. Encore faut-il préciser que le projet de loi vise les départements et régions relevant de l’article 73 de la Constitution et non les collectivités relevant de l’article 74. Je le regrette, mon opinion étant que l’article 74 procède d’une vision totalement néocoloniale. Pourquoi supprimer l’exigence d’égalité et de solidarité au nom de l’expression de la différence ? Pour ma part, je soutiendrai tout amendement prévoyant l’application de la CSPE dans les îles du Pacifique.

Les articles 3, 4 et 5 du texte, relatifs à l’amélioration énergétique des bâtiments, ouvrent un champ important où l’on devra mobiliser les entreprises locales.

Les articles 10 et 11 visent à favoriser le développement des véhicules électriques. Toutes les stratégies de stockage pour alimenter des bornes électriques à partir d’une production solaire ou autre seront les bienvenues.

Dans le cadre de l’article 53, il sera possible de trouver des solutions pour l’ingénierie domiciliée en interconnexion avec les zones frontalières, par exemple dans le domaine du traitement des déchets.

Les articles 56, 58 et 59 ont trait aux expérimentations dans les collectivités locales. Les « boucles locales » ainsi conçues nous permettront de configurer nos technopoles et pôles de compétitivité sans dépendre de l’hexagone et en partageant des technologies avec des pays voisins. Encore faudra-t-il prévoir des équivalences de normes ! Une expérimentation par zones géographiques transfrontalières – réunissant par exemple l’Afrique du Sud et La Réunion, le Canada et Saint-Pierre-et-Miquelon, ou encore Haïti, la Martinique et la Guadeloupe – en matière de traitement des déchets en plastique permettrait d’ouvrir bien d’autres champs.

Le rapport se conclut par cinq propositions.

Premièrement, insérer à l’article 1er du projet de loi des objectifs chiffrés en faveur des Outre-mer et préciser la nécessité de fixer un « juste prix » de rachat de l’électricité dès lors qu’il y a réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d’énergies fossiles. Un point très précis doit être fait au sujet de la bagasse et, plus généralement, de la biomasse.

Deuxièmement, bonifier les certificats d’économie d’énergie délivrés pour des investissements effectués outre-mer.

Troisièmement, favoriser les énergies marines, notamment en intégrant les autorisations d’exploiter, les autorisations d’occupation du domaine public maritime et les concessions d’utilisation du domaine public maritime au nombre des actes administratifs ressortissant d’une voie de recours unique devant le Conseil d’État.

Quatrièmement, prévoir que les attributions de CSPE peuvent tenir compte de l’utilité sociale des réalisations et des plans de performance énergétique. Le prix des énergies fossiles ne doit pas être l’unique référence.

Cinquièmement, étendre le champ d’application de l’habilitation énergie prévue à l’article 62.

S’ajoute à cela une série de propositions comme l’interdiction de stocker des véhicules hors d’usage (VHU) dans les parcelles privées, ainsi que des incitations au recyclage – le niveau de recyclage dans nos pays est trois fois inférieur à celui de l’hexagone.

Pour conclure, j’insisterai sur la démarche consistant à signer avec l’État des contrats de programme ou des contrats de projet sur la mutation énergétique. La Martinique s’est ainsi engagée avec Mme Ségolène Royal dans la démarche « île durable ». Pourquoi ne pas inscrire dans le projet de loi un mécanisme de programmation contractuelle, dénommé « île durable » pour les territoires insulaires, afin de créer une véritable dynamique ponctuée par des moments d’évaluation et d’adaptation des programmes mis en œuvre ?

M. Boinali Said. Une dynamique d’accompagnement est en effet nécessaire. Il arrive cependant que de telles démarches restent incomplètes, compte tenu de la diversité de nos territoires. Il convient d’étudier très en détail les collectivités concernées. Je pense, en l’occurrence, à Mayotte, où les tarifs de l’électricité sont très élevés et où les familles sont souvent nombreuses et sans aucun revenu. Ne pourrait-on essayer d’établir un tableau comprenant les hypothèses de tarif en fonction du mode de production de l’électricité ? Quand bien même bénéficierions-nous de la solidarité nationale sous forme de péréquation, l’argent serait investi immédiatement dans la production d’énergie classique et n’aurait pas d’effet sur le prix d’achat de l’électricité. D’où la nécessité d’un diagnostic en termes de coûts de revient.

Cela dit, c’est une chance inouïe pour nous que d’avoir à tester un schéma de développement partant de la production locale.

À Mayotte, je l’ai dit, beaucoup de foyers ne disposent d’aucun revenu et ne sont donc pas concernés par le système de réduction d’impôt prévu par le texte. Ne pourrait-on imaginer à la place une forme d’allocation ?

Je crois enfin qu’il faut beaucoup insister sur la formation. Les technologies étant nouvelles, le risque est d’avoir à importer aussi bien la production que la compétence. Or c’est un autre type de développement que nous espérons voir émerger.

Mme Brigitte Allain. Il est indispensable d’étudier avec la plus grande attention la question de l’économie circulaire, à laquelle est consacré un titre de la loi. Dans les Outre-mer comme dans l’hexagone, tout reste à faire en ce domaine. Développer l’économie circulaire permettrait de mieux s’inscrire dans cette dynamique de développement interne et endogène que vous avez décrite, monsieur le rapporteur. Il s’agit, je le rappelle, de penser toutes les transformations d’un produit, de sa fabrication à sa fin de vie et à son recyclage, puis à sa réintroduction éventuelle, sous une autre forme, dans l’économie. La démarche est d’autant plus intéressante que la plupart des territoires représentés ici sont des îles. En matière de gestion des déchets, par exemple, plus le territoire est petit, plus la question se pose avec acuité. Il peut y avoir là une source d’énergie.

Par ailleurs, je suis tout à fait disposée à soutenir et cosigner des amendements de la Délégation sur lesquels nous nous mettrions d’accord aujourd'hui.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Je précise que Mayotte a droit à la CSPE, monsieur Said. Reste à savoir quand elle y sera mise en place ! Par ailleurs, une évaluation des tarifs selon les modalités de production serait la bienvenue, car elle nous éclairerait sur la manière dont la CSPE pourrait s’appliquer.

Comme vous, je pense que la mutation énergétique et écologique doit s’accompagner d’une stratégie de formation, d’un plan général des emplois et des compétences pays par pays qui permettrait d’évaluer les besoins mais aussi de rapatrier les jeunes partis se former ailleurs, dès lors que l’on a créé les conditions de leur insertion économique.

Quant à l’économie circulaire, nous l’avons abordée dans une de nos auditions de ce matin. J’ajoute que le document « île durable » que j’ai signé avec la ministre consacre un important volet à l’économie circulaire. Nous proposerons des amendements en ce sens, en insistant sur le lien avec l’économie sociale et solidaire et sur la responsabilité sociétale des entreprises et des collectivités. L’économie circulaire ne peut pas reposer uniquement sur des fonds publics ! Il faut également insister sur l’interconnexion et la massification des produits, car nous sommes confrontés à des problèmes d’échelle.

De plus, le traitement des déchets en économie circulaire se heurte à la stupidité de certains règlements européens : les aides du POSEI (programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) ne peuvent financer que des circuits qui rapatrient les déchets en Europe, ce qui revient, vu l’éloignement, à ajouter de la dépendance à de la dépendance !

Pour ce qui est des amendements, nous ferons circuler nos propositions au sein de la Délégation, mais je propose aussi que nous les soumettions à nos groupes respectifs, de manière à leur apporter le plus large soutien possible.

M. Stéphane Claireaux. Je confirme la difficulté du traitement des déchets dans les petits territoires. À cet égard, il faut saluer le travail qu’Éco-Emballage a engagé à Saint-Pierre-et-Miquelon.

La collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon relevant de l’article 74 de la Constitution, ce projet de loi ne lui sera pas applicable. La création du chèque énergie a néanmoins attiré mon attention, sachant que le poste chauffage et isolation est très important dans l’archipel. Nous souhaitons bénéficier de cette mesure, en remontant les plafonds de ressources comme cela avait été fait en matière de logement.

Par ailleurs, bien que nous relevions de l’article 74, nous bénéficions de la CSPE.

M. Serge Letchimy, rapporteur. C’est probablement parce que Saint-Pierre-et-Miquelon était encore un département au moment de l’introduction du dispositif.

M. Stéphane Claireaux. Toujours est-il que cette contribution apporte en moyenne un financement annuel de 1 600 euros par ménage. Alors que le chiffre d’affaires d’EDF à Saint-Pierre-et-Miquelon n’est que de 4 millions d’euros, la CSPE abonde localement 8 millions par an.

M. Napole Polutélé. Nous n’ignorons pas l’importance de ce projet de loi. Cependant, comme l’indique clairement le rapporteur : « S’agissant des COM, en revanche, aucune mesure du texte ne s’applique directement à eux. »

Nos territoires réfléchissent actuellement à des stratégies de développement durable pour les quinze prochaines années. La transition énergétique a, de ce point de vue, une importance considérable. Wallis-et-Futuna et la Polynésie française partagent les mêmes avantages : le soleil, le vent, mais aussi, en certains endroits, les marées ou l’activité volcanique.

Je partage l’analyse du rapporteur quant à la « ségrégation » opérée par l’article 74 de la Constitution, d’autant que cet article établit une distinction supplémentaire entre les territoires dotés de l’autonomie et les autres. Cela étant, même dans ce cadre, pourquoi Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficierait de la CSPE et pas la Polynésie française ou Wallis-et-Futuna ? Il faudra que le Gouvernement s’en explique !

Alors que le texte propose des leviers importants pour le développement de nos territoires, nous sommes contraints de rester dans l’expectative. Nous devons attirer l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’étendre certains dispositifs aux communautés d’outre-mer.

Le rapporteur parlait de la bagasse, mais il existe également, à Ouvéa, une production de biocarburant à base d’huile de coco permettant le fonctionnement de plusieurs stations thermiques.

À Wallis-et-Futuna, près de 90 % de l’énergie consommée est d’origine fossile. Le transport des combustibles contribue, bien évidemment, à alourdir la facture. Nous avons du soleil toute l’année et ce potentiel ne demande qu’à être exploité ! Si nous bénéficiions de la CSPE, nous pourrions développer le photovoltaïque et abaisser, in fine, le prix de l’électricité. Aujourd'hui, le KWh est chez nous six à sept fois plus cher que dans l’hexagone. Le fait de relever de l’article 74 n’exonère pas nos territoires de l’exigence d’équité entre les citoyens !

Avec les députés de Tahiti et de Nouvelle-Calédonie, nous déposerons donc des amendements visant à étendre la CSPE à nos territoires, ce qui contraindra le Gouvernement à nous donner des réponses précises et, le cas échéant, à nous proposer d’autres leviers nous donnant les mêmes chances que les départements d’outre-mer.

Mme Maina Sage. L’Assemblée de la Polynésie française s’apprête à demander le classement de nos territoires en ZNI – zone non-interconnectée –, de manière à bénéficier, à l’instar de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la CSPE.

Depuis les deux Grenelle, la Polynésie s’est clairement positionnée pour atteindre les objectifs fixés, d’autant que sa production hydroélectrique représente environ 30 % de la production totale. En 2010, nous avons adopté un premier schéma visant à atteindre 50 % d’énergies renouvelables en 2020. Ce schéma a été modifié en 2013 sur la base de deux études dont nous avons bénéficié, l’une du cabinet Carbone 4, l’autre de la CRE.

La Polynésie a donc la chance d’avoir une vision très claire des possibles. Au-delà de l’atout que peuvent représenter les programmes d’innovation, il faut être réaliste quant à la capacité de chaque territoire à accueillir un nouveau mix énergétique. Il est impératif qu’en fin de programmation, les prix restent supportables pour l’usager. Toute la difficulté réside, me semble-t-il, dans cette équation : jusqu’où la part de l’objectif écologique peut-elle aller au regard du coût final pour la collectivité, pour l’État et pour l’usager ? Nous disposons aujourd'hui de l’ingénierie nécessaire pour mener des études sérieuses. Il serait donc souhaitable que ce texte fasse obligation à l’État de diligenter de telles études dans l’ensemble des territoires ultramarins. Nous pourrions ainsi disposer, dans un ou deux ans, d’éléments très clairs sur ce qui est possible ou non localement et nous pourrions élaborer une véritable stratégie de la transition énergétique outre-mer.

Il faut en effet savoir que certaines technologies sont encore dans une phase de recherche. Il serait plus pertinent d’adapter les programmes de recherche et d’innovation en fonction de nos contraintes géographiques et de nos particularités, ce qui permettra à chaque territoire de l’outre-mer de bénéficier des résultats de tous les autres. La Polynésie a déjà recueilli des données pouvant intéresser d’autres territoires. À l’inverse, elle s’intéresse aux projets menés ailleurs.

Pour en revenir au projet de loi, il serait en effet important de rappeler à l’article 1er, données chiffrées à l’appui, que l’outre-mer fait en grande partie la richesse environnementale de la France. On ne sait pas, par exemple, que la Polynésie représente la moitié de la surface maritime française outre-mer.

En matière de pilotage, je crois que les députés de Polynésie approuveront sans difficulté vos propositions, monsieur le rapporteur. Pour nous aussi, le dossier de la CSPE est prioritaire.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Qu’en est-il de l’application du texte à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, qui sont devenues des collectivités d’outre mer ?

M. Serge Letchimy, rapporteur. Le projet de loi ne leur sera pas applicable.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Je rejoins votre analyse de l’organisation commune du marché (OCM) du sucre, monsieur le rapporteur. L’usine sucrière du Galion, en Martinique, n’a pas vu le jour, et celle de Marie-Galante, en Guadeloupe, bat de l’aile et fonctionne au charbon quand il n’y a pas de bagasse !

En outre, la suppression des avantages fiscaux pour le photovoltaïque a mis en difficulté nos entreprises. Comment relancer l’installation de panneaux ?

Enfin, pourquoi Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficie-t-elle de la CSPE et pas les autres COM ? Les élus ultramarins risquent de se diviser !

M. Serge Letchimy, rapporteur. Il faudra vérifier ce qui figure sur la facture d’électricité des habitants de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, et comprendre pourquoi les COM qui n’ont jamais eu la CSPE n’y auraient pas droit. Préparons nos amendements. L’État sera bien embarrassé pour répondre !

Mme Maina Sage. Nous avons déjà effectué cette recherche pour ce qui est de la Polynésie. Pour rendre la CSPE applicable sur nos territoires, il faudrait modifier une vingtaine d’articles du code de l’énergie. C’est pourquoi nous envisageons d’amender le projet de loi en prévoyant cette réécriture à une échéance donnée. Une mission Service public 2000 en Polynésie travaille actuellement à cette proposition soutenue par les conseils économiques et sociaux de Polynésie, de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna.

M. Serge Letchimy, rapporteur. J’avais voté contre l’article 74 de la Constitution. Il n’est pas noble que des pays soient mis en situation de quémander l’égalité en matière de solidarité !

En résumé, nous demanderons que soit inscrits à l’article 1er la reconnaissance du rôle des outre-mer ainsi que des objectifs stratégiques chiffrés territoire par territoire. Pour ma part, je suis favorable à un cadre expérimental de type « île durable », mais il peut y avoir différentes voies juridiques.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. La loi de programme pour l’outre-mer de 2003 devait s’étendre sur quinze ans, avec des évaluations tous les deux ou trois ans. Cela ne nous a pas menés bien loin : le Président de la République suivant s’est empressé de détricoter la loi !

Mme Maina Sage. C’est bien pourquoi nous devons insister sur le pilotage spécifique de la transition énergétique outre-mer et sur le maintien de l’ingénierie sur nos territoires. Je souhaite que les schémas soient durables et qu’ils fonctionnent en réseau.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Si nous demandons que le Gouvernement instaure un schéma de développement des territoires, chaque île pourra ensuite répondre à l’appel à projets comme il lui conviendra.

Pour Wallis-et-Futuna, un plan d’accompagnement de la transition énergétique pourrait aider à mettre à plat tous les problèmes.

Mme Maina Sage. Nos territoires sont si isolés que le coût du transport des hydrocarbures se répercute très fortement sur le prix de l’électricité. Dans ces conditions, il nous est difficile de mettre en œuvre les projets d’incitation à l’utilisation de véhicules électriques. De plus, les barils vides s’entassent et polluent nos îles. La CSPE devrait prendre en compte le handicap structurel que constituent notre isolement et notre éparpillement géographique.

M. Serge Letchimy, rapporteur. L’idée d’un plan d’accompagnement permettra aussi d’insister sur l’économie circulaire.

Au vu de notre discussion, je crois que la délégation peut formuler quatre propositions supplémentaires :

Proposition 6. Demander au Gouvernement une étude tarifaire concernant les productions électriques de Mayotte susceptibles d’être éligibles à la CSPE. Demander également au Gouvernement, dans la même étude, d’établir une prévision des prix de revient correspondant aux différentes énergies renouvelables qui pourraient être développées prochainement dans ce département.

Proposition 7. Prévoir, au sein des DOM, des plans régionaux d’action concernant l’économie circulaire. Prévoir également la possibilité de conduire des expérimentations locales, sous l’égide de la région, portant sur l’interconnexion des différentes opérations de ramassage, de tri et de recyclage des déchets, que ce soit sous forme de produits dérivés ou d’énergie.

Proposition 8. Prévoir un plan spécifique d’accompagnement pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, permettant à ces trois collectivités territoriales d’appliquer les principaux dispositifs du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et tendant, tout particulièrement, à les faire bénéficier de la CSPE pour leurs productions locales d’électricité.

Proposition 9. Prévoir un schéma de développement des territoires sur la transition énergétique – avec, en particulier, un volet sur la recherche et l’innovation et avec des stratégies de complémentarité entre territoires – qui indique, collectivité par collectivité, les actions qui pourront être entreprises dans le domaine de la « croissance verte » au cours des dix prochaines années.

La Délégation aux outre-mer adopte ces propositions à l’unanimité.

Puis elle adopte le rapport ainsi complété à l’unanimité.

PROPOSITIONS ADOPTÉES

Proposition 1. Insérer des objectifs chiffrés en faveur des Outre-mer dans l’article 1er du projet de loi et préciser que l’une des conditions pour atteindre ces objectifs sera de pratiquer un « juste prix » de rachat pour l’électricité produite, ce qui passe, notamment, par une revalorisation du prix de l’énergie photovoltaïque et de celui de l’énergie tirée de la biomasse.

Proposition 2. Améliorer le financement de la rénovation énergétique de l’habitat dans les DOM en bonifiant davantage les certificats d’économies d’énergie (CEE) délivrés pour des investissements effectués outre-mer.

Proposition 3. Dans le but de favoriser les énergies marines, tout particulièrement outre-mer, intégrer les autorisations d’exploiter, les autorisations d’occupation du domaine public maritime et les concessions d’utilisation du domaine public maritime au nombre des actes administratifs ressortissant d’une voie de recours unique devant le Conseil d’État, pourvu que ces actes administratifs soient liés à un appel d’offres lancé en application de l’article L. 311-10 du code de l’énergie, à un appel à projets européen NER 300 ou à un contrat mettant en cause une personne morale de droit public et une mission de service public ou une activité d’intérêt général se rapportant à la production d’électricité renouvelable en mer.

Proposition 4. Prévoir que les attributions de CSPE peuvent tenir compte, lorsque les projets d’investissement concernent l’outre-mer, de critères reposant sur l’utilité sociale des réalisations.

Proposition 5. Étendre le champ d’application de l’habilitation énergie prévue à l’article 62 en faveur du conseil régional de Martinique à l’ensemble des questions qui concernent, localement, la transition énergétique. Prévoir l’institution d’un pouvoir réglementaire autonome de « codification » dévolu au président du conseil régional de Martinique pour lui permettre de mettre en cohérence tous les textes régionaux de programmation antérieurs à la création de la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Proposition 6. Demander au Gouvernement une étude tarifaire concernant les productions électriques de Mayotte susceptibles d’être éligibles à la CSPE. Demander également au Gouvernement, dans la même étude, d’établir une prévision des prix de revient correspondant aux différentes énergies renouvelables qui pourraient être développées prochainement dans ce département.

Proposition 7. Prévoir, au sein des DOM, des plans régionaux d’action concernant l’économie circulaire. Prévoir également la possibilité de conduire des expérimentations locales, sous l’égide de la région, portant sur l’interconnexion des différentes opérations de ramassage, de tri et de recyclage des déchets, que ce soit sous forme de produits dérivés ou d’énergie.

Proposition 8. Prévoir un plan spécifique d’accompagnement pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna permettant à ces trois collectivités territoriales d’appliquer les principaux dispositifs du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et tendant, tout particulièrement, à les faire bénéficier de la CSPE pour leurs productions locales d’électricité.

Proposition 9. Prévoir un schéma de développement des territoires sur la transition énergétique – avec, en particulier, un volet sur la recherche et l’innovation et avec des stratégies de complémentarité entre territoires – qui indique, collectivité par collectivité, les actions qui pourront être entreprises dans le domaine de la « croissance verte » au cours des 10 prochaines années.

AUDITIONS DU RAPPORTEUR

Mardi 22 juillet 2014

• Entretien avec Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer

Mercredi 23 juillet 2014

• Entretien avec Mme Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie

Samedi 30 août, dimanche 31 août et lundi 1er septembre 2014

• Entretiens avec Mme Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, à l’occasion de son déplacement en Martinique pour la signature du protocole « Martinique île durable », protocole qui vise au développement des énergies durables en Martinique, dans la continuité du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Audition de M. Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables (SER), accompagné de M. Romain Poubeau, chargé de mission, responsable de la filière photovoltaïque du SER ainsi que de la commission Outre-mer, M. Hervé La Touche, élu du bureau de SOLER (commission photovoltaïque du SER), représentant de SOLER dans les Outre-mer et directeur général de la société Sunzil et M. Alexandre de Montesquiou, directeur associé du cabinet Ai2P (1) , sur les dispositions que le Gouvernement a annoncées concernant la transition énergétique

Compte rendu de l’audition du mardi 22 juillet 2014

M. Serge Letchimy, rapporteur. Je vous prie tout d’abord d’excuser notre président, M. Jean-Claude Fruteau, retenu à La Réunion.

Nous entamons aujourd’hui une série d’auditions concernant le projet de loi de programmation pour la transition énergétique. J’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables, ainsi qu’à ses collaborateurs.

Ce projet de loi pourrait être adopté rapidement : son dépôt en première lecture à l’Assemblée nationale pourrait intervenir au cours du dernier trimestre de l’année 2014. Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, est déterminée à aller vite.

Il s’agit là d’un texte fondamental pour l’outre-mer. La commission des Affaires économiques a d’ailleurs confié à Mme Éricka Bareigts une mission sur le rôle de la Commission de régulation de l’énergie dans nos régions.

Mme Royal avait clairement fait savoir qu’elle n’entendait pas voir la question des outre-mer abordée de façon marginale. Malheureusement, cette volonté ne me paraît pas suffisamment affirmée dans le texte ; reste qu’elle a été clairement affichée. Il nous appartiendra de l’améliorer, soit dans le cadre de la délégation, soit à titre personnel, par des propositions concrètes traduisant une approche globale et systémique, et non sectorielle et purement technique, tant il est vrai que les mutations énergétiques sont une question centrale pour l’avenir de nos régions, propre à nous permettre de décliner des stratégies locales sur le plan humain, sociétal, écologique et environnemental.

M. Victorin Lurel. Nous avons là une chance extraordinaire de profiter de nos atouts pour en faire un vrai modèle ; vous y aviez d’ailleurs appelé, monsieur le président, dans un rapport pour avis et moi-même, dans le cadre de mes précédentes fonctions, j’avais organisé une réunion sur ce sujet. Nous ne pouvons pas nous contenter d’être une sorte de laboratoire ou une simple avant-garde ; à nous d’inventer les dispositifs – fiscalité, modèles innovants, recherche appropriée – donnant aux outre-mer les moyens de leur développement, sachant que nous avons suffisamment de gisements pour être autonomes sur le plan énergétique. Après les lois d’habilitation, il faut aller plus loin, mais également introduire des mesures de simplification, faire en sorte qu’EDF soit un peu moins lointain, autrement dit intégrer davantage le schéma institutionnel tout en préservant notre autonomie.

M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Nous avons publié aujourd’hui même nos propositions sur le projet de loi tel que l’a présenté Mme Royal le 18 juin – mais tout porte à croire qu’il évoluera encore.

Ce projet de loi est une base très positive. D’abord, il fixe un objectif global de développement des énergies renouvelables – 32 % à l’horizon 2030. Cet objectif qui n’est cependant pas décliné par forme d’énergie – électricité, chaleur, froid, transports –, ni entre l’hexagone et les zones non interconnectées, alors que la loi Grenelle comportait des objectifs spécifiques pour les DOM : il serait bon qu’ils soient conservés. Ensuite, il aborde la question du pilotage de la transition énergétique de façon assez précise : on sait que la mise en œuvre des lois Grenelle a en effet mis en lumière une cruelle absence de pilotage dans les DOM.

Concernant les énergies renouvelables, la possibilité est prévue de recourir à d’autres modes de soutien que les tarifs d’achat tels qu’ils sont pratiqués aujourd’hui. Ces dispositifs renvoient essentiellement à des ordonnances ou à des décrets ; nous serons très attentifs à leur rédaction afin que les spécificités de l’outre-mer y soient préservées. Certains dispositifs tout à fait efficaces dans l’hexagone ne le sont pas forcément outre-mer ; ainsi, la rétribution des énergies renouvelables par des mécanismes « prix du marché plus prime » ne peut fonctionner dans les DOM où il n’y a pas de marché de l’électricité.

La simplification est pour nous un thème extrêmement important. Nous souffrons d’une complexification des procédures pour le montage des projets, qu’il s’agisse de l’encadrement environnemental ou des procédures de raccordement. Malheureusement, le projet de loi se borne à une seule disposition, relative aux énergies marines renouvelables ; c’est totalement insuffisant. Les propositions que nous vous soumettons prévoient tout un arsenal de mesures de simplification.

L’objectif de 32 % pourrait être décliné par type d’application énergétique, par filière et par région, ce qui renvoie à la programmation pluriannuelle de l’énergie. Autrement dit, les objectifs concrets ne seront fixés qu’au moment de la publication de la PPE, soit, dans le meilleur des cas, à l’horizon 2016, alors que nous avons besoin de mesures d’urgence, car nos filières sont en grand danger dans les DOM : dans les secteurs du solaire, du photovoltaïque et de l’éolien, l’emploi a été divisé par cinq en trois ans. On dit toujours que les énergies renouvelables permettent de créer des emplois ; encore faut-il un pilotage, et ce pilotage n’existe pas dans les DOM, ce qui explique la mauvaise situation de nombre d’entreprises, à l’image de celle de M. Hervé La Touche, amenée à licencier.

M. Hervé La Touche, élu du bureau de SOLER (commission photovoltaïque du SER), représentant de SOLER dans les outre-mer et directeur général de la société Sunzil. Pour exercer depuis vingt-cinq ans en outre-mer, je prétends avoir une vision assez objective du marché et je peux vous dire que nous sommes dans une situation particulièrement difficile depuis le moratoire. Les entreprises comme la mienne, qui avaient fait le pari de l’emploi et ont joué le jeu en tentant de structurer le marché, se retrouvent pénalisées par rapport à d’autres qui ont fait le choix d’une certaine volatilité. De mon côté, j’ai la chance d’avoir des actionnaires solides, mais une PME est incapable de survivre dans une telle situation. Les trois quarts des emplois ont disparu. Les patrons, épuisés, ne savent que faire, si ce n’est déposer le bilan.

M. Jean-Louis Bal. Ce projet de loi est une bonne base. Nous proposons de l’améliorer, notamment pour ce qui touche à la simplification ; malheureusement, nombre d’entreprises dans les DOM, déjà très affaiblies, risquent de disparaître d’ici à ce qu’il devienne totalement opérant.

Les lois Grenelle fixent un objectif de 50 % d’énergies renouvelables sur l’ensemble des usages de l’énergie dans les départements d’outre-mer à l’horizon 2020. Pour tenir cet objectif, il faudra s’appuyer sur l’ensemble des énergies renouvelables, par nature complémentaires. La biomasse est stockable, tout comme l’hydraulique, ce qui peut permettre de gérer la variabilité de l’éolien et du solaire ; la géothermie est par essence une énergie de base accessible 8 700 heures par an, autrement dit vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

On ne peut pas, d’un côté, avoir des projets à plus ou moins long terme sur la géothermie ou le stockage hydraulique et, de l’autre, tout arrêter en photovoltaïque pour des questions de taux de pénétration des énergies dites intermittentes, ou stopper l’éolien à cause d’un problème de cohabitation avec les radars en Guadeloupe. Tout cela n’est pas acceptable pour des entreprises qui ont besoin de stabilité et de visibilité.

M. Serge Letchimy, rapporteur. L’objectif des 30 % peut être bloquant, sauf si des solutions adaptées sont apportées en matière de stockage. Quelle est votre appréciation en la matière ?

Se pose aussi le problème de la gouvernance technique et du rôle de l’opérateur historique : force est de constater qu’EDF détient les clés de la porte d’entrée et de la porte de sortie… C’est EDF qui fait les calculs de base, qui apprécie les taux de pénétration et qui décide de l’opportunité de faire entrer ou pas telle ou telle énergie renouvelable.

M. Jean-Louis Bal. EDF-SEI (Systèmes énergétiques insulaires) fait ce que lui demande le pouvoir politique. Si celui-ci ne lui demande rien, l’opérateur historique ne fait rien.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Ce n’est pas toujours le cas : voyez comment EDF a réagi lorsque le pouvoir politique lui a demandé de participer au projet de centrale géothermique en Dominique… Victorin Lurel en sait quelque chose !

M. Jean-Louis Bal. Le pouvoir politique ne le lui a certainement pas demandé suffisamment instamment… Cela nous ramène à la question du pilotage ; toutes les parties prenantes (entreprises des EnR, gestionnaires de réseaux, collectivités) ont besoin de connaître la stratégie énergétique dans ces zones.

M. Hervé La Touche. Les réseaux électriques ont été construits sur la base de modèles qui sont aujourd’hui datés. Les réformer est par nature complexe, et plus encore dans les outre-mer : non seulement nos réseaux sont fragiles, mais EDF-SEI doit faire face à des contextes sociaux et sociétaux particuliers. Reste que nous avons impérativement besoin d’un vrai pilote, un pilote politique dans la gouvernance ultramarine. Allez regarder les prévisions d’EDF-SEI sur leur site internet : ils parlent évidemment d’énergies renouvelables, mais leurs projets à moyen terme ne concernent que les énergies fossiles : rajout de turbines à gaz, de groupes électrogènes, réfection des centrales de Jarry et de Martinique. C’est dans leurs gènes, et c’est précisément ce qu’il faut bousculer.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Avez-vous des propositions concrètes à faire en termes de repositionnement d’EDF ?

M. Hervé La Touche. Nous posons le constat, mais nous n’avons pas la solution.

M. Victorin Lurel. Une solution serait de donner valeur prescriptive aux schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) et aux plans régionaux des énergies renouvelables et de l’utilisation rationnelle de l’énergie (PRERURE).

Auparavant, lorsque vous projetiez une installation photovoltaïque, il fallait adresser votre dossier à EDF qui décidait souverainement, et de l’ordre d’examen, et du raccordement ou non de votre installation au réseau. Grâce à la procédure d’habilitation, la région Guadeloupe a fait en sorte, par une délibération à valeur législative, d’être également destinataire du dossier. Ainsi, le pilote politique que vous appelez de vos vœux devrait se trouver dans une conception décentralisée de la politique énergétique des régions – avec évidemment les modalités de contrôle et les contre-pouvoirs qui s’imposent pour éviter les guerres picrocholines sur le terrain. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas laisser élaborer des PPE à l’insu des régions.

M. Hervé La Touche. Effectivement, on peut se demander à quoi servent les SRCAE en l’état actuel des choses. On a l’impression d’un perpétuel recommencement. On repousse à chaque fois la réforme du modèle.

M. Victorin Lurel. Il me semble que la loi portant réforme territoriale donnera valeur prescriptive aux SRCAE.

M. Hervé La Touche. Ce sera très bien. Reste que vous aurez toujours des régions plurielles – Guadeloupe, Martinique, Guyane, etc. – face à un opérateur unique. Certes, elles se sont associées dans le programme « Pure Avenir », mais il ne s’agit pas d’un instrument politique capable de faire valoir ses points de vue. Il faudrait regrouper les pouvoirs politiques dans une sorte de comité des régions.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Pour l’heure, il y a une confusion totale entre gouvernance stratégique, gouvernance technique et gouvernance politique, ce à quoi s’ajoute une forme d’auto-appropriation de la gouvernance politique – appelons un chat un chat. On nous a démontré qu’il y avait une autorité au-dessus du Premier ministre : alors que Victorin Lurel et moi-même étions intervenus au niveau du Premier ministre, M. Henri Proglio, président d’EDF, a jugé qu’il n’était pas utile de répondre à nos questions !

Le processus décisionnel ne devrait donc pas appartenir à EDF, mais à chaque collectivité. Et l’idée émise par Victorin Lurel, la mise en cohérence entre tous les schémas régionaux et le schéma d’aménagement régional (SAR) est tout à fait intéressante.

Il ne s’agit pas d’écarter systématiquement EDF, mais de mettre fin à certaines aberrations. À Bellefontaine, où l’alimentation en gaz à partir de Trinidad permettrait de réduire de 30 % la facture des particuliers et de sortir de l’énergie fossile à terme, EDF joue la montre. Nous sommes soumis à une stratégie du ralentissement qui lamine les initiatives. Quant aux files d’attente des dossiers photovoltaïques, c’est EDF qui décidait du classement des projets, ce qui était d’autant plus scandaleux qu’il s’agissait de projets hautement spéculatifs et qui donnaient lieu il fut un temps à défiscalisation.

M. Jean-Louis Bal. Vous avez distingué, à juste titre, la gouvernance stratégique et la gouvernance technique sur le terrain. Il est extrêmement important que l’État reprenne la main en matière de gouvernance stratégique, comme en témoigne l’abandon du projet de centrale en Dominique.

M. Victorin Lurel. Après l’étude du projet pendant cinq ans, EDF a invoqué le changement de ses ratios de productivité et de rentabilité. In fine, l’intérêt général est subordonné aux standards internes d’EDF. Nous avons bataillé pour faire reprendre le projet par GDF Suez, mais M. Mestrallet nous a bien fait comprendre que les déclarations publiques d’EDF, qui ne reposaient que sur l’appréciation totalement subjective du directeur d’EDF-SEI, Thierry Pons, ont gravement porté atteinte au dossier. Les plans pluriannuels énergétiques ne peuvent être élaborés sans la moindre concertation avec les collectivités. Comme l’a indiqué Serge Letchimy, on devait installer des turbines bicombustibles à Bellefontaine, mais EDF est totalement contre l’idée d’importer du gaz de Trinidad.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Quel est votre avis technique sur le seuil de 30 % d’énergies intermittentes insérées dans le réseau ?

M. Victorin Lurel. À partir de quel modèle a-t-il été arrêté ? On a entendu dire que le modèle méditerranéen sur lequel il avait été établi est aujourd’hui dépassé.

M. Jean-Louis Bal. Selon plusieurs connaisseurs de ce dossier, ce seuil de 30 % est tout à fait empirique et aurait vocation à être retravaillé.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Mais encore faut-il qu’il propose quelque chose, car on nous dit qu’aller au-delà menacerait la stabilité du réseau et provoquerait un black-out. Nous en avons subi il y a quinze jours à la Martinique, dont nous avons mis quarante-huit heures à nous remettre !

M. Jean-Louis Bal. À notre connaissance, un seul black-out a été déclenché par le photovoltaïque, à Mayotte, qui a un tout petit système électrique.

M. Hervé La Touche. Mayotte est à 37 %, mais le réseau électrique mahorais est encore plus sous-dimensionné que dans le reste des DOM. Deux ou trois black-out se sont produits, dont un seul auquel a contribué le photovoltaïque. Pour une raison simple : dans un petit système électrique, lorsqu’un groupe tombe en panne, le photovoltaïque peut se décrocher à la suite. Ainsi, même si le seuil 30 % est empirique, il y a une limite, peut-être à 40 % ou 45 %, mais il y en a assurément une. Les solutions existent : elles sont à chercher du côté de la prédiction – dans le cas du photovoltaïque, on a tout intérêt à mieux anticiper le moment où les nuages vont passer – et, bien évidemment, du stockage.

M. Victorin Lurel. Quel est l’état d’avancement des technologies en matière de stockage ? Je crois qu’EDM a mis au point un modèle efficace.

M. Hervé La Touche. Il s’agit du projet OPERA. Le décret devrait être signé aujourd’hui par Mme Royal. Il prévoit la possibilité d’amortir la maîtrise de l’énergie et le stockage dans le cadre de la CSPE. Mais ne nous leurrons pas : il a plutôt été porté par la vision d’EDF-SEI en faveur des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP).

Sur le plan technique, le modèle EDM ne pose aucun problème. Le vrai problème est le modèle économique, sachant que le stockage d’un kilowattheure de stockage coûte 1 000 euros, ce qui est cher ; mais les prix baissent à toute vitesse. Par contre, la gestion intelligente de l’énergie permet de diminuer considérablement le besoin de stockage par unité d’énergie intermittente par rapport à ce que ce que nous prévoyions il y a encore deux ou trois ans, notamment dans les appels d’offre « CRE 1 » lancés dans les DOM.

M. Victorin Lurel. Où en est l’expérimentation menée à l’île de La Réunion avec des batteries sodium-soufre du japonais NGK, financée notamment par de l’argent public ? Toute la technologie aurait été vendue à EDF Énergies nouvelles…

M. Hervé La Touche. De mémoire, EDF Énergies nouvelles était partie prenante au projet initial. Des problèmes de sécurité – un risque d’incendie lié à la batterie NGK – ont provoqué l’arrêt de l’usine, qui a redémarré une fois le problème réglé. Aujourd’hui, on n’a pas de retour de l’opérateur public, ce qui est préoccupant. Cette question est du reste déterminante dans la connaissance des coûts de revient. Pour trouver des solutions de modélisation de l’ensemble du système, les opérateurs doivent avoir accès à des niveaux analytiques de coûts, qui permettent de savoir combien coûte un kilowattheure produit à tel ou tel endroit et heure par heure. Tout cela est disponible, mais pas encore accessible.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Qu’en est-il des autres expériences de batteries au lithium ?

M. Hervé La Touche. Elles sont en cours, il s’agit des appels d’offre CRE 1, lancés en 2012. La première centrale en Guyane sur le site de Toucan va produire cet été avec 5 mégawatts. Akuo construit un système à l’île de La Réunion qui va également produire cet été avec 8 MW.

Cela étant dit, l’avenir des DOM est-il de construire de grandes centrales avec des stockages de masse ? Je ne le pense pas. Nous préconisons plutôt des mesures d’urgence sur le bâti, ce qui permettrait d’avancer dans le domaine de la maîtrise de l’énergie, de l’isolation des toits et de consommation rationnelle, et même de la voiture électrique.

M. Victorin Lurel. Si le décret est publié, une quote-part du surcoût serait prise en charge par la CSPE.

M. Hervé La Touche. Tout à fait.

Quand il investit, EDF sait qu’un kilowattheure doit bénéficier de la CSPE pour être rentable. Il présente un rendement des capitaux garanti sur la base duquel il calcule tous les ans la somme dont il a besoin pour équilibrer les comptes. C’est le même principe ici : un opérateur va investir dans de la MDE, voire du stockage, et un rendement lui sera garanti sur les capitaux investis, de l’ordre de 11 %.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Ce décret est très important : il permettra le développement de l’investissement.

M. Jean-Louis Bal. Sur la question des retours, je vous suggère d’interroger l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie qui a apporté la part publique du financement pour l’expérimentation de la batterie sodium-soufre à La Réunion.

M. Victorin Lurel. J’ai cru comprendre qu’une convention a été signée avec EDF, qui a racheté la totalité des actions d’EDF Énergies nouvelles.

M. Jean-Louis Bal. L’ADEME doit avoir les informations sur le retour d’expérience et la propriété industrielle.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Il est très malsain qu’EDF puisse tirer profit d’une recherche innovation sans y avoir mis un euro. Dans les secteurs de la géothermie ou de l’énergie thermique des mers, les investissements des collectivités sont extrêmement lourds. Pour la centrale d’ETM à Bellefontaine en Martinique, nous avons dû débourser des millions d’euros ! Il est très malsain également qu’EDF puisse donner en amont un avis sur tout projet d’énergies renouvelable. Aussi notre Délégation doit-elle se prononcer sur la question du positionnement d’EDF à tous les niveaux.

Un autre problème se pose : nous sommes bloqués à 30 % d’énergies renouvelables et la stratégie nationale se fixe comme objectif la diminution de 50 % de l’énergie nucléaire ; or il n’y a pas d’énergie nucléaire dans les DOM. Par conséquent, l’essence du texte ne s’applique pas à l’outre-mer, où nous nous inscrivons dans la perspective d’une mutation profonde par rapport à l’énergie fossile.

M. Hervé La Touche. Le projet de loi prévoit d’aligner les objectifs nationaux et ceux de l’outre-mer… Autrement dit, vous perdez la moitié de ce qu’il était possible de faire grâce aux lois Grenelle.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Tout à fait. Il faut impérativement redresser cette mécanique qui fait chuter les objectifs du Grenelle de l’environnement. Il faut donc modifier le texte sur l’objectif des 32 % d’énergies renouvelables – fixé à 50 % par le Grenelle pour l’outre-mer – et sur la stratégie puisque nous n’avons pas de nucléaire.

Certains pensent qu’il n’est pas possible de modifier le plafond de 30 % pour le photovoltaïque.

M. Jean-Louis Bal. Je redis que le niveau de 30 % est empirique. Nos discussions avec les directions régionales d’EDF dans les DOM font apparaître que cette limite pourrait être relevée en fonction de la situation des systèmes électriques dans chaque DOM. Si la Guadeloupe et la Martinique ne sont pas les mieux placées, la Guyane et La Réunion ont d’importantes productions hydrauliques ; or l’hydraulique est précisément l’énergie qui se stocke le plus facilement. Ces centrales hydroélectriques peuvent intervenir très rapidement pour pallier la variabilité des énergies éoliennes et solaires. Autrement dit, dans ces régions, la part des énergies variables pourrait être considérablement relevée.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Vous êtes en train de nous démontrer que la question du stockage se pose totalement différemment d’un département à l’autre. Le mix énergétique martiniquais n’a rien à voir avec le mix de la Guyane, pays équivalent au Portugal en termes de surface et qui recèle des richesses incroyables, y compris en eau. Il ne faut pas se contenter d’un raisonnement outre-mer, il faut construire des stratégies régionales.

Dans la mesure où la Guadeloupe et la Martinique ont pratiquement atteint les 35 %, est-ce à dire que tout krab-la mó deyè, autrement dit que tout est cuit et qu’il n’y a plus aucune place pour les énergies renouvelables ?

M. Victorin Lurel. Si nous sommes limités par le plafond des 30 %, quel intérêt avons-nous d’intensifier l’investissement dans le photovoltaïque ? L’arrêt brutal de la défiscalisation a, d’une certaine manière, nettoyé et régulé le secteur. Quel serait aujourd’hui le bon tarif de raccordement ?

M. Jean-Louis Bal. Encore une fois, je pense que la limite des 30 % peut être relevée au cas par cas. Par ailleurs, il y a un an et demi, nous avons fait une proposition pour un tarif photovoltaïque avec stockage et MDE, mais sur laquelle nous n’avons jamais obtenu de réponse.

M. Serge Letchimy, rapporteur. En quoi consiste ce tarif ?

M. Hervé La Touche. Nous avons étudié les évolutions des énergies dans le passé pour faire des projections et élaborer un modèle technico-économique qui, suivant le système photovoltaïque souhaité – avec plus ou moins de services et de maîtrise de l’énergie – propose un tarif à la carte.

Ce tarif inclut le coût du photovoltaïque seul, de 180 euros le mégawattheure en moyenne en outre-mer, qui est donc déjà rentable par rapport au coût de production d’EDF – de 250 à 300 euros le mégawattheure suivant le département, selon les chiffres de la CRE. Encore faut-il y rajouter de qui lui permettra de le fiabiliser par rapport au réseau et d’apporter du service system, ce qui, en fonction du niveau de service souhaité, se traduit par un coût supplémentaire à ajouter au prix de base : c’est pourquoi je parlais d’un tarif à la carte. On obtient ainsi un prix tout compris qui varie entre 300 euros et 400 euros le mégawattheure pour un système photovoltaïque intégrant du stockage et de la maîtrise de l’énergie. Ce tarif s’amortit en termes de CSPE sur la durée de vie du système : il n’y a pas de surcoût CSPE, au contraire : il y a bel et bien une rentabilité, mais elle n’est pas immédiate. C’est tout le débat de fond : faut-il impérativement voir la CSPE baisser dans l’année qui suit ou pas ? Ce débat a été clarifié : a priori, il y a bel et bien une notion d’amortissement. Nous avons passé des heures à expliquer à la CRE la logique de notre modèle qui intègre un amortissement sur sept ans pour un système photovoltaïque avec stockage.

M. Victorin Lurel. Pour financer l’investissement, vous proposez des green bonds et des prêts concessionnels. Une période d’amortissement de sept ans permettrait donc de rentabiliser l’investissement et de justifier la pérennité des énergies renouvelables ?

M. Hervé La Touche. Tout à fait. Je parlais de la CSPE, mais le temps de retour sur le plan financier lui-même est de treize à quinze ans pour le photovoltaïque. Cela n’a rien à voir avec de la spéculation.

M. Victorin Lurel. Vous ne demandez pas le retour de la défiscalisation ?

M. Hervé La Touche. Non, mais si elle permet de faire du stockage et de la MDE, pourquoi pas s’il n’y a rien d’autre ?

M. Victorin Lurel. Vous aviez la défiscalisation, les exonérations de l’octroi de mer, un tarif de raccordement intéressant…

M. Hervé La Touche. Mais un coût d’investissement beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui.

M. Victorin Lurel. Il fallait stopper la bulle. Votre secteur a perdu les trois quarts de ses emplois. Vous n’espérez pas le retour de cette embellie, mais vous demandez un dispositif de financement…

M. Hervé La Touche. L’embellie a été très courte… Certes, nous avons bénéficié de la défiscalisation, mais les opérateurs historiques comme nous, qui avons créé des emplois, ont affiché un taux de rentabilité interne (TRI) de 14 %, alors que d’autres se sont lancés dans des opérations purement spéculatives et ont quitté depuis longtemps les DOM. Ce sont ces comportements-là qu’il faut combattre.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Pour les modalités de rachat, le principe retenu par la CRE et EDF est de ne pas dépasser le coût actuel de la production des énergies fossiles. Cela vous semble-t-il pertinent ?

M. Hervé La Touche. Il est pertinent si l’on raisonne à long terme. En l’état actuel des choses, personne ne peut proposer un coût moins cher avec du stockage. Par contre, un amortissement est possible, et c’est ce que nous démontrons.

Nous avons une CSPE pivot, autrement dit un moment à partir duquel tous les kilowattheures produits par nos systèmes font baisser le coût de la CSPE. Mais pour cela, il faut avoir amorti le système de stockage. C’est pourquoi EDF-SEI juge le stockage trop cher et préfère les STEP, autrement les stockages d’eau, qui mettront quinze ans à arriver… Nous ne sommes pas opposés à ces solutions, mais ce ne sont pas celles que nous pourrons développer à l’international. Or une solution qu’on est capable de vendre en Guadeloupe peut être vendue à Porto Rico, où elle doit être économiquement viable.

M. Victorin Lurel. Comme les éoliennes Vergnet, vendus à Cuba.

M. Hervé La Touche. La défiscalisation a permis à des sociétés comme la mienne d’exister et de se développer à l’international. Il y a, d’un côté, les spéculateurs et, de l’autre, les professionnels de la filière qui ont développé des emplois et du savoir-faire. Il ne faut pas tirer à boulet rouge sur ce genre de mécanisme, dès lors qu’il permet de promouvoir le développement de produits qui ne soient pas uniquement ultramarins, mais applicables à des réseaux électriques du même type dans la zone caribéenne, par exemple. C’est la seule façon de permettre aux entreprises d’être pérennes.

M. Serge Letchimy, rapporteur. EDF n’investit pas suffisamment dans l’innovation, notamment en matière de stockage, pourtant nécessaire au regard du seuil des 30 %. Mais au lieu de privilégier un stockage massif centralisé, on a tout intérêt à préférer le stockage intelligent. Le développement de la voiture électrique, par exemple, suppose la multiplication des sites d’alimentation, et donc des unités de stockage. Il est surprenant que personne ne cherche à pousser EDF dans cette direction et lui laisse bloquer le système à loisir.

M. Hervé La Touche. C’est parce que personne ne lui impose ! Actuellement, le système marche avec la CSPE. Pourquoi changer ?

M. Serge Letchimy, rapporteur. Ne faudrait-il pas imposer à EDF de réserver une part d’investissement pour le stockage ? Sinon, je ne vois pas comment on va s’en sortir.

M. Hervé La Touche. Il faut effectivement le lui imposer. On fait un Grenelle, mais il n’y a personne pour dire où l’on en est. Il faut un pilote. L’attitude d’EDF n’a rien de surprenant : remettre en cause un modèle qui marche depuis trente ans dans les DOM pour prendre des risques en se lançant dans des projets parfois un peu « shadok » comme l’énergie thermique des mers, n’a rien de naturel, sauf si l’on se contente d’investir à la marge. Certes, EDF-SEI est un gros promoteur de la maîtrise de l’énergie, dans le domaine des chauffe-eau solaires par exemple, mais pas sur de gros sujets comme les nôtres. Il faut donc le lui imposer.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Vous avez parlé du bâti et de la maîtrise de l’énergie.

M. Hervé La Touche. C’est ce qui crée des emplois.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Que pensez-vous des propositions de la ministre sur l’aide fiscale et le prêt à taux zéro ? Avez-vous des propositions complémentaires pour le bâti – bureaux, commerces, entreprises, habitations ?

M. Victorin Lurel. Vous demandez un plan d’urgence sans attendre la loi. De quoi s’agit-il ?

M. Hervé La Touche. Il s’agit de la prime à l’autoconsommation sur les moins de 100 kW dans le bâtiment.

M. Jean-Louis Bal. C’est une question centrale pour le photovoltaïque. L’autoconsommation consiste à consommer l’essentiel de sa production de façon à limiter le prélèvement sur le système électrique et, à l’inverse, à lui venir en soutien. Il est primordial de lancer ce concept très rapidement dans les DOM.

Hervé La Touche a rappelé que les premiers développements des énergies renouvelables dans les années quatre-vingt-dix ont permis aux entreprises de rayonner à l’international. La même opportunité se présente avec l’autoconsommation, notamment avec stockage de l’énergie. Cela coûtera un peu plus cher au début que ce que peut permettre le financement par la CSPE, mais cet investissement rapportera assez rapidement au niveau du système électrique Et surtout, il va nous permettre de relancer des activités industrielles exportatrices. L’autoconsommation se développe dans le monde entier, notamment dans les îles des Caraïbes, à portée de nos entreprises domiennes. Pour ce faire, nous demandons ce tarif sur lequel nos discussions ont été plutôt positives avec les services des ministères et d’EDF. Nous attendons maintenant une décision.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Le stockage maison par maison est-il possible ?

M. Jean-Louis Bal. Plutôt bâtiment par bâtiment. Il faudrait commencer par les bâtiments tertiaires.

M. Hervé La Touche. La priorité est le tertiaire.

M. Jean-Louis Bal. Les situations sont extrêmement diverses d’une région à l’autre. En Guadeloupe et Martinique, il est préférable d’avoir du stockage très décentralisé, mais décentralisé au niveau des bâtiments tertiaires. Dans les régions bien pourvues en eau et en reliefs, le mieux sera le stockage centralisé sur de l’hydraulique. Aujourd’hui, le stockage le plus efficace est sur l’eau.

M. Hervé La Touche. Il faut quinze ans pour concevoir un stockage sur l’eau.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Qu’appelez-vous stockage sur l’eau ?

M. Jean-Louis Bal. Les barrages hydrauliques, pour commencer.

Ensuite, les projets en Guadeloupe et à La Réunion de création de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), qui consistent à pomper l’eau de mer dans un réservoir situé le plus haut possible, 300 mètres minimum lorsqu’on a de l’énergie en excédent, et à turbiner l’eau stockée lorsque la demande devient plus forte que la production. C’est le stockage le plus efficace, mais la construction d’une STEP nécessite du temps. Les Espagnols viennent d’en construire une aux Canaries, sur l’île de El Hierro, devenue aujourd’hui autonome en énergie grâce à l’éolien, le photovoltaïque et cette station de pompage.

Dans le bâtiment, il faudrait plutôt faire appel au stockage électrochimique, sur lequel les technologies évoluent très rapidement, notamment avec le lithium-ion. Comme pour le photovoltaïque, plus le déploiement pré-commercial sera important, plus les prix chuteront rapidement.

Il faut lancer ces technologies dans les DOM, mais sans idée préconçue sur le niveau de décentralisation du stockage – quartier, bâtiment tertiaire, habitation individuelle. Car aujourd’hui, personne n’est capable de dire quel sera le niveau optimum, sans compter qu’il ne sera pas le même à La Réunion et en Guyane.

M. Bernard Lesterlin. L’outre-mer est un kaléidoscope au regard de la diversité des situations géographiques, climatologiques, démographiques. La Polynésie française est un territoire vaste comme l’Europe où vivent 260 000 personnes ; à l’opposé, Mayotte compte pratiquement autant d’habitants sur 376 kilomètres carrés.

La nécessité d’investir dans la recherche-développement a été rappelée par notre président. Dans ce domaine, le problème de l’outre-mer n’est-il pas celui de l’étroitesse du marché, voire de l’existence de situations de monopole de production ?

Les Réunionnais ont fait de gros efforts pour la diversification des sources d’énergie ; Madagascar n’est pas loin. En Guyane, pays en plein développement démographique et économique, la production hydroélectrique garantit une sécurité énergétique sans être véritablement destructrice d’espaces. Quant aux Antilles, Serge Letchimy et Victorien Lurel sont mieux placés que moi pour en parler. Quelle est la voie selon vous pour un investissement dans les nouvelles technologies avec une optique régionale ? Si la taille des marchés outre-mer peut être dissuasive à l’investissement dans la recherche sans aide publique, l’exportation de technologies conçues par des entreprises ou des laboratoires dans ces territoires sur l’ensemble de la zone peut l’encourager.

M. Hervé La Touche. À l’époque où les dispositifs de défiscalisation permettaient au marché local d’être très demandeur, notre groupe, qui représente environ 35 % du marché du solaire dans l’outre-mer, consacrait 10 % de son chiffre d’affaires au déploiement à l’international. Lorsque votre activité est pérenne et vous permet de dégager des marges, vous investissez.

Aujourd’hui, le marché qui correspond à la niche des réseaux ultramarins représente environ 250 millions de personnes, soit cent fois plus que le nombre d’habitants des départements d’outre-mer. Il y a donc des choses à faire !

Avec un marché local, vous pouvez lancer des projets – ce que nous avons fait au Brésil, en Bolivie, au Pérou. Mais s’il n’y a plus de marché local, il devient extrêmement compliqué d’être forts à l’international. Des groupes savent le faire, des métiers sont particulièrement adaptés ; le nôtre est particulier. Les acteurs français puissants à l’international et sans marché national sont très peu nombreux.

Quant à la R&D, il faut être réaliste. Nous nous sommes bornés à faire des adaptations techniques et économiques des produits développés en Europe : cela relève de la recherche appliquée. La mise au point d’un produit prend tout au plus deux ou trois ans ; il n’y a pas besoin d’y réfléchir pendant quinze ou vingt ans. Dans ces conditions, un petit marché peut être suffisant – c’est ce que nous essayons de recréer avec le dispositif que nous demandons en urgence – et permettre d’aller à Porto Rico, à Trinidad, et d’y proposer un copier-coller de ce que vous avez fait chez vous. Actuellement, trois ou quatre entreprises domiennes – qui représentent une quarantaine d’ingénieurs ou de cadres qui savent travailler à l’international – réussissent à vivre en se déployant sur ces marchés très spécifiques, ces marchés de niche dans lesquels la France a un rôle à jouer, sachant que nous n’avons pas pris le grand train du marché mondial, contrairement aux Allemands, aux Chinois, aux Américains et aux Japonais.

M. Jean-Louis Bal. Le marché mondial des énergies renouvelables est littéralement en train d’exploser. Chaque jour dans le monde, 250 mégawatts d’éolien et de photovoltaïque sont installés, ce qui représente l’équivalent d’un EPR par semaine… Cela est notamment dû à l’excellent niveau de rentabilité et de compétitivité – qui va continuer à s’améliorer – qu’ont désormais atteint ces énergies renouvelables par rapport à celui des énergies fossiles. Dans certains pays, le niveau de rentabilité de la production éolienne et photovoltaïque permet même une rentabilité des systèmes avec stockage.

Pour autant, ce développement est encore embryonnaire au niveau mondial. D’où l’intérêt de développer un savoir-faire dans les DOM, d’améliorer nos technologies et les performances des entreprises françaises. Les marchés italien et asiatique vont s’ouvrir. Le développement de nos savoir-faire sur ces technologies d’autoconsommation avec stockage nous offrira de réelles opportunités sur le marché mondial, et pas seulement dans les îles des Caraïbes.

M. Serge Letchimy, rapporteur. N’oublions pas pour autant la réalité du contexte de l’outre-mer : à côté de chez nous, il n’y a pas que Sainte-Lucie… Le Brésil, avec 200 millions d’habitants, est à deux heures de vol. Nos régions sont membres de l’Association des États de la Caraïbe, de l’OICS, de CARICOM, de l’ASEPAL. Les Mexicains nous demandent de venir, car ils sont eux aussi très demandeurs de solutions énergétiques autonomes. La Martinique, la Guadeloupe et la Guyane pourraient être des terres d’excellence à l’exportation. On oublie trop souvent que nous avons un bassin naturel et que, par l'intermédiaire des Brésiliens, nous pourrions parfaitement exporter notre savoir-faire vers l’Italie et la France via des joint-ventures qui nous permettront d’optimiser les coûts. C’est en ce sens que ce texte est fondamental pour l’outre-mer. Cessons de le regarder par le petit bout de la lorgnette ! « Un jour la nature nous redonnera la main », a dit le poète. C’est ce qu’elle est en train de faire !

Je vous remercie, messieurs, de nous avoir permis de terminer sur cette note très positive.

Audition de Mme Laurence Hézard et M. Jean Jouzel, membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE), rapporteurs, respectivement au nom de la section des activités économiques et au nom de la section de l’environnement, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 2188)

Compte rendu de l’audition du jeudi 11 septembre 2014

M. Serge Letchimy, rapporteur. J’ai le plaisir d’accueillir M. Jean Jouzel et Mme Laurence Hézard, membres du Conseil économique, social et environnemental, rapporteurs sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. 

Le projet de loi sur la transition énergétique intéresse la Délégation aux outre-mer à trois titres. Il s’agit d’abord de s’interroger sur la manière dont l’outre-mer peut s’inscrire dans la lutte contre les gaz à effet de serre et le changement climatique, essentielle pour la préservation de l’humanité.

Cela implique, ensuite, de réfléchir aux évolutions sociétales qui doivent accompagner la transition énergétique. Si, jusqu’à présent, les régions ultramarines ont eu assez peu prise sur leur développement énergétique, nous avons le sentiment, pour paraphraser Aimé Césaire, chez qui l’on sait l’importance de la dimension écologique dans son appréhension de l’homme, que la nature nous redonne la main. Encore faut-il saisir cette main de la façon la plus intelligente et la plus équitable possible. C’est ce à quoi nous nous sommes efforcés à travers les lois Grenelle I et Grenelle II, les conférences environnementales et, aujourd’hui, cette loi sur la transition écologique, dont l’ambition est de préserver l’équilibre entre l’homme et la nature.

Nous devons enfin nous demander comment les sociétés d’outre-mer peuvent saisir cette chance en la traduisant par un nouveau modèle de développement économique qui partage la croissance entre tous. Au-delà des enjeux techniques qu’elle implique, la transition énergétique se pose pour l’outre-mer, compte tenu de la spécificité de nos territoires, en termes de gouvernance, et il est impératif d’imaginer dans les bassins transfrontaliers, en Martinique, en Polynésie ou à La Réunion, un nouveau modèle de gouvernance, même si je suis conscient que l’on m’opposera d’emblée des obstacles financiers, législatifs, réglementaires ou institutionnels.

Il s’agit d’un énorme défi pour nos économies très dépendantes, le plus souvent assises, du fait de leur passé d’anciens comptoirs, sur les services et l’administration. Pourtant, après avoir lu La troisième révolution industrielle de Jeremy Rifkin, je suis persuadé qu’il existe des stratégies de développement industriel horizontales permettant d’en finir avec l’organisation verticale des économies pétrolières. La récente visite de Mme Ségolène Royal en Martinique me conforte d’ailleurs dans cette idée.

Comment, de votre côté, concevriez-vous l’implication de l’outre-mer dans la transition énergétique ? Doit-on parler de laboratoire, sachant que, si le terme me convient, il faut prendre garde aux rapports de force qu’il peut sous-entendre ? Pour ce qui me concerne, l’expression « laboratoire de développement » me paraîtrait préférable, dans la mesure où elle évoque davantage l’idée d’une dynamique locale.

M. Jean Jouzel, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteur, au nom de la section de l’environnement, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Nous nous sommes appuyés pour rendre notre avis sur le rapport que j’ai co-écrit avec Catherine Tissot-Colle sur la transition énergétique, le rapport d’Anne de Bethencourt et Jackie Chorin sur les économies d’énergie, et le rapport enfin de Patrick Galenon, dont le titre « Les énergies renouvelables outre-mer : laboratoire pour notre avenir » dit bien la pertinence pour ce qui nous réunit aujourd’hui.

Le projet de loi sur la transition énergétique est important à différents titres. Je pense comme vous que c’est une chance pour les Outre-mer, où les questions d’autonomie énergétique, de sécurité de l’approvisionnement, d’emploi et de compétitivité se posent avec plus d’acuité encore que dans l’hexagone. Quant au réchauffement climatique, le rapport que j’ai remis à Mme Ségolène Royal sur les scénarios envisageables pour la France à l’horizon 2100 consacre plusieurs pages à ses implications particulières en outre-mer, où se pose également le problème, plus spécifique, de l’acidification des océans.

Je regrette, cela étant, le manque d’ambition européenne de cette loi. Il n’existe guère de véritable politique européenne de l’énergie, et nous appelons de nos vœux une politique plus dynamique en la matière, à laquelle vos territoires auraient tout à gagner.

Très attaché à la recherche et à l’innovation, j’aime la notion de laboratoire. Il reste en effet beaucoup à faire en matière de stockage de l’énergie, mais l’objectif de parvenir, à l’horizon 2020, à 50% d’énergies renouvelables à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, et à 30% à Mayotte, doit nous inciter à multiplier les innovations à grande échelle dans ce domaine.

Mme Laurence Hézard, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure, au nom de la section des activités économiques, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Nous retenons avant tout de ce projet de loi la dynamique concrète impulsée par les propositions qu’il contient. Le CESE se soucie toutefois que les objectifs et les actions à engager fassent l’objet d’une hiérarchisation : si certaines propositions peuvent être mises en œuvre immédiatement, d’autres doivent faire l’objet d’un travail plus approfondi.

Si ce projet de loi permet à tous les acteurs, au niveau national comme au niveau territorial, d’être responsabilisés, chacun voyant ses marges de manœuvre clairement définies pour mieux s’approprier l’ensemble des dispositifs et les mettre en œuvre en fonction de son environnement, il aura créé une belle dynamique. Pour autant, nous avons identifié un certain nombre de points qui méritent d’être précisés.

La notion de performance énergétique des bâtiments est intéressante. Elle permet de mobiliser l’ensemble des personnes concernées, du maître d’ouvrage et du maître d’œuvre aux occupants des bâtiments. Cela implique néanmoins, si l’on veut véritablement réduire l’impact des gaz à effet de serre, de réaliser des économies d’énergie et de maîtriser la facture énergétique, de définir des objectifs qui permettent de prendre les bonnes décisions en termes de matériaux et d’organisation de l’habitat. Les mesures proposées sont intéressantes, leur financement – tiers investisseur, ou implication des collectivités locales – reste à préciser. De même, on ne voit pas très bien ce qui peut inciter aujourd’hui un propriétaire à réaliser des travaux de rénovation, qui exigent souvent de lourds investissements. La question du retour sur investissement demeure un vrai point d’interrogation.

Le problème de la précarité a retenu notre attention. Force est de constater que nombre de personnes en situation précaire habitent dans des logements énergivores, ce qui exige de mettre en place, en amont, des solutions permettant de leur proposer un habitat moins consommateur en énergie. Si le « chèque énergie » trouve sa place dans les dispositifs d’aide aux familles en difficulté, il n’a pour autant pas vocation à financer des travaux de rénovation de l’habitat. Il doit par ailleurs s’accompagner de mesures qui ne relèvent pas de la loi mais de l’action des services publics de proximité, ciblée vers la recherche de solutions individuelles.

Nous notons que le transport fait l’objet du titre III du projet de loi. Les mesures proposées ne nous satisfont pas pleinement, car nous considérons que la solution du tout-électrique n’est pas celle qui doit être retenue. Il faut rester ouvert à des solutions adaptées aux différents usages et aux différents environnements. Il existe aujourd’hui d’autres carburants – le gaz naturel pour véhicules, le GPL – et des moteurs hybrides. Ne les excluons pas, tout en poursuivant les recherches sur les biocarburants de deuxième génération.

Pour maintenir la dynamique de la filière automobile, il est essentiel d’organiser la cohérence entre les objectifs, la réglementation et les incitations fiscales. Cela permettra aux constructeurs automobiles de continuer à travailler sur la réduction de la consommation du nombre de litres par kilomètres mais aussi sur la diminution des gaz à effet de serre et des particules.

Si l’on veut atteindre l’objectif de 32% d’énergies renouvelables en 2030, il est nécessaire de faire évoluer les dispositifs de soutien et de régulation, et de mettre en place un pilotage qui prenne en compte la maturité qu’ont atteinte certaines technologies permettant d’ores et déjà de produire de l’électricité à un coût intéressant. Dans cette optique, nous préconisons d’accroître la transparence et la lisibilité de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). La création d’un organisme chargé du pilotage de la CSPE nous paraît à ce titre une bonne mesure. Nous soutenons par ailleurs l’idée qu’il faut simplifier les procédures, bien plus lourdes chez nous que dans d’autres pays, que ce soit au plan administratif ou technique : construire des éoliennes ou des installations photovoltaïques est une bonne chose, mais encore faut-il pouvoir acheminer l’électricité jusqu’au consommateur. D’où l’importance d’appréhender les projets dans leur globalité.

En matière de nucléaire, les membres du CESE expriment, comme l’ensemble de la société civile, des positions contrastées. Unanimes sur la question de la sûreté des centrales actuelles, nous sommes partagés sur la définition du bon mix énergétique, étant entendu que, au-delà des positions de principe défendues par chacun, nous ne disposons pas des éléments nous permettant de privilégier un scénario plutôt qu’un autre. Il faut, pour cela, clarifier pour chaque énergie son coût total, ce qui inclut son coût environnemental, mais également son coût en termes de traitement des déchets, de gestion du risque, de bilan carbone, d’emploi et de formation. Il est indispensable également de pouvoir évaluer l’impact de chaque scénario sur la facture du consommateur.

Ce projet de loi doit être l’occasion de responsabiliser chacun, du décisionnaire – à chacun des niveaux qui émergeront de la future loi sur les territoires – au citoyen. La transition énergétique ne pourra s’accomplir avec succès que si elle implique tous les acteurs, les entreprises comme les ménages, les uns et les autres ayant à repenser leurs modes de consommation, en se tournant, le cas échéant, vers des énergies de proximité.

Nous avons jeté un œil attentif et parfois critique sur le dispositif de pilotage proposé dans la loi. Un nombre important d’organismes sont créés ; il est important de clarifier leurs rôles respectifs et leurs interactions, comme il est important de clarifier quels sont les organismes existants qui seront supprimés. Mieux vaut être exemplaires que redondants si l’on veut créer une dynamique positive.

Une programmation pluriannuelle sur cinq ans dessinant une trajectoire énergétique est une bonne chose. Il importe néanmoins de conserver des marges de manœuvre, pour pouvoir s’adapter, le cas échéant, aux évolutions économiques et géopolitiques. Nous devons nous en tenir à des objectifs peu nombreux mais mobilisateurs, et envisager des points d’étape qui permettent d’évaluer, sous forme de bilans, l’efficacité des actions retenues aux niveaux local, régional, ou national. C’est important pour installer la confiance et enclencher une dynamique qui se traduise par des résultats positifs.

En ce qui concerne le développement des Outre-mer, nous nous sommes beaucoup appuyés sur le rapport de notre collègue Patrick Galenon, à qui nous avons emprunté le terme de laboratoire. C’est pour nous un terme très positif dans la mesure où il évoque l’innovation, mais je comprends qu’il puisse avoir des connotations négatives, et sans doute faudra-t-il le préciser. Cette perspective, quoi qu’il en soit, ne peut être envisagée sans que s’opère un véritable transfert de compétences. Les Outre-mer doivent pouvoir saisir cette chance d’un nouveau développement industriel qui peut faire de vos territoires des modèles à suivre pour les zones non-interconnectées.

Le dispositif de la CSPE doit faire l’objet d’une clarification, je n’y reviens pas.

L’émergence d’un nouveau secteur énergétique et industriel dans les zones non-interconnectées aura naturellement un impact, pour l’heure difficile à évaluer en termes d’emploi. Il implique des efforts dans le domaine des compétences et de la formation, ainsi que la mise en place d’un pilotage qui assure la coordination entre les solutions développées localement et la politique énergétique conduite dans l’hexagone.

La recherche enfin doit s’attacher à explorer l’ensemble des technologies possibles.

J’en termine avec ces quelques réflexions, plusieurs de nos recommandations, notamment en matière de gouvernance, ayant d’ores et déjà été prises en compte dans la nouvelle rédaction du projet de loi.

Mme Maina Sage. Les territoires d’outre-mer doivent sortir de la rivalité et développer des stratégies complémentaires en matière de recherche et d’innovation. C’est particulièrement vrai pour les grands projets – SWAC ou OTEC. Compte tenu de ce qu’il en coûtera pour transformer ces projets de recherche en solutions réelles, adaptables à l’ensemble du territoire français, il est indispensable d’élaborer, en marge de ce projet de loi, une véritable politique de développement et d’innovation dans les territoires d’outre-mer, qui sont les lieux les plus propices pour accueillir des projets de cette envergure.

La notion de laboratoire est à double tranchant. Elle a une résonance particulière en Polynésie française, qui fut le laboratoire des essais nucléaires français, et peut être en effet mal perçue : en d’autres termes, nous ne voulons pas être transformés en « rats » de laboratoire. Nous sommes néanmoins conscients qu’il y a là une chance de faire évoluer nos relations avec l’État central : qu’après avoir fait de la Polynésie française le laboratoire d’expérimentations très polluantes l’État apporte son soutien à la reconversion de notre territoire dans le domaine des énergies renouvelables n’est pas seulement une nécessité économique, cela constituerait également à nos yeux une forme de réparation symbolique.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Tout le monde aura compris les sentiments ambivalents que nous inspire la notion de laboratoire.

Mme Huguette Bello. Un quart seulement du potentiel que représente la canne à sucre dans nos territoires est actuellement exploité. Alors que le monde agricole s’émeut de la fin des subventions françaises et européennes en 2017, nous devons prendre conscience de ce gisement qui se chiffre en milliards de dollars, la canne pouvant servir à la fabrication des bioplastiques ou des biocarburants. La France semble ignorer la richesse de ses territoires ultramarins, qui en font pourtant la deuxième puissance maritime et qui sont un réservoir d’énergies renouvelables, qu’il s’agisse de l’énergie marine, géothermique ou éolienne, sachant que La Réunion est désormais inscrite au patrimoine mondial de l’humanité et qu’il ne s’agit pas de développer l’éolien au détriment de la beauté de nos paysages, primordiale pour notre activité touristique.

M. Serge Letchimy, rapporteur. J’ajoute que la loi doit être l’occasion de relancer le débat sur le tarif de rachat de la bagasse aux planteurs.

Des avancées considérables ont été réalisées dans les territoires ultramarins en matière d’énergies renouvelables. Toute la question aujourd’hui est de transformer ces expérimentations en dynamique de développement industriel. Nous nous y emploierons à travers des amendements au projet de loi. Nous devons notamment lever l’obstacle que constitue la limitation à 30% du taux d’énergies renouvelables intermittentes injecté dans le réseau électrique d’EDF, qui limite notre capacité à développer ces énergies, alors que les énergies non intermittentes – SWAC ou ETM – relèvent encore de procédés extrêmement coûteux.

Se pose aussi la question du transfert de la CSPE vers le financement de la politique de développement des énergies renouvelables. La diminution de la consommation d’énergies fossiles allégeant la facture de la CSPE, il serait normal de réinjecter les sommes économisées dans le financement d’énergies renouvelables permettant d’atteindre un mix énergétique le plus complet possible.

Je ne comprends pas, par ailleurs, que la Polynésie ne bénéficie pas de la CSPE. C’est une question de solidarité, et le fait que les territoires ultramarins relèvent de statuts différents n’est pas une réponse satisfaisante, puisque la CSPE s’applique à Saint-Pierre-et-Miquelon qui relève, comme la Polynésie française, de l’article 74 de la Constitution.

L’habilitation à légiférer ou à réglementer conférée par l’article 73 aux collectivités d’outre-mer – à l’exception de La Réunion – ne vaut pas transfert de compétences et interdit la mise en place dans ces territoires d’une véritable gouvernance qui permette le développement d’actions pérennes, par exemple dans le domaine de l’emploi ou de la formation, susceptibles de porter la transition énergétique. C’est ainsi que, du fait des réticences de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à intégrer la biomasse parmi les énergies renouvelables, des usines sont bloquées en Guadeloupe et en Martinique, alors qu’elles représentent un investissement de 180 millions d’euros et pourraient produire 20 mégawatts d’énergie stable.

Un mot enfin sur l’interconnectivité. Certes, nous sommes en zone non-interconnectée par rapport à l’hexagone, puisqu’à des milliers de kilomètres ; mais pourquoi ne pas envisager l’interconnectivité à l’échelle régionale, c’est-à-dire en imaginant de se raccorder à des réseaux transfrontaliers ? Cela a bien sûr un coût, mais c’est le seul moyen pour nous d’assurer notre indépendance grâce à un bon mix énergétique.

Le problème, c’est que les structures-mères comme EDF sont à la fois juge et partie dans l’arbitrage entre énergies renouvelables et énergies fossiles. Cela génère des conflits d’intérêt particulièrement importants outre-mer. C’est ainsi qu’EDF a renoncé à un projet de centrale géothermique à la Dominique pour des questions de rentabilité de l’investissement, alors même que cette centrale constituait pour la Martinique une solution extrêmement pérenne en matière d’énergie renouvelable.

Notre politique en matière d’énergies renouvelables doit s’inscrire dans des stratégies régionales pour mettre un terme à des situations aussi ridicules que celle qui conduit La Réunion à devoir exporter ses déchets vers l’hexagone pour les recycler, en étant financée par le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI). Les bassins régionaux constituent un formidable potentiel de croissance si l’on y ancre des filières de développement économiques axées autour de la fabrication d’énergie renouvelable à partir du retraitement des déchets.

Mme Laurence Hézard. Notre rapport indique bien que tous les projets de méthanisation qui se développent de plus en plus constituent des solutions très intéressantes en matière d’utilisation des déchets ménagers et agricoles. On ne peut s’en priver même s’ils requièrent de la part de ceux qui les conduisent une énergie abyssale pour être menés à bien – j’insiste ici sur le fait qu’un effort de simplification réglementaire est absolument nécessaire. La méthanisation permet de nombreuses innovations. Elle participe de l’économie circulaire, apporte des solutions au problème des déchets ; elle est responsabilisante et permet notamment la production de biométhane carburant. C’est une piste d’autant plus intéressante que l’on est désormais au-delà du stade expérimental.

Pour ce qui concerne le transfert de compétences, il doit concerner non seulement les prises de décision mais aussi tout ce qui ressort à l’aide à la décision. Dans les zones non-interconnectées comme dans les zones connectées, l’intercommunalité nous apparaît comme l’échelon adapté à ce transfert de compétences, d’une part parce que les collectivités locales n’ont pas aujourd’hui les moyens matériels de développer seules des projets énergétiques, d’autre part parce que ces derniers ont un impact territorial qui dépasse souvent le niveau de la commune. En bref, il faut, selon nous, regrouper et rationaliser les compétences au niveau où seront prises les décisions – dans un cadre naturellement défini au niveau national – et où s’effectueront le suivi de leur mise en œuvre et le retour d’expérience.

Je n’ajouterai rien sur la CSPE car, au-delà des positions de principes que nous avons pu énoncer, le CESE n’a pas l’expertise requise.

En matière d’ENR, je n’ai pas compris que l’objectif fixé était restrictif pour les zones non-interconnectées…

M. Serge Letchimy, rapporteur. Le taux d’intégration maximum d’ENR au réseau EDF est de 30%, sans que l’on sache sur la base de quels calculs a été établi ce plafond. Il s’agit d’une mesure de sécurisation du réseau qui vise à éviter le black-out, mais qui nous empêche, faute de stockage, de progresser au-delà des 8% d’énergies renouvelables que nous avons déjà atteints dans notre mix énergétique. La question de l’innovation technologique est donc fondamentale, et il y a là un verrou qu’il faut faire sauter si l’on veut préserver la filière.

Mme Laurence Hézard. Notre section travaille actuellement sur la question du stockage et devrait présenter ses conclusions mi-2015.

Mme Maina Sage. 30% de la production électrique polynésienne provient de l’hydroélectricité produite par EDT, filiale polynésienne de GDF Suez. Pour ce qui concerne en revanche les énergies solaires produites individuellement et qui font l’objet d’une obligation de rachat par le groupe EDT, leur pénétration sur le réseau est plafonnée à 5%, là encore pour des raisons invoquées de sécurité. Le taux plafond de 30% est donc à nos yeux un excellent argument pour contraindre EDT à revoir les limites qu’il nous oppose et qui sont aussi intolérables qu’injustifiées.

M. Jean Jouzel. Il me semble que ce plafond de 30% est imposé par EDF, pas par la loi.

M. Serge Letchimy, rapporteur. En effet, mais cela emporte des aspects réglementaires sur lesquels nous souhaiterions revenir.

M. Jean Jouzel. En matière de recherche, de nombreux projets se développent à l’échelle européenne. Je partage votre idée qu’il est important de ne pas mettre en compétition les différents territoires ultramarins.

J’insiste sur l’acidification des océans, conséquence directe du rejet des matières fossiles en mer et qui, à côté des gaz à effet de serre dont on parle davantage, sont pour vos régions une question critique.

J’ai mentionné le rapport de Patrick Galenon consacré aux énergies renouvelables ; la loi doit permettre de débloquer les verrous qui empêchent leur développement. Il est naturel qu’EDF se soucie d’assurer la continuité énergétique mais il ne faut pas perdre de vue les perspectives que dessinent les progrès possibles dans le domaine du stockage, de la méthanisation ou de l’utilisation des déchets. J’espère donc que vous pourrez inscrire dans cette la loi les ouvertures nécessaires pour faire de vos territoires de véritables laboratoires de la transition énergétique.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Il me reste à vous remercier de votre visite et de vos interventions.

Audition de M. Éric Brac de La Perrière, directeur général de la société Eco-emballages, organisme pilote du dispositif national concernant le tri et le recyclage des emballages ménagers dans l’hexagone et dans les départements et régions d’outre-mer, accompagné de Mme Sophie Legay, directrice des opérations régionales, de M. Johann Leconte, directeur des relations avec les élus et les associations, et de Mme Sandrine Jounet, directrice conseil de la société Euros/Agency, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 2188)

Compte rendu de l’audition du jeudi 11 septembre 2014

M. Serge Letchimy, rapporteur. Notre ordre du jour appelle l’audition de M. Éric Brac de La Perrière, directeur général de la société Eco-emballages, organisme pilote du dispositif national concernant le tri et le recyclage des emballages ménagers dans l’hexagone et dans les départements et régions d’outre-mer.

Monsieur le directeur général, quels sont les enjeux en matière de recyclage des emballages ? Quelle est votre approche dans ce domaine et quelles vous paraîtraient être les meilleures adaptations possibles dans le cadre de la loi sur la transition énergétique pour les régions et départements d’outre-mer ?

M. Éric Brac de La Perrière, directeur général de la société Eco-emballages. Notre entreprise est entièrement privée et travaille uniquement en vue de l’intérêt général. Elle résulte d’une innovation politique, sociale et environnementale datant de 1992, consistant à confier aux entreprises mettant sur le marché des produits emballés, la gestion et le financement de la fin de vie des emballages.

L’enjeu est de permettre à tous d’avoir le même droit au tri et une solution simple, proche, peu coûteuse et efficace pour ne pas polluer. Depuis vingt ans, Eco-emballages est très présente dans les DOM-COM. Alors que 34 pays européens ont des éco-organismes comme le nôtre, nous sommes une véritable vigie pour voir ce qui fonctionne. Notre maître-mot est l’efficacité environnementale. Nous sommes constamment dans l’action et l’expérimentation nous permet d’avoir un point de vue assez tranché en la matière.

Nous avons 217 collaborateurs et 650 millions d’euros de chiffre d’affaires venant entièrement des entreprises mettant sur le marché des produits de grande consommation. 96 % de cette somme sont reversés aux collectivités locales chaque année. Nous sommes agréés par l’État tous les six ans. Près de 4 milliards d’euros seront ainsi investis dans les six prochaines années pour le recyclage et créer de l’économie circulaire locale.

Plus de 90 % des déchets d’emballage sont recyclés à la maille nationale. D’autres pays ont fait d’autres choix en envoyant les déchets en Inde ou en Chine, alors que la France a choisi une option courageuse, consistant à créer un maillage de petites entreprises et de grands groupes internationaux recyclant les déchets sur place.

C’est un enjeu majeur pour les DOM-COM de s’appuyer sur une économie circulaire, sans avoir au bout de la circularité un transport apportant de la valeur ajoutée ailleurs.

Aujourd’hui, 90 % de la population ultramarine est couverte par un pourvoi apporté par Eco-emballages et les collectivités.

Nous avons un dispositif financé par notre société reposant sur des contrats avec des collectivités locales, qui mettent en œuvre avec nos financements toute une série d’actions pour réaliser le recyclage – de l’information à l’éco-éducation, à la collecte et au tri jusqu’au recyclage proprement dit.

Mais à Mayotte et en Guyane, les collectivités nous ont demandé de pourvoir à leur place au dispositif de collecte et de tri, sachant que dans un délai de six à douze ans, nous leur en redonnerons la gestion. Pour Mayotte notamment, nous avons décidé de ne pas attendre que toute la mise en place d’infrastructures et institutionnelle soit effective pour agir. Nous nous retrouvons donc en tant que donneur d’ordre vis-à-vis d’infrastructures, d’associations ou d’entreprises. Nous avons ainsi 100 000 personnes dans ce département, soit la moitié de la population, couvertes par un dispositif de tri. En outre, nous avons choisi une formule expérimentale de collecte séparée par flux du verre, du plastique et des métaux pour éviter un centre de tri.

En 2013, nous avons recyclé 27 000 tonnes dans les DOM-COM. Ce montant est en croissance mais ne représente que 21 % de taux de recyclage, contre 67 % dans l’hexagone, soit 16 kilos par habitant et par an, contre 46 kilos en moyenne en France.

Nous avons versé, depuis 2001, 40 millions d’euros à cet effet. J’ai pris la décision de doubler nos financements lors du dernier barème, il y a trois ans, pour essayer de relancer l’information, la communication, la collecte, le tri et le recyclage.

Cette augmentation était conditionnée à un accroissement du nombre de tonnes recyclées. Les financements doivent en effet diminuer au fil du temps et être remplacés par un financement lié au tonnage recyclé. Malheureusement, le tonnage escompté n’est pas au rendez-vous et si nous continuons ainsi, nous risquons de voir les financements diminuer. Car Eco-emballages est un système toujours lié à l’efficacité – sachant que le financement de chaque tonne couvre les frais de communication, de la collecte, du tri, du recyclage et du transport.

Nous avons travaillé avec les services de l’État, les associations et les élus pour faire en sorte qu’on ne paye plus tout de suite 100 tonnes et que, petit à petit, des financements réglés d’avance soient remplacés par des financements payés sur facture de recyclage. On ne peut donc pas dire que cela a marché ou n’a pas marché.

Nous nous interrogeons pour savoir comment relancer le dispositif, notamment en Guadeloupe et en Martinique, où l’on est à 8 kilos par an et par habitant, contre plus de 20 kilos à la Réunion. En Guyane, nous démarrons, avec du pourvoi et de la collecte sélective classique, et nous venons de lancer le recyclage du verre à Saint-Pierre-et-Miquelon, où les résultats dépasseraient ceux de l’hexagone.

Nous avons également installé dans ces deux dernières collectivités et sur cinq sites dans les DOM-COM des systèmes nous permettant de recycler localement le verre notamment, grâce à un broyeur à verre. Le verre broyé est réinjecté dans diverses applications comme les sous-couches routières ou des filtres à piscine. À La Réunion, au contraire, les 7 000 tonnes de verre recyclées sont transportées en Afrique du Sud.

Nous sommes inquiets sur la capacité de beaucoup de collectivités à passer à une véritable économie circulaire. Comme on n’arrive pas à massifier les matériaux, on ne peut créer les industries locales permettant de « faire tourner la machine ».

Ainsi, en Martinique, environ 1000 tonnes de PET sont récupérées, servant par exemple à fabriquer des bouteilles d’eau en plastique. Or une usine a la capacité de récupérer ce PET et de fabriquer des préformes de bouteilles avec. Mais elle ne peut aujourd’hui fonctionner avec les bouteilles d’eau consommées par les Martiniquais et elle est obligée d’importer du plastique de l’hexagone, du Mexique ou d’Haïti.

Pour moi, cela ne peut durer : un investissement a été financé notamment par l’Europe et la région, avec à la clé 5 emplois effectifs et 30 potentiels. Or le gisement de bouteilles n’est pas assez collecté et trié pour nourrir cette usine locale. Si cela continue ainsi, elle ne pourra pas fonctionner.

De même, nous avons en Guadeloupe des perspectives de récupérer le carton pour faire des litières pour l’industrie volaillère. Mais les granulés utilisés en sous-couche, qui valent entre 800 et 1 000 euros la tonne, sont importés alors qu’on pourrait les produire localement pour un coût de 300 à 500 euros la tonne. Nous avons donc lancé un appel à projet pour évaluer ce dispositif. Si cela marchait, les Martiniquais et les Guadeloupéens sauraient que leurs gestes de tri créent de l’industrie et de l’emploi.

Je rappelle que le geste de tri est le premier geste environnemental des Français, mais ils se posent deux questions à cet égard : les déchets sont-ils recyclés ? Combien cela coûte-t-il ? Avoir des réponses locales à ces questions me paraît essentiel pour le développement de l’économie circulaire dans les DOM-COM.

Après trois ans d’expérimentation de ce dispositif de surfinancement, nous avons décidé d’investir encore. Conscients des difficultés rencontrées par les collectivités, nous avons proposé à l’État d’élaborer un plan de relance, que ce soit dans les DOM-COM ou dans l’hexagone.

Nous souhaitons investir davantage dans les villes car on y trie deux fois moins que dans les zones pavillonnaires ou les campagnes. Nous avons en outre décidé d’investir 4 millions d’euros de plus sur deux ans dans des moyens de collecte et de sensibilisation dans les DOM-COM, où toutes les collectivités ont la possibilité de répondre à notre appel à projet. Dans l’hexagone au contraire, nous avons ciblé des collectivités ayant de faibles performances pour ne pas saupoudrer les financements. Des villes du sud arrivent en effet à obtenir entre 3 et 5 euros par an et par habitant contre 17 euros dans des villes de l’ouest.

Dès qu’on entre dans un processus d’optimisation et de récupération de plus de tonnage, la rémunération de la collectivité devient exponentielle. Si, dans l’hexagone, nous souhaitons que les collectivités soient davantage aidées à cette fin, nous lierons les financements à des actions précises et efficaces. Tel est le but de notre plan de relance de la collecte sur les territoires.

Dans les DOM-COM, nous souhaitons aussi faire, parallèlement avec les collectivités, des expérimentations concernant d’autres acteurs futurs de la collecte – laquelle doit prioritairement être accrue. Nous voulons également développer des appels à projet concernant le secteur de la distribution ou des associations, quelles qu’elles soient.

Le geste de tri permet de développer la citoyenneté. Toutes nos études montrent que lorsque quelqu’un tri, il ne jette plus de papier par terre. Nous allons donc investir dans des actions de sensibilisation, notamment au travers des associations, et j’espère que les collectivités locales et les autres acteurs répondront à nos appels à projet.

Cela dit, il faut peut-être revoir les dispositifs de collecte dans les DOM-COM. On s’aperçoit que les systèmes d’apport volontaire ne sont pas beaucoup plus performants que les systèmes de porte à porte. Si ces derniers sont nettement plus onéreux, il n’y a pas beaucoup de différence entre les deux en termes de tonnage. Nous essaierons donc de mettre en place des systèmes d’apport volontaire au plus près possible des habitants, avec un container pour 400 habitants. Si on augmentait ce nombre, on risquerait en effet de perdre des consommateurs. Le but d’Eco-emballages est de disposer d’études et de savoir-faire des collectivités locales pour être sûr que ce que l’on va mettre en place sert le consommateur et le citoyen à un coût acceptable, sachant que si on réduit les coûts, la collectivité a moins de charges et si on augmente les tonnes, elle a plus de revenus.

Les quelques secondes que l’on prend à trier déterminent soit une perte d’argent, soit un gain financier, mais aussi du point de vue environnemental, social et de l’emploi. Beaucoup de pays émergents ont d’ailleurs mis en place des systèmes informels de récupération des emballages pour gagner de l’argent. Nous pensons qu’avec les élus des DOM-COM, la collecte sélective peut devenir le socle de l’économie circulaire.

S’agissant du projet de loi, concernant le titre IV, nous souhaitons faire partager notre approche dans les DOM-COM et avancer des propositions. Je crois beaucoup au développement d’une économie circulaire indépendante, confiée à des entrepreneurs, dans laquelle la création de nouveaux matériaux sert à l’industrie locale.

Au sujet de l’article 19, nous sommes tout à fait favorables à des objectifs de valorisation de matière, qui aideront les collectivités à atteindre l’objectif de 75 % de recyclage des emballages, de même qu’à l’objectif de réduction des quantités mises en décharge. La mise en décharge n’apporte pas aujourd’hui de solution durable et le geste de tri développant l’éducation à l’environnement et à la citoyenneté est cohérent avec les objectifs politiques des DOM-COM.

Nous sommes aussi entièrement favorables à la création de combustibles de récupération – le dispositif SCR nous permettrait d’avoir un accès à l’énergie – ainsi qu’à l’objectif national de 15 millions d’habitants pour la tarification incitative, car cela développe le geste de tri et contribue à revoir les dispositifs de collecte. On a en effet beaucoup de mal à voir s’appliquer cette tarification prévue par la loi.

En outre, nous sommes pour des dispositifs de consigne, à partir du moment où ils sont étudiés et où ils ont un résultat positif pour l’environnement et la récupération des tonnes. Alors que la consigne marche très bien en Allemagne avec, par exemple, les fabricants de bière locale, si, en France, le système de consigne conduit les transporteurs à produire des tonnes de CO2, il ne sert à rien.

Si nous sommes favorables au principe de proximité, il faut être conscient qu’il ne pourra pas y avoir de recyclage des métaux dans les DOM-COM, faute d’aciérie sur leur sol – ce qui suppose de trouver une solution ad hoc par territoire. Ce principe doit aussi tenir compte de l’atteinte des objectifs de tonnage pour que les industries puissent être pérennes.

Je crois beaucoup que les DOM-COM développeront des systèmes propres de recyclage, mais pas des solutions toutes faites venant de l’hexagone. L’installation de très gros centres de tri dans les DOM-COM coûterait ainsi très cher en investissement et en opérations alors que des infrastructures plus petites permettraient de mieux répondre aux besoins locaux. Il faut mettre en place des dispositifs et des infrastructures ayant un rendement suffisant, que les habitants puissent constater.

Quant à l’article 21, nous n’avons pas bien compris son contenu.

Nous avons lancé sept appels à projet dans les DOM-COM pour faire du recyclage local à partir d’une étude réalisée dans tous les pays émergents pour essayer de cerner les possibilités de recyclage simples, sans gros investissements.

S’agissant de la prévention, je rappelle que le rôle d’Eco-emballages est la promotion du geste de tri et la réduction des erreurs de tri, qui coûtent 50 millions d’euros par an. Mais la prévention dans la consommation n’est pas dans nos responsabilités.

En conclusion, nous souhaitons ouvrir la collecte à tous les acteurs locaux – collectivités, associations ou entreprises. Nous avons quatre emplois à temps plein et cinq personnes à mi-temps travaillant dans les DOM-COM : nous y sommes donc fortement implantés et voulons nous y développer. La clé de la réussite du tri dans ces collectivités repose sur l’implication des élus, qui en général ne le regrettent pas, car les habitants s’intéressent beaucoup à ces sujets.

Nous avons d’ailleurs un partenariat avec l’éducation nationale couvrant 11 000 écoles, avec des journaux tirés à 350 000 exemplaires sur le tri. Les demandes sont très importantes dans ce domaine et nous avons même créé un jeu pour les classes.

Il est en outre important de bien transmettre les bonnes pratiques pour réussir le tri sélectif et l’économie circulaire, car elles existent dans les DOM-COM. Cela peut permettre une forte augmentation des financements d’Eco-emballages et des autres éco-organismes et une nette réduction des coûts.

Nous sommes volontaires pour encadrer et former vos ambassadeurs de tri.

Quant à la radio, elle constitue un média efficace sur les questions d’environnement, plus que la télévision. De même, il vaut mieux développer l’apport volontaire que le porte à porte, celui-ci ne devant être retenu que si on est sûr qu’il permet d’augmenter les tonnages. Avec un maillage de conteneurs d’apport volontaire qui n’excède pas 400 à 600 habitants, et un apport volontaire géré, suivi, collecté et propre.

Il est certain que, si l’apport volontaire se résume à créer une mini-déchetterie, voire une mini-décharge, autour du conteneur d’apport volontaire, et que cela n’est pas nettoyé, l’habitant ne s’y rendra plus car il sera dégoûté ; il se dira que son geste de tri salit, alors même que c’est, en principe, un geste propre. Il est donc très important, une fois les infrastructures en place, que leur entretien soit assuré. Cela repose sur les consignes données aux organisations : elles sont fondamentales dans les DOM-COM.

Le tri et la collecte, dans ces territoires, doivent être sanctuarisés comme quelque chose dont les gens soient fiers. Le Costa Rica est un pays émergent tout à fait étonnant qui a décidé de considérer le tri et la collecte comme un élément parmi les plus forts de son attraction touristique ; ces gestes y sont vraiment mis en valeur. C’est un état d’esprit, une culture que nous souhaitons développer avec vous. Il y a déjà de très bons résultats, et je crois que ce que vous allez faire avec l’économie circulaire est fondamental. Le sujet de l’économie circulaire est très précis, pragmatique et direct dès lors qu’il est lié à la collecte sélective ; ce ne sont pas de grandes idées, mais quelque chose de très concret, et je vous engage à adopter, avec Éco-emballages comme partenaire, un agenda court : dans certains cas, en moins de dix-huit mois on peut bâtir des solutions qui prouvent que l’économie circulaire est efficace dans les DOM-COM.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Nos performances sont relativement faibles en matière de recyclage alors que pratiquement toute la Martinique est couverte en collecte : la collecte est prise en charge, par les communautés d’agglomération, de manière de plus en plus régulière. Nous sommes passés au stade du tri sélectif, alors qu’il n’y avait auparavant que la collecte pure et simple. Nous avons mis en place des bornes, qui sont rapidement devenues très sales, avec beaucoup d’amoncellements, et nous avons donc engagé le tri sélectif à domicile ; c’est actuellement ce que pratiquent la plupart des communautés. Nous sommes également allés vers le tri avec déchetterie. Les campagnes de sensibilisation existent. Nous menons en outre un gros travail sur l’élimination des décharges où tout est jeté sans distinction.

Compte tenu de tout cela, il est surprenant que nos résultats soient trois fois inférieurs aux résultats nationaux. Ne devons-nous pas aussi faire l’inventaire des outils intermédiaires, communication, sensibilisation… ? Vous avez pris l’exemple du verre : il conviendrait de dresser un inventaire détaillé permettant d’élaborer un plan d’action au niveau du territoire et pas seulement de la communauté, car cette dernière échelle poserait un problème d’efficacité. Notre raisonnement est celui de l’économie circulaire : au bout de la chaîne, c’est elle que nous souhaitons privilégier. Nous pouvons trouver un axe qui donne tout son poids à une stratégie d’économie circulaire au-delà de la simple élimination des déchets. Or le raisonnement « économie circulaire » n’existe pas vraiment ; ce qui existe, ce sont des interrogations sur la manière de rendre le tri plus performant, un raisonnement comptable plutôt qu’un raisonnement de stratégie économique. Peut-être conviendrait-il d’introduire dans la loi un amendement sur des plans d’action régionaux de l’économie circulaire.

Ensuite, vous n’avez pas du tout évoqué le problème des interconnexions. Vous avez parlé de massification, mais si celle-ci n’a lieu que sur un seul territoire, cela ne va pas. Il faut que cela se passe entre territoires : Mayotte-Réunion, Martinique-Guadeloupe, et mieux encore Martinique-Guadeloupe-Sainte-Lucie-Dominique, Martinique-Guadeloupe-Mexique. Réexporter en Europe présente un coût écologique, un coût POSEI car le Programme d'options spécifiques à l’éloignement et l’insularité finance… Puisqu’il est ridicule de réexporter à Paris, il serait intéressant de développer des marchés mutualisables, avec, bien sûr, une réglementation adaptée ; aujourd’hui, eu égard aux questions de conformité entre règles du tri à Sainte-Lucie et en Martinique, par exemple, nous n’y sommes pas encore.

Mme Huguette Bello. Il s’agit d’un problème éminemment politique, dans le sens noble du terme, car cela concerne, comme vous l’avez dit, la vie de la cité. À vous entendre, je comprends aussi que vous n’êtes pas partisan de l’incinérateur mais plutôt du tri sélectif.

Il s’agit, de même, d’un problème fondamental d’éducation. Notre société consumériste doit prendre conscience qu’elle risque d’être submergée de déchets, et que pour l’éviter il faut éduquer. Les enfants, à l’école, sont de merveilleux communicants. Quand j’étais maire, j’ai conduit des expériences dans des écoles, qui ont reçu un label. Beaucoup de choses ont été accomplies à La Réunion, qui compte deux stations performantes, celle de Sainte-Suzanne et celle de Saint-Pierre. Mais il reste encore beaucoup à faire pour éveiller l’esprit citoyen.

Les îles, que ce soit la Polynésie ou les Caraïbes, comptent fortement sur l’industrie du tourisme. Comment faire vivre le tourisme si la saleté est partout, si, à 3 069 mètres au sommet de notre fameux Piton des neiges, il faut aller ramasser les ordures en hélicoptère parce que les randonneurs n’ont pas la conscience de rapporter leurs saletés ? Autour des bornes à verre, faute d’un ramassage conséquent, les ordures s’entassent. Dans la zone ouest de La Réunion, le ramassage est devenu moins fréquent, et le résultat est affreux.

Des personnes ont commencé à mettre en place ce que l’on appelle des « ressourceries », où l’on reprend les tissus. Je regrette qu’il n’existe pas de bornes pour les piles. En Hollande, on a donné des poules aux gens pour qu’elles mangent les pelures d’oignon, on a placé des composteurs là où il y a des jardins. Je souhaiterais davantage de projets de cette nature. Tout a un coût mais de telles initiatives, ressourceries, transformation des déchets – avec les bouchons de bouteille on peut fabriquer des fauteuils roulants –, créent aussi, comme vous l’avez dit, des emplois. Il convient donc, vous avez raison, d’informer les gens sur les suites du tri. Je comprends que vous alliez voir dans les poubelles comment les gens ont trié leurs déchets. Dans nos pays sinistrés par le chômage, cette filière crée de l’emploi.

On ne peut pas ne pas s’intéresser aux conséquences de notre société d’hyperconsommation. On a souvent parlé de la « France moche », avec les grands supermarchés, et pensons de même à toutes les forêts abattues pour faire du papier. Quant à la mer, elle est polluée par des quantités de plastiques, qui tuent les bêtes, d’ailleurs. On sait aussi que certains produits sont trop emballés : on ne peut plus acheter un yaourt, ou plutôt on le pourrait mais on ne le sait pas, et on achète tout un paquet. Il est indispensable de transformer.

Nos concitoyens sont sensibles à ces questions, car ils n’aiment pas la saleté. Néanmoins, ils produisent de la saleté. Ils n’aiment pas que ce soit sale mais ils ne trient pas. Il faut éveiller la conscience de tout un chacun au respect de l’environnement. Je suis donc très contente de vous entendre. Il faudrait que vous veniez aussi chez nous pour que les élus vous entendent. Il faut véritablement mettre en place une éducation à l’environnement, au tri. La quantité de choses que nous jetons est monstrueuse. Il y a énormément de progrès à faire.

M. Stéphane Claireaux. Saint-Pierre-et-Miquelon est au cœur de l’actualité en ce qui concerne le tri puisque Éco-emballages et d’autres éco-organismes organisent une mission chez nous toute cette semaine. Nous faisons face à plusieurs difficultés : la rigidité du contexte réglementaire, qui ne tient pas compte de l’environnement régional, l’éloignement de l’hexagone, ainsi que l’existence d’effets de seuil puisque nous sommes la plus petite collectivité, avec 6 000 habitants. Les difficultés de la Martinique avec la massification ont été évoquées : elles sont encore plus criantes chez nous. Tous ces organismes doivent faire preuve de pragmatisme et d’innovation.

J’entends bien la nécessité du traitement local. Dans mon territoire, la question du verre est en bonne voie, mais pour les déchets tels que les huiles usagées, les piles, les plastiques, nous sommes obligés de partir à l’export. Le pays le plus proche, le Canada, n’accepte pas nos plastiques parce que ses normes sont différentes.

M. Johann Leconte, directeur des relations avec les élus et les associations. Je peux apporter un éclairage sur ce point. À Saint-Pierre-et-Miquelon, il peut être plus simple d’envoyer les tonnes à recycler sur le territoire hexagonal que de les porter à quarante kilomètres, sur le territoire canadien, ce qui est tout de même un paradoxe environnemental. La loi française autorise le transfert de déchets mais avec de multiples contraintes. Une balle de bouteilles en plastique triées a le statut de déchet ; il est difficile de l’exporter ailleurs que dans un pays européen. De son côté, le Canada impose des contraintes sanitaires qui empêchent quasi totalement l’importation de bouteilles de lait vides, par exemple, des bouteilles qui, au passage, ont probablement été exportées par le Canada pour être consommées à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il faudrait donc voir comment de tels échanges pourraient être facilités, dès lors qu’il s’agit de déchets non à détruire mais à introduire dans un circuit industriel de production.

Mme Sophie Legay, directrice des opérations régionales de la société Éco-emballages. Je comprends votre étonnement, monsieur le président, sur le fait que les résultats ne soient pas au rendez-vous alors que tout est en place. Pour parler clairement, les poubelles, en Martinique, sont en place. Il reste en revanche un gros travail de sensibilisation à conduire, ce qui passe notamment par la formation et l’encadrement des ambassadeurs du tri. Mme la ministre, la semaine dernière, en a rencontré plusieurs de votre territoire et je pense que cela les a motivés. Les enjeux des ambassadeurs du tri sont les mêmes chez vous que dans l’hexagone. Les effectifs sont en poste depuis de nombreuses années. Ce n’est pas un métier facile. C’est l’habitant qui détient le moyen d’optimiser le dispositif que vous avez mis en place.

Pour le verre, le nombre de conteneurs en Martinique est encore insuffisant. C’est la question cruciale du maillage. Les gens sont prêts à porter leur verre au bout de la rue mais nos études indiquent qu’au-delà de 350 mètres ils ne le font plus. Je vous rejoins sur la notion de plan d’action et de diagnostic territorial : il faut, à l’échelle de chaque territoire, communal, intercommunal et départemental, regarder ce qui manque. Avec le plan d’amélioration de la collecte et les 4 millions que nous souhaitons investir après deux ans, c’est bien ce que nous vous proposons de financer : un travail avec les services de vos collectivités locales pour examiner sur le terrain les nécessités en équipement.

Les grands axes sont donc les suivants : optimiser les moyens, par de la sensibilisation, afin que l’habitant trie mieux, et donner du sens au geste de tri. Quand les gens comprendront que, lorsqu’ils trient leur verre, en Martinique, celui-ci, après le passage au broyeur, sert à rénover les routes et crée, notamment pour la gestion du broyeur, de l’emploi local, en Martinique, les résultats seront au rendez-vous. Les élus ont évidemment un grand rôle à jouer. Il faut motiver les gens par du concret, et le concret ce n’est pas « je trie pour la planète » mais « je trie pour chez moi ».

M. Serge Letchimy, rapporteur. Je ne veux pas donner le sentiment que l’outre-mer serait sale. Des efforts considérables ont été déployés. Les dépôts sauvages, que l’on trouvait partout il y a une dizaine d’années, ont disparu. Les véhicules hors d’usage (VHU) laissés le long des routes sont bien moins nombreux que par le passé, même si l’on en trouve encore beaucoup sur les parcelles privées. Nous préparons un amendement à la loi sur la transition énergétique pour interdire le dépôt de VHU sur ces parcelles.

Il y a néanmoins des enjeux plus structurels, et c’est pour répondre à ces enjeux que je souhaite proposer pour la Martinique un contrat de projet, comportant un diagnostic, cofinancé par la région et le département, sur la question du tri en tant que filière économique complète.

S’agissant des VHU, encore, nous ramasserons des voitures toute notre vie. L’outre-mer est très importateur de voitures. Or, les concessionnaires ne sont nullement intéressés par les questions de la fin de vie des véhicules, ni pour le ramassage des VHU – ce sont les collectivités qui paient pour retirer les carcasses le long des routes – ni pour la filière de traitement. Il faut régler ce problème. Quel est le blocage ? Il faudrait sans doute organiser le circuit de manière à s’approprier collectivement la filière.

La question de l’équivalence des normes, en matière de santé ou d’environnement, est cruciale dans les bassins transfrontaliers. On peut parfaitement parvenir à des dynamiques avec les autres pays, comme le Canada, mais la réglementation souvent l’empêche. Quel est l’outil qui permettra de parvenir à des équivalences ?

Je pense qu’il faut un inventaire complet des outils permettant d’industrialiser le déchet en tant que filière énergétique. Vous avez parlé de l’outil créé sur le plastique en Martinique. La région a contribué à son financement. Quelle est l’importance du marché ? La présence d’un dépôt de tri alimente-t-elle les capacités à trouver des produits locaux ? Au moment où le projet a été présenté, il était basé sur la filière locale, car il n’était pas question pour nous d’importer des déchets de l’extérieur ; nous l’avons clairement dit quand nous avons accepté de financer le projet.

Vous avez également évoqué la consigne. Quand j’étais tout jeune, on consignait certains produits. Ne faut-il pas en effet combiner plusieurs approches ?

Je me demande même s’il ne faudrait pas introduire, à côté de l’incitation, un élément de sanction. En Belgique, quand la personne chargée de retirer les ordures observe que l’habitant n’a pas respecté l’affectation des bacs, elle ne lui prend pas ses bacs. Ceux-ci restent devant la maison de l’habitant en faute pendant des jours. Je suis prêt à défendre un amendement en ce sens.

J’ai été président de la Communauté d’agglomération du centre de la Martinique (CACEM), où nous avons mené un travail considérable d’installation de bacs, et, en tant que maire, j’ai fait construire quatre déchetteries dans l’agglomération de Fort-de-France. Je suis même allé jusqu’à « frauder ». Comme je voulais éliminer les dépôts sauvages et que je n’avais pas de moyens financiers, j’ai annoncé à la télévision que je ferais placer trente caméras : j’en ai acheté une et j’ai fait construire vingt-neuf leurres. J’ai fait une déclaration en dénonçant, très clairement, les personnes indélicates qui avaient jeté un lit sur la voie publique et en avertissant qu’un tel geste serait sanctionné de 2 700 euros d’amende, les caméras étant installées. Il n’y a plus eu de dépôt sauvage au bout d’une semaine. Il faut intégrer un volet de sanctions, prévoir des amendes.

M. Éric Brac de la Perrière. Quand les élus s’y mettent, quand simplement même ils en parlent, cela ne reste pas sans effet. Dans certaines très grandes villes françaises, voire dans la plus grande d’entre elles, de tels propos n’ont malheureusement pas été tenus depuis huit ou dix ans.

Le sujet de l’expérimentation ou des prototypes pourrait peut-être entrer également dans la loi. Dans les Caraïbes, on pourrait très bien, au lieu de parler de déchet, parler de « produit issu de la consommation », de PIC, et nous pourrions tenter une expérimentation pour massifier entre la Guadeloupe, la Martinique et Haïti, où il existe des centaines de milliers de tonnes. Si vous faites cela, vous ouvrez, d’un coup, un agenda. Les bons sentiments, c’est bien, mais je ne fonctionne qu’à l’agenda. Nous sommes prêts à vous appuyer, en nous rendant dans les îles pour conduire une expérimentation.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Je pense qu’une expérimentation large, au titre de la loi, sur l’interconnectivité énergétique pourrait être lancée. Une expérimentation régionale peut également être demandée et conduite. Faites-nous des propositions. Quel plan d’investissement pour un traitement complet de la filière ? Que manque-t-il pour que le traitement se fasse de A à Z ? Nous mènerons la stratégie de communication et de sensibilisation, y compris à l’école, mais présentez-nous des propositions sur le caractère nocif pour la santé et l’environnement du non-traitement des déchets, ainsi que sur les surcoûts concrets, avec l’existence de sanctions.

Nous avons besoin d’une gouvernance et d’un plan d’action. L’implication des EPCI dans la gouvernance politique de la transition énergétique est une bonne chose, mais il ne faut pas oublier que ces établissements segmentent le territoire : si chacun des quatre EPCI de Martinique mène sa transition énergétique, je ne sais pas où cela peut conduire. Une cohérence est nécessaire. Les EPCI sont directement responsables des déchets mais, s’il n’existe pas de cadre régional du recyclage et de l’économie circulaire, il ne peut y avoir de pilotage ni d’évaluation conséquente.

J’ai mis en place les ambassadeurs du tri au sein de la CACEM. Ils sont démunis, car ils ne peuvent sanctionner les mauvais comportements. Ils ne font que parler et, comme ils n’ont aucune autorité, bientôt plus personne ne les écoutera. Cela fait trois ans que j’attends que le tribunal permette aux ambassadeurs du tri de verbaliser. Pour l’instant, il faut passer par la police municipale. Quand un ambassadeur du tri voit quelqu’un jeter ses détritus, il est obligé d’aller chercher le maire : un mois passe, c’est trop tard. Je ne suis pas un policier de l’environnement, mais je pense qu’il faut allier sensibilisation et sanction.

En ce qui concerne l’expérimentation, je vous écrirai au sujet d’une convention-cadre avec la région. J’en parlerai à Victorin Lurel, pour lui demander s’il ne veut pas faire de même. Nous serions ainsi deux territoires d’expérimentation.

M. Stéphane Claireaux. Sur le traitement local des déchets et la réglementation, je peux citer un cas très parlant. À Saint-Pierre-et-Miquelon, une association d’adultes handicapés prévoyait d’acheter une machine pour traiter le carton et en faire des bûches combustibles afin de les revendre. Or, il est interdit de revendre un déchet. Ainsi, quand une solution s’est présentée pour traiter localement du carton, l’opération n’a pu aboutir car on n’a pas le droit de vendre des déchets.

M. Johann Leconte. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) y a en effet mis des barrières, alors que l’on aurait pu imaginer qu’elle accepte de faire preuve d’un peu de souplesse.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Il faut introduire un amendement sur le statut du déchet. À quel moment le déchet doit-il être considéré comme déchet, à quel moment devient-il énergie ? La DREAL est un frein d’État au développement local, dans tous les domaines. La souplesse est parfaitement justifiée, et nécessaire, dans certains cas.

Mme Sophie Legay. Compte tenu de ce qui a été dit sur l’effet d’échelle et l’absence de débouchés locaux en outre-mer, il serait probablement justifié de créer des exceptions pour ces territoires quant au statut des déchets.

M. Éric Brac de la Perrière. Une expérimentation temporaire serait préférable.

Mme Sophie Legay. Les lois prévoient souvent des exceptions.

M. Serge Letchimy, rapporteur. L’idée d’expérimentation avec la région, peut-être dans deux régions, peut permettre de faire avancer celle d’exception. Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour vos interventions.

1 () Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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