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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 septembre 2014.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

sur le coût de la fermeture anticipée de réacteurs nucléaires : l’exemple de Fessenheim

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Marc GOUA et Hervé MARITON

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE DU RAPPORT 7

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : VERS DES FERMETURES ANTICIPÉES DE CENTRALES NUCLÉAIRES POUR UN MOTIF DE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE 11

I. LA DIMINUTION DE LA PART DU NUCLÉAIRE DANS LE MIX ÉLECTRIQUE CONDUIRAIT À LA FERMETURE ANTICIPÉE D’UNE VINGTAINE DE RÉACTEURS 12

1. La réalisation de l’objectif de 50 % de production d’électricité d’origine nucléaire pour 2025 impliquerait la fermeture de deux réacteurs chaque année 12

2. L’avenir du parc nucléaire pourrait davantage s’inscrire dans le cadre d’une politique énergétique permettant le prolongement de son exploitation au-delà de 40 voire 50 ans 13

II. LE PROJET DE LOI RELATIF À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE POUR LA CROISSANCE VERTE MODIFIE LE CADRE JURIDIQUE DE FERMETURE D’UNE CENTRALE NUCLÉAIRE 14

1. La loi ne fixe aucune durée de vie maximale à une centrale mais vise à garantir le plus haut niveau de fiabilité et de sûreté du parc nucléaire de manière permanente 15

2. La décision de fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim relève de la loi 15

3. Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte renforce significativement les instruments de pilotage des capacités de production nucléaire 16

III. AUCUNE RAISON TECHNIQUE NE CONDUIT À PRIVILÉGIER LE CHOIX DU SITE DE LA CENTRALE DE FESSENHEIM POUR UNE FERMETURE 17

1. La centrale de Fessenheim contribue significativement à la production électrique décarbonée française 18

2. La fermeture de Fessenheim au motif de son ancienneté n’aurait qu’un aspect symbolique puisque la centrale n’a jamais été aussi sûre 19

3. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a autorisé le fonctionnement des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim pour dix années supplémentaires 20

4. Les investissements prescrits par l’ASN et réalisés par l’exploitant sur les deux réacteurs garantissent le plus haut niveau de sûreté 21

SECONDE PARTIE : LES COÛTS DE LA FERMETURE ANTICIPÉE D’UNE CENTRALE NUCLÉAIRE : FESSENHEIM OU LA PREMIÈRE D’UNE SÉRIE 23

I. LA DÉCISION D’UNE FERMETURE ANTICIPÉE DE LA CENTRALE NUCLÉAIRE AURA UN COÛT POUR LA COLLECTIVITÉ ET UN IMPACT NON NÉGLIGEABLE SUR L’EMPLOI 23

1. La fermeture de la centrale aurait un impact immédiat sur près de 2 000 emplois et sur les revenus de 5 000 personnes dans la région 24

2. Les finances locales de la commune de Fessenheim et de la communauté de communes de l’essor du Rhin (CCER) seraient gravement touchées 25

3. Des investissements sur l’infrastructure électrique par Réseau de transport d’électricité (RTE) seront nécessaires pour assurer l’approvisionnement en électricité de l’Alsace 27

4. La fermeture pourrait avoir un impact négatif sur la balance commerciale française 29

5. Une dégradation potentielle de l’image de marque de l’industrie nucléaire française 29

6. Une augmentation du risque perçu aurait pour conséquence de renchérir le coût des investissements dans l’industrie nucléaire 30

II. LE MANQUE À GAGNER POUR L’EXPLOITANT ISSU DE LA FERMETURE ANTICIPÉE RENDRA NÉCESSAIRE UNE INDEMNISATION PAR L’ÉTAT 30

A. LA DÉCISION DE FERMETURE ANTICIPÉE INDUIT UN MANQUE À GAGNER POUR L’EXPLOITANT 31

1. L’évaluation du manque à gagner annuel pour l’exploitant nécessite une évaluation des gains et des coûts de la centrale sur la période 31

a. Les différents scénarios prennent en compte une augmentation dans le temps du prix de vente de l’électricité sur les marchés 31

b. Les coûts de production augmenteraient progressivement en raison d’une hausse du coût des entrants et des dépenses de maintenance 33

c. L’évaluation du manque à gagner annuel doit prendre en compte le montant de la production annuel de la centrale 37

d. D’importants investissements de maintenance doivent être réalisés 37

e. Synthèse graphique des différents scénarios de manque à gagner annuel de la centrale 39

2. Le choix de la durée de référence est essentiel à l’évaluation du montant total du manque à gagner pour l’exploitant sur l’ensemble de la période 41

B. LE MANQUE À GAGNER POUR L’EXPLOITANT SERT DE BASE DE CALCUL POUR DÉTERMINER LE MONTANT DE L’INDEMNISATION QUE L’ÉTAT DEVRA VERSER 42

1. Le principe juridique d’une indemnisation est hautement probable puisque la décision de fermeture anticipée induit un préjudice anormal et spécial pour l’exploitant 42

a. Le juge administratif considère que l’État est responsable des préjudices anormaux et spéciaux qu’il cause du fait des lois 42

b. La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim constituerait un préjudice indemnisable pour Électricité de France (EDF) 44

2. Le montant de l’indemnisation que l’État devra verser s’établirait, sur la base du scénario médian retenu, à environ 4 milliards d’euros 45

C. SYNTHÈSE DES DIFFÉRENTS SCÉNARIOS, MANQUE À GAGNER DE L’EXPLOITANT ET INDEMNITÉS À VERSER 47

CONCLUSION 49

EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION 51

ANNEXE – LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS SPÉCIAUX 63

SYNTHÈSE DU RAPPORT

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte engage la France dans un processus de fermetures anticipées de centrales nucléaires pour un motif de politique énergétique recherchant la diversification de nos capacités de production électrique.

Il renforce significativement les instruments de pilotage des capacités de production nucléaire par la mise en place d’un plafonnement à son niveau actuel de notre capacité de production nucléaire, et par l’application d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) dont l’objectif est de réduire la part de nucléaire dans le mix électrique de 75 % à 50 % à l’horizon 2025.

Ces processus vont occasionner un coût important pour la collectivité puisque le plafonnement conduirait de facto à la fermeture de Fessenheim – selon l’engagement pris par le Président de la République – lors du raccordement de l’EPR de Flamanville 3 en 2016, tandis que la PPE impliquerait la fermeture de plusieurs réacteurs nucléaires dans les dix prochaines années.

En effet, sur la base des scenarios formulés par Réseau de transport d’électricité (RTE) sur les consommations électriques futures, la PPE pourrait conduire à la fermeture d’une vingtaine de réacteurs nucléaires dans l’hypothèse où la consommation électrique resterait constante. Ces fermetures seraient évitées dans l’hypothèse d’une forte augmentation de la consommation d’électricité.

Le rapport examine, par hypothèse, les conséquences financières et économiques de la fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim, seule annoncée au cours de cette législature. Il convient néanmoins de souligner que cette fermeture n’est pas prévue par le projet de loi, qui laisse à l’exploitant la responsabilité du choix des réacteurs à fermer.

Les conséquences économiques et financières d’une telle fermeture anticipée peuvent être évaluées à 5 milliards d’euros. Ce montant inclut non seulement l’indemnisation de l’exploitant, mais aussi les impacts sur le territoire, sur l’emploi, sur les finances des collectivités locales concernées, sur le réseau électrique, sur la balance commerciale, et sur l’image de l’industrie nucléaire.

L’essentiel du coût pour l’État serait lié à la nécessité d’indemniser l’exploitant du manque à gagner constitué par la perte de chance certaine de pouvoir poursuivre l’exploitation de la centrale jusqu’en 2040.

En droit, la perte de chance est évaluée et chiffrée sous la forme d’un pourcentage qui représente un degré de probabilité. La perte de chance d’obtenir l’autorisation d’exploiter la centrale de Fessenheim jusqu’en 2040 a été évaluée par les rapporteurs à 85 % dans le cas d’une prolongation de la durée d’exploitation jusqu’à 60 ans. Ce chiffrage assez haut paraît hautement crédible quand on sait que les centrales américaines, de même conception, ont d’ores et déjà obtenu l’autorisation d’être exploitées durant soixante années.

Scénario médian des rapporteurs : une indemnité d’environ 4 milliards d’euros sur la base des hypothèses d’une exploitation pendant 60 ans et d’une chance d’obtenir l’autorisation d’exploiter estimée à 85 %.

Rentabilité annuelle moyenne de la centrale de Fessenheim : environ 200 millions d’euros.

Rentabilité sur la période 2017-2040 : 4,7 milliards d’euros.

Chance d’obtenir l’autorisation d’exploiter la centrale jusqu’en 2040 : 85 %.

Montant de l’indemnité : 85 % de 4,7 milliards d’euros, soit environ 4 milliards d’euros.

La question se pose dès lors de savoir si la politique énergétique proposée par le Gouvernement justifie de supporter un tel coût dans le contexte contraint des finances publiques.

INTRODUCTION

L’Assemblée nationale va examiner le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte à compter du 1er octobre 2014. Le projet de loi renforce significativement les instruments de pilotage des capacités de production nucléaire. Il prévoit la mise en place d’un plafonnement à son niveau actuel de notre capacité de production nucléaire. Il crée également une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) dont l’objectif est de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique de 75 % à 50 % à l’horizon 2025.

La mise en œuvre de ces deux instruments de pilotage de la capacité de production nucléaire va occasionner un coût important pour la collectivité : le plafonnement conduirait de facto à la fermeture de deux réacteurs lors du raccordement de l’EPR de Flamanville 3 en 2016, tandis que la PPE impliquerait la probable fermeture de plusieurs réacteurs dans les dix prochaines années.

En effet, sur la base des scenarios formulés par Réseau de transport d’électricité (RTE) sur les consommations électriques futures, la PPE pourrait conduire à la fermeture d’une vingtaine de réacteurs nucléaires dans l’hypothèse où la consommation électrique resterait constante. Ces fermetures seraient évitées dans l’hypothèse d’une forte augmentation de la consommation d’électricité.

Les rapporteurs spéciaux en charge du budget « Énergie, Climat et Après-mines » et « Prévention des risques et conduite et pilotage des politiques de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer » ont jugé utile d’éclairer le débat parlementaire en recherchant le coût pour la collectivité de la fermeture anticipée d’une centrale nucléaire – par hypothèse, selon l’engagement pris par le Président de la République, celle de Fessenheim.

L’intention des rapporteurs spéciaux n’est évidemment pas de réduire le débat sur le nucléaire aux seuls aspects financiers. Chacun admet que la détermination d’une politique énergétique doit tenir compte de nombreux facteurs, notamment des aspects environnementaux ou de diversification des capacités de production.

À l’inverse, il serait curieux d’écarter a priori l’argument financier du débat public. Les rapporteurs spéciaux estiment que les aspects budgétaires doivent être présents dans le débat parlementaire, afin que la loi puisse être votée en connaissant son coût pour l’État et la collectivité, et donc pour le contribuable.

Or, à l’occasion de leur travail, les rapporteurs spéciaux ont constaté les réticences tant du Gouvernement que de l’exploitant à procéder au chiffrage du coût d’une fermeture anticipée d’une centrale nucléaire. L’étude d’impact du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ne procède, sur ce point, à aucun chiffrage. De même, à ce jour, la société Électricité de France (EDF) s’est refusée à chiffrer le montant des indemnités qu’elle serait susceptible de revendiquer devant les juridictions administratives.

Les rapporteurs spéciaux ont donc auditionné l’ensemble des acteurs concernés, les principaux représentants du secteur, ainsi que des professionnels du droit et de l’économie pour les aider dans leur tâche. Ils ont visité, en présence du président de la Commission des finances, la centrale nucléaire de Fessenheim et y ont rencontré les organisations syndicales ainsi que les élus locaux.

Grâce à l’ensemble des informations recueillies, les rapporteurs spéciaux sont en mesure de fournir à la représentation nationale une série d’éléments objectifs qui viendront utilement compléter l’étude d’impact du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

PREMIÈRE PARTIE : VERS DES FERMETURES ANTICIPÉES DE CENTRALES NUCLÉAIRES POUR UN MOTIF DE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE

Dans l’état actuel du droit, ni le pouvoir politique, ni le régulateur représenté par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ne peuvent décider de la fermeture d’une centrale nucléaire pour un motif de politique énergétique. Seul l’exploitant, pour un motif de stratégie industrielle, ou l’ASN, pour un motif de sûreté nucléaire, peuvent décider d’une telle fermeture.

Le Président de la République a pris deux séries d’engagements qui ouvrent un nouveau processus de fermetures anticipées de centrales nucléaires pour un motif de politique énergétique et de diversification de nos capacités de production électrique. Il a tout d’abord annoncé la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim le 14 septembre 2012 lors de la conférence environnementale. Il s’est par ailleurs engagé en faveur d’une réduction progressive de la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 % à 50 % à l’horizon 2025.

La volonté du Président de la République de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim et de réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique nécessite donc une modification du cadre juridique de fermetures des centrales nucléaires.

C’est la raison pour laquelle, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit d’orienter la stratégie industrielle de l’exploitant en imposant un plafonnement de la capacité de production nucléaire en France à son niveau actuel, tout en précisant que la part de l’énergie nucléaire dans la production électrique passera de 75 % à 50 % à l’horizon 2025.

Pour respecter ces dispositions, l’exploitant sera contraint d’une part, de fermer les surplus de capacité de production d’origine nucléaire, d’autre part, de respecter les nouveaux objectifs de politique énergétique. Le projet de loi conduirait ainsi à la fermeture d’une vingtaine de réacteurs nucléaires d’ici 2025 si la consommation électrique se maintient à son niveau actuel. À l’inverse, dans l’hypothèse d’une augmentation de la consommation d’électricité pour les prochaines années, il serait également possible qu’un tel scénario ne conduise à aucune fermeture supplémentaire de réacteurs.

Le projet de loi ne contraint néanmoins pas l’exploitant à fermer spécifiquement la centrale de Fessenheim : il laisse à ce dernier l’opportunité du choix des réacteurs à fermer pour respecter le plafond global de production.

I. LA DIMINUTION DE LA PART DU NUCLÉAIRE DANS LE MIX ÉLECTRIQUE CONDUIRAIT À LA FERMETURE ANTICIPÉE D’UNE VINGTAINE DE RÉACTEURS

Une décision doit aujourd’hui être prise entre différents objectifs de politique énergétique : soit la diminution de la part du nucléaire dans le mix électrique – comme le propose le projet de loi relatif à la transition énergétique ; soit la prolongation de la durée de fonctionnement du parc existant afin de prolonger le bénéfice de la rente nucléaire – comme le suggèrent les rapporteurs.

1. La réalisation de l’objectif de 50 % de production d’électricité d’origine nucléaire pour 2025 impliquerait la fermeture de deux réacteurs chaque année

La réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité est juridiquement transposée à l’article 1er du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte qui dispose que « la politique énergétique nationale a pour objectifs (…) de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 ».

Aujourd’hui, le mix de production électrique français est globalement composé à 75 % d’énergie nucléaire et à 15 % d’énergies renouvelables. L’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 % à 50 % à l’horizon 2025 conduirait inexorablement, dans l’hypothèse d’une stagnation de la consommation d’électricité pour les prochaines années, à la fermeture de près d’une vingtaine de réacteurs en moins de dix ans, soit près de deux chaque année. Le scénario D « Nouveau mix » de Réseau de transport d’électricité (RTE) prend l’hypothèse d’une diversification des modes de production et d’une stagnation de la consommation d’électricité. Dans ce cadre, RTE anticipe une baisse de près de 37 % de la production nucléaire pour 2030, soit un ratio du nucléaire dans le mix de production de 50 %. Un tel scénario conduirait à la fermeture d’une vingtaine de réacteurs.

À l’inverse, dans l’hypothèse d’une augmentation de la consommation d’électricité pour les prochaines années, il serait également possible qu’un tel objectif de politique énergétique ne conduise à aucune fermeture supplémentaire de réacteurs. Le scénario B « Consommation forte » de RTE prend l’hypothèse d’une diversification des modes de production et d’une augmentation sensible de la consommation d’électricité. Dans ce cadre, RTE anticipe un maintien, voire une légère augmentation, des capacités de production nucléaire. Un tel scénario n’impliquerait aucune fermeture supplémentaire de réacteurs.

Les différents scénarios d’évolution du mix électrique par RTE

Réseau de transport d’électricité (RTE) a présenté dans son bilan prévisionnel 2014 plusieurs scénarios de mix électriques à l’horizon 2019 qui tiennent compte des incertitudes économiques et politiques sur l’évolution de l’équilibre offre-demande.

Les différents scénarios présentés par RTE prévoient une évolution de la demande d’électricité en 2030 entre 447,8 TWh et 545,8 TWh (contre 493,4 TWh en 2013).

Les hypothèses retenues du côté de l’offre prennent également en compte l’arrêt des deux groupes les plus anciens (Fessenheim) avant fin 2016, soit une réduction de la puissance installée de 1 760 MW. La production de la filière nucléaire baisserait temporairement avec la fermeture de Fessenheim avant de remonter progressivement avec l’arrivée de Flamanville 3. Aussi, la production du parc disponible devrait passer de 403,8 TWh en 2013 à entre 254,0 TWh et 423,2 TWh en 2030, soit entre 70 % à 50 % du mix de production.

Ainsi, sous certaines hypothèses, le cas de Fessenheim ne serait que le premier d’une série, même si la base juridique de ces fermetures est différente : dans le premier cas, c’est par l’application du plafond de production ; dans le second cas et pour les fermetures suivantes, c’est par la mise en place d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ayant pour objectif la réduction du nucléaire à 50 % du mix électrique.

Les rapporteurs s’interrogent sur l’opportunité de procéder à la fermeture d’une vingtaine de réacteurs d’ici 2025 au regard du montant des indemnisations à verser à l’exploitant, et des incertitudes qui subsistent sur les conséquences économiques et sociales de cette décision, sur la réalité des capacités de production future d’électricité à partir de sources renouvelables, sur la capacité de production électrique pour les hivers 2015-2018, ainsi que sur l’existence d’une filière industrielle organisée pour répondre aux besoins d’un démantèlement aussi massif.

2. L’avenir du parc nucléaire pourrait davantage s’inscrire dans le cadre d’une politique énergétique permettant le prolongement de son exploitation au-delà de 40 voire 50 ans

Plus la durée d’exploitation d’une installation nucléaire est longue, plus l’étalement de l’amortissement abaisse le coût de l’électricité produite sur la période, même si l’allongement de sa durée de vie entraîne un alourdissement progressif de la maintenance et des travaux d’amélioration des équipements.

Par conséquent, la décision de recourir à une fermeture anticipée d’une centrale nucléaire, alors même que cet outil est économiquement rentable et techniquement sûr, constitue indéniablement une destruction de valeur économique non seulement pour l’exploitant, mais aussi pour la collectivité publique. Une telle décision prive la collectivité d’un outil de production d’énergie dont le coût de revient est nettement inférieur à de nombreuses alternatives disponibles sur le marché. Alors que l’utilisation d’un parc nucléaire déjà amorti et produisant une énergie à faible coût constitue indéniablement un vecteur de compétitivité pour notre pays, tout en contribuant grandement aux très faibles niveaux d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France.

À la veille de la Conférence Paris Climat 2015, il convient de rappeler que la filière nucléaire reste la filière la plus compétitive et la moins émettrice de gaz à effet de serre (GES) pour la production d’énergie électrique. Aujourd’hui, le mix électrique français est composé à 75 % d’énergie nucléaire et à 15 % d’énergies renouvelables, soit à 90 % d’énergies non fossiles et non émettrices de GES.

Or, les énergies renouvelables ne semblent pas pouvoir, dans l’état actuel des techniques de production, se substituer massivement à l’énergie nucléaire. L’exemple allemand illustre parfaitement cette situation dans laquelle la fermeture anticipée du parc nucléaire a conduit à une augmentation de la production d’énergie électrique d’origine fossile, et par conséquent à une augmentation des émissions de GES. En France, il serait préférable que l’électricité supplémentaire produite par les énergies renouvelables se substitue en premier lieu aux énergies fossiles, ou s’ajoute à la production électrique pour faire face à la hausse éventuelle de la demande d’électricité.

L’enjeu est dès lors de mettre à niveau le parc actuel pour permettre le prolongement de son exploitation au-delà de 40 voire 50 ans, ce qui nécessite d’importants investissements de rénovation et de sécurisation, pour faire fonctionner certains réacteurs aussi longtemps que l’Autorité de sécurité nucléaire (ASN) les jugera sûrs et que l’exploitant les jugera rentables industriellement. À l’inverse, la production d’énergie renouvelable doit venir à court terme en remplacement des énergies carbonées. Elle pourra remplacer à plus long terme et se substituer de manière plus progressive et cohérente à l’énergie nucléaire.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ne semble pas retenir cette option, et institue de nouvelles règles pour permettre la fermeture anticipée de centrales nucléaires.

II. LE PROJET DE LOI RELATIF À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE POUR LA CROISSANCE VERTE MODIFIE LE CADRE JURIDIQUE DE FERMETURE D’UNE CENTRALE NUCLÉAIRE

En France, et contrairement à d’autres États, la loi ne fixe aucune durée limite de fonctionnement d’une centrale nucléaire. Afin de tenir l’engagement pris par le Président de la République, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte modifie donc le régime des procédures de fermeture et d’ouverture des centrales nucléaires.

1. La loi ne fixe aucune durée de vie maximale à une centrale mais vise à garantir le plus haut niveau de fiabilité et de sûreté du parc nucléaire de manière permanente

Contrairement à ce qui existe dans certains pays étrangers, la durée d’exploitation d’une centrale nucléaire n’est pas définie juridiquement en France. Dans les pays soumis au processus de licence de durée limitée – par exemple aux États-Unis – l’exploitant doit solliciter le renouvellement de sa licence pour une nouvelle période lorsque la durée de fonctionnement autorisée par la licence initiale est atteinte. C’est ainsi qu’aux États-Unis, la plupart des réacteurs actuellement en service, qui avaient une licence pour 40 ans d’exploitation, ont vu leur licence prolongée jusqu’à 60 ans.

En France, une centrale ne peut être fermée par une autorité publique indépendante au seul motif de son ancienneté. Les cas de fermeture ou de suspension du fonctionnement d’un réacteur nucléaire sont limitativement énumérés par le code de l’environnement aux articles L. 593-21 à L. 593-24. En substance, seul un motif de sûreté peut motiver une mesure de suspension ou de mise à l’arrêt d’un réacteur nucléaire. Ainsi, à tout moment, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) peut suspendre le fonctionnement d’une centrale en cas de risques graves et imminents d’atteintes à la sûreté nucléaire (article L. 593-22).

À chaque réexamen de sûreté, et à tout moment en cas de menace sur celle-ci, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) peut imposer de nouvelles prescriptions techniques (articles L. 593-19 et L. 593-20). Il appartient alors à l’exploitant de déterminer, au regard de sa stratégie industrielle, si les investissements à consentir pour se conformer aux exigences de l’ASN justifient la poursuite de l’exploitation ou l’arrêt de la centrale.

En résumé, si les autorisations d’installations nucléaires de base sont octroyées sans limitation de durée, il ressort des autres dispositions du Code de l’environnement que les installations, une fois autorisées, font l’objet d’un régime particulièrement strict de réexamen périodique, et très complet, de leur sûreté.

2. La décision de fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim relève de la loi

La centrale nucléaire de Fessenheim n’a pas de personnalité morale : il s’agit d’une unité de production qui appartient à Électricité de France (EDF). La création par EDF des deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim a été autorisée par décret du 3 février 1972. Ils constituent une installation nucléaire de base (INB) régie par les articles L. 593-1 et suivants du code de l’environnement.

À ce titre, EDF est tenu de procéder tous les dix ans au réexamen de la sûreté de son installation (article L. 593-18 du code de l’environnement) dans la perspective de bâtir un nouveau référentiel de sûreté intégrant les meilleures pratiques internationales.

Historiquement, les visites décennales n’ont débuté qu’après une première visite complète intervenue dans les deux premières années de mise en service du réacteur. Ceci explique que lors de la troisième visite décennale, l’âge d’un réacteur atteigne déjà environ 32 années de fonctionnement.

Le réacteur n° 1 a été couplé au réseau électrique le 6 avril 1977. La première visite complète de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a eu lieu du 3 mars 1979 au 12 juillet 1979. Les trois visites décennales ont ensuite eu lieu :

– pour la première, du 7 avril au 14 octobre 1989 ;

– pour la deuxième, du 9 octobre 1999 au 3 mars 2000 ;

– et pour la troisième, du 17 octobre 2009 au 24 mars 2010.

La quatrième visite décennale doit avoir lieu en 2019.

Le réacteur n° 2 a été couplé au réseau électrique le 7 octobre 1977. La première visite complète de l’ASN a eu lieu du 6 juillet 1979 au 14 octobre 1979. Les trois visites décennales ont ensuite eu lieu :

– pour la première, du 23 février au 13 août 1990 ;

– pour la deuxième, du 8 juillet 2000 au 5 février 2001 ;

– et pour la troisième, du 16 avril 2011 au 6 mars 2012.

La quatrième visite décennale doit avoir lieu en 2021.

L’ASN a émis un avis positif de poursuite d’exploitation à l’issue des troisièmes visites décennales de chacun des deux réacteurs (rapports de l’ASN du 4 juillet 2011 pour le réacteur n° 1, et du 29 avril 2013 pour le réacteur n° 2). Les prochaines visites décennales de la centrale nucléaire de Fessenheim sont prévues à l’horizon 2019 et 2021, ce qui a été confirmé par M. Pierre-Franck CHEVET, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), devant la Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire : « Je vous confirme que la sûreté des réacteurs de Fessenheim est assurée, pour l’un, jusqu’en 2019, pour l’autre, jusqu’en 2021, sous réserve que ne survienne aucun incident non prévu et que nos prescriptions soient mises en œuvre – à moins que l’arrêt soit intervenu entre-temps. » (1)

Juridiquement, rien ne s’oppose à ce que l’ASN émette de nouveaux avis positifs à l’issue de ces quatrièmes visites décennales.

3. Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte renforce significativement les instruments de pilotage des capacités de production nucléaire

Le projet de loi ouvre la possibilité de fermeture d’un réacteur pour un motif de politique énergétique et de diversification du mix de production électrique.

L’article 55 du projet de loi renforce significativement les instruments de pilotage du mix électrique dont dispose l’État, notamment concernant le pilotage de la production nucléaire. Dans la perspective d’une réduction de la part de l’énergie nucléaire, l’article pose les principes d’un plafonnement à son niveau actuel de la capacité de production nucléaire, soit 63,2 gigawatts (GW). Toute nouvelle autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité d’origine nucléaire au titre du code de l’énergie devra respecter ce plafond.

Un tel plafond impliquerait donc la fermeture de deux réacteurs nucléaires comme ceux de Fessenheim, d’une puissance de 900 mégawatts (MW) chacun, lors de la mise en service de l’EPR de troisième génération de Flamanville 3, d’une puissance de 1 630 MW.

Afin de s’assurer que l’exploitant Électricité de France (EDF) respecte ses engagements, l’article institue l’obligation pour les exploitants d’installations de production dont le poids dépasse le tiers de la production électrique totale d’établir un plan stratégique présentant les actions qu’ils s’engagent à mettre en œuvre pour respecter les objectifs de diversification de la production d’électricité fixés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

L’exposé des motifs de l’article précise que ces plans doivent être préparés de manière à réduire au maximum les conséquences économiques et financières des évolutions du parc ainsi que leurs impacts sur la sécurité d’approvisionnement et l’exploitation du réseau public de transport d’électricité.

Les plans seront communiqués au ministre de l’énergie, qui se prononcera ensuite sur leur compatibilité à la programmation pluriannuelle de l’énergie. Les producteurs soumis à ces plans stratégiques devront annuellement rendre compte, devant une commission composée de parlementaires, de leur mise en œuvre et de la façon dont ils contribuent aux objectifs fixés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Un commissaire du Gouvernement, nommé auprès de tout exploitant produisant plus du tiers de la production nationale d’électricité, pourra s’opposer à une décision d’investissement incompatible avec la PPE. Si cette opposition est confirmée par le ministre chargé de l’énergie, la décision ne peut être appliquée sans révision du plan stratégique dans les mêmes conditions que pour son élaboration initiale.

III. AUCUNE RAISON TECHNIQUE NE CONDUIT À PRIVILÉGIER LE CHOIX DU SITE DE LA CENTRALE DE FESSENHEIM POUR UNE FERMETURE

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte n’impose pas explicitement à l’exploitant Électricité de France (EDF) la fermeture anticipée de la Centrale nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim. L’article 55 dispose simplement que l’exploitant devra respecter le plafond légal de capacité de production nucléaire et qu’aucune nouvelle autorisation d’exploitation ne pourra être délivrée par l’autorité administrative « lorsqu’elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 GW ».

L’exploitant pourra donc choisir le ou les réacteurs qu’il convient de fermer pour respecter la loi. Il n’existe en effet techniquement aucune raison de sélectionner le site de Fessenheim plutôt qu’un autre.

1. La centrale de Fessenheim contribue significativement à la production électrique décarbonée française

La centrale nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim est située sur le territoire de la commune du même nom, sur la rive gauche du grand canal d’Alsace, à 1,5 kilomètre du lit du Rhin faisant frontière entre la France et l’Allemagne.

Mise en service en 1977, la centrale nucléaire de Fessenheim est la plus ancienne des centrales françaises. Elle appartient à un parc électronucléaire standardisé dit de « deuxième génération », comme l’ensemble des 58 réacteurs exploités actuellement en France. Ces réacteurs à eau pressurisée (REP) sont d’une conception différente de ceux mis en service entre 1958 et 1966 (filière dite de « première génération »), et aujourd’hui tous arrêtés.

La centrale a été construite et est exploitée avec la participation financière de la société d’électricité allemande Energie Baden-Württemberg (EnBW) à hauteur de 17,5 % et de trois sociétés d’électricité suisses (Alpiq ; Axpo et Bernische Kraftwerke (BKW)) à hauteur de 15 %. En échange, ces partenaires bénéficient de l’équivalent de leur participation en électricité. Il ne s’agit pas juridiquement d’actionnaires de la centrale.

Elle emploie directement environ 1 100 salariés dont 850 agents EDF et 250 salariés extérieurs permanents. En prenant en compte les emplois induits, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a estimé à 2 000 le nombre de personnes travaillant directement ou indirectement pour la centrale.

La centrale nucléaire de Fessenheim contribue significativement à la production d’électricité pour la région. Elle a produit 9,2 TWh en 2013, soit l’équivalent de huit mois de consommation annuelle en Alsace – ou une semaine de consommation annuelle d’électricité en France (2).

Le nucléaire a représenté 403 TWh des 550 TWh produits en France en 2013, soit 73 % de la production d’électricité du pays. Cette source d’énergie est totalement décarbonée au même titre que l’hydraulique, l’éolien et le photovoltaïque.

Énergie produite

TWh

Part de la production

Émissions de CO2
(millions de tonnes)

Production nette

550,9

100 %

29,1

Nucléaire

403,7

73,3 %

0

Thermique à combustible fossile

44,7

8,1 %

26,1

dont charbon

19,8

3,6 %

19

fioul

5,4

1 %

1,4

gaz

19,5

3,5 %

5,6

Hydraulique

75,7

13,8 %

0

Éolien

15,9

2,9 %

0

Photovoltaïque

4,6

0,8 %

0

Autres sources d’énergie renouvelables

6,3

1,1 %

3

Source : Réseau de transport d’électricité (RTE). Bilan énergétique français 2013.

Au 31 décembre 2013, la centrale avait produit 379 TWh depuis son raccordement au réseau. Il s’agit d’une énergie décarbonée dont la production a permis de limiter les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. On peut souligner que la production décarbonée de la centrale de Fessenheim est équivalente au double de l’ensemble de la production d’origine photovoltaïque.

La décision de fermer la centrale n’est donc pas anodine sur le plan de la production et de la consommation d’électricité. Elle pourrait à elle seule réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique français de deux à trois points. De même, elle réduirait d’environ 2 % notre production électrique décarbonée annuelle (nucléaire, hydraulique, éolien et photovoltaïque).

2. La fermeture de Fessenheim au motif de son ancienneté n’aurait qu’un aspect symbolique puisque la centrale n’a jamais été aussi sûre

L’âge ou l’ancienneté d’un réacteur ne constitue pas exclusivement un facteur pertinent pour juger de l’état de sûreté ou de dangerosité d’une centrale nucléaire. Les deux réacteurs de la centrale ayant été mis en service en décembre 1977 et en mars 1978, il est vrai que la centrale nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim est la plus ancienne en fonctionnement en France. Pour autant, le régime de sûreté imposé par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) n’est pas fonction de l’ancienneté des réacteurs, puisque ces derniers sont tous soumis aux mêmes règles et niveaux de sûreté pour les opérations de maintenance et d’exploitation.

Ces niveaux de sûreté sont constamment renforcés pour tenir compte des dernières avancées technologiques dans le domaine au niveau mondial. Les exigences applicables aux installations actuelles sont ainsi comparées à celles auxquelles doivent répondre les installations les plus récentes et les améliorations justifiées qui peuvent être mises en place sont réalisées à l’occasion des visites décennales. Les visites décennales sont l’occasion d’une réévaluation de sûreté particulièrement ambitieuse visant à atteindre un niveau de sûreté le plus proche possible de celui d’un nouveau réacteur. Par conséquent, la centrale de Fessenheim est plus sûre aujourd’hui que par le passé.

Dès lors, les risques sismiques ou d’inondations propres à la localisation spécifique de la centrale sont particulièrement pris en compte tant par l’ASN que par l’exploitant afin d’assurer à tout moment un niveau de sûreté le plus proche possible des objectifs des réacteurs de nouvelle génération.

Dans le cadre du prolongement de la durée d’exploitation des réacteurs n° 1 et n° 2 de Fessenheim, et conformément aux prescriptions de l’ASN, près de 280 millions d’euros ont été investis par Électricité de France (EDF) afin d’assurer le plus haut niveau de sûreté possible de la centrale nucléaire de Fessenheim pour les dix prochaines années.

Lors d’un déplacement sur le site de la centrale, les rapporteurs spéciaux ont constaté l’ampleur des investissements réalisés sur le site de Fessenheim. De nombreux outils de production de la centrale – tels les générateurs à vapeur – sont entièrement neufs et parfaitement fonctionnels pour les trente prochaines années. L’exploitant a également renforcé de manière significative le radier afin de satisfaire aux exigences du régulateur et d’assurer un niveau de sûreté proche des objectifs de sûreté des réacteurs de troisième génération. Cependant, vos rapporteurs spéciaux soulignent que, malgré les travaux de renforcement entrepris à la suite des recommandations de l’ASN, l’épaisseur du radier de Fessenheim reste inférieure à celle observée sur les autres réacteurs de puissance équivalente.

Le radier est la partie inférieure de l’enceinte de confinement d’une centrale nucléaire. Son renforcement vise à augmenter sa résistance au corium – magma composé des éléments fondus du cœur d’un réacteur nucléaire lors d’un accident grave entraînant la percée de la cuve. Son dimensionnement est adapté à la nature de la mécanique des sols et aux sollicitations auxquelles peut-être soumis le bâtiment.

En conséquence, exiger la fermeture de cette centrale nucléaire au motif de son ancienneté, indépendamment des investissements réalisés ainsi que des décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), aurait peu de conséquences sur la sûreté globale du parc nucléaire en France. Au demeurant, cette décision n’a pas de justification économique.

3. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a autorisé le fonctionnement des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim pour dix années supplémentaires

Les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ont fait l’objet d’un arrêt pour visite décennale en 2009 pour le réacteur n° 1 et en 2011 pour le réacteur n° 2. Les arrêts sont l’occasion d’un programme de vérification et de maintenance important. Ils durent plusieurs mois et interviennent tous les dix ans. Ils sont l’occasion pour l’exploitant de procéder à des opérations lourdes telles que la visite complète et l’épreuve hydraulique du circuit primaire, l’épreuve de l’enceinte de confinement, ainsi que l’intégration des évolutions de conception décidées dans le cadre des réexamens de sûreté.

Dans son avis n° 2011-AV-0120 du 4 juillet 2011, l’ASN considère que, au vu du bilan du troisième réexamen de sûreté, le réacteur n° 1 est « apte à être exploité pour une durée de dix années supplémentaires » après ce troisième réexamen – c’est-à-dire jusqu’en 2019 – à condition de respecter les prescriptions de la décision de l’ASN n° 2011-DC-0231 du 4 juillet 2011 et notamment le renforcement du radier du réacteur avant le 30 juin 2013, afin d’augmenter sa résistance au corium en cas d’accident grave avec percement de la cuve, ainsi que l’installation avant le 31 décembre 2012 des dispositions techniques de secours permettant d’évacuer durablement la puissance résiduelle en cas de perte de la source froide.

L’ASN a considéré, après le bilan du troisième réexamen de sûreté, que des prescriptions similaires étaient nécessaires pour le second réacteur. L’ASN a également imposé, dans sa décision n° 2013-DC-0342 du 23 avril 2013, le renforcement du radier du réacteur et à la mise en place de dispositions techniques permettant d’évacuer durablement la puissance résiduelle. Ayant fixé ces prescriptions, l’ASN n’a pas émis « d’objection à la poursuite du fonctionnement du réacteur n° 2 de la centrale de Fessenheim au-delà de son troisième réexamen décennal » – c’est-à-dire jusqu’en 2021.

On observe une légère différence de rédaction entre l’avis relatif au réacteur n° 1 et celui relatif au réacteur n° 2. Dans le premier cas, l’ASN mentionne que le réacteur est « apte à être exploité pour une durée de dix années supplémentaires » tandis que dans le second elle conclut qu’elle n’a pas « d’objection à la poursuite du fonctionnement du réacteur n° 2 de la centrale de Fessenheim au-delà de son troisième réexamen décennal ».

Les rapporteurs se sont interrogés sur la portée juridique de cette différence de rédaction. Lors des auditions, les différentes parties concernées, y compris les représentants de l’ASN, ont estimé que la différence de rédaction retenue entre les deux avis n’était pas de nature à modifier la portée juridique de l’autorisation confiée.

4. Les investissements prescrits par l’ASN et réalisés par l’exploitant sur les deux réacteurs garantissent le plus haut niveau de sûreté

La centrale de Fessenheim fait l’objet de nombreux contrôles de sûreté à la fois par les équipes de contrôle et les salariés d’EDF, mais également par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). En moyenne, l’autorité procède à 25 inspections chaque année sur le site, dont certaines de manière inopinée.

Ces contrôles annuels permanents sont doublés de contrôles plus poussés, à intervalles réguliers, pour assurer un niveau de sûreté optimal de la centrale. La troisième visite décennale des deux réacteurs a été l’occasion d’effectuer un important réexamen de sûreté, tandis que les évaluations complémentaires de sûreté menées à la suite des événements de Fukushima Daiichi, ont conduit à un rehaussement significatif des exigences de sûreté.

Une modernisation significative des installations a été mise œuvre à l’issue des prescriptions de l’ASN dans le cadre de la troisième visite décennale. Sur le réacteur n° 1, 69 chantiers d’amélioration ont été conduits pour un coût de 80 millions d’euros d’investissements. Sur le réacteur n° 2, 80 chantiers d’amélioration ont été conduits pour un coût de 200 millions d’euros d’investissements.

Sur les 40 prescriptions émises par l’ASN le 4 juillet 2011 pour autoriser la poursuite de l’exploitation du réacteur n° 1 au-delà de la troisième visite décennale, toutes les prescriptions étaient soldées à la date du 31 décembre 2013. Concernant le réacteur n° 2, sur les 25 prescriptions émises par l’ASN le 23 avril 2013, 21 prescriptions étaient soldées à la date du 31 décembre 2013. Seules 4 demeuraient en cours de réalisation, avec des échéances courant 2014 et 2015.

Parmi les chantiers réalisés dans le cadre du réexamen de sûreté, on peut citer la mise en place d’un dispositif d’appoint supplémentaire en eau dans des circonstances ultimes par pompage dans la nappe phréatique ; la mise en place d’une structure étanche autour du réservoir PTR (réservoir de secours pour le refroidissement du cœur du réacteur en cas d’accident) ; ou encore le renforcement de la partie inférieure de l’enceinte de confinement permettant d’assurer une meilleure récupération du corium dans le cas d’un accident grave entraînant la percée de la cuve.

Dans le cadre des évaluations complémentaires de sûreté, 29 prescriptions ont été formulées par l’ASN, avec des échéances étalées jusqu’en 2018. Parmi les prescriptions soldées, on peut citer la construction d’un bâtiment assurant le stockage des matériels mobiles de sûreté à l’abri du risque sismique et d’inondation ; l’amélioration de l’autonomie des batteries électriques d’ultime secours du contrôle commande ; ou encore le déploiement comme pour le reste du parc, de la Force d’action rapide du nucléaire (FARN).

Les investissements réalisés par EDF ont accru le niveau de sûreté de la centrale nucléaire de Fessenheim. Une fermeture anticipée de la centrale pourrait se révéler doublement problématique : problématique sur le plan de la sûreté puisque la centrale a atteint son niveau de sûreté le plus élevé depuis sa mise en service ; problématique d’un point de vue économique car l’exploitant ne pourrait pas bénéficier d’un retour sur investissement.

SECONDE PARTIE : LES COÛTS DE LA FERMETURE ANTICIPÉE D’UNE CENTRALE NUCLÉAIRE : FESSENHEIM OU LA PREMIÈRE D’UNE SÉRIE

Afin d’éclairer la représentation nationale sur le coût d’une fermeture anticipée d’une centrale nucléaire, les rapporteurs spéciaux ont décidé de travailler sur l’hypothèse la plus probable et conforme à l’engagement présidentiel de la fermeture de la centrale de Fessenheim.

Dans cette perspective, il convient tout d’abord de faire la distinction entre deux types de coûts.

Certains coûts sont inéluctables puisque l’exploitant doit en tout état de cause les supporter à l’expiration de la durée de vie de l’installation. Ainsi, les coûts de démantèlement, de gestion des déchets, et de reconversion du personnel de l’exploitant ne sont pas des coûts liés au caractère prématuré de la fermeture. Ces coûts ne devraient pas varier significativement selon qu’ils seront supportés en 2016 ou en 2040. Ils ne sont pas l’objet du présent rapport, même si leur anticipation présente un impact sur la stratégie et les finances de l’exploitant.

A contrario, il existe des coûts qui sont directement induits par le caractère prématuré de la fermeture de la centrale. L’exploitant et la collectivité n’auraient pas supporté ces coûts si l’exploitation avait pu se poursuivre jusqu’au terme de la durée de fonctionnement normal de l’outil de production. L’objet de cette seconde partie est d’éclairer le législateur sur la réalité de ce second type de coûts.

Parmi les coûts liés au caractère prématuré de la fermeture d’une centrale, il faut encore distinguer entre les coûts supportés par la collectivité et ceux subis par l’exploitant, que l’État devra le cas échéant indemniser.

I. LA DÉCISION D’UNE FERMETURE ANTICIPÉE DE LA CENTRALE NUCLÉAIRE AURA UN COÛT POUR LA COLLECTIVITÉ ET UN IMPACT NON NÉGLIGEABLE SUR L’EMPLOI

Certains coûts supportés par la collectivité et liés au caractère prématuré de la fermeture d’une centrale peuvent faire l’objet d’un chiffrage précis, tandis que d’autres sont beaucoup plus difficiles à évaluer. Ainsi, on peut déterminer avec une certaine précision le coût social de la fermeture anticipée de Fessenheim, puisque les revenus de près de 5 000 personnes dépendent directement ou indirectement de la centrale. À l’inverse, il est plus difficile de chiffrer l’impact de certains éléments, comme par exemple l’impact à terme sur l’image de l’industrie nucléaire française.

1. La fermeture de la centrale aurait un impact immédiat sur près de 2 000 emplois et sur les revenus de 5 000 personnes dans la région

La fermeture d’une centrale nucléaire, comme celle de tout outil de production, a un impact sur l’emploi et les revenus du territoire d’implantation.

Il est vrai que cet impact est inéluctable dans la mesure où une centrale nucléaire a vocation à être fermée lorsque le niveau de sûreté de l’installation l’exige. Cependant, l’anticipation de cet impact du fait du caractère prématuré de la fermeture constitue un préjudice pour le territoire d’implantation de la centrale.

En effet, ce territoire subit une perte d’emplois et de revenus supérieure à la perte qu’il aurait effectivement subit si la fermeture de la centrale était intervenue ultérieurement. Tel sera le cas de la région de Fessenheim si l’exploitation de la centrale devait cesser en 2016 au lieu d’être prolongée jusqu’en 2040. La région de Fessenheim perdrait en effet l’équivalent d’au moins vingt années de l’avantage économique que lui procuraient les emplois et les revenus liés à la centrale.

Dans une étude publiée en juillet 2014, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a mis en évidence que près de 2 000 emplois sont liés à la centrale nucléaire de Fessenheim : 850 salariés d’Électricité de France (EDF), 510 emplois induits chez les sous-traitants et environ 550 emplois régionaux induits par la consommation de ces salariés. L’étude montre également qu’au total les revenus de près de 5 000 personnes dépendent de la centrale.

Il est vrai que les emplois directs d’EDF ne sont pas menacés, puisque l’exploitant s’engagerait probablement à assurer le reclassement de l’ensemble de ses salariés. Ces derniers seraient donc reclassés dans une autre région. Ainsi, EDF ne serait pas contrainte à mettre en œuvre un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE). La nécessité de reclasser ces salariés devrait toutefois limiter à due proportion les embauches d’EDF, puisque le volume d’emploi consacré au nucléaire devrait s’adapter à un parc réduit d’une centrale.

Lors de leur visite de la centrale de Fessenheim, les rapporteurs spéciaux ont pu constater à quel point les agents EDF étaient attachés à leur outil de production. Ils ont en outre été alertés par les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux sur le risque d’une crise immobilière liée à des nombreux départs simultanés. Par ailleurs, ces salariés directs de la centrale ont souvent un statut de cadre avec des revenus qui dépassent de 50 % le niveau moyen des salariés en France. Le départ des salariés EDF aurait donc un fort impact sur l’économie et la consommation locale, et par effet d’entraînement, sur l’emploi local.

D’une manière générale, on peut redouter un impact économique significatif sur la zone de Fessenheim. L’INSEE a en effet recensé 400 établissements alsaciens recevant des commandes de la centrale dont 16 consacrent plus de 10 % de leurs effectifs à des prestations en direction d’EDF. Dans un contexte économique fragile, il est à craindre que la fermeture de la centrale de Fessenheim fasse passer nombre de ces établissements sous un seuil critique de viabilité.

L’INSEE a également montré que 35 % des habitants de Fessenheim seraient « concernés » par la fermeture de la centrale. Au total, le territoire d’impact de la fermeture est formé de quinze communes regroupant près de 23 000 habitants.

Le Gouvernement estime néanmoins que le démantèlement sera potentiellement source d’emplois pour les personnes touchées. Les rapporteurs spéciaux émettent des doutes quant à cette hypothèse, et tiennent à souligner que le profil des emplois est nettement différent – essentiellement du travail peu qualifié – et que le temps entre l’arrêt et le début des opérations de démantèlement ne permet pas une telle reconversion.

Il est également important de noter que, selon l’étude produite par l’INSEE, « aucun moteur d’emploi ne se dégage naturellement pour remplacer la centrale ».

2. Les finances locales de la commune de Fessenheim et de la communauté de communes de l’essor du Rhin (CCER) seraient gravement touchées

Là encore, l’impact sur les finances publiques locales constitue en partie un préjudice économique lié au caractère prématuré de la fermeture. Les collectivités territoriales bénéficiaires perdraient en effet l’équivalent d’au moins vingt années du produit des impositions qu’elles perçoivent. C’est autant d’investissements publics qu’elles ne pourront pas réaliser.

En 2013, EDF a versé 13,3 millions d’euros d’impositions locales au titre de la centrale nucléaire de Fessenheim. Les collectivités territoriales bénéficiaires sont la commune de Fessenheim, la communauté de communes de l’Essor du Rhin (CCER), le département du Haut-Rhin, et la Région Alsace.

Les impositions locales versées en 2013 se répartissent en quatre taxes :

– 1,8 million au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ;

– 2,8 millions d’euros au titre de la cotisation foncière des entreprises (CFE) ;

– 3,3 millions d’euros au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) ;

– 5,4 millions d’euros au titre de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER nucléaire).

La TPFB est répartie à hauteur de 68 % pour le département du Haut-Rhin, 25 % pour la commune de Fessenheim, et 7 % pour la CCER.

La CFE est perçue intégralement par la CCER.

La CVAE est répartie à hauteur de 48,5 % pour le département du Haut-Rhin, 26,5 % pour la CCER, et 25 % pour la région Alsace.

L’IFER est répartie entre la CCER et le département du Haut-Rhin à hauteur de 50 % pour chacun d’entre eux.

Une étude réalisée à la demande du Préfet de la région Alsace auprès de la mission d’expertise économique et financière (MEEF) rattachée à la Direction régionale des finances publiques d’Alsace a modélisé les effets de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim à compter de l’année de fermeture et pour les années qui suivent.

Il en ressort que, parmi les collectivités bénéficiaires, la CCER et la commune de Fessenheim sont plus particulièrement exposées aux effets de la fermeture de la centrale nucléaire.

a.  La capacité d’autofinancement de la CCER baisserait de 42 % en 2020

Près de 80 % des ressources fiscales de la CCER – qui regroupe sept communes et plus de 9 200 habitants – proviennent des impositions locales versées par EDF. À ce titre, la CCER a perçu 6,1 millions d’euros en 2013.

En tenant compte du mécanisme de compensation « pour perte élevée de contribution économique territoriale (CET) » et de la baisse du versement dû au fonds de péréquation national, l’étude de la MEEF montre que, sur la période 2017-2020, la CCER subirait une perte de recettes 14,2 millions d’euros. L’étude montre également que la capacité d’autofinancement de la CCER baisserait de 42 % en 2020.

Ce sont donc l’ensemble des communes membres de la CCER, et pas seulement Fessenheim, qui seraient pénalisées en termes d’investissement public dans les années à venir.

La CCER devrait réduire les attributions de compensation versées aux communes membres. Certaines d’entre-elles verraient alors leur propre capacité d’autofinancement dangereusement diminuée : moins 42 % pour la commune de Rumersheim Le Haut, et moins 72 % pour la commune de Blodelsheim.

b.  En l’absence de réforme des mécanismes de compensation, la commune de Fessenheim aurait des recettes fiscales négatives

Les recettes fiscales de la commune de Fessenheim, qui se sont élevées à 3,7 millions d’euros en 2013, pourraient passer en 2020 à « – 1,1 million d’euros ». À l’horizon 2020, sans correction des mécanismes de compensation, la commune de Fessenheim serait en déficit de 3,4 millions d’euros.

En effet, l’application mécanique des dispositifs de compensation créés à l’occasion de la réforme de la taxe professionnelle pourrait conduire – malgré la fermeture de la centrale et la perte des recettes correspondantes – à ce que la commune de Fessenheim continue à être taxée au titre du Fonds national de garantie individuelle des ressources communales et intercommunales à hauteur de plusieurs millions d’euros, et ce pour une période non limitée dans le temps.

Le Fonds national de garantie individuelle de ressources vise à remédier aux déséquilibres financiers engendrés par la mise en œuvre de la réforme de la fiscalité locale. Avec la suppression de la taxe professionnelle, la création de nouveaux impôts – contribution économique territoriale (CET) et imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) – et les transferts de taxes entre niveaux de collectivités, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ont en effet vu leurs ressources fiscales évoluer considérablement, à la hausse ou à la baisse. En fonction de leur situation, les communes et leurs groupements sont, à compter de 2011, soit attributaires, soit contributrices au FNGIR : les prélèvements ou reversements sont définis à partir de la différence entre le produit des ressources fiscales 2010, calculées en fonction des règles antérieures à la mise en œuvre de la réforme, et le produit des mêmes ressources 2010, calculées en fonction des dispositions entrées en vigueur depuis le 1er janvier 2011.

Pour y remédier, il serait nécessaire de corriger par voie législative le montant de la contribution de la commune de Fessenheim au Fonds national de garantie individuelle de ressources.

3. Des investissements sur l’infrastructure électrique par Réseau de transport d’électricité (RTE) seront nécessaires pour assurer l’approvisionnement en électricité de l’Alsace

La fermeture d’une centrale nucléaire entraîne également des conséquences importantes sur le réseau électrique.

Une centrale n’est pas simplement une unité de production d’électricité. Elle joue aussi un rôle important dans la régulation de la tension sur le réseau électrique.

Fonctionnement d’un réseau électrique

L’analogie avec un réseau d’eau permet de comprendre l’impact de la fermeture d’une centrale nucléaire sur le réseau électrique.

Une centrale nucléaire peut en effet être assimilée à un château d’eau, l’énergie étant l’eau qui s’écoule dans les canalisations vers le consommateur et la tension étant la pression du réseau d’eau. De même que la pression dans un réseau d’eau, la tension dans un réseau électrique doit être maîtrisée : elle doit être suffisamment haute pour que tous les consommateurs soient alimentés, mais pas trop pour éviter d’endommager les installations (problématiques des surtensions).

La fermeture d’une centrale nucléaire oblige donc le gestionnaire du réseau à revoir tout le plan de tension de la région.

Rappelons que les deux tranches nucléaires de 900 MW de la centrale de Fessenheim contribuent à l’alimentation d’un bassin de plus de deux millions d’habitants.

Bilan énergétique en Alsace (2013)

Sur l’ensemble de l’année 2013, la centrale nucléaire de Fessenheim a représenté environ la moitié de la production annuelle d’électricité en Alsace. Au total, l’Alsace a produit 18 138 GWh et n’a consommé que 13 738 GWh soit un taux de couverture de 132 %.

Sans la production de la centrale nucléaire, ce taux de couverture tomberait à 66 %. L’Alsace deviendrait une région importatrice d’électricité.

Ainsi, en l’absence de la centrale nucléaire de Fessenheim, la production instantanée alsacienne serait presque toujours inférieure à sa consommation.

Source : Réseau de transport d’électricité (RTE).

La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim obligerait Réseau de transport d’électricité (RTE) à redimensionner le réseau alsacien pour qu’il puisse faire face à cette situation structurellement importatrice. Cela est d’autant plus vrai que le réseau alsacien sera de plus en plus sollicité dans la décennie à venir dans la mesure où il est situé entre les fermes éoliennes qui se développent sur les côtes de la mer du Nord et les barrages hydrauliques des Alpes.

Ainsi, un premier lot de mesures de l’ordre de 50 millions d’euros serait nécessaire pour accompagner l’arrêt des 1 800 MW de la centrale de Fessenheim. Ces premières mesures seraient surtout destinées à assurer la sécurité d’alimentation de la région en termes de gestion des flux et de tension.

Il est vrai que des investissements auraient été, en tout état de cause, indispensables lors de la fermeture de la centrale à l’horizon 2040. Pour autant, les travaux auxquels serait immédiatement contraint Réseau de transport d’électricité RTE en cas de fermeture dès 2016 constituent bien un préjudice pour la collectivité lié au caractère prématuré de la fermeture de la centrale, et ceci pour deux raisons.

Tout d’abord, la mobilisation anticipée de capitaux constitue nécessairement un coût. Ensuite et surtout, il n’est pas certain que les travaux à réaliser en 2040 eurent été les mêmes que ceux aujourd’hui projetés. En effet, le plan de travaux a été élaboré en fonction de la consommation et de la production existantes à ce jour. Or, des évolutions importantes sont probables tant dans la structure territoriale de la consommation que dans celle de la production (fermetures de centrales allemandes, accélération des déséquilibres nord-sud compte tenu des évolutions du paysage énergétique et de l’intégration massive d’énergies renouvelables, etc.). Dans ce contexte, rien ne garantit que les travaux réalisés pour faire face à une fermeture anticipée en 2016 soient utiles et adaptés à la situation qui existera en 2040.

4. La fermeture pourrait avoir un impact négatif sur la balance commerciale française

L’industrie nucléaire est un secteur de pointe de l’économie française pour lequel le pays dispose de la maîtrise complète des différentes opérations nécessaires à ce processus. La Société française d’énergie nucléaire (SFEN) évalue à 25 milliards d’euros par an l’impact positif de cette industrie sur la balance commerciale française.

La fermeture d’une centrale nucléaire pourrait avoir un impact négatif sur cette même balance dans la mesure où elle réduirait la production d’électricité en cas de retards conséquents dans la mise en service de l’EPR de Flamanville. La production d’électricité de la centrale de Fessenheim, de l’ordre de 12 TWh par an, est valorisable sur le marché de gros de l’électricité à hauteur de 570 millions d’euros – dans l’hypothèse d’un prix de vente sur le marché de gros de l’électricité de 46 euros par MWh. Ainsi, en cas d’absence ou de retard dans une solution de remplacement de production électrique lors de la fermeture de Fessenheim, c’est autant de production qui ne pourra pas être exportée vers nos voisins européens lorsque leur demande évoluera plus rapidement que leur capacité de production.

Là encore, il s’agit bien d’un préjudice lié au caractère prématuré de la fermeture de la centrale au titre de la vingtaine d’années d’exportations perdues.

5. Une dégradation potentielle de l’image de marque de l’industrie nucléaire française

La fermeture anticipée d’une centrale nucléaire contribuerait à dégrader l’image de marque de l’industrie nucléaire française. Le message implicitement envoyé aux investisseurs serait en effet que les centrales françaises ne sont pas en mesure de fonctionner au-delà de 40 ans, contrairement aux centrales américaines.

Ce préjudice est difficilement chiffrable. Il est néanmoins indéniable et doit être pris en compte dans le processus de prise de décision.

6. Une augmentation du risque perçu aurait pour conséquence de renchérir le coût des investissements dans l’industrie nucléaire

Compte tenu des risques particuliers de l’énergie nucléaire – une très faible occurrence combinée à des effets potentiellement très importants, la décision d’investir dans ce secteur doit intégrer le risque d’un arrêt prématuré de l’industrie nucléaire à raison d’une décision politique.

En la matière, les investisseurs doivent tenir compte du risque réel du nucléaire, mais également du risque perçu par le public. En effet, la décision de « sortir du nucléaire » peut tout aussi bien être prise après un grave accident qu’après une brusque augmentation du risque perçu par l’opinion – qu’il soit réel ou imaginé.

Plus ce risque est élevé, plus le coût du financement de l’investissement s’accroît. En France, jusqu’à présent, le consensus de la classe politique sur le nucléaire permettait de réduire le coût du financement des investissements.

Or, la fermeture anticipée d’une centrale nucléaire aurait pour conséquence d’augmenter le risque perçu – sans augmenter le risque réel – et donc de créer une incertitude sur la pérennité du secteur, ce qui aurait pour effet de renchérir le coût des investissements.

Là encore, ce préjudice, quoique difficilement chiffrable, doit être pris en compte dans le processus de prise de décision.

II. LE MANQUE À GAGNER POUR L’EXPLOITANT ISSU DE LA FERMETURE ANTICIPÉE RENDRA NÉCESSAIRE UNE INDEMNISATION PAR L’ÉTAT

L’arrêt anticipé de la centrale induit un manque à gagner pour l’exploitant qui estime, dans son projet industriel, pouvoir assurer le fonctionnement en toute sûreté de son parc nucléaire pendant 60 ans.

Le montant de ce coût subi par l’exploitant, lié au caractère prématuré de la fermeture de la centrale, servirait le cas échéant de base de calcul pour déterminer l’indemnisation que l’État devra lui verser si sa responsabilité est reconnue.

La totalité du manque à gagner ne serait toutefois pas le montant retenu par le juge pour fixer le montant de l’indemnisation à verser à l’exploitant. Dans le cadre d’un contentieux entre l’État et l’exploitant, on peut penser que le juge considérerait comme non-certaine la prolongation de l’exploitation jusqu’à 60 ans, et n’indemniserait en conséquence que la perte de chance de poursuivre l’exploitation jusqu’en 2040.

A. LA DÉCISION DE FERMETURE ANTICIPÉE INDUIT UN MANQUE À GAGNER POUR L’EXPLOITANT

Le calcul du manque à gagner de l’exploitant implique de nombreux paramètres, d’autant plus complexes à appréhender qu’aucune comptabilité analytique par centrale ne semble avoir été effectuée par l’exploitant.

Les paramètres à prendre en compte sont : les prix futurs de vente de l’électricité sur les marchés, l’évolution des coûts de production, les investissements devant être réalisés pour assurer le prolongement de la durée de fonctionnement des réacteurs en toute sûreté, la production effective de la centrale et son taux de disponibilité.

1. L’évaluation du manque à gagner annuel pour l’exploitant nécessite une évaluation des gains et des coûts de la centrale sur la période

Afin de déterminer l’évolution du manque à gagner pour les trente prochaines années, les rapporteurs spéciaux ont retenu différents scénarios quant aux variations des gains et des coûts de la centrale.

a. Les différents scénarios prennent en compte une augmentation dans le temps du prix de vente de l’électricité sur les marchés

La valeur sur le marché d’une production électrique dépend à plus ou moins long terme de l’évolution des coûts unitaires de production. Dès lors, l’évolution des prix de marché de l’énergie électrique suit à moyen terme l’évolution des coûts unitaires de l’électricité. L’analyse des coûts unitaires de production nous permet ainsi d’anticiper l’évolution future des prix sur le marché de l’énergie.

L’analyse de l’évolution des coûts unitaires de l’électricité par le Rapport Énergies 2050 (3) met en évidence une hausse à l’horizon 2030 dans tous les scénarios mais avec de fortes disparités en fonction des choix de politique énergétique effectués. Par rapport à 2010, où le coût moyen de production était estimé autour de 50 euros par mégawattheure (MWh), les coûts de production pour 2030 sont évalués :

– entre 80 et 95 euros / MWh dans l’hypothèse d’un fort développement des énergies renouvelables ;

– entre 70 et 80 euros / MWh pour une part de 50 % du nucléaire d’ici 2025 (scénario privilégié par le projet de loi relatif à la transition énergétique) ;

– entre 50 et 65 euros / MWh dans le cadre du maintien du nucléaire à 70 % avec une prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de 40 ans (scénario défendu par l’exploitant et retenu par vos rapporteurs spéciaux).

Afin de déterminer de manière cohérente le montant de la perte supportée par l’exploitant, le scénario d’évolution des prix retenu doit tenir compte des conséquences d’une prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs au-delà de 40 ans et d’un maintien des capacités de production du nucléaire à un niveau supérieur à 50 %.

Par construction, dans tous les scénarios, le maintien des capacités de production nucléaire à 70 % jusqu’en 2030 a été retenu, et par conséquent une prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de 40 ans. Le scénario médian prévoit une hausse des prix de ventes à 60 euros / MWh pour 2030, tandis que le scénario haut et le scénario bas sont respectivement calibrés sur une hausse à 52,5 euros / MWh et 67,5 euros / MWh pour 2030.

À partir de 2030 et jusqu’en 2040, différents scénarios ont été envisagés :

– le maintien de la capacité nucléaire par un prolongement de la durée de vie des centrales suivi d’une hausse des coûts pour faire face à la hausse des investissements de maintenance ;

– la promotion de sources renouvelables de production d’énergie accompagnée d’une baisse du niveau de production du nucléaire à 50 % pour 2050 ;

– une accélération du déploiement de l’EPR afin de remplacer le parc nucléaire vieillissant par la nouvelle génération de réacteur.

ÉVOLUTION DU COÛT UNITAIRE DE PRODUCTION DE L’ÉLECTRICITÉ EN FONCTION DES DIFFÉRENTS SCÉNARIOS

(en euros/MWh)

Source : Sur la base des hypothèses du Rapport de la Commission Énergies 2050.

b. Les coûts de production augmenteraient progressivement en raison d’une hausse du coût des entrants et des dépenses de maintenance

L’évolution des coûts de production de l’énergie nucléaire est évaluée sur la base des éléments développés par la Cour des comptes dans son rapport de mai 2014 sur « Le coût de production de l’énergie nucléaire ».

La production d’énergie nucléaire est une activité fortement capitalistique dont les coûts s’étalent sur une très longue période. Elle donne lieu, chaque année, à des dépenses d’exploitation directement liées à la production et à la charge d’Électricité de France (EDF). Les dépenses d’exploitation étaient évaluées en 2013 à 24,40 euros par MWh, en hausse de 25 % par rapport à 2008, essentiellement du fait de l’augmentation des programmes de maintenance courante et des impôts et taxes. Ces dépenses devraient sensiblement augmenter à l’avenir du fait des prescriptions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à la suite de l’accident de Fukushima Daiichi et de la nécessaire préparation du renouvellement des effectifs et au maintien des compétences des exploitants.

Les dépenses d’exploitation prises en compte dans l’évaluation des coûts de production sont les suivantes :

● La part « amont » du coût du combustible qui comprend d’une part la consommation par les réacteurs du combustible qu’EDF a préalablement achetée à AREVA et à ses autres fournisseurs, d’autre part le coût de portage du stock de combustible constitué par EDF dans le souci d’un approvisionnement sûr. Le coût global du combustible nucléaire a augmenté de 17,1 % entre 2008 et 2013 (3,2 % par an environ) rapporté à la production, en passant de 4,84 à 5,67 euros par MWh sur la période. Cette évolution est principalement due à l’augmentation du prix de l’uranium, tendance qui pourrait se poursuivre compte tenu du prix conjoncturellement bas de l’uranium depuis l’accident de Fukushima Daiichi. Dans ce contexte, le scénario médian retient l’hypothèse d’une poursuite régulière de la hausse observée ces dernières années du coût total du combustible pour les prochaines années. Les scénarios haut et bas anticipent dans tous les cas une hausse des coûts, plus ou moins accentuée.

● Les dépenses de personnel comprennent les coûts salariaux des agents d’EDF concourant à la production nucléaire complétés par les bénéfices et avantages dont bénéficie l’ensemble des personnels de l’entreprise. Le coût total des dépenses de personnel prises en compte dans le coût de la production nucléaire a augmenté de 22 % entre 2008 et 2013 (4,1 % par an environ) rapporté à la production, en passant de 6,01 à 7,33 euros par MWh sur la période. Ces évolutions s’expliquent notamment par :

– les enseignements tirés de l’accident de Fukushima Daiichi qui a montré par exemple qu’il fallait pouvoir disposer d’équipes de conduite renforcées avec des Forces d’action rapide nucléaire (FARN) ;

– le renforcement des métiers dans des domaines où les exigences s’accroissent ;

– l’augmentation et la lourdeur des opérations de maintenance qui nécessitent plus de personnel pour prolonger la durée de vie des installations pour les visites décennales ;

– l’évolution de la réglementation qui limite ou interdit la sous-traitance pour certaines opérations sur les installations nucléaires de base (INB) ;

– le tuilage entre les générations pour maintenir le niveau de compétences alors qu’un renouvellement massif des effectifs est en cours.

Il est fort probable que ces évolutions se poursuivent dans les prochaines années, conduisant à une hausse progressive des dépenses de personnel, notamment pour assurer l’augmentation des opérations de maintenance ainsi que le tuilage du renouvellement des effectifs. Cette hausse devrait néanmoins être moindre que par le passé.

Vos rapporteurs spéciaux rappellent que la société Électricité de France (EDF) bénéficie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) à hauteur de 80 millions d’euros pour l’exercice 2013 et environ 100 millions d’euros pour l’exercice 2014.

Dans ce contexte, le scénario médian retient le maintien de la croissance actuelle des dépenses de personnel pour les 5 prochaines années, puis une baisse de cette augmentation par la suite. À l’inverse, le scénario haut anticipe une hausse plus importante des dépenses de personnel à l’avenir, tandis que le scénario bas prévoit leur rapide stabilisation.

● Les consommations externes autres que le combustible regroupent l’ensemble des achats effectués pour les besoins de la production nucléaire. Ces dépenses sont essentiellement des dépenses de sous-traitance et comprennent les dépenses de maintenance qui ne sont pas considérées comme des investissements et les frais logistiques. Le coût des consommations externes a augmenté de 23,1 % entre 2008 et 2013 (4,3 % par an environ) rapporté à la production, en passant de 4,56 à 5,62 euros par MWh sur la période. Compte tenu du vieillissement du parc et des besoins croissants pour en assurer une prolongation dans le respect des objectifs de sûreté de troisième génération, il est probable que la hausse des consommations externes se poursuive à l’avenir, mais dans une moindre mesure de ce qui a pu être observé par le passé. Dans ce contexte, le scénario médian retient le maintien de la croissance actuelle des consommations externes pour les 5 prochaines années, puis une baisse de cette augmentation par la suite.

● Les principaux impôts et taxes payés par EDF et qui entrent dans le coût de production de l’électricité nucléaire comprenaient en 2013 :

– la taxe sur les rémunérations pour 46 millions d’euros ;

– la taxe sur les installations nucléaires de base (INB) pour 558 millions d’euros ;

– la cotisation foncière des entreprises et la cotisation sur la valeur ajoutée pour 254 millions d’euros ;

– l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux pour 193 millions d’euros ;

– la taxe foncière pour 189 millions d’euros ;

– la taxe hydraulique versée aux agences de bassin et à Voies navigables de France pour 128 millions d’euros.

Les impôts et taxes ont augmenté de 33,1 % entre 2008 et 2013 (5,9 % par an environ) rapporté à la production, en passant de 2,57 à 3,42 euros par MWh sur la période. Ce type de dépense devrait sensiblement augmenter à partir de 2014 du fait de la création d’une contribution au profit de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) destinée à alimenter un fonds transitoire pour les études et travaux préalables à la construction du futur centre de stockage profond des déchets nucléaires (projet CIGEO). Cette contribution doit prendre fin à la date d’autorisation dudit projet, soit 2021. La contribution due par EDF à ce titre, à compter de 2014, doit s’élever à 86 millions d’euros, soit une hausse de 0,21 euro par MWh.

L’ensemble des prélèvements n’a pas vocation à augmenter aussi sensiblement que par le passé, sauf en ce qui concerne la taxe sur les installations nucléaires de base, que la Cour des comptes estime légèrement inférieure aux dépenses financées par des crédits publics pour le secteur nucléaire, ou la contribution pour le développement de méthode de stockage des déchets nucléaires, en raison de l’augmentation des besoins pour l’avenir.

Dans ce contexte, le scénario médian retient le maintien de l’augmentation actuelle des principaux impôts et taxes pour les 5 prochaines années, puis une baisse de cette augmentation et une stabilisation. À l’inverse, le scénario haut anticipe une hausse des principaux impôts et taxes à l’avenir, tandis que le scénario bas prévoit leur rapide stabilisation et diminution.

● Le coût des fonctions centrales et supports ont augmenté de 48,1 % entre 2008 et 2013 (8,2 % par an environ) rapporté à la production, en passant de 1,60 à 2,37 euros par MWh sur la période. Ces dépenses devraient se stabiliser à l’avenir, sauf en ce qui concerne les dépenses d’assurance (42 millions d’euros dont 6 millions d’euros au titre de la responsabilité civile d’EDF) qui pourraient sensiblement augmenter à l’avenir avec l’entrée en vigueur de nouvelles règles sur la responsabilité civile nucléaire (multiplication par 7 ou 8).

Dans ce contexte, les scénarios haut et médian prennent en compte cette augmentation des dépenses d’assurance.

● Synthèse. Dans l’ensemble des scénarios ci-dessus, l’évolution des coûts d’exploitation traduit principalement deux enjeux industriels forts pour le parc nucléaire existant. D’une part, l’accompagnement du projet industriel sur le parc existant avec l’augmentation des opérations de maintenance en exploitation et la densification des opérations réalisées lors des arrêts de tranches, notamment en vue d’un prolongement de la durée d’exploitation des centrales au-delà de 40 ans. D’autre part, l’évolution des effectifs du parc existant pour renouveler les compétences et pour suivre l’accélération des programmes de maintenance.

ÉVOLUTION DES CHARGES D’EXPLOITATION D’UNE CENTRALE NUCLÉAIRE EN FONCTION DES DIFFÉRENTS SCÉNARIOS

(en euros/MWh)

Source : Cour des comptes, Rapport « Le coût de production de l’électricité nucléaire », 2014.

c. L’évaluation du manque à gagner annuel doit prendre en compte le montant de la production annuel de la centrale

Le calcul du manque à gagner rend nécessaire l’évaluation de la production annuelle d’électricité nucléaire de la centrale. Cette production varie selon les années mais demeure sur la période, en moyenne, à un niveau proche des années précédentes du fait d’un taux de disponibilité relativement stable.

L’ensemble des scénarios retiennent une stabilisation autour de 80 % du taux de disponibilité de la centrale, soit environ 12 000 TWh de production annuelle.

d. D’importants investissements de maintenance doivent être réalisés

Il convient également de souligner l’importance des investissements de maintenance dans le coût total de production d’électricité d’origine nucléaire et leur forte évolution anticipée par EDF, encore renforcée par les conséquences de Fukushima Daiichi. Il existe un lien étroit entre l’évolution des dépenses d’investissements et la durée d’exploitation des centrales : il n’y a pas de prolongation sans investissements et la rentabilité de ces derniers est fonction de la durée d’exploitation.

Les coûts futurs liés à la maintenance du parc de production nucléaire ne sont pas connus avec certitude. Ils sont, en particulier, dépendants du vieillissement des composants et des installations et de l’évolution des exigences en matière de sûreté et d’exploitation. Leur réalisation est fonction de leur rentabilité potentielle, qui dépend, notamment, de la durée d’exploitation résiduelle des équipements concernés.

L’anticipation de ces investissements repose sur de nombreuses incertitudes, parmi lesquelles on compte principalement les anticipations des autorisations réglementaires de l’ASN et l’évolution du cadre légal sur la durée d’exploitation.

Néanmoins, si le principe d’une indemnisation est retenu, il faut dès lors considérer que les investissements nécessaires à assurer la sûreté et l’exploitation du parc nucléaire au-delà de 40 ans seront effectués par EDF.

Les besoins d’investissements d’EDF, dans une perspective de prolongement de la durée d’exploitation des réacteurs au-delà de 40 ans, sont estimés à près de 90 milliards d’euros 2010 entre 2011 et 2033, avec une progression particulièrement importante dans les premières années. À titre indicatif, le montant des investissements annuels d’EDF (3,804 milliards d’euros en 2013) a été multiplié par 3 depuis 2008 et par plus de 2 depuis 2010.

Ces investissements ne sont pas de même nature, même s’ils participent tous à l’objectif de permettre au parc actuel d’être exploité au-delà de 40 ans. Certains visent prioritairement à maintenir le niveau de production potentielle actuel, d’autres à améliorer la sûreté des réacteurs afin de satisfaire aux prescriptions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Sur la période 2014-2025, la moitié des investissements correspondront à des investissements de sûreté qui peuvent être classés en deux catégories :

– d’une part, les investissements visant à appliquer les prescriptions faites par l’ASN à la suite des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) « post Fukushima Daiichi ». EDF considère ne pas pouvoir dissocier d’une décision d’allongement de la durée de vie des réacteurs une partie de ces investissements (environ 6 milliards d’euros) et souhaite pouvoir les réaliser d’ici 2033, au fur et à mesure des 4ème visites décennales (calendrier qui n’a pas été confirmé par l’ASN) ;

– d’autre part, les investissements qui permettent une amélioration de la sûreté « au regard des objectifs de sûreté des réacteurs de 3ème génération », pour pouvoir demander l’autorisation de prolonger la durée d’exploitation des réacteurs au-delà de 40 ans.

L’autre moitié des investissements, qui correspond à la maintenance normale et à la rénovation ou au remplacement de gros composants dont la durée de vie est inférieure à 40 ans, est nécessaire, même en l’absence de prolongement de la durée d’exploitation des réacteurs, pour permettre au moins le maintien du niveau de la production. Toutefois, leur montant est lié à l’anticipation faite par l’industriel sur la durée d’exploitation effective des réacteurs et de la durée d’amortissement potentielle de ces investissements lourds.

Pour mettre l’intégralité du parc actuel en capacité de maintenir le niveau de production et, éventuellement, de prolonger la durée d’exploitation au-delà de 40 ans, une partie des investissements sera réalisée au-delà de 2025. Même si un chiffrage à un tel horizon est par nature un exercice très incertain, le total des investissements sur la période 2011-2033, qui devraient couvrir la quasi-totalité des quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW et de 1 300 MW, atteindrait environ 90 milliards d’euros 2010 (environ 110 milliards d’euros courants).

Électricité de France (EDF) évalue l’ensemble des investissements devant être réalisés sur son parc à environ 55 milliards d’euros, soit 950 millions d’euros par réacteurs. EDF nous a indiqué qu’environ 300 millions d’euros d’investissements ont déjà été réalisés sur le site de Fessenheim. Sur l’ensemble de la période, cela représente environ 65 millions d’euros d’investissements annuel.

Sur la base du programme d’investissement mis en avant par l’exploitant, si l’on retient le scénario médian d’évolution des prix et des coûts, et que l’on émet l’hypothèse d’une production stable autour de 12 000 TWh, on obtient en moyenne sur la période 2014-2040 un manque à gagner annuel d’environ 200 millions d’euros.

e. Synthèse graphique des différents scénarios de manque à gagner annuel de la centrale

MANQUE À GAGNER ANNUEL DE LA CENTRALE EN FONCTION DES DIFFÉRENTS SCÉNARIOS (2014-2040)

Le graphique précédent présente les différents scénarios du manque à gagner annuel de la centrale de Fessenheim sur la période 2014-2040. Il est important de noter que les scénarios les plus extrêmes ont très peu de chance de réalisation, tandis que les scénarios proches du scénario médian – c’est-à-dire les scénarios oscillant entre 150 et 250 millions d’euros de manque à gagner par an – ont une probabilité de réalisation plus importante. De même, le degré d’incertitude augmente de manière significative avec le temps, ainsi que les écarts observés entre les différents scénarios.

2. Le choix de la durée de référence est essentiel à l’évaluation du montant total du manque à gagner pour l’exploitant sur l’ensemble de la période

La durée de référence retenue comme base pour l’évaluation du montant du manque à gagner total sur l’ensemble de la période doit faire l’objet d’une attention toute particulière. S’il est retenu comme durée de référence uniquement la durée certaine d’exploitation aujourd’hui permise, soit 40 ans de fonctionnement, le manque à gagner total, sur la base du scénario médian, oscillerait autour de 750 millions d’euros. Inversement, si on considère que les prescriptions de l’ASN sont suffisantes pour garantir un niveau de sûreté optimal, et que l’on peut envisager sérieusement une prolongation de la durée de fonctionnement jusqu’à 60 ans, le manque à gagner total, sur la base du scénario médian, oscillerait alors autour de 4,7 milliards d’euros.

Cette durée de référence fait l’objet de nombreux débats parmi les experts sans consensus apparent. Une première approche consiste à ne retenir que la durée de fonctionnement certaine, c’est-à-dire la durée pour laquelle l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a affectivement autorisé le fonctionnement de la centrale. Pour la centrale de Fessenheim, la date retenue est 2019 pour le réacteur n° 1 et 2021 pour le réacteur n° 2. Si la centrale doit être fermée courant 2016, à la suite de la mise en service de l’EPR de Flamanville, le manque à gagner total ne doit être calculé que sur 4 années de fonctionnement de la centrale.

Néanmoins, rien ne laisse entendre que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), conformément au droit en vigueur, n’aurait pas autorisé le fonctionnement de la centrale nucléaire pour dix années supplémentaires, sous réserve des travaux de rénovation et de modernisation prescrits par le régulateur lors des réexamens décennaux de sûreté. L’exploitant soutient que l’essentiel des centrales nucléaires du parc français peuvent fonctionner en toute sûreté jusqu’à 60 ans. Dans cette perspective, Électricité de France (EDF) échelonne donc les investissements de rénovation sur les centrales nucléaires dans une perspective industrielle de 60 années de fonctionnement. À titre d’exemple, sur les deux réacteurs de Fessenheim, les générateurs à vapeur ont été récemment remplacés alors même que leur durée d’amortissement et de fonctionnement est structurellement prévue pour trente ans, l’objectif industriel d’EDF étant bien de poursuivre l’exploitation au-delà de 40 ans.

La seconde approche consiste à considérer qu’EDF aurait bien perdu une chance de poursuivre l’exploitation d’un outil industriel rentable dont la durée de fonctionnement peut aller bien au-delà de 40 ans. Dans ce cadre, il conviendrait de calculer le manque à gagner d’EDF non pas sur une durée de fonctionnement de 4 ans mais de 14 voire de 24 ans.

Selon la durée de référence retenue et le scénario retenu, le manque à gagner pour l’exploitant varie de 650 millions d’euros à 6,7 milliards d’euros. Selon toute probabilité, l’exploitant sollicitera une indemnisation de l’État si bien que ce coût privé risque d’être supporté par la collectivité.

B. LE MANQUE À GAGNER POUR L’EXPLOITANT SERT DE BASE DE CALCUL POUR DÉTERMINER LE MONTANT DE L’INDEMNISATION QUE L’ÉTAT DEVRA VERSER

Ainsi que le mentionne l’étude d’impact du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, il est probable que l’exploitant, EDF, sollicitera une indemnisation : « les arrêts des installations de production d’électricité au titre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, des plans stratégiques ou du mécanisme de plafonnement pourront, dans certains cas, nécessiter une indemnisation par l’État de l’exploitant. Cette indemnisation sera fixée au cas par cas en fonction du contexte particulier de chaque installation. Elle interviendra notamment si l’exploitant n’a d’autre choix que d’arrêter une installation de production avant la fin de la durée prévue pour son amortissement ».

1. Le principe juridique d’une indemnisation est hautement probable puisque la décision de fermeture anticipée induit un préjudice anormal et spécial pour l’exploitant

a. Le juge administratif considère que l’État est responsable des préjudices anormaux et spéciaux qu’il cause du fait des lois

La responsabilité de l’État du fait des lois est un régime de responsabilité sans faute dont l’existence a été consacrée par le Conseil d’État en 1938 (CE, 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers « La Fleurette »). Ce régime de responsabilité est fondé sur l’idée d’égalité devant les charges publiques. Aussi, peuvent bénéficier d’une indemnisation les personnes qui subissent – du fait d’une loi – un préjudice anormal et spécial que ne subit pas la généralité des citoyens.

Certes, la jurisprudence « La Fleurette » a été peu appliquée jusqu’au début des années 2000, le juge administratif ayant tendance à considérer que le législateur avait exclu implicitement le droit à une indemnisation en ne prévoyant pas explicitement celle-ci dans la loi. Mais le régime de responsabilité du fait des lois a pris récemment un nouvel essor sous l’impulsion du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme.

Par une série de décisions, le Conseil constitutionnel – à l’inverse du Conseil d’État – a considéré que la loi ne devait pas être interprétée comme excluant implicitement toute indemnisation – interprétation qui permet au Conseil constitutionnel d’écarter le grief d’inconstitutionnalité tiré de l’exclusion de toute indemnisation.

Dans plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel a, en effet, fondé la constitutionnalité de la loi sur le motif qu’il restait « loisible aux intéressés, pour le cas où l’application de la loi... leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d’en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d’égalité de tous devant les charges publiques » (Cons. const., déc. 4 juill. 1989, n° 89-254 DC : Journal Officiel 5 Juillet 1989 ; Rec. Cons. const. 1989, p. 41. – Cons. const., déc. 8 janv. 1991, n° 90-283 DC : Journal Officiel 10 Janvier 1991 ; Rec. Cons. const. 1991, p. 11. – Cons. const., déc. 27 nov. 2001, n° 2001-451 DC : Journal Officiel 1er Décembre 2001 ; Rec. Cons. const. 2001, p. 145). Sanctuarisée par le Conseil constitutionnel, la responsabilité de l’État du fait des lois – que le Conseil d’État, lui-même, s’était efforcé de marginaliser – échappe au législateur ; une loi qui écarterait toute indemnisation (mais également celle qui serait trop généreuse, V. à propos de la loi supprimant le monopole des avoués, Cons. const., déc. 20 janv. 2011, n° 2010-624 DC : Journal Officiel 26 Janvier 2011) serait certainement tenue pour contraire au principe d’égalité devant les charges publiques.

Source : Camile BROYELLE, Les Conditions de mise en jeu de la responsabilité du fait des lois, Droit Administratif n° 5, mai 2012.

Dans le même sens, par une décision du 24 juin 2011, le Conseil constitutionnel a posé comme principe qu’une loi ne pouvait exclure tout droit à indemnisation lorsqu’elle instituait un régime de retrait d’autorisation dès lors que ce retrait créait une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi (QPC n° 2011-141 du 24 juin 2011).

Dans ce contexte, le courant jurisprudentiel du Conseil d’État suggérant que le silence de la loi sur ce point excluait systématiquement et implicitement toute indemnisation peut être considéré comme caduc. Cette interprétation de la loi est en effet susceptible de lui conférer un caractère inconstitutionnel qui peut être sanctionné, le cas échéant, par la voie d’une QPC.

De même, la Cour européenne des droits de l’homme a promu la protection de la propriété en exigeant la réparation des atteintes aux biens résultant du fait d’une loi. Pour la Cour, l’atteinte à une autorisation administrative bénéfice de la même protection que l’atteinte à une propriété corporelle. La protection de l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme vise autant les biens corporels que les biens incorporels dotés d’une valeur patrimoniale et la Cour n’a pas hésité par exemple à qualifier comme tels les intérêts économiques liés à l’exploitation d’un débit de boissons (4), d’une gravière (5) ou d’un projet immobilier (6) alors même qu’ils étaient intimement liés à une autorisation administrative. Dans ce contexte, la Cour européenne des droits de l’homme accorderait vraisemblablement la même protection à l’autorisation administrative d’exploiter une centrale nucléaire.

En l’état de la jurisprudence administrative, le préjudice indemnisable est délimité par l’aléa normal auquel une personne est normalement exposée. Ne peuvent ainsi faire l’objet d’une indemnisation par l’État que les préjudices excédant les aléas inhérents à l’activité en cause, revêtant de ce fait un caractère grave et spécial, et ne devant pas rester normalement à la charge des intéressés.

b. La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim constituerait un préjudice indemnisable pour Électricité de France (EDF)

La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim – pour un motif autre que celui du droit en vigueur afférent à l’exigence de sûreté – engagerait la responsabilité de l’État, et poserait alors la question de l’indemnisation du préjudice de l’exploitant.

La fermeture prendrait la forme d’un retrait de l’autorisation initiale, laquelle est protégée au titre du droit au respect des biens par le premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme. Cette autorisation initiale, délivrée par décret du 3 février 1972, ne prévoyait pas de limite à la durée d’exploitation de la centrale.

De surcroît, le préjudice de l’exploitant excéderait l’aléa normal au sens de la jurisprudence administrative car l’entreprise ignorait que la loi serait modifiée au jour où elle a réalisé les investissements nécessaires à l’exploitation de la centrale de Fessenheim et à la construction de Flamanville 3.

Il est important de souligner que, même s’il ne prévoit pas expressément la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte n’écarte pas la responsabilité de l’État. Autrement dit, le fait d’imposer à EDF de solliciter elle-même la fermeture d’une centrale ne suffirait pas à exclure la responsabilité de l’État.

En effet, le dispositif prévu aboutit à un résultat identique. Dans le cadre d’un contentieux devant le Conseil d’État ou la Cour européenne des droits de l’Homme, EDF n’aurait aucune difficulté à démontrer que l’objet du projet de loi est de contraindre l’exploitant à fermer une centrale – comme le démontre d’ailleurs l’institution d’un délégué interministériel en charge de cette mission avant même que la loi ne soit votée.

Le décret n° 2012-1384 du 11 décembre 2012 a institué un délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire et à la reconversion du site de Fessenheim. Ce délégué est placé auprès du ministre chargé de l’énergie. Il est chargé de coordonner les opérations nécessaires à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Il doit notamment négocier un protocole d’accord avec l’exploitant précisant les conditions juridiques et économiques de la fermeture.

M. Francis ROL-TANGUY a été le premier a occupé cette fonction. Il a été remplacé au début de l’année par M. Jean-Michel MALERBA.

EDF s’est refusée à ce jour à donner des indications chiffrées sur le montant de l’indemnité qu’elle serait susceptible de réclamer. La position officielle d’EDF est d’attendre le vote de la loi pour formuler sa position.

Extraits du Compte-rendu n° 59 de la Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, 6 mai 2014.

M. Henri Proglio. Vous m’avez interrogé sur l’avenir de Fessenheim. À tout moment, l’ASN peut décider, pour des raisons de sûreté, de fermer une exploitation nucléaire sans compensation. Le président d’EDF peut également le faire. En revanche, si la décision est prise par la voie législative, qui exige un vote du Parlement et un décret d’application, il est logique que l’entreprise sollicite une indemnisation. Une telle démarche est aussi naturelle que nécessaire, compte tenu des responsabilités de l’entreprise vis-à-vis de ses actionnaires.

Le cas échéant, l’indemnisation devra être juste et précise. Elle fera l’objet d’une évaluation, qui n’a pas encore été arrêtée mais qui sera transmise, en temps voulu, pour analyse contradictoire, voire pour arbitrage.

M. Hervé Mariton. Aura-t-elle lieu avant ou après le vote de la loi ?

M. Henri Proglio. Après. L’indemnisation chiffrera le manque à gagner pour l’entreprise, ce qui fera peut-être l’objet d’une discussion. Pour l’instant, je n’ai pas été sollicité sur le sujet, et je ne souhaite pas ouvrir le débat avant l’heure.

2. Le montant de l’indemnisation que l’État devra verser s’établirait, sur la base du scénario médian retenu, à environ 4 milliards d’euros

Il faut préciser que le montant de l’indemnisation ne couvrirait pas le montant total du manque à gagner que subirait l’exploitant jusqu’en 2040. En effet, dans le cadre d’un contentieux entre l’État et l’exploitant, il est fort probable que le juge considère comme non-certaine la prolongation de l’exploitation au-delà de 40 ans, et n’indemnise en conséquence non pas l’intégralité du manque à gagner, mais seulement la perte de chance pour l’exploitant de poursuivre son activité. Il reviendra alors au juge et aux experts d’estimer cette perte de chance, sur laquelle ni l’exploitant, ni l’ASN, ni l’État ne tiennent à s’exprimer.

En droit, la perte de chance est évaluée et chiffrée sous la forme d’un pourcentage qui représente un degré de probabilité. Le montant des dommages et intérêts est alors égal au pourcentage de perte de chance appliqué sur la totalité du manque à gagner.

La perte de chance d’obtenir l’autorisation d’exploiter la centrale de Fessenheim jusqu’en 2040 a été évaluée par les rapporteurs à 85 % dans le cas d’une prolongation de la durée d’exploitation jusqu’à 60 ans. Ce chiffrage assez haut paraît hautement crédible quand on sait que les centrales américaines, de même conception, ont d’ores et déjà obtenu l’autorisation d’être exploitées durant soixante années.

Préjudice certain / durée incertaine.

Seul le préjudice certain est indemnisablenaires.

Le préjudice certain inclut la durée certaine d’exploitation de la centrale – c’est-à-dire jusqu’en 2019 pour l’un des réacteurs, et 2021 pour l’autre.

Mais le préjudice certain inclut également la durée incertaine – jusqu’en 2040 – dès lors que la chance perdue de poursuivre l’exploitation jusqu’à cette date était sérieuse.

Il ne faut donc pas confondre les concepts de préjudice certain et de durée incertaine.

Pour rappel, dans le scénario médian des rapporteurs, le manque à gagner jusqu’en 2040 pour l’exploitant pouvait être évalué à 4,7 milliards d’euros. En retenant l’hypothèse d’une perte de chance de 85 %, l’indemnité à verser avoisinera alors les 4 milliards d’euros.

Pour une durée similaire, le scénario haut chiffre l’indemnité à environ 5,7 milliards d’euros, et le scénario bas à environ 2,4 milliards d’euros.

Scénario d’évolution des prix et des coûts

Nombre d’années de fonctionnement restant

Manque à gagner total sur la période

Chance d’obtenir l’autorisation d’exploiter

Montant de l’indemnisation

C. SYNTHÈSE DES DIFFÉRENTS SCÉNARIOS, MANQUE À GAGNER DE L’EXPLOITANT ET INDEMNITÉS À VERSER

Haut

4

850 m €

100 %

850 m €

14

3 250 m €

90 %

2 900 m €

24

6 700 m €

85 %

5 700 m €

Médian

4

750 m €

100 %

750 m €

14

2 500 m €

90 %

2 250 m €

24

4 700 m €

85 %

4 000 m €

Bas

4

650 m €

100 %

650 m €

14

1 700 m €

90 %

1 500 m €

24

2 850 m €

85 %

2 400 m €

En gras, scénario retenu par les rapporteurs.

CONCLUSION

Si on considère comme période de référence une exploitation de 2016 à 2040 – soit une durée d’exploitation restante de 24 années, et que l’on s’appuie sur les résultats du scénario médian élaboré par les rapporteurs, soit un manque à gagner annuel d’environ 200 millions d’euros, le manque à gagner total subi par l’exploitant sur la période se chiffrerait à environ 4,7 milliards d’euros.

Cela ne signifie pas pour autant que ce résultat sera retenu par le juge pour fixer le montant de l’indemnisation à verser à l’exploitant. En effet, la prolongation de l’exploitation au-delà de 40 ans étant non-certaine, seule la perte de chance pour l’exploitation de poursuivre son activité serait indemnisée.

En retenant l’hypothèse d’une chance d’obtenir l’autorisation d’exploiter jusqu’en 2040 à 85 %, l’indemnité à verser avoisinera les 4 milliards d’euros.

Même si le montant exact de l’indemnité ne peut être qu’évalué et que cette évaluation dépend des hypothèses retenues, les rapporteurs soulignent que, juridiquement, la condamnation de l’État est hautement probable et que le montant de l’indemnité serait élevé.

Le coût global pour la collectivité sera cependant supérieur, car à l’indemnisation de l’exploitant, il faudra ajouter le coût social de la fermeture anticipée, sous la forme d’investissements dans le réseau, de milliers de postes durablement et immédiatement touchés et d’une perte fiscale importante pour les collectivités locales avoisinantes. Le coût social de la fermeture, même s’il ne peut être chiffré avec certitude, avoisine globalement sur l’ensemble de la période autour de 1 milliard d’euros.

Au total, la seule fermeture de la centrale entraînerait donc une perte globale pour la collectivité de près de 5 milliards d’euros et d’environ 2 000 emplois, sans compter l’impact induit d’une probable hausse des prix de l’énergie pour notre compétitivité.

Par conséquent, une telle décision ne peut pas être adoptée sans que dans le débat les aspects financiers ne soient pris en compte, d’autant plus que de telles conséquences risquent de se reproduire à chaque nouvelle fermeture anticipée de centrale, du fait cette fois-ci non pas de l’application du plafond de production mais de la mise en œuvre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

En effet, l’objectif de diversification de la production électrique et la réduction de la part du nucléaire à 50 % dans le mix électrique conduirait indirectement, dans certaines hypothèses, à la fermeture d’une vingtaine de réacteurs à l’horizon 2025. En effet, sur la base des scenarios formulés par Réseau de transport d’électricité (RTE) sur les consommations électriques futures, la PPE pourrait conduire à la fermeture d’une vingtaine de réacteurs nucléaires dans l’hypothèse où la consommation électrique resterait constante, ou inversement à aucune fermeture dans l’hypothèse d’une forte augmentation de la consommation d’électricité.

Dans le cas de la fermeture anticipée d’une vingtaine de réacteurs, et dans l’hypothèse d’un respect du calendrier actuel de la PPE, le coût global se chiffrerait alors en dizaine de milliards d’euros.

À l’heure où la contrainte budgétaire est forte, les rapporteurs spéciaux estiment qu’il serait sans doute préférable de reporter une telle décision, afin de permettre à un outil rentable économiquement et techniquement sûr de terminer son cycle de vie.

Les rapporteurs spéciaux sont convaincus qu’il est nécessaire de diversifier les sources d’énergie dans notre pays, et que maintenir un niveau proche de 75 % de notre production d’électricité sur un seul mode de production n’est pas souhaitable à long terme. Cet objectif ne doit pas pour autant conduire à des décisions conduisant à remettre en cause la politique énergétique des cinquante dernières années sans réflexion économique approfondie.

Quelle que soit la politique énergétique à long terme suivie, il serait judicieux, sur le plan budgétaire et économique, de conserver le bénéfice de la « rente du nucléaire » en s’abstenant de fermer prématurément les sites de deuxième génération actuellement en exploitation.

*

* *

EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION

La Commission examine le rapport d’information sur le coût de la fermeture anticipée de la centrale nucléaire de Fessenheim.

M. le président Gilles Carrez. Deux rapports d’information vont nous être présentés cet après-midi. Tout d’abord celui de Marc Goua et Hervé Mariton, nos deux rapporteurs spéciaux sur l’énergie sur le  Coût de la fermeture anticipée de réacteurs nucléaires : l’exemple de Fessenheim.

En juillet dernier, j’ai accompagné nos deux collègues à Fessenheim. Nous avons rencontré l’équipe de direction et les représentants du personnel de la centrale dont nous avons visité les installations. Ce sujet important représente des enjeux financiers qui sont tout sauf « farfelus ».

M. Charles de Courson. Avant que nous commencions, je proposerais une motion de soutien de la commission des Finances à nos deux rapporteurs – qui n’ont rien de « farfelus », eux non plus – car les propos de la ministre de l’écologie sont inacceptables.

M. le président Gilles Carrez. J’approuve cette initiative. Voyez, mes chers collègues, vous bénéficiez du soutien de la Commission avant même de présenter votre rapport !

M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Nous avons eu beaucoup de plaisir à élaborer ensemble ce rapport qui vise à éclairer les débats en séance du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

Ce travail nous est apparu d’autant plus nécessaire que ni le projet de loi sur la transition énergétique ni son étude d’impact ne font apparaître les coûts, en particulier budgétaires, qui résulteraient de deux choix : plafonner la production nucléaire à 63,2 gigawatts, ce qui impliquera la fermeture de réacteurs nucléaires au moment de l’entrée en service de l’EPR de Flamanville en 2016-2017 et limiter à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique à l’horizon de 2025, ce qui provoquera la fermeture d’une vingtaine de réacteurs nucléaires.

Ces décisions engendrent des conséquences sociales, économiques et énergétiques, particulièrement sensibles au niveau local. Elles impliquent aussi une indemnisation de l’entreprise EDF – puisque ces choix industriels lui sont dictés par la loi – et donc des coûts budgétaires. Il était donc important que notre Commission et l’Assemblée nationale en soient informées avant la délibération en séance même si, jusqu’à présent, l’État et Électricité de France ne se sont pas beaucoup investis dans le chiffrage.

Les deux grands principes du projet de loi, que je viens de rappeler, conduisent à des fermetures anticipées de centrales nucléaires. Aucune autre raison ne justifie leur fermeture dans le calendrier prescrit.

Cette fermeture est anticipée puisque l’Autorité de sûreté nucléaire a d’ores et déjà délivré des autorisations de prolongement d’exploitation qui vont au-delà de 2017 et qui mènent à une durée d’exploitation de quarante ans. Par ailleurs, l’état des réacteurs, la stratégie de l’entreprise et la référence à d’autres pays peuvent permettre d’envisager un prolongement de la durée de vie d’un réacteur très au-delà de quarante ans. EDF évoquait un objectif de soixante ans et, aux États-Unis, une durée de vie de quatre-vingts ans est envisagée pour certaines centrales.

Une centrale nucléaire finira toujours par fermer. Nous n’avons pas construit notre raisonnement sur l’idée que les centrales seraient éternelles mais toute la question est de savoir à quel moment elles doivent fermer, compte tenu des investissements réalisés, des exigences de sécurité à respecter, de la valeur ajoutée économique et des profits engendrés.

La diminution à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique en 2025 conduit à la fermeture anticipée d’une vingtaine de réacteurs. Une centrale possède entre deux et six réacteurs ; Fessenheim en compte deux. Notre travail s’est appliqué à cette dernière centrale, ciblée à plusieurs reprises par le Président de la République. Cela étant, ce rapport vaut quel que soit le réacteur fermé car les conséquences sont les mêmes : pertes de valeur, compensation pour l’opérateur, suppressions d’emplois, baisse des recettes pour les collectivités et autres effets induits. Pour limiter la production nucléaire à 63,2 gigawatts, on peut fermer les deux réacteurs de Fessenheim ou répartir les fermetures sur plusieurs sites. Pour diminuer à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique en 2025, il faut fermer une vingtaine de réacteurs.

La diversification du mix énergétique nous paraît très justifiée et nous n’écrivons pas que la part d’électricité nucléaire doit rester à 75 % pour l’éternité, mais il n’est pas raisonnable d’en précipiter artificiellement la baisse. Quant au développement des énergies renouvelables, il nous paraît souhaitable à bien des égards. Mais ces énergies devraient d’abord remplacer des énergies fossiles – qui ont un impact négatif sur l’environnement et sur la balance commerciale – et non pas se substituer à une capacité de production nucléaire arrêtée de manière anticipée.

M. Marc Goua, rapporteur spécial. Le scénario présenté par mon collègue Mariton – qui pourrait conduire, sous certaines hypothèses, à la fermeture de près d'une vingtaine de centrales nucléaires à l'horizon 2025-2030 – ne fait pas l'unanimité parmi les acteurs rencontrés. Cela étant, aucun des scénarios retenus ne fait véritablement l'unanimité.

L’un des scénarios alternatifs, dit « de consommation forte », ne conduit à aucune fermeture additionnelle de centrales nucléaires, en plus de celle de Fessenheim. Présenté il y a quelques mois par Réseau de transport d'électricité – RTE – parmi quatre autres scénarios, il émet l'hypothèse d'une diversification des modes de production d'électricité associée à une augmentation sensible de la consommation électrique. Rappelons que les électro-intensifs font actuellement état d’une baisse. Dans ce cadre, il deviendrait possible de maintenir la capacité de production nucléaire à son niveau actuel tout en diminuant sa part relative dans le mix électrique total. Un tel scénario ne conduirait à aucune fermeture anticipée de centrale, tout en ramenant la part du nucléaire à 50 % à l'horizon 2030.

Qu’en est-il de l'évolution du cadre juridique concernant les opérations de fermeture de centrales nucléaires ? Le projet de loi relatif à la transition énergétique fait référence à une capacité de production maximum, sans citer le cas particulier de Fessenheim sur lequel nous nous sommes focalisés. Le texte se contente d'ouvrir la possibilité de fermeture d'un réacteur nucléaire pour une raison inédite : un motif de politique énergétique et de diversification du mix de production électrique.

Jusqu'à présent, une centrale ne pouvait être fermée que par l'Autorité de sûreté nucléaire pour des raisons de sûreté ou par l'exploitant pour un motif de politique industrielle. L'État ne pouvait pas ordonner unilatéralement la fermeture d'une centrale nucléaire. Le projet de loi fait évoluer cette situation en imposant un plafonnement qui impliquerait la fermeture de deux réacteurs nucléaires d'une puissance de 900 mégawatts chacun lors de la mise en service de l'EPR de Flamanville. Le projet de loi laisse à l'exploitant le soin de déterminer sa stratégie industrielle dans le cadre d'un plan stratégique qui devra respecter la nouvelle programmation de politique énergétique. Les plans seront communiqués au ministre de l'énergie qui se prononcera sur leur compatibilité à la programmation. Avec mon collègue, nous avons étudié la possibilité de se limiter à 63,2 mégawatts en baissant la production centrale par centrale. C’est possible techniquement, mais les risques et les coûts seraient supérieurs. Il nous semble que l’exploitant écartera cette solution.

Dans un premier temps, le choix de fermeture s’était porté sur Fessenheim, la centrale la plus ancienne. Cela étant, comme nous avons pu le constater lors de notre visite, des travaux extrêmement importants y ont été effectués et elle présente un niveau de sûreté équivalent à celui des autres. En France, toutes les centrales sont régulièrement réévaluées afin d'atteindre le niveau de sûreté le plus proche possible de celui d'un réacteur de troisième génération.

Dans le cadre du prolongement de la durée de l'exploitation au-delà de quarante ans, près de 280 millions d'euros ont été investis par EDF pour renforcer la sûreté des deux réacteurs de Fessenheim. L'Autorité de sûreté nucléaire a notamment imposé le renforcement du radier du réacteur n° 1. En toute logique, l'ASN n'a pas émis d'objections à la poursuite du fonctionnement du réacteur n° 1 jusqu'en 2019 ainsi que du réacteur n° 2 jusqu'en 2021, puisqu’ils respectent l'essentiel de ses prescriptions. Par conséquent, la fermeture de Fessenheim interviendrait au moment où son niveau de sûreté est le plus élevé depuis sa mise en service.

M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Venons-en à l’évaluation des conséquences financières de ces décisions. Le projet de loi relatif à la transition énergétique donne les moyens juridiques à l’État, qui n’en disposait pas précédemment, de provoquer ces fermetures. Mais l’État devra indemniser l’opérateur pour cette fermeture anticipée.

Interrogés dans le cadre des auditions de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire ou de nos travaux, le Gouvernement et l’opérateur ont reconnu le principe de cette indemnisation. L’entreprise EDF mènerait une politique contraire à son intérêt social si elle ne revendiquait pas cette indemnisation, et elle compte d’ailleurs des partenaires étrangers dans nombre de ses centrales. Dans le cas de Fessenheim, il s’agit de l’Allemand Energie Baden-Württenmberg – EnBW – et des Suisses Alpiq, Axpo et Bernische Kraftwerke – BKW. Ceux-ci revendiqueront leur part d’indemnisation.

Ce principe d’une indemnisation n’est contesté ni par le Gouvernement ni par l’opérateur, mais ni l’un ni l’autre n’ont été très diserts – c’est le moins que l’on puisse dire – sur l’évaluation du préjudice et de l’indemnité afférente. De la part du Gouvernement, le manque d’informations est problématique dans le cadre du débat sur la transition énergétique : il n’y a rien dans l’étude d’impact. S’agissant de l’entreprise, c’est aussi très surprenant : elle ne donne pas l’impression de défendre au mieux ses intérêts.

Nos évaluations partent de plusieurs constats. Actuellement, l’opérateur a une certitude – relative puisque des incidents de fonctionnement peuvent se produire – d’exploitation de la centrale pour une durée de quarante ans. Celle-ci peut être prolongée jusqu’à cinquante, soixante, soixante-dix ans et même au-delà.

Le premier type d’analyse juridique considère que seule la certitude actuelle permettrait de fonder l’indemnisation ; le second estime que rien n’oblige actuellement l’opérateur à s’arrêter à quarante ans car l’ASN maintient cette question ouverte et que la probabilité de fonctionnement au-delà de quarante ans est extrêmement importante. Nous avons privilégié cette deuxième hypothèse. S’il n’y a pas de certitude absolue au-delà de quarante ans, nous constatons que rien – ni l’évolution du niveau technique de la centrale, ni la pratique à l’étranger, ni la stratégie de l’entreprise – ne peut justifier une fermeture couperet à quarante ans, au contraire. Nous avons donc retenu l’hypothèse de soixante ans avec une probabilité de 85 % pour effectuer le calcul de l’indemnisation.

Ce matin, la ministre a déclaré que l’intérêt général justifiait la fermeture. L’intérêt général peut être exprimé dans la loi que nous adopterons mais, comme dans le cas d’une expropriation ou d’une nationalisation, il ne fait pas obstacle à l’indemnisation par l’État.

Cette évaluation dépend des coûts supportés par l’opérateur, à la fois ceux qui sont induits par les investissements – y compris ceux qui sont engagés, en particulier dans le cadre de la gestion post-Fukushima – et ceux qui sont nécessaires à la reconduction décennale. Pour évaluer les produits économiques, nous avons retenu une hypothèse de prix médiane. En multipliant ces données par le nombre d’années, nous obtenons le coût engendré par la décision de l’État de la fermeture anticipé : 4,7 milliards d’euros. En modulant ce chiffre par la probabilité de la décision de 85 %, nous arrivons à 4 milliards d’euros auquel il faut ajouter les coûts de démantèlement, les coûts sociaux et les contreparties pour les collectivités locales. Ces dernières vont perdre des ressources et, si les règles ne changent pas, certaines d’entre elles pourraient même avoir des recettes négatives : elles contribuent à des péréquations supérieures à leurs rentrées futures.

Une fois ces dépenses prises en compte, dans le cadre d’un scénario et d’hypothèses médians, notre estimation du coût global de la fermeture anticipée s’élève à 5 milliards d’euros, dont un coût d’indemnisation – pour le contribuable – de quelque 4 milliards d’euros.

Si le scénario est construit sur une certitude de prolongement et des prix de l’énergie plus élevés, la facture dépasse 4 milliards d’euros. S’il se fonde sur des hypothèses inverses, le coût global devient inférieur à 4 milliards d’euros. Le nôtre nous paraît raisonnable et il aboutit à un chiffre utile au débat. Rappelons qu’au terme de la durée de vie de soixante ans et à la veille de sa fermeture, la centrale fonctionne toujours bien, en respectant les règles de sûreté. Nous aurions donc pu retenir une durée de vie de quatre-vingts ans comme aux États-Unis. Nous avons borné notre calcul de manière raisonnable, sans pousser à l’extrême, en retenant une durée de vie qui est communément évoquée dans l’industrie.

L’ASN ne s’engage jamais en amont mais elle n’a pas indiqué non plus que ce ne serait pas soixante ans. L’entreprise sera donc tout à fait fondée à dire que ses méthodes, ses perspectives industrielles et son respect des garanties de sûreté imposées par les règles et la jurisprudence de l’ASN lui permettent d’aller au moins jusque-là.

Dans tous les cas, il apparaît que l’État – en définitive le contribuable – pourrait avoir à engager des sommes considérables. Les différentes analyses juridiques explicitées dans le rapport confirment toutes ce principe de l’indemnisation qui n’est plus contesté par aucun acteur, pas même par l’État. Désormais, seule la question de son montant se pose. J’invite respectueusement Mme Royal à nous donner un chiffrage, au lieu de juger notre travail « farfelu ».

M. Marc Goua, rapporteur spécial. Notre calcul retient une durée de vie de centrale de soixante ans et un aléa de 85 %. Le calcul de l’indemnisation donnera lieu à une bataille juridique sur la perte de « chance certaine d’exploitation », c'est-à-dire la durée accordée actuellement par l’ASN et les éventuelles prolongations. C’est pourquoi nous avons formulé diverses hypothèses dont l’une aboutit à un coût de fermeture de 750 millions d’euros.

Certains me prennent à partie et me questionnent sur nos hypothèses. Dans une étude publiée en juillet 2014, l'INSEE indique que près de 2 000 emplois sont directement liés à la centrale : 855 salariés d'EDF, 510 emplois chez les sous-traitants et environ 550 emplois régionaux induits par la consommation de ces salariés. Elle montre que les revenus de près de 5 000 personnes dépendent de la centrale. Face à ceux qui prétendent qu’il n’y aura pas de coût social, je reste sceptique. Selon les élus que nous avons rencontrés, près d’un quart des ménages de Fessenheim travaille à EDF. La fermeture provoquerait un séisme.

Outre ses effets sur l’emploi, la fermeture aurait des conséquences sur les finances locales de la commune de Fessenheim et de la communauté de commune Essor du Rhin. En 2013, EDF a versé 13 millions d'euros d'impositions locales au titre de la centrale. Environ 80 % des ressources fiscales de la communauté de communes provient des impositions locales versées par EDF. Comme indiqué par mon collègue Mariton, en l'absence de réforme des mécanismes de compensation, la commune de Fessenheim, qui avait 3,7 millions d'euros de recettes en 2013, accuserait un déficit de 1,1 million d'euros en 2020.

Il convient ensuite d'ajouter le coût des travaux que devra entreprendre RTE sur l'infrastructure électrique afin de redimensionner le réseau alsacien et d’assurer l'approvisionnement de la région. Un premier lot de mesures, évalué à quelque 50 millions d'euros, serait nécessaire pour accompagner l'arrêt. Sachant que nous exportons de l’électricité, il faut aussi envisager des conséquences sur la balance commerciale française.

Environ dix pages du rapport sont consacrées à l’évaluation du coût, qui n’a donc pas été faite sur un coin de table. Selon les hypothèses l’estimation du coût peut être moins élevée. Si l'on estime que seule la durée certaine doit être indemnisée, soit quatre années de fonctionnement à partir de 2016, le montant de l'indemnisation chute alors à 750 millions d'euros. Il est néanmoins probable que le juge retienne l'idée selon laquelle EDF a bien perdu une chance de poursuivre son exploitation au-delà de 2019-2021, et indemnise l'exploitant en conséquence.

EDF et le ministère, les deux interlocuteurs privilégiés, ne se sont pas distingués par leur coopération remarquable. J’ai été surpris d’apprendre qu’EDF n’a pas de comptabilité analytique par centrale et nous avons donc dû reconstituer les chiffres.

M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Effectivement, ces deux interlocuteurs se sont montrés très peu coopératifs.

Reprenons les calculs. Nous évaluons le coût de l’arrêt de deux réacteurs à quatre milliards d’euros et, d’ici à 2025, il est prévu d’en arrêter une vingtaine. Même s’ils n’ont pas tout à fait le même profil de vie que ceux de Fessenheim, le coût total serait de l’ordre de 40 milliards d’euros. Imaginons que les fermetures ne soient pas effectuées de manière linéaire mais décalée jusqu’en 2025, ce qui poserait de sérieux problèmes sur le plan industriel mais qui serait le plus économe au regard de la perte de chance économique, le coût n’atteint pas 40 milliards d’euros mais il s’en approcherait. Tel est le coût d’indemnisation de la stratégie énergétique qui nous est proposée.

M. le président Gilles Carrez. Je remercie vivement Marc Goua et Hervé Mariton qui, dans des conditions difficiles et dans un laps de temps court, ont travaillé de façon aussi approfondie que possible et ont rédigé un rapport équilibré et objectif.

Pourquoi ai-je demandé à nos deux rapporteurs d’effectuer ce travail, il y a quatre mois ? Parce que l’État et l’opérateur EDF ne nous fourniraient pas d’éléments financiers, nous plaçant ainsi dans une situation stupéfiante : avoir à examiner le projet de loi relatif à la transition énergétique sans qu’aucun élément financier ne soit fourni, puisque l’étude d’impact est muette sur ce sujet. Le manque de réponse d’EDF est notamment lié au fait que le mandat du président est en cours de renouvellement. Quand des milliards d’euros sont en jeu, notre Commission a le devoir d’essayer d’apporter un minimum d’éclairage.

Après l’annonce présidentielle sur la fermeture de Fessenheim puis sur un plafonnement global, et compte tenu de la modification de la procédure prévue par le projet de loi – la décision de fermeture est transférée de l’ASN à l’État –, nous allions nous trouver, dans un processus dénué de toute analyse financière.

Lorsque j’ai accompagné mes deux collègues à Fessenheim et, sans être un spécialiste de ces questions, je me suis rendu compte de plusieurs choses. Il existe des partenariats avec des entreprises allemandes et suisses qu’il faudra indemniser. Des travaux, demandés par l’ASN pour prévenir les risques d’inondation de cette centrale proche du Rhin, sont en cours de réalisation. Les effets d’une fermeture sur les finances locales se chiffrent en centaines de millions d’euros. Une étude extrêmement rigoureuse de l’INSEE montre que 2 000 emplois seraient supprimés.

Vous pourrez vous faire votre jugement, à partir de tous ces éléments contenus dans le rapport. Pour ma part, je trouve absolument scandaleux que la ministre se permette, après avoir autorisé le débat public sur un projet de loi qui ne contient aucune étude d’impact digne de ce nom puisqu’elle n’a pas de volet financier, de traiter à l’avance ce travail de « farfelu ». Cela montre à quel point le processus est complètement détourné pour des raisons quasi idéologiques.

Je demande à tous les membres de cette commission d’avoir une exigence : qu’il y ait des études financières avec des variantes et que, à partir du remarquable travail fait par notre Commission, tous les éléments de coût soient apportés, analysés voire contestés, à la fois par les services de l’État et par l’opérateur. C’est de cette manière que nous arriverons à prendre des décisions en connaissance de cause. Cette question porte sur plusieurs dizaines de milliards d’euros. Dans un pays qui ne parvient pas à réduire ses déficits, traiter le sujet avec autant de désinvolture me paraît hautement irresponsable.

Mme Arlette Grosskost. Je ne saurais dire mieux que le président de notre Commission. Tous les chiffres que nos deux rapporteurs spéciaux présentent sont bien connus localement. En tant qu’élue du Haut-Rhin, je crains même que les conséquences sociales d’une fermeture de Fessenheim ne soient plus lourdes que celles qu’ils décrivent. En tout état de cause, elles dépasseraient largement les alentours de la centrale.

Il est urgent de prendre conscience de l’impact social et économique extrêmement négatif de cette décision. Aujourd’hui, aucune donnée ne nous laisse penser qu’une reconversion est envisageable ni espérer que ceux qui perdront leur emploi en retrouveront un autre à court terme. Rien ne nous prouve que la fermeture de la centrale soit nécessaire ; tout montre au contraire qu’il s’agirait d’une décision symbolique fondée uniquement sur une position idéologique.

M. Charles de Courson. Membre de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la transition énergétique, j’ai constaté que l’étude d’impact jointe au texte, prenait en compte une croissance annuelle de 1,8 % sur la période 2012-2050 et faisait l’hypothèse d’une fermeture de 30 % des cinquante-huit réacteurs nucléaires français d’ici à 2030. Si le taux de croissance de notre économie ne dépasse pas 1 %, ce qui correspond aux prévisions de l’OCDE et de la Commission européenne, il faudrait alors fermer la moitié des réacteurs. L’étude d’impact, dont ce devrait pourtant être l’objet, ne comporte aucun élément sur le coût économique et social de ces perspectives.

Aujourd’hui, aucun juriste sérieux ne conteste la nécessité d’une indemnisation d’EDF. Si son conseil d’administration, au sein duquel l’État est majoritaire, ne la réclamait pas, les intérêts minoritaires attaqueraient en justice pour abus, et ils gagneraient.

Les estimations présentées par le rapport d’information ne concernent pas directement la centrale de Fessenheim mais des réacteurs du type de ceux qui y sont installés. Je me suis rendu sur place à titre personnel, et j’ai rencontré le directeur qui a répondu à toutes mes questions. Fessenheim est la centrale dont la fermeture coûtera le plus cher avec celle de Chooz en raison de leurs liens particuliers avec les pays voisins. La centrale de Fessenheim a été cofinancée par les électriciens allemand et suisse qui bénéficient d’une partie de la production au prorata de leur investissement. Ils demanderont donc une indemnisation bien supérieure à celle que le rapport d’information prend en compte.

Sommes-nous en mesure de dépenser 40 milliards d’euros pour indemniser EDF et ses partenaires ? Je ne suis pas un partisan effréné du nucléaire : selon moi, la part du nucléaire dans la production électrique française doit reculer, mais cela doit se faire à un rythme raisonnable.

M. Dominique Lefebvre. Le sujet dont nous traitons est au cœur d’un débat public majeur qui nous interroge d’abord en termes de sûreté et de sécurité. Il pose la question du développement durable et comporte également des enjeux financiers.

Pour ma part, j’estime que l’industrie nucléaire participe aujourd’hui à la compétitivité de la France. Elle a toute sa place dans notre pays, et elle l’aura pendant encore longtemps. Cela ne doit toutefois pas nous empêcher de nous montrer volontaristes afin de faire diminuer la part de l’énergie d’origine nucléaire dans notre production et de permettre l’émergence des énergies renouvelables – ENR.

Le rapport d’information traite essentiellement des enjeux financiers de la fermeture de Fessenheim. Concernant les enjeux locaux, permettez-moi de vous dire que ma compassion pour les « communes nucléaires » a quelques limites : ceux qui, comme moi, viennent de communes beaucoup plus pauvres auront du mal à les plaindre, ils savent à quel point elles ont pu bénéficier durant des années d’une véritable « rente nucléaire ». Pour en revenir au cœur du rapport d’information, il me paraît un peu court de mettre en avant un scénario unique de fermeture de vingt réacteurs, dont la première ne coûterait pas moins de 5 milliards d’euros, au motif qu’une des hypothèses de RTE se fonde sur la stabilité de la consommation. Ces hypothèses ne sont que des hypothèses, et elles ne se réalisent jamais. Cela est d’autant plus gênant que seul ce scénario sera retenu et diffusé pas les médias.

De la même façon, les calculs prévoyant une indemnisation pour un montant de 4 milliards d’euros se fondent sur une durée de vie de la centrale de soixante ans, ce qui paraît un peu long lorsque l’on sait que l’Autorité de sûreté nucléaire – ASN – ne s’est prononcée que pour une exploitation jusqu’en 2021.

Nous ne pouvons pas mener le débat public sur le nucléaire en faisant primer l’argument économique comme vous le proposez. Parce que la fermeture de toute centrale pose un problème économique, il deviendrait alors impossible de sortir du nucléaire. Si notre Commission veut faire la transparence sur les coûts du nucléaire à partir du cas de la fermeture d’une centrale, il faut qu’elle travaille sur tous les coûts, y compris ceux qui sont masqués. Quid des coûts différés liés au démantèlement inéluctable des centrales ? Quid d’une fermeture que l’ASN imposerait du jour au lendemain ?

Depuis les années 1970, l’énergie nucléaire a beaucoup apporté au pays, y compris en termes de développement durable car elle est faiblement émettrice de gaz à effet de serre. Une transparence d’ensemble serait néanmoins nécessaire, et le rapport d’information aurait probablement gagné, sur ce plan, à être moins caricatural.

M. Patrick Ollier. Monsieur Lefebvre, alors que le développement durable vise à éviter les émissions de CO2 dans l’atmosphère, vous mettez en cause une technologie faiblement émettrice. Pourquoi, au contraire, ne pas valoriser une énergie propre qui ne pollue pas ?

Le mix énergétique est un mythe. Il s’agit d’une « invention politique » fondée sur un équilibre politique et non sur la réalité de la production énergétique. Ceux qui parlent du mix n’abordent par exemple jamais la question de l’hydraulique car la création d’un barrage soulève des résistances. On évoque en revanche largement le photovoltaïque ou l’éolien. La progression folle de la contribution au service de l’électricité – CSPE – liée au surcoût des contrats d’achat d’énergies renouvelables – ENR – n’est guère tenable : les Français accepteront-ils de payer deux fois plus cher uniquement pour aider les ENR ? Ces questions ne sont jamais abordées alors que certains spéculent sur le « mix » et font des fortunes…

Je m’inscris en faux contre les propos de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie qui parle d’un rapport « farfelu ». Ce qui est farfelu, c’est la « stratégie du mix » qui vise à imposer l’abandon d’un avantage compétitif majeur au profit d’énergies plus coûteuses. Cet énorme gâchis m’effraie et me consterne. La France est bien incapable de s’engager dans de telles dépenses. Retrouvons la raison ! Nous avons besoin d’une étude d’impact financier qui permette de dire la vérité aux Français. Sans cela, le projet de loi relatif à la transition énergétique serait voté sur un énorme malentendu, un quiproquo qui aurait des conséquences graves.

M. le président Gilles Carrez. Ce rapport d’information porte sur le chiffrage de la fermeture anticipée de réacteurs, Il n’est pas normal que l’étude d’impact du projet de loi relatif à la transition énergétique soit lacunaire sur un point aussi essentiel.

Concernant l’énergie nucléaire de façon plus générale, je rappelle que la Cour des comptes a présenté en 2012 un rapport sur les coûts de la filière électronucléaire ; il faudra continuer de mener ce type de travaux.

Mme Éva Sas. Monsieur le président, vous avez raison : une étude financière aurait dû accompagner le projet de loi relatif à la transition énergétique.

Pour notre part, nous souhaiterions connaître le coût réel du nucléaire pour notre pays, sujet qui n’est pas abordé par le rapport d’information. Vous avez évoqué une analyse équilibrée et éclairante ; j’estime au contraire qu’elle est orientée et qu’elle ne nous éclaire pas. Ce travail s’apparente à mon sens à une opération de communication.

Sur le plan de la méthode, des associations, parmi lesquelles Stop Fessenheim, Halte au nucléaire, ou Alsace nature, font savoir que M. Mariton n’était pas présent lors de leur audition, et qu’« aucun des éléments » qu’elles ont fournis n’a été repris dans le rapport d’information. Votre analyse est orientée, et vous plaidez uniquement à charge contre la fermeture de Fessenheim. Vous ne tenez compte que des emplois détruits sur le site alors que la substitution par les ENR produira de l’emploi ailleurs. Je rappelle qu’il n’y a rien de meilleur pour l’économie et l’emploi que la transition énergétique : un mégawatt produit grâce au nucléaire nécessite un emploi alors qu’un mégawatt solaire en demande neuf, et un mégawatt éolien, 3,3.

M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Avec une charrue pour cultiver le blé, on créerait à coup sûr encore plus d’emplois !

Mme Éva Sas. Toutes les études montrent que, si nous menions réellement à bien la transition énergétique, 330 000 emplois pourraient être créés à l’horizon de 2030. Ne parlez pas de catastrophe sociale : un chemin de sortie de crise se dessine au contraire pour notre pays dans une période où le chômage progresse !

Votre étude est très orientée, très partielle et très locale. Si vous preniez le problème dans son ensemble, vos conclusions ne pourraient être que plus positives.

Votre évaluation de l’indemnisation s’est faite sans EDF ; cela fragilise vos hypothèses. Vous travaillez sur une durée de vie des centrales de soixante ans ce qui me paraît une hypothèse très haute alors que le débat porte aujourd’hui sur les quarante ans. Vos évaluations finissent par entrer dans une fourchette comprise entre 650 millions d’euros et 5,7 milliards d’euros : vous avouerez que c’est assez large et que cela fragilise aussi la fiabilité de votre étude. On connaît bien la méthode qui consiste à prendre deux hypothèses fantaisistes aux deux extrêmes de l’échelle pour parvenir à la moyenne que l’on souhaite. Elle permet de se parer de toutes les vertus et d’affirmer que l’on recherche l’équilibre, mais il n’en est rien. À mon sens, votre scénario médian n’en est pas du tout un : il repose au contraire sur des hypothèses extrêmes.

Nous refusons d’autant moins de raisonner en termes de coût que, pour nous, le nucléaire est un coût pour la France et non une chance, mais il faut aussi voir plus loin. Je ne suis pas née en voulant sortir du nucléaire. « On ne naît pas écologiste, on le devient » dit Nicolas Hulot. Je me suis opposée au nucléaire le jour où j’ai compris que nous ne savions pas traiter les déchets et que leur durée de vie atteignait 24 000 ans pour le plutonium. Voulons-nous laisser de tels déchets à nos enfants ? C’est cela que vous appelez une énergie propre ? Nous ne pouvons pas aborder le nucléaire sous le seul angle économique.

M. Jean-Pierre Gorges. Madame Sas, vous devriez lire le rapport rédigé par M. Denis Baupin au nom de la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire remis au mois de juin dernier : avec les réacteurs de quatrième génération, les déchets produits seront beaucoup plus propres. Cela dit, le projet de loi relatif à la transition énergétique n’en tient pas compte non plus. Il n’attend pas plus les résultats de la commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité qui vient à peine d’être créée. Comment pouvons-nous travailler correctement sur ce projet alors que nous ne disposons que d’une étude d’impact indigente et que le Premier ministre semble adopter une nouvelle orientation en matière de politique énergétique ? Au moment où les écologistes rompent avec le parti socialiste ne vient-il pas d’affirmer : « le nucléaire est une filière d’avenir » ?

Le rapport d’information que nous examinons aujourd’hui devrait pousser la commission des Finances à réclamer le report de l’examen du projet de loi. Attendons les résultats de la commission d’enquête en cours ! Demandons au Premier ministre de nous expliquer ses déclarations et ses choix ! Décaler de six mois ou d’un an l’examen d’un projet de loi portant sur un sujet aussi important ne serait vraiment pas grave.

M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Pour auditionner la directrice de cabinet de Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, nous avons dû envoyer à cette dernière une lettre avec accusé de réception. Disons que le ministère n’a pas fait montre d’une transparence exemplaire ! Monsieur le président, je vous propose de convoquer Mme la ministre pour qu’elle nous présente les conséquences financières et budgétaires des articles du projet de loi de transition énergétique consacrés à l’avenir du nucléaire.

Madame Sas, je vous remercie d’avoir pris acte de notre choix de retenir la plus grande diversité d’hypothèses. C’est un signe de l’esprit d’ouverture du rapport. Chère collègue, vous aurez aussi remarqué que même les hypothèses basses sont très coûteuses.

Aujourd’hui les « quarante ans » ne sont plus un sujet de discussion. J’ajoute que l’ASN ne limite pas à quarante ans la durée des centrales, elle considère seulement qu’au-delà, il est nécessaire de prendre de nouvelles décisions.

La fermeture de deux réacteurs n’est pas une supputation : ce scénario est totalement assumé par l’exécutif et par l’opérateur. Il s’agira de l’une des conséquences de l’adoption du projet de loi relatif à la transition énergétique ; personne ne le conteste. Nous savons aussi désormais de façon certaine qu’il y aura indemnisation, même si son montant fait encore l’objet de débats.

Monsieur Lefebvre, vous avez évoqué les coûts liés au démantèlement des centrales. Ces coûts sont certains, et il faudra les décompter quoi qu’il arrive. Ils ne sont pas liés au caractère anticipé de la fermeture d’un réacteur. C’est pourquoi, nous ne les avons pas retenus dans nos calculs. Si nous l’avions fait, ceci aurait alourdi la note.

M. Marc Goua, rapporteur spécial. J’entends dire depuis ce matin que le rapport d’information que je présente est le fruit de « l’expression de lobbies ». C’est totalement inadmissible ! Une mission m’a été confiée ; avec Hervé Mariton, nous avons tenté de travailler le plus honnêtement possible à partir des éléments que nous avons recueillis. Il est intolérable que nous soyons accusés d’avoir subi la pression des lobbies. Comme lorsque j’ai travaillé en 2012 à un rapport d’information sur la question sensible de l’achat d’Uramin par AREVA, je me suis attaché honnêtement aux faits.

Nous avons reçu les associations et leurs contributions ne vont pas toutes dans le sens que vous espérez. Certaines associations estiment que la création d’un pôle exemplaire pour se substituer à la centrale fermée ne constituait pas une solution réaliste et que le nombre d’emplois créés serait faible. En matière d’emploi, nous avons fondé nos calculs sur le rapport de l’INSEE que j’ai déjà cité. Certes les énergies renouvelables créent des emplois, mais alors que notre pays traverse de très graves difficultés économiques et que les industries quittent la France, faut-il renoncer au pôle d’excellence que constitue le nucléaire et aux 400 000 emplois qui en relèvent ? Demain, si nous nous méfions de nos propres produits, pourrons-nous continuer à exporter des centrales nucléaires ?

Pour parvenir aux estimations qui sont les nôtres, nous avons étudié une grande diversité d’hypothèses. Une dizaine de pages y sont consacrées dans le rapport d’information. Tous les éléments sont à votre disposition – l’hypothèse d’une durée de vie de soixante ans n’est pas la seule prise en compte ; celle de quarante ans y figure aussi.

M. le président Gilles Carrez. Mes chers collègues, je vous remercie. Je proposerai à Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, de venir nous présenter, dès que le calendrier le permettra, les éléments financiers relatifs au projet de loi relatif à la transition énergétique.

En application de l’article 146 du Règlement, la Commission autorise la publication du rapport d’information relatif au coût de la fermeture anticipée de réacteurs nucléaires : l’exemple de Fessenheim.

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ANNEXE – LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Par ordre de rencontre

Commissariat à l’énergie atomique (CEA)

M. Bernard BIGOT, Administrateur général ;

M. Jean-Pierre VIGOUROUX, Chargé des relations publiques.

Fédération France Nature Environnement (FNE)

M. Jean-Paul LACOTE, Président de « Alsace Nature Haut-Rhin » ;

Mme Adeline MATHIEN, Coordinatrice du réseau énergie de FNE.

Réseau Sortir du Nucléaire

M. André HATZ, Stop Fessenheim ;

M. Jean-Jacques RETTIG, Comité de sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin ;

M. Jean-Marie BROM, Stop Transports-Halte au nucléaire.

Délégué interministériel et Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)

M. Jean-Michel MALERBA, Délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim ;

M. Michael OHIER, Adjoint au Délégué interministériel ;

M. Laurent MICHEL, Directeur général de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).

Autorité de sûreté nucléaire (ASN)

M. Pierre-Franck CHEVET, Président ;

M. Jean-Christophe NIEL, Directeur Général ;

M. Alain DELMESTRE, Directeur Général Adjoint.

Réseau de transport d’électricité (RTE)

M. Dominique MAILLARD, Président de RTE ;

M. Patrick BORTOLI, Délégué RTE pour la région Est.

M. François LEVEQUE, auteur de « Nucléaire On / Off, Analyse économique d’un pari » et professeur à Mines ParisTech.

Mme Camille BROYELLE, Professeure de droit public à la faculté Jean Monnet (Sceaux), université Paris Sud (Paris XI).

Société française d’énergie nucléaire (SFEN)

Mme Valérie FAUDON, Déléguée générale de la SFEN ;

Boris LE NGOC, Responsable développement.

Agence des participations de l’État (APE)

Mme Claire CHEREMETINSKI, Sous-Directrice de l’énergie à l’Agence des participations de l’État ;

Mme Nadia FAURE, Chargée d’affaire EDF à l’Agence des participations de l’État.

Électricité de France (EDF)

M. Bertrand LE THIEC, Directeur adjoint des Affaires publiques ;

M. Dominique MINIERE, Directeur délégué à la Direction production-ingénierie.

Cabinet de Mme la ministre Ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie

Mme Elisabeth BORNE, Directrice du cabinet du Ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie ;

M. Francis ROL-TANGUY, Conseiller auprès de la ministre, chargé de l’énergie, du mix énergétique, des transports et de la mer ;

M. Jean-Michel MALERBA, Délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Visite de la centrale nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim

Accompagné de M. Gilles CARREZ, Président de la commission des Finances et de M. Michel SORDI, député du Haut-Rhin.

M. Claude BRENDER, Maire de Fessenheim ;

M. François BERINGER, Président de la communauté de communes Essor du Rhin ;

M. Bertrand LE THIEC, Directeur adjoint des Affaires publiques ;

M. Thierry ROSSO, Directeur du CNPE de Fessenheim ;

Représentants des Organisations Syndicales représentatives.

1 () M. Pierre-Franck CHEVET ; Compte-rendu n° 16 de la Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire.

2 () La consommation d’électricité - corrigée des aléas climatiques et du soutirage de l’énergie - a été de 476 TWh en France durant l’année 2013, selon le bilan énergétique dressé par RTE.

3 () Jacques Percebois et Claude Mandil, Rapport de la Commission Énergies 2050, 2012, pp. 130 et suivantes.

4 () CEDH, 7 juill. 1989, n° 10873/84, Tre Traktörer Aktielobag c/ Suède.

5 () CEDH, 18 févr. 1991, n° 12033/86, Fredin c/ Suède. 

6 () CEDH, 29 nov. 1991, n° 12742/87, Pine Valley c/ Irlande.


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