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N
° 2402

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 novembre 2014.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 2240) DE MM. CHRISTIAN JACOB, ÉRIC CIOTTI, PIERRE LELLOUCHE, GUILLAUME LARRIVÉ ET PLUSIEURS DE LEURS COLLÈGUES tendant à la création d’une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes,

PAR M. ALAIN TOURRET,

Député.

——

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION
DE RÉSOLUTION
6

II. L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UNE TELLE COMMISSION D’ENQUÊTE 9

EXAMEN EN COMMISSION 13

INTRODUCTION

MESDAMES, MESSIEURS

Depuis plusieurs mois, le nombre de Français qui se rendent en Syrie et en Irak pour y participer au djihad, ce combat sanglant mené par des groupes extrémistes contre les régimes en place et l’ensemble des « mécréants », augmente de façon alarmante. L’actualité récente, marquée par le massacre de plusieurs soldats syriens et d’un travailleur humanitaire américain, Peter Kassig, en est une nouvelle illustration tragique.

Arguant de la prégnance de la menace terroriste qui pèse sur notre pays
– que votre rapporteur ne conteste pas – et des « lacunes de nos moyens d’action » quant à l’appréhension, lors de leur retour en France, des individus ayant combattu dans les rangs des milices djihadistes, MM. Christian Jacob, Éric Ciotti, Pierre Lellouche, Guillaume Larrivé et plusieurs de leurs collègues du groupe UMP ont déposé, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes.

Conformément à l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale, il revient à la commission permanente compétente – en l’espèce la commission des Lois – de se prononcer sur la recevabilité juridique de cette proposition de résolution et sur l’opportunité de la création d’une telle commission d’enquête.

Pour votre rapporteur, si la création de la commission d’enquête que plusieurs députés du groupe UMP appellent de leurs vœux ne soulève pas, d’un strict point de vue juridique, de difficulté particulière (I), on peut toutefois s’interroger sur son opportunité (II).

I. LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Même lorsqu’elle est demandée par un groupe d’opposition ou minoritaire dans le cadre du « droit de tirage » prévu au deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, la création d’une commission d’enquête est soumise à plusieurs conditions de recevabilité mentionnées à l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et au chapitre IV de la première partie du titre III de notre Règlement (voir l’encadré ci-dessous).

EXTRAITS DU RÈGLEMENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

1  Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2  L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

1  Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.

2  Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3  Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux.

En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent, en application de l’article 137 dudit Règlement, « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

Cet impératif est satisfait tant par l’intitulé de la commission d’enquête souhaitée par plusieurs députés UMP – elle serait relative à la surveillance des filières et des individus djihadistes – que par l’article unique de la proposition de résolution, aux termes duquel il appartiendrait à la commission de « procéder à l’analyse de l’efficacité des moyens de prévention, de détection et de surveillance des filières et des individus religieusement radicaux et présentant des risques manifestes de réalisation d’actes terroristes » et de consacrer à la question du retour des djihadistes sur le territoire national une place centrale. L’objet des travaux de la commission d’enquête est donc établi avec une précision suffisante.

En deuxième lieu, en application du premier alinéa de l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

La proposition de résolution remplit, stricto sensu, ce critère de recevabilité. Néanmoins, notre assemblée a récemment traité des questions de renseignement, notamment dans le cadre d’une commission d’enquête (1). Votre rapporteur reviendra plus loin sur ce point (2).

En troisième et dernier lieu, en application du deuxième alinéa de l’article 139 du Règlement de notre assemblée, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose, quant à lui, que « si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».

Interrogée par le Président de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de ce même article 139, Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, lui a fait savoir, dans un courrier du 17 novembre dernier, que le périmètre de la commission d’enquête envisagée, par son caractère très général, ne recouvrait pas celui des enquêtes et informations judiciaires actuellement en cours. Néanmoins, la commission devrait bien évidemment veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. Il ne lui serait donc guère possible de s’intéresser aux affaires en cours devant la justice.

En conclusion, la création d’une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes est, d’un strict point de vue juridique, recevable.

II. L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UNE TELLE COMMISSION D’ENQUÊTE

A. SI LA QUESTION DE L’AMÉLIORATION DE LA SURVEILLANCE
DES FILIÈRES ET DES INDIVIDUS DJIHADISTES DOIT ÊTRE POSÉE…

Naturellement, la nécessité d’un renforcement de la surveillance des filières et des individus djihadistes ne saurait être contestée tant la menace qu’ils représentent pour la sécurité nationale est réelle. Dans son rapport sur le projet de loi (n° 2110) renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (3), notre collègue Sébastien Pietrasanta le rappelait, fort justement, en ces termes : « Le niveau de la menace terroriste contre la France est actuellement élevé. Au cours des derniers mois, notre pays a continué à être la cible privilégiée de la propagande des groupes terroristes islamistes et de la mouvance radicale. Sur notre territoire, la menace croît en proportion de la progression constante des départs de djihadistes vers la Syrie – et dorénavant l’Irak – et des potentiels retours offensifs et criminels de ces individus. » (4)

D’après le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, M. François Molins, 1 132 Français seraient, à ce jour, impliqués dans des filières djihadistes et 376 seraient présents en Syrie et en Irak, dont au moins 88 femmes et 10 mineurs (5). Les volontaires partant de France constituent d’ailleurs le premier contingent de djihadistes provenant d’Europe.

Le recrutement de ces volontaires s’effectue tant au sein de nos villes, de nos quartiers, de nos prisons que sur Internet, qui constitue à la fois un formidable outil de propagande au service des pires idéologies et un support capable de relayer, à l’échelle planétaire, toutes sortes d’informations pratiques destinées à ceux qui souhaiteraient participer au djihad.

L’urgence de la mise en œuvre d’une action renforcée de lutte contre les filières djihadistes, notamment par l’intermédiaire d’une meilleure surveillance des cellules agissant sur notre territoire, n’est donc pas à prouver, d’autant que certains individus présentent indiscutablement, à leur retour en France, un risque sérieux de « passage à l’acte terroriste ». L’attaque du musée juif de Belgique par M. Mehdi Nemmouche, le 24 mai dernier, en constitue sans doute l’illustration la plus dramatique. Elle n’en est toutefois pas la seule. Un certain nombre de projets d’attentats élaborés par des djihadistes revenus de Syrie ont en effet été déjoués, au cours des derniers mois, grâce à l’action de nos services. En février dernier, l’interpellation d’un djihadiste, dans le sud de la France, a permis aux enquêteurs de découvrir plusieurs engins explosifs artisanaux. En juillet, trois personnes soupçonnées d’appartenir à une cellule djihadiste ont été arrêtées dans le Tarn. En septembre, plusieurs personnes supposées avoir joué un rôle actif dans le recrutement de jeunes femmes s’étant rendues en Syrie ont été interpellées dans le Rhône.

B. …L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION DE CETTE COMMISSION D’ENQUÊTE SOULÈVE DES INTERROGATIONS

Si la réflexion autour de la recherche d’un renforcement de la surveillance des filières et des individus djihadistes est bien évidemment capitale, faut-il pour autant que notre assemblée y consacre, au cours des six prochains mois (6), une commission d’enquête ? Pour votre rapporteur, cela est tout sauf évident.

En premier lieu, le champ d’investigation de la commission d’enquête qui résulterait de l’adoption de la proposition de résolution déposée par plusieurs députés UMP serait très proche de celui de plusieurs autres travaux parlementaires conclus récemment ou en cours de réalisation.

D’une part, notre commission des Lois s’est déjà penchée sur la thématique du renseignement puisqu’elle a créé une mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, dont le rapport, fort de plusieurs propositions, a été publié le 14 mai 2013, soit il y a à peine un an et demi (7).

D’autre part, l’Assemblée nationale a examiné de façon approfondie la question des mouvements djihadistes dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, dont le rapport a été publié le 24 mai 2013 (8). À l’occasion de l’examen de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à sa création, le rapporteur, M. Dominique Raimbourg, soulignait d’ailleurs le caractère « superfétatoire » qu’aurait cette commission d’enquête, en raison notamment de la création, quelques mois plus tôt, de la mission d’information mentionnée plus haut et de l’existence de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), chargée par le deuxième alinéa du I de l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires de contrôler l’action du Gouvernement en matière de renseignement et d’évaluer la politique publique en ce domaine (9). Votre rapporteur ne peut que faire siennes les remarques formulées alors par notre collègue Dominique Raimbourg.

En outre, le Sénat a créé, le 9 octobre dernier, une commission d’enquête portant sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Il apparaît donc peu judicieux que notre assemblée crée une commission d’enquête dont le champ d’investigation s’avèrerait être quasiment semblable à celui de la commission d’enquête sénatoriale, dont les conclusions précèderont celles de la commission d’enquête que les députés du groupe UMP appellent de leurs vœux (10).

En deuxième lieu, les pouvoirs de la commission d’enquête seraient en tout état de cause restreints par le secret de la défense nationale auquel sont soumis les services de renseignement. Si les personnes que la commission souhaitera entendre seront certes tenues de déférer aux convocations, en application du troisième alinéa du II de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, elles ne pourront en revanche lui communiquer des informations couvertes par le secret de la défense nationale sans risquer d’être punies des peines prévues aux articles 413-10 et suivants du code pénal, qui répriment le fait de porter ce type d’informations à la connaissance du public ou d’une personne non qualifiée.

De surcroît, si les rapporteurs des commissions d’enquête sont, en application du deuxième alinéa du II du même article 6, « habilités à se faire communiquer tous documents de service », ce droit ne s’étend pas aux documents « revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’État ». Le pouvoir de contrôle sur pièces des rapporteurs serait dès lors très limité et, plus généralement, la commission d’enquête serait privée d’une partie substantielle des pouvoirs qui font tout l’intérêt de ce type d’organe.

En troisième et dernier lieu, votre rapporteur estime qu’il serait préférable que l’évaluation de l’efficacité des moyens de surveillance des filières et des individus djihadistes intervienne après que la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme aura pu produire ses effets. Rappelons que cette loi a notamment créé une interdiction administrative de sortie du territoire, prononcée par le ministre de l’intérieur, dans le but d’endiguer les départs à l’étranger des candidats au djihad (article 1er) et a ouvert à l’autorité administrative la faculté de demander aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) le blocage des sites Internet dont le contenu s’apparenterait à de la provocation à la commission d’actes de terrorisme ou à leur apologie (article 12). Or ces dispositions ne pourront, à l’évidence, produire d’effets à très court terme.

Pour l’ensemble de ces raisons, la création d’une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, quoique juridiquement recevable, n’apparaît pas totalement pertinente.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 26 novembre 2014, la Commission examine, sur le rapport de M. Alain Tourret, la proposition de résolution relative à la création d’une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes (n° 2240).

Après l’exposé de votre rapporteur, une discussion a lieu.

M. Jacques Bompard. Face à la mutation du terrorisme islamiste à laquelle doit répondre notre pays, le temps des discours déconnectés du réel me semble dépassé. À force de ne pas vouloir se confronter à la réalité, le Gouvernement se montre inefficace en laissant la situation se cancériser, ce qui met d’ores et déjà gravement en danger la sécurité de nos concitoyens, qu’ils se trouvent sur le territoire national ou à l’étranger – l’assassinat sauvage d’Hervé Gourdel ne sait que trop bien nous le rappeler.

Mais il est déjà trop tard pour prendre des mesures de prévention du radicalisme islamique en France lorsque l’on sait que les Français sont devenus le premier contingent de djihadistes avec 900 candidats sur près de 3 000 Européens concernés – encore ces chiffres sont-ils certainement dépassés aujourd’hui. Dans de telles conditions, le problème de la sécurité en France doit devenir prioritaire. La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est insuffisante, notamment en ce qu’elle ne traite pas la question du retour en France des individus partis faire le djihad, se bornant à mettre en place un dispositif visant à les empêcher de partir.

C’est pourquoi je soutiens cette initiative qui vise à créer une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes. Les menaces portant sur la sécurité des Français doivent nous amener à étudier les éventuelles lacunes de nos systèmes de contrôle anti-djihadistes, qu’il s’agisse des services de gendarmerie, de la police des frontières, des agents de nos ambassades ou des postes à l’étranger. Nous savons parfaitement que nos frontières sont des passoires et qu’en la matière, l’inefficacité est la règle.

S’il est certain que tous les musulmans ne sont pas islamistes, encore faudrait-il que le Gouvernement comprenne que l’islam radical mène systématiquement au terrorisme. Lorsqu’il acceptera enfin la réalité qui veut que les terroristes islamistes commettent leurs attentats au nom d’un islam radical, il sera en mesure de tenter de mettre en place tous les moyens nécessaires pour prévenir, détecter et surveiller les radicaux susceptibles de se livrer à des entreprises terroristes sur notre sol.

Combien de Mohammed Merah et de Mehdi Nemmouche faudra-t-il avant que le Gouvernement ne se décide à protéger les Français et qu’il prenne les mesures nécessaires et efficaces pour lutter contre le terrorisme dans notre pays ? Un numéro vert anti-djihad et une interdiction administrative de sortie du territoire sont des moyens bien illusoires face à la menace des jeunes fous solitaires. On sait, à partir de l’expérience des djihads passés, qu’une partie de ces combattants ultra-radicalisés et formés au maniement des armes et des explosifs tenteront de se livrer à leur retour à des actes terroristes en France.

Par ailleurs, la difficulté n’est pas tant d’empêcher ceux qui veulent faire le djihad de quitter la France, mais bien de faire cesser le développement d’une haine contre notre pays, ses habitants, leurs traditions, leurs coutumes et leur religion. La question du terrorisme islamiste en France révèle avant tout la nécessité de défendre l’identité propre de la France et l’amour que l’on doit bien normalement et naturellement avoir pour son pays et ses traditions.

M. Patrick Mennucci. Certains propos pourraient nous inciter à considérer que la commission d’enquête dont nous débattons ne doit pas être créée. Si M. Jacques Bompard avait voulu l’enterrer, il ne s’y serait pas pris autrement. Mais nous ne tomberons pas dans le panneau…

En effet, le groupe socialiste approuve la proposition de création de la commission d’enquête souhaitée par des députés du groupe UMP. Le rapporteur a parfaitement traité l’aspect juridique du problème ; je n’y reviendrai pas. Il reste qu’une question de fond est posée par la proposition de résolution : comment la République fait-elle pour répondre aux jeunes qui partent faire le djihad ? Et surtout, comment faisons-nous quand ils reviennent ? Comment les « déprogrammer » et contrer la folie contractée sur le terrain où ils sont allés combattre, en Syrie ou en Irak ? Doit-on les envoyer en prison, dans des centres fermés, dans des unités de « déradicalisation » sur le modèle danois, ou dans des camps inspirés de Guantánamo ? Qui doit intervenir auprès d’eux ? Autant de questions sur lesquelles, nous semble-t-il, la future commission devra centrer son travail.

Nous pouvons toujours discuter de savoir si le renseignement français fait bien son travail, mais ce qui nous intéresse, c’est surtout de mettre fin au problème. Or les missions d’information achevées ou en cours n’abordent pas la question : comment faire changer d’avis ceux qui sont candidats au départ ? Tout est encore à défricher ; nous découvrons la violence d’une nouvelle forme de délinquance. Et il me semble qu’il revient bien à l’Assemblée nationale de débattre du sujet et de créer les conditions permettant de trouver une solution.

J’ajoute qu’il serait politiquement absurde de refuser la proposition de résolution présentée par l’UMP. Ce choix serait immédiatement utilisé contre nous, alors même que nous voulons agir et avancer, comme nous l’avons dit ce matin en examinant la proposition de loi présentée par M. Philippe Meunier, visant à déchoir de la nationalité française tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police.

Il n’y a pas de difficulté juridique. Il y a une volonté politique de notre groupe d’avancer, et de tendre la main à ceux qui sont dans le même état d’esprit. Sur les questions de renseignements, j’ai expliqué notre position. Dans ces conditions, le groupe SRC votera en faveur de la création de la commission d’enquête.

M. Jean-Frédéric Poisson. Après avoir assisté à la brillante qualification de notre collègue Patrick Mennucci aux épreuves olympiques d’aviron… (Sourires.)

M. Patrick Mennucci. À Marseille, nous utilisons plutôt les rames !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas incompatible : vous venez de nous en faire l’éclatante démonstration ! C’était tout à fait plaisant !

Notre groupe apporte son soutien massif et déterminé à la création de cette commission d’enquête. Il est important d’examiner de près des systèmes que nous avons en partie mis en place, afin de savoir s’ils fonctionnent ou pas.

La lecture de l’exposé des motifs de la proposition de résolution m’inspire deux remarques. Il relève l’importance de la présence, dans les pays étrangers, de nos agents qui sont en mesure de faire remonter des informations jusqu’en France. Il fait par ailleurs mention de la Turquie, qui mérite d’être citée en raison de ses positions parfois ambiguës. Une commission d’enquête peut être l’occasion de clarifier un peu tout cela ; ce serait fort utile.

M. Éric Ciotti. Permettez-moi de dire quelques mots des motivations qui m’ont conduit à proposer la création de cette commission d’enquête. La menace terroriste a atteint un degré maximal en France. Elle est forte non seulement pour les habitants du territoire national mais aussi pour les Français installés dans des pays ou des zones directement exposés au terrorisme – nous en avons malheureusement fait l’expérience avec l’assassinat dans des conditions horribles de notre compatriote Hervé Gourdel.

Une mobilisation générale et une union nationale s’imposent : la création de cette commission d’enquête s’inscrit dans cette démarche de responsabilité et d’unité nationale. Si cette commission d’enquête est créée, j’entends que nous apportions des réponses concrètes aux Français. Dans un moment de crise, d’inquiétude et de menaces, c’est la mission et l’honneur du Parlement de contribuer à fournir des solutions aux côtés de l’exécutif. Je n’ignore pas que la responsabilité régalienne de la sécurité lui revient, et qu’il s’agit probablement de sa première mission mais, en tant que parlementaires, il est de notre devoir de participer à cette tâche.

Je souhaite tout d’abord que nous recensions de la façon la plus exhaustive possible les difficultés que rencontre notre système de lutte contre le terrorisme, et que nous fassions également le bilan de ses points forts. Je le dis d’autant plus facilement que j’ai voté les deux projets de loi portés par les gouvernements et la majorité en place au nom de ce qui constitue pour moi un impératif d’unité nationale. Cet état des lieux ne sera pas fait dans un esprit critique mais plutôt de façon très responsable pour évaluer les failles éventuelles. La commission d’enquête visera ensuite à trouver les moyens de réagir face au retour des djihadistes sur le territoire de la République, qui constitue aujourd’hui un enjeu majeur, comme l’a rappelé M. Patrick Mennucci.

Le rapporteur a rappelé que la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d’enquête répondait aux critères de recevabilité juridique. Je suis certain qu’elle sera d’autant plus utile qu’elle s’inscrira dans un état d’esprit de grande responsabilité et d’unité nationale face à la menace terroriste.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Chacun aura noté que la majorité, une fois de plus, ne s’oppose pas au souhait des groupes d’opposition de créer des commissions d’enquête. Elle anticipe ainsi la modification du Règlement que vous avez bien voulu adopter la semaine dernière selon laquelle la création d’une commission d’enquête au titre du « droit de tirage » serait désormais totalement de droit.

Je me permets d’appeler votre attention sur un point soulevé par l’exposé des motifs de la proposition de résolution, car je crains que certains raccourcis ne soient préjudiciables à l’intérêt des services. Ce qui s’est produit lors du retour de Turquie de trois présumés djihadistes français ne constitue en aucun cas un exemple des lacunes des moyens d’action du renseignement français ou de la police nationale – à vrai dire, cette affaire est exclusivement liée aux difficultés des relations avec les services turcs. La délégation parlementaire au renseignement dont je suis actuellement le président a travaillé sur le sujet : elle a validé la totalité des procédures mises en œuvre dans cette affaire et n’a, à aucun moment, constaté la moindre faute imputable à nos services.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.

Elle adopte à l’unanimité l’article unique de la proposition de résolution sans modification.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de résolution (n° 2240) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

© Assemblée nationale

1 () Voir le rapport (n° 1056, XIVe législature) fait par M. Jean-Jacques Urvoas au nom de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, mai 2013.

2 () Voir infra, le B du II.

3 () Ce projet de loi est devenu la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

4 () Rapport (n° 2173, XIVe législature) de M. Sébastien Pietrasanta au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (n° 2110) renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, juillet 2014, p. 10.

5 () Ces chiffres ont été communiqués par M. François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, lors de sa conférence de presse du 17 novembre 2014.

6 () En application du dernier alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, « les commissions d’enquête ont un caractère temporaire. Leur mission prend fin par le dépôt de leur rapport et, au plus tard, à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date de l’adoption de la résolution qui les a créées ».

7 () Rapport d’information (n° 1022, XIVe législature) de MM. Jean-Jacques Urvoas, président-rapporteur, et Patrice Verchère, vice-président et co-rapporteur, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, mai 2013.

8 () La commission d’enquête avait désigné M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour exercer les fonctions de rapporteur.

9 () Voir le rapport (n° 471, XIVe législature) fait par M. Dominique Raimbourg au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de résolution (n° 340 rect.) de M. Noël Mamère et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, décembre 2012.

10 () Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale portant sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe devrait être publié au plus tard au mois d’avril 2015.