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N
° 2404

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 novembre 2014.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE DE MM. ÉRIC WOERTH, DAMIEN ABAD ET PLUSIEURS DE LEURS COLLÈGUES (n° 2293) visant à instaurer un principe d'innovation responsable,

PAR M. Éric WOERTH

Député

——

Voir les numéros :

Assemblée nationale, 1ère lecture : 2393, 2394.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION : UN PRINCIPE ÉTABLI ET ENCADRÉ DANS L’ORDRE JURIDIQUE FRANÇAIS 7

A. EN DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN 7

1. Un principe non contraignant en droit international 7

2. Un principe reconnu par le droit primaire et dérivé de l’Union européenne 8

B. EN DROIT INTERNE 10

1. Un principe d’abord reconnu au niveau législatif : la loi « Barnier » du 2 février 1995 11

2. Un principe constitutionnalisé depuis 2005 12

a. Historique de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement 12

b. La définition du principe de précaution par l’article 5 de la Charte de l’environnement 13

c. La portée du principe de précaution 15

d. L’application jurisprudentielle du principe de précaution 16

II. FAIRE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION UN PRINCIPE D’INNOVATION RESPONSABLE : UN SIGNAL FORT EN FAVEUR DE SON UTILISATION COMME UN PRINCIPE D’ACTION 18

A. LES RISQUES DE DÉVOIEMENT DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION : UNE RUPTURE D’ÉQUILIBRE AU DÉTRIMENT DE LA RECHERCHE ET DE L’INNOVATION 18

B. L’OBJET DE LA PROPOSITION DE LOI : REVENIR À UNE LECTURE ÉQUILIBRÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT 20

DISCUSSION GÉNÉRALE 23

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 39

Article unique Substitution du principe d’innovation responsable au principe de précaution dans l’article 5 de la Charte de l’environnement 39

TABLEAU COMPARATIF 41

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 43

Mesdames, Messieurs,

L’inscription du principe de précaution dans la Charte de l’environnement, adoptée par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, a fait l’objet de débats importants, au cours desquels la crainte que l’application de ce principe ne se traduise par un ralentissement, voire un blocage, de la recherche et de l’innovation, qui reposent nécessairement sur une prise de risques, a été exprimée par des parlementaires de la majorité comme de l’opposition d’alors.

Près de dix ans après l’adoption de la Charte de l’environnement, ces craintes n’ont pu être dissipées, comme en témoignent les nombreux travaux parlementaires consacrés depuis à l’application de son article 5 relatif au principe de précaution. Ainsi, le 1er octobre 2009, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a organisé une audition publique sur un bilan du principe de précaution quatre ans après sa constitutionnalisation (1). Le 8 juillet 2010, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de notre assemblée a adopté un rapport d’information de MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution (2) et le 17 novembre 2011 un rapport sur la mise en œuvre de ses conclusions (3). Dans la lignée de ces travaux, l’Assemblée nationale a adopté le 1er février 2012 une résolution sur la mise en œuvre du principe de précaution (4). Enfin, le Sénat a adopté le 27 mai 2014, à l’initiative de M. Jean Bizet et plusieurs de ses collègues, une proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la Charte de l’environnement pour préciser la portée du principe de précaution (5).

Malgré la volonté très nette du constituant d’encadrer le principe de précaution, telle qu’exprimée lors des débats parlementaires de 2004 et 2005, l’interprétation qui a été faite de ce principe a évolué de sorte qu’il n’apparaît plus comme un principe d’action favorable à la recherche et à l’innovation. Cette évolution s’explique avant tout par une mauvaise compréhension du principe de précaution par les autorités publiques, elles-mêmes soumises à une forte pression de l’opinion publique sur les sujets relatifs à l’environnement et à la santé. Poussée à l’extrême, cette pression peut entretenir l’illusion dangereuse du « risque zéro » et conduire par inhibition à s’abstenir de toute initiative en matière de recherche ou d’innovation. Elle participe également à la défiance croissante de la société envers la science et la technologie.

La présente proposition de loi constitutionnelle, dont votre rapporteur est également l’auteur, avec notre collègue Damien Abad, a pour objectif d’affirmer que le principe de précaution doit être inclus dans un principe plus large d’innovation, permettant de prendre en compte les risques et les opportunités de façon équilibrée. L’innovation, qui peut être définie comme « l'art d'intégrer le meilleur état des connaissances à un moment donné dans un produit ou un service, et ce afin de répondre à un besoin exprimé par les citoyens ou la société » (6), est en effet un facteur essentiel du développement économique mais elle souffre dans notre pays de l’absence d’un écosystème qui lui soit favorable.

Sans remettre en cause ses avancées, l’évolution proposée serait conforme à l’esprit de la Charte de l’environnement, dont l’article 6 reconnaît d’ores et déjà la nécessité d’un équilibre entre protection de l’environnement et développement économique, puisqu’il dispose que « [l]es politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ».

Si la présente proposition de loi constitutionnelle n’a pas pour objectif une remise en cause du principe de précaution, qui est depuis plusieurs années établi et encadré dans l’ordre juridique français (I), elle vise en revanche à substituer à son inscription dans la Constitution, à l’article 5 de la Charte de l’environnement, celle d’un principe d’innovation responsable, afin d’envoyer un signal fort en faveur de son interprétation comme un principe d’action (II).

I. LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION : UN PRINCIPE ÉTABLI ET ENCADRÉ DANS L’ORDRE JURIDIQUE FRANÇAIS

Progressivement affirmé comme un concept juridique depuis les années quatre-vingt, le principe de précaution est aujourd’hui reconnu tant en droit international et européen (A) qu’en droit interne (B).

A. EN DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

Apparu d’abord en droit international, où il n’a pas cependant acquis de dimension juridiquement contraignante, le principe de précaution est en revanche reconnu par le droit primaire et dérivé de l’Union européenne.

1. Un principe non contraignant en droit international

Le principe de précaution (Vorsorgeprinzip), est apparu en Allemagne dans les années soixante-dix, où il a été intégré dans différentes lois environnementales. Dans sa définition initiale, le principe de précaution signifiait que les autorités publiques devaient prendre des mesures pour éviter les menaces avérées à l’environnement ainsi que les risques de moyen terme mais aussi gérer les ressources naturelles dans un objectif de préservation de long terme.

L’émergence du principe de précaution dans le droit international de l’environnement date de la fin des années quatre-vingt, dans le cadre de différentes déclarations relatives à la protection de la Mer du Nord (7). Le principe de précaution a ensuite été consacré par l’article 15 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, selon lequel : « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Affirmé solennellement dans un cadre mondial et non plus régional, ce principe relève cependant uniquement d’une déclaration et n’a donc pas de caractère contraignant en droit international.

Parallèlement, la question de l’application du principe de précaution dans le domaine sanitaire a été abordée dans le cadre de la jurisprudence de l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Comme l’a souligné Mme Christine Noiville, directrice du centre de recherche « Droit, sciences et techniques » à l’Université Paris I, lors de l’audition publique sur le principe de précaution organisée le 1er octobre 2009 par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OMC ne reconnaît pas le principe de précaution mais se fonde sur l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (dit accord SPS) « lequel paraît antinomique avec le principe de précaution puisque, schématiquement parlant, il est construit autour de l'idée que, quand un État adopte une mesure restrictive du commerce pour anticiper un risque, il doit le prouver scientifiquement. De fait, dans toutes les affaires de précaution qui lui ont été soumises, l'OMC a déclaré les mesures illégales. » Cependant, Mme Noiville faisait ensuite le constat suivant : « en réalité, quand on analyse plus finement ces décisions, on voit qu'elles illustrent une vraie ouverture de l'OMC sinon au principe de précaution lui-même, du moins à une logique de précaution : l'OMC reconnaît notamment que la preuve scientifique est un concept très relatif, qu'un État responsable peut tout à fait vouloir attacher de l'importance à un risque non encore prouvé par la démonstration scientifique, et ce, en adoptant des mesures qui ne soient pas simplement des mesures d'urgence pour une période très réduite » (8).

2. Un principe reconnu par le droit primaire et dérivé de l’Union européenne

Depuis le traité de Maastricht, le principe de précaution est juridiquement contraignant en droit de l’Union Européenne (UE). Il est expressément mentionné à l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatif à la politique de l’UE dans le domaine de l’environnement, qui en fait l’un des fondements de cette politique, au même titre que le principe d’action préventive, le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et le principe du pollueur-payeur.

Article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

1. La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants:

- la préservation, la protection et l'amélioration de la qualité de l'environnement,

- la protection de la santé des personnes,

- l'utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,

- la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l'environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique.

2. La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur.

Dans ce contexte, les mesures d'harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l'environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l'Union.

3. Dans l'élaboration de sa politique dans le domaine de l'environnement, l'Union tient compte :

- des données scientifiques et techniques disponibles,

- des conditions de l'environnement dans les diverses régions de l'Union,

- des avantages et des charges qui peuvent résulter de l'action ou de l'absence d'action,

- du développement économique et social de l'Union dans son ensemble et du développement équilibré de ses régions.

4. Dans le cadre de leurs compétences respectives, l'Union et les États membres coopèrent avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes. Les modalités de la coopération de l'Union peuvent faire l'objet d'accords entre celle-ci et les tierces parties concernées.

L'alinéa précédent ne préjuge pas la compétence des États membres pour négocier dans les instances internationales et conclure des accords internationaux

Le champ d’application du principe de précaution a été étendu par la jurisprudence à l’ensemble des politiques européennes : selon l’arrêt du tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) du 26 novembre 2002, dit « arrêt Artedogan » (9), le principe de précaution est en effet un principe général du droit applicable dans toutes les politiques communautaires dans le cadre d’objectifs élargis, visant non seulement la protection de l’environnement, mais aussi celle de la santé et de la sécurité des consommateurs. La même année, dans deux arrêts concernant le domaine sanitaire(10), la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), après avoir souligné que le principe de précaution n’était pas défini dans le traité, a précisé que « lorsque des incertitudes scientifiques subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé humaine, les institutions communautaires peuvent, en vertu du principe de précaution, prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées ». La Cour a également encadré la mise en œuvre du principe de précaution en jugeant « qu’une mesure préventive ne saurait être prise que si le risque, sans que son existence et sa portée aient été démontrées " pleinement " par des données scientifiques concluantes, apparaît néanmoins suffisamment documenté sur la base des données scientifiques disponibles au moment de la prise de cette mesure ». Se fondant sur ce principe, la CJCE a contrôlé la proportionnalité des décisions prises par le Conseil, en recherchant notamment si l’évaluation des coûts et bénéfices n’avait pas fait l’objet d’erreurs manifestes.

Le principe de précaution est par ailleurs largement mis en œuvre dans le droit dérivé de l’UE. Dans le rapport qu’ils ont consacré à l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution, MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier constataient ainsi que « le principe de précaution irrigue désormais une partie substantielle de la législation communautaire dérivée » (11) par exemple dans le domaine des biotechnologies (12), des produits chimiques (13) ou en matière de sécurité sanitaire (14).

B. EN DROIT INTERNE

En application des principes de primauté et d’effet direct du droit de l’Union européenne, le respect du principe de précaution s’impose en droit français.

Néanmoins, parallèlement à son affirmation dans le cadre de l’Union européenne, le principe de précaution a été reconnu en droit interne, d’abord au niveau législatif, par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite loi « Barnier », puis au niveau constitutionnel, par l’adoption de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.

1. Un principe d’abord reconnu au niveau législatif : la loi « Barnier » du 2 février 1995

Le principe de précaution est affirmé en droit français depuis la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement dite loi « Barnier ». Il est aujourd’hui codifié à l’article L. 110-1 du code de l’environnement.

Article L. 110-1 du code de l’environnement

I. - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.

II. - Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :

1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;

2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ;

3° Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ;

4° Le principe selon lequel toute personne a le droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques ;

5° Le principe de participation en vertu duquel toute personne est informée des projets de décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement dans des conditions lui permettant de formuler ses observations, qui sont prises en considération par l'autorité compétente.

III. - L'objectif de développement durable, tel qu'indiqué au II, répond, de façon concomitante et cohérente, à cinq finalités :

1° La lutte contre le changement climatique ;

2° La préservation de la biodiversité, des milieux et des ressources ;

3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ;

4° L'épanouissement de tous les êtres humains ;

5° Une dynamique de développement suivant des modes de production et de consommation responsables

IV. - L'Agenda 21 est un projet territorial de développement durable.

Dans leur rapport déjà cité, MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier soulignaient que l’adoption d’une définition législative du principe de précaution avait répondu à deux objectifs : d’une part, la prise en compte de l’évolution internationale relative à la précaution en matière environnementale ; d’autre part, le souhait de définir un encadrement juridique du principe de précaution, en prévoyant que les mesures doivent être proportionnées et avoir un coût économiquement acceptable.

Contrairement à ce que prévoit l’article L. 110-1 du code de l’environnement, aucune loi n’a défini la portée du principe de précaution. Le juge administratif a néanmoins considéré que celui-ci pouvait être invoqué à l’appui d’un recours (15). Il a en revanche exclu l’application du principe de précaution, tel que défini par la loi du 2 février 1995, en matière sanitaire (16). Dans ce domaine, indépendamment de la définition législative du principe de précaution, la jurisprudence a établi, de manière autonome, une obligation générale de précaution s’imposant aux autorités publiques (17).

2. Un principe constitutionnalisé depuis 2005

a. Historique de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement

En tant que candidat à l’élection présidentielle de 2002, M. Jacques Chirac avait proposé dans son discours du 18 mars 2002 à Avranches « d'inscrire le droit à l'environnement dans une Charte adossée à la Constitution ».

Réélu le 5 mai 2002, il a institué, le 26 juin 2002, une commission regroupant de nombreux experts, issus des domaines scientifiques, juridiques ou philosophiques, chargée de formuler une proposition rédactionnelle d’une charte de l’environnement sous la présidence du professeur Yves Coppens.

En parallèle, de nombreuses consultations publiques ont été organisées sous la forme de questionnaires envoyés aux acteurs nationaux et régionaux ainsi que d’ateliers régionaux, d’assises régionales de l’environnement (du 29 janvier au 5 avril 2003) et de réunions publiques.

Le 8 avril 2003, la Commission Coppens a remis au Gouvernement son rapport, qui proposait d’intégrer le principe de précaution dans la Charte de l’environnement. Ce rapport formulait deux propositions alternatives de rédaction pour ce principe.

La première variante était ainsi rédigée : « [q]uand un risque de dommage à l’environnement, grave et difficilement réversible, a été identifié, sans qu’il puisse être établi avec certitude en l’état des connaissances scientifiques, les autorités publiques mettent en œuvre, par précaution, des procédures d’évaluation et prennent les mesures appropriées. La loi précise les conditions d’application de ces dispositions. »

La rédaction de la deuxième variante était la suivante : « [l]a préservation et la mise en valeur de l’environnement reposent sur les principes suivants :

– le principe de prévention (…) ;

– le principe de précaution selon lequel quand un risque de dommage grave ou irréversible à l’environnement ou à la santé a été identifié, sans qu’il puisse être établi avec certitude en l’état des connaissances scientifiques, l’autorité publique met en œuvre un programme de recherches et prend les mesures provisoires et proportionnées propres à y parer ;

– le principe pollueur-payeur (…). »

Le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement a été déposé le 27 juin 2003 et Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure au nom de la commission des Lois, a présenté son rapport le 12 mai 2004, soit après un an d’importants travaux parlementaires.

Ce texte a ensuite été débattu en séance publique à l’Assemblée nationale les 25, 26 mai et 1er juin 2004 et au Sénat les 23 et 24 juin 2004. Deux amendements à l’article 5 ont été adoptés par l’Assemblée nationale en séance publique. Le premier précisait que les pouvoirs publics agissent « dans leurs domaines d’attributions » et le second modifiait l’ordre d’évaluation puis de prise en charge du risque par l’adoption de mesures proportionnées. Le projet de loi constitutionnelle a ensuite été adopté conforme par le Sénat.

Lors de l’examen parlementaire du projet de loi constitutionnelle, les débats sur l’article 5 de la Charte de l’environnement, relatif au principe de précaution, ont été riches. Ils ont principalement porté sur l’appréciation de la proportionnalité des mesures prises par les autorités publiques face à l’incertitude scientifique, le risque d’un recul de l’innovation, le manque d’encadrement du principe par le législateur et notamment la question de son applicabilité directe par les autorités publiques.

La loi constitutionnelle a été définitivement adoptée par le Parlement réuni en Congrès le 28 février 2005 avec 531 voix pour et 23 contre sur les 554 suffrages exprimés parmi les 665 votants.

b. La définition du principe de précaution par l’article 5 de la Charte de l’environnement

La loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement a ainsi conféré au principe de précaution une valeur constitutionnelle, en l’inscrivant à l’article 5 de la Charte de l’environnement, qui dispose : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

Comme le soulignait Mme Nathalie Kosciusko-Morizet dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle, « le principe de précaution est de nature procédurale » (18), en ce sens que la Constitution se limite à en énoncer les conditions d’emploi.

Selon l’article 5 de la Charte de l’environnement, la mise en œuvre de mesures de précaution intervient lorsque trois conditions cumulatives sont réunies.

En premier lieu, seul le risque d’un dommage à l’environnement est pris en compte. Si l’article 1er de la Charte de l’environnement fait référence au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, l’article 5 n’inclut pas en revanche le domaine sanitaire dans le champ d’application du principe de précaution. Comme votre rapporteur l’a déjà indiqué, la jurisprudence européenne a néanmoins, antérieurement à l’adoption de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, appliqué le principe de précaution au domaine sanitaire. La jurisprudence française s’est, quant à elle, appuyée sur la notion d’ « obligations de précaution » en matière sanitaire.

En deuxième lieu, les mesures de précaution ne sont justifiées qu’en présence d’une incertitude des connaissances scientifiques sur la réalisation du dommage. Sont donc exclues les situations dans lesquelles les risques sont avérés, qui relèvent de la prévention et non de la précaution.

En dernier lieu, les conséquences de la réalisation éventuelle du dommage doivent être graves et irréversibles, ces deux caractéristiques étant cumulatives, comme elles le sont dans la définition législative du principe de précaution par l’article L. 110-1 du code de l’environnement.

Lorsque ces trois conditions sont réunies, l’article 5 définit les procédures qui doivent être mises en œuvre par les autorités publiques - l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, les autorités administratives indépendantes dotées d’un pouvoir réglementaire - dans leurs domaines d’attribution. Celles-ci doivent « veiller à la mise en œuvre » des procédures d’évaluation des risques, d’une part, et à l’adoption de mesures proportionnées et provisoires, d’autre part. Cette expression signifie que l’adoption des mesures de précaution peut relever d’autres acteurs, notamment d’acteurs privés. Mme Nathalie Kosciusko-Morizet précisait, dans son rapport précité, que « les mesures de précaution peuvent être prises par les autorités publiques, elles peuvent s’imposer aux autres sujets de droit (entreprises, particuliers, etc.) ou leur être seulement recommandées. Elles peuvent se limiter à un contrôle des initiatives privées. Comme l’indique le Gouvernement, les autorités publiques disposent à cet égard d’un pouvoir comparable à celui d’une autorité de police administrative » (19).

Le caractère provisoire des mesures est justifié par l’incertitude des connaissances scientifiques, qui a vocation à être levée par la poursuite de la recherche.

La notion de mesures proportionnées renvoie, quant à elle, à l’importance du risque potentiel. Si la notion de « coût économiquement acceptable », contenue dans la définition législative du principe de précaution, n’a pas été reprise dans l’article 5 de la Charte de l’environnement, l’article 6 de cette même Charte dispose néanmoins que les politiques publiques « concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ».

Enfin, les mesures doivent avoir pour objet de « parer à la réalisation du dommage », le choix de cette rédaction exprimant l’idée que les autorités publiques n’ont pas d’obligation de résultat, les mesures prises n’ayant pas pour objet d’éviter le dommage.

c. La portée du principe de précaution

La portée du principe de précaution défini par l’article 5 de la Charte de l’environnement a été précisée par la jurisprudence.

Dans sa décision du 19 juin 2008 sur la loi relative aux organismes génétiquement modifiés (20), le Conseil constitutionnel a confirmé la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement, citée par le préambule de la Constitution, comme le sont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. Il a en outre précisé que les dispositions de l’article 5 s'imposaient directement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif (contrairement par exemple à celles de l’article 7 qui renvoient à la loi la définition des conditions et limites du droit à l’accès à l’information en matière d’environnement). Il a enfin défini la portée de son contrôle, dans le cadre de l’article 61 de la Constitution, en indiquant qu’il lui incombait, « de s'assurer que le législateur n'a pas méconnu le principe de précaution et a pris des mesures propres à garantir son respect par les autres autorités publiques ». Comme le souligne le commentaire de cette décision, « le principe de précaution implique l’interdiction, pour le législateur, d’adopter des mesures qui, en elles-mêmes, enfreindraient le principe de précaution et une obligation positive, ou procédurale, consistant à organiser les conditions propres à permettre le respect et la mise en œuvre du principe de précaution par les autres autorités publiques ».

De manière parallèle, le Conseil d’État contrôle le respect du principe de précaution défini par l’article 5 de la Charte de l’environnement par les actes réglementaires. Il a en effet jugé dans une décision du 19 juillet 2010 (21), que les dispositions de l’article 5 de la Charte de l’environnement n'appelaient pas de dispositions législatives et réglementaires précisant les modalités de mise en œuvre du principe de précaution et qu’elles s’imposaient donc aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs.

Si le Conseil constitutionnel a précisé la portée de son contrôle du respect du principe de précaution dans le cadre de l’article 61 de la Constitution, il ne s’est en revanche jamais prononcé sur la possible invocation de ce principe à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ce qui implique de déterminer si l’article 5 de la Charte de l’environnement institue ou non un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Dans sa décision n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013, le Conseil a en effet jugé inopérant le grief tiré de la méconnaissance du principe de précaution en considérant que les mesures contestées (l’interdiction de la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures) étaient de nature permanente et n’avaient donc pas été prises en application de l’article 5 de la Charte de l’environnement.

d. L’application jurisprudentielle du principe de précaution

L’application raisonnée par les juges du principe de précaution est soulignée dans le rapport de M. Patrice Gélard, au nom de la commission des Lois du Sénat, sur la proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la Charte de l’environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d’innovation (22).

La décision déjà citée du Conseil constitutionnel du 19 juin 2008 a confirmé que le principe de précaution ne s’applique que lorsqu’une incertitude existe quant à la réalisation d’un dommage. Le Conseil a considéré en l’espèce que la présence accidentelle d’OGM autorisés dans d’autres cultures ne pouvait apparaître comme une violation du principe de précaution, les OGM étant autorisés après une évaluation des risques pour l’environnement et le code de l’environnement imposant le confinement des OGM présentant des dangers ou des inconvénients pour l’environnement.

De même, dans une décision du 30 janvier 2012 (23), le Conseil d’État a estimé que « les dispositions de l'article 5 de la Charte de l'environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d'évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d'être mises en œuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser légalement la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en l'absence d'éléments circonstanciés faisant apparaître, en l'état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus ».

Dans son contrôle, le juge administratif vérifie que les conditions de mise en œuvre du principe de précaution sont réunies, s’assure de la réalité des procédures d’évaluation puis opère un contrôle des mesures prises par les autorités publiques, se fondant sur l’erreur manifeste d’appréciation.

Le juge administratif a également veillé à ce que le principe de précaution soit mis en œuvre par les autorités publiques compétentes. Comme l’avait souligné le professeur Yves Jégouzo lors de l’audition publique organisée en 2009 par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « [le juge administratif] censure de manière assez systématique les tentatives d'autorités non compétentes d'intervenir dans le domaine de précaution. Les arrêtés de maires interdisant la plantation d'OGM en plein champ, les décisions prises en matière d'antennes radiotéléphoniques, etc., ont été assez systématiquement censurés dès lors qu'on considérait qu'il existait une police spéciale appartenant à l'État dans ce domaine et donc que les autorités locales n'avaient pas à s'y substituer » (24) .

Parallèlement à cet encadrement strict, la jurisprudence administrative a étendu le champ d’application du principe de précaution, qui selon l’article 5 de la Charte de l’environnement concerne uniquement les situations de risques incertains de dommage à l’environnement. Cette extension a concerné le domaine de l’urbanisme : le Conseil d’État a ainsi estimé dans une décision déjà citée du 19 juillet 2010 que le principe de précaution s’appliquait en matière d’autorisations d’urbanisme (25). Par ailleurs, le juge administratif a pris en compte les risques en matière sanitaire, comme en témoigne le contentieux relatif aux antennes de téléphonie mobile ou aux lignes à haute tension. S’agissant de ces dernières, le Conseil d’État a fait application du principe de précaution dans une décision du 12 avril 2013 (26), dans laquelle il a appliqué, de manière croisée, les articles 1er et 5 de la Charte de l’environnement et a estimé « qu'une opération qui méconnaît les exigences du principe de précaution ne peut légalement être déclarée d'utilité publique ; qu'il appartient dès lors à l'autorité compétente de l'État, saisie d'une demande tendant à ce qu'un projet soit déclaré d'utilité publique, de rechercher s'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l'état des connaissances scientifiques, l'application du principe de précaution ». En revanche, lorsque les risques concernent exclusivement le domaine sanitaire, la jurisprudence administrative s’est appuyée, comme votre rapporteur l’a déjà indiqué, sur la notion d’obligations de précaution et non sur le principe de précaution.

Dans le domaine de la responsabilité civile, une certaine dérive quant à l’interprétation du principe de précaution a pu être observée. Dans un arrêt du 4 février 2009 (27), la cour d’appel de Versailles a en effet jugé que l’implantation d’une antenne de téléphonie mobile créait un trouble anormal de voisinage en raison de l’angoisse des riverains liée à l’impossibilité de prouver l’absence de risque pour la santé. Elle a donc considéré que le principe de précaution s’appliquait uniquement en raison de l’impossibilité de prouver l’absence de risque et non parce que des risques incertains existaient.

II. FAIRE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION UN PRINCIPE D’INNOVATION RESPONSABLE : UN SIGNAL FORT EN FAVEUR DE SON UTILISATION COMME UN PRINCIPE D’ACTION

Si, dans les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, l’idée que le principe de précaution était un principe d’action avait été clairement affirmée, il apparaît néanmoins que sa mise en œuvre comporte des risques de dévoiement, susceptibles de freiner la recherche et l’innovation (A). Face à cette situation, faire du principe de précaution un principe d’innovation responsable permettrait de revenir à une lecture plus équilibrée de l’article 5 de la Charte de l’environnement (B).

A. LES RISQUES DE DÉVOIEMENT DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION : UNE RUPTURE D’ÉQUILIBRE AU DÉTRIMENT DE LA RECHERCHE ET DE L’INNOVATION

● Dans leur rapport déjà cité sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement, MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier faisaient état des difficultés concrètes et du sentiment d’inquiétude des scientifiques et des entreprises quant au principe de précaution.

Ils constataient ainsi que l’application du principe de précaution avait eu un impact fortement négatif sur la recherche française en matière de biotechnologies, dont les financements s’étaient taris. S’ils estimaient que ce cas semblait demeurer relativement isolé par rapport aux autres secteurs de recherche, ils soulignaient néanmoins que « les organismes et instituts de recherche interrogés par les rapporteurs témoignent d’une certaine inquiétude quant à un principe de précaution qui conduirait soit à un blocage des recherches, soit à des choix peu opportuns en la matière. En d’autres termes, si la réalité de la mise en œuvre du principe de précaution du point de vue des scientifiques ne suscite pas, comme on l’a vu supra, d’observations alarmées, il est constant que certaines craintes sont exprimées quant à l’avenir » (28). Ils relevaient également que les entreprises, comme les scientifiques, s’inquiétaient « d’un éventuel usage inapproprié et excessif du principe par les autorités publiques, susceptible, sans appel, de les empêcher d’exercer leurs activités » (29). Plus que la définition du principe de précaution ou son interprétation par la jurisprudence, les inquiétudes exprimées concernaient sa mise en œuvre par les autorités publiques, et plus globalement la pression sociale conduisant à une ambiance générale de précaution, susceptible de freiner la recherche et l’innovation.

Un tel risque de dérive dans la mise en œuvre du principe de précaution avait également été constaté lors de l’audition publique organisée par l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques le 1er octobre 2009, dont la synthèse soulignait qu’« une utilisation abusive du principe de précaution aboutit à une déconnexion du jugement politique par rapport au jugement scientifique. L’État ne se contente plus de gérer un risque, il doit gérer un rapport social. Sa stratégie d’action pourrait donc se résumer de la manière suivante : ce n’est pas parce que les scientifiques ont démontré que telle implantation ou telle plante n’est pas dangereuse que l’État ne doit pas intervenir. Désormais, il lui revient d’assurer non seulement la sécurité, mais également la tranquillité des citoyens. Le principe de précaution devient un outil de gestion de l’opinion publique. Cette interprétation du principe de précaution aboutit à la disqualification de l’expertise scientifique » (30).

En 2008, la commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Jacques Attali, a également exprimé des craintes quant aux conséquences de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement sur l’innovation. Elle a notamment souligné que « l’article 5 de la Charte de l’environnement risque d’inhiber la recherche fondamentale et appliquée, dans la mesure où une innovation qui générerait potentiellement un dommage dont la réalisation serait « incertaine en l’état des connaissances scientifiques » pourrait ouvrir des recours en responsabilité, tant à l’égard des entreprises ou des instituts de recherche que des collectivités publiques en charge de la police administrative » (31).

● Une autre dérive du principe de précaution consiste à l’utiliser pour justifier l’inversion de la charge de la preuve, les chercheurs ou les entreprises devant alors prouver l’absence de risques de leurs projets pour que ceux-ci soient autorisés.

Dans son étude Principe de précaution et dynamique d’innovation, M. Alain Ferretti rapporteur du Conseil économique, social et environnemental, a pourtant souligné, à juste titre, que « la dynamique du principe de précaution exige une prise en compte précoce des risques mais n’inverse pas la charge de la preuve. L’objectif est d’amener la gestion publique à intégrer le mieux possible les éléments de connaissance scientifique. Le principe de précaution impose une gestion des risques plus attentive à la science en train de se construire et aux produits courants de la recherche - conjectures, hypothèses, résultats ambigus... (…). Dans certains cas, exiger la preuve de l’absence totale de risque à long terme, fait peser sur les scientifiques une obligation de résultat qu’ils ne peuvent pas satisfaire. Ainsi l’argument de l’inversion de la charge de la preuve quitte le terrain juridique pour glisser sur celui du politique avec des possibilités d’instrumentalisation du principe de précaution pouvant aboutir à des moratoires » (32).

Votre rapporteur estime, lui aussi, qu’une telle interprétation s’oppose à l’esprit du principe de précaution, selon lequel les mesures décidées par les autorités publiques doivent être proportionnées aux risques. Ce principe devrait donc justifier des mesures de gestion des risques et non d’interdiction des travaux de recherche car le « risque zéro » n’existe pas.

● Une interprétation trop large du principe de précaution peut également conduire les autorités publiques à l’utiliser de manière systématique lors des situations de crise, dans un contexte émotionnel d’exagération de la menace et à prendre des décisions irrationnelles. L’étude du Conseil économique et social fournit différents exemples d’une telle utilisation en matière sanitaire, en particulier lors de la crise dite de la vache folle.

L’utilisation excessive du principe de précaution peut parfois s’expliquer par une certaine confusion entre risques potentiels, qui relèvent du principe de précaution et risques avérés, qui justifient des mesures de prévention. Elle peut aussi résulter d’une volonté des autorités publiques de se prémunir à tout prix contre une éventuelle mise en cause de leur responsabilité.

B. L’OBJET DE LA PROPOSITION DE LOI : REVENIR À UNE LECTURE ÉQUILIBRÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT

Face au constat de telles dérives, qui peuvent, à différents niveaux, conduire à freiner l’innovation et la recherche et à faire, à tort, du principe de précaution un facteur d’immobilisme, la proposition de loi constitutionnelle a pour objet d’envoyer un signal fort en faveur de l’interprétation du principe de précaution comme un principe d’action, favorable à l’innovation. La prudence qui s’impose aux autorités publiques ne doit en effet pas faire obstacle au développement des connaissances scientifiques ni au progrès technologique.

Différentes initiatives ou prises de position récentes ont visé à rééquilibrer le principe de précaution par l’affirmation d’un principe d’innovation. Ainsi, la commission « Innovation 2030 » présidée par Mme Anne Lauvergeon a proposé en octobre 2013 la promotion, au plus haut niveau de l’État, d’un principe d’innovation, qui équilibrerait le principe de précaution, guiderait la politique d’innovation et témoignerait du soutien de l’État aux initiatives des entrepreneurs (33). Dans une même perspective, M. Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et de Sofiprotéol, et M. Louis Gallois, ancien commissaire général à l’investissement et président du conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën, ont publié le 2 juin 2014 une tribune dans laquelle ils appelaient de leurs vœux l’introduction dans la Constitution d’un principe d’innovation pour contrebalancer le principe de précaution, devenu « un système de défense contre le risque » et dont la constitutionnalisation « a développé dans la société française un réflexe de recherche de la sécurité, tel qu’il en résulte une forme d’inhibition devant la nouveauté » (34).

Le 5 juin 2014, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a organisé une audition publique sur le principe d’innovation, qui a réuni de nombreux experts, chercheurs et chefs d’entreprise.

Le 27 mai 2014, le Sénat a adopté, à l’initiative de M. Jean Bizet et plusieurs de ses collègues, une proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la Charte de l’environnement pour préciser la portée du principe de précaution (35) qui amende notamment l’article 5 de la Charte de l’environnement.

Selon le rapport déjà cité de M. Patrice Gélard sur cette proposition de loi, celle-ci vise notamment à créer « une nouvelle obligation constitutionnelle qui incomberait aux autorités publiques d’encourager la recherche scientifique et de valoriser le principe d’innovation, de façon à éviter une application excessive du principe de précaution en raison d’une mauvaise appréciation des risques encourus par l’environnement du fait de l’insuffisance des connaissances scientifiques, laquelle inciterait davantage à l’inaction et à l’abstention qu’à l’expérimentation » (36).

À la différence de la proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat, la présente proposition de loi ne modifie pas la définition procédurale du principe de précaution, telle qu’elle résulte de l’article 5 de la Charte de l’environnement mais renomme ce principe « principe d’innovation responsable ».

Sur un plan formel, votre rapporteur estime que la référence actuelle au principe de précaution dans l’article 5 de la Charte peut être modifiée puisque cet article définit par ailleurs ses conditions de mise en œuvre. Il relève à cet égard que, dans leur rapport déjà cité, MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier s’étaient interrogés sur l’opportunité de la supprimer.

S’agissant du fond, votre rapporteur considère que l’évolution proposée, qui exprime l’idée que le principe de précaution doit être interprété comme un principe favorable à l’innovation, constituerait un message important en direction de l’opinion publique. En effet, comme le soulignait la résolution de l’Assemblée nationale du 1er février 2012 sur la mise en œuvre du principe de précaution (37), celle-ci « a construit une représentation collective maintenant très présente, dépassant sensiblement l’application strictement juridique de la règle constitutionnelle ». Ce message s’adresserait également aux autorités publiques qui mettent en œuvre le principe de précaution ainsi qu’aux chercheurs et aux entreprises. Votre rapporteur s’est en effet attaché à démontrer que les difficultés de mise en œuvre du principe de précaution ne résidaient pas principalement dans sa définition, ni dans son interprétation par la jurisprudence, mais bien dans sa compréhension par l’opinion, les autorités publiques et les acteurs de la recherche et de l’innovation.

DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission examine la proposition de loi constitutionnelle de MM. Éric Woerth et Damien Abad et plusieurs de leurs collègues (n° 2293) visant à instaurer un principe d'innovation responsable, lors de sa séance du mercredi 26 novembre 2014.

Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale s’engage.

M. Christian Assaf. Le principe de précaution n’est pas une création ex nihilo du droit français, mais le fruit d’un long processus qui a accompagné l’importance croissante que nous avons accordée aux questions environnementales et donc au souci du monde que nous léguerons aux générations futures. Apparu dans le droit allemand à la fin des années 1960, le principe de précaution a surtout été pour la France un paradigme inspiré du droit international, un principe consacré dès 1972 par la Convention de Londres et confirmé en 1992 par la Déclaration de Rio qui l’a placé au quinzième rang des vingt-sept principes adoptés lors du sommet de la Terre. La même année, le Traité de Maastricht, approuvé par le peuple français par référendum, l’a fait entrer dans le droit européen : le principe de précaution est donc désormais une composante de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne. La France, en ratifiant ces traités internationaux et européens, a contribué à l’émergence et à la concrétisation de ce principe.

C’est ainsi que sous la présidence de Jacques Chirac, tant en 1995 qu’en 2004, la majorité gouvernementale a choisi, à juste raison, de le faire entrer dans le droit français. Il apparaît donc pour le moins cocasse que la majorité devenue opposition en propose la suppression. Elle l’a d’ailleurs fait à quatre reprises depuis l’alternance de 2012. En 1995, le texte de loi défendu par Michel Barnier consacre le principe de précaution et l’introduit dans le code de l’environnement. En 2004, le choix est fait de l’inscrire dans la Charte de l’environnement et de lui donner, en même temps qu’elle, une valeur constitutionnelle.

La Charte définit tant le principe de précaution que les modalités de son application. Celle-ci précise même, dans son article 6, la nécessaire conciliation à opérer entre la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. De même que, dans son article 9, elle encourage la recherche et l’innovation.

Pour la quatrième fois depuis 2012, il nous est donc proposé de remettre en question l’équilibre et les acquis de cette Charte de l’environnement qui doit beaucoup à la volonté de Jacques Chirac et au travail de Roselyne Bachelot, ministre de l’Environnement du 6 mai 2002 au 31 mars 2004, de Serge Lepeltier, qui lui a succédé dans ces fonctions, de Dominique Perben, garde des Sceaux, qui l’avait défendue à l’Assemblée, ou de certains de nos collègues comme Mme Kosciusko-Morizet, qui en avait été rapporteure pour la commission des Lois.

La remise en question du principe de précaution proposée par cette proposition de loi constitutionnelle reviendrait donc à renier les engagements de la France au niveau international et à créer un flou juridique puisque, pour un même principe, nous aurions des mots différents aux niveaux national, européen et international. Une telle décision est-elle judicieuse alors que la proposition de loi, qui est de portée constitutionnelle, ne propose qu’un changement sémantique ? Permettez-moi d’ailleurs de m’étonner de cette récurrente volonté de l’UMP de modifier la Constitution sur ce point alors que, depuis le début de la législature, elle s’y est toujours opposée pour des droits tout aussi fondamentaux, préférant alors choisir des motivations politiques au détriment de la possibilité de faire évoluer ensemble notre patrimoine constitutionnel.

Une modification sémantique suffirait-elle à relancer la recherche, l’innovation, l’investissement et la croissance ? Substituer des mots à d’autres changerait-il le droit, son application et la jurisprudence ? Tout indique qu’elle ne changera en rien les perceptions de l’opinion publique tout comme il est difficilement envisageable que cette substitution de mots fasse évoluer la jurisprudence : les juges judiciaire, administratif et constitutionnel demeureront des interprètes de la Charte de l’environnement, de la conciliation entre les principes qu’elle proclame et les principes de portée constitutionnelle.

Parmi ceux-ci figure la liberté d’entreprendre, protégée par le Conseil constitutionnel depuis sa décision du 16 janvier 1982. Du reste, cette liberté d’entreprendre n’est en rien menacée par le principe de précaution. Comme l’a expliqué le professeur de droit Michel Prieur, dans les Cahiers du Conseil constitutionnel, on ne trouve aucun exemple d’utilisation abusive de ce principe du fait de sa valeur constitutionnelle ; l’exposé des motifs de la présente proposition de loi ne contient d’ailleurs aucun exemple de cette nature. Et si l’idée que le principe de précaution s’opposerait au développement économique de la France est présente en filigrane dans le rapport, rien ne vient la démontrer par des données et des exemples concrets : il est évident que le principe de précaution n’obère en rien l’innovation, la recherche, l’investissement ou le développement économique. Au contraire, il en est une composante et un moteur – à moins de penser que l’environnement et le respect que nous lui devons seraient inutiles à l’homme.

Nous pensons donc qu’il n’est ni judicieux, ni justifié d’opter pour ce glissement sémantique, mais que nous devons reprendre la Charte de l’environnement dans sa rédaction actuelle pour en expliquer de nouveau le sens et faire œuvre de pédagogie pour que la vocation première du principe de précaution soit réaffirmée et concrétisée.

Le groupe Socialiste, citoyen et républicain ne votera donc pas cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Nos sociétés ont sans aucun doute un problème avec la science. On en trouve un premier écho à l’Assemblée nationale et jusqu’au sein de cette Commission, où les scientifiques sont très peu nombreux. Plus sérieusement, on le mesure régulièrement à travers le choix des jeunes à l’issue de leur scolarité. L’échelle des salaires est encore une autre manière de l’illustrer. Or, le divorce entre la société et la science devrait tous nous mobiliser tant il représente une menace pour notre prospérité, pour notre vision collective de l’avenir.

C’est une raison forte, c’est une raison supplémentaire pour que nous ne nous perdions pas dans de vaines luttes. Car s’opposer au principe de précaution, c’est se tromper de combat, c’est confondre l’œuf et la poule : le principe de précaution n’est pas responsable de la défiance à l’encontre de la science et l’utilisation abusive de cette expression l’illustre assez ; c’est aussi tomber dans le piège de ceux qui utilisent les mots « principe de précaution » à tout propos et très souvent hors de propos. Certains voudraient en faire un totem et d’autres, tels les signataires du présent texte, un tabou ; ce qui revient à se placer sur le même mauvais terrain.

Enfin, dans ce mauvais combat, monsieur le rapporteur, vous choisissez un chemin étrange : garder le texte tout en en changeant les notions. Ou bien l’application de l’article 5 de la Charte pose problème et il faut tout supprimer, ou bien, comme je le crois, ce n’est pas le cas : dès lors, pourquoi en changer les termes, à supposer d’ailleurs que cela change quoi que ce soit ? Je voterai donc contre cette proposition de loi constitutionnelle et j’appelle nos collègues à agir de même.

Mme Cécile Untermaier. La proposition de loi constitutionnelle visant à remplacer le principe de précaution par un principe d’innovation responsable manifeste à mon sens l’hostilité d’une minorité de responsables politiques face à leurs obligations environnementales. Elle traduit aussi la volonté de certains responsables publics de substituer à la définition juridique du principe de précaution une définition politique caricaturale et sans rapport avec son sens juridique véritable. Ce texte nous paraît juridiquement erroné dans son approche, inutile et dangereuse.

Juridiquement erroné, parce qu’un principe n’a pas à être soumis à des modalités de mise en œuvre, comme le prévoyait d’ailleurs une précédente résolution votée par l’Assemblée, et encore moins contenir en son sein sa propre contradiction, laquelle doit être apportée par d’autres principes qui lui sont nécessairement extérieurs. Vouloir intégrer l’innovation au sein même du principe de précaution pour le contracter en un principe d’innovation responsable me paraît contraire à la définition même d’un principe de droit.

Inutile, car l’innovation, rappelons-le, est bien présente dans la Charte de l’environnement en son article 9 qui dispose que « la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement ». Loin de constituer un principe d’inertie, le principe de précaution suppose l’action des pouvoirs publics et stimule l’innovation dans le domaine de la protection de l’environnement et de la santé publique. Il constitue un principe d’ouverture de la science au débat démocratique. Inutile enfin car les juges constitutionnels, administratifs et judiciaires, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, n’ont pas donné au principe de précaution la portée caricaturale que le discours politique voudrait lui attribuer.

Dangereuse, car cette proposition vise à rompre un consensus tant sur la nécessité d’un tel principe dans notre société technologique et industrielle dominée par les risques environnementaux, que sur le sens qu’il convient de lui donner.

En conclusion, le principe de précaution est un principe d’action qui impose à l’autorité publique un rôle actif dans l’évaluation des risques. La réduction du risque à un niveau acceptable, voire son élimination, réside dans l’information et la participation de citoyens associés à la réflexion en la matière. Remettre en cause ce principe, c’est déresponsabiliser les pouvoirs publics. L’émotion qui l’entourerait, à vous entendre, monsieur le rapporteur, ne doit pas nous conduire à remettre en cause un principe fondateur.

M. Bertrand Pancher. La discussion de cette proposition de loi constitutionnelle illustre la difficulté pour certains de nos collègues mais aussi pour nombre de responsables économiques, voire pour certains chercheurs, d’être en phase avec la métamorphose du monde. C’est un peu le débat entre le XXe et le XXIe siècles : devons-nous continuer à poursuivre des objectifs de développement sans nous poser la question de leurs conséquences sur l’environnement, sur la santé humaine, sur notre équilibre social, voire sur les conditions mêmes de la poursuite apaisée du développement économique ? La réponse est évidemment non. C’est pourquoi, depuis une trentaine d’années, on constate un profond mouvement, sur le plan international avec la conférence de Rio, sur le plan européen avec les traités d’Amsterdam, et sur le plan national avec la loi Barnier puis l’inscription de la Charte de l’environnement dans la Constitution. Continuons-nous à faire en sorte que le développement économique soit compatible avec l’équilibre de la société et qu’offrons-nous aux générations actuelles et futures ?

La remise en cause du principe de précaution telle que la prévoit le présent texte est incompréhensible : ou bien l’on tranche – et pourquoi pas si, du fait d’une grave crise, l’on entend donner la priorité au seul développement économique –, ou bien on continue à rêver d’un monde équilibré ; auquel cas, on cherche plutôt à améliorer le principe de précaution, voire à élargir son champ. Si les inquiétudes, notamment dans le domaine de la recherche, sont compréhensibles, si l’application du principe de précaution est incertaine – et le restera sans doute toujours : après tout, lire dans l’avenir n’est pas à la portée de l’Assemblée –, il serait sage d’engager un débat apaisé sur le sujet en se rappelant que la commission Coppens a réfléchi pendant quatre ans sur une proposition qui paraissait consensuelle. On ne voit pas comment, en effet, un texte débattu dans des délais aussi courts pourrait recueillir un tel consensus.

De nombreux groupes de réflexion ont examiné la question de l’élargissement éventuel du principe de précaution et cherché à en améliorer la portée, qu’il s’agisse d’organismes extérieurs au Parlement ou bien du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, en 2010, qui avait montré la nécessité de conserver ce principe en organisant mieux son application. Nos collègues Gest et Tourtelier s’y sont essayés il y a trois ans, et contrairement à ce que vous soutenez, monsieur le rapporteur, jamais ils n’ont songé à le remettre en cause puisqu’ils ont rappelé qu’à aucun moment il n’était souhaitable de faire machine arrière. Leurs suggestions auraient d’ailleurs pu être reprises à leur compte par les auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle, comme la nécessité de travailler sur la transparence dans l’évaluation de la valeur relative des expertises, la nécessité d’une meilleure compréhension du périmètre des risques relevant du principe de précaution – nos collègues souhaitaient ainsi élargir ce dernier à la santé.

Ne faudrait-il pas même l’élargir à l’économie ? En 2008, en effet, les banques se sont-elles montrées précautionneuses ? Les conséquences de leurs placements hasardeux ont-elles toujours été bien mesurées ? Je n’en suis pas certain, au vu des dégâts très importants qui en ont résulté.

Le débat public n’est pas suffisamment organisé. Réfléchissons aussi sur l’absence, et sur les raisons de cette absence, de référent unique et clairement identifié, porteur de procédures jusqu’à la prise de décision.

Faute de ces éléments, à titre personnel – mais j’imagine que je serai suivi par nombre de mes collègues –, je m’opposerai résolument à cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Françoise Guégot. Je salue l’initiative de notre collègue Éric Woerth de rouvrir le débat sur le principe de précaution. Nathalie Kosciusko-Morizet a rappelé que nous étions peu de scientifiques ici. J’en fais partie, et je ne suis donc pas une spécialiste du droit. Reste que les mots ont un sens et, pour moi, passer du principe de précaution à l’innovation responsable a bel et bien un sens.

Les exemples du gaz de schiste ou des OGM ont confirmé que le principe de précaution tel qu’établi a pris une place disproportionnée par rapport à celui de la liberté d’entreprendre. L’innovation technique et scientifique ne peut se concevoir avec un risque zéro ; la prise de risque est un élément essentiel de la compétitivité et nécessaire à toute recherche, à tout travail intellectuel. Or la jurisprudence a progressivement privilégié une interprétation maximaliste de ce principe éloignée de la volonté de ceux qui l’ont fait inscrire dans la Constitution en 2005.

S’il est important que l’autorité publique garde la possibilité de prendre des mesures appropriées en cas de découverte d’un risque, elle devrait le faire plutôt a posteriori qu’a priori. Dans cet esprit, mettre l’accent sur la responsabilité est plus conforme à l’innovation et peut ne pas être perçu comme un obstacle au progrès et à la croissance.

Je crois très sincèrement que nous avons besoin de donner des signes de confiance à nos chercheurs et, pour constater le nombre de ceux qui partent exercer leur talent à l’étranger, donner un signe à travers deux mots importants, innovation et responsabilité, me paraît essentiel. Je soutiendrai donc cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Dominique Bussereau. J’ai écouté le rapporteur avec une grande attention mais je partage totalement l’argumentation développée par Nathalie Kosciusko-Morizet. Faire de la Charte de l’environnement une annexe de nos textes constitutionnels a été un moment important. En outre, il faut être cohérent : j’étais pour ma part membre du Gouvernement à ce moment-là, j’ai approuvé cette initiative et je ne vais pas, dix ans après, prendre une position différente.

M. Bernard Gérard. Je ne suis pas de l’avis exprimé par nos collègues Nathalie Kosciusko-Morizet, Dominique Bussereau ou d’autres. Ainsi que l’indique clairement cette proposition de loi constitutionnelle, le principe de précaution n’est en rien supprimé : il est englobé dans un principe plus large, celui d’innovation responsable. C’est le vrai défi de nos entreprises. On m’a confié la mission de présider le groupe d’études sur le textile et les industries de main-d’œuvre. Lors d’une récente réunion, les représentants d’une cinquantaine d’entreprises nous ont fait part de leurs préoccupations, quel que soit leur secteur d’activité – objets connectés, biotechnologies, nanotechnologies… Était également présent le professeur Cabanis, membre de l’Académie de médecine, pour nous détailler les enjeux de la médecine de demain, mais également tous les freins qui, en France, entravaient les recherches utiles. Nous avons également appris que le souci, pour nombre d’entreprises du textile ou d'ailleurs, était d’embaucher les agrégés de mathématiques dont elles avaient grand besoin : c’est le cas, par exemple, de l’entreprise Babolat, une charcuterie à l'origine, dans laquelle on a eu l’idée de se servir des boyaux pour fabriquer les cordes de ces raquettes de tennis aujourd’hui mondialement connues. Si donc nous voulons que nos entreprises s’adaptent aux enjeux de demain dans des domaines où elles disposent de vrais savoir-faire, il faut défendre ce principe simple et explicite d’innovation responsable. Cela d’autant plus que la proposition de loi constitutionnelle précise bien, je le répète, que le principe de précaution n’est pas supprimé, mais devient un élément d’un principe plus large. Éric Woerth a donc une vraie vision d’avenir en nous proposant un texte équilibré, respectueux, notamment, de l’environnement et de la santé humaine. Il faut savoir être de son temps, ce qui n’est pas antinomique avec le respect des grands principes qui fondent notre République. Voilà pourquoi je dis bravo à Éric Woerth dont je soutiens totalement la proposition de loi constitutionnelle.

Mme Sabine Buis, rapporteure pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Ce texte a été examiné hier par la commission du Développement durable qui a appelé l’attention des députés sur le fait que le principe juridique de précaution n’avait rien à voir avec le principe médiatique de précaution employé à tort et à travers, et sur le fait que le principe de précaution, loin de s’y opposer, intègre l’innovation : la Charte de l’environnement précise sans ambiguïté que le principe de précaution appelle « la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques ». En situation d’incertitude scientifique, le principe de précaution ne suppose pas moins de science mais davantage.

La Commission a en outre appelé l’attention sur le fait que l’idée de créer un principe d’innovation responsable et de l’inscrire dans la Constitution revenait à appeler l’État à définir l’innovation responsable, par opposition à l’innovation irresponsable, autrement dit à distinguer la bonne innovation et la mauvaise – et pourquoi pas la bonne science et la mauvaise science ! Paradoxalement, nous sommes invités à décider ce que doit être la recherche. Est-ce à l’État de dire par avance en quoi doit consister l’innovation, la création ou l’invention ?

Troisième point relevé par la Commission : remplacer les mots « principe de précaution » par les mots « principe d’innovation responsable » est source de confusion. Concrètement, un même contenu s’appellera « principe de précaution » en droit international, en droit communautaire et dans la loi française mais, curieusement, s’appellera « principe d’innovation responsable » dans la Charte de l’environnement adossée à notre Constitution… Cette façon de faire bousculera la hiérarchie des normes et suscitera d’interminables débats en séance ou devant le juge pour savoir si ce changement d’appellation induit un changement de sens et si l’appellation « principe de précaution » se concilie ou non avec l’appellation « principe d’innovation responsable ».

En quatrième et dernier lieu, il est faux de prétendre que ce changement de nom permettrait de clarifier l’interprétation du principe de précaution. La lecture attentive de la jurisprudence du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou des décisions du Conseil constitutionnel permet de se convaincre qu’un tel risque n’existe pas. Deux cas sont fréquemment cités. Un arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles du 4 février 2009 est souvent cité par les opposants au principe de précaution. Certes, dans cette affaire, les parties au procès avaient beaucoup écrit du principe de précaution, mais ce n’est pas sur ce fondement que la cour d’appel a ordonné l’enlèvement de l’antenne-relais litigieuse, mais bien parce que l’opérateur avait promis de respecter certaines normes d’émission et de distance pour l’implantation de son antenne-relais, et qu’il n’a pas tenu sa promesse.

Second cas de figure : récemment, par une décision du 11 octobre 2013, le Conseil constitutionnel a rejeté une question prioritaire de constitutionnalité par laquelle la société Schuepbach contestait la conformité au principe constitutionnel de précaution, de la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique. Pour cette société, soucieuse de pouvoir rechercher et exploiter des hydrocarbures non conventionnels, le législateur avait utilisé à tort le principe de précaution en en faisant un principe d’interdiction – ici de la fracturation hydraulique. Or, le Conseil constitutionnel a considéré à très juste titre que cet argument était inopérant. En effet, la loi du 13 juillet 2011 relative à l’interdiction de la fracturation hydraulique, grâce notamment à l’intervention du président Chanteguet, n’est pas fondée sur le principe de précaution, mais sur le principe de prévention.

Voilà les raisons pour lesquelles la commission du Développement durable a décidé d’adopter un amendement de suppression de l’article.

M. Éric Ciotti. J’apporte naturellement mon soutien à cette proposition de loi constitutionnelle puisque j’en suis cosignataire. Je ne serais pas cohérent si je ne défendais pas ce texte courageux, pertinent et opportun.

Pour commencer, il n’est pas question de supprimer le principe de précaution de la hiérarchie des normes, mais seulement d’en modifier la place : dès lors qu’il ne sera plus placé au sommet, Éric Woerth l’a rappelé, il ne paralysera pas l’esprit d’innovation qui doit être au cœur de toute politique publique et qui doit animer un grand pays comme le nôtre.

Le constat du déclin industriel de la France a déjà été dressé : la part de l’industrie dans la production intérieure brute s’est effondrée depuis 1981. Nous sommes dans un monde ouvert et il n’est pas question de le contester : il faut s’adapter à la compétition internationale. Or, on a l’impression que la France dispute un cent-mètres ou un marathon avec des boulets qu’elle s’est elle-même fixés aux pieds. Il faut rompre avec cet état d’esprit qui, il faut bien le constater, ne lui permet pas d’aller de l’avant dans cette compétition.

Mon expérience de président d’un exécutif local montre qu’il est de plus en plus difficile d’investir, prisonniers que nous sommes de ces a priori : réaliser un collège ou un projet d’intérêt général relève du parcours du combattant à cause des contraintes que nous nous sommes imposées. Une multitude de commissions sans aucune légitimité démocratique se substituent à la volonté du peuple représenté par les élus. Nous sommes par conséquent de plus en plus paralysés pour entreprendre. C’est vrai pour les collectivités locales, c’est vrai pour l’État et c’est vrai pour l’entreprise.

Cette proposition de loi constitutionnelle fixe donc un nouvel objectif plus audacieux et indispensable pour relever le pays de la situation dans laquelle il s’enfonce.

Mme Marie-Jo Zimmermann. En inscrivant dans la Constitution le principe de précaution, nous avons fait preuve d’audace. Aujourd’hui, il est dur d’entendre certains collègues soutenir qu’en le remplaçant par le principe d’innovation responsable, nous permettrions à nos chercheurs d’être plus compétitifs. Lorsque, dans ma circonscription, le groupe PSA a conçu son nouveau moteur diesel, c’était en respectant le principe de précaution et non je ne sais quel principe d’innovation responsable. Nous tournons autour du pot. (Sourires.) Ces sourires m’attristent, chers collègues : chacun a le droit de défendre ici une autre idée que la vôtre sans se faire tacler, à plus forte raison lorsqu’on a en tête l’avenir de nos enfants !

Lorsque le principe de précaution a été adossé à la Constitution, l’idée était également d’amener à une réflexion intelligente. Or, ce n’est pas parce qu’on emploiera les mots « innovation responsable » qu’on fera un travail plus intelligent. Le respect du principe de précaution impose tout autant de réfléchir sur le plan scientifique, mais également de nous interroger, comme c’est notre devoir, sur l’avenir de ceux qui vont nous succéder ; autrement dit, nous faisions œuvre d’avenir. J’ai le sentiment que, sur ce point, cette proposition de loi constitutionnelle nous conduirait à un recul.

M. Paul Molac. Je me félicite d’une certaine unanimité, de la position du groupe SRC – M. Assaf a rappelé la genèse du principe de précaution – et des prises de positions de plusieurs membres du groupe UMP.

J’avoue ne pas très bien comprendre quelle traduction législative pourrait recevoir le principe d’innovation responsable. Le principe de précaution, lui, est clair : il s’agit de protéger l’environnement et, au-delà, l’homme – ce qui est tout de même l’essentiel. Je vous rappelle que nous avons parfois tardé à prendre des décisions : c’est ce qui s’est produit avec l’amiante, et qui s’est traduit par des maladies pour un certain nombre de nos concitoyens.

M. Bernard Accoyer. Le principe de précaution et le principe de prévention n’ont rien à voir !

M. Paul Molac. Nous avons légiféré sur les perturbateurs endocriniens dont on sait très bien qu’ils ont des conséquences sur la santé. Cette proposition de loi constitutionnelle va d’autant moins dans le bon sens que nous venons de voter la loi sur les lanceurs d’alerte. Comment l’innovation pourrait-elle aller à l’encontre de la protection de l’homme ?

Nous voterons contre cette proposition de loi constitutionnelle. J’ai bien entendu que nos concitoyens étaient de plus en plus frileux : nous le constatons à chaque fois qu’est proposé un projet des plus basiques, qu’il s'agisse d’une unité de méthanisation ou d’une éolienne… Mais cela n’a rien à voir avec le principe de précaution.

Il faut donc rassurer nos concitoyens en leur rappelant que nous sommes comptables de leur santé et que nous avons la charge de la protéger. Ce serait un très mauvais signe que d’adopter ce texte.

M. Bernard Accoyer. J’ai eu un rôle probablement décisif au sein du groupe majoritaire lorsque fut prise la décision d’inscrire le principe de précaution dans la Constitution. Or, nonobstant ce qui a été dit par d’éminents membres du groupe UMP avant moi, j’entends vous livrer en conscience l’état de mes réflexions : il n’y a pas de mois, il n’y a pas de jour où je ne regrette cette inscription expéditive. Nous avons omis d’adjoindre au texte le principe d’une loi organique qui, à l’époque, avait été prévu.

M. Christian Assaf. Le père tue l’enfant !

M. Bernard Accoyer. Et comme nous n’avons pas prévu de dispositif organique, nous sommes dans une situation dont je ne peux que déplorer la gravité.

La proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise s’inscrit dans une réflexion générale sur la place de la science, de la culture scientifique dans la société, dans la haute fonction publique, dans les médias et au sein du personnel politique. Or, objectivement, cette place, depuis quelques décennies, a diminué de façon dramatique. Ce texte s’inscrit également dans un débat philosophique opposant d’un côté l’objectivité, la rationalité – héritage de la philosophie des Lumières qui ont contribué comme on sait au progrès de l’humanité – et, de l’autre, le relativisme.

La France est le seul pays à avoir, à trois niveaux, un principe de précaution : au niveau européen, au niveau constitutionnel et au niveau législatif avec la loi Barnier. Or, les effets du principe de précaution sont difficilement contestables, qu’il s’agisse des effets sur la recherche sectorielle – biotechnologies, hydrocarbures non conventionnels, recherche biomédicale… –, sur les filières industrielles et d’avenir qui dépendent de ces secteurs – je pense au défi alimentaire, au défi en eau, au défi énergétique –, ou des effets sur ces jeunes qui veulent se consacrer à la recherche : plus aucun jeune chercheur en France ne se forme désormais dans le secteur de la biogénétique végétale. Avant que les faucheurs volontaires ne se mettent en action, il y avait une centaine de cultures en plein champ d’organismes végétaux génétiquement modifiés ; il n’y en a plus une seule aujourd’hui. Avec ces cultures biogénétiques, ce sont les chercheurs qui ont été fauchés et la recherche elle-même !

Et où sont partis les chercheurs dans le domaine des hydrocarbures non conventionnels ? Dans d’autres filières ou à l’étranger.

On sait ce qu’il en est advenu avec la quatrième génération du nucléaire où la France, il y a vingt ans, avait une avance de vingt ans sur le reste du monde, alors qu’aujourd’hui nos chercheurs sont en Inde pour développer la filière qu’un jour nous lui rachèterons !

Je n’ai pas encore mentionné les effets du principe de précaution sur l’investissement. La France est considérée comme un pays où l’utilisation à tort et à travers de ce principe empêche ce moment indispensable qui accompagne le progrès en tous domaines : le saut technologique. Oui, un saut technologique comporte une part d’incertitude, une part de doute, une part de risque. Or, l’usage à tout propos et à tout bout de champ du principe de précaution a, sur le plan psychologique, profondément marqué la France. C’est ainsi que nous sommes devenus un pays gagné par la peur, le pessimisme, le doute, un pays qui remet sans cesse en cause ses réussites, un pays où l’inaction est en train de l’emporter sur l’action.

L'inaction est toujours plus dangereuse que l’action. Nous ne pouvons rester immobiles. C’est précisément pour cette raison qu’a été votée, en 2012, une résolution particulièrement bien calibrée à l’issue d’un travail préparatoire approfondi, avec un rapporteur de droite, Alain Gest et un rapporteur de gauche, Philippe Tourtelier, et que je vous invite à relire attentivement.

Tout récemment, l’Académie des sciences a consacré une de ses séances aux travaux de l’un de nos plus illustres chercheurs, un de ceux que le monde nous envie : le professeur Alain Carpentier, celui qui inventé le système de cœur artificiel CARMAT. Eh bien, sachez qu’il s’en est fallu de très peu qu’à cause du principe de précaution, à cause de ces peurs, la société CARMAT aille s’installer dans un autre pays !

Cette proposition de loi constitutionnelle, je l’ai évoqué, ouvre ce débat qui, parce que difficile et complexe, sera long. Bien sûr, je la soutiens, même si je ne pense pas que ce soit absolument ce qu’il faille faire. Nous commençons seulement un long travail, et celui-ci ne pourra déboucher que si nous savons dépasser les postures, les clivages, les préjugés. Il en va, j’en suis convaincu, de l’avenir de notre pays. Débattons donc de l’adjonction de quelques mots, dans la Constitution, tout en prévoyant une loi organique – ce dont nous avons le plus grand besoin pour éviter l’usage particulièrement préoccupant qui est désormais fait du principe de précaution.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Tout le monde est bien conscient de la nécessité de protéger l’environnement et tous ceux qui se trouvent à la tête d’une collectivité locale savent qu’aucun projet ne peut voir le jour s’il n’est pas jugé « écologiquement correct » par une préfecture, par une direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) ou par une direction départementale du territoire (DDT).

L’idée d’introduire le principe de précaution dans la Constitution était louable, bonne, mais elle a été dévoyée : il s’agissait de prendre toutes les précautions pour faire, non d’interdire l’action. Aujourd’hui, la précaution a tué le travail : c’est aussi ce qui explique que nous ayons plus de 5 millions de précaires et de sans-travail.

Le coût du travail est certes très élevé et si d’autres pays, où il est presque au même niveau, s’en sortent, c’est qu’ils n’ont pas le même code du travail que nous. Tout le monde sait et reconnaît, y compris à gauche, que ce code est un peu lourd, et personne n’ose y toucher. Mais il n’y aura bientôt plus grand-chose à craindre du code du travail : avec le code de l’environnement et nos normes environnementales franco-françaises excessives, on ne peut plus construire d’usines ! Des permis de construire d’usines en zone industrielle sont annulés parce qu’on est obligé d’aller négocier des hectares de biodiversité dans des zones pourtant classées zones industrielles. Qui peut me dire où l’on pourrait aujourd’hui reconstruire l’usine PSA d’Aulnay ? Quand les services de la préfecture ont considéré qu’on ne pouvait pas construire la nouvelle maison d’arrêt d’Angers parce qu’elle se situerait sur une trame verte, le préfet a répondu : mais qui vous a dit qu’on ne pouvait pas construire sur une trame verte ? Le droit est toujours interprété à l’excès. Et pourtant, une maison d’arrêt est systématiquement entourée d’une couronne de prairie de cinquante mètres… Comment une couronne de prairie pourrait-elle rompre la continuité d’une trame verte ?

Ne parlons pas des « zadistes » de Notre-Dame-des-Landes qui menacent les cabinets d’étude environnementale des Pays-de-la-Loire pour qu’ils ne répondent pas positivement aux appels d’offres – et il y a déjà eu des exactions commises contre les domiciles des salariés et des responsables de ces agences. C’est la fin de l’État de droit !

Je me souviens d’un dîner à l’Hôtel de Lassay : nous étions un certain nombre de députés invités par le président Accoyer pour rencontrer des scientifiques, parmi lesquels le prix Nobel de médecine. Je me trouvais à côté de Mme Fioraso, alors députée de l’opposition. Elle a pris la parole pour faire valoir qu’inscrire le principe de précaution dans la Constitution conduirait l’État à renoncer à sa recherche scientifique et à s’engager dans la voie de la décadence, de la décroissance économique. Mme Fioraso est aujourd’hui ministre de la Recherche… qui ne pourra plus faire de recherche !

On a peine à imaginer tous les blocages créés par le principe de précaution, dont on s’est peu à peu servi pour culpabiliser par avance l’entrepreneur désireux d’entreprendre, le chercheur voulant chercher. N’oubliez pas que c’est le travail qui crée l’emploi, qui crée les richesses nécessaires pour financer toutes les lois de solidarité sociale que vous vous plaisez à voter. Ne l’oubliez pas, car lorsqu’on ne créera plus de richesses en France, on n’aura même plus besoin de revenir parler du principe de précaution !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Ce débat est intéressant et utile, car nous commençons à mettre des mots concrets sur des choses jusque-là évanescentes. Mais je ne comprends pas pourquoi cette proposition de loi constitutionnelle veut substituer au principe de précaution celui d’innovation, comme si les deux n’étaient pas complémentaires. On assiste à une dérive des mots : la haute fonction publique tente, vaille que vaille, de passer de la notion de précaution à celle de prévention, comme l’a relevé le Conseil constitutionnel ; de la même façon, on utilise désormais systématiquement le mot « innovation » pour ne plus employer le mot « invention ». Autrement dit, on efface la capacité de l’homme à inventer en lui substituant la capacité de la société à innover ; on a transformé la capacité d’une société à prendre des précautions par la capacité des hauts fonctionnaires à gérer la prévention…

Cela nous ramène à une question essentielle en politique : le concept de responsabilité : responsabilité individuelle des élus, responsabilité collective à l’égard du corps social et de son économie, responsabilité de la collectivité nationale à l’égard de notre environnement, de nos paysages, de notre avenir. Je ne vois pas l’intérêt qu’il y aurait à supprimer le principe de précaution pour le remplacer par celui d’innovation responsable : dans mon esprit, précaution et innovation ne sont pas incompatibles, loin s’en faut.

M. Jean-Christophe Fromantin. Un élément revient souvent dans nos échanges : la corrélation entre la compétitivité et le principe de précaution.

Le principe de précaution est-il réellement un handicap qui plomberait nos entreprises, ou un atout qui nous pousse à aller plus avant dans la recherche et l’innovation au point d’en faire un marqueur fort pour notre économie ? Il est bien difficile de répondre à cette question, même si, dans bien des secteurs, la façon dont nous l’appliquons dans notre réglementation apparaît de plus en plus en décalage par rapport à la norme que s’imposent d’autres pays. Nous rapproche-t-elle ou nous éloigne-t-elle de la compétitivité ? Il me semble qu’elle nous en éloigne. Il faut donc nous demander si, au sein d’une économie mondiale et interconnectée, le principe de précaution, tel que se l’applique la France, nous isole en nous éloignant des enjeux de l’exportation, du développement international et de la compétitivité, ou si, au contraire, d’autres pays suivent notre exemple, ce qui serait de nature à avantager nos entreprises.

À l’instar de Bernard Accoyer, je me demande si l’introduction de la notion de responsabilité n’introduirait pas une certaine souplesse entre les principes très rigides que nous nous imposons et notre capacité à développer notre économie. Faute de quoi, le principe constitutionnel de précaution, très rigide, entraîne toute une série d’effets collatéraux préjudiciables. Dans ces conditions, je suis plutôt favorable à l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Chacun se souvient du contexte qui a présidé à l’adoption du principe de précaution en 2005 ; personne à l’époque n’en mesurait les conséquences. En revanche, chacun avait conscience d’inscrire dans la loi constitutionnelle quelque chose dont l’objet était de protéger des générations de demain. Cette réalité est toujours présente. Ce n’est pas le principe de précaution qui pose problème, mais sa mise en œuvre. L’inscription de ce principe dans la Constitution a constitué un garde-fou qui concerne autant les responsables d’aujourd’hui que ceux qui, demain, viendront nous demander des comptes. Personne, à l’époque, n’imaginait comment il se traduirait réellement dans la vie de notre pays, dans le domaine juridique, dans le domaine industriel, dans le domaine économique, dans le domaine environnemental. Nous sommes toujours dans la construction de ce principe.

Si évidemment on ramène le principe de précaution à une construction purement jurisprudentielle, on se heurte à une difficulté majeure. C’est pourquoi je soutiens qu’il doit être intégré par tous les acteurs qui participent à notre développement économique, scientifique, environnemental. Pour ce qui est du gaz de schiste, par exemple, le principe de précaution me paraît heureux : même s’il peut poser d’énormes problèmes en termes de développement, il a l’immense mérite d’empêcher de commettre ce qui demain ne pourrait pas être réparé. En revanche, il reste à construire, sur le plan intellectuel, politique, économique, juridique comme dans la dimension industrielle, des chemins dans lesquels on retrouvera le principe de précaution comme un garde-fou sans affaiblir pour autant notre capacité de progrès et d’innovation. Le progrès, ce n’est pas ce qui nous arrange aujourd’hui ; c’est ce qui servira également nos enfants et nos petits-enfants. Voilà en quoi le principe de précaution a une réalité, une force que nous-mêmes n’imaginions pas lorsque nous l’avons adopté à Versailles, voilà pourquoi il doit rester inscrit au fronton de toute la démarche de notre société.

M. Éric Woerth, rapporteur. Ce débat vaut la peine car chacun d’entre nous souhaite la même chose : que la France progresse au bon sens du terme sans pour autant que la croissance se fasse à n’importe quel prix au mépris de la plus élémentaire prudence. Nous savons aussi que cette croissance ne peut être le fruit que de l’innovation et de l’invention dans le domaine économique, dans le domaine social, et plus encore dans le domaine scientifique et technique.

Cela étant posé, que veut-on affirmer ? Car les mots ont un sens, à commencer par celui de précaution ; vouloir le remplacer par un autre terme n’est pas neutre. Cela ne signifie pas pour autant que l’on chamboule tout, mais seulement que l’on veut modifier la hiérarchie des facteurs. Veut-on une société de protection qui permet l’innovation ou une société d’innovation qui n’exclut pas la protection ? Par cette proposition de loi constitutionnelle, nous disons que nous souhaitons une société qui affiche sa volonté d’innovation, dans un esprit de responsabilité évidemment. La façon dont la précaution est utilisée aujourd’hui entrave le développement de la société française, contribue à son blocage. Le blocage d’un projet d’implantation d’antenne relais ou d’éolienne n’a rien à voir, nous assure-t-on, avec le principe de précaution ; c’est peut-être, et même certainement, vrai sur le plan juridique, pas sur le plan culturel. Car le principe de précaution s’est immiscé dans la société française au point de devenir une attitude culturelle ; or cette attitude, il faut la combattre, car il faut aller de l’avant, et elle entrave le mouvement.

Sur le plan juridique, la proposition de loi n’a, au fond, d’autre but que de déconstitutionnaliser le principe de précaution qui ne devrait plus être un principe d’action pour la société tout entière, mais un simple garde-fou, qui existe déjà dans les traités européens ainsi que dans le droit civil et administratif. Qui pourrait d’ailleurs croire que la responsabilité ne s’exerce pas ? Des personnalités aussi éminentes que Louis Gallois, Anne Lauvergeon, ou nombre de responsables d’organismes de recherche dénoncent le danger qui se cache derrière le principe de précaution. Nos équipes de recherche dans le domaine des OGM quittent la France. L’extraction du gaz de schiste, en l’état actuel des connaissances, est peut-être une erreur ; mais ne vaut-il pas mieux permettre aux recherches de se poursuivre plutôt que l’interdire ? Autant de questions qui renvoient à une conception de la société que nous cherchons à exprimer à travers ce texte. Tout ne peut pas être ramené au droit : souvent les principes juridiques rejoignent les énoncés médiatiques. C’est en ce sens que le principe de précaution est devenu un facteur limitant au lieu de nous aider à progresser. Pour nous, la civilisation, c’est le progrès, et le progrès, c’est l’innovation. Mais l’innovation, ce n’est pas d’abord la précaution, même si l’innovation ne va pas sans de la précaution. Voilà ce que nous voulons dire dans cette proposition de loi constitutionnelle.

La Commission passe à l’examen de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle.

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

Article unique
Substitution du principe d’innovation responsable au principe de précaution dans l’article 5 de la Charte de l’environnement

L’article 5 de la Charte de l’environnement, relatif au principe de précaution, est ainsi rédigé :

« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

Le présent article vise à substituer, dans cet article, les mots « principe d’innovation responsable » aux mots « principe de précaution ».

Cette substitution de termes n’aurait pas de conséquences sur la définition procédurale de l’actuel principe de précaution qui implique que plusieurs conditions soient réunies, comme votre rapporteur l’a déjà indiqué : un risque incertain en l’état des connaissances scientifiques, portant sur un dommage à l’environnement, lui-même grave et irréversible. Le juge - constitutionnel, administratif ou civil dans le cadre du contentieux de la responsabilité - vérifie que ces éléments sont réunis pour faire application du principe de précaution. Lorsqu’ils le sont, les autorités publiques ont deux obligations :

– veiller à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques, permettant de lever les incertitudes existantes ;

–  veiller à l’adoption de mesures, qui doivent être provisoires en raison de cette incertitude, et proportionnées aux risques éventuels.

Le juge administratif s’attache à vérifier chacune de ces conditions, et opère en particulier un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation s’agissant des mesures décidées par les autorités publiques.

Votre rapporteur considère que cette évolution sémantique permettrait d’exprimer plus clairement que le principe de précaution doit être interprété comme un principe d’action, favorable à l’innovation. L’adjonction de l’adjectif « responsable » vise à signifier que l’innovation doit tenir compte des exigences de préservation et de mise en valeur de l’environnement, comme l’affirme par ailleurs l’article 9 de la Charte de l’environnement, selon lequel « la recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement ».

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La Commission adopte les amendements de suppression CL2 de M. Molac, CL3 de M. Assaf et CL4 de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire.

En conséquence, l’article unique est supprimé, l’amendement CL1 tombe et la proposition de loi constitutionnelle est rejetée.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle de MM. Éric Woerth et Damien Abad visant à instaurer un principe d'innovation responsable (n° 2293).

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

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Texte de la proposition de loi

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Texte adopté par la Commission

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Proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un principe d’innovation responsable

 

Charte de l’environnement de 2004

Article unique

Article unique

Art. 5. – Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

À l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2004 mentionnée au premier alinéa du Préambule de la Constitution, les mots : « principe de précaution » sont remplacés par les mots : « principe d’innovation responsable ».

Supprimé

amendements CL2, CL3
et CL4

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

• Institut économique Molinari (19 novembre 2014)

––  Mme Cécile Philippe, directrice

—  M. Nicolas Marques, chercheur

© Assemblée nationale

1 () Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Le principe de précaution : bilan de son application quatre ans après sa constitutionnalisation, (compte-rendu de l'audition publique du 1er octobre 2009), rapport n° 1964, 9 octobre 2009.

2 () Rapport d’information fait au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution par MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier, n° 2719, 8 juillet 2010.

3 () Rapport d’information fait au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 2719) du 8 juillet 2010 sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution par MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier, n° 3970, 17 novembre 2011.

4 () Résolution du 1er février 2012 sur la mise en œuvre du principe de précaution, TA n° 837.

5 () Proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat visant à modifier la Charte de l’environnement pour préciser la portée du principe de précaution, n° 1975, 28 mai 2014.

6 () Rapport de MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur « L’innovation à l’épreuve des risques et des faits » déposé le 24 janvier 2012, n° 4214, p. 15.

7 () Déclaration de la conférence de Brême, 1er novembre 1984 ; déclaration de la conférence de Londres, 24 et 25 novembre 1985 ; déclaration de la conférence de La Haye, 8 mars 1990 ; déclaration de la conférence d’Esbjerg, 8 et 9 juin 1995.

8 () Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, op. cit., pp. 13-14.

9 () TPICE, 26 novembre 2002, Artedogan contre Commission.

10 () CJCE, 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health SA contre Conseil de l’Union européenne, affaire T-13/99 et Alpharma, Inc. contre Conseil de l’Union européenne, affaire T-70/99.

11 () MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier, op. cit., p. 37.

12 () Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement.

13 () Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit règlement REACH.

14 () Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.

15 () Conseil d’État, association Y., 25 septembre 1998, n° 194348.

16 () Conseil d’État, Confédération des infirmiers libéraux, 15 mai 2002, n° 232935.

17 () Conseil d’État, Madame X., 21 avril 1997, n° 180274.

18 () Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (n° 992) relatif à la Charte de l’environnement, par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, n° 1595, 12 mai 2004, p. 92.

19 () Op. cit., p. 105.

20 () Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008.

21 () Conseil d’État, 19 juillet 2010, Association du quartier des Hauts de Choiseul, n° 328687.

22 () Rapport fait au nom de la commission des lois par M. Patrice Gélard sur la proposition de loi constitutionnelle de M. Jean Bizet et plusieurs de ses collègues, visant à modifier la Charte de l’environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d’innovation, Sénat, session ordinaire de 2013-2014, n° 547, 21 mai 2014.

23 () Conseil d’État, 30 janvier 2012, Société Orange contre Commune de Noisy-le-Grand, n° 344992.

24 () Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, op. cit., p. 21.

25 () Conseil d’État, 19 juillet 2010, Association du quartier des Hauts de Choiseul, n° 328687.

26 () Conseil d’État, 12 avril 2013, Association coordination interrégionale Stop THT, n° 342409.

27 () Cour d’appel de Versailles, 4 février 2009, S. A. Bouygues Telecom, RG n° 08/08775.

28 () MM. Alain Gest et Phillippe Tourtelier, op. cit., p. 87.

29 () Op. cit., p. 76.

30 () http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-oecst/synthese_precaution.pdf.

31 () Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, sous la présidence de M. Jacques Attali, janvier 2008, p. 92.

32 () Conseil économique, social et environnemental, Principe de précaution et dynamique d’innovation, étude présentée par M. Alain Feretti, rapporteur au nom de la délégation à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques, 13 janvier 2014, p. 19.

33 () Commission sous la présidence d’Anne Lauvergeon, Un principe et sept ambitions pour l’innovation, rapport remis au président de la République le 11 octobre 2013.

34 () MM. Xavier Beulin et Louis Gallois, « Pour un principe constitutionnel d’innovation », Les Échos, 2 juin 2014.

35 () Proposition de loi constitutionnelle, adoptée par le Sénat, visant à modifier la Charte de l’environnement pour préciser la portée du principe de précaution, n° 1975, 28 mai 2014.

36 () M. Patrice Gélard, op. cit., p. 28.

37 () Résolution du 1er février 2012 sur la mise en œuvre du principe de précaution, TA n°837.