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N° 1241


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXIÈME LÉGISLATURE



Rapport remis à M. le Président de l’Assemblée nationale le 18 mai 1994.

Dépôt publié au Journal Officiel du 19 mai 1994.

RAPPORT

DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE (1) SUR L’UTILISATION
DES FONDS AFFECTÉS À LA FORMATION PROFESSIONNELLE

Président

M. Jean UEBERSCHLAG,

Rapporteur

M. Claude GOASGUEN,

Députés.

TOME II

AUDITIONS




(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Ueberschlag, président ; Jean-Paul Anciaux, Germain Gengenwin, vice-présidents ; Michel Berson, Georges Colombier, secrétaires ; Claude Goasguen, rapporteur ; MM. Claude Barate, Jérôme Bignon, Bruno Bourg-Broc, René Carpentier, Mme Nicole Catala, MM. René Couanau, Mme Martine David, MM. Claude Demassieux, Jean-Michel Fourgous, Robert Galley, Etienne Garnier, Michel Hunault, Serge Janquin, Jean-Jacques Jegou, Joseph Klifa, Pierre Lang, Bernard Leroy, Jean de Lipkowski, François Loos, Pierre Pascallon, Jean-Jacques de Peretti, Francisque Perrut, Jean-Pierre Philibert, Jean Royer.

Formation professionnelle et promotion sociale


TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la Commission
(La date de l’audition figure ci-dessous entre parenthèses)




          Pages
M. Jean COURDOUAN, Délégué à la formation professionnelle au ministère du travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, accompagné de M. Claude Leroux, Délégué-adjoint (4 janvier 1994)     7
M. André RAMOFF, ancien Délégué à la formation professionnelle (4 janvier 1994)     31
M. Michel PRADERIE, Directeur général de l’AFPA, accompagné de M. Denis Plasse, Directeur de cabinet (18 janvier 1994)     59
— Audition d’une délégation de la CGPME composée de MM. Pierre Gilson, Vice-Président, Dominique Barbey, Secrétaire général, et Georges Tissié, Directeur des affaires sociales (18 janvier 1994)     75
M. Dominique BALMARY, Délégué à l’emploi au ministère du travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle (1er février 1994)     89
M. Jean LAMBERT, Chef du groupe national de contrôle à la Délégation à la formation professionnelle (1er février 1994)     99
— Audition d’une délégation du CNPF composée de MM. Alain Dumont, Directeur du service Enseignement et Formation, et Jean-Luc Gréau, Directeur du service législatif (15 février 1994)     106
M. Gilbert HYVERNAT, Directeur général délégué de l’Agence nationale pour l’emploi (15 février 1994)     120
M. Dominique de CALAN, Secrétaire général-adjoint de l’Union des industries métallurgiques et minières et Directeur du service de la formation professionnelle (1er mars 1994)     138
— Audition d’une délégation de la CGC composée de MM. Robert Bonbonnelle, Secrétaire national chargé du département culture et formation, et Jean-Jacque Briouze, Délégué national chargé de la formation professionnelle (1er mars 1994)     150
— Audition d’une délégation de la CFTC composée de MM. Jacques Voisin, Secrétaire général, et Lionel Dubois, Conseiller technique (1er mars 1994)     158
MM. Denis MORIN et François MONGIN, respectivement Sous-Directeur et Chef de bureau à la direction du Budget du Ministère du Budget (15 mars 1994)     168
— Audition d’une délégation de la CGT composée de MM. Jean-Michel Joubier, responsable du secteur formation, et Joseph Serramalera, Collaborateur du service formation (15 mars 1994)     181
— Audition d’une délégation de la CFDT composée de M. Gérard Dantin, Secrétaire national chargé de l’emploi et de la formation professionnelle, Mme Christiane Bressaud, Secrétaire confédérale chargée de la formation professionnelle, et M. Jean-Claude Meynet, Secrétaire confédéral chargé de la formation (15 mars 1994)     193
MM. Claude MICHEL et Jean-François JOBERTON, respectivement Président et Vice-Président de l’AGEFAL (29 mars 1994)     209
— Audition d’une délégation de FO composée de MM. Antoine Faesch, Secrétaire confédéral, et Jean-François Joberton, Délégué à la formation professionnelle (29 mars 1994)     221
MM. Jean LECOINTRE et Yves ROBIN, respectivement Président de la Commission de la formation de l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie et Directeur de la formation (29 mars 1994)     232
M. Jean-François de ZITTER, Directeur général de l’Institut français de gestion (5 avril 1994)     240
M. Claude BLONDEL, Président du Conseil de gestion du fonds de la formation professionnelle et de la promotion sociale, ancien Secrétaire général de la formation professionnelle (6 avril 1994)     250
— Audition d’une délégation du FAFCASE composée de MM. Paul Clo, Président, et Jean-Claude Thill, Directeur général (13 avril 1994)     257
— Audition d’une délégation du FAF Haute-Alsace composée de MM. Antoine Perret, Président, Bernard Thuet, Vice-Président, et Christian Noll, Directeur (13 avril 1994)     265
Mme Marie-Christine DESBOIS, Responsable du cabinet d’ingénierie formation « Entreprises-performance » (13 avril 1994)     273
— Audition d’une délégation du GFC-BTP composée de MM. Jean Martin, Directeur général, Marcel Malmartel, Directeur, et Mme Monique Goyard, Adjoint au Directeur général (13 avril 1994)     278
M. Michel GIRAUD, Ministre du travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle (21 avril 1994)     285



Audition de M. Jean COURDOUAN,

Délégué à la formation professionnelle au ministère du Travail,
de l’Emploi et de la Formation professionnelle
accompagné de M. Claude Le Roux,
Délégué-adjoint

(Extrait du procès-verbal de la séance du 4 janvier 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Jean Courdouan et Claude Le Roux sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Jean Courdouan et Claude Le Roux prêtent serment.

M. le Président : Je souhaite la bienvenue à M. Courdouan, délégué à la formation professionnelle au ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, et à M. Le Roux, délégué-adjoint qui l’accompagne et a une longue expérience des problèmes de la formation professionnelle puisque son affectation à la délégation est antérieure à 1970 !

Nous avons souhaité commencer le cycle d’auditions de la Commission par le responsable principal de la formation professionnelle au ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle et nous sommes heureux que M. Courdouan ait pu se libérer.

L’objectif de la commission d’enquête est, bien sûr, la présentation d’un rapport sur la nature et l’utilisation des fonds affectés à la formation professionnelle.

Ce sujet important, qui a fait couler beaucoup d’encre, revient périodiquement à la surface car l’on soupçonne des « évasions » financières ou des opérations peu normales sous couvert de l’utilisation des fonds affectés à la formation professionnelle. Est-ce votre sentiment, Monsieur le Délégué ?

M. Jean COURDOUAN : Monsieur le Président, la question que vous posez est un peu dans toutes les têtes.

Au regard de 110 milliards de F. — somme énorme mise sur le marché de la formation —, nous ne pouvons ni les uns ni les autres être assez naïfs pour ne pas penser qu’il y a ici ou là quelques problèmes.

Je ne serai donc pas étonné que vous découvriez, chemin faisant, que les organismes collecteurs et mutualisateurs ont des trésoreries excessives qu’ils détiennent trop longtemps. La presse relate que certains organismes de formation ont pu pratiquer des jeux quelque peu bizarres ayant donné lieu à des emprisonnements, ce qui indique qu’il y a, en ce domaine, des malhonnêtetés.

Premièrement, il convient d’observer que peu d’autres secteurs économiques sont parfaits. Il faut donc replacer dans de justes proportions les errements de ce secteur et ne pas, à partir de quelques cas constatés, considérer les déviations comme une généralité. Le travail de questions-réponses auquel nous allons nous livrer me conduira sans doute à aller au-delà de ce que je viens de dire.

En second lieu, les critiques formulées par la presse sur le secteur de la formation professionnelle, dont certaines relèvent un peu du style du « Café du commerce », ne doivent pas nous faire oublier que cette construction, de près de vingt-cinq ans d’âge, même si elle a eu une préhistoire, nous est assez enviée par d’autres pays que l’on croit plus avancés que le nôtre dans ce domaine.

Cette construction a permis d’agréger la totalité des acteurs économiques et sociaux ayant quelque chose à dire ou à faire dans le domaine de la formation professionnelle. Il en est résulté un véritable système envié non seulement par les pays en voie de développement à l’est ou au sud, mais également par les Etats de l’Europe des Douze.

Cette construction, qui souffre à l’évidence d’imperfections, a sans doute surtout besoin d’assouplissements et mérite d’être revigorée, grâce à une volonté politique sous-jacente. En revanche, il serait dommageable de vouloir la remettre en question dans ses bases, dans la mesure où beaucoup de fruits ont déjà été produits.

L’audition que vous allez avoir avec moi et surtout celles que vous aurez, par la suite, avec beaucoup d’autres vous montreront que le système de formation professionnelle n’a pas produit de si mauvais résultats même si l’on peut toujours considérer qu’il pourrait produire mieux et plus avec le même argent.

M. le Président : Vous savez bien que ce sujet a déjà donné lieu à énormément de travaux. Ainsi de nombreux rapports et enquêtes, parfois même très exhaustifs, ont abouti à des conclusions très significatives. Estimez-vous que celles-ci, au-delà d’un simple constat, ont connu une suite effective en ce qui concerne le contrôle et l’emploi des fonds de la formation professionnelle ?

M. Jean COURDOUAN : Un certain nombre de mesures ont été adoptées, en ce sens, notamment dans les temps récents.

Ainsi vous venez d’adopter la loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle. Ce texte comporte, dans ce dernier domaine, des aménagements importants, notamment en ce qui concerne le contrôle des fonds de la formation professionnelle et des organismes de collecte, la mise en place d’un commissaire du Gouvernement à l’AGEFAL, puis sans doute auprès d’autres organismes, les nouvelles méthodes et procédures de contrôle visant à pénaliser les infractions à la loi, les modifications de fond relatives aux actions de la formation professionnelle. L’introduction de certaines dispositions font directement suite aux conclusions d’un rapport de l’IGAS et l’IGF de 1991 soulignant l’excès de trésorerie de « confort » et le manque de dynamisme des organismes collecteurs. Les dispositions de la loi quinquennale concernant la formation professionnelle sont donc la conséquence de ce rapport.

D’autre part, depuis la fin de 1992, les effectifs de contrôle de la formation professionnelle sont renforcés de manière significative. Ainsi tous les personnels recrutés en qualité de contrôleurs ou d’inspecteurs sont affectés à des tâches effectives de contrôle.

Je puis ainsi vous donner quelques chiffres sur les personnels du contrôle qui avaient littéralement fondu au début des années 90. Leur effectif augmente d’ores et déjà et augmentera encore plus en 1993 puis en 1994 puisqu’il passera d’une trentaine de personnes en 1992 — année la plus basse — à vraisemblablement 70 à 80 personnes dès cette année et qu’il continuera à augmenter l’année prochaine du fait de l’affectation prioritaire à des missions de contrôle des personnels nouvellement recrutés.

M le Président : Ces missions consistent-elles à contrôler la qualité de la formation professionnelle ou l’utilisation proprement dite des fonds ?

M. Jean COURDOUAN : Il s’agit, pour l’essentiel, du contrôle de l’utilisation des fonds.

M. le Rapporteur : Monsieur le Délégué, vous venez d’aborder le sujet, au début de votre intervention, en reconnaissant que vous n’ignoriez pas les mauvais aspects du financement de la formation professionnelle, même si nous sommes parfaitement conscients que tout n’est pas négatif en la matière. Nous vous en donnons acte et il est vrai que de nombreux pays envient notre système de formation professionnelle.

Mais nous avons à procéder à une enquête sur les circuits de financement de la formation professionnelle, moins en vue de mettre en lumière leurs aspects positifs que d’insister sur leurs aspects défectueux qu’il conviendra éventuellement de corriger.

Conformément aux dispositions du Code du travail, il apparaît, d’abord, que vous êtes chargé de préparer et d’animer la politique interministérielle de la formation professionnelle et de la promotion sociale. Si je me réfère à l’article 991-1 dudit Code, j’observe que l’Etat exerce un contrôle administratif et financier sur tous les aspects, sans exception, de la formation professionnelle publique et privée. Sont ainsi levées les ambiguïtés pouvant apparaître à l’esprit d’un certain nombre de nos collègues voici quelques semaines.

Je souhaiterais, en premier lieu, vous demander sans ambages les mesures que vous avez prises et que vous entendez prendre dans le cadre de votre rôle de préparateur et d’animateur en vue de mettre un terme aux malversations et aux dysfonctionnements que vous avez signalés au début de votre intervention.

Par ailleurs, en tant que députés, nous sommes un peu inquiets de constater que, dans le cadre des institutions administratives de la formation professionnelle, la préparation d’un certain nombre de textes ne fait pas l’objet d’une consultation associant les membres du Parlement. A cet égard, je vous demande de bien vouloir collaborer à l’avenir avec cette commission d’enquête pour que ses membres puissent avoir accès, sans arrière-pensée, aux documents de la Délégation à la formation professionnelle et, plus généralement, aux documents ministériels de ce secteur. En particulier, nous souhaiterions avoir à notre disposition, le plus rapidement possible, le dernier rapport de l’IGAS dont nous n’avons pas encore eu communication.

Vous avez cité tout à l’heure le rapport de l’IGAS de 1991 et je ne doute pas que celui de 1992 soit de la même teneur, voire d’une teneur aggravée. Il est évidemment indispensable que la commission d’enquête puisse en disposer et je souhaiterais un engagement de votre part.

M. Jean COURDOUAN : Je puis vous indiquer que le rapport a été remis à Monsieur le ministre du Travail, de l’emploi et de la formation professionnelle et qu’il lui appartient de le diffuser. Il faudra que la question lui soit posée et je veux bien la lui poser compte tenu de votre demande.

M. le Président : Nous allons donc demander communication au Ministre du rapport de l’IGAS.

M. le Rapporteur : Pouvons-nous compter sur votre collaboration pour la communication des autres documents ?

M. Jean COURDOUAN : Bien sûr ! Vous abordez le sujet de l’utilisation des fonds de la formation professionnelle essentiellement au travers du contrôle et je vais vous répondre sur ce point.

Cependant l’activité indispensable de contrôle de la formation professionnelle, même si elle doit être fortement rénovée, ne saurait constituer l’axe principal de l’amélioration de la productivité des fonds. Sans doute peut-elle permettre d’éviter des malversations, des malhonnêtetés et un certain nombre d’évasions en provenance des fonds de la formation professionnelle. Mais le renforcement du contrôle ne conduira vraisemblablement pas à l’obtention de gains de productivité très considérables sur un montant total de 110 milliards de F. D’autres axes de recherche doivent être définis si l’on souhaite parvenir à une amélioration de l’utilisation des fonds de la formation professionnelle.

Or vous n’abordez le problème que sous l’angle du contrôle, c’est-à-dire de la contrainte, alors que le système de la formation professionnelle a été construit sur la base du partenariat et du volontariat. Certes les nécessaires garde-fous sont insuffisants mais ils ne constituent certainement pas l’élément essentiel permettant l’amélioration de la productivité des fonds de la formation professionnelle.

Il faut essentiellement considérer le secteur de la formation comme un marché et adopter une méthode d’analyse en termes d’offre et de demande.

Ce marché est aujourd’hui déséquilibré dans la mesure où l’offre commande la demande, c’est-à-dire que les organismes de formation font le marché. Il est donc préférable de renforcer la demande de formation exprimées sur le marché par les ménages et par les entreprises qui doivent légitimement être exigeants à l’égard de l’offre de formation. Dès lors que la demande de formation sera formulée avec suffisamment de volonté et d’exigence vis-à-vis des organismes de formation et que des résultats seront mesurables, nous serons en mesure d’obtenir l’essentiel des gains de productivité recherchés par la Commission d’enquête.

Aujourd’hui, l’une des faiblesses reprochées — souvent à juste raison — à la formation professionnelle est le manque de qualité de l’évaluation et l’insuffisance du bilan coût-avantage. Mais nous ne saurions procéder à une évaluation sans fixer préalablement d’objectifs suffisamment précis. Nous pourrons le cas échéant reprendre ce débat.

Les moyens mis en place pour assurer le contrôle de l’utilisation des fonds de la formation professionnelle sont essentiellement l’affectation de personnels de la Délégation à la formation professionnelle au contrôle effectif des organismes collecteurs. Ces personnels ont commencé à effectuer des contrôles et doivent respecter une méthode de travail. L’introduction d’une méthodologie du contrôle est en cours d’élaboration depuis quelques mois et permettra d’améliorer l’efficacité des agents de contrôle des fonds de la formation professionnelle.

Les inspecteurs et les contrôleurs seront formés à cette fin, ce qui n’était pas encore le cas. En outre, un programme de travail est en préparation en vue de concentrer dès 1994 les contrôles sur les lieux stratégiques permettant de dégager les économies nécessaires et de découvrir des malversations éventuelles.

Il n’est pas négligeable, à cet égard, qu’un plan comptable des organismes de collecte ait été élaboré dans le courant de l’année 1992. Jusqu’alors, chaque organisme de collecte avait, en effet, sa façon propre de présenter ses comptes et il fallait des mois pour arriver à comprendre ce à quoi ils correspondaient réellement. A partir du 1er janvier 1994, le plan comptable s’imposera désormais à tous les organismes de collecte, ce qui permettra la mise en service plus rapide des contrôles et le repérage éventuel des excédents.

La même démarche est sur le point d’être entreprise vis-à-vis de l’offre de formation afin de procéder à des contrôles plus rapides et de parvenir à une plus grande transparence de l’utilisation des fonds par les organismes dispensateurs de formation professionnelle.

Tels sont quelques-uns des instruments mis en place depuis un an et demi, et avec plus d’intensité depuis huit ou dix mois, afin de renforcer l’activité de contrôle.

M. le Rapporteur : Avez-vous le sentiment d’animer véritablement la politique interministérielle de la formation professionnelle et d’être effectivement le gestionnaire d’une dépense d’un montant total d’environ 110 milliards de F. ?

M. Jean COURDOUAN : C’est une ambition que j’aimerais bien avoir. En effet, la dépense de l’Etat ne représente qu’une partie d’un total de 110 milliards consacré à la formation professionnelle.

M. le Rapporteur : Vous contrôlez cependant le reste !

M. Jean COURDOUAN : Les contributions des entreprises en représentent la majeure partie. Les entreprises consentent un effort de participation au développement de la formation professionnelle dans le cadre de leur obligation légale et, d’autre part, pour partie, dans le cadre de dépenses volontaires. Dans ce dernier cadre, les sommes en cause ne relèvent plus de l’Etat.

Ainsi, le contrôle de l’Etat est exercé sur les fonds publics ou, ce qui est quasiment la même chose, sur les prélèvements obligatoires.

Le caractère interministériel de la formation professionnelle, sans rapport avec le problème du contrôle de l’ensemble des fonds, nous amènerait à traiter d’un sujet tributaire de l’histoire de la formation professionnelle dont est témoin le délégué adjoint la formation professionnelle, M. Le Roux, qui m’accompagne et qui en sait le plus en France sur ce sujet.

Les textes auxquels vous faites allusion datent de l’époque à laquelle la formation professionnelle était à Matignon. Toutefois, il reste que le Conseil de gestion des fonds de la formation professionnelle, ou le Groupe permanent des hauts fonctionnaires, avec l’appui de la Délégation à la formation professionnelle, respectent très largement le jeu de l’interministérialité. Mais il est bien évident que certains ministères ont retrouvé, au fur et à mesure des années, la maîtrise budgétaire de l’activité de formation relevant de leur secteur ministériel et qu’ils le gèrent désormais de manière totalement autonome.

M. Jean-Jacques JEGOU : La Commission d’enquête a été créée en raison de l’importance du montant des sommes en jeu s’élevant en 1991 à environ 110 milliards de F. alors que le nombre des demandeurs d’emploi continue à augmenter.

Il convient de distinguer deux aspects du contrôle.

D’une part, le contrôle dont vous avez parlé au sujet duquel le Rapporteur spécial de la Commission des finances chargé du budget de la formation professionnelle n’a pas un point de vue aussi optimiste. En effet, la loi de finances initiale pour 1994 n’indique pas formellement l’inscription de 70 emplois de contrôleurs, même si la politique de contrôle va dans le bons sens.

Il existe aussi un contrôle financier sur les fonds qui pourraient être distraits. Une certaine déperdition provient de la complexité du système d’immobilisations temporaires dans les organismes tels que les OMA, OPACIF et autres.

D’autre part, de façon plus significative, nous sommes en droit de demander quels sont les résultats obtenus, eu égard aux efforts de l’ensemble de la collectivité.

Même si on ne saurait soutenir que tout est négatif, la question posée par le Rapporteur relative aux dysfonctionnements structurels du contrôle et de l’animation apparaît importante. En fait, depuis l’entrée en application de la loi du 16 juillet 1971, au fil des années et au gré des gouvernements et des majorités successives, les choses se sont empilées et ont opacifié le fonctionnement de la formation professionnelle.

Nous nous rendons compte aujourd’hui de la complexité extrêmement dommageable de l’ensemble du système qui ne donne pas tous les résultats souhaitables. En définitive, ceux que nous obtenons ne sont pas à la hauteur de nos espérances, parce que l’on n’a pas traduit les besoins exprimés par les entreprises et le marché.

Ne pensez-vous pas que les organismes de formation échappent trop facilement aux formalités, étant précisé qu’il est plus facile de faire agréer une entreprise de formation que de créer une entreprise et qu’il est plus facile d’être une entreprise de formation que formateur dans une entreprise ?

De plus, les formations proposées par les organismes de formation sont dispersées et mal adaptées à la demande des entreprises, peut-être exprimée de manière insuffisamment claire, et, d’autre part, elles ne correspondent même pas toujours à un emploi potentiel. Or l’ensemble de la collectivité et les responsables des entreprises ont l’espoir que les sommes considérables affectées à la formation professionnelle soient susceptibles de favoriser l’accès à un emploi.

Mme Martine DAVID : Je voudrais exprimer mon inquiétude et compléter ainsi la deuxième partie de la question de M. Jégou.

En effet, compte tenu de ce que vous nous avez indiqué il y a quelques instants, sur l’entrée en vigueur au 1er janvier d’un plan comptable imposé aux organismes de collecte — ce qui va en effet dans le bon sens — il semble qu’on ait commencé par ce qui est, apparemment, le plus facile. Vous nous avez, en effet, indiqué que vous vouliez soumettre les organismes de formation à la même obligation. Or c’est bien là que réside toute notre inquiétude, car on connaît sensiblement la situation des organismes de collecte. Les choses se compliquent par la suite, pour ne pas dire plus !

Etes-vous aujourd’hui en mesure de nous de dire que vous disposez effectivement d’un véritable répertoire recensant tous les organismes de formation, y compris ceux qui peuvent être qualifiés d’officines ?

Si un contrôle financier et un contrôle de qualité des objectifs à atteindre en termes de formation professionnelle était applicable à tous les organismes de formation, seriez-vous aujourd’hui en mesure de les répertorier, d’avoir de véritables contacts avec eux et de leur imposer des objectifs de qualité ? Je n’ai pas ce sentiment !

Dans ces conditions, de quels moyens entendez-vous vous doter pour parvenir à un tel contrôle et faire disparaître les officines utilisant des fonds publics coupables de tromperie à l’égard des demandeurs de formation. Nous en avons eu un exemple voici quelques semaines dans le sud de la France et j’estime que de tels comportements ne devraient plus exister.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Ma question est du même ordre que celle posée par mes deux collègues.

La difficulté d’apprécier et de quantifier les résultats a été évoquée. Ma question sera d’ordre plus pragmatique. Etant moi-même impliqué directement dans un organisme d’assurance et de contrôle-qualité, je considère que nous sommes tous conduits à travailler en fonction d’un référentiel et d’une spécification de qualité.

Un premier problème réside dans la finalité des 110 milliards de F. consacrés à la formation professionnelle.

En effet, le terme de formation professionnelle recouvre deux dimensions. D’une part, une dimension à caractère social, dans la mesure où il s’agit de former un public en situation difficile ; d’autre part, une dimension professionnelle dans la mesure où il s’agit de le préparer à une qualification adaptée au marché de l’emploi.

Quelle est, selon vous, la ventilation de l’effort financier consenti pour parvenir à ces deux objectifs ? Il importe, en effet, de savoir définir les finalités d’une politique de formation professionnelle.

M. Germain GENGENWIN : En raison de l’augmentation simultanée des sommes consacrées à la formation et du nombre des demandeurs d’emploi, l’opinion publique reproche aux responsables politiques le manque d’adéquation voire le fiasco du système de formation professionnelle. Comment cela peut-il s’expliquer ?

Ma deuxième question porte sur le contrôle des organismes de formation et, plus précisément, sur celui des donneurs d’ordre dont la mission est de vérifier la mise en œuvre et la qualité des formations.

La troisième question porte sur la date d’application du plan comptable précédant celle du renouvellement des agréments aux organismes mutualisateurs. Des économies substantielles ne seraient-elles pas réalisées si cette date succédait à celle du renouvellement de l’agrément accordé aux organismes dispensateurs de formation. Dans ces conditions, il est sans doute probable que l’agrément d’un certain nombre d’OMA ne serait plus renouvelé.

On a pu évaluer à 100.000 F. le travail de remise en ordre de chaque OMA, notamment pour l’application d’un nouveau plan comptable. Le risque n’est-il pas de mettre la charrue avant les boeufs ?

M. le Président : Alors que nombreux sont ceux qui font allusion à des formations ou à des organismes douteux, rappelons-nous que les tentatives de M. André Laignel, en 1990, de mieux structurer l’offre de formation et de labelliser les organismes de formation ont échoué. Pourquoi ?

M. Jean COURDOUAN : Oui, nous avons répertorié et nous répertorions chaque année les organismes de formation. Le répertoire des organismes de formation montre que 26.000 organismes ont eu un début de chiffre d’affaires dans l’année.

Il en résulte une impression générale de dispersion qui, en fait, n’est pas réelle si l’on regarde les choses d’un peu plus près. Au total, on peut considérer que 4.700 de ces organismes de formation représentent 85 à 90 % de l’offre de formation. C’est dire qu’une myriade de petits organismes ont un chiffre d’affaires de quelques centaines de milliers de F. par an. Pour l’essentiel, l’offre de formation est relativement ramassée. Ainsi, à regarder la situation de près, il apparaît que la dispersion dont on se plaint est moins grande que celle que l’on pourrait craindre.

La deuxième question sur le plan comptable applicable aux organismes de formation rejoint un peu les autres interrogations.

Je partage assez la réflexion de M. Anciaux. Le problème de la formation professionnelle, sous l’angle où nous l’évoquons en ce moment, est lié à l’ambiguïté existant au niveau d’une activité spécifique, à la fois d’ordre social et d’ordre économique. Il s’agit d’un véritable marché et l’on ne peut pas avoir la naïveté de penser que tout cela est un ensemble social organisable.

M. le Président a rappelé que l’application de la labellisation n’avait pas été satisfaisante. Mais le serait-elle d’ailleurs dans d’autres secteurs, à l’exemple de l’hôtellerie où les établissements sont classés par étoiles. Pourra-t-on faire de même en matière de formation professionnelle ?

La formation professionnelle n’est qu’un outil, lequel ne sert qu’à ce qu’on lui demande. Cela signifie que le même organisme, dispensant la même formation, peut faire quelque chose de complètement inadapté selon que le client s’est ou non trompé de commande. Prenez un marteau pour enfoncer un clou : il y a quelques chances de parvenir au résultat. Prenez un marteau et frappez sur une glace : il y aura des dégâts. Le premier problème de la formation est que la commande du client constitue déjà une bonne partie du résultat de la prestation de service. Très fréquemment, « le client » d’un stage de formation n’est pas en fait le payeur. En effet, dans le cadre de la formation sociale, le bénéficiare d’un stage ne commande pas l’offre de formation payées par un tiers.

Le deuxième problème réside dans le nombre d’entreprises ayant une politique de ressources humaines en adéquation avec la stratégie générale de développement économique et technique de l’entreprise.

En effet, comment peut-on avoir une politique de formation de qualité de la part de l’offreur de formation, en l’absence d’adéquation entre la stratégie de ressources humaines et la stratégie économique de l’entreprise ?

Je partage assez largement l’opinion émise par M. Gengenwin. Ce n’est pas l’Etat mais son « client » qui définit les qualités de l’organisme de formation. C’est lui qui connaît son besoin et sait en quoi l’organisme de formation est en mesure d’y répondre.

Le problème auquel nous travaillons, nous aussi, c’est d’« armer » la demande de formation. La demande de formation peut être renforcée à titre individuel, notamment à l’aide du bilan de compétences. Il s’agit de permettre aux personnes désirant suivre une formation professionnelle de faire le point sur leur propre vie professionnelle mais aussi sur leur propre histoire individuelle, de façon à ce qu’elles prennent conscience de ce qu’elles peuvent attendre d’une formation. Celles-ci sont exigeantes dans la demande qu’elles formulent dans la mesure où elles sont à même d’exprimer ce qu’elles attendent réellement d’une formation professionnelle.

Du point de vue des entreprises, nous souhaitons le développement de la politique contractuelle grâce aux contrats d’étude prospective. Cette politique consiste à déterminer avec une branche professionnelle, et le concours d’experts extérieurs, l’avenir potentiel des compétences nécessaires à la branche et les moyens de parvenir à satisfaire ses besoins.

Viennent ensuite les engagements de développement de la formation grâce auxquels l’Etat essaie de construire, en partenariat avec les branches professionnelles, la formation correspondant aux besoins recensés dans le contrat d’étude prospective. On essaye alors de trouver les moyens de renforcer la demande individuelle et la demande collective de formation. Dans ces conditions, ce sont les demandeurs de formation qui expriment leurs besoins aux responsables de l’offre de formation. Si la qualité du produit est insuffisante, ils changent alors de fournisseur et les mauvais organismes sont appelés à disparaître.

Une autre politique consiste soit à confier à l’Etat le soin de déclarer les bonnes et les moins bonnes entreprises. A la limite, en allant au bout de cette logique, l’Etat irait même à se substituer lui-même à la demande des entreprises.

Toutefois le travail relatif à la demande n’est pas exclusif d’une amélioration du contrôle des organismes de formation.

Peut-on vraiment qualifier de complexe le dispositif de formation professionnelle et parler d’empilage des dispositions du point de vue de l’emploi ? En fait, il convient de mettre en avant une idée toute simple, selon laquelle tous les dispositifs mis en place s’usent vite en pratique. Pour éviter les contournements, il est nécessaire de redonner un peu de tonicité et de réinventer assez périodiquement un certain nombre de nouveaux stages. Encore faut-il bien faire le tri entre les différents stages et ce que l’on pourrait considérer comme des scories du système. On peut donc alors se rendre compte combien ce système est complexe.

Par ailleurs, les entreprises ne financent pas toujours directement la formation de leurs propres salariés et elle ont recours à un organisme de collecte qui leur fournit aide et conseil. Dans ce cas, on peut craindre des déperditions. Mais les entreprises organisant elles-mêmes leur formation professionnelle sont celles de plus de 1.000 salariés.

Les entreprises de plus de 10.000 salariés consacrant encore plus d’efforts financiers à la formation professionnelle ont une politique beaucoup plus percutante et se débrouillent encore mieux.

Les organismes de collecte pourraient à l’avenir permettre aux plus petites entreprises d’attendre quelque chose de significatif de la formation professionnelle et d’avoir la volonté de construire une politique de formation. C’est dire que ces organismes de collecte doivent être normalement aussi des organismes d’appui.

Le sont-ils aujourd’hui ? Tel est l’objet de toutes vos interrogations. A vous de considérer, à l’issue de vos travaux, s’ils le sont de manière satisfaisante ou non. En tout cas, il est sûr qu’ils doivent jouer à cet égard un rôle particulièrement actif. Ils ne doivent pas être que des bureaux de poste. S’ils n’étaient que cela, leur coût serait trop élevé.

M. Jean-Jacques JEGOU : Actuellement, c’est leur rôle exclusif.

M. le Rapporteur : Pas toujours !

M. Jean-Jacques JEGOU : Surtout vis-à-vis des petites entreprises auprès desquelles ils devraient être des conseils.

M. Jean COURDOUAN : Peut-être la Commission constatera-t-elle, pour le regretter, que les organismes de collecte remplissent insuffisamment ce rôle.

Un examen des statistiques de la formation professionnelle, notamment pour l’utilisation des fonds, fait apparaître que les petites entreprises satisfont bien aux obligations fiscales mais que, souvent, elles n’utilisent même pas l’argent qu’elles versent aux organismes de collecte.

Or tout le système doit être en principe construit avec l’idée de corriger les inégalités d’accès à la formation dues aux pesanteurs sociologiques naturelles, notamment du point de vue des niveaux de qualification des salariés ou de la taille des entreprises.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué précédemment les versements libératoires, notamment des petites entreprises, sans véritable contrôle de l’utilisation des fonds. Du reste, la plupart du temps, les employeurs ne se posent même pas la question de l’utilisation éventuelle de cette déduction du versement libératoire, lequel est davantage considéré comme une taxe que comme une participation à l’effort réel de formation professionnelle.

Je formule sur ce sujet mes trois questions.

Premièrement, que pensez-vous du système de déduction du montant de la participation des versements libératoires ? Deuxièmement, exercez-vous un véritable contrôle des déductions des versements libératoires ? Troisièmement, pensez-vous que ce système doive être modifié dans le sens d’une augmentation des déductions, c’est-à-dire d’une personnalisation des taxes en fonction des objectifs recherchés, par exemple le congé individuel de formation ? Ou bien faut-il supprimer toutes ces déductions de versement libératoire au profit d’un autre système ?

M. Jean COURDOUAN : En fait, si je vous entends bien, vous appelez déductions des versements libératoires le comportement des entreprises qui se « débarrassent » du problème en versant une contribution à un organisme de collecte. Celles-ci considèrent ces versements comme un impôt plutôt que comme un effort volontaire de participation en développement de la formation professionnelle. Ce comportement est assurément fréquent parmi les PME-PMI.

M. Germain GENGENWIN : Elles ne savent d’ailleurs même pas qui gère les fonds !

M. le Rapporteur : Je pourrais du reste citer d’autres entreprises que les PME- PMI.

M. Jean COURDOUAN : Le problème se pose bien en ces termes. Nous sommes un des rares pays au monde — mais beaucoup sont en train de nous imiter — où les entreprises sont assujetties à une contribution obligatoire pour le développement de la formation professionnelle, étant rappelé que l’obligation légale et le paritarisme constituent la base essentielle du système de formation professionnelle.

L’examen de la dépense de formation professionnelle des entreprises permet de constater que pratiquement les deux tiers des entreprises ne consentent qu’un effort proche de celui correspondant au taux obligatoire, et qu’une bonne partie d’entre elles ne l’utilisent même pas pour leur propre formation.

Le problème est donc de savoir si cette obligation de base est la bonne option ou si, au contraire, il faudrait laisser les entreprises, à commencer par celles qui n’utilisent pas leurs fonds, faire ce qu’elles veulent, quitte, à la limite, à ne pas dépenser un sou pour la formation professionnelle. On estime que la moitié des entreprises sont dans ce cas. Il serait envisageable de conclure qu’il serait préférable de les laisser en paix, ce qui leur permettrait de faire des économies.

On peut se poser la même question sur le plan de la collectivité nationale mais il n’est pas évident que la réponse soit la même.

Dans la mesure où les petites entreprises financent pour partie la formation de moyennes entreprises — les grandes se débrouillant seules —, on peut considérer que la situation est inéquitable. Toutefois il convient de considérer que celles-ci contribuent aussi à la formation professionnelle d’un point de vue macro-économique.

Plus d’un million de salariés changent d’entreprise chaque année. C’est dire que les compétences sont très mobiles. Globalement, l’effort de formation des entreprises améliore le niveau général de formation professionnelle.

D’autre part, il est vrai qu’une partie des entreprises versent leur participation sans se demander si elle est bien différente de leurs autres prélèvements obligatoires. Peut-être est-ce parce que notre système n’est pas suffisamment incitatif pour que les entreprises profitent elles-mêmes de l’obligation qui leur est faite et tiennent en quelque sorte le langage suivant : « J’ai le devoir de payer mais j’ai le droit d’en profiter ».

Il appartient aux partenaires sociaux de veiller à modifier ces comportements et à l’Etat de les y inciter.

Il ne serait donc pas opportun de renoncer à l’obligation légale dans la mesure où l’on constate qu’un très grand nombre d’entreprises se situent au niveau minimum.

En outre, un effort important doit être réalisé, notamment par l’intermédiaire des partenaires sociaux, en vue d’une utilisation optimale de ces fonds.

M. le Rapporteur : Quid de la déduction du montant de la participation des versements libératoires obligatoires ou facultatifs ? Ce n’est pas par hasard que je vous ai précisément posé cette question. Les entreprises ne seront jamais en mesure de récupérer leurs fonds auprès des OPACIF ou des OMA. Certes, vous avez répondu qu’il convient de développer le rôle incitatif des organismes grâce aux services qu’ils proposent. En l’occurrence, ce n’est pas le cas, et c’est une piste à explorer.

Pensez-vous qu’il est nécessaire de continuer à fractionner la cotisation obligatoire pour des affectations particulières ou qu’il est préférable de modifier ce système ?

M. Jean COURDOUAN : Je ferai une double réponse. Il est indispensable de continuer à identifier les financements consacrés à chaque filière de formation professionnelle.

Pour simplifier, nous pouvons recenser aujourd’hui quatre filières : l’apprentissage, la formation en alternance en faveur des jeunes, le plan de formation et le congé individuel de formation. Il faut continuer à identifier les circuits de financement et les filières, sauf à regrouper demain l’alternance et l’apprentissage. En tout cas, il est utile de connaître clairement les sources de financement des filières de formation existantes. Toutefois il est nécessaire d’accentuer les modifications figurant au titre III de la loi quinquennale comme celle autorisant la fongibilité des fonds à un niveau optimal.

Par exemple, il peut s’avérer utile d’effectuer des prélèvements financiers sur les excédents financiers des plans de formation d’une région pour les affecter aux dépenses en faveur de l’alternance des jeunes dans une région déficitaire, ou encore d’effectuer des prélèvements sur les fonds d’une branche excédentaire au bénéfice d’une branche déficitaire.

Il conviendrait donc de maintenir l’identification des usages tout en facilitant la fongibilité des fonds dans un cadre de partenariat social et sous le contrôle de l’Etat.

M. le Président : Vous semblez ainsi critiquer les dispositions du plan quinquennal visant à limiter la fongibilité des fonds de la formation professionnelle.

M. Jean COURDOUAN : Au contraire ! C’est ce qu’amorce la loi quinquennale, par exemple, en interdisant aux OMA des transferts volontaires bilatéraux permettant de camoufler les trésoreries excédentaires, en renforçant le rôle de péréquation de l’AGEFAL auprès de laquelle sera nommé un commissaire du Gouvernement, et en organisant enfin une meilleure fongibilité.

M. le Rapporteur : Au niveau national, du moins à l’avenir, l’organisateur de la fongibilité est la Délégation à la formation professionnelle.

M. Jean COURDOUAN : La fongibilité doit s’appuyer, à mon avis, sur le partenariat social sous le contrôle de l’Etat !

Mme Nicole CATALA : Oui, mais j’observe que la régionalisation va à l’encontre de ce que vous souhaitez.

M. Jean COURDOUAN : Un équilibre des pouvoirs publics doit être défini par le Parlement.

M. le Rapporteur : Il doit être défini par l’Etat ! Mais, plus précisément, quelle est l’autorité administrative de l’Etat la plus apte à exercer cette tâche ?

M. Jean COURDOUAN : A l’heure actuelle, c’est le Ministère du travail qui exerce cette compétence et, au sein du ministère, c’est la Délégation à la formation professionnelle.

Mais le problème posé, comme vient de l’indiquer Mme Catala, est celui de l’organisation des pouvoirs publics et plus précisément du rôle des régions par rapport à l’Etat. Ce n’est pas au fonctionnaire qu’il appartient de répondre à cette question.

Mme Nicole CATALA : Pourquoi, en premier lieu, et selon vous, le crédit d’impôt-formation institué en 1987 a-t-il connu un succès aussi mince ?

Cette formule, d’un coût de 500 millions de F. en 1991, reste modeste par rapport aux dizaines de milliards de la contribution obligatoire à la formation continue. Or, elle semble répondre largement aux critiques formulées à l’encontre de l’obligation légale car, grâce à cette dépense fiscale, les entreprises investissent dans la formation pour répondre de la façon la plus satisfaisante possible à des besoins identifiés.

Pourquoi ne parvient-on pas à trouver un équilibre différent entre la contribution obligatoire, d’une part, et la formule beaucoup plus efficace du crédit d’impôt permettant de mieux responsabiliser les entreprises à l’égard du problème de la formation ?

La deuxième question est liée au fait qu’aucune différence n’est, semble-t-il, établie entre la formation des salariés en activité, la formation des chômeurs et la formation des jeunes. Or il s’agit de trois populations extrêmement différentes.

Les entreprises devraient mieux exercer leurs responsabilités en ce qui concerne la formation de leurs salariés et la vérification de la qualité de la formation dispensée. Si l’on décidait d’étendre le crédit d’impôt, comme c’est souhaitable, il est vraisemblable que les entreprises modifieraient plus encore leur comportement, bien qu’elles soient plus vigilantes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient naguère à l’égard de l’emploi de leur contribution à la formation.

S’agissant de la formation des chômeurs et des jeunes, l’origine des fonds est multiple. Une partie de ces fonds provient des entreprises et des OMA, une large part vient de l’Etat, une autre part vient des régions. C’est aussi le domaine où les objectifs sont les plus flous et les plus ambigus. Avez-vous entrepris une analyse particulière des activités de formation dans ce secteur ? Avez-vous une idée claire du public concerné, public non salarié, public de chômeurs, d’une part, public de jeunes, d’autre part, tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif ? Dispose-t-on des résultats des stages suivis par ce public, par exemple, en ce qui concerne la préparation des diplômes ou l’insertion dans un emploi ? Dispose-t-on d’un suivi quantitatif et qualitatif de ces populations ?

Il serait également utile de savoir si les organismes répondant aux demandes de formation des entreprises et des salariés en activité sont les mêmes que ceux dispensant des formations aux chômeurs ou aux jeunes à leur sortie du système scolaire. Il est en tout état de cause bien préférable de différencier l’approche de la formation professionnelle en fonction des publics auxquels elle s’adresse.

En troisième lieu, avez-vous conscience, à la suite de vos entretiens avec les responsables du système de formation professionnelle, notamment les partenaires sociaux, d’un besoin de simplification générale du système ? Je suis étonnée que ce besoin ne s’exprime pas plus intensément.

Enfin, depuis la présentation du rapport Heilbronner en 1982, on n’a cessé de vous faire des propositions pour améliorer le système de formation professionnelle continue. Ainsi toute une série de propositions ont été reprises dans le rapport Bolotte de 1989.

Ce rapport soulignait, par exemple, l’insuffisance du contrôle de gestion, la nécessité d’une évaluation, la nécessité de revitaliser l’administration centrale, l’insuffisance de la formation dans les PME, etc.

Une mise en œuvre des conclusions formulées dans les sept ou huit rapports relatifs à la formation a-t-elle été entreprise depuis décembre 1982 ?

M. Michel BERSON : Je poserai d’abord une première série de questions.

Le système de formation professionnelle a profondément changé depuis dix ans. Je ne rappellerai pas la nature de ces changements car chacun a présentes à l’esprit les évolutions de ces dernières années qui auraient dû modifier les méthodes de travail des groupes régionaux de contrôle ou du groupe national de contrôle.

Premièrement, n’avez-vous pas le sentiment Monsieur le Délégué, que le contrôle correspond en réalité aujourd’hui à un recensement statistique plutôt qu’à une vérification pertinente de l’utilisation des fonds ?

Deuxièmement, avez-vous le sentiment que les moyens en hommes sont insuffisants ? Vous vous êtes déjà expliqué sur ce point en introduction mais plus précisément les moyens en informatique ne sont-ils pas également notoirement insuffisants pour permettre d’exercer un véritable contrôle ?

Troisièmement, les contrôleurs et les inspecteurs traitent-ils plutôt des dossiers relevant des organismes de formation drainant des crédits privés provenant directement des entreprises ou des crédits publics provenant du budget de l’Etat ? Le contrôle vise-t-il des organismes de formation plutôt que des entreprises utilisatrices des crédits de la formation professionnelle ?

Enfin, on parle aujourd’hui du contrôle public des fonds de la formation professionnelle alors qu’il existe aussi un contrôle social, puisqu’une bonne partie des crédits sont gérés paritairement par les organisations syndicales et patronales. Avez-vous pu constater, depuis une dizaine d’années, que les FAF, les OPACIF ou les OMA, gérés paritairement, étaient plutôt bien gérés ? Le rapport coût/avantage entre les crédits mis à leur disposition et la qualité de la formation dispensée vous est-il apparu plutôt favorable ?

Inversement, les organismes qui ne connaissent pas de contrôle social — notamment les ASFO gérées seulement par les organisations d’employeurs — sont-ils plutôt mieux ou mal gérés par rapport aux OMA, aux OPACIF, aux FAF et autres ?

Pourriez-vous nous donner votre opinion sur les trois critiques suivantes couramment formulées ?

Selon la première critique, il y aurait beaucoup trop d’OMA, d’OPACIF, d’organismes collecteurs et il conviendrait d’établir un tri et de modifier les critères d’agrément afin que le fonctionnement et la comptabilité des organismes soient plus stricts et que leur nombre soit plus réduit. Partagez-vous ce point de vue ?

Selon la deuxième critique, la trésorerie et les provisions de ces différents organismes seraient pléthoriques ? Partagez-vous aussi cette opinion ?

Selon la troisième critique, les frais de gestion, et d’autre part, de communication des organismes collecteurs et dispensateurs de formation, dont la distinction n’est pas très claire, seraient exagérés. Ces frais sont limités d’après les textes à 6 % et nombre d’entre eux dépasseraient les 10 voire les 15 %. Cette critique vous apparaît-elle fondée et la partagez-vous ?

M. Germain GENGENWIN : Les questions évoquées par M. Berson sont très pertinentes. Nous discernons bien là, en effet, toute la différence entre les deux grands financeurs : les entreprises, à travers les organismes collecteurs et mutualisateurs, et, d’autre part, l’Etat.

Sans doute, Monsieur le Président, serions-nous obligés de demander à M. Courdouan de bien vouloir revenir une seconde fois devant la Commission, en fonction de l’évolution de nos travaux, après avoir entendu les organismes mutualisateurs qui, me semble-t-il, auront beaucoup de choses à nous dire, et que, vous-même, Monsieur le Délégué, avez beaucoup de réticences à nous exprimer.

Nous avons besoin de connaître, Monsieur Courdouan, quelle sera la répartition des crédits entre l’Etat et les régions, compte tenu de l’application des dispositions de la loi quinquennale relatives à la décentralisation de l’insertion professionnelle des jeunes. Quelle sera la ventilation des lignes budgétaires dont un trop grand nombre sont actuellement préaffectées au niveau de l’Etat ? On constate que les COREF disposent de crédits non utilisés alors qu’il en manque ailleurs.

C’est à ce niveau là aussi que la réflexion des membres de notre Commission mérite d’être poursuivie.

M. le Rapporteur : En vous remerciant, Monsieur le Délégué, et en pensant qu’effectivement vous serez obligé de revenir pour nous fournir des explications complémentaires, je souhaite vous poser une question portant sur la centralisation des autorités de la formation professionnelle. En tant que Délégué à la formation, comment pouvez-vous contrôler, par exemple, la qualité d’un stage organisé dans un lycée technique compte tenu du montant des dotations budgétaires de l’Education nationale ?

Comment vous est-il possible de vérifier la qualité de la prestation fournie dans le cadre d’un organisme tel que l’AFPA qui, par ailleurs, échappe à votre compétence puisqu’il est rattaché à la Délégation à l’emploi ?

Comment êtes-vous en mesure, à l’échelon central, d’exercer le contrôle de l’efficacité d’un stage, notamment du point de vue des demandeurs de formation ? La structure étatique ne vous paraît-elle pas trop lourde pour l’exercice d’un contrôle local et individuel ? N’est-elle pas plutôt à l’origine d’abus en matière de stages dont nous venons d’avoir quelques exemples médiatisés ?

M. Jean COURDOUAN : Sachez que je reviendrai volontiers devant votre Commission, car le travail que vous allez faire et les conclusions que vous allez tirer peuvent être un apport non négligeable dans le développement de ce champ d’activité. Dans ces conditions, je ferai au moins autant mon métier et même peut-être plus en venant vers vous qu’en travaillant dans mon bureau.

Madame Catala a parfaitement raison, pour procéder à une analyse sérieuse du sujet, d’envisager de sérier les trois publics évoqués dont la formation est fondée sur des modes de financement et des attentes totalement différents.

Il existe une différence très nette entre les organismes privés de formation de salariés et les organismes publics et para-publics auquel l’Etat fait massivement appel en vue notamment de la formation des demandeurs d’emploi. C’est dire qu’il existe deux marchés de la formation relativement bien identifiés en plus d’un secteur associatif relevant à la fois un peu de l’un et de l’autre.

Par ailleurs, la délégation à la formation professionnelle publiera prochainement un document, que je vous ferai parvenir, sur les résultats très favorables du crédit d’impôt pendant la période 1988-1990 puis en diminution, car les entreprises ne se sentaient vraisemblablement pas en mesure d’accomplir un effort progressif et continu de leur capacité de financement de la formation professionnelle.

Il est clair que tout le monde est conscient de la nécessité de simplifier le système de formation professionnelle même s’il ne faut peut-être pas trop attendre de la simplification.

A l’heure actuelle, celle-ci est sûrement nécessaire en raison notamment de l’empilement des stages et des dispositifs. Toutefois, la réalité sociale est complexe et le système est à nouveau appelé à devenir encore plus complexe ! Il n’en demeure pas moins qu’il est bon de « resserrer » de temps en temps « l’accordéon ». Nous sommes certainement dans une telle période que nous pouvons peut-être mettre à profit pour revenir à l’essentiel, même si l’on sait que les jeux d’intérêt et autres éléments de ce genre contribueront ensuite à la reconstruction d’un système quelque peu compliqué.

Quid de la mise en œuvre des conclusions des nombreux rapports ? J’en ai cité une ou deux faisant l’objet de dispositions introduites dans la loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle.

S’agissant des mesures d’incitation en faveur des PME, toute la politique contractuelle, notamment les engagements de développement, vise à encourager les branches à s’adresser d’abord aux PME-PMI. On pourrait ainsi fort opportunément recenser les différentes conclusions des rapports pour vérifier si les dispositions légales et réglementaires au cours des cinq à dix dernières années y sont bien conformes.

Monsieur Berson, il est sûr que les critiques systématiques adressées à l’encontre des organismes de collecte ont fait l’objet de rapports, notamment celui que vous avez demandé à mon Ministre. Il est permis de penser que les trois critiques que vous avez évoquées comportent quelques éléments de vérité. Toutefois il convient de veiller à ne pas généraliser, et, d’autre part, à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Les organismes de collecte sont assurément trop nombreux et la loi quinquennale vise, à terme, à obtenir une plus grande rationalité des organismes de collecte et à en réduire le nombre par une limitations des agréments.

Force est de constater que les trésoreries sont excessives bien que cette critique soit souvent exagérée.

Il convient sûrement de remettre aussi en cause le problème des frais de gestion tout en ayant à l’esprit que les économies réalisées ne seront pas considérables si l’on veut substituer aux frais de gestion et de communication des frais d’animation.

Autrement dit, pour développer la formation professionnelle dans les PME-PMI, il convient de développer les incitations, ce qui implique de trouver des moyens de financement plus utiles que d’autres dépenses.

Je remarque que les fonds collectés par les ASFO du fait de l’obligation légale sont gérés paritairement. Même si l’ASFO, en tant qu’organisme central est uniquement patronal, le produit de la collecte est géré et contrôlé par les partenaires sociaux.

Le contrôle n’est pas seulement statistique mais aussi physique à condition que des personnels soient recrutés à cette fin.

En relisant l’histoire de la formation professionnelle depuis les cinq ou six dernières années, il apparaît qu’il a fallu répartir des personnels de chaque côté du navire et qu’on est en train de modifier leur affectation. La décentralisation, notamment, va libérer quelques énergies et des créations de postes sont intervenues ces derniers temps.

Des personnels avaient été distraits dans les années 1990 et 1992. Or depuis 1992 nous affectons à nouveau des personnels à des missions de contrôle et nous allons continuer à le faire.

Qu’en est-il de la qualité de la formation dans les GRETA et à l’AFPA ?

M. le Rapporteur : Et le contrôle !

M. Jean COURDOUAN : Les services de contrôle peuvent vérifier l’utilisation des fonds publics dans ces deux organismes !

Certes, nous n’allons pas dans un lycée technique pour contrôler la formation initiale, mais nous nous rendons dans un GRETA.

M. le Rapporteur : Vous le faites vraiment ?

M. Jean COURDOUAN : Bien sûr ! Mais le problème, c’est qu’avec trente personnes au plan national, comme c’était le cas en 1991 ...

M. le Rapporteur : Vous ne le faites donc pas !

M. Jean COURDOUAN : Nous disposons à l’heure actuelle de soixante-dix à quatre-vingt agents. Je pense que nous dépasserons les cent personnes en 1994. Au lieu de vérifier un ou deux organismes par ci ou par là nous pourrons faire beaucoup plus. Ce qui n’est qu’une potentialité aujourd’hui deviendra une réalité demain.

M.le Rapporteur : Vous ne passez pas par les services administratifs responsables des établissements pour procéder à un contrôle ? Par exemple, s’agissant des GRETA, vous ne passez pas par l’intermédiaire de l’administration de l’Education nationale ?

M. Jean COURDOUAN : Nous passons nécessairement par l’administration de l’Education nationale puisque la formation professionnelle est en l’occurrence organisée en son sein et que les décisions d’aménagement viendront d’elle !

Mais si, par exemple, nous recevons une plainte de stagiaires estimant avoir été mal traités par un GRETA dans le cadre des formations de demandeurs d’emploi, nous exerçons un droit d’intervention.

M. le Rapporteur : Pour l’AFPA également ?

M. Jean COURDOUAN : Aussi ! Mais il faut établir une distinction. La tutelle au niveau central offre la possibilité de mener une réflexion sur les missions de l’AFPA visant à une régulation du marché du travail grâce à la formation des demandeurs d’emploi et la construction des compétences nécessaires à l’économie nationale. D’ailleurs, l’AFPA doit être plus précisément considérée comme un élément de régulation du marché de la formation professionnelle. Elle représente, en effet, un poids important parmi les organismes de formation et peut être un élément d’entraînement et d’incitation.

Pour des raisons historiques, la tutelle ministérielle revient à la Délégation à l’emploi.

M. le Rapporteur : La décentralisation de l’utilisation des fonds publics pour parvenir à un meilleur contrôle ne vous paraît-elle pas nécessaire ? Le système actuel, modifié et amélioré, vous convient-il ?

M. Jean COURDOUAN : Vous parlez de la décentralisation du contrôle ?

M. le Rapporteur : Non, je parle de la décentralisation du système de formation professionnelle.

M. Jean COURDOUAN : Je n’ai pas à la juger puisque vous l’avez votée. Je n’ai qu’à appliquer la loi, en qualité de fonctionnaire de la République.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que l’amélioration du système existant est suffisante ? Ou bien faut-il décentraliser les organismes de contrôle ?

M. Jean COURDOUAN : Théoriquement nous disposons d’organismes de contrôle dans les délégations régionales de la formation professionnelle. Le problème est qu’il faut les équiper en hommes, en formation et en méthodologie d’intervention. J’espère que je pourrai au cours de vos travaux vous apporter sur ce sujet des éléments complémentaires. Sans doute d’ici à trois mois il se sera passé des choses, notamment quant à l’augmentation du nombre d’agents affectés dans les services de contrôle et tout au moins en termes de méthodologie ou de formation.

M. le Président : Il y a du pain sur la planche, Monsieur le Délégué si l’on songe qu’en 1990, sur 26.000 organismes dispensateurs ayant une activité minimum de formation, 44 seulement ont été contrôlés !

M. Michel BERSON : Je veux compléter la question de M. le Rapporteur. Le système de formation professionnelle est maintenant quasiment complètement décentralisé. On peut être pour ou contre, mais c’est ainsi ! En revanche, le contrôle de la formation professionnelle relève toujours de la compétence de l’Etat et reste fortement centralisé ...

M. Jean COURDOUAN : Concentré !

M. Michel BERSON : ... même si au niveau de chaque région il y a des cellules de contrôle.

Pensez-vous que ce système — vieux de quelques années — est toujours adapté à la situation nouvelle du système de formation professionnelle quant à lui fortement décentralisé ?

M. Jean COURDOUAN : C’est plus à vous qu’à moi d’en décider !

La décentralisation de la formation professionnelle peut conduire aussi — vous le décidez en tant que législateur — à une décentralisation du contrôle. Autrement dit, il s’agit de faire en sorte que l’autorité gestionnaire soit aussi celle qui contrôle.

Mais vous pouvez aussi penser que l’Etat peut vouloir conserver un instrument de maîtrise du dispositif en vue de mettre en œuvre une politique nationale homogène et équilibrée. C’est vous qui en déciderez. En tout état de cause, la décentralisation implique, sur ce plan là comme sur les autres, une déconcentration des services de l’Etat en particulier dans les régions.

M. le Président : Monsieur le Délégué, alors que nous achevons la première audition de la commission d’enquête, j’espère que nous n’avons pas trop dévié de l’objet assigné par la résolution qui en porte création.

Pour conclure, pensez-vous que la création de cette Commission d’enquête a été une bonne chose ?

M. Jean COURDOUAN : D’abord, il me serait difficile de vous dire le contraire !

Au titre III de la loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, vous avez adopté des orientations importantes. Le Ministre vous rendra à la fin du mois de mars un rapport comportant vraisemblablement des propositions de réforme de nature législative pour la session de printemps. La formation professionnelle bouge. Le Parlement doit être un lieu naturel d’examen des problèmes et doit définir les deux ou trois grandes orientations politiques exigées par la période. Encore une fois, ne serait-ce que parce que vous le demandez, je ne peux pas vous répondre autrement. En tout cas, je suis volontaire pour participer à vos travaux ultérieurs.

M. le Président : Je vous remercie d’avoir ainsi participé à nos travaux.




Audition de M. André RAMOFF,

Ancien Délégué à la formation professionnelle (1981-1990)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 4 janvier 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

M. André Ramoff est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. André Ramoff prête serment.

M. le Président : Mes chers collègues, en votre nom à tous, je souhaite la bienvenue à M. Ramoff, en tant qu’ancien délégué à la formation professionnelle, dans le cadre des auditions auxquelles notre Commission est appelée à procéder.

Selon vous, cette commission d’enquête sur la nature et l’utilisation des fonds affectés à la formation professionnelle se justifie-t-elle ?

Pensez-vous que les raisons qui ont présidé à sa création sont fondées et, si oui, pourquoi a-t-on tant tardé à créer une commission d’enquête ? Vous qui avez une grande expérience en la matière, pouvez-nous nous donner votre opinion ? Par ailleurs, beaucoup de travaux ont déjà était faits, beaucoup d’enquêtes ont été réalisées dans le passé sur le contrôle et l’emploi des fonds de la formation professionnelle. Quelles sont concrètement les suites qui ont été données à ces différents travaux ?

M. André RAMOFF : Dès lors qu’une fonction collective consomme un peu plus de 1,5 % du produit intérieur brut, il est parfaitement naturel que l’on s’interroge — et singulièrement la représentation nationale — sur le bon usage des sommes ainsi collectées et redistribuées. La création de cette commission me paraît donc s’inscrire dans la nature des choses. Pourquoi ne l’a-t-on pas créée plus tôt ? Je suis ici le dernier à pouvoir répondre à une telle question !

Je rappellerai simplement, comme vous l’avez indiqué vous-même, Monsieur le Président, que de très nombreuses enquêtes et investigations ont été conduites au cours des dix ou quinze dernières années — pour s’en tenir à une période relativement courte — sur l’utilisation de ces crédits. Pratiquement tous les corps de contrôle sont intervenus : l’inspection générale des finances avec un rapport réalisé sous la direction de M. Heilbronner en 1982 ; l’inspection générale des affaires sociales et la Cour des comptes à plusieurs reprises ; le Comité central d’enquête sur les coûts et le rendement des services publics en 1989. Toutes sortes d’autres investigations ont été menées, y compris par des sociétés de conseil. Je pense à l’intervention à deux ou trois reprises du cabinet dirigé par M. Bernard Brunhes. Elles ont été diligentées par diverses autorités soucieuses de savoir si les sacrifices demandés au contribuable par des voies diverses étaient pleinement justifiés.

Pour le surplus, que dire ? Sans doute me poserez-vous des questions un peu plus précises pour que je puisse tenter d’apporter des réponses personnelles.

Schématiquement, s’agissant de la période où je m’occupais du secteur considéré, c’est-à-dire pendant dix ans, mon sentiment est que ce dernier n’était pas particulièrement le siège d’emplois réellement critiquables. La justice a dû être saisie de deux ou trois affaires, ce qui n’est pas beaucoup, somme toute, compte tenu des masses financières à considérer et des innombrables acteurs intéressés au fonctionnement du système.

Les questions les plus pertinentes sont probablement les questions d’opportunité et non pas de régularité de la dépense. En d’autres termes, avec cet argent, aurait-on pu faire mieux pour améliorer la qualification des travailleurs de ce pays ? Aurait-on pu faire mieux pour donner plus de dynamisme à la politique de l’emploi ?

Ce sont là les questions majeures qui se posent, beaucoup plus que de savoir si tel ou tel organisme a mal géré l’argent qu’il recevait ou si on aurait pu éventuellement travailler à meilleur prix ou à meilleur compte.

M. le Rapporteur : Monsieur Ramoff, nous connaissons tous l’immense travail que vous avez mené à la tête de la DFP.

Je vous poserai une question d’ordre général et une question plus précise.

Pendant votre mandat, avez-vous eu le sentiment d’avoir véritablement eu la maîtrise tant des flux financiers énormes qui se dégageaient dans ce secteur que du contrôle de la qualité du service rendu ?

Plus précisément, est-ce que vous n’avez pas, en vous plaçant sous l’angle du transit de l’argent, senti à un certain moment que l’on passait d’une obligation générale vers la nécessité d’une obligation financière en fonction d’objectifs qui impliquait une réforme profonde des modes de financement ?

M. André RAMOFF : S’agissant de mon sentiment de maîtriser ou non ces flux financiers, ma réponse est non. Non, si l’on entend par maîtrise le sentiment que peut éprouver un gestionnaire classique de crédits publics inscrits au terme de la loi de finances à un certain nombre de chapitres du budget de l’Etat.

Le système français a été dès l’origine conçu dans une conception extrêmement pluraliste. C’est très délibérément que dans ce domaine, plus que dans tout autre et probablement avant tout autre, l’Etat a accepté de se déposséder d’une partie du pouvoir de direction, d’impulsion, d’organisation des choses. Il l’a fait dès le début des années 70 au profit des partenaires sociaux. Le droit de la formation professionnelle est largement né d’accords nationaux interprofessionnels auxquels les pouvoirs publics ont apporté ensuite la consécration de la loi. Je passe sur l’histoire car elle est bien connue.

Dans une deuxième phase — et l’année 1983 est importante de ce point de vue — un second partage est intervenu : celui qui a été opéré entre l’Etat et les régions. La décentralisation s’est d’abord appliquée dans le domaine de la formation professionnelle. La première loi de décentralisation, présentée à l’Assemblée nationale et au Sénat par M. Defferre, ministre de l’intérieur, au nom du gouvernement de l’époque, comportait une décentralisation importante de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Dès le début il y a donc eu une volonté de partager le pouvoir et cette volonté n’a jamais été démentie par la suite.

L’expression « maîtrise des flux financiers » est donc à mon sens un peu trop rude pour que l’on puisse l’utiliser sans précaution.

On peut distinguer les deux grands éléments de ce dispositif fait de fonds publics — crédits de l’Etat pour l’essentiel mais également crédits apportés par les collectivités locales — et de crédits qui, juridiquement, sont probablement des « deniers publics réglementés », ainsi que s’expriment les spécialistes, s’agissant de la participation des entreprises.

Dans le premier champ, celui des deniers publics, les politiques suivies ont toujours été définies au terme d’une procédure initiée par le Gouvernement, sanctionnée par le Parlement qui est intervenu à plusieurs reprises en votant la loi.

S’agissant des interventions des entreprises, c’est également dans le cadre tracé par des accords nationaux interprofessionnels et des lois que les dépenses ont été réalisées.

Le cadre général n’a pas obéi à une sorte de hasard ou d’abandon à des forces extérieures à la volonté du Gouvernement. C’est bien une succession de politiques gouvernementales qui a donné une coloration générale aux politiques de formation professionnelle suivies pendant toute cette période.

J’en viens au contrôle.

Assurément le contrôle a été un des points faibles du système qui, je l’ai dit, a été dès le début pluraliste. On peut dire avec le recul qu’il s’est probablement accompagné d’une certaine forme d’angélisme, dans la mesure où l’on a posé en règle le fait que de la conjonction d’intelligences ne peut naître que le bien et l’intérêt général ; dès lors qu’une politique d’entreprise donne lieu à débat devant le comité d’entreprise puis, à partir de 1984, à une négociation avec les syndicats, par hypothèse cette politique sera bonne ! De même, dès lors que les orientations sur l’emploi des fonds sont données dans leurs grandes lignes par un gouvernement démocratique et par un Parlement, et que leur utilisation plus détaillée est le fait non pas d’un ministre ou d’un fonctionnaire seuls mais d’un conseil de gestion, composé de toutes les forces vives de la Nation, il ne peut sortir de là que de bonnes décisions !

Bref, tout cela a conduit à se dire que, l’initiative étant pluraliste, ou plus exactement plurielle, les décisions ne pouvaient être que bonnes et que le contrôle devenait peut-être plus accessoire qu’il n’était dans d’autres champs de l’intervention des dépenses publiques. Les précautions en amont étaient peut-être moins solidement établies.

C’est un peu tardivement que l’on s’est posé des questions. Elles l’ont été probablement de la façon la plus nette par le rapport Heilbronner qui est à l’origine d’un certain nombre de dispositions de la loi de 1984.

Je réponds à la question que posait M. le Président Ueberschlag en début de séance. Une des conséquences de ces rapports a été la loi de 1984 qui a renforcé le pouvoir de contrôle, notamment du groupe national de contrôle. Initialement cette compétence ne s’appliquait qu’à la participation des entreprises. A partir de 1984 elle a été étendue aux organismes de formation. L’histoire postérieure a montré un renforcement régulier des contrôles, probablement sans que celui-ci aille aussi loin qu’il aurait fallu. Je crois d’ailleurs qu’une des faiblesses du système actuel reste l’abondance des contrôles mais en même peut-être leur relative inefficacité.

La troisième question appelle une réponse positive de ma part.

En effet, dans un premier temps, l’obligation légale a été une sorte d’invitation, à peu près sans condition, à dépenser pour la formation des salariés. On ne s’est pas véritablement demandé où allait passer cet argent. L’essentiel était d’amener les entreprises à considérer la formation comme un investissement, en leur proposant pour éclairer leur première réflexion la typologie née de la loi du 31 décembre 1968, classant les actions de formation en cinq grandes catégories. Mais on n’avait probablement pas à cette époque éprouvé le besoin d’aller beaucoup plus loin.

Au fil du temps sont nées un certain nombre d’interrogations, les unes sur la pertinence du maintien d’une obligation légale, dépassée deux fois puis trois fois sur cette période de vingt ans quant au volume des fonds mobilisés ; les autres sur la pertinence de l’obligation légale et sur la nécessité de lui substituer des obligations peut-être un peu plus ciblées sur des objectifs soit voulus par le Gouvernement et le Parlement, soit voulus au terme d’un débat plus large par un ensemble constitué par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux.

C’est un peu ce qui a été amorcé à partir de 1984. D’abord avec l’intervention de ce que l’on a appelé les engagements de développement de la formation, c’est-à-dire une sorte de politique contractuelle associant l’Etat et les entreprises, les branches professionnelles, des fonds publics et des fonds privés, autour d’objectifs définis paritairement par les deux partenaires. Deux ans plus tard, avec l’institution d’un crédit d’impôt, consistant à compléter le dispositif et à y introduire des éléments de dynamisation du comportement des entreprises dont la loi de 1971 était peut-être insuffisamment pourvue.

Au terme de cette évolution, on peut en effet s’interroger sur la suite de l’histoire. Personnellement, je ne suis pas tout à fait sûr que le maintien de l’obligation légale soit aujourd’hui aussi solidement établi qu’il a pu l’être il y a dix ans ou même il y a cinq ans. Cela étant, les Indiens ne sont pas les seuls à vénérer les vaches sacrées et à les contourner lorsqu’elles sont sur le chemin ! Je ne sais pas ce qui se passerait si l’on décidait de remplacer l’obligation légale par un autre dispositif. N’y aurait-il pas un très grand risque d’effondrement des pratiques d’un certain nombre d’entreprises ? Je serais tenté de penser que non en m’appuyant sur des éléments de comparaison internationale. Compte tenu de la crise économique, les entreprises britanniques par exemple ont relâché considérablement leur effort de formation alors que les entreprises françaises n’ont pas eu le même comportement. Ce qui tendrait à établir le fait qu’elles ont dans la formation une foi plus grande que leurs voisines d’outre-manche.

Par ailleurs, on peut imaginer des dispositifs de substitution fondés sur des approches contractuelles, autour de quelques objectifs convenablement choisis.

M. le Président : Pensez-vous qu’en France il y aurait le même comportement qu’en Allemagne où il n’y a pas d’obligation de versement mais où les sommes consacrées à la formation sont tout de même supérieures à celles versées dans notre pays ?

M. André RAMOFF : Je suis devant une commission d’enquête de l’Assemblée nationale ! Aussi je pèse mes mots, Monsieur le Président, non pas seulement parce qu’ils sont enregistrés mais parce qu’ils sont prononcés devant un auditoire qui a un pouvoir réel de décision. La prudence me paraît donc doublement nécessaire.

Si je m’oubliais un instant, je serais tenté de répondre oui à votre question. Nous avons maintenant, dans nos entreprises, acquis un degré de compréhension de l’intérêt de la formation. Nous avons également modernisé la conception de la formation, de façon telle que l’on peut considérer le mouvement comme solidement installé et n’ayant pas nécessairement besoin de prothèse trop artificielle pour se prolonger.

M. Michel BERSON : Est-ce que dans votre réponse à la dernière question, vous ne généralisez peut-être pas un peu trop vite la situation qui existe dans les entreprises françaises ?

Pour une entreprise qui consacre 3 % à la formation — le double de l’obligation légale — ou 6 %, voire 9 % pour les très grandes entreprises, je pense à IBM et au secteur bancaire, par exemple — l’obligation légale n’a en effet guère de sens. A la lecture des statistiques, il apparaît que beaucoup d’entreprises se situent entre 1,5 et 2 %. Or pour celles-là, je ne suis pas certain qu’après dix ans de modification importante des comportements de leurs chefs et de leurs cadres, on puisse être aussi optimiste que vous. Ne faut-il pas faire la distinction entre celles qui consacrent des sommes importantes — et pour lesquelles l’obligation légale a moins de sens, en effet — et les autres pour qui — « malheureusement », diraient des adeptes convaincus du bien-fondé de la formation — un guide, un incitateur est encore nécessaire ?

M. André RAMOFF : J’essayerai d’être prudent dans mon propos car je vois bien que les enjeux sont considérables.

Je crois qu’il faut des guides et des incitateurs, assurément. Je m’interroge sur la nature des meilleures incitations possibles aujourd’hui.

Si une entreprise, vingt ans après l’institution de l’obligation légale, ne la dépasse pratiquement pas, on peut raisonnablement faire l’hypothèse que les dépenses qu’elle consent le sont par la voie de transferts globaux à un fonds d’assurance-formation et qu’elles ne bénéficient pas du tout ou fort peu aux salariés de l’entreprise.

On peut également penser que si l’entreprise ne se libère pas de l’obligation par un versement global à un FAF ou à une ASFO, elle va dépenser n’importe quoi pour être en règle et peut-être financer des opérations dont la nécessité n’est pas absolument évidente.

Je ne considérerais pas comme raisonnable que l’on supprimât l’obligation légale sans rien faire d’autre. On a pu imaginer, il y a quelques années, réaliser tout un réseau, tout un dispositif d’engagements de développement de la formation de branches, permettant à l’Etat de négocier une politique de formation à l’échelle de la métallurgie, du bâtiment, de la chimie et du textile, c’est-à-dire de grands sous-ensembles de notre vie économique ; ceci revenait à définir avec les représentants patronaux et syndicaux de ces branches quelques objectifs de développement et à accepter qu’à l’intérieur de la branche demeurent des disparités d’engagement entre les plus dynamiques et les moins dynamiques. L’hypothèse était que les uns tireraient vers le haut les autres, plus efficacement que le percepteur n’a le pouvoir de le faire.

Par ailleurs, ces engagements pouvaient — et les premiers conclus l’ont démontré — comporter des éléments qui ne soient pas de simples incitations quantitatives ou servent seulement à l’identification de priorités qualitatives mais pouvaient déboucher sur la mise en place d’instruments d’assistance à la décision, de rationalisation des choix. Je pense à ce qui s’est fait depuis quatre ou cinq ans en matière de contrats d’étude prévisionnelle, de centres de bilan, d’observatoires de l’emploi et de formations au niveau des branches, des sous-ensembles territoriaux, des régions notamment.

Tout cela est de nature à éclairer les choix et peut être, dans une période de changements aussi rapides que celle que nous connaissons et de difficultés économiques aussi intenses, de les rendre plus efficaces qu’une obligation un peu mécaniquement appliquée par certains.

M. Michel BERSON : Dans la masse globale des crédits collectés, la part des engagements au titre de la formation représente très peu de choses. Pour quelles raisons ? Est-ce du fait des entreprises ? Du fait de l’Etat qui n’incite pas davantage ou qui n’accepte pas de contribuer suffisamment ? Cette contribution de l’Etat n’est-elle pas un obstacle au développement des engagements au profit de la formation ?

M. André RAMOFF : Je ne peux pas répondre à cette question, Monsieur le député, car j’ai complètement quitté ce secteur depuis trois ans.

Lorsque cette politique a été lancée, elle n’avait pas été considérée comme devant comporter nécessairement un apport de financement complémentaire de l’Etat.

C’était une sorte d’alternative : soit le 1 % « mécanique », « un peu bête », si je puis me permettre cette expression, soit un engagement négocié, permettant plus de souplesse dans la réalisation des dépenses, plus d’étalement dans le temps, plus de péréquation entre les entreprises riches et les entreprises pauvres — celles qui ont des besoins, celles qui en ont moins —, plus de souplesse en contrepartie d’un certain desserrement, d’une certaine contractualisation des objectifs. Pour faire bouger un certain nombre de branches, peut-être insuffisamment dynamiques, il est apparu nécessaire d’ajouter en plus un certain apport de fonds publics. Mais cela n’était pas absolument décisif. Cela fait que le volume des dépenses publiques liées à la réalisation de cette politique n’est pas forcément l’indicateur le plus pertinent. Je ne dis pas qu’il n’a pas d’importance mais il n’est pas décisif par lui-même.

Pour le reste, lorsque cette politique a commencé, vers 1985-1986, il y a eu dès le début un intérêt extrêmement vif des fédérations patronales les plus actives et d’un certain nombre d’entreprises qui étaient en majorité des entreprises de pointe. Elles voyaient là un moyen de rationaliser leur démarche et de donner peut-être un peu plus de dynamisme que celui qu’elles auraient acquis spontanément.

Mme Nicole CATALA : Que nous proposeriez-vous si l’on vous demandait de procéder à un rééquilibrage entre la contribution obligatoire, d’une part, et le crédit d’impôt, d’autre part ?

Quel cheminement suggéreriez-vous pour élargir la part du crédit d’impôt dans le financement de la formation et pour diminuer progressivement la part contraignante de ce financement ?

A votre avis les entreprises françaises contribuent-elles suffisamment aujourd’hui à la formation des chômeurs ?

M. André RAMOFF : Pour répondre à votre première question, Madame le ministre, je n’ai pas véritablement de suggestion à faire. Je le répète, je me suis retiré de ce secteur d’activité il y a pas mal de temps. Ma réponse comportera donc une part d’improvisation, ce dont je vous demande de bien vouloir me pardonner.

Il me semble, sous ces réserves, que le cheminement pourrait être le développement des engagements de formation, avec retrait de l’obligation légale à mesure qu’un secteur d’activité économique serait couvert par un engagement convenablement négocié et comportant des objectifs suffisamment précis.

Parallèlement, le crédit d’impôt pourrait d’abord être consolidé, c’est-à-dire répété de période en période, éventuellement renforcé dans sa quotité de façon à être un peu plus incitatif qu’il ne l’est depuis son institution.

Le système serait dès lors fondé sur deux piliers. L’un serait d’essence extrêmement libérale : le crédit d’impôt, chaque franc dépensé entraînant un avantage fiscal, sans que l’on regarde de trop près quelle a été l’utilisation de cette dépense, dès lors qu’il s’agit d’une dépense de formation mais sans que l’on ait hiérarchisé des objectifs en termes d’emplois des fonds. De l’autre côté, il s’agirait d’appliquer un correctif un peu plus dirigiste, si je puis risquer cette expression un peu forte. Ce correctif serait fondé sur les engagements de développement de la formation et sur l’identification contractuelle d’objectifs considérés comme prioritaires du point de vue du développement économique dont l’Etat a la responsabilité globale.

Je réponds maintenant à votre deuxième question.

Je pense que les entreprises pourraient faire plus, mais non pas en termes de financement. Elles peuvent faire plus pour la formation en général. C’est ma conviction profonde. Elles devraient faire plus, à l’image des entreprises allemandes que M. le président de la Commission évoquait tout à l’heure.

En ce qui concerne la formation des demandeurs d’emploi, je pense que leurs engagements pourraient être accrus sous l’angle de l’accueil : formation, prestations pédagogiques, ouverture des ateliers et des usines à des chômeurs. Beaucoup plus que sous la forme d’une contribution financière, allant au-delà de qui est déjà fait. Mon sentiment est que pour l’essentiel nous avons à faire là à une responsabilité des pouvoirs publics.

Mme Nicole CATALA : Mon sentiment est un peu différent. Je l’exprimerai le cas échéant au sein de la Commission.

Selon moi, les entreprises consentent aujourd’hui pour leurs propres salariés des dépenses de formation qui ne sont pas toujours une nécessité impérieuse. Au contraire, pour les chômeurs, nous ne disposons pas de tous les moyens dont nous aurions besoin.

M. Germain GENGENWIN : Vous avez évoqué la question du maintien de l’obligation légale. Est-ce nécessaire ?

Depuis plusieurs années déjà, j’ai souvent évoqué devant le Comité de coordination des programmes régionaux d’apprentissage et de la formation professionnelle continue la possibilité d’appliquer en France le même système que dans d’autres pays, ce qui impliquerait la suppression du caractère obligatoire de la contribution. Un de mes collègues s’est fait tout à l’heure le défenseur de son maintien.

Selon moi, nous sommes assez avancés. La suppression de la cotisation obligatoire donnerait plus de responsabilités aux entreprises. Elles sont peut-être portées vers la solution de facilité qui consiste à se libérer de l’obligation par un simple versement.

Vous avez indiqué aussi que les négociations avec les partenaires sociaux étaient considérées a priori, par hypothèse, comme une bonne chose. Est-ce que dans le passé des accords n’ont pas été négociés trop facilement entre partenaires ? N’étaient-ils pas considérés comme nécessairement bons parce qu’ils permettaient d’assurer le financement d’un certain nombre de structures ?

Enfin, vous dites que les entreprises pourraient faire plus pour les demandeurs d’emploi. Or, précisément, ne fait-on pas l’inverse ? N’est-ce pas le cas lorsqu’on démultiplie les possibilités d’exonération des charges sociales pour l’embauche des bac plus 5 à tous les niveaux ?

Des possibilités d’exonération des charges sociales et de paiement en-dessous du Smic sont accordées en cas d’embauche. N’est-ce pas aller dans le sens inverse de celui que vous venez d’indiquer ?

M. le Rapporteur : Je poserai deux questions qui sont liées à l’utilisation des crédits.

Première question : lorsque vous étiez à la tête de la Délégation pour la formation professionnelle, est-ce que vous aviez les moyens de mesurer — et cela se faisait-il d’ailleurs ? —, de contrôler les délais qui s’écoulaient entre le moment de la collecte des contributions et leur répartition au bénéfice des organismes dispensateurs ? Récemment, la Commission des finances s’est elle-même posée la question de l’utilisation des fonds dans le temps. On s’aperçoit en effet qu’on collecte à un certain moment des sommes considérables, lesquelles restent ensuite dans un circuit bancaire à l’état latent — je ne dirai pas à l’état mort car ces fonds rapportent —. Se pose ainsi la question de l’immobilisation des fonds dans le temps, du circuit bancaire et de sa transparence, points sur lesquels j’aimerais connaître votre avis.

La deuxième question porte plus particulièrement sur la situation financière, les circuits de financement de la formation en alternance, et plus particulièrement sur la situation de l’AGEFAL qui, voici quelques années, avait soulevé quelques problèmes.

M. André RAMOFF : Je n’ai pas de sentiment sur la situation présente parce que je ne la connais pas.

S’agissant des aspects plus généraux que vous avez évoqués précédemment, je crois qu’en effet, à diverses époques, certains collecteurs ont trouvé des facilités de trésorerie très abondantes dans les délais qu’ils ménageaient entre la collecte et la redistribution des fonds. Il y a eu quelques dossiers un peu difficiles.

Vous avez cité l’AGEFAL. En effet, des débats extrêmement durs ont eu lieu, durant les premières années de l’alternance, avec les partenaires gestionnaires qui considéraient qu’ils ne pouvaient pas vivre s’ils n’avaient pas devant eux une masse de trésorerie qui aurait fait « baver d’envie » n’importe quelle entreprise, n’importe quelle institution publique. Dans le passé, un certain nombre de fonds d’assurance-formation ont eux-mêmes, directement ou à travers des réseaux de succursales régionales, conservé une aisance financière qui était assurément tout à fait excessive. Il a fallu que les pouvoirs publics y mettent bon ordre.

M. le Rapporteur : Qu’est-ce que vous avez fait ?

M. André RAMOFF : Il y a plusieurs méthodes. Comme il n’y avait rien de malhonnête au sens strict, aucune intervention n’a été fondée sur l’appel à la justice ou à je ne sais quel bras séculier de l’Etat. Mais la possibilité de prier, avec une énergie toujours croissante, le partenaire de dépenser un peu plus vite, sans pour autant dépenser mal. Faute de quoi, en dernier ressort, des mesures auraient pu être prises quant à l’alimentation des fonds. On peut à la limite envisager le retrait d’agrément pour le cas d’un fonds d’assurance-formation. Pour l’AGEFAL le débat portait sur le point de savoir s’il fallait augmenter la collecte ou pas, si l’Etat devait mettre de l’argent dans la caisse, dès lors que les structures paritaires avaient accumulé un magot qui permettait de voir venir pour pas mal de temps.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que l’idée de confier par exemple le transit bancaire des fonds de ce type de formation et de l’attribuer à des organismes bancaires très liés à l’Etat — par exemple la Caisse des dépôts et consignations — vous paraît-elle une idée absurde ?

M. André RAMOFF : On ne l’a pas retenue à l’époque parce qu’elle était rejetée par les partenaires et que l’enjeu ne paraissait pas mériter sur ce point précis un conflit. Mais l’idée n’est nullement absurde !

Pour revenir au propos de M. Gengenwin, je ne voudrais pas m’être mal exprimé dans une intervention précédente. Je ne prétends pas en effet que tout ce qui est paritaire est bon, par hypothèse. Je dis que le système de formation professionnelle français a été construit en quelque sorte en rupture, en différenciation profonde par rapport aux pratiques usuelles de notre administration.

Nous vivons depuis fort longtemps dans un système où l’Etat détient ou pense détenir le monopole de la science et qui, parfois, se réduit à quelques fonctionnaires qui pensent aussi détenir le monopole de la science. Mais comme il leur arrive d’avoir quelques doutes, ils multiplient les contrôles. Ce qui fait que l’on ne partage pas le pouvoir mais que l’on s’attache quand même les jambes pour être sûr de ne pas marcher trop vite.

Le système de formation a été construit dès le début selon une logique toute différente de partage du pouvoir, d’acceptation que la règle de droit ne vienne pas seulement de la loi mais aussi d’un accord national professionnel étendu ou validé par la loi et que la gestion du système soit elle-même partagée avec les partenaires sociaux.

C’est donc sur cette sorte d’acte de foi que tout un système a été bâti. Dès lors que le système était fondé sur la confiance et non pas sur la méfiance, se produisait de façon quelque peu mécanique une sorte de rejet du contrôle du côté des considérations plus ou moins secondaires. Cela explique que la loi de 1971 n’ait prévu qu’un contrôle très léger par application des procédures de droit commun. C’est un rapport de l’inspection générale des finances réalisé par M. de Chalendar en 1973-1974 qui a fait apparaître la nécessité de disposer d’un corps de contrôleurs distinct de ceux des contrôleurs du travail ou des contrôleurs des impôts et qui a conduit à l’institution dans la loi de pouvoirs de contrôle confiés à ces contrôleurs. Mais au début le système postulait en quelque sorte l’économie du contrôle puisqu’il était censé être vertueux dès son acte de naissance.

C’est tout ce que j’ai voulu dire. Je n’ai pas dit qu’il était vertueux mais qu’il a été considéré comme tel et que de cela ont découlé une série de conséquences que peut-être un retour au réalisme a conduit à nuancer dans la suite.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Trois publics sont concernés par les fonds affectés à la formation professionnelle : les jeunes, les chômeurs et les salariés.

J’en appelle à votre expérience, Monsieur Ramoff. Si nous devions porter l’attention sur l’utilisation de ces fonds sur un des publics en particulier, sur lequel devrions-nous porter notre attention ?

Entre les fonds utilisés en direction des jeunes, des chômeurs et des salariés d’entreprise, la dimension et la notion de contrôle ne sont pas, à mon avis, les mêmes.

M. André RAMOFF : J’essayerai de répondre d’une façon précise, Monsieur le député, mais permettez-moi de commencer par une image.

Lorsque l’on construit une autoroute, on peut se demander si l’on a choisi la meilleure entreprise. On peut se demander ensuite si l’entreprise a livré un produit de qualité et si le prix est convenable. Mais il ne faut pas oublier la question initiale : fallait-il une autoroute ? Est-ce qu’une route nationale ne suffisait pas ? Une voie ferrée n’était-elle pas préférable ? Ou rien du tout ? Ne fallait-il pas maintenir le statu quo ? Or très souvent, s’agissant du contrôle de la formation professionnelle, on néglige cette question initiale.

Pour répondre maintenant à votre question, je dirai que si l’on parle de salariés, c’est probablement cette question initiale qui se pose. Je crois que les dépenses sont pertinentes dans leur grande masse mais c’est probablement cette part de l’ensemble qui peut le plus permettre des sur-facturations, des erreurs de choix et de fournisseurs, des défaillances ponctuelles.

Pour parler vite, s’il y a de l’escroquerie, c’est plutôt de ce côté là qu’elle se situe parce que le contrôle y est moins assuré. Il y a très peu de gens pour contrôler ; les procédures sont insuffisantes et les masses financières sont tout de même importantes. Il s’agit grosso modo de 60 % de la masse budgétaire totale, c’est-à-dire 60 ou 65 milliards de F. sur les 110 milliards de F. du compte de la formation.

Du côté de la formation des demandeurs d’emploi et des jeunes, la question la plus pertinente est de savoir si la politique menée est bonne. La réponse ne se situe plus cette fois du côté de l’évaluation ponctuelle des dépenses, de la loyauté des procédures, de la vérification de la mise en concurrence ou autre. C’est presque de la rationalisation des choix budgétaires. En d’autres termes, a-t-on depuis vingt ans bien choisi et bien visé l’objectif dans ce domaine ? A plusieurs reprises on a mis en opposition les actions de qualification et les actions de stages-parking. Les questions majeures sont plutôt celles-là parce que ces opérations — à quelques bavures près et sans doute inévitables — sont probablement saines. Je doute que l’on gagne de l’argent aux tarifs que pratique l’Etat et je doute que les fonctionnaires choisissent en dépit du bon sens les organismes avec lesquels ils vont traiter. Si cela arrive, c’est certainement rarissime.

Les vraies questions portent plutôt sur le point de savoir si la politique menée est bonne, si les fonds publics ne sont pas mal utilisés, en choisissant certaines actions plutôt que d’autres. Du côté de la formation des salariés, le raisonnement s’inverse. Globalement, on a raison de faire cela mais il est possible qu’à la marge il y ait davantage de bavures.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Votre réponse me satisfait.

M. Jean-Jacques JEGOU : Nous sommes au coeur du problème.

Je voudrais revenir aux organismes répartiteurs dont on a vu, après la question de notre Rapporteur, qu’ils auraient engrangé des trésoreries « à faire baver » un certain nombre d’entreprises.

En tant que Rapporteur spécial des crédits de la formation professionnelle à la Commission des Finances, je ne crois pas que cela ait changé, même si le phénomène n’est pas aussi important qu’on vient de le dire. Je me place donc toujours sous l’angle de la thésaurisation des organismes répartiteurs et de leur nombre. J’espère que la loi quinquennale sera l’occasion de réduire ce nombre. Ces organismes ont une attitude quelque peu passive et ils ne font en fait que répartir et distribuer les fonds sans savoir si les formations correspondent réellement aux besoins du public des demandeurs d’emploi, sans savoir si le module de formation de stage ne correspond pas à un stage-parking par insuffisance d’heures et de qualité. Lorsque vous étiez aux affaires, est-ce que les organismes répartiteurs vous paraissaient déjà performants pour réagir à cette nécessité de qualité et d’adaptation ?

M. Germain GENGENWIN : Nous reposerons la question aux OMA le moment venu. Mais ne pensez-vous, monsieur Ramoff, que le temps est venu, compte tenu des milliards non engagés et non utilisés, de proposer de diminuer les cotisations des entreprises du 0,4 % pour l’alternance ? Peut-être sera-ce là une des propositions de la Commission ? Quel est votre sentiment à cet égard ?

M. le Président : En complément de cette question, sommes-nous sûrs aujourd’hui que le produit des placements financiers est utilisé à des besoins de formation ?

M. Jean-Michel FOURGOUS : Si l’on admet que la masse monétaire des fonds de la formation professionnelle s’élève à environ 100 milliards, si les entreprises en avaient la disposition, elles en feraient sans doute 200 milliards de recettes sociales et fiscales.

Vous savez bien comment fonctionne l’économie. Vous donnez à 100.000 entreprises un million de F. en renforcement de fonds propres et vous pouvez créer des emplois. Par entreprise, il est possible de générer environ deux millions de F. de recettes fiscales et sociales en plus. Faites la somme ! Avec 100 milliards, vous avez rapporté à l’Etat 200 milliards de F. de recettes sociales et fiscales.

Il faut donc faire attention aujourd’hui. L’économie nationale n’est pas un jeu de famille. Quand on prend un franc à une entreprise, il faut savoir ce que cela produit. Vous avez parlé de sacrifices, ceux qui gèrent ces sommes sont-ils conscients des sacrifices demandés aux entreprises et des pertes engendrées ? Est-ce que l’on est conscient aussi que quelque part se pose un enjeu moral ? Est-ce qu’en déshabillant Paul, l’on ne rhabille pas Jacques plus mal ? N’ai-je pas déchiré le blouson en l’enlevant à l’un et ne me reste-t-il pas qu’un demi-blouson pour l’autre ?

A quoi sert-il d’avoir enlevé à une entreprise la capacité de générer des recettes fiscales et sociales pour arriver finalement, comme vous l’avez indiqué vous-même, au fait que l’on ne maîtrise pas les flux financiers et l’efficacité de ces fonds. Or, on continue à faire ces prélèvements, alors que les entreprises sont capables d’avoir une meilleure maîtrise, et d’assurer une meilleure efficacité et une meilleure qualité de l’utilisation de cet argent pour la collectivité. N’aurait-il pas été plus rentable pour la collectivité de leur laisser ces moyens ?

M. André RAMOFF : Je n’ai pas dit que l’on ne maîtrisait pas les flux financiers. En réponse à une question qui m’a été posée, j’ai dit que je n’avais pas le sentiment de les avoir maîtrisé tout seul. Ce n’est pas la même chose et je n’ai rien dit d’autre.

Pour le reste, c’est tout le débat qui est vieux comme l’économie politique entre la main invisible et autre chose.

Je ne crois pas que l’on demande des sacrifices aux entreprises. Les entreprises les mieux gérées sont celles qui dépensent le plus pour la formation. Les pays dont les économies sont les plus dynamiques dans le monde dépensent trois ou quatre fois plus que nous. L’Allemagne dépense deux fois plus que la France pour la formation et le Japon dépense beaucoup plus. Il y a une corrélation absolument mathématique entre l’importance de l’investissement immatériel dans le savoir et les performances d’une économie. Ce n’est donc pas de l’argent que l’on prend. C’est de l’argent que les entreprises dépensent spontanément. On leur demande de faire un et elles font trois. Il n’y a donc aucune espèce de ponction obligatoire.

S’agissant des organismes répartiteurs, je crois que tous les comportements étaient observés il y a quelques années. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui. Les uns fonctionnaient comme de strictes structures financières. Ils recevaient de l’argent, le plaçaient, le faisaient fructifier, le redistribuaient en jouant un rôle purement transparent, sans valeur ajoutée quant à la qualité des actions menées. D’autres, au contraire, se sont engagés très avant dans l’assistance aux entreprises.

Je pense à deux séries d’initiatives que j’ai pu observer.

Les unes s’inscrivent dans le domaine du conseil en formation, notamment en direction des petites et moyennes entreprises, sachant que certaines sont extrêmement embarrassées sous l’angle de la politique de formation car elles sentent bien que les technologies évoluent et que les qualifications de leur personnel s’effritent. Elles ne savent pas alors très bien comment faire, ce qu’il faut faire et avec qui le faire. Certains FAF ont très bien joué ce rôle de conseil.

D’autres sont allés jusqu’à jouer les organismes de consommateurs et tester des produits de formation concurrents, allant même parfois jusqu’à les publier. J’ai le souvenir du FAF s’occupant d’hôtellerie et de restauration. Le FAFIH avait testé tous les stages de formation de cuisinier et notamment pour la cuisine du poisson, laquelle est très particulière. Il y avait des différences de prix tout à fait extraordinaires pour des différences de qualité qui, probablement, ne l’étaient pas moins. Ces gens là avaient fait un travail très fouillé et très utile pour une chaîne hôtelière d’une certaine importance qui pouvait ainsi trouver des éléments de comparaison auxquels elle n’aurait pu probablement pas accédé seule.

On trouve donc de tout, le meilleur et le moins bon.

Je ne pense pas que les mauvais exemples soient suffisants pour condamner le système, en tant qu’il est porteur de cette richesse que représente le paritarisme. Je pense que si l’on substituait à ce système un système administré par l’Etat seul, nous aurions vraisemblablement des résultats plutôt moins bons et assurément une moindre aptitude à mobiliser les entreprises les moins dynamiques. En gros, je crois que les FAF jouent de ce point de vue à peu près leur rôle, même si certains organismes sont particulièrement passifs et manquent d’enthousiasme dans l’accomplissement des missions que la loi leur confie.

Y-a-t-il véritablement des abus ?

Vous avez évoqué, Monsieur le Président, l’éventualité selon laquelle les produits financiers seraient utilisés à autre chose qu’à des dépenses de formation. Personnellement, je n’ai pas eu connaissance d’emploi véritablement répréhensible et je dirai même pénalement répréhensible. Nous avons pu constater peut-être des placements de précaution excessifs, tels que des investissements immobiliers destinés non pas à faire fortune mais simplement à donner un excèdent de garantie par rapport à ce qu’un gestionnaire un peu moins timoré aurait pu considérer comme nécessaire. Les compagnies d’assurance, les banques ne se sont pas comportées autrement.

M. Germain GENGENWIN : Et s’agissant d’effectifs pléthoriques ?

M. André RAMOFF : Bien sûr, il y a ici et là des salaires excessifs, probablement trop de monde. Ce n’est pas douteux. Je ne pense pas toutefois que l’on soit dans la forêt de Bondy, ni plus ni moins en tout cas que dans pas mal d’autres aspects du paysage français que nous côtoyons les uns et les autres.

Une réduction du versement de 0,4 % ? Personnellement, je ne me prononcerai pas sur la technique. Mais les masses financières mobilisées par divers canaux pour la formation des jeunes en France ne me paraissent nullement excessives. Là encore, les comparaisons internationales le démontrent. Nous avons un tel retard de qualification dans la formation initiale que malheureusement pour longtemps encore il faudra vraisemblablement que ce qui se passe après l’école vienne en appoint de ce qui s’est passé ou ne s’est pas suffisamment passé pendant la scolarité elle-même.

Faut-il recourir aux techniques actuelles ou à d’autres ? Je pense que le débat est ouvert. Mais le volume de financement ne me paraît pas excessif et l’implication des entreprises est certainement un des points les plus positifs de l’histoire de la formation professionnelle en France depuis dix ans. C’est là-dessus que « la révolution culturelle » s’est produite et de façon certainement positive.

M. Michel BERSON : Je voudrais vous poser deux questions.

Une critique est souvent formulée à l’égard de certains organismes collecteurs de formation, à savoir qu’ils cumulent deux fonctions : celle de collecter les fonds et celle de dispenser de la formation.

Cela vous paraît-il être quelque chose de sain ou la formation professionnelle ne serait-elle pas d’une meilleure qualité et l’utilisation des fonds plus efficiente s’il y avait séparation stricte entre les deux fonctions de collecteur, d’une part, et de dispensateur de formation, d’autre part ?

Ma seconde question concerne la taxe d’apprentissage. Avez-vous le sentiment qu’aujourd’hui les circuits de financement de collecte et d’utilisation de la taxe d’apprentissage sont efficients par rapport aux besoins du pays et par rapport à l’évolution de notre système de formation, notamment de formation en alternance, avec l’importance qu’il prend de plus en plus ? La répartition est-elle juste ? Si vous aviez quelques pistes à tracer pour nourrir notre réflexion, quelles pourraient être ces pistes en matière de taxe d’apprentissage ?

M. le Président : Quel est votre position sur le Fonds national interconsulaire de compensation (FNIC) ?

M. André RAMOFF : Sur la première question de M. Berson, mon sentiment rejoint ce que je crois être son propre sentiment. C’est que les deux fonctions devraient être complètement séparées et qu’il est certainement malsain d’autoriser le cumul de la collecte et de la consommation des fonds.

Sur l’évolution de la taxe d’apprentissage, je crois personnellement qu’un excès de libéralisme gouverne cette matière et que les collecteurs sont sollicités par des forces antagonistes d’importance inégale et qui font que la répartition que l’on peut observer a posteriori ne correspond probablement pas aux besoins tels que personnellement je les hiérarchiserais. Mais nous sommes dans un domaine extrêmement subjectif et peser les besoins et les mérites respectifs des degrés ou des structures d’enseignement est un exercice trop délicat pour que je m’y abandonne davantage.

Mme Nicole CATALA : On observe actuellement une montée en puissance de l’apprentissage à des niveaux de qualification bac, bac plus deux, et même, pour des promotions encore limitées, à des niveaux bac plus quatre. Cette tendance répond aux besoins de certains secteurs de l’industrie mais va probablement se traduire par un assèchement des recettes d’un certain nombre d’organismes dispensant des formations supérieures et qui vivent de la taxe d’apprentissage. Je pense à certaines écoles et à certaines formations universitaires comme les DESS qui vivent de la taxe d’apprentissage pour une très large part. Que pensez-vous de cette évolution ? Etes-vous favorable à ce développement de l’apprentissage pour l’enseignement supérieur ? Ne craignez-vous pas des déséquilibres ?

M. André RAMOFF : Je distinguerai, Madame, deux parties dans la question. Personnellement, je crois cette évolution positive. Mais, en effet, les risques de perturbation des circuits de financement, et par voie de conséquence des structures d’enseignement, sont tout à fait importants et appellent des réponses appropriées.

Mme Nicole CATALA : Lesquelles ?

M. André RAMOFF : Cette évolution me paraît positive pour deux raisons.

D’abord, pour de nombreuses formations, il y a vraisemblablement un enrichissement à attendre de l’alternance, et cet enrichissement n’est pas cantonné au plus bas niveau de qualification. C’est ce que nous montrent là encore nos voisins allemands. De nombreuses formations d’ingénieurs se font en alternance et sont en fait fréquentées par des gens qui ont d’abord une formation ouvrière et qui ont donc eu un cheminement, un cursus de formation très différent de ceux que l’on observe chez nous. Les résultats sont illustrés par les performances de l’économie allemande. Ils ne sont pas mauvais.

Deuxième avantage, c’est bien sûr l’accès à l’emploi. Il est clair que la passerelle vers l’emploi est mieux assurée lorsque l’entreprise connaît les jeunes gens, pour les avoir formés et les avoir vu vivre en leur sein pendant plusieurs années.

Je crois donc que cette évolution est positive.

Mme Nicole CATALA : Ils peuvent utiliser les contrats de qualification pour cela.

M. André RAMOFF : Oui, tout à fait. J’ai eu le tort de parler d’apprentissage. J’aurais dû dire formation en alternance, supposant partage des responsabilités entre le système éducatif et l’entreprise et partage du temps selon un schéma d’alternance, infiniment variable, entre la structure éducative et la structure de production.

Mais dès lors que l’on s’engage dans cette voie, on ne peut pas éluder indéfiniment les questions de fond que pose la coexistence des formations en alternance et des accords nationaux interprofessionnels de l’apprentissage hérités d’une longue histoire. On ne peut pas laisser de côté les questions que pose l’excès de libéralisme de l’affectation de la taxe d’apprentissage, dès lors qu’elle est complètement perturbée par l’entrée en scène, ainsi que j’ai pu le comprendre dans votre propos, d’institutions nouvelles fort bien placées pour obtenir un branchement privilégié sur ces circuits de financement.

En bref, accepter le développement de formations alternées à des niveaux de qualification supérieurs au niveau 5, monter très haut, comme on le fait actuellement, solliciter les entreprises pour venir appuyer beaucoup plus que par le passé, non seulement pédagogiquement mais financièrement, l’effort des pouvoirs publics, implique nécessairement une réflexion de fond sur le financement et sur le partage des rôles.

Un jour ou l’autre les effets pervers seront tellement redoutables que les hésitations que l’on a probablement à se saisir de ce dossier, extrêmement désagréable par beaucoup d’égards, devront être surmontées parce que les inconvénients de la passivité l’emporteront sur ses avantages.

M. le Rapporteur : Un sujet n’a pas été abordé alors même qu’il est central pour les travaux de cette Commission.

En tant que Délégué à la formation professionnelle, vous aviez non seulement la partie des « deniers publics réglementés » — pour reprendre votre très bonne expression — mais aussi la partie des deniers publics, tout court. Que pensez-vous du circuit d’utilisation de ces derniers ? Vous paraît-il aller dans le sens d’une bonne utilisation des deniers publics aussi bien en ce qui concerne l’Etat que les collectivités territoriales publiques ?

M. André RAMOFF : Il y a deux parties dans votre question.

Je n’ai pas vu — peut-être est-ce à tort — de mauvais emploi de fonds au sens où la Cour des comptes, ou a fortiori des institutions encore plus redoutables, pourraient avoir à froncer les sourcils. Les contrôles n’ont jamais entraîné de tempête parce qu’il n’y avait pas matière à tempête.

En revanche, s’agissant du bon emploi des fonds au regard des objectifs généraux du pays, personnellement j’ai de grandes réserves.

Je considère que, au fil du temps, l’évolution de l’économie fait que les ambitions assignées à la politique de la formation professionnelle ont profondément évolué et que l’on a poussé trop loin probablement la réduction d’ambition de cette politique et son instrumentalisation.

Réduction d’ambition : je veux dire par là que l’on a perdu en route la promotion sociale et un certain nombre d’idées qui étaient dans la loi Debré de 1959 — pour se référer aux grands ancêtres — et qui étaient encore dans la loi de 1966 que l’on connaît bien. Elles étaient encore dans la loi de 1971, alors qu’elles n’existent maintenant pratiquement plus que dans les mots.

« Instrumentalisation » : en ce sens que la politique de formation professionnelle a été de plus en plus considérée comme un simple instrument de la politique de l’emploi et que l’on a perdu de vue ses objectifs propres, c’est-à-dire apporter à l’économie, globalement considérée, aux entreprises et aux travailleurs de tous niveaux — serviteurs et acteurs des entreprises — un surcroît de qualification indispensable au progrès du pays. On a considéré la formation professionnelle dans l’une de ses dimensions les plus immédiatement rentables, sans s’apercevoir que la recherche, durant vingt ans de suite, de la rentabilité à trois mois risque d’entraîner une absence de rentabilité mortelle à dix ou à vingt ans. Voilà le sentiment que j’éprouve, en étant un peu « carré » dans le propos. Probablement faudrait-il nuancer considérablement.

J’ai l’impression que les quelques ouvertures vers la qualification réalisées en 1981 à l’initiative de M. Bertrand Schwartz, mais pas lui seulement, et reprises quelques années plus tard, n’ont jamais été jusqu’au bout de la logique. Pendant ce temps, les Allemands, beaucoup cités aujourd’hui, mettaient l’accent sur la qualification et nous essayions de courir derrière les besoins au jour le jour de la politique de l’emploi. On n’a finalement pas qualifié nos jeunes et on a dispensé des formations souvent trop insuffisantes en durée, en intensité et en qualité pour que ces jeunes soient réellement ceux dont l’économie avait besoin.

M. le Rapporteur : Pour résumer votre pensée, on aurait privilégié la politique de l’emploi au détriment de la politique de qualification.

M. André RAMOFF : Oui, mais je compléterai de quelques mots.

Je veux dire que la politique de l’emploi elle-même a peut-être été moins bien servie par ce détour qu’elle ne l’aurait été — pour mettre les points sur les i — par des aides directes à la création d’emplois. Or, on a habillé en stagiaires des personnes qui, en fait, vieillissaient à l’ombre d’un stage, qui ne se sont pas qualifiés et qui n’ont pas apporté à l’entreprise le concours qu’elle était en droit d’attendre.

M. Germain GENGENWIN : Une bonne formation professionnelle ou une bonne formation continue se greffent sur une bonne formation initiale. Encore ne faut-il pas oublier cette formation initiale. Nous ne pouvons pas traiter de la même façon la formation continue et l’intégration de ceux qui ont échoué dans le système scolaire. Il s’agit là de deux mondes tout à fait différents et il convient de bien faire la distinction de ces deux publics. Peut-être faudra-t-il d’ailleurs consacrer une réunion à ce problème.

M. Jean-Michel FOURGOUS : Un chef d’entreprise peut affirmer qu’il maîtrise globalement plus de 90 % de son budget ou de son chiffre d’affaires. Il en maîtrise à peu près l’efficacité, la qualité ou l’excellence et il a une stratégie pour gérer cet argent. Vous-même, à quel chiffre fixez-vous, même un peu « naïvement », si je puis dire, ce pourcentage de maîtrise ? Quel est l’impact de cet argent ? Avez-vous l’impression que l’on en maîtrise au moins un tant soit peu l’efficacité ? Concrètement, a-t-il par exemple servi à des adolescents pour leur insertion ? Il n’y a pas de progrès sans évaluation. On ne peut pas aujourd’hui oser utiliser et maîtriser un franc — qui plus est vient de l’entreprise — sans avoir un outil d’évaluation qui permette d’avancer que l’on maîtrise 20, 30, 50 % de cet argent.

M. André RAMOFF : Monsieur le député, si l’on prend le compte de la formation, tous financements confondus, public et privé, on arrive à peu près — « à la louche », si je puis dire — à la ventilation suivante, pour un total de 100 : 60 sont consacrés à la formation des salariés ; 20 à la formation des demandeurs d’emploi et 20 aux formations d’insertion que rappelait M. Gengenwin.

Les 20 et 20 qui vont aux demandeurs d’emploi et aux jeunes à la recherche d’une première insertion professionnelle sont pour l’essentiel des fonds publics — des fonds d’Etat devrais-je dire — et ils sont dépensés dans le cadre de la politique proposée par le Gouvernement, approuvée par le Parlement et dont l’évaluation est sans doute insuffisante. C’est une des faiblesses générales de notre pays que de mal évaluer l’efficacité des actions qui y sont conduites.

Mais l’évaluation a quand même eu lieu. Il y a eu périodiquement des enquêtes, notamment de la Direction de la prévision du ministère des finances, sur l’efficacité comparée de l’utilisation des exonérations de charges sociales, des aides directes à l’emploi, des dépenses de formation pour améliorer l’emploi des jeunes. Des questions de ce type ont été posées et elles ont obtenu des réponses, bien entendu plus ou moins bonnes et plus ou moins convaincantes, mais tout cela n’a pas été abandonné au hasard.

Pour les 60 autres pour cent consacrés à la formation des salariés des entreprises, c’est à ces dernières que la question doit être posée.

L’Etat intervient de trois façons.

Tout d’abord, en fixant le cadre juridique général, soit qu’il le construise par la loi, soit plutôt qu’il le valide, la construction ayant été faite par les partenaires sociaux dans le cadre d’un accord négocié que le législateur vient reconnaître comme applicable à tous. C’est la première intervention de l’Etat : tracer le cadre.

Deuxième intervention de l’Etat : inciter les entreprises à aller dans un certain sens plutôt que dans un autre. Pour cela, l’instrument est assez modeste. C’est la dépense publique à travers les politiques, évoquées tout à l’heure, d’engagements de développement de la formation, de contrats d’études prévisionnelles et diverses initiatives de ce type. Mais c’est le levier d’Archimède. Je n’ai plus les ordres de grandeur tout à fait en tête. Face à cette soixantaine de milliards de francs de dépenses d’entreprises, les crédits d’Etat ayant cet effet de levier, c’est moins d’un milliard. Le rapport est de 1 à 50 ou de 1 à 100 !

Troisième incitation, le contrôle. Nous sommes au carrefour avec un sifflet ! Si quelqu’un brûle le feu rouge, on siffle ! S’il va trop vite, on siffle aussi ! S’il est arrêté au milieu du carrefour et provoque un embouteillage, on va voir ce qui se passe : cela s’appelle l’aide au conseil.

Voilà en gros ce que je peux dire. C’est un système pluraliste. Il n’y a pas une sorte de responsable unique, aussi facilement identifiable que l’on peut le faire dans d’autres domaines et où je ne me risquerai pas. Par exemple, on voit à peu près qui est l’auteur de la politique de défense. Il en va de même pour l’éducation nationale : il y a un ministre de l’éducation nationale. La formation professionnelle n’a d’abord pas de ministre particulier. Il y a un ministre du travail, de l’emploi « et de la formation professionnelle » alors qu’il y a un ministre de l’Education nationale ! Mais il y a surtout le patronat, les syndicats, les chambres de commerce qui ont un mandat qu’ils tirent de la loi et qui leur donne un pouvoir de peser sur les choses et de participer à la définition des politiques. Ce n’est pas une usurpation mais c’est une volonté des pouvoirs publics eux-mêmes.

M. le Président : Si je vous comprends bien, vous êtes assez pessimiste quant à la maîtrise, ou plutôt quant à la non-maîtrise d’une partie de ces sommes d’argent.

Vous avez évoqué la multiplicité des compétences financières qui s’entrecroisent et qui s’enchevêtrent souvent. C’est tout le problème de l’interministérialité.

Aujourd’hui cette interministérialité répond-elle encore à un besoin ? La compétence financière de la Délégation à la formation professionnelle est-elle réelle en matière de contrôle des sources de financement de la formation professionnelle ?

M. André RAMOFF : Monsieur le Président, je ne crois pas être pessimiste. Je crois être raisonnablement optimiste.

M. le Président : Fataliste ?

M. André RAMOFF : Pas le moins du monde ! Nous sommes devant des questions très compliquées pour tous les pays du monde.

Je me suis occupé durant un an et demi de coopération avec l’Europe centrale et orientale. Je vous assure que nos questions à côté de celles des Polonais, des Tchèques ou des Russes sont réellement réconfortantes. Les Allemands, les Italiens, les Belges et les Anglais se posent aussi des questions qui troublent leurs soirées et parfois leurs nuits. Je ne crois pas être trop pessimiste. Les choses sont compliquées et difficiles partout. Pour faire bref, je dirai que nous ne nous en tirons pas plus mal que les autres. Ma conviction est vraiment celle-là.

Par ailleurs, je reste personnellement extrêmement attaché aux bases de notre système : le pluralisme.

Je crois que ce serait une totale erreur de donner tout pouvoir à l’Etat en la matière car c’est d’abord pour l’entreprise que la formation s’exerce et pour ceux qui vivent et produisent dans les entreprises. Ceux qui mieux que personne savent de quoi les salariés ont besoin, ce sont les salariés des entreprises eux-mêmes. Certes, l’Etat a une responsabilité éminente et il ne faut pas la nier. Mais le partage des responsabilités est dans l’ordre des choses, tout comme la décentralisation est dans l’ordre des choses.

Personnellement, je me suis réjoui en voyant l’évolution que la récente loi quinquennale réalise dans le domaine de la décentralisation en conférant un pouvoir plus grand aux collectivités territoriales.

Je ne suis donc pas pessimiste. Le sujet est difficile et compliqué. A la marge, il y a beaucoup d’aménagements à faire et beaucoup d’améliorations à apporter au système. Mais je n’en tirerai pas comme conséquence qu’il faut tout rejeter en bloc, au motif qu’il a fait son temps ou qu’il est inadapté. Certes, j’ai une interrogation sur l’obligation légale et sur la possibilité d’y substituer autre chose mais pas de renoncer à inciter les entreprises à agir. Si l’on y renonçait, la machine s’arrêterait dans des parties entières du parc.

Je crois l’interministérialité toujours nécessaire, ne serait-ce que parce que les finalités à conjuguer sont assez complexes et jusqu’à un certain point contradictoires. Il y a une première tentation extrêmement forte dans la période de sous-emploi tragique que nous connaissons depuis tant d’années. C’est d’instrumentaliser la politique de formation, c’est-à-dire d’en faire exclusivement l’auxiliaire de la politique de l’emploi et de réduire ses ambitions au court terme. Il est donc important que quelque part des gens affirment l’existence d’autres objectifs dans une société comme la nôtre. L’emploi est vital pour les hommes mais il y a d’autres objectifs qui font que l’on est heureux d’être français plutôt qu’autre chose, sachant que notre pays apporte un certain nombre de contributions au progrès collectif des uns et des autres.

Il faut que ces diverses préoccupations soient confrontées, qu’un arbitrage entre elles soit proposé aux autorités politiques supérieures. Cela implique que quelque part une fonction interministérielle soit exercée, qui permette de dire qu’il a, d’une part, l’évolution de l’emploi, mais de l’autre celle que le système éducatif incarne. Puis il y a des représentations sectorielles que le ministère de l’industrie, celui de l’agriculture ou d’autres représentent également de façon parfaitement valable. Cette fonction me paraît nécessaire. Je la verrai personnellement beaucoup plus légère qu’elle n’est peut-être devenue au fil du temps. Par une sorte de dérive, l’administration de la formation professionnelle est devenue progressivement un peu moins une instance de préparation d’arbitrages, de rapprochement des points de vue, pour s’engager sans cesse plus avant dans la gestion. A partir de là elle a probablement modifié de façon excessive son rôle ; elle a banalisé son intervention et elle a perdu en route une partie d’interministériel pour devenir une administration gestionnaire, comme beaucoup d’autres.

Il faudrait revenir un peu à l’héritage historique, non seulement celui de Jacques Delors et de Jacques Chaban-Delmas il y a vingt ans, mais, avant eux, celui de la loi de 1966 et celui de Michel Debré et de Pierre Laurent.

M. Germain GENGENWIN : J’ai voulu souligner une absurdité. Ces dernières années, nous avons introduit la collecte obligatoire du 0,15 % pour les entreprises de moins de dix salariés : nous avons agréée 75 organismes de collecte ! C’est de la folie quand on sait que pour payer une journée de formation, il faut pratiquement la collecte de trente salariés ! Calculez ce qui se passe pour de toutes petites entreprises de un ou deux salariés et pour les artisans !

Il faut vraiment apporter des changements. Comme vous l’avez dit, l’expérience sur le terrain nous prouve qu’il faut renforcer les engagements de développement avec les régions, les branches et les autres partenaires. C’est sous cet angle un des points où la formation est la plus efficace.

M. Michel BERSON : Je veux revenir un instant sur le financement public de la formation professionnelle, notamment sur la base des programmes d’Etat ou de crédits publics à destination d’organismes privés. Les sources de financement sont multiples mais il convient de distinguer essentiellement deux grands fonds : le Fonds de la formation professionnelle et le Fonds national pour l’emploi. Cette dualité est-elle une bonne chose ? Permet-elle une bonne utilisation des fonds et un bon contrôle ou, au contraire, une fusion des deux Fonds permettrait-elle d’éviter des doublons et un contrôle plus efficace ?

Ma deuxième question a trait à l’interministérialité.

Le caractère interministériel est malheureusement de moins en appuyé et de moins en moins fort depuis quelques années. Cependant, le ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle concentre l’essentiel des crédits, quand bien même ces crédits sont utilisés par d’autres ministères puisqu’ils transitent par le ministère du travail. Est-ce que ce transit permet une meilleure utilisation, un meilleur contrôle ? Ou ne s’agit-il que d’un jeu d’écritures de pure forme ? Ne revient-il pas simplement à alourdir les dispositifs administratifs et à donner davantage de pouvoirs au contrôleur financier ? Ou au contraire, a-t-il un réel impact sur la politique de formation professionnelle ?

M. Germain GENGENWIN : Je puis citer un exemple sur ce point. La DRFP dans les régions dispose de crédits pour faire un bilan concernant les salariés. L’ANPE, en revanche, dispose, elle, de « fonds d’évaluation ». C’est une autre appellation. Très souvent, elle n’arrive pas à les utiliser car ils sont pris par un autre chapitre. C’est vraiment une absurdité à laquelle on se heurte sur le terrain : deux lignes budgétaires différentes sont pratiquement en concurrence.

M. le Rapporteur : Plaçons dans le futur immédiat, puisqu’une loi a tracé des cadres directeurs pour l’avenir, notamment dans le cadre de la décentralisation régionale : quel pourrait être dans ce circuit nouveau le rôle de la DFP ?

M. André RAMOFF : S’agissant du Fonds de la formation professionnelle et du Fonds national pour l’emploi, il est vrai que nous sommes actuellement devant un désordre apparent qui, malheureusement dans un certain nombre de cas, est un désordre réel. L’Etat, à travers plusieurs services et à travers plusieurs circuits de financement, propose aux usagers des produits que seule une sagacité véritablement exceptionnelle serait en mesure de distinguer les uns des autres. Cela ne peut qu’embrouiller les choses, alourdir le fonctionnement de l’administration et probablement nuire à l’efficacité de l’ensemble.

Faut-il pour autant fusionner l’ensemble ? Je crois qu’il y a un partage des rôles à opérer et à respecter. Il y a place pour deux grandes structures de financement mais il y a sans doute matière à écheniller tout cela, à regrouper au Fonds national de l’emploi tout ce qui est lié à l’action directe sur l’emploi, à savoir non seulement la formation des demandeurs d’emploi mais ce qui concerne aussi les situations d’entreprises en difficulté. Tout ce qui touche à la conversion et à la restructuration industrielle me paraît relever du Fonds national de l’emploi parce qu’il y a combinaison de la politique de la formation et de toutes autres formes d’intervention : les pré-retraites, l’essaimage d’entreprises, etc. Il est nécessaire qu’un même opérateur dispose d’un clavier d’interventions variées et puisse faire de la formation, sans que quelqu’un d’autre vienne lui expliquer comment il faut faire.

A côté de cela, ce Fonds mène des actions qui sont plus directement de formation. Je pense à ce qui se fait avec les entreprises qui ne sont pas en difficulté mais qui sont à la recherche de voies nouvelles. Il y a là un champ assez différent qui me paraît relever plus spécifiquement de la formation professionnelle, comme pourrait relever plus particulièrement de celle-ci et du Fonds qui véhicule ces interventions, tout ce qui est construction d’une sorte de logistique globale.

Je réponds un peu à la question de M. le Rapporteur sur le rôle possible d’une Délégation à la formation professionnelle dans l’avenir. Dès lors qu’il y aurait une décentralisation plus large et loyalement appliquée, un partage du pouvoir entre les acteurs économiques, il me semble qu’il y a besoin quelque part d’une sorte de gros bureau d’étude et éventuellement d’un « condominium » qui ne soit pas forcément la chose de l’Etat seul. Peut-être faut-il imaginer je ne sais quoi de très nouveau, mais qui puisse se livrer à des études, à des comparaisons financières, à des expériences pédagogiques sans que tel élu ou telle ou telle institution engagée dans l’action aille jusqu’à y perdre le sommeil, jusqu’à avoir l’impression de se diluer et de s’occuper de choses accessoires. Il pourrait aussi entretenir des relations internationales, voir ce qui se passe chez nos voisins et ainsi de suite.

Je pense à un certain nombre de fonctions de ce type qui relèvent de l’administration de mission et qui valoriseraient complètement la dimension interministérielle. Elles me paraissent devoir être exercées quelque part. Cela implique que les structures en charge de ces responsabilités ne soient pas dans le même temps enfoncées dans la gestion jusqu’à être en concurrence avec d’autres structures, perdre leur liberté d’action et je n’ose pas dire leur identité, mais c’est un peu le risque.

Enfin, M. Berson a évoqué le transit de crédits par le ministère du travail. Il sait bien pour avoir été rapporteur de ce budget pendant de nombreuses années qu’à l’origine du système, il y avait une notion d’enveloppe de la formation professionnelle. Aussi étaient juxtaposés et proposés ensemble à l’appréciation du Parlement, d’une part, les crédits regroupés dans le Fonds de la formation professionnelle — un chapitre-réservoir d’où les crédits étaient redistribués pratiquement à toute l’administration française — et, d’autre part, des crédits dont, pour des raisons diverses, la maîtrise avait été laissée directement aux ministères intéressés. Je pense au ministère de l’éducation nationale qui avait en propre des crédits importants qui n’étaient pas dans le Fonds de la formation professionnelle mais aussi, plus modestement, au ministère de la justice, gérant en dehors du Fonds les actions de formation aussi bien des avocats que des personnels de l’administration pénitentiaire. Les exemples sont assez nombreux et il y avait une vingtaine de rubriques, je crois, en dehors de ce fonds.

Le transit par le ministère du travail reste nécessaire si l’on veut qu’il y ait quelque part une possibilité d’arbitrage entre des sollicitations que l’on ne peut pas toutes satisfaire et qui font que si chaque ministère allait discuter son « bout de domaine » avec le ministère des finances, on aurait une sorte de mosaïque de moins en moins harmonieuse, probablement des doubles emplois et peut-être aussi dans le même temps des pertes de fonction de l’Etat.

Je crois donc que le système actuel, dans ses grandes lignes, n’est pas véritablement critiquable.

M. le Président : Vous avez évoqué à l’instant la régionalisation de la formation professionnelle. Quelle est votre opinion sur ce point ? Jusqu’où peut-on aller ? Jusqu’où ne faut-il pas aller ? A quoi ne faut-il pas toucher ?

En corollaire, s’agissant d’une décentralisation de la formation professionnelle, pensez-vous que les régions actuelles sont des entités géographiques optimales ? Ne faut-il pas prévoir plutôt une sorte de collaboration entre des groupes de régions, en fonction de certains grands bassins d’emploi ? Pensez-vous qu’une décentralisation qui se limite administrativement aux régions actuelles apporte effectivement ce qu’on en attend, sous l’angle de l’amélioration des structures et de leur efficacité ? Quel sera le rôle de l’Etat ? Des disparités entre les politiques apparaîtront. L’Etat pourra-t-il assurer une correction de ces disparités ? Par exemple, il existe aujourd’hui un Comité de coordination des programmes régionaux d’apprentissage et de la formation professionnelle. A-t-il les moyens d’assurer une cohérence des politiques régionales avec celle de l’Etat ?

M. Michel BERSON : La loi quinquennale est votée !

M. le Président : Je voudrais avoir l’avis de M. Ramoff, mon cher collègue. Je connais le vôtre !

M. le Rapporteur : Il faut appliquer la loi !

M. Michel BERSON : Tout le débat est là !

M. le Président : La régionalisation est en cours ; elle n’est pas figée. Vous savez très bien qu’une régionalisation figée serait une mauvaise chose et elle serait condamnée.

J’observe en tout cas que, dès que la régionalisation est mise en avant, les langues se délient et les esprits s’échauffent.

Le Gouvernement nous a promis un rapport pour la fin du mois de mars et nous aurons à en connaître au sein de notre Commission.

Monsieur Ramoff, vous êtes un vieux soldat de la formation professionnelle. Quel est votre sentiment sur les points que je viens d’évoquer ?

M. André RAMOFF : Jusqu’où peut-on aller ou jusqu’où ne peut-on pas aller ? Je répondrai plutôt au deuxième terme de votre interrogation.

Personnellement, je vois deux limites.

L’une est purement technique. Un certain nombre de formations sont dispensées à un petit nombre de personnes, concentrées en un point unique du territoire ou dans un petit nombre de points. Je pense à la région Alsace. Le centre de Mulhouse accueille des handicapés venant de toute la France. Faut-il que ce soit l’Alsace qui en ait la responsabilité administrative et financière ? Nous pouvons discuter de ce point. Elle est en tout cas très heureuse d’accueillir ces personnes sur son sol. Il est du devoir du pays de former aussi des populations moins recherchées, si je puis dire, par les collectivités territoriales.

L’autre limite, c’est l’existence de formations très directement liées à l’emploi. Il s’agit de celles qui ont été évoquées tout à l’heure en réponse à la question de M. Berson et que, personnellement, je verrais bien maintenues ou rattachées au Fonds national de l’emploi parce que je vois mal un Gouvernement, quel qu’il soit, responsable devant l’opinion de la situation de l’emploi, ne pas disposer de façon assez directe d’un instrument majeur de la politique qu’il mène pour combattre le chômage.

En revanche, personnellement, je verrais assez bien une décentralisation très large de pratiquement tout le reste de ce qui est dans la loi quinquennale et sans doute d’un certain nombre de choses qui n’y sont pas mais dont je vois personnellement pas de raison d’ordre technique ou d’un autre ordre absolument majeur pour les soustraire à la régionalisation qui me paraît, dans son principe, une bonne chose.

Dans quel cadre doit-être organisée la régionalisation ? Vous avez posé la question, Monsieur le Président, et il est vrai que les régions sont très inégales à tous égards. Inversement, j’ai peine pour ce qui me concerne à imaginer une politique qui ne soit pas enracinée dans un espace auquel correspond un pouvoir. Or la région est une réalité. Il y a un Conseil régional, un président, des services organisés pour mettre en œuvre une politique. Dès que l’on s’échappe d’un cadre aussi clairement tracé sur la carte, je crains que l’on n’arrive à des affaires un peu plus compliquées et peut-être moins efficaces.

Certes, il y a des exemples inverses, je n’en disconviens pas. Ma réaction première serait tout de même celle-là : réussissons la régionalisation ; nous n’avons fait qu’une partie du chemin et nous verrons plus tard s’il y a matière à rechercher je ne sais quelle autre formule.

J’en viens maintenant au rôle de l’Etat. L’Etat peut et doit corriger les disparités et il a deux instruments pour le faire. Le premier, c’est la loi. Un certain nombre de principes généraux applicables sur l’ensemble du territoire peuvent être exprimés qui prévaudront sur l’infinie diversité des politiques régionales. Cela se fait dans beaucoup d’autres domaines de l’activité publique. La formation peut obéir à ce principe. L’autre élément de correction, c’est l’argent. C’est la correction des inégalités naturelles de richesses par des mécanismes de péréquation et de redistribution que l’on peut toujours envisager.

M. le Président : Dans une régionalisation telle que vous nous la proposez, l’argent affecté à la formation professionnelle pourrait-il être mieux utilisé ?

M. André RAMOFF : D’une façon générale, plus on rapproche le pouvoir de ceux pour lesquels il s’exerce et qui souffrent de son mauvais usage, plus on a de chances qu’il s’exerce bien. Mais il y a probablement des temps difficiles qui sont ceux de la mise en place, avec des tâtonnements, des difficultés d’adaptation et de maîtrise d’instruments nouveaux. Mais je crois fondamentalement que plus le pouvoir est lointain moins il voit clair et plus il risque de mal décider. Nous sommes là dans un domaine qui touche à la vie quotidienne des personnes au travail.

C’est entre les entreprises, les syndicats et les élus proches des uns et des autres que ces affaires doivent d’abord se passer. Cela n’interdit pas à l’Etat de jouer son rôle de coordonnateur global et de prescripteur de règles de droit applicables à l’ensemble des citoyens du pays. Cela n’est pas contradictoire.

M. le Rapporteur : Dans votre esprit, vous enlevez bien la politique de l’emploi de la régionalisation ?

M. André RAMOFF : Monsieur le député, lorsqu’on a autant de chômeurs que nous en avons, je vois mal comment on pourrait accepter qu’une politique aussi sensible soit morcelée en vingt-six parties.

M. le Président : Je vous remercie, Monsieur Ramoff, de vous être livré de façon aussi ouverte et d’aussi bonne grâce à cet échange de points de vue sur le sujet qui nous intéresse. Merci de votre collaboration.



Audition de M. Michel PRADERIE,

Directeur général de l’AFPA,
accompagné de M. Denis PLASSE,
Directeur de cabinet

(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 janvier 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Michel Praderie et Denis Plasse sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Michel Praderie et Denis Plasse prêtent serment.

M. le Président : Monsieur le Directeur général, pourriez-vous nous rappeler en introduction la nature statutaire et le rôle de l’AFPA qui est l’un des principaux instruments de la formation professionnelle. Pensez-vous, en particulier, que la nature tripartite de la gestion de l’AFPA soit un frein à la prise de décision rapide ?

Je souhaiterais avoir des précisions sur l’origine des recettes de l’AFPA, notamment les recettes propres complétant la subvention versée par l’Etat.

Subsidiairement, quelles relations l’AFPA entretient-elle avec les organismes collecteurs ?

M. Michel PRADERIE : Le statut de l’AFPA est celui d’une association de la loi de 1901 dont la gestion est tripartite. L’assemblée et le bureau sont, en effet, composés de cinq représentants des organisations patronales, cinq représentants des organisations syndicales et, d’autre part, de l’Etat, c’est-à-dire de la direction du budget et de la délégation à l’emploi.

L’association est dotée également d’un commissaire du gouvernement ? traditionnellement, le délégué à l’emploi ? exerçant un droit de veto sur les décisions du bureau contraires à la politique du gouvernement ou aux missions dévolues à l’AFPA.

L’AFPA comprend 22 directions régionales qui n’ont pas la personnalité morale, à la différenee de l’association. Chaque direction régionale est chargée d’assurer les relations avec des prescripteurs ? qu’il s’agisse de l’Etat déconcentré ou des conseils régionaux ? et d’animer les centres de formation.

Par ailleurs, il existe des AFPA dans les DOM directement rattachées aux présidents de région et dans les TOM. Mais nous n’entretenons avec les AFPA des Caraïbes, de la Réunion et de Nouvelle-Calédonie que des relations de conseil, d’assistance et de prestations.

La nature tripartite des organes délibérants de l’AFPA est-elle un frein à la réactivité, ou à la rapidité de la prise de décision ? Comme dans de nombreuses associations de la loi de 1901, le partage des rôles entre la direction générale et le bureau ? il peut s’agir du conseil d’administration dans d’autres associations ? est toujours ambigu.

Il existe en pratique une certaine délégation de confiance, ou de pouvoir, à la direction générale. Les relations entre le bureau et la direction générale sont souvent des relations de compte-rendu et de discussion sur les grandes orientations stratégiques ; mais les décisions du bureau n’interfèrent pas avec les opérations de gestion relevant de la responsabilité des dirigeants.

Je ne porterai pas de jugement sur le bien-fondé politique du tripartisme, car je n’en ai pas la compétence. Je note seulement que l’organisation de l’AFPA n’est pas en contradiction avec l’histoire de l’organisation de la formation professionnelle en France. Je ne prends pas parti sur le bien-fondé du tripartisme, mais je constate que l’organisation tripartite est fréquente dans ce domaine, qu’il s’agisse du conseil de gestion de la formation professionnelle ou de divers autres comités.

Dans le cadre des débats stratégiques, les partenaires sociaux parviennent assez facilement à s’entendre sur les grandes orientations. Mais les relations de l’AFPA avec l’Etat restent assez délicates.

80 % des ressources budgétaires de l’association ? ou 75 %, cela dépend des années ? proviennent de la subvention de l’Etat votée dans le cadre de la loi de finances. La tendance naturelle de l’Etat, si l’on force le trait, est, par conséquent, de considérer qu’il détient le pouvoir.

Une telle position n’est pas conforme au pacte associatif, même si le tripartisme ne me gêne pas dans les décisions. Mais il conviendrait d’établir un choix clair entre l’Etat ou les organes délibérants pour l’exercice du pouvoir dans l’association.

Ou bien l’Etat accepte de jouer son véritable rôle parmi les trois partenaires, ou bien nous sortons du pacte associatif, ce qui correspondrait à une solution réaliste.

D’autres problèmes se posent dans les relations entre l’Etat et l’association. Le contrôle d’Etat n’est pas en soi choquant puisque des fonds publics sont en jeu. Mais il équivaut en fait à un contrôle d’opportunité plutôt qu’à un contrôle financier.

Par ailleurs, Monsieur Michel Giraud, Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, signe demain avec l’AFPA un contrat de progrès valable pour les cinq ans à venir, dont certaines stipulations préconisent le remplacement d’un système de contrôle a priori par un système de contrôle a posteriori, en vue d’améliorer la réactivité de la prise de décision de l’organisme. Le système actuel de contrôle a priori nuit, en effet, à la rapidité de la prise de décision.

Ainsi, la signature d’un contrat avec un conseil régional ou une autre autorité territoriale doit actuellement être soumise à l’accord du contrôleur d’Etat, ce qui nuit au respect des délais.

Par exemple, venant moi-même de quitter le milieu industriel, j’avais été étonné de constater que le premier contrat que j’ai eu à connaître à l’AFPA concernant la formation de salariés du groupe Peugeot, nécessitait l’accord explicite écrit de la direction du budget. Cette situation est tout à fait insupportable car le client attend une réponse rapide du directeur général de l’AFPA et ne comprend pas les raisons d’un retard de plusieurs semaines imputable au délai d’obtention de l’accord de la direction du Budget.

Hormis les rapports entre l’association et l’Etat, le tripartisme ne constitue pas une gêne pour la prise de décision. Le contrat de progrès signé demain matin devrait ainsi être de nature à supprimer certaines difficultés, si toutes les parties tiennent leurs engagements.

M. le Président : En résumé, l’Etat n’est pas toujours de nature à assurer l’efficacité de la prise de décision dans le cadre du tripartisme.

M. le Rapporteur : La nature associative de l’AFPA est assez fictive dans la mesure où 80 % de ses ressources proviennent d’une subvention budgétaire de l’Etat. Je souhaiterais connaître la provenance du reste des ressources de l’organisme et, d’autre part, savoir si vous considérez que la structure juridique et la lourdeur de gestion de l’organisme sont la source d’une mauvaise utilisation des crédits publics.

M. Michel PRADERIE : Le contrôle d’Etat ne porte pas, par nature, sur l’utilisation optimale des fonds publics par rapport aux objectifs fixés, mais sur la régularité de la consommation des crédits.

J’ai demandé la semaine dernière au bureau de m’autoriser à instaurer un système de commissaire aux comptes auprès de l’AFPA d’autant que la provenance des ressources est non seulement publique mais aussi privée. Or, le contrôle d’Etat n’est exercé par définition que sur les fonds publics. Toute la comptabilité de l’AFPA ne relève donc pas actuellement de la responsabilité du contrôleur d’Etat. L’exercice d’un contrôle financier n’est évidemment pas choquant en soi. Mais certains contrôles sont superfétatoires. En tout état de cause, un commissaire aux comptes permettait d’exercer un contrôle optimal.

Il reste que certains contrôles sont superfétatoires. Ainsi, le Parlement a adopté une subvention forfaitaire d’un montant de 3,9 milliards de F. pour 1994. C’est beaucoup. Or le directeur général de l’AFPA est soumis à un plafond d’effectifs à l’intérieur même du montant de la dotation budgétaire allouée et n’est guère en mesure de faire des économies sur les matières pour pouvoir augmenter les effectifs et la production.

Une autre forme de contrainte provient de l’autorisation accordée par la direction du budget pour honorer une commande pédagogique.

Ainsi, lorsque je suis obligé d’embaucher des personnels en contrat à durée déterminée pour honorer une commande, je suis contraint de respecter un plafond d’effectifs en contrat à durée déterminée. Dans le cadre de relations commerciales avec des entreprises privées, je suis constamment forcé de me tourner vers les autorités de tutelle, alors que les dépenses à engager sont largement gagées par les recettes encaissées.

Autant le principe du contrôle me semble tout à fait légitime, autant la forme sous laquelle il s’exerce ne garantit pas l’utilisation optimale des fonds car il est superfétatoire et source de ralentissement et de complication de la gestion.

En 1993, le montant de la subvention de l’Etat s’élevait à 3,87 milliards de F. En outre, l’Etat a restitué 153 millions de F. en provenance du Fonds social européen et près de 700 millions de recettes publiques proviennent de l’Etat déconcentré, lorsque le DRFP ou les préfets de région font des opérations s’inscrivant dans le cadre du programme PAQUE ou de celui des chômeurs de longue durée.

Enfin, l’AFPA reçoit des ressources du marché privé d’un montant de 350 à 400 millions de F. Il s’agit soit de conventions commerciales conclues avec des entreprises pour la formation continue ou la reconversion de salariés, ou d’opérations de formation en congé individuel de formation dont le financement est assuré par des organismes mutualisateurs. Mais nous considérons ces ressources comme des recettes propres dans la mesure où une démarche commerciale est entreprise en direction des particuliers ou des organismes mutualisateurs.

Le budget de 1993 peut ainsi être estimé à 5,3 milliards de F., dont 4 milliards en subvention.

Mme Nicole CATALA : Avez-vous des critères d’évaluation de l’efficacité des actions de formation dispensées par votre organisme ? Si oui, lesquels ? Quel est le niveau des formations dispensées ? Restent-elles des formations de niveau V ou le niveau est-il plus élevé ?

En règle générale, préparez-vous à un titre reconnu et vous le demande-t-on ? Etes-vous sollicités pour fournir des actions de formation qualififiante ? Enfin, quels rapports entretenez-vous avec les autres organismes de formation, notamment les GRETA ?

M. Michel PRADERIE : Madame le Ministre, j’ai repris les critères d’évaluation établis depuis longtemps par mes prédécesseurs.

Nous considérons que le rôle de l’AFPA est de conduire des gens sans emploi à l’exercice d’un emploi. Notre objectif n’est pas de former des gens, mais de leur permettre de trouver leur place dans le monde du travail par le biais de la formation et du soutien psychologique.

Notre critère d’évaluation est le taux de placement à six mois.

Les derniers chiffres dont nous disposons concernent les personnes sorties de formation pour l’année 1992 au cours de laquelle nous avons placé 72 % des 100.000 à 110.000 stagiaires si mois après leur sortie. Ce taux de placement est inférieur à celui de 1991 car les difficultés de placement augmentent en raison de la dégradation de la situation de l’emploi.

Nous mettons en place actuellement ? conformément à l’objectif du contrat de progrès ? des critères d’évaluation internes. Au total nous demandons à être jugés sur le taux de placement dans l’emploi.

Bien sûr, nous préparons à des titres reconnus par le ministère du Travail, mais dans la mesure où nous arrivons à placer des gens sans qu’ils aient de titre, nous n’allons pas nous en priver. Notre système permet à des personnes en cours de formation pédagogique de sortir du processus de formation. Si une entreprise leur fournit un emploi, il serait regrettable de les forcer à rester plus longtemps dans l’institution, quitte à ce qu’elles reviennent ensuite en formation. Le but essentiel est bien, en effet, l’accès à l’emploi.

L’AFPA forme 75 % des stagiaires du niveau V, 20 % du niveau IV et 4 % du niveau III.

Le niveau V est le premier niveau reconnu dans les conventions collectives, par exemple, dans la métallurgie. Dans certaines branches, il s’agit du niveau IV.

L’AFPA forme traditionnellement très peu de stagiaires jeunes en crédits formation individualisée.

Elle entretient des rapports concurrentiels avec les autres organismes de formation. Des accords sont conclus notamment avec les GRETA, avec lesquels il est d’ailleurs malaisé de conclure des contrats de coopération car ces organismes ne sont pas fédérés. En la matière, je suis donc obligé de m’en remettre au niveau local où, comme vous le savez, la dimension des rapports personnels prend toujours le pas sur les relations entretenues avec l’organisme.

M. le Président : Que voulez-vous dire lorsque vous dites que vous placez 72 % des stagiaires sur six mois ?

M. Michel PRADERIE : Nous enquêtons sur la situation des personnes six mois après leur sortie de stage.

M. le Président : Ces anciens stagiaires ont-ils trouvé un emploi sous contrat à durée déterminée ou indéterminée ? Leur emploi est-il stable ?

M. Michel PRADERIE : Je ne peux répondre à votre question.

Nous considérons, à tort ou à raison, qu’une personne occupant un emploi même précaire est placée. Sur ces 72 % je n’ai pas la possibilité d’établir une répartition entre les anciens stagiaires occupant des emplois stables ou précaires.

M. le Président : Les formations proposées sont-elles individuelles et leur niveau technologique vous paraît-il bien adapté ?

M. Michel PRADERIE : Ce sont des formations par groupe. Il y a donc une pédagogie collective, même si nous tâchons de prendre le plus grand compte des dimensions individuelles des stagiaires. Un des avantages du tripartisme, c’est que les diplômes et la nature des examens pour obtenir le titre sont décidés par des commissions professionnelles consultatives (CPC) composées de professionnels et de syndicalistes.

Les jurys d’examen sont composés de professionnels. Ainsi quand nous formons des stagiaires à la plomberie, ce sont des plombiers qui font passer l’examen. D’autre part, le contenu qualitatif des formations est constamment mis à jour.

En outre les formations de niveau III concernant les formations de techniciens supérieurs nécessitent un équipement industriel moderne. Le parc de machines-outils de l’AFPA représente 3 milliards de F. dont la durée d’amortissement industriel est de cinq à dix ans. Un amortissement sur dix années ? ce qui est déjà trop long pour ce type de matériel ? représente un coût annuel de 300 millions de F.

M. le Président : Ces coûts sont en moyenne comparables à ceux supportés par les CFA.

M. Michel PRADERIE : A peu près.

M. le Président : L’on constate une confusion générale du public entre les titres reconnus par le ministère du Travail et les diplômes délivrés par l’Education nationale. Les jeunes stagiaires s’imaginent toujours qu’ils auront un BTS en sortant d’une formation de l’AFPA. Or il faut être clair parce que cela peut poser des problèmes aux gens qui se présentent en vue d’une formation et qui doivent être conscients qu’ils détiendront un titre et non un BTS.

M. Michel PRADERIE : Il est difficile de comparer des choses non comparables. Les institutions sont différentes. Une année de formation à l’AFPA représente, comme dans l’industrie, 1.700 heures. En revanche, une année de formation à l’Education nationale ne représente que 900 heures.

Mme Nicole CATALA : 500 heures à peu près.

M. Michel PRADERIE : La durée de formation pour l’obtention d’un titre correspondant au BTS est de deux ans à l’Education nationale car la durée annuelle de formation est la moitié de celle dispensée à l’AFPA.

Mais la vraie question est celle du taux de placement et il est déjà satisfaisant que l’AFPA parvienne à placer des gens sortis de formation en niveau III sur des postes de techniciens supérieurs.

M. Etienne GARNIER : Je suis content de rencontrer le directeur général de l’AFPA car le bassin d’emploi de la Loire-Atlantique, dont je suis l’élu, compte près de 20 % de demandeurs d’emploi.

Je suis étonné que vous n’ayez pas une seule fois évoqué le service public de l’emploi. Existe-t-il encore alors que l’AFPA en était l’un des principaux éléments institutionnels ?

Vous n’avez pas non plus apporté de précision sur la procédure régionale de contractualisation des actions de l’AFPA.

Par ailleurs, je constate ? ce qui est rassurant et consternant à la fois ? que le nom du directeur régional de la formation professionnelle est peu connu à la différence du directeur d’un centre local de l’AFPA considéré comme un véritable interlocuteur.

Enfin, ne pensez-vous pas qu’il est nécessaire que des règles partenariales soient applicables à l’évaluation pédagogique et à l’évaluation financière ?

Vous demandez, comme nous tous, l’introduction de contrôles a posteriori mais je souhaiterais aussi une contractualisation avec les collectivités régionales et départementales.

Je suis étonné d’apprendre que le rôle de l’AFPA n’est pas de former les gens et je doute que le taux de placement des stagiaires de l’AFPA soit de 72 % six mois après la période de formation. Je regrette le manque de réflexion sur les niveaux et sur l’adaptation des niveaux de formation aux métiers dans la mesure où les formations expérimentales en cours sont souvent sans débouchés réels.

M. Michel PRADERIE : Je n’ai pas parlé de la contractualisation avec les autorités territoriales parce que jusqu’à présent elle se faisait de façon active en matière d’équipement.

Vous ne pouvez reprocher, en ce qui vous concerne, de ne pas tenter d’établir des relations permanentes entre l’AFPA et les conseils régionaux puisque nous avons précisément mis en place une commission des programmes permanents coprésidée par le Président du conseil régional des Pays de la Loire de façon à inscrire l’AFPA dans la logique régionale. Je n’en ai pas parlé parce que je pensais que le débat portait plus sur le fonctionnement que sur l’équipement et je souhaite que cette contractualisation qui, jusqu’à présent, était effectivement limitée à l’investissement, déborde le champ du fonctionnement.

Pour ce qui est du service public de l’emploi, la question relève de la compétence du ministre. Le contrat de progrès devrait préciser que l’AFPA fait partie du service public de l’emploi. Mais un service public n’existe que si l’on s’en sert. Ainsi, lorsqu’a été mise en place l’opération « chômeurs de longue durée », on a fait appel à l’AFPA.

La notion de service public est une notion plus politique qu’administrative. Sur le reste, je n’ai pas évoqué le rôle des DRFP, mais j’ai mentionné les compétences des services déconcentrés de l’Etat.

M. Jean-Paul ANCIAUX : L’AFPA a une ancienneté, une expérience et un savoir-faire que vous avez démontrés en rappelant l’importance du taux de placement en entreprise six mois après une période de stage. En résumé, trois publics souhaitent suivre une formation professionnelle pour l’accès à un emploi : les jeunes, les chômeurs et les salariés. Quel est, à votre avis, le public bénéficiant le plus des fonds de la formation professionnelle ?

A votre avis, sur quel public l’incidence de l’affectation des fonds de l’ensemble des financeurs est-elle la plus élevée ?

M. Michel PRADERIE : Votre question est difficile. Si l’objectif est de fournir aux gens un emploi, il est clair, en tout état de cause, que c’est la formation donnée aux salariés. Vous me direz d’ailleurs que, dans ce cas, le problème ne se pose même pas.

Mais je vous répondrai en qualité d’ancien responsable d’un groupe industriel. Je considère que les sommes dépensées pour la formation professionnelle, qui représentent plus de 40 milliards de F. en 1992, nécessitent une rationalisation pour pouvoir être plus utiles. Le produit de la formation est un peu difficile à évaluer pour une entreprise et beaucoup d’entre elles ne maîtrisent pas tout à fait le cahier des charges.

Par ailleurs, dans le cadre de la législation actuelle, les PME ne profitent pas réellement du système de formation professionnelle des salariés. Cela ne tient pas au désintérêt des chefs d’entreprises pour la formation professionnelle, mais à la perturbation occasionnée sur la bonne marche de l’entreprise par l’envoi en stage d’un salarié. Du fait que la moitié des emplois sont dans les entreprises de moins de 50 salariés, tout l’argent versé par les entreprises n’est pas utilisé de façon optimale, sans que l’on puisse les en tenir responsables. Il faut sans doute inventer des systèmes de mutualisation ou de remplacement des salariés partis en formation, à l’instar de ce qu’ont fait certains agriculteurs.

Le marché de l’offre de la formation professionnelle est complètement atomisé. Les organismes de formation sont fragiles et volatiles.

L’AFPA, quant à elle, réalise 43 % de la formation financée par l’Etat pour les chômeurs. Cette action est bien entendu d’autant plus efficace qu’il y a plus d’emplois.

Le taux de placement n’est pas, en principe, un critère de qualité des organismes de formation.

Il est probable que l’Etat, à mon sens, intervient trop peu dans la formation en faveur des publics fragiles des entreprises puisque le montant des crédits relatifs aux conventions de formation et d’adaptation du FNE est seulement de 125 millions de F. C’est microscopique par rapport aux 45 milliards affectés par les entreprises à la formation de leur personnel.

De ce point de vue, des progrès restent à accomplir. Certes un effort est déjà réalisé grâce aux engagements de développement de la formation dans les branches, mais les actions actuellement financées par les fonds publics d’aide à la formation des chômeurs sont plus d’ordre curatif que préventif. Il serait souhaitable de mener une réflexion visant à améliorer les actions de prévention du chômage, ce qui permettrait de diminuer le nombre de chômeurs de longue durée.

A la lumière de l’expérience des opérations PAQUE, en faveur des jeunes chômeurs de longue durée, le problème ne me semble pas découler d’une insuffisance de formation professionnelle proprement dite, mais me paraît plutôt nécessiter une « reconstruction » psychologique des personnes victimes du chômage de longue durée. En effet, un certain nombre d’actions relèvent, dans cette perspective, de l’action sociale, voire de l’action médicale plutôt que de la formation professionnelle. Il convient donc d’instituer des programmes d’intervention globaux.

Il existe déjà des institutions ayant cette compétence. Beaucoup d’argent a été dépensé pour les jeunes, pas seulement dans le domaine de la formation professionnelle, mais aussi, en ce qui concerne l’orientation avec le concours du réseau des missions locales. Il faut, à l’échelon régional ? c’est un point tout à fait positif de la loi quinquennale ?, un maître d’œuvre pour la formation des jeunes, quitte ensuite à ce que les conseillers régionaux décentralisent leurs compétences à l’intérieur du territoire régional.

La diversité des situations lourdes et individuelles nécessiterait même un maître d’œuvre placé à un échelon territorial inférieur à celui de la région.

Mme Nicole CATALA : Il ressort de vos propos que les deux tiers environ des chômeurs formés à l’AFPA occupent ensuite un emploi de niveau V, ce qui ne me semble pas conforme au comportement des grandes entreprises recrutant peu à ce niveau.

M. Michel PRADERIE : 75 % des stagiaires de l’AFPA sont en niveau V et sur l’ensemble des niveaux de formation, 72 % accèdent à un emploi.

Mme Nicole CATALA : Disons plus de 50 %.

Les employeurs des grandes entreprises déclarent ne plus être intéressés par ce niveau, ce qui explique d’ailleurs que les jeunes sortant du système éducatif à ce même niveau ne trouvent désormais plus d’emploi. En effet, le nombre de jeunes chômeurs titulaires d’un CAP est considérable.

Pouvez-vous nous préciser si les personnes de niveau V sont embauchées dans les PME, ce qui révèlerait que les PME profiteraient bien plus du système que vous ne le laissez entendre ?

M. Michel PRADERIE : Aucun grand groupe n’embauche actuellement. L’essentiel de nos stagiaires de niveau V ? je ne parle pas du niveau III dont le taux de placement est de 100 % ? sont embauchés dans les PME, et même chez des artisans.

Ceci n’entre pas en contradiction avec ce que je disais tout à l’heure. J’observais que la loi contraint les PME à une obligation de dépenses en matière de formation professionnelle de leurs salariés, mais qu’elles ne sont pas dans des conditions leur permettant de dépenser cet argent sans considération de leur production.

M. Francisque PERRUT : Votre budget est énorme. Pouvez-vous nous préciser les montants affectés à la formation proprement dite et ceux affectés au fonctionnement et aux investissements de l’AFPA ?

M. le Rapporteur : L’AFPA apparaît comme une institution extrêmement lourde, peu facile à diriger, et pas toujours sensible à la demande du marché, et mérite d’être réformée dans ses structures. Pourquoi l’AFPA resterait-elle distincte de l’ANPE ? Comment concevez-vous la décentralisation, notamment financière ? D’autre part, nous souhaiterions connaître non seulement la part de votre budget consacrée au fonctionnement, mais aussi plus précisément les montants consacrés à la rémunération du personnel. Quel est le statut du personnel de l’AFPA ?

M. Michel PRADERIE : Les frais de gestion représentent 30 % de notre budget, ce qui est beaucoup trop, 20 à 25 % représenterait un niveau préférable. Les 70 % restants correspondent à la production, c’est-à-dire à la recherche ou à l’innovation.

Les frais de gestion sont surtout consacrés à la matière d’œuvre sur laquelle la marge de manœuvre est très réduite. En outre, les frais de mission sont importants dans la mesure où l’activité de l’AFPA s’étend à tout le territoire.

Le statut du personnel est un statut de droit privé. Mais si on l’examine de plus près, on observe qu’il relève d’accords contractuels comme il en existe dans toutes les entreprises, de lettres ministérielles et de contrôleurs d’Etat. Il conviendrait donc de remettre à plat ce statut juridiquement hétérogène. Mais je n’ai pas, quant à moi, la compétence juridique pour le modifier.

Le personnel souhaiterait relever d’un statut assimilé à celui de la fonction publique. Compte tenu de certaines règles établies par les autorités ministérielles, comme celle de l’indexation sur le salaire des arsenaux, des règles d’avancement à l’ancienneté, nous subissons une dérive de la masse salariale de 4,5 % par an.

On reproche souvent aux personnels de l’AFPA de percevoir des salaires extrêmement élevés atteignant le double des traitements des personnels de l’Education nationale. Ceci est dû au fait qu’une embauche d’un formateur à l’AFPA requiert au moins cinq ans d’expérience professionnelle en entreprise. Or pour être incité à quitter un emploi dans une entreprise, il faut une rémunération d’un niveau au moins équivalent. Etant rappelé que les formateurs de l’AFPA travaillent 1.700 heures par an ? ce qui n’est pas le cas à l’Education nationale ? le niveau des salaires peut certes irriter, mais s’explique. En revanche, les règles de dérapage et l’absence de maîtrise de la masse salariale sont peu acceptables.

M. le Rapporteur : Il serait intéressant de connaître le nombre d’enseignants dont vous disposez et la manière dont vous les gérez. Comment contrôlez-vous leur qualité, leur capacité pédagogique ? Les stages annoncés sont-ils réellement suivis ? Nous avons en effet eu connaissance d’affaires démontrant un réel dysfonctionnement dans le contrôle pédagogique à l’AFPA.

M. Michel PRADERIE : J’ai mis en place au début de 1993, un système de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ayant d’ailleurs entraîné quelques jours de grève, pour l’excellente raison que ce système instaurait des entretiens professionnels systématiques destinés à mesurer l’état des connaissances des personnels de l’AFPA et à leur suggérer, le cas échéant, une remise à niveau ou le recyclage en entreprise.

Depuis le début de 1993, 1.500 personnes sur 11.000 ont subi un entretien professionnel et il faudra plusieurs années pour rendre performant ce système d’évaluation des compétences des personnels. Il ne s’agit pas d’un contrôle pédagogique au sens où on l’entend à l’Education nationale. Ainsi, il n’existe pas de corps d’inspecteurs généraux à l’AFPA.

C’est un sujet difficile qui mérite une réflexion parce que notre technique pédagogique est assez différente de celle de l’Education nationale. En effet, hormis les formateurs, l’AFPA emploie des psychologues de façon à assurer un suivi psycho-pédagogique des stagiaires.

Le système d’évaluation des compétences professionnelles de l’AFPA revèle une proportion d’environ 10 % du personnel faisant mal leur métier.

En ce qui concerne l’ANPE, nous ne faisons pas le même métier. Si nos taux de placement ne sont pas trop ridicules, c’est que nos produits de formation sont en perpétuelle évolution. Ils sont conformes à l’attente des entreprises dans le métier correspondant. C’est pourquoi il est nécessaire de disposer à l’AFPA d’un système de recherche et d’innovation permanentes, ce dont l’ANPE ne dispose pas. L’activité des deux établissements est de nature différente car je vends au privé et l’ANPE ne vend pas pour l’instant au privé.

Nous sommes liés conventionnellement à l’ANPE dont le rôle consiste à orienter les chômeurs en formation.

Je suis partisan de la décentralisation, à condition d’inclure l’AFPA dans des plans régionaux de formation professionnelle. C’est la thèse que j’ai défendue devant Monsieur le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, qui a bien voulu la retenir dans la loi quinquennale.

Je vais même plus loin. A mon avis, la région est en droit de demander une modification structurelle des actions financées sur fonds d’Etat si, par exemple, des formations s’avèrent sans débouchés réels. Nous souhaitons ainsi que le conseil régional nous demande d’adapter les actions sur fonds d’Etat en fonction des besoins futurs du marché régional du travail.

Il me semblerait cependant plus dangereux de briser le mécanisme de recherche, d’innovation et de passage en formation industrielle. Il serait par exemple regrettable de ne pouvoir dépasser le cadre régional d’innovations performantes afin de les généraliser sur l’ensemble du territoire. Il serait ainsi dommageable à l’institution de l’AFPA que chacun veuille garder pour soi son innovation.

Mon souci est plutôt d’appliquer des décisions déconcentrées mettant l’AFPA au service des autorités territoriales, quelles qu’elles soient, et permettant de réaliser le maximum d’économies et de mettre en place les contrôles de gestion qui s’imposent.

Telle est ma réponse au mois de janvier 1994. Si vous me posiez la question en janvier 1998, je ne sais si je vous répondrais de même. Pour l’instant, dans la mesure où nous menons une opération de remise en ordre importante de l’association, je préfère maintenir un certain nombre d’attributions centralisées, sinon nous n’arriverons pas à une gestion correcte.

Deux chiffres ne figurant pas dans le « jaune » budgétaire sont significatifs. Le parc immobilier de l’AFPA est de 11 milliards de F. et le parc mobilier de 3 milliards. Dans la loi de finances, 299 millions de F. sont destinés aux investissements. Comparez cela au taux d’amortissement classique des actifs mobiliers et immobiliers, et vous verrez que nous sommes loin du compte.

Mme Martine DAVID : Sans doute, le technicien de la formation professionnelle que vous êtes a-t-il imaginé des mesures qui permettraient d’optimiser les résultats de la formation professionnelle et d’éviter certains dysfonctionnements graves. Quelles propositions formuleriez-vous pour mieux utiliser les fonds affectés à la formation professionnelle ?

M. Michel PRADERIE : C’est une question difficile, tout au moins en ce qui concerne les fonds non privés.

Sans doute ma position sera-t-elle jugée un peu paradoxale, mais si nous voulons faire des efforts en matière de formation professionnelle et parvenir à une optimisation des fonds, il faut un maître d’ouvrage qui soit aussi près que possible du terrain et qui exerce un pouvoir sur toutes les institutions de formation professionnelle lui permettant de globaliser les fonds et les moyens.

A la suite d’études menées actuellement sur ce sujet avec certains conseils régionaux, on observe que le capital de formation professionnelle disponible est sous-utilisé à 60 %. Ainsi, les établissements d’enseignement professionnel de l’Education nationale ne sont utilisés qu’à 30 à 40 % sur une année. De même, les locaux et les matériels de l’AFPA ne sont utilisés que 1.700 heures par an. Pourquoi pas 3.000 heures ?

Il n’existe actuellement aucune autorité, par exemple, un conseil régional ou une personne qu’il désigne, qui soit capable de mettre en commun et de globaliser tout le potentiel existant pour répondre aux besoins de formation professionnelle de la région. Par exemple, il serait souhaitable, du point de vue de la gestion des deniers publics, que l’AFPA puisse louer des machines aux CFA. Il serait également souhaitable qu’une autorité unique soit dotée d’un pouvoir effectif sur les instruments. Or, actuellement, l’autorité préfectorale n’exerce pas cette compétence.

Je suis peut-être à la fois favorable à la déconcentration et à la décentralisation, mais il me semble que le conseil régional peut devenir un « prescripteur » adéquat de formation professionnelle. Or actuellement, un gâchis extraordinaire est à déplorer.

M. le Président : Cela veut dire que la formation professionnelle doit être décentralisée, elle aussi.

M. Michel PRADERIE : Cela signifie que le pouvoir soit sur le terrain.

En raison de la taille critique nécessitée par le montant de certains investissements, il faut que le législateur trouve un compromis entre ce qui relève de la compétence d’une gestion nationale et de celle d’une gestion régionale, par exemple, les programmes, la pédagogie et l’utilisation des moyens.

Mon ambition est essentiellement de pouvoir faire des économies d’échelle. Le reste m’est égal. Dans des institutions comme le comité des programmes, co-présidé par le président de région et le préfet, le président de région a une autorité sur les programmes. Je souhaite que l’on aille dans ce sens, et si vous appelez cela décentralisation, cela ne me gêne pas.

M. le Président : Je voudrais aborder à nouveau les problèmes purement financiers sous l’angle de deux questions. Quelles relations entretenez-vous avec les organismes collecteurs, notamment les FAF et les FONGECIF ? Compte tenu des masses financières considérables, vous arrive-t-il d’avoir des reliquats ? En ce cas, que deviennent-ils ?

M. Michel PRADERIE : Vous posez là un problème essentiel. En 1992, nous avons obtenu 170 millions de F. de résultats nets. Dans une entreprise de droit commun, l’utilisation de ce résultat est décidée par le conseil d’administration. Or, la direction du Budget a décidé de récupérer la moitié de ces résultats.

M. le Président : C’est-à-dire l’Etat.

M. Michel PRADERIE : Oui. Ce n’est pas forcément illégitime. Puisque l’Etat accorde une subvention, il est en mesure de récupérer un surplus de production. Nous défendons, en ce qui nous concerne, une autre position. Dans la mesure où nous obtenons des résultats nets nous pouvons faire de l’auto-financement. Compte tenu des immobilisations actuelles, nous devrions obtenir 600 millions de F. d’investissements par an. Or, nous n’en avons que 300. Dans ces conditions, si nous réalisons des résultats nets en 1993, nous proposerons au conseil d’administration de régénérer le parc de machines-outils.

C’est un problème de principe. L’Etat peut dire qu’il récupère les résultats nets de l’AFPA ou que nous nous en servons, puis établir des distinctions sur la nature des résultats qui peuvent être dus aussi bien à la subvention de l’Etat qu’aux contrats conclus avec les entreprises. La partie patronale de l’AFPA me dit, à juste titre, qu’elle ne voit pas pourquoi les résultats que l’AFPA réalisés dans le cadre des conventionnements avec les entreprises, privées ou non, serviraient à abonder le budget de l’Etat. Cela se défend.

M. le Président : Bien sûr.

M. Michel PRADERIE : Le débat sur ce point doit avoir lieu dans deux mois et demi, lorsque nous aurons arrêté la gestion de nos comptes. Ma position est de dire que le Bureau doit être maître de l’affectation des résultats.

Si vous le permettez, Monsieur le président, M. Plasse répondra à la question relative aux organismes collecteurs.

M. Denis PLASSE : Jusqu’en 1992, l’AFPA bénéficiait d’une subvention complémentaire de 120 millions de F. pour financer environ 2.400.000 heures de formation au titre des congés individuels de formation.

En 1992, nous avons pris la décision de nous aligner désormais sur le marché et de conduire une politique commerciale en ce qui concerne les stages de salariés en congé individuel de formation. En 1993, l’activité conventionnée de l’AFPA avec les FONGECIF et les FAF a atteint 3.500.000 heures financées au taux horaire moyen de 57 F.

L’AFPA détient un avantage concurrentiel assez important en raison de sa bonne réputation auprès des FONGECIF dans le domaine des formations qualifiantes dont le marché est appelé à une expansion dans les années à venir.

Ainsi l’activité de formation conventionnée actuelle de 3.500.000 heures pourra être portée à 5.000.000 dans les trois ans.

J’appelle votre attention sur le fait que les disparités sont extrêmement grandes en termes de financement. De ce point de vue, l’AFPA a une structure de production de stages de formation à caractère industriel. A ce titre, nous drainons une bonne part des financements des congés individuels de formation, notamment dans le domaine du bâtiment.

M. le Président : Monsieur le Directeur général, avez-vous quelque chose à ajouter ?

M. Michel PRADERIE : Non, Monsieur le Président, mais je me tiens à la disposition de votre Rapporteur et de la Commission.

M. le Président : Je vous remercie pour votre contribution aux travaux de la Commission.




Audition d’une délégation de la CGPME

composée de

M. Pierre GILSON, Vice-Président de la CGPME,
Dominique BARBEY, Secrétaire général
et Georges TISSIÉ, Directeur des Affaires sociales

(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 janvier 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Pierre Gilson, Dominique Barbey et Georges Tissié sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Pierre Gilson, Dominique Barbey et Georges Tissié prêtent serment.

M. le Président : Tout le monde sait l’importance que revêtent les PME pour les créations d’emploi. Or l’emploi passe par une formation adaptée aux besoins. Vous êtes là aujourd’hui pour que nous nous entretenions de ces questions.

Monsieur le Président, quel jugement portez-vous sur la qualité des formations dispensées dans le cadre du système de la formation professionnelle ? Les titres et les labels de formations constituent-ils un critère de recrutement ?

Je voudrais par ailleurs connaître le degré d’autonomie de gestion des PME en matière de formation continue compte tenu du rôle des FAF.

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, vous avez écrit, il y a quelques années, à la demande du CNPF, un rapport sur la formation professionnelle. Ce rapport était très critique et vous parliez déjà de l’utilisation des fonds de la formation professionnelle, constatant que ces fonds n’allaient pas souvent à des actions de formation professionnelle mais se perdaient dans des opérations latérales. Pourriez-vous rappeler les conclusions générales de ce rapport ?

M. Pierre GILSON : L’application de l’accord de juillet 1970, entériné par la loi de 1971, a connu au cours du temps des changements extrêmement importants.

Pendant très longtemps, les entreprises, particulièrement les petites, considéraient le versement obligatoire comme un impôt supplémentaire. Les grandes entreprises, quant à elles, ont su très rapidement utiliser les possibilités offertes par la loi pour améliorer les compétences de leurs salariés.

Leurs sous-traitants ont suivi et, peu à peu, la filière entière était touchée. Finalement, l’ensemble des entreprises françaises ont fini par considérer la formation professionnelle comme un investissement et non comme une contrainte. Aussi y-a-t-il une évolution entre ce que j’ai pu écrire à l’époque et ce que je dis maintenant. Aujourd’hui la preuve est faite que les entreprises, y compris les petites de moins de 10 salariés, participent également, même si c’est modestement à hauteur de 0,15 % de la masse salariale, au développement de la formation professionnelle. Cela a toujours été accepté comme tel au sein de notre confédération. Il ne s’est pas trouvé un seul petit artisan ou commerçant pour réagir contre cette nouvelle obligation.

Nous observons même aujourd’hui que cette attitude, qui tend à faire de la formation professionnelle un investissement, a des répercussions sur les organismes de formation, car les entreprises opèrent maintenant une sélection rigoureuse sur la qualité des formations dispensées. Elles exigent d’avoir le retour de cet investissement immatériel, comme elles l’ont sur les investissements matériels. Elles demandent, non un rendement, mais un retour efficace. Nous n’avons cessé de critiquer le trop grand nombre d’organismes de formation et d’organismes collecteurs. Nous estimons qu’il faut réduire ce nombre, car les organismes collecteurs et de formation sont bien trop nombreux sur le marché, et certains sont absolument inefficaces. Malgré cela, on continue à délivrer des agréments à des nouveaux organismes.

M. le Rapporteur : Connaît-on les organismes inefficaces ?

M. Pierre GILSON : Les entreprises les connaissent bien car on se fait « posséder » une fois mais pas deux.

Il faut être conscient que l’absence d’un salarié, envoyé en formation, constitue une gêne considérable pour les PME. Cela perturbe la marche de l’entreprise. Si l’entreprise le fait, c’est dans l’espoir d’y trouver son compte.

Nous trouvons tout à fait étonnant que les deux tiers d’une masse de crédits aussi importante servent à rémunérer et à payer les déplacements, l’hébergement et la restauration. Cela nous semble relever du gâchis. Cet argent pourrait être certainement beaucoup mieux utilisé. On pourrait, par exemple, recourir davantage aux supports d’enseignement multimédias que les grandes entreprises savent bien utiliser, mais que, faute de moyens pour acquérir les outils nécessaires à leur utilisation, les petites n’ont pas encore développés. J’ai vu à quel point les grands groupes ? notamment les banques et les compagnies d’assurance ?, avaient su utiliser ces techniques qui permettent au salarié de se former en self-service dans l’entreprise. Il faudra bien arriver à mettre ce service à la disposition des entreprises petites et moyennes. Le besoin de formation existe et nous regrettons que les deux tiers des sommes versées par les entreprises partent en frais annexes.

En ce qui concerne les titres et les labels, je vous répondrai que, comme le diplôme, le titre ou le label ne fait pas forcément l’homme. L’image du diplôme dans la formation initiale professionnelle est très forte, aussi bien pour les parents que pour les jeunes, mais dans nos entreprises, bien souvent, si c’est un élément du recrutement, il n’est pas forcément déterminant.

On peut faire des labels. Cela peut être utile pour celui qui n’est pas encore bien au courant de la qualité des outils de formation mis à sa disposition, mais je crois que seule la loi du marché est en cette nature déterminante pour éliminer les « marchands de soupe ». J’avoue être étonné par le fait que plus de la moitié des organismes de formation agréés ne fasse même pas un franc de chiffre d’affaires. Il aurait été nécessaire d’éliminer déjà ceux qui n’ont pas la reconnaissance de la clientèle. C’est la loi du marché.

J’en viens maintenant à la question sur les relations entre les PME et les organismes collecteurs.

Il y a deux types de comportement.

Il y a, d’une part, les entreprises qui adhèrent à une branche professionnelle, laquelle anticipe les évolutions de la profession et aide les entreprises adhérentes à le faire.

Ainsi, par exemple, en matière de maintenance automobile, le garagiste de province était incapable de savoir qu’à terme il aurait davantage besoin d’électronicien que de mécanicien, d’un carrossier-peintre plutôt que d’un carrossier et d’un peintre. Les études menées par la branche professionnelle, en liaison avec les constructeurs automobiles français et étrangers, nous ont amenés à anticiper les besoins futurs de la profession. Celle-ci s’est dotée de moyens, notamment financiers, de sorte qu’on peut considérer aujourd’hui que, dans cette profession, on a multiplié par deux la compétence technique des salariés qui y travaillent. Il s’agit pour l’essentiel de petites entreprises ? la moyenne des salariés était de 3,7 par entreprise ?, qui ne pouvaient décider seules de leur devenir. C’est la branche professionnelle qui l’a fait à leur place.

A côté de ces entreprises, il y a aussi toute une catégorie de PME qui n’ont pas une branche professionnelle structurée, soit que les effectifs sont trop réduits, soit qu’elles n’ont pas les moyens de s’organiser. Pour celles-là, la CGPME a joué la carte de l’inter-profession grâce à l’AGEFOS-PME, créée dès 1971. Organisme paritaire, elle est en fait « l’organisme-balai » des entreprises qui n’ont pas de politique de branche. Premier FAF de France, elle peut passer des accords avec les branches qui ont des effectifs réduits pour, grâce à la mutualisation ou à l’effort de la profession, orienter et informer.

M. le Rapporteur : Etes-vous satisfait de ce système ?

M. Pierre GILSON : Il nous donne tout à fait satisfaction. Nous avons soit des branches professionnelles verticales, décentralisées sur le plan territorial, qu’il serait dramatique d’handicaper car elles réussissent parfaitement bien et sont reconnues par leurs adhérents ? elles ne peuvent se permettre de faire de la formation médiocre car, immédiatement, la commission paritaire de l’emploi et de la formation professionnelle réagirait ?, soit l’AGEFOS-PME, qui est le refuge des entreprises qui n’ont pas de politique verticale.

Comme l’AGEFOS-PME dispose de délégations régionales gérées paritairement, nous n’avons pour ainsi dire pas de souci vis-à-vis des syndicats et, sur le plan national, la mutualisation nous permet éventuellement de répondre aux besoins de telle ou telle région en difficulté. Il est vrai que l’AGEFOS est davantage un outil de collecte, mais c’est également un outil de conseil indispensable.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que les FAF puissent donner satisfaction aux PME qui y adhèrent ?

M. Pierre GILSON : Je ne sais si cela fonctionne pareillement d’une branche à l’autre. Tout dépend de la volonté patronale et syndicale, puisqu’il s’agit d’une gestion paritaire. Il existe des différences. La dynamique des FAF est à l’image de celle de nos propres représentations territoriales. Certaines régions fonctionnent très bien, d’autres moins ; puis les hommes changent et cela repart. Dans le cas d’un FAF de branche, nous avons toute sécurité du fait de la gestion paritaire. Les syndicats n’acceptent pas que le corps patronal fasse tout et n’importe quoi, ce qui est rarement le cas. Dans le cas d’organismes non paritaires, la gestion est unique et il est possible qu’existent des différences d’appréciation. Mais les organisations patronales, dont le CNPF, veillent à ce qu’une certaine éthique préside à la gestion de ces organismes.

Mme Martine DAVID : Vous avez dit avoir eu connaissance d’un certain nombre d’expériences malheureuses avec des organismes de formation qui, en fait, n’en sont pas. A un moment ou à un autre, avez-vous fait remonter ces informations jusqu’aux pouvoirs publics. De tels organismes sont repérables. Etes-vous conscient de la responsabilité que vous avez en tant qu’usager ? Il s’agit de l’utilisation de fonds publics.

M. Pierre GILSON : Nous sommes d’autant plus vigilants qu’il s’agit non seulement de fonds publics, mais également de fonds qui viennent des entreprises. Une mauvaise formation se fait aussi à leur détriment, et donc également au détriment de l’emploi.

Les branches professionnelles dont je vous ai parlé ont fait la chasse elles-mêmes. Elles ont informé leurs adhérents que tel organisme de formation ? j’en ai connu dans la branche automobile ? n’était pas crédible.

En revanche, il est vrai, le problème est plus délicat localement. C’est à ce niveau que l’on retrouve une bonne partie des dix ou quinze milles organismes, qui ne font pas un seul franc de chiffre d’affaires. Nos structures professionnelles ? je ne parle pas de l’inter-professionnel ? n’ont pas toujours été capables de vilipender tel ou tel organisme, par exemple ceux qui, à une époque, dispensaient des formations de langues. Mais aujourd’hui la loi du marché joue beaucoup en matière de formation professionnelle.

Il reste encore certainement des personnes qui se font piéger, mais elles se font rares. Cela touche davantage les régions. Les régions ont un rôle important à jouer, notamment pour toutes les formations horizontales ? secrétariat, comptabilité, informatique, etc. En ces domaines, nous sommes mal informés. Dans une PME, on change de comptable une fois tous les trente ans. Aussi sommes-nous incapables de tester statistiquement les besoins. Mais la région doit pouvoir le faire. Il y a là sans doute quelque chose à faire. Mais il ne faut pas émietter la puissance des branches professionnelles ? bâtiment, transport, etc. ? qui savent ce qu’elles veulent et n’entendent pas que l’on perturbe leurs efforts.

Il reste également des progrès à faire dans le domaine de l’information des entreprises. Environ 350 millions de F. en faveur de l’alternance sont versés chaque année au Trésor par les entreprises, et à peu près autant pour la taxe d’apprentissage. Or nous n’arrivons pas au niveau de la collecte à responsabiliser la totalité des chefs d’entreprises de manière à ce que cela aille vraiment dans le sens qu’ils souhaitent.

Prenons, par exemple, le cas du congé individuel de formation. Permettre à un salarié ? alors que le plan de formation de l’entreprise ne lui permet pas d’avoir la formation dont il a envie ? d’avoir sa formation et une partie de sa rémunération financées par un organisme paritaire est une bonne chose, à la condition que cela ne réduise pas pour autant les capacités de financement des actions dont les entreprises ont besoin. On peut admettre que cet outil de financement soit à la disposition des salariés. Mais nous sommes opposés à ce que l’on fasse une publicité pour ce type de congé avec l’argent des entreprises sous prétexte qu’il n’y a pas assez de demandeurs. Il faut que les sommes inutilisées reviennent au plan de formation de l’entreprise sous une forme collective ou individuelle.

M. le Président : Vous avez parlé tout à l’heure de frais de gestion. Quel pourcentage estimez-vous abusif ?

M. Pierre GILSON : Selon l’expérience que j’en ai, 8 à 10 % représentent un grand plafond, surtout si on n’y inclut pas l’information et la documentation que tout organisme doit pouvoir dispenser à ses adhérents.

M. le Président : D’après vous, les PME sont-elle suffisamment vigilantes sur les versements effectués aux organismes collecteurs ? Quel droit de regard peuvent-elles exercer sur ces fonds à fin de mutualisation ?

M. Pierre GILSON : Dans la mesure où, dans le cadre d’une mutualisation, les grandes entreprises ont légalement le droit d’utiliser les fonds inutilisés, on ne peut leur reprocher de le faire. Les seules auxquelles on pourrait adresser des reproches sont celles qui auraient dû utiliser la formation et qui ne l’ont pas fait. C’est une des raisons pour lesquelles, d’ailleurs, j’ai eu beaucoup de mal à obtenir, non pas de la part des syndicats mais du patronat, la possibilité de faire participer au bénéfice de la mutualisation les entreprises de moins de dix salariés.

Nous l’avons obtenu dans le cas du COPACIF. S’il n’y avait pas eu l’engagement de l’Etat pour permettre cette prise en compte, il y aurait eu une marginalisation des salariés des petites entreprises qui ne pouvaient pas bénéficier du congé individuel de formation.

Il serait intéressant, dans la gestion des organismes collecteurs, de pouvoir distinguer au moins sur le plan statistique, les sommes collectées par les petites et affectées à elles, de celles qui sont allouées aux grandes entreprises. Mais nous ne ferons pas une guerre de tranchée sur ce point.

M. le Président : En définitive, le droit de regard que vous exercez sur ces fonds n’est pas évident ?

M. Pierre GILSON : Il n’est pas évident et pas facile à faire. Pour l’AGEFOS, nous le savons parce qu’il y a une gestion différente. Il faut tenir compte aussi des sommes affectées à la formation du chef d’entreprise lui-même. Nous avons créé un organisme qui s’appelle l’AGEFICE, en prise directe avec l’AGEFOS, qui assure la collecte de ces fonds. Nous estimons que, dans une PME de trois ou quatre personnes, former les trois salariés sans que le chef d’entreprise lui-même reçoive une formation, est une aberration. Il faut également former le chef d’entreprise.

L’audiovisuel devrait le permettre, en mettant en place du matériel et des outils informatiques qui aillent, de façon itinérante, d’une entreprise à l’autre. L’AGEFOS a créé une formathèque qui met à la disposition des PME ce qui est nécessaire pour ceux qui veulent se former eux-mêmes.

M. le Président : Vous venez de parler de l’AGEFOS, mais des PME peuvent aussi verser des fonds à d’autres organismes collecteurs comme les FAF. Comment réagissez-vous ?

M. Pierre GILSON : Nous ne pouvons nous substituer à un accord de branche. S’il existe un FAF de branche, il est de la responsabilité des partenaires sociaux de réagir. Il n’appartient pas à l’AGEFOS de s’immiscer. Il arrive que, par erreur, certaines entreprises versent à l’AGEFOS. Celle-ci est alors obligée de restituer ces sommes à ces organismes. Cela me semble tout à fait normal. Au bout de quelques années, l’entreprise sait qu’elle doit verser à son organisme et ne verse plus à l’AGEFOS.

M. le Rapporteur : Vous nous avez fait part jusqu’ici d’un certain optimisme. Mais, souvent, les PME n’utilisent pas leur droit à la formation pour leur personnel, ne serait-ce que parce qu’il est toujours difficile dans une PME d’enlever un salarié d’un poste de travail. Par conséquent, le 0,15 % n’est pas souvent utilisé. Que devient l’argent versé, quand il ne fait pas l’objet d’un service en retour ? Ne pourrait-on imaginer des systèmes de formation permettant aux salariés des PME de ne pas abandonner leur poste de travail tout en ayant cependant accès à une formation ?

M. Pierre GILSON : Avec près de 300 fédérations adhérentes, nous regroupons de grandes, mais aussi de petites fédérations. Sur 1.320.000 entreprises en France, 1.280.000 ont moins de 50 salariés. La richesse potentielle de notre pays est là. Si on n’attache pas d’importance à la formation de ces salariés, c’est tout le tissu économique qui se délite.

Il faudra réfléchir à cela et je mets beaucoup d’espoir ? peut-être serais-je déçu ? dans la chaîne du savoir que le Premier ministre veut mettre en place et qui va être testée dans les deux prochains mois. Je souhaite que, grâce à la télévision, on puisse informer les entreprises sur les outils, les moyens et les financements existants. Le fait de ne pouvoir toucher facilement les entreprises est pour nous une grosse difficulté. Elles sont trop nombreuses, et de sensibilités tellement différentes, que l’on est obligé de passer par le canal de nos fédérations et des différents échelons locaux, si bien qu’en bout de chaîne, tout cela se délite. D’autant plus que l’on modifie souvent les systèmes de contrats de formation, de qualification ou d’apprentissage. Le fait que l’AGEFOS n’ait pu, en six mois, réaliser que 280 contrats d’orientation est bien la preuve que l’on s’est trompé. Il y a là une erreur profonde et je ne suis pas sûr que le contrat d’insertion apporte grand chose. Les chefs d’entreprise ne vont pas engager des jeunes gens au seul motif qu’il y a des avantages financiers. Un patron de PME ne peut pas se tromper. S’il n’a besoin de personne, il n’embauche personne, alors que, si on lui demande de prendre un jeune sous une forme autre que le contrat de travail, il joue le jeu.

En ce qui concerne le 0,15 %, la collecte n’est pas encore véritablement engrangée. On ne peut donc pas dire si cela va fonctionner. Notre expérience ne porte que sur des entreprises de 15 salariés au moins. Lorsque vous envoyez un salarié en formation classique ? telle qu’on la dispense dans un GRETA ou un organisme de formation ?, le coût de la formation est très élevé. Si une entreprise de trois personnes veut envoyer l’un de ses salariés, ce n’est pas avec le 0,15 % que l’on peut financer l’action. Cela ne peut se faire que dans le cadre de l’organisme collecteur qui va mutualiser. J’ai tenu pour l’instant à ce que l’on se limite à 0,15 % parce que c’est l’idée même de formation qu’il fallait faire passer dans la tête des patrons d’entreprises de petite taille. J’espère que par la suite ils réagiront comme dans les entreprises de plus de 15 salariés, qui, maintenant, investissent largement dans cette direction.

M. Jean-Jacques JEGOU : Je voudrais revenir sur votre réponse concernant la diversité des formations et l’appellation changeante des divers stages, en partant des SIVP jusqu’aux contrats d’emploi. Ne pensez-vous pas que ces changements d’appellation et les différences de critères constituent l’un des premiers gâchis de la formation professionnelle ?

M. Pierre GILSON : On n’empêchera jamais un ministre quel qu’il soit ? je dis cela tout en les respectant ? de vouloir laisser la marque de son passage par une réforme ou un changement d’appellation. Vous permettrez à quelqu’un qui a un certain nombre d’années d’expérience dans ce domaine de dire à quel point je me suis battu à ce propos, connaissant le comportement de nos chefs d’entreprise PME pour qui la formation n’est pas leur « tasse de thé ». Ils envoient un de leurs salariés en formation pour qu’il leur permette de régler des problèmes qu’ils ne pouvaient pas régler avant qu’il y aille. L’expérience me permet aussi d’affirmer qu’il faut au moins deux ans pour qu’un patron de PME découvre un nouveau système législatif ou réglementaire.

M. le Rapporteur : Les entreprises ont besoin de stabilité !

M. Pierre GILSON : Et surtout, il faut pouvoir apprécier si c’est utile ou non.

Le SIVP a été démoli par les grandes surfaces. Je l’ai dit maintes fois. Ce sont les grandes surfaces qui ont boycotté cet outil merveilleux, qui était le premier pas dans l’entreprise. Personne n’était trop engagé, mais cela permettait que 50 % de ces jeunes passent ensuite en contrat d’apprentissage, de qualification ou en embauche directe. J’ai prêché comme un apôtre dans ma propre profession pour dire que l’on n’avait pas le droit de refuser un SIVP. Tant qu’il n’y avait pas de contraintes, les chefs d’entreprise se laissaient convaincre et essayaient. Ils avaient mis le doigt dans l’engrenage et une partie de ces jeunes étaient finalement embauchés. Mais aujourd’hui, signer un contrat de travail fait peur en raison des nombreuses contraintes qui y sont attachées. C’est le cas des 1.200.000 entreprises individuelles, pour lesquelles M. Alain Madelin essaie de faire un texte incitatif. Autour de vous, il y a 1.200.000 travailleurs indépendants, surchargés de travail, qui pourraient créer des emplois et augmenter leur chiffre d’affaires, et qui ne le font pas parce que cela est trop compliqué : le bulletin de salaire comporte vingt-cinq rubriques, il faut rendre compte à ceci ou cela, etc... Une de nos idées à ce sujet a, d’ailleurs, été reprise dans la loi quinquennale. C’est le Président Rebuffel et moi-même qui avions présenté au Premier ministre l’idée du chèque-service. Nous l’appelions le chèque-social. Je garantis qu’ainsi on peut créer des emplois.

Il ne faut pas perdre de vue le comportement psychologique des chefs d’entreprises. Ce sont souvent des salariés qui se sont mis à leur compte et n’ont aucune compétence pour être des gestionnaires expérimentés. Si l’on vous demandait d’établir un bulletin de paye, vous seriez bien embarrassés !

Une deuxième disposition de la loi quinquennale me paraît aller dans le bon sens : le travail à temps partiel qui constitue un moyen de régler le problème du chômage. Chaque année, 700.000 jeunes sortent de l’appareil éducatif. Au lieu de prévoir des rémunérations pour l’embauche d’un jeune, on pourrait plutôt envisager des dispositions du même ordre pour l’embauche de deux jeunes à mi-temps. Je suis convaincu que des chefs de PME essaieraient.

M. le Président : Je me suis toujours dit que la législation était faite pour le plus grand bonheur des experts-comptables.

M. Pierre GILSON : Et pour le plus grand malheur de l’emploi !

M. le Président : Vous aviez fixé tout à l’heure à 8 ou 10 % le montant raisonnable des frais de gestion des organismes collecteurs. Pensez-vous que les FAF et les autres organismes mutualisateurs soient dans cette fourchette ? Des économies ne peuvent-elles pas être réalisées sur ce point ? Il est de notoriété publique que certains FAF se comportent comme des organismes financiers. Qu’en pensez-vous ?

M. Pierre GILSON : Vous pouvez imaginer ma réponse. Elle est catégorique. Il s’agit de l’argent des entreprises. Que cela ne débouche pas sur des formations, mais qu’en plus, cela remplisse la poche d’intermédiaires, c’est inacceptable ! C’est la raison pour laquelle nous pensons que le nombre d’organismes collecteurs est trop élevé. Mon prédécesseur, M. Brunet, le répétait sans cesse. J’espère que, grâce à la loi quinquennale, nous arriverons à limiter leur nombre. Lorsqu’un organisme n’a pas une assiette suffisante pour être représentatif, il faut qu’il se fédère avec d’autres organismes. Dans cet esprit, nous nous sommes opposés à l’article 47 du projet de loi quinquennale. Cet article, qui permettait aux organismes consulaires de devenir des intermédiaires sous-traitants, était aberrant. Je respecte tout à fait les organismes consulaires, mais, techniquement, c’était une erreur dans la mesure où on allait augmenter de 80 le nombre de collecteurs. Cela n’enlève rien à la qualité de la formation dispensée par les organismes consulaires. Mais notre règle est de dire que l’outil de formation doit être totalement séparé de l’outil de collecte.

M. le Président : Que pensez-vous de la taxe d’apprentissage, de son montant, de sa collecte et de son utilisation ?

M. Pierre GILSON : On ne pourra pas continuer longtemps à aligner les campagnes publicitaires du type : « Versez-moi l’argent, je suis meilleur que les autres ». Il faudra bien un jour se pencher en ce domaine sur l’enseignement supérieur, car les PME-PMI vont avoir besoin de cadres formés par les universités et les grandes écoles, mais il faut que celles-ci offrent d’autres types de formation que ceux offerts jusqu’à maintenant. Sur le plan du financement, il faudra également trouver un autre système.

Notre confédération est aujourd’hui malheureuse de constater qu’il n’y a pas assez d’ingénieurs dans la PMI française. Il faut préparer les ingénieurs à s’insérer dans les PME.

M. le Président : Il existe pourtant de nombreux ingénieurs au chômage.

M. Pierre GILSON : Oui, mais ils sont formés dans une perspective qui est celle de la grande entreprise. Sur les diplômés issus des seize grandes écoles, 1 % seulement ont créé leur entreprise ou se sont associés pour en créer une. Il est inquiétant de constater que l’élite du pays préfère des emplois tranquilles et sans risque. Les grandes écoles sont en train de faire un effort. Mais, en tant que membre du Comité national d’évaluation des universités, je vois bien que les universités ont tendance à oublier qu’il y a 1.280.000 entreprises qui pourraient peut-être accueillir plus facilement leurs étudiants. Plutôt que d’orienter leurs meilleurs élèves vers les grandes entreprises, lesquelles ont déjà fait le plein de diplômés, les présidents d’université devraient s’engager dans cette direction.

M. Jean-Jacques JEGOU : A partir du moment où plusieurs grandes entreprises proposaient, dès leur sortie, aux étudiants un emploi stable, ces derniers n’étaient pas enclins à créer leur propre entreprise. Cela semble aujourd’hui révolu.

M. Pierre GILSON : Tout à fait.

Il est bon qu’un élève d’une école de gestion s’associe à un ingénieur pour monter une entreprise.

M. le Président : Il est assez rare qu’un jeune sortant d’une école ait la maturité nécessaire pour créer son entreprise.

J’en reviens maintenant à l’objet même de notre Commission d’enquête. Pensez-vous que l’administration de la formation professionnelle exerce un contrôle suffisant sur les fonds affectés à cette formation ?

M. Pierre GILSON : Non.

M. le Président : Que doit-elle faire ?

M. Pierre GILSON : Elle doit d’abord se regarder elle-même, car la plupart des formations dispensées par l’intermédiaire des institutions publiques d’insertion ? directions départementales du travail ou ANPE par exemple ? le sont souvent par des entreprises de formation dont, bien souvent, nous ne voulons pas. Il faudrait que des conseils soient donnés à ceux qui ont, sur le plan local, la responsabilité de lutter contre le chômage par le biais de la formation. Peut-être même l’UNEDIC pourrait-elle être associée à cette tâche. Nous avons tous intérêt à ce que la formation dispensée dans ce cadre soit une vraie formation et non un moyen de toucher six mois de plus des indemnités. Plus une personne reste au chômage, plus elle perd ses chances de retrouver vite un emploi.

M. le Président : Dans le cadre de la construction européenne, on sera amené à harmoniser progressivement les systèmes de financement de la formation professionnelle des différents Etats membres. En Allemagne, les versements ne sont pas obligatoires et les fonds affectés à la formation professionnelle sont supérieurs aux nôtres. Lors d’une précédente audition, il nous a été dit que si l’on rendait en France les cotisations facultatives, le montant des dépenses consacrées à la formation professionnelle ne serait pas forcément inférieur à celui constaté aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ?

M. Pierre GILSON : Je pense vous avoir répondu en disant que, mis à part quelques exceptions habituelles, la grande masse de nos adhérents considèrent désormais la formation comme un investissement. Cela va d’ailleurs poser des problèmes au niveau de l’emploi. Il faut être conscient que dans des branches comme l’automobile, on a doublé la compétence des jeunes formés, atteignant presque le niveau BTS. En dix ans, la qualification a évolué d’une manière extraordinaire. Dans les garages, on recrute maintenant des jeunes gens avec un BTS. Or ce collaborateur de bon niveau supprime des emplois intermédiaires car il est polyvalent, hautement qualifié et sait se servir des outils performants que l’on met à sa disposition. Il sait établir la facture et s’exprimer convenablement avec le client. Dans les grandes concessions automobiles, il y a cinq ou six ans, vous aviez le réceptionnaire, le chef d’atelier, le chef d’équipe, le compagnon et l’essayeur, tout cela pour une même intervention.

La qualité des hommes formés actuellement fait que la plupart des garages ont supprimé l’essayeur ? c’est le mécanicien qui essaie la voiture ? ainsi que le petit chef d’équipe parce que, bien souvent, il n’avait pas la qualité technique du jeune sortant du lycée professionnel ou du centre de formation d’apprentis.

L’évolution de la productivité est aussi en ce domaine l’une de nos inquiétudes. Aujourd’hui, lorsqu’un chef d’entreprise remplace un équipement, celui-ci est souvent deux fois plus performant que le précédent.

Le problème de l’emploi est maintenant beaucoup plus une question de société qu’un problème de conjoncture. Je suis à peu près convaincu que les 1.280.000 entreprises, qui créaient dans le passé des emplois, vont aujourd’hui réduire leur capacité de recrutement. C’est la raison pour laquelle je proposais tout à l’heure d’inciter les entreprises à prendre deux jeunes à mi-temps. Les jeunes sont souvent satisfaits de la solution. Ils peuvent continuer leurs études, faire du bénévolat ou s’occuper d’activités caritatives ou sportives.

M. Dominique BARBEY : M. Gilson a bien fait de préciser qu’il convenait aujourd’hui de séparer le rôle des ordonnateurs et des comptables, c’est-à-dire que les organismes de collecte ne fassent pas de la formation, sinon nous entrerons dans des circuits fermés.

C’était cette crainte qui m’animait lorsqu’il a été question d’autoriser les chambres de commerce à assurer des tâches de collecte des fonds. Quand on connaît les moyens et les fichiers dont disposent ces organismes, on ne pouvait exclure de voir les entreprises d’une région devenir totalement captives, de la collecte jusqu’à la facturation de la formation.

M. Georges TISSIE : Je voudrais relativiser le jugement pessimiste que certains peuvent formuler en matière de formation professionnelle en rappellant que, depuis 1985, il a été passé 3.600.000 contrats de qualification et d’alternance, dont la grande majorité l’ont été dans les entreprises de moins de 200 salariés et même de moins de 50. Sur ce total, il y a eu 1.059.000 contrats d’apprentissage, et environ 2.500.000 contrats d’adaptation, d’orientation, SIVP et qualification.

Bien sûr, ce sont des moyennes, mais si l’on reprend les chiffres de l’annexe Formation du projet de loi de finances pour 1994, il faut tout de même rappeler que l’effort financier des entreprises a plus que triplé en francs constants entre 1972 et 1991. De même la proportion moyenne de salariés ayant suivi, durant l’année, au moins une action de formation ? le taux de stagiaire ? a également plus que triplé durant cette période. Même s’il a diminué au cours des deux dernières années, en raison de la crise économique, le volet alternance a lui aussi connu, globalement, des résultats appréciables.

M. le Rapporteur : Nous rappellerons le moment venu tous ces chiffres, mais nous rappellerons également que le chômage des jeunes a augmenté de façon considérable depuis quelques années.

M. Georges TISSIE : Quand on parle de l’utilisation des fonds affectés à la formation professionnelle, il faut également avoir à l’esprit le fait que les contributions des entreprises, qui représentent 38 milliards de F., ne sont qu’une partie minoritaire de l’ensemble des dépenses de formation. S’il y a un certain gaspillage, il ne faut pas uniquement le rechercher dans l’utilisation des sommes qui viennent des entreprises, or on a l’impression que c’est un peu comme cela que le problème est souvent posé.

M. le Rapporteur : Pas du tout.

M. Georges TISSIE : Sur cet aspect, je voudrais prendre un autre document, même si les chiffres sont un peu anciens. Il s’agit du document sur la formation professionnelle continue établi par le « Centre Info » et la Délégation à la formation professionnelle, et distribué aux membres de la commission permanente du Conseil national de la formation professionnelle.

Si l’on prend les chiffres relatifs aux FAF, page 61 de ce document que nous tenons à votre disposition, on s’aperçoit qu’au titre de l’année 1990, les dépenses de formation sont très largement majoritaires par rapport aux dépenses d’organisation et d’exploitation et qu’elles représentent la plus grande part des sommes collectées par les FAF auprès des entreprises.

M. le Rapporteur : Pour situer les choses, je vous dirai que le champ d’action de cette commission d’enquête concerne les 115 milliards de F. dépensés, à des titres divers, pour la formation professionnelle. Ceux qui vous ont précédé aujourd’hui étaient les dirigeants de l’AFPA, organisation associative publique. Nous savons tous ici qu’un effort important a été accompli pour la formation professionnelle en France depuis 1972. Le rôle de cette Commission est de voir quels peuvent être les dysfonctionnements et de proposer des solutions.

M. Georges TISSIE : Je donnerai un dernier chiffre pour compléter ma réflexion. Il y a une certaine contradiction dans la politique de l’Etat, qui semble vouloir dire aujourd’hui qu’il peut y avoir gaspillage, alors qu’il a mené jusqu’ici une politique d’agrément un peu désordonnée. Sauf erreur de ma part, 225 organismes ont, par exemple, été agréés au titre de l’alternance !

M. Pierre GILSON : Il nous est souvent arrivé en commission permanente de la formation professionnelle de nous opposer à un agrément et d’apprendre, quelques mois après, que l’agrément avait été accordé.

M. le Président : Il y a des agréments accordés à des organismes relevant de la petite et moyenne industrie.

M. Georges TISSIE : A partir du moment où un organisme fédérateur a été agréé dans une activité, est-il nécessaire d’en créer un deuxième ? Ne serait-ce que par la concurrence qu’ils se font, il y a double emploi.

M. le Président : Le but de notre Commission est de faire des propositions en vue d’une meilleure utilisation. Elles peuvent être faites soit dans le domaine de la collecte des fonds, soit dans celui de la formation. Il y a des abus tant au niveau des agréments que des organismes dispensateurs de formation. Quelles sont vos suggestions ?

M. Pierre GILSON : Je ne souhaite pas que l’on prenne exemple sur le modèle allemand. On manipule un peu les chiffres car les systèmes sont en réalité très différents. La formation professionnelle initiale est payée en France par le contribuable au travers de l’Education nationale. Or, les Allemands n’ont pas ce système, ou très peu. Ce sont surtout chez eux les institutions consulaires qui sont chargés de la formation.

Si l’on additionnait l’ensemble des fonds que les entreprises françaises versent à un titre ou à un autre en matière de formation professionnelle initiale et continue, vous verriez que les chiffres sont presque similaires à ceux de nos voisins allemands. Le résultat serait également proche, si on effectuait la même démarche en matière d’effectifs.

D’une manière plus générale, l’expérience m’a montré que nous n’avions pas à rougir de notre système de formation professionnelle initiale et continue par rapport à celui de nos partenaires européens.

J’ajouterai d’ailleurs que le système allemand pourrait un jour poser problème dans la mesure où il repose peut-être de manière excessive sur l’entreprise, si bien que les salariés ne sont pas aussi polyvalents que les nôtres. Chez Mercedes, les techniques sont les techniques Mercedes, ce ne sont pas les mêmes que celles de BMW. Le salarié allemand est moins adaptable.

M. le Président : En attendant, Monsieur le Président, le chômage des jeunes en Allemagne est de loin inférieur à celui des jeunes en France, ceci expliquant peut-être cela.

M. Pierre GILSON : L’insertion des jeunes par le moyen du contrat à temps partiel serait une solution qui répondrait à leur attente.

M. Dominique BARBEY : Je voudrais également faire une remarque d’ordre très général en me demandant pourquoi en France, avec un taux de croissance économique égal à beaucoup d’autres pays industriels, il y a quatre fois moins de créations d’emplois. Cela tient d’une part, au fait que le montant du SMIC est trop élevé, même si on n’ose pas le dire, et, d’autre part, à ce que les chefs d’entreprises ont su mieux utiliser la formation professionnelle pour avoir des jeunes plus performants. Peut-être y a-t-il tant de possibilités de formation, que nous sommes allés plus vite que les pays voisins, par rapport aux Etats-Unis par exemple, où les embauches sont de mauvaise qualité.

M. Jean-Jacques JEGOU : Oui, mais il y a aussi une question de taille. Les PME allemandes sont beaucoup plus puissantes...

M. Dominique BARBEY : Et plus riches.

M. le Président : Je vous remercie pour cette intéressante audition.




Audition de M. Dominique BALMARY

Délégué à l’Emploi au ministère du Travail, de l’Emploi
et de la Formation professionnelle

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1er février 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

M. Dominique Balmary est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Dominique Balmary prête serment.

M. le Président : Comme vous le savez, la formation professionnelle est devenue un instrument incontournable de la politique de l’emploi. Il appartient à la Délégation à l’emploi, dont vous avez la responsabilité, de préparer et de mettre en œuvre a politique de l’emploi, et donc de suivre les actions de formation professionnelle.

Quelle est selon vous la spécificité de la formation professionnelle ? Autrement dit, la coordination entre la Délégation à l’emploi et la Délégation à la formation professionnelle est-elle satisfaisante ?

M. Dominique BALMARY : La situation est un peu compliquée, en raison de l’histoire de la formation professionnelle. L’ensemble du dispositif a, en effet, beaucoup évolué depuis des années, et n’est pas toujours très facile à décrire. La Délégation dont j’ai la charge utilise depuis longtemps les moyens de la formation professionnelle comme des instruments au service de la politique de l’emploi. Cela vaut d’abord pour l’AFPA, qui est placée sous la tutelle du ministère du travail depuis sa création, à la Libération. L’AFPA a toujours été un outil de gestion du marché du travail, puisque sa mission est de qualifier les demandeurs d’emploi. Sous l’autorité du Ministre, elle dépend des services chargés de l’emploi. Mais elle n’est pas le seul moyen de formation professionnelle que nous utilisons.

Il existe d’autres dispositifs, en particulier pour traiter des difficultés des entreprises en situation de sureffectifs, et contraintes de licencier pour motif économique. Ainsi, depuis la loi du 18 décembre 1963, la Délégation à l’emploi a recours au Fonds national de l’emploi en vue de conclure des conventions de formation et d’adaptation avec les entreprises. Un troisième outil est constitué par les programmes de lutte contre le chômage de longue durée, qui organisent des stages de formation professionnelle. Tels sont les trois grands secteurs de formation professionnelle placés sous la responsabilité de la Délégation à l’emploi et des services déconcentrés du ministère du Travail. Enfin, nous intervenons dans la rémunération des stagiaires en contribuant au financement de l’assurance-chômage, c’est-à-dire de l’UNEDIC au titre de l’allocation de formation-reclassement dans le cadre de stages dont la Délégation à l’emploi assure le fonctionnement.

Pour en venir directement à votre question, la coordination entre la Délégation à l’emploi et la Délégation à la formation professionnelle s’est beaucoup améliorée depuis que cette dernière est rentrée, voilà 8 ans, dans le périmètre de compétence du ministère du Travail, alors qu’elle était précédemment rattachée aux services généraux du Premier ministre. Le voisinage des deux délégations a permis de renforcer la cohérence de leur action. Sur quelques points néanmoins la répartition des compétences demeure un peu difficile à lire : c’est vrai de l’insertion professionnelle des jeunes, en particulier de l’apprentissage et des formations en alternance.

Globalement, la Délégation à l’emploi s’occupe de tout ce qui concerne le domaine des contrats de travail, tandis que la Délégation à la formation professionnelle traite des aspects techniques, pédagogiques et financiers, ainsi que des relations avec les partenaires sociaux intéressés. Cette répartition a des origines historiques. En effet, la Délégation à la formation professionnelle relevait jadis d’une autre autorité que celle du Ministre du Travail et le domaine des contrats de travail relevait de la compétence de ce ministère. Il est donc compréhensible que la Délégation à l’emploi ait conservé les compétences relatives aux contrats de travail. Au total, le fonctionnement quotidien des deux délégations ne présente pas de difficulté particulière.

En revanche, la cohérence entre les interventions du Fonds de la formation professionnelle et de la promotion sociale et du Fonds national de l’emploi n’a pas toujours été parfaite : on a constaté une certaine confusion et certains chevauchements, d’autant plus que les interventions locales sont mises en œuvre par des organismes eux-mêmes différents. Cette période d’incertitude est désormais terminée, car les délégations départementales de l’emploi et de la formation professionnelle conduisent à présent l’ensemble des actions de formation professionnelle à l’échelon départemental. Le ministère compte aussi mettre en place également au niveau régional une instance unique d’intervention d’ici à la fin du semestre. De plus, depuis deux ans, nous nous appliquons, dans les relations avec les entreprises, à séparer totalement les compétences des deux fonds.

Le Fonds national de l’emploi intervient seulement en ce qui concerne les problèmes d’emploi proprement dits, notamment ceux résultant de restructurations qui se traduisent par des licenciements économiques et peuvent être résolus par une formation professionnelle, ou ceux relevant d’une gestion préventive des licenciements. Le Fonds de la formation professionnelle et de la promotion sociale concentre désormais son action sur les engagements de développement de la formation de branche depuis la disparition des engagements de développement de formation des entreprises. Cette clarification étant faite, il ne devrait plus y avoir de confusion entre les vocations de ces deux fonds.

M le Président : Vous estimez donc que le rattachement de votre Délégation au ministère du Travail est un gage d’efficacité accrue, et que l’interministérialité n’était pas la meilleure solution ?

M. Dominique BALMARY : Mon sentiment personnel est que l’interministérialité, qui n’avait jamais été facile à organiser en raison de la diversité des intérêts défendus par les différents ministères, avait commencé de s’affaiblir dès avant le rattachement de la Délégation à la formation professionnelle au ministère du Travail. A la fin des années 60 et au début des années 70, en effet, la Délégation jouait un rôle d’animation, d’impulsion et de coordination bien plus important qu’il ne l’a été par la suite. Je ne vois donc pas dans le rattachement de la Délégation au Ministère du Travail la cause de l’affaiblissement de son rôle interministériel, mais plutôt sa conséquence. Ce rattachement a eu le mérite de rapprocher la conception de la formation professionnelle des objectifs de la politique de l’emploi.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous éclairer davantage sur la différence que vous faites entre le « contrat » et les « aspects techniques » ?

M. Dominique BALMARY : Je veux dire que la Délégation à l’emploi n’intervient pas dans le domaine du financement de l’apprentissage ou de la formation en alternance. Ainsi, tout ce qui a trait à la taxe d’apprentissage, aux modalités et aux circuits de financement de la formation en alternance, à la surveillance des organismes mutualisateurs agréés, relève de la compétence exclusive de la Délégation à la formation professionnelle. Inversement, la conception de la forme même du contrat de travail d’un jeune salarié avec un employeur, l’adaptation de ce contrat aux spécificités de la formation, qu’il s’agisse de la durée du travail, des conditions de rémunération, ou de la protection contre les risques liés à l’exercice de l’activité sur le site de production, sont de la compétence traditionnelle des services de la Délégation à l’emploi.

M. le Rapporteur : Y compris ce qui concerne le maître d’apprentissage ?

M. Dominique BALMARY : Y compris ce qui concerne le maître d’apprentissage et les conditions de son agrément.

M. Germain GENGENWIN : Ne croyez-vous pas que les délégations régionales devraient avoir une plus grande latitude dans la gestion des différentes lignes budgétaires afin de financer, par exemple, les PAIO ? Pouvez-vous nous dire quelle est la part des crédits déconcentrés ? Pourrez-vous également nous adresser un inventaire de l’ensemble des dispositions d’exonération de charges sociales existantes, et nous indiquer, pour chacune, la part compensée par le budget de l’Etat et la part représentant un manque à gagner pour l’URSSAF ? Connaissez-vous, par ailleurs, le chiffre d’affaires correspondant aux activités de formation des GRETA ?

Enfin, la commission mixte paritaire, réunie la semaine dernière pour l’examen des dispositions du projet de loi Madelin restant en discussion, a adopté un véritable « cavalier », auquel j’ai été le seul à m’opposer, et qui permet un véritable détournement des fonds destinés à la formation en alternance vers la formation de salariés déjà en activité. Quelle est votre position sur cette question ?

M. Dominique BALMARY : Vous me pardonnerez de ne pouvoir répondre à toutes vos questions : celle qui concerne le GRETA, par exemple, n’est pas de mon ressort, pas davantage que le financement des PAIO, qui relève de la Délégation à la formation professionnelle. Les crédits gérés par la Délégation à l’emploi sont, quant à eux, déconcentrés en totalité, à l’exception, bien entendu, des subventions versées aux grands établissements tels que l’AFPA. Les deux grands programmes que j’ai évoqués, c’est-à-dire celui en faveur des chômeurs de longue durée et celui relatif aux conventions FNE, sont donc totalement déconcentrés. Le premier, préparé par les préfets de région, est globalisé depuis de nombreuses années, si bien que les services ont la faculté de moduler la part financière respective des différents instruments à leur disposition, en fonction des situations locales.

M. Germain GENGENWIN : Mais y a t-il des possibilités de transfert de crédits entre l’un et l’autre programmes ?

M. Dominique BALMARY : La question ne s’est jamais posée, car les crédits de la ligne « chômeurs de longue durée » ont toujours été consommés en totalité, et continueraient sans doute de l’être s’ils étaient augmentés, même fortement. Mais, je le répète, à l’intérieur de cette ligne comme à l’intérieur de la ligne « conventions FNE » , une grande souplesse de gestion est ménagée.

M. le Président : On constate souvent, cependant, que ces fonds sont utilisés massivement à l’appui de plans sociaux.

M. Dominique BALMARY : Ils sont là pour cela. Le Fonds national de l’emploi a été créé en 1963, à une époque où l’on connaissait déjà des problèmes de reconversion dans la construction navale et dans la sidérurgie. Je souligne que les dépenses en question sont bien des dépenses actives de l’emploi, dans la mesure où l’objectif visé est le reclassement des salariés, à l’exception, bien sûr, des conventions de préretraite.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Dans le couple que forment l’emploi et la formation, l’emploi doit venir en premier et la formation en second. Celle-ci repose sur trois sources de financement : l’Etat, les entreprises et les collectivités territoriales. Quant aux personnes à la recherche d’un emploi, elles se divisent en trois catégories : les salariés en quête de reconversion, les chômeurs, les jeunes qui n’ont encore jamais travaillé. Je voudrais que vous me disiez ce qui, à votre avis, parmi tous les dispositifs essayés dans le passé, a donné les meilleurs résultats par rapport à la dépense engagée, et ce sur quoi vous préconiseriez de mettre l’accent dans le cadre de l’actuel plan pour l’emploi.

M. le Rapporteur : Je voudrais poser une question assez voisine. On a longtemps postulé que la formation était une nécessité pour l’emploi. Ce dogme vous paraît-il encore d’actualité ? Si la réponse à cette question était, comme un nombre croissant de gens semble le penser, négative, cela voudrait sans doute dire que nous dépensons trop pour la formation et pas assez pour l’insertion et l’emploi proprement dit.

M. Dominique BALMARY : Il est extrêmement délicat de répondre à cette question, et c’est pourquoi je ferai une réponse de Normand : si la formation est souvent nécessaire, elle n’est sans doute pas une potion magique, et ne convient pas forcément à toutes les situations. On se plaint souvent que les CES, qui ont pris la relève des TUC, comportent un volume de formation insuffisant. Certes, nous pourrions consacrer à la formation 20 % des crédits destinés aux CES, mais nous avons en fait beaucoup de peine à dépasser les 8 %. Tout montre que les personnes concernées ont souvent des problèmes de santé, de logement, et n’ont pas la capacité d’accéder à un emploi ni même à une formation. L’insertion constitue donc une première marche en attendant une progression ultérieure.

Trois financements, trois publics, avez-vous dit, Monsieur Anciaux. C’est tout à fait cela. Mais comment mesurer l’efficacité ? Cela dépend des critères que l’on choisit. Mon point de vue n’est pas celui des purs formateurs : ce qui m’intéresse, c’est qu’un chômeur retrouve un emploi le plus vite possible, et je suis moins directement concerné par la situation des salariés ayant un emploi, sauf s’il existe une menace précise sur cet emploi. Néanmoins, toute menace sur l’emploi n’appelle pas forcément une solution de formation : la gestion préventive des emplois et des compétences débouche sur une formation dans 80 % des cas seulement.

Pour ce qui me concerne directement, je constate une efficacité très diverse au stade du placement : 75 % de succès dans le cas des formations qualifiantes de l’AFPA, qui dispense des formations lourdes grâce à des enseignants très qualifiés...

M. Jean-Paul ANCIAUX : Après avoir procédé à une analyse des besoins de qualification !

M. Dominique BALMARY : Et sélectionné les stagiaires ! Les actions plus légères destinées aux chômeurs de longue durée, lesquels ne savent parfois plus lire ni écrire, aboutissent à des résultats moins satisfaisants évidemment : le taux de reclassement ne dépasse pas alors 30 à 35 %. Malgré tout, ces chiffres sont conformes à la moyenne des pays étrangers.

Vous avez demandé, M. le Rapporteur, s’il y avait trop d’argent pour la formation et pas assez pour l’emploi. Tout dépend pour quoi faire. Les délégations budgétaires du ministère du travail ont fortement augmenté depuis quelques années ? la Délégation pour l’emploi recevant les trois quarts du budget du ministère ?. Pour vous répondre, il faudrait établir une distinction selon les types d’action.

M. le Rapporteur : Comment voyez vous l’évolution de ces dernières années ? Faut-il donner la priorité à l’emploi ou à la formation ?

M. Dominique BALMARY : En tout état de cause, étant donné la situation prévisible du marché du travail, l’Etat ne pourra pas baisser sa garde. Mais il faudra aussi demander un effort important aux entreprises. On voit, en effet, aujourd’hui, qu’il n’y a pas de cloison étanche entre le marché externe de l’emploi, relevant des pouvoirs publics, et le marché interne dont les chefs d’entreprise sont responsables. La flexibilité externe reste en France trop importante, comparée à ce qu’on observe dans les pays du Nord de l’Europe. Un sondage réalisé il y a 3 ans auprès de 1.000 entreprises de tailles très diverses, a montré que 20 % seulement de celles-ci avaient recensé leurs personnels dans une pyramide des âges, et 50 % défini un plan de formation. Nous avons donc beaucoup de progrès à faire dans ce domaine. On le vérifie d’ailleurs a contrario lorsque la croissance reprend : entre 1988 et 1990 les entreprises se sont plaintes d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Mais après enquête, on a constaté une tendance des chefs d’entreprise à surqualifier leurs besoins de main-d’œuvre ? comme si, pour sauter 1 mètre, elles voulaient recruter quelqu’un qui pût franchir 1,50 mètre. Cela n’est évidemment pas sans conséquences sur le coût de l’emploi pour les entreprises ? et la question risque de se reposer quand la croissance reviendra. Avant de traiter ce genre de problème par la formation, il convient d’aider les entreprises à mieux évaluer leurs besoins de qualifications.

M. Serge JANQUIN : En ce qui concerne la responsabilité des entreprises, celles-ci ont-elles suffisamment préparé les interventions auxquelles vous participez ? D’autre part, la question de la déconcentration des crédits n’a pas reçu de réponse complète : vous avez dit qu’au delà des subventions lourdes, tout était déconcentré au niveau des préfets de région ; mais il existe une réserve de crédits ? comment tout cela s’articule-t-il ? La déconcentration se fait-elle a priori ou a posteriori ?

M. Dominique BALMARY : Les préfets disposent d’une enveloppe préalablement définie pour ce qui concerne les programmes de formation professionnelle relatifs aux chômeurs de longue durée et, d’autre part, une petite enveloppe nationale de réserve. En revanche, les conventions FNE ne sont pas déconcentrées, les directeurs départementaux tirant sur une ligne nationale, étant précisé toutefois que la décision est déconcentrée.

En ce qui concerne votre première question, les situations sont très diverses. Lorsqu’une entreprise comme Renault met en œuvre le plan « optimum » visant à assurer la reconversion et l’élévation de la qualification de toute la main d’œuvre ouvrière sur plusieurs années, il va de soi que cela a été précédé d’études lourdes, et que nous en avons discuté avec l’entreprise. Dans d’autres cas, lorsqu’un problème de sureffectif se pose brutalement dans une entreprise qui y est mal préparée, il est difficile de traiter dans l’urgence les problèmes de formation. Il est évident que moins l’entreprise y est préparée, moins la qualité de l’opération sera bonne.

M. le Rapporteur : Une fois la convention conclue, quel est l’opérateur compétent en ce qui concerne la formation ?

M. Dominique BALMARY : C’est en général l’AFPA, dans 80 % des cas. Mais il peut arriver que l’AFPA ne puisse intervenir elle-même. Néanmoins c’est toujours elle qui procède à l’enquête technique préalablement à la conclusion de la convention.

M le Président : Là lutte contre l’exclusion constitue aussi un objectif de politique de l’emploi. Or, vous nous avez dit que l’AFPA établit une sélection des stagiaires : comment conciliez-vous les deux objectifs ?

M. Dominique BALMARY : Il faut tenir les deux bouts de la chaîne, c’est-à-dire fournir aux entreprises une main-d’œuvre hautement qualifiée et aussi développer des préformations précédant, le cas échéant, pour ceux qui en ont besoin, des formations qualifiantes ; celles-ci représentent aujourd’hui 15 % de l’activité de l’AFPA. D’autre part, dans le cadre des programmes applicables aux chômeurs de longue durée, des stages non-qualifiants sont organisés en vue d’un rattrapage et d’une préparation à une qualification ultérieure. C’est ainsi que la Délégation à l’emploi essaie d’établir un équilibre dans l’utilisation des formules de formation visant à la qualification et à la lutte contre l’exclusion.

M. le Rapporteur : Quelle est la place et le rôle des stages de « préformation » dans la lutte contre l’exclusion ?

M. Germain GENGENWIN : C’est le programme PAQUE !

M. Dominique BALMARY : Le programme PAQUE (Préparation active à la qualification et à l’emploi) est en fait une des modalités pédagogiques parmi toutes celles permettant de lutter contre l’exclusion. Il s’agit de répondre aux besoins de personnes qui ont des lacunes dans leur culture générale ou qui n’ont pas l’habitude de se lever à une heure déterminée.

M. le Rapporteur : Que représente la préformation par rapport à l’ensemble des actions de lutte contre l’exclusion ?

M. Dominique BALMARY : Elle représente 10 à 15 % du potentiel de formation de l’AFPA et quelque 60 à 70 % de l’ensemble des actions d’insertion et de formation destinées aux chômeurs de longue durée.

M. Jean-Jacques de PERETTI : Pensez-vous que les mécanismes de la formation professionnelle sont adaptés à l’espace rural et contribuent à la politique d’aménagement du territoire ? Vous avez parlé de crédits déconcentrés. A Sarlat, la Mission locale qui vient d’être créée se heurte à de sérieux problèmes. D’une part, comme le montant de la dotation de l’Etat est seulement de 400.000 F., la commune, qui compte 10.000 habitants, est obligée de participer au financement de cette mission locale dont la compétence s’exerce sur huit cantons. D’autre part, quand les conseillers d’orientation identifient des personnes souhaitant suivre une formation notamment pour accomplir des travaux de services de proximité, il faut mettre en place des stages de formation, mais les personnes intéressées n’ont nullement les moyens de s’acquitter des frais de déplacement vers le lieu de déroulement du stage, souvent éloigné du lieu de résidence. Il me semble, par conséquent, que les spécificités locales ne sont pas suffisamment prises en compte dans la répartition des moyens.

M. Dominique BALMARY : C’est, en effet, un problème difficile auquel nous n’apportons peut-être pas les bonnes réponses.

En ce qui concerne les formations lourdes et de longue durée, l’AFPA propose en général d’héberger les stagiaires. Au demeurant, les jeunes, qui autrefois acceptaient volontiers d’aller se former loin de leur domicile, sont maintenant plus réticents, de telle sorte qu’une bonne partie des hébergements de l’AFPA ne sont pas utilisés.

D’autre part, les formules d’enseignement à distance, notamment les formations multimédias connaissent un réel développement.

M. Jean-Jacques de PERETTI : Cela vaut pour les habitants des grandes villes, mais ce n’est pas de cela que je veux parler ; je songe aux formations courtes. Il y a, par exemple, à Sarlat des personnes qui aimeraient recevoir une petite formation pour s’occuper des espaces verts, mais il est regrettable que les collectivités locales soient contraintes de s’acquitter de sommes considérables pour organiser ce genre de stage alors que leurs dotations budgétaires ne le leur permettent pas.

M. Dominique BALMARY : En effet, nous n’avons pas les moyens de financer l’hébergement des stagiaires pour suivre ce type de formations qui ne durent que quelques semaines.

M. Germain GENGENWIN : Evitons de parler de stage de formation lorsqu’il ne s’agit que d’apprendre à quelqu’un à pousser un balai ! Auparavant, ces jeunes arrivaient à se faire embaucher comme balayeurs, mais maintenant, les entreprises ne peuvent plus se permettre d’avoir des salariés qui ne soient pas totalement productifs. Il faut trouver à ces jeunes une occupation, mais cela ne relève pas de la formation professionnelle.

M. Jean-Jacques de PERETTI : Les 35.000 emplois que l’on prétend créer dans le secteur de l’environnement, et qui peuvent revêtir une certaine technicité ou demander une compétence, ne sauraient être présentés comme des emplois de balayeurs ! Pour entretenir un cours d’eau, pour être jardinier, un savoir-faire est nécessaire.

M. le Président : Les résultats du crédit-formation n’ont pas été à la hauteur des espérances qu’on avait placées en lui. Quel est, à votre avis, l’avenir de cette formule ?

M. Germain GENGENWIN : Et que pouvez-vous dire de la concurrence entre le bilan de compétences qui relève de votre Délégation et les évaluations de l’ANPE auxquelles sont consacrés des crédits dont l’utilisation n’est pas claire ?

M. Dominique BALMARY : En vérité, l’organisation du bilan de compétences ne relève pas de mon service mais de la Délégation à la formation professionnelle.

Si le crédit-formation n’a pas donné tous les résultats qu’on escomptait, c’est peut-être qu’on en attendait trop. Le CFI ? crédit-formation individualisé ? comporte, d’une part, des lourdeurs, et, d’autre part, des éléments tout à fait intéressants. Il ne s’agit pas d’une nouvelle forme de stage, mais d’ingrédients ajoutés à un parcours de formation existant. Cela ne rend pas le dispositif très lisible et les demandeurs ont souvent pu s’interroger à son sujet. En revanche, le crédit-formation a eu le mérite de faire apparaître des éléments qui parfois faisaient défaut : le bilan de compétences, le suivi individualisé, et la remise d’une attestation sanctionnant la fin du parcours de formation. Je porte donc sur ce dispositif un jugement assez nuancé.

L’ANPE peut faire établir un bilan de compétences au bénéfice d’un demandeur d’emploi qui s’adresse à une agence.

M. Germain GENGENWIN : On peut constater que des crédits attribués pour l’établissement de bilan de compétences retournent à Paris lorsqu’ils sont inutilisés.

M. Dominique BALMARY : Je ne peux vous donner de précisions sur ce point.

Les bilans de compétences que l’ANPE peut faire établir en faveur de demandeurs d’emploi ne sont pas nécessairement orientés en vue d’une formation. En principe, il n’y a pas de confusion entre les bilans de ce type et ceux que peuvent demander d’autres organismes en vue d’une formation.

M. Germain GENGENWIN : Cela se règlera avec le guichet unique !

M. Dominique BALMARY : Je l’espère.

M. le Président : Si cette Commission a été créée, c’est parce qu’il semble que l’on pourrait mieux utiliser les fonds de la formation professionnelle. Comment pensez-vous qu’on puisse y parvenir ?

M. Dominique BALMARY : Sans prétendre répondre en une minute à une question à laquelle vous consacrez un long examen, je serais tenté de dire qu’il y a à la fois un trop plein et un trop peu.

La multiplicité des mécanismes de financement, qui s’explique par des raisons historiques, est telle qu’on peut, en effet, se demander légitimement si tous les moyens sont bien utilisés. Il est difficile d’apprécier leur utilisation, mais, de toutes façons, la complexité du système financier et des très nombreux organismes de formation pose en elle-même un problème. Il est vrai qu’il est difficile de toucher à cet édifice car beaucoup d’intérêts sont en jeu. Combien de fois n’a-t-on pas essayé, depuis vingt-cinq ans, de réformer le financement de l’apprentissage ? Quoi qu’il en soit la complexité du système aboutit à une déperdition.

Inversement, il y a du trop peu dans le domaine de la promotion sociale et professionnelle. C’est une dimension que nous avons connue dans ce pays, mais qui a été largement rétrécie par la loi de 1971 et ses modifications ou prolongements ultérieurs qui ont centré la formation professionnelle sur l’entreprise. Le Conservatoire national des Arts et Métiers et le compagnonnage, par exemple, essaient toutefois de préserver des éléments de promotion sociale. C’est là quelque chose de nécessaire à la fluidité sociale. Il y a, en effet, beaucoup de gens dans notre société qui éprouvent le besoin d’engager une démarche individuelle, confidentielle ? à l’insu de leur employeur et de leurs collègues de travail ? hors de leur monde professionnel. Or, nous manquons d’outils juridiques et de canaux financiers nécessaires pour répondre à ce besoin.

M. le Président : Ces propos ne sont pas de ceux que nous entendons souvent.

M. Germain GENGENWIN : C’est pourtant bien ce que nous cherchons à savoir.

M. le Président : Nous vous remercions pour cet entretien enrichissant.




Audition de M. Jean LAMBERT,

Chef du Groupe national de contrôle à la Délégation à la formation professionnelle

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1er février 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

M. Jean Lambert est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Jean Lambert prête serment.

M. Jean LAMBERT : J’ai pris mes fonctions de Chef du groupe national de contrôle de la formation professionnelle en avril 1993. J’appartiens au ministère des Finances et je travaillais jusque là à la Direction de la concurrence et de la répression des fraudes. Ma nomination a résonné comme le signal d’un passage à l’acte.

M. le Président : Quelles sont les compétences de votre groupe ?

M. Jean LAMBERT : Ce groupe est en réalité une petite équipe de douze personnes, dont huit cadres, moi y compris. Le groupe a pour première responsabilité d’assurer le suivi des organismes collecteurs de dimension nationale et des organismes de formation dont le champ d’influence est également national sans que ce dernier critère soit défini. Il a aussi un rôle d’assistance et de conseil auprès de la Délégation à la formation professionnelle et des services régionaux de contrôle implantés auprès des préfets de région. Notre contrôle s’exerce en principe soit sur place, soit sur pièces, mais en réalité essentiellement sur pièces. En effet, avant mon arrivée, seule une personne était habilitée au sein du groupe à effectuer des contrôles sur place mais elle consacrait l’essentiel de son temps à d’autres tâches, par exemple la préparation du « jaune » budgétaire. Depuis l’an dernier, deux inspecteurs de la formation professionnelle ont rejoint notre groupe, et j’ai commencé à libérer le troisième de ses tâches périphériques.

M. le Rapporteur : Quels sont les dysfonctionnements que vous avez pu observer ?

M. Jean LAMBERT : Jusqu’à ces derniers temps, le contrôle de la formation professionnelle demeurait largement symbolique. La première raison tient à l’absence d’expression d’une volonté politique de contrôle, cette absence résultant, semble-t-il, de la priorité donnée à l’auto-contrôle, c’est-à-dire au contrôle exercé par les partenaires sociaux eux-mêmes. La seconde raison, plus conjoncturelle, réside dans la montée en puissance de l’intervention de l’Etat dans le domaine de la formation ; de ce fait les représentants de l’Etat se sont consacrés au suivi des financements de l’Etat au détriment des financements privés.

M. le Rapporteur : C’est donc dans le domaine privé que les dysfonctionnements sont le plus flagrants ?

M. Jean LAMBERT : Tout à fait. Il y a trois partenaires : les entreprises qui cotisent, les collecteurs et les formateurs. En grossissant le trait, je dirai que les contrôles ont été réalisés en direction des entreprises et relevaient d’une démarche par trop fiscale : on épluchait bien davantage les notes de frais que l’on ne s’intéressait à la mise en œuvre effective des plans de formation. Les débordements des entreprises, il est vrai, sont bien connus : il s’agit pour elles de faire passer sur le chapitre de la formation professionnelle beaucoup de dépenses qui n’ont qu’un lointain rapport avec elle, par exemple tel séminaire de cadres à Megève ; le drame récent qui a frappé des médecins anglais en séminaire à Val d’Isère aurait pu frapper des confrères français.

M. le Rapporteur : Les organismes collecteurs se trouvent au coeur du problème qui nous occupe. Que savez-vous de leur trésorerie ? Est-elle exagérément excédentaire ? Quelle est l’importance des fonds patrimoniaux dont disposent ces organismes ?

M. Germain GENGENWIN : De quels moyens de contrôle disposez-vous à l’égard des OMA et des OPACIF ? Les 500 millions de F. de crédits budgétaires qui leur ont été accordés vous paraissent-ils justifiés ?

M. Jean-Jacques de PERETTI : Intervenez-vous spontanément ou attendez-vous d’être saisis ?

M. Jean LAMBERT : Nous intervenons à notre propre initiative en exploitant les résultats statistiques et financiers qui nous sont transmis par les organismes. Lorsque nous constatons une anomalie, par exemple des reprises de provisions très importantes, suivies l’année d’après de provisions de même niveau, nous déclenchons un contrôle. En revanche, les plaintes sont rares : elles proviennent principalement du constat, par une organisation syndicale, d’une défaillance dans le fonctionnement du paritarisme.

Les disponibilités des organismes collecteurs agréés font généralement l’objet d’une gestion hyper « père de famille », sans aucune approche dynamique. Ces organismes se considèreraient comme défaillants s’ils n’avaient pas en caisse la totalité des moyens propres à faire face aux engagements de formation qu’ils ont contractés. Or ces engagements peuvent correspondre à une volonté réelle de réaliser une formation ou être le résultat d’une demande pressante d’un collecteur demandant à l’entreprise de signer une convention d’une durée de 3 ans en contrepartie de la libération de son obligation. Au reste, c’est en toute légalité que ces disponibilités excessives sont ainsi détenues. En ce qui concerne les OPACIF, le décret qui devait définir la notion de disponibilités excédentaires n’a pas été pris. On raisonne donc par analogie dans ce cas avec la formation en alternance pour lesquels les excédents sont versés au Trésor public, s’agissant des FAF et à l’AGEFAL, s’agissant des OMA.

Sur les immobilisations patrimoniales, nous ne disposons d’aucun élément précis autre que ce qui figure au bilan. En vérité, personne n’a jusqu’à présent creusé la question. La réglementation en vigueur veut simplement que les disponibilités excédentaires aillent à qui de droit. Et les OMA voient leurs frais de gestion limités. Mais quand toutes les règles de droit sont respectées, il n’y a pas de contrôle possible, sauf suspicion de fraude ; et les services de la formation professionnelle n’étaient pas habilités à enquêter dans les matières pouvant donner lieu à des développements pénaux jusqu’à l’adoption de la loi quinquennale.

M. le Président : J’imagine que vous n’êtes pas favorable au fait que les frais de gestion ne soient pas limités.

M. Jean LAMBERT : Bien entendu ! Seuls les OMA voient leurs frais de gestion plafonnés à 8 %, étant entendu que la notion de frais de gestion englobe ces frais stricto sensu et les dépenses d’information, les instances paritaires pouvant porter le plafond à 12 %, sous réserve que les frais de gestion proprement dits ne dépassent pas 6 %.

Quant aux dépenses d’information, elles recouvrent des campagnes tout à fait honorables, mais aussi des études diverses, dont la qualité est parfois douteuse...

M. Germain GENGENWIN : Il a été annoncé sur les ondes que le Conseil régional d’Ile-de-France avait refusé de subventionner le FONGECIF au motif que celui-ci aurait investi dans l’immobilier.

M. Jean LAMBERT : En l’occurrence il ne s’agissait que d’une velléité d’investissement immobilier qui n’est pas allée jusqu’à son terme. Déjà, le Gouvernement avait supprimé son concours financier au FONGECIF d’Ile-de-France en arguant du fait que les disponibilités excédentaires de celui-ci atteindraient, d’après ses estimations, 200 millions de F. Le FONGECIF, pour sa part, refuse de mobiliser ses disponibilités, en faisant valoir qu’il ne peut compter sur le soutien financier de l’Etat.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que les plafonds de 8 et de 12 % pourraient être étendus à d’autres organismes que les OMA ?

M. Jean LAMBERT : Cela serait tout à fait légitime. Il serait bon, en outre, de subordonner la croissance des frais de gestion à celle du financement des actions de formation.

M. Germain GENGENWIN : Les DRFP sont-elles soumises à un contrôle, ne serait-ce que pour s’assurer qu’elles ne réservent pas leurs crédits à un seul organisme de formation ?

M. Jean LAMBERT : Le contrôle des DRFP est du ressort du service financier de la Délégation à la formation professionnelle et des TPG. Cela dit, il est peu probable qu’une DRFP puisse réserver ses faveurs à un seul organisme sans que la Délégation ne s’en aperçoive à travers les comptes-rendus qui lui sont transmis et sans susciter les récriminations des concurrents évincés...

M. le Rapporteur : Lorsque la preuve est apportée que des irrégularités, voire des fraudes, ont été commises, quels moyens avez-vous de les sanctionner ?

M. Jean LAMBERT : Jusqu’à présent, cela débouchait sur un redressement. Par exemple, un OMA utilisant des fonds pour autre chose que la formation doit verser au fisc une pénalité d’un montant égal à celui des fonds en question.

M. le Rapporteur : Cela se produit-il souvent ?

M. Jean LAMBERT : A ma connaissance non dans un passé récent.

M. le Président : N’y a t-il pas quelque chose d’illogique à ce que l’argent aille ainsi au Trésor public, et non pas à la formation professionnelle ?

M. Jean LAMBERT : Si, sans doute, mais il faut bien sanctionner de tels comportements, ce qui ne serait pas le cas si l’on se contentait de rétablir la situation normale. C’est le système des excédents des OMA. Cette année, une campagne d’incitation au versement de ces excédents à l’AGEFAL a été lancée car les organismes versent plus ou moins spontanément. Un organisme qui ne le fait pas voit en effet ses fonds aller au Trésor public sans pénalités au lieu d’aller à la formation professionnelle et cela au bout de 2 ou 3 ans.

M. le Président : Le Trésor récupère-t-il beaucoup d’argent de cette façon ?

M. Jean LAMBERT : 240 à 270 millions de F. environ.

M. le Président : Le paritarisme sur lequel repose la gestion du financement de la formation professionnelle n’est-il pas, en fin de compte, une entrave à l’exercice de tout contrôle réel ? Par ailleurs, nous venons seulement de recevoir le rapport de l’IGAS de 1992, et je n’ai donc eu le temps de prendre connaissance que de son sommaire, mais il en ressort clairement que la gestion du financement « n’est pas optimisée », du fait que « chaque organisme se constitue une trésorerie pléthorique ».

M. Jean LAMBERT : Je partage assez largement les conclusions de cette enquête, qui souligne notamment que la défaillance globale du système repose sur la notion d’engagement de financement des formations. Toutefois, depuis le 1er janvier dernier, un nouveau plan comptable est applicable aux organismes collecteurs agréés, plan dont la principale innovation consiste à sortir du bilan les engagements unilatéraux de financement et à autoriser le provisionnement des seules actions de formation ayant reçu un début d’application. Ces nouvelles règles devraient permettre une mobilisation plus active des fonds. D’ailleurs, l’AGEFAL a abandonné, ? sous la pression insistante du représentant de l’Etat à son conseil d’administration, mais aussi parce que ses propres administrateurs ont pris conscience du fait que la situation ne pouvait plus durer ?, la règle de couverture des engagements de financement à la formation, et raisonne désormais en termes de trésorerie pour le versement des concours aux organismes ayant des besoins supérieurs à leurs ressources. C’est donc une mutualisation fondée sur la prise en compte des besoins de trésorerie et non plus sur celle des besoins définis par rapport au volume des engagements de financement des formations. Cela dit, les effets concrets de ce changement ne pourront être jugés que dans le courant de l’année prochaine.

M. le Président : Et ses incidences sur la qualité de la formation ?

M. Jean LAMBERT : C’est un autre aspect des choses, qui avance également. Un de mes collègues au sein de la Délégation s’en occupe, et l’on devrait aboutir prochainement à la mise en place d’un système de certifications sur le marché.

M. le Rapporteur : Le fait que des fonds aussi considérables aient pu être immobilisés si longtemps témoigne-t-il d’une volonté délibérée de les laisser dormir, ou bien signifie-t-il simplement que la demande de formation était très inférieure à l’offre de financement ? Par ailleurs, qui contrôle l’AGEFAL ? Enfin, des retraits d’agrément d’organismes mutualisateurs sont-ils possibles ?

M. Jean LAMBERT : Il y a eu quelques retraits d’agrément dans le passé, mais qui n’ont frappé que de petits fonds régionaux. Lorsque je disais tout à l’heure qu’aucun OMA n’avait été sanctionné, je voulais parler des OMA nationaux. Quant à l’AGEFAL, c’est une association qui se gère elle-même, avec toutefois un représentant de l’Etat au sein de son conseil d’administration, doté du pouvoir d’émettre des observations. Dans la mesure où la loi quinquennale vise à renforcer le rôle mutualisateur de l’AGEFAL, il serait opportun de renforcer également la présence de l’Etat, par exemple sous la forme d’un commissaire du gouvernement doté d’un droit de proposition de veto qui serait au moins suspensif...

M. le Président : Seriez-vous partisan d’étendre une telle procédure aux autres organismes collecteurs ?

M. Jean LAMBERT : Oui, la justification ne tenant pas à la nature des fonds collectés, mais à la mission d’intérêt général desdits organismes.

M. Germain GENGENWIN : La loi quinquennale limitant la fongibilité des fonds des OMA ne fait-elle pas de l’AGEFAL un véritable monstre, d’autant plus inquiétant qu’il est peu contrôlé ?

M. Jean LAMBERT : Le risque est tempéré par le fait que tous les intérêts représentés au conseil d’administration ne sont pas forcément convergents et par ailleurs l’AGEFAL fonctionne sous le regard des organismes mutualisateurs.

M. le Rapporteur : Comment expliquer une si grande immobilisation de fonds face à une demande de formation non moins considérable ?

M. Jean LAMBERT : Par l’insuffisante implication des entreprises dans la formation, et en particulier dans la formation en alternance. Le nombre de contrats n’était pas suffisant pour éponger les ressources dégagées par les cotisations obligatoires. Sans doute les organismes et les branches professionnelles elles-mêmes n’ont-ils pas fait auprès des entreprises les démarches qu’elles auraient dû faire. Et le fait qu’il y ait eu des surplus est resté confidentiel pendant quelques temps !

M. le Rapporteur : Pensez-vous que la fluidité des fonds incitera désormais les entreprises à s’impliquer davantage ?

M. Jean LAMBERT : Certainement. Maintenant qu’il est publiquement affirmé que les fonds nécessaires sont disponibles, les entreprises ne seront plus dissuadées d’exprimer leur demande de formation. Il y aura des campagnes de sensibilisation.

M. Germain GENGENWIN : Contrôlez-vous également le FNIC ?

M. Jean LAMBERT : Cela n’entre pas dans mes attributions. Il a fait, en revanche, l’objet d’un contrôle récent de la Cour des comptes.

M. le Rapporteur : Est-il sain que certains organismes collecteurs aient plusieurs « casquettes » ?

M. Jean LAMBERT : Non. Je ne crois pas qu’il soit bon de mélanger le rôle de collecteur de fonds et celui de dispensateur de formation. Il faudrait interdire un tel cumul, ce qui poserait évidemment quelques problèmes à certains établissements publics qui concurrent également à ces deux fonctions, mais je ne vois guère de raisons de les traiter autrement que les organismes privés. Il faut limiter le rôle des collecteurs à la collecte et aux conseils sur les actions de formation qu’ils sont susceptibles de financer et ne plus leur permettre d’organiser des actions de formation.

M. le Président : Le rôle croissant joué par les chambres consulaires dans la collecte des fonds ne va donc pas dans le sens que vous souhaitez ?

M. Jean LAMBERT : Non. Mais c’est là mon opinion personnelle...

M. le Président : Je la partage.

M. Germain GENGENWIN : Je suis également de cet avis.

M. Serge JANQUIN : Moi aussi.

M. le Président : Je vous remercie d’avoir participé à ce dialogue fort instructif. Nous vous demanderons peut-être de venir une seconde fois devant la Commission.

M. Jean LAMBERT : Je suis à votre disposition. Étant moi-même soucieux d’animer le contrôle de la formation professionnelle, je partage la préoccupation de votre Commission.

M. le Président : Si nous avons créé cette Commission d’enquête, c’est parce que nous ne sommes pas satisfaits de l’utilisation des fonds affectés à la formation professionnelle. Nous souhaitons faire des propositions constructives. En ce qui vous concerne, quelles propositions pourriez-vous faire ?

M. Jean LAMBERT : Je reprendrai les deux points que j’ai mentionnés tout à l’heure, à savoir réglementer l’utilisation des disponibilités excédentaires de façon incitative, dynamisante et supprimer la confusion entre les fonctions de collecte et de répartition, telle qu’on l’observe dans le cas des ASFO.

M. le Président : Je vous remercie.




Audition d’une délégation du CNPF

composée de

MM. Alain DUMONT, Directeur du service Enseignement et Formation
et Jean-Luc GRÉAU, Directeur du service législatif

(Extrait du procès-verbal de la séance du 15 Février 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Alain Dumont et Jean-Luc Gréau sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Alain Dumont et Jean-Luc Gréau prêtent serment.

M le Président : J’aimerais d’abord, Messieurs, recueillir votre avis sur la négociation nationale sur la formation professionnelle qui vient d’être engagée avec les partenaires sociaux. Quelles modifications au financement de la formation professionnelle le CNPF préconise-il ?

M. Alain DUMONT : Ces négociations ont commencé le 8 février dernier et doivent porter sur quatre grandes parties : la formation des jeunes ; la formation des salariés de l’entreprise et le « capital temps » ; le contrat de qualification adulte et le congé enseignement ; enfin, l’organisation et la structuration des collectes.

Au nom du CNPF, M. Jean Domange a annoncé d’entrée de jeu aux partenaires sociaux un certain nombre de principes.

Premier principe : il est vraisemblablement souhaitable de séparer la fonction formation de la fonction collecte. Nous sommes prêts à nous engager dans cette voie avec les partenaires sociaux.

Deuxième principe : nous aimerions sortir de l’opposition entre d’un côté la politique de branche et de l’autre la politique interprofessionnelle, pour réaffirmer, comme le font, depuis 1984, la loi et les accords entre partenaires sociaux, la nécessité d’une politique nationale de branche, ce qui implique que les branches aient les moyens financiers de mener leur propre politique. Le niveau régional doit être un échelon de rencontre entre une politique nationale de branche, d’un côté, et une politique interprofessionnelle, de l’autre. Il doit y avoir en conséquence deux volets : d’une part, une politique nationale de branche, avec une fonction d’orientation et une fonction de contrôle, voire d’audit, et d’autre part, un niveau régional, point de rencontre entre une politique nationale de branche et une action opératoire, avec des cartes de formation de la politique régionale de formation, etc.

Le troisième principe réside dans la nécessité d’un travail au plus près des entreprises, notamment en termes de conseil et d’information.

On peut, enfin, distinguer un quatrième volet, à savoir l’outil formation, que l’on souhaiterait voir séparé de ces trois premières fonctions.

M. le Président : Ce qui n’est pas le cas actuellement.

M. Alain DUMONT : Ce qui n’est pas le cas dans le cadre de nos ASFO, qui sont au nombre de 170, alors que c’est déjà le cas en ce qui concerne les FAF.

D’autres principes ont également été énoncés par le Président Jean Domange.

Il faut être conscient que la formation professionnelle s’est créée en vingt ans, depuis 1971, par strates successives. La complexité du système tient au fait que se sont ajoutés, depuis cette date, de nombreux dispositifs : en 1971, c’était le plan de formation de l’entreprise, en 1981, les congés individuels de formation, en 1984, l’alternance et en 1992, le régime spécifique des entreprises de moins de 10 salariés. Un certain nombre de strates ont été ainsi empilées les unes sur les autres. Le moment est venu de les ranger autrement. Le législateur l’a d’ailleurs souhaité.

Tout au long de cette construction, on a davantage favorisé le quantitatif plutôt que le qualitatif. Si, aujourd’hui, on souhaite une concentration du nombre de collecteurs, tout en ayant un travail de terrain au plus près des entreprises, c’est essentiellement pour améliorer le qualitatif et faire évoluer dans cette direction l’outil de formation. Cela demande des compétences pointues, et nous avons l’intention de nous engager dans ce domaine, afin de faire évoluer l’offre de formation à partir du donneur d’ordres. Cela implique que celui-ci approfondisse lui-même, non seulement la façon de gérer, mais aussi la façon de faire l’appel d’offres. Nous avons certainement des progrès à faire dans ce domaine, même si nous avons déjà pas mal travaillé en ce sens.

Un autre principe a été également formulé par le président Domange. Il touche à la nécessité de simplifier et de clarifier les circuits financiers : simplifier, car les choses sont devenues très complexes, et clarifier en rendant plus nette la façon dont les différentes fonctions doivent être rémunérées. Car le flou implique le flou. Il nous paraît important de bien définir les fonctions et de voir comment nous les financerions. Ensuite, il faut ? mais ce n’est pas le plus simple ? s’attaquer aux coûts de gestion, en essayant d’appliquer des taux de gestion plus réduits, encore que, en ce domaine, nous ne nous sentons pas particulièrement coupables. Il faut savoir ce que l’on regroupe sous cette rubrique et de quoi l’on parle. Cependant il faut perpétuellement essayer d’être plus rigoureux. Le CNPF le réclame dans d’autres dispositifs, UNEDIC, retraites, etc. Il paraît donc tout à fait normal d’exiger une même rigueur dans le dispositif de gestion des fonds de la formation.

M. Francisque PERRUT : N’avez-vous pas l’impression que les évolutions constantes des types de stage et de formation dues aux modifications de notre législation entraînent un certain flou ? Parvenez-vous à suivre cette diversification dans la qualité de formation ? Pouvez-vous, par ailleurs, préciser ce que vous entendez faire pour cerner davantage les coûts de gestion ?

M. Alain DUMONT : Vous faites sans doute allusion à la loi quinquennale sur l’emploi qui a supprimé les contrats d’adaptation et d’orientation pour en créer d’autres. Nous avons été un peu réticents sur ce changement. Le CNPF s’est beaucoup investi dans l’opération « Cap sur l’avenir ». Les entreprises se sont mobilisées sur les contrats d’apprentissage et de qualification. Les chiffres ont fortement progressé en décembre dernier, et nous craignons qu’un changement de formule ne déstabilise les entreprises. Nous aurions souhaité une amélioration du dispositif plutôt qu’une redéfinition d’un certain nombre de contrats, car cela ne facilite pas le travail sur le terrain. Cela dit, on est en train de faire des propositions au ministère pour rendre la situation claire pour tout le monde.

En ce qui concerne les frais de gestion et d’information, je vous indique qu’ils sont, pour les OPACIF, inférieurs à 6 %. Quant aux OMA, qui collectent les fonds de l’alternance, la loi fixe un plafond de 6 % pour les frais de gestion et 6 % pour les dépenses d’information. Nous sommes, dans l’un et l’autre cas, à un peu plus de 5 %. On pourrait peut-être les réduire d’un point ou deux. Cela dit ? et on l’a bien vu dans l’opération « Cap sur l’avenir » ? on a augmenté, en décembre dernier, de 30 % le nombre des contrats d’apprentissage par rapport à décembre 1992. C’est considérable. A cette fin, on a envoyé sur le terrain, dans toutes les entreprises, du personnel pour présenter les mesures. On a ainsi actuellement 850 personnes sur le terrain. Or une partie d’entre elles sont financées sur les frais d’information. Nous n’aurions pas augmenté de 30 % le nombre des contrats d’apprentissage si nous n’avions pas fait cela.

Mme Nicole CATALA : Quel est votre jugement sur la qualité des plans de formation des entreprises ? Considérez-vous que ces plans répondent bien aux besoins des entreprises et également aux aspirations des salariés ?

Ma deuxième question concerne le fait que les politiques de formation sont souvent perçues, comme vous l’avez souligné, sous un angle plus quantitatif que qualitatif. Le fait que l’on ait imposé au départ une contribution obligatoire qui a, sur une longue période, faussé l’attitude des entreprises, qui ne se sont pas suffisamment intéressées à la qualité des actions de formation. Il faudrait trouver un autre équilibre entre la part relevant de la contribution obligatoire et la formule du crédit d’impôt. Ceci vous paraît-il une bonne direction ? Et, dans l’affirmative, comment pourrait-on s’engager dans cette voie ?

Ma dernière question concerne les formations en alternance. Vous avez parlé du contrat d’apprentissage mais non du contrat de qualification. Etes-vous favorable à la fusion des deux contrats ? Les entreprises françaises peuvent- elles, sans fournir exactement le même effort que les entreprises allemandes, faire mieux dans l’accueil et l’insertion des jeunes qu’elles ne l’ont fait jusqu’ici ?

M. Alain DUMONT : Je répondrai d’abord à la dernière question. Fusionner toute l’alternance dans un seul contrat n’est pas souhaitable. Le CNPF a tenté de définir les objectifs qu’il fallait assigner à cette formation. On peut en dégager trois. Pour chacun de ceux-ci, on souhaiterait qu’il y ait une mesure spécifique. J’ai travaillé pendant un certain nombre de mois dans le « groupe Chamard ». Nous avons beaucoup débattu de ce problème. Pour nous, il y a d’abord un objectif diplôme. La société française ne nous paraît pas prête à accepter une qualification professionnelle initiale qui ne soit pas diplômante. Il faut admettre que la formation professionnelle initiale des jeunes soit organisée selon deux voies pédagogiques : une voie « temps plein » et une voie diplômante par l’alternance. Cette dernière devrait, selon nous, regrouper à la fois les contrats d’apprentissage actuels et 70 % des contrats de qualification qui sont diplômants. Il faut reconnaître qu’il y a une voie d’alternance sous contrat de travail, comme il y a une voie à temps plein pour préparer un diplôme professionnel...

Mme Nicole CATALA : Ou un titre ! Ce n’est pas la même chose.

M. Alain DUMONT : Oui, ou un titre de type homologation ou formation complémentaire d’initiative locale. Le second objectif concerne le dispositif qualifiant sur convention collective ou accord de branche. Il faut, en ce domaine, bien déterminer les publics.

Il y a, à cet égard, trois éléments à prendre en compte. Le premier concerne les jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme professionnel et donc sans qualification reconnue. Il y en aura encore pendant un certain temps. Le deuxième regroupe ceux qui sortent du système éducatif avec un diplôme professionnel mal adapté au métier qu’ils vont exercer dans l’entreprise. Il y a un écart, qui était jusqu’à présent comblé par le contrat d’adaptation. Il nous paraît tout à fait possible de le faire par cette filière qualifiante.

Le troisième élément tient au fait qu’apparaissent chaque jour des métiers nouveaux pour lesquels il faut très vite mettre en place une qualification professionnelle. Je citerai l’exemple de la boulangerie industrielle. Il n’existait pas de référentiel « Éducation nationale ». En revanche, la profession commençait à se structurer, et il a fallu mettre en place un dispositif : c’est-à-dire une filière diplômante, avec un type de contrat, et une filière qualifiante.

Enfin, il nous paraît important d’avoir un dispositif d’insertion pour les jeunes qui ont davantage besoin d’intégration dans l’entreprise que de formation, notamment dans un premier temps. On a déjà eu l’occasion de dire que l’on se satisfait du CIP pour l’entreprise, mais que l’on n’est pas forcément satisfait du CIP pour d’autres raisons. Ainsi l’on aurait aimé que celui-ci favorise la réintégration du jeune dans la filière qualifiante ou diplômante. Une fois que le jeune a une place dans l’entreprise, il faudrait que celle-ci puisse favoriser son inscription dans une filière qualifiante ou diplômante, car il n’est, en effet, de l’intérêt de personne de voir un certain nombre de jeunes rester dans les entreprises sans qualification professionnelle.

J’en viens maintenant aux autres points soulevés par Mme Catala, et tout d’abord l’appréciation sur les plans de formation. Je crois qu’il ne faut surtout pas raisonner de manière générale. Il y a aujourd’hui des entreprises qui ont des plans de formation particulièrement performants, qui sont dotées de responsables de formation, d’une ingénierie de formation importante ? c’est, bien sûr, souvent les moyennes ou les grandes ?, et il y a, d’autre part, des petites entreprises ? pas toutes ?, qui sont sous-équipées en matière de réflexion et d’ingénierie de la formation. Je pense, par exemple, à a branche de la réparation automobile, qui a fait d’énormes efforts pour aider précisément ses adhérents à construire leurs plans de formation. Il y a des entreprises qui sont autonomes, qui n’ont besoin de personne et il y a des petites entreprises ou des secteurs d’activités ? petit commerce, par exemple ? qui ont besoin d’une politique de branche très incitative en matière de formation.

Mme Catala a posé également la question de l’équilibre entre une contribution obligatoire et le crédit d’impôt. On peut en effet se demander si le caractère obligatoire du 0,9 % doit être maintenu alors que la moyenne des entreprises pour le plan de formation doit être autour de 2,6 %. Si ce caractère est aboli, les entreprises qui ont l’habitude d’avoir une politique de formation continueront à en avoir une, mais, en revanche, pour les entreprises qui n’avaient pas de politique de formation, la disparition de cette obligation aboutira vraisemblablement à une régression. On peut être, au premier abord, favorable à une simplification mais, très vite, on s’aperçoit que pour un certain nombre d’entreprises, l’obligation est une incitation utile.

Je complèterai mon propos sur la qualité des plans de formation des entreprises en soulignant le fait qu’une bonne partie de la formation échappe au domaine de la concurrence. Pour être simple, sur 50 milliards de F., 18 milliards de F. relèvent de producteurs privés, dont 10 concernent des organismes à but lucratif et 8 des organismes à but non lucratif. Les 32 autres milliards ne se situent pas forcément dans le champ de la concurrence. Or, précisément, en matière de qualité de la formation, il est très difficile d’être à la fois celui qui définit la politique, qui construit le cahier des charges, qui réalise la formation et qui évalue. Il n’est pas facile d’évaluer ce que l’on fait. Nos ASFO peuvent être concernées d’ailleurs par cette réflexion, et nous souhaitons effectivement qu’il y ait séparation entre collecte et formation. Mais nous ne sommes pas majoritaires, et de très loin, dans ce dispositif. Si nous voulons que la qualité progresse, il faut retenir cette position. Ou l’on se situe dans la logique d’un donneur d’ordres qui a la responsabilité de l’évaluation et qui fait faire en prenant du recul, ou bien l’on fait tout, et cela rend plus difficile une évaluation véritable de la qualité de la formation.

M. Michel BERSON : Je voudrais vous féliciter d’avoir pris enfin conscience que les fonctions de collecte et celles de l’utilisation des crédits de la formation professionnelle devraient être maintenant distinguées. Je me souviens, pour m’en être occupé quelque peu dans les années 1983-1984, qu’il y avait alors un refus total des organisations patronales de distinguer la fonction de collecte et celle de formation. En l’espace de dix ans, une grande avancée s’est opérée, et l’on peut s’en réjouir. Il faut cependant en faire d’autres. C’est sur ces autres avancées possibles que je voudrais vous interroger.

Vous avez rappelé, tout à l’heure, qu’il y avait 170 ASFO. Or il n’y a pas 170 branches économiques dans notre pays. Ne gagnerait-on pas en qualité, et surtout en efficience au niveau du financement, si l’on réduisait le nombre des ASFO ? Ne pensez-vous pas que, si les ASFO étaient, à l’instar des FAF, gérées de façon paritaire, on aurait un contrôle social de l’utilisation des fonds qui permettrait une meilleure gestion ?

Ma troisième question concerne les OMA. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait également réduire de façon drastique le nombre des OMA : une OMA par région, une OMA par branche, et peut-être deux ou trois OMA au niveau interprofessionnel ?

Par ailleurs, on a beaucoup parlé récemment dans la presse des « vrais faux salariés » ou des « faux vrais salariés » des OMA qui étaient en fait des permanents déguisés des organisations syndicales et patronales. Ce sont des critiques qui ne sont pas nouvelles, les problèmes existent depuis de nombreuses années. Que pense de tout cela le CNPF ?

Ma dernière question concerne la fusion des contrats de qualification et d’apprentissage, fusion à laquelle je suis tout à fait favorable depuis de nombreuses années car je crois profondément à la nécessité de créer dans notre pays une formation en alternance. Ne pensez-vous pas que cette fusion serait de nature à simplifier les circuits de financement et à répondre à la demande dans ce domaine ?

M. Alain DUMONT : En ce qui concerne la formation et la collecte, j’ai dit tout à l’heure une chose qui me paraissait importante, à savoir que ce principe doit aussi être appliqué à d’autres prestataires de formation.

M. Michel BERSON : Vous songez à qui ?

M. Alain DUMONT : A beaucoup d’organismes. J’ai moi-même été directeur d’une ASFO en Rhône-Alpes pendant quatre ans et je me souviens qu’à l’occasion d’appels d’offres de l’Etat, l’AFPA, qui, elle-même, répondait à l’appel d’offres comme formateur, venait nous évaluer comme organisme instructeur du dossier. Si l’on veut faire effectivement jouer la concurrence, ce qui est une manière d’évaluer la formation, il faut aller jusqu’au bout. Appliquons les mêmes règles à tous les donneurs d’ordre ou formateurs.

Faut-il réduire le nombre des ASFO ? Si vous parlez d’ASFO agréées pour la collecte des fonds de la formation, nous sommes favorables à un nombre limité de collecteurs nationaux de branche. En revanche, si l’on parle des ASFO dispensatrices de formation, cela est un tout autre problème. Etant dans le champ de la concurrence, rien ne s’oppose à ce que nos 170 ASFO soient des organismes de formation comme les autres. Je vous rappelle que, sur 170 ASFO, il y en a une centaine d’interprofessionnelles territoriales, ce qui explique le nombre.

Quant à dire que le paritarisme serait garant de la qualité, j’aurais tendance à attendre plutôt les conclusions des différentes enquêtes ou inspections en cours pour savoir si le système paritaire est mieux géré que le système des ASFO. Aujourd’hui, rien ne permet de le dire. En revanche, je précise qu’une ASFO a un conseil de perfectionnement. Il n’y a pas de conseil d’administration paritaire, mais un conseil de perfectionnement qui a, en principe, libre accès à tous les documents comptables. Autant il nous paraît important que les fonctions d’orientation et de contrôle soient paritaires, autant le travail auprès de l’entreprise nous paraît difficilement pouvoir être paritaire. On conçoit mal un syndicaliste rencontrer un chef d’entreprise pour lui expliquer comment il doit faire son plan de formation. Il y a là deux rôles bien distincts.

En ce qui concerne les OMA, je répondrai de la même façon que pour les ASFO, la plupart des ASFO étant d’ailleurs OMA. Nous souhaitons qu’il y ait également une concentration nationale en termes d’agrément, à savoir pas plus d’un ou deux collecteurs régionaux, mais nous sommes en train de réfléchir avec nos partenaires sociaux sur le point de savoir qui fera le travail de terrain auprès des entreprises. On ne peut pas penser faire à Paris ce travail auprès des entreprises. Il y a donc là un maillage à organiser.

Il y a un second maillage qu’il me paraît également important d’assurer. C’est le maillage entre des politiques nationales de branche et une politique régionale interbranches, parce qu’une carte régionale de la formation doit comprendre tous les métiers tranversaux. On ne peut pas se contenter d’une politique nationale de branche sur le plan territorial.

En ce qui concerne les « vrais faux salariés », je ne sais pas de quoi vous parlez.

M. Michel BERSON : Chacun sait que l’IGAS est à l’heure actuelle en train d’effectuer des contrôles et qu’un certain nombre d’anomalies ont été découvertes. Est-ce vrai ? Quelle est l’importance de ce problème ?

M. Alain DUMONT : On a lu un certain nombre de choses dans la presse qui nous ont quand même un peu gênés. Un grand hebdomadaire a notamment parlé des produits financiers. Mais il faut savoir que les produits financiers, en ce qui concerne l’alternance, sont obligatoirement réintégrés dans la masse. Il en va de même pour les congés individuels de formation, c’est-à-dire que les produits financiers sont réintégrés dans le dispositif.

En ce qui concerne maintenant les conseillers, on ne « vend » pas un contrat d’apprentissage ou de qualification sans rien faire. S’il n’y avait pas eu des représentants des organisations professionnelles pour aller sur le terrain vendre des contrats, on n’en aurait pas vendu. A cet égard, il est vrai que les 6 % de frais d’information de l’alternance servent à financer ces conseillers.

Cela étant, on a envie de dire que c’est davantage l’opacité qui fait douter de la réalité des choses. C’est pourquoi, si nous avions des propositions à faire en ce domaine, nous serions favorables à un système de rémunération en fonction des contrats signés. Si cette fonction n’est pas financée, elle ne sera pas remplie. Je vous assure, pour l’avoir fait sur le terrain, qu’il n’est pas simple ? surtout quand les mesures changent très souvent ? de convaincre un chef d’entreprise de prendre un jeune. Pour nous, il est important de reconnaître cette fonction en tant que telle et de lui assurer un financement clair.

Sinon, je n’ai pas connaissance de « vrais faux salariés ». En outre, on ne dépasse pas les 6 % de frais d’information et de gestion. De toute façon, c’est fixé à ce niveau-là ! Au surplus, l’on rend, tous les ans, nos bilans aux cellules de contrôle. A l’AGEFAL, il y a un contrôleur financier, nommé par le ministère du travail. Pour la plupart de nos collecteurs, il y a un commissaire aux comptes. Tout un dispositif de régulation est en place.

M. Michel BERSON : Selon vous donc, dans les ASFO ou dans les fonds d’assurance formation, il n’existe pas de salariés dont les fonctions ne seraient pas en rapport direct avec la formation professionnelle ? Il n’y a pas des salariés des FAF ou des ASFO qui seraient, par exemple, des permanents du CNPF, ou de telle ou telle autre organisation syndicale ou patronale ?

M. Alain DUMONT : Je peux vous garantir qu’au niveau du CNPF il n’y en a pas. Sinon, on le saurait. En ce qui concerne les ASFO, je n’ai pas connaissance de tels faits. En revanche, les produits financiers de la taxe d’apprentissage sont des produits à utilisation libre. Je certifie que les produits financiers du 0,4 % sont réintégrés dans le dispositif ; c’est obligatoire, et l’on ne peut pas faire autrement. Par contre, les produits financiers de la taxe d’apprentissage ne sont pas soumis à cette obligation.

M. le Président : Il y a aussi l’activité de conseil.

M. Alain DUMONT : Tout dépend de ce que l’on appelle activité de conseil. Aller dans une entreprise et informer celle-ci des dispositifs de formation existants, voire l’aider à recruter un jeune, c’est, notamment dans l’alternance, ce que j’appelle l’activité de conseil. On conseille l’entreprise sur le meilleur dispositif d’insertion du jeune dans l’entreprise. Ces activités de conseil sont financées sur les 6 % des frais d’information.

Une dernière question m’a été posée sur la fusion des contrats d’apprentissage et de qualification. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, nous sommes favorables à la création d’une filière diplômante qui regroupe les contrats d’apprentissage actuels et les contrats de qualification diplômants, mais nous ne sommes pas favorables ? parce que nous pensons que ce serait dévaloriser l’image de cette filière d’alternance ? à l’insertion dans ces contrats des contrats de qualification débouchant sur une qualification. Cela voudrait dire que, sur 200 contrats de qualification et d’apprentissage, il y en aurait pratiquement 170 dans la filière diplômante. Tout de suite se pose le problème du financement. Nous ne sommes pas complètement opposés aux conclusions du rapport de M. Chamard, selon lesquelles il faut prévoir une fongibilité qui aurait le double mérite de la souplesse et de favoriser une politique de branche. Nous serions pour une fongibilité du 0,4% vers l’apprentissage ? ce qu’ont fait un certain nombre d’accords de branche, notamment dans la métallurgie ? et nous allons étudier avec les partenaires sociaux la possibilité d’un transfert de 0,1 % de la taxe d’apprentissage, qui représente en gros le quota de l’apprentissage, vers le 0,4 %. La gestion serait alors assurée par les OMA. On voit bien la logique : cela permettrait que les 0,5 % ? 0,4 % alternance plus le 0,1 % apprentissage ? soient gérés de la même façon. Cela présenterait un autre intérêt : celui de normaliser le financement de ces différents contrats, notamment en finançant non pas l’établissement, mais le contrat. Actuellement, la taxe d’apprentissage finance un établissement et il y a une très grande hétérogénéité du financement. Par contre, le financement au contrat financerait le contrat. Ce qui nous paraît plutôt plus sain dans le dispositif. On assisterait là à une très grande clarification. Prenons un exemple. Certains CFA qui ont des sections très petites doivent quand même financer l’ensemble de la section. Si ces mêmes CFA étaient financés au contrat, il y aurait nécessité d’avoir des sections plus importantes, et à ce moment-là une rentabilité du système beaucoup plus intéressante.

M. Jean-Miche FOURGOUS : Vous avez distingué tout à l’heure, en traitant du problème de la gestion, les placements et les gains de ceux-ci. C’est un sujet très préoccupant quand on connaît la nature humaine. Il est évident que l’on a intérêt à faire des placements financiers, à bloquer des opérations dans la mesure où cela permet de constituer un petit magot qui passe outre le contrôle. Avez-vous constaté à cet égard des abus ou des dérives ?

M. Alain DUMONT : Sur le 0,4 % notamment, tous les produits financiers sont obligatoirement et réellement réintégrés dans la gestion de la masse. Si l’on a 10 millions de F. de collecte et 1 million de F. de produits financiers, c’est 11 millions de F. que l’on doit justifier à l’AGEFAL, aux commissaires aux comptes et aux contrôleurs financiers, c’est-à-dire que l’on doit obligatoirement réintégrer ces produits financiers dans le montant à dépenser. Mais votre question porte, je suppose, sur la taxe d’apprentissage.

M. Jean-Michel FOURGOUS : Tout à fait !

M. Alain DUMONT : L’utilisation des produits financiers de la taxe d’apprentissage est laissée à la libre initiative du collecteur. En ce qui me concerne, j’ai été un des collecteurs importants en Rhône-Alpes. Ces produits financiers servaient, d’abord, à financer la gestion de la taxe. Ensuite, on reversait les produits financiers dans notre CFA qui avait besoin de la taxe d’apprentissage pour fonctionner. On le réintégrait donc dans le dispositif de formation. Cela dit, je suis clair, les produits financiers de la taxe d’apprentissage sont libres d’utilisation ; ils sont donc d’une utilisation extrêmement hétérogène.

M. Claude DEMASSIEUX : Ne croyez-vous pas que la volonté de clarification et de concentration que l’on perçoit dans vos propos, aboutisse à réduire la souplesse qui est malgré tout nécessaire ? La formation doit être proche de l’entreprise. Ne craignez-vous pas de construire une nouvelle administration ?

M. Alain DUMONT : Il faut distinguer deux niveaux : la politique de formation des jeunes et la formation continue des entreprises. Or il est très difficile à une région, pour un certain nombre de grandes branches professionnelles, d’avoir une prévision à long terme des besoins et de l’évolution des métiers, tout simplement parce que l’on n’a pas les outils régionaux, et parce qu’une région est, nous semble-t-il, inadaptée à ce niveau-là. En termes d’orientation et de contrôle, le niveau national nous paraît important.

En revanche ? et, là, je vous rejoins tout à fait ? il nous semble important que, par mandat, il y ait une activité au plus près de l’entreprise, pour aider celle-ci, mais par un système mandat de manière à éviter, à la fois, une très grande complexité du système et une non-transparence des circuits financés.

Je citerai un exemple. J’habite en Franche-Comté. Aucune des grandes entreprises de cette région ? Peugeot, Solvay, Alsthom ? ne prend ses décisions en matière de ressources humaines en Franche-Comté. Il y a obligatoirement, en matière de formation professionnelle des jeunes, à la fois une politique nationale et une déclinaison régionale. Il faut mixer les deux, et l’on travaille beaucoup sur ce maillage.

M. Claude DEMASSIEUX : La politique d’aménagement du territoire peut constituer un risque en matière de formation professionnelle.

M. Alain DUMONT : En ce domaine, on craint autant le « tout Etat » que le « tout région ». Le problème est de trouver un équilibre.

Par exemple, dans certaines régions ont été créés des IUT qui se justifient difficilement et qui n’obéissent pas forcément à des préoccupations professionnelles.

M. François LOOS : Je suis surpris que le CNPF ne réclame pas une réduction des obligations légales actuellement imposées aux entreprises. Je comprends très bien que l’on continue à financer de façon obligatoire ce que l’on pourrait appeler « l’intermédiation » pour vendre les contrats. En effet, les gens qui n’ont pas encore commencé une politique de formation doivent y être incités. Qu’il y ait une petite cotisation pour financer cela, ce serait bien. Que le contrôle du système soit mis en place, cela ne serait pas mal et dispenserait les entreprises de payer une cotisation obligatoire. Au fond, j’aurais attendu du CNPF qu’il y ait une proposition en ce sens. Au contraire, on a l’impression que vous êtes très heureux de gérer les produits financiers de ces organismes, alors que, logiquement, il vaudrait mieux que ces produits financiers soient dans les entreprises.

M. Alain DUMONT : Je suis d’accord pour parler des produits financiers de la taxe d’apprentissage. Mais vous parlez d’autres produits financiers, je vous demande où ils sont et lesquels. J’insiste bien sur ce point-là.

Toucher à la taxe d’apprentissage aujourd’hui, c’est déséquilibrer complètement le financement des écoles d’ingénieurs, des écoles de commerce, de toutes les écoles privées de formation supérieure. J’ai reçu tout récemment le président de la conférence des écoles d’ingénieurs, qui voient depuis trois ans avec inquiétude les ressources de la taxe d’apprentissage diminuer.

M. François LOOS : Il est normal qu’il se plaigne. Ancien président d’une école d’ingénieurs, je me suis moi-même plaint, à l’époque, de ne pas en avoir assez.

M. Alain DUMONT : Monsieur le Député, nous ne nous sentons pas aujourd’hui capables de dire à des élus : « supprimez la taxe d’apprentissage ! » Cela étant dit, à chacun son travail ! J’ai envie de dire : « C’est une véritable bombe ! »

Mme Martine DAVID : Il faudrait, au moins, qu’elle soit répartie d’une façon plus égale, et qu’elle soit plus juste ! Prenez, par exemple, les lycées professionnels d’enseignement public. Vous savez parfaitement que la part de la taxe professionnelle qui leur revient est très nettement insuffisante par rapport à d’autres types d’établissements d’enseignement. Va-t-on continuer encore longtemps comme cela, alors qu’il y a, là aussi, des besoins ?

M. Alain DUMONT : Je ne suis pas là pour défendre les écoles privées. Je peux seulement vous donner un chiffre. L’enseignement public reçoit un tiers de la taxe d’apprentissage, l’enseignement privé en reçoit un tiers et l’alternance reçoit le dernier tiers. Tout ce que je peux dire, c’est qu’un certain nombre d’établissements privés n’ont pas de subventions d’investissement et qu’ils paient leurs investissements sur la taxe d’apprentissage. Je ne suis pas habilité à porter un jugement. Je dis simplement qu’à l’heure actuelle, le dispositif, notamment des grandes écoles, est très dépendant de la taxe d’apprentissage.

M. François LOOS : Pourquoi le CNPF passe son temps à défendre les écoles ? Les entreprises paient des charges sociales de plus en plus importantes. Personnellement, je me serais plutôt attendu à ce que le CNPF nous dise : « Les charges sociales sont très importantes, et l’on pourrait peut-être, dans un domaine comme celui-là, « gratter » quelque chose. »

M. Alain DUMONT : Le CNPF considère effectivement qu’il faudrait sérieusement diminuer les charges des entreprises. Même si je ne suis au CNPF que depuis un an, je n’ai jamais entendu un chef d’entreprise affirmer qu’il fallait diminuer les charges liées à la formation.

M. Michel BERSON : Très bien !

M. Alain DUMONT : Ces dépenses représentent 3,2 % de la masse salariale en moyenne, alors que l’obligation légale est de 1,5 %. Mais il faut être conscient de ce qui se passerait si l’on supprimait l’obligation du plan de formation de l’entreprise. Pour le chef d’une petite entreprise, la formation passe souvent au dernier rang, parce qu’il a d’autres urgences. Il aura toujours besoin de quelqu’un pour l’aider à organiser sa formation. Celui qui est convaincu n’aura, lui, besoin de personne et ira bien au-delà de l’obligation légale.

Autant le plan de formation me paraît appartenir à l’entreprise, autant la politique de formation professionnelle des jeunes me paraît être d’un autre niveau. Quand on ouvre une section, ou deux, sur le plan régional, cela relève de la décision, non d’un chef d’entreprise, mais d’une branche professionnelle, car cela exige un recul qui va au-delà de l’entreprise. Sans doute la formation professionnelle des jeunes engage-t-elle la responsabilité du chef d’entreprise ? d’ailleurs, s’il ne le fait pas, il n’y aura pas de jeunes accueillis dans l’entreprise ?, mais le pilotage de la formation professionnelle des jeunes ne nous paraît pas relever du seul chef d’entreprise.

Il arrive qu’un proviseur d’établissement souhaite ouvrir une section car il a recueilli les signatures de trois chefs d’entreprise qui affirment qu’il y a des besoins. Nous avons tous vécu cela sur le terrain. Que se passe-t-il l’année suivante ? Les chefs d’entreprise en question ne prennent plus de jeunes. Mais la section une fois ouverte, on n’arrive plus à la fermer. Tout cela a lieu parce que l’analyse des besoins a été mal faite.

M. Jean-Luc GREAU : J’ajouterai un mot en réponse à M. Loos. Seule une réduction massive des charges sociales pourrait avoir des résultats économiques immédiats et importants. Ce que l’on pourrait « gratter », pour reprendre votre expression, n’aurait pas d’effet significatif. Et si le CNPF a pris très clairement position pour la budgétisation des allocations familiales ? entreprise très compliquée compte tenu des déséquilibres économiques actuels, car elle porte sur un transfert de 150 milliards de F. ?, nous ne pouvons pas accepter que la baisse des charges sociales se fasse aux dépens de la formation professionnelle.

M. Serge JANQUIN : Je me réjouis d’entendre dire que les moyens déployés doivent être conservés et admettre que les fonctions de collecte et de formation des ASFO doivent être scindées. Mais je crains que, dans une dizaines d’années, vous ne veniez nous dire : « Vous aviez raison : le paritarisme est aussi un excellent moyen de contrôle ». Nous avons reçu le chef du groupe chargé du contrôle à la délégation à la formation professionnelle. Il nous a dit combien ses moyens sont dérisoires, même s’il faut s’attacher à les développer.

Le paritarisme s’applique à la fonction publique territoriale. C’est un très bon moyen de contrôle. Et l’on dit parfois que les communes doivent être gérées comme des entreprises. Pourquoi n’étend-on pas ce dispositif aux entreprises ?

M. Jean-Michel FOURGOUS : Le CNPF a souvent l’image d’une organisation qui s’intéresse uniquement aux grandes entreprises. On peut effectivement se poser la question quand vous nous dites que vous n’avez jamais rencontré de chef d’entreprise qui ne souhaite plus cotiser à la formation professionnelle. Je vous rappelle que la grande majorité des entreprises françaises sont de petites entreprises et que la majorité des emplois se sont créés au sein de ces dernières. Et ce qui fait la force de la France, ce sont les PME. Car les grands groupes travaillent sur des marchés très protégés, où l’on ne prend pas toujours en compte les règles de rentabilité. Je peux témoigner que les petits patrons souhaitent un allégement massif des charges, dont cette cotisation, car, compte tenu du contexte actuel de guerre économique, la priorité, pour eux, n’est hélas, pas forcément la formation professionnelle.

M.le Président : Je voudrais revenir sur un point qui a été évoqué tout à l’heure par notre collègue M. Berson : la gestion des ASFO. Il y a un organisme de coordination des ASFO qui s’appelle le CEFAR. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le rôle joué par le CEFAR ? Les adhérents du CEFAR sont-ils exclusivement des ASFO ? Quelles sont les ressources de cet organisme de coordination ?

M. Alain DUMONT : Le CEFAR est en quelque sorte « l’ASFO des ASFO », c’est-à-dire qu’il propose des formations et des stages pour les nouveaux salariés des ASFO. Par ailleurs, le CEFAR organise des journées d’information sur la loi quinquennale, sur les nouveaux décrets d’application, etc. Il y a donc à la fois une formation et une information, notamment sur le plan juridique, du réseau des ASFO. Le CEFAR vit des cotisations de ses membres. Chaque adhérent verse une cotisation annuelle pour faire vivre le CEFAR. Il faut savoir que le CEFAR est un outil très léger, une toute petite équipe.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie d’avoir participé à cette réunion de travail de notre Commission. Notre objectif est de préciser la nature et l’utilisation des fonds affectés à la formation professionnelle, non de nous livrer à une chasse aux sorcières. Nous n’avons pas d’a priori, mais il est clair aussi que, au bout de vingt ans, le système de la formation professionnelle est devenu d’une complexité évidente. Il faut donc faire œuvre de simplification, en sachant très bien que, dans quelques années, il aura de nouveau atteint le même niveau de complexité. C’est la loi du genre !

Je vous poserai, pour conclure, une dernière question : si vous aviez un conseil à donner à ceux qui se préoccupent de rationaliser les fonds affectés à la formation professionnelle, que diriez-vous ?

M. Alain DUMONT : Je dirais qu’il est fondamental de clarifier et d’éviter toute ambiguïté sur les rôles de chacun.

M. le Président : Je vous remercie.




Audition de M. Gilbert HYVERNAT

Directeur général délégué de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 15 février 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

M. Gilbert Hyvernat est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Gilbert Hyvernat prête serment.

M. le Président : Chacun se préoccupe aujourd’hui de l’utilisation optimale des fonds de la formation professionnelle compte tenu du niveau élevé du chômage et nous souhaitons que les travaux de la Commission d’enquête puissent contribuer à améliorer la gestion des ressources de la formation professionnelle.

L’organisme que vous dirigez en qualité de directeur général délégué est impliqué dans la mise en œuvre de la politique de l’emploi et de la formation professionnelle et fait souvent l’objet de critiques dans le domaine de la lutte contre le chômage en raison de l’insuffisance des taux de placement par l’agence des demandeurs d’emploi.

Aujourd’hui, l’emploi et la formation professionnelle sont intimement liés, l’un étant conditionné par l’autre. Pouvez-vous nous préciser quels sont les liens entretenus par l’ANPE avec le dispositif de formation professionnelle et nous dire si le rôle de l’Agence vous paraît bien défini dans ce domaine ?

M. Gilbert HYVERNAT : Vous mettez l’accent sur un point essentiel de la situation difficile à laquelle se trouve confrontée l’ANPE. Je soulignerai en avant-propos qu’un important travail de rénovation de cet instrument de la politique de l’emploi a été entrepris depuis environ cinq ans. J’y participe depuis deux années et j’en suis très fier.

La modernisation d’un service public est toujours une tâche difficile et n’est pas exempte de conflits. Il convient de rappeler que l’ANPE enregistre chaque année environ 12 millions de points d’impact. Ainsi 12 millions de contacts sont établis dans les quelques 700 agences pour l’emploi, avec près de 6 millions d’inscriptions pour l’année 1993. Cela représente un flux considérable pour un établissement qui ne compte en fait que 14.000 personnes environ, même si ces effectifs ont été renforcés au cours de ces trois dernières années.

L’agence a pour mission d’accueillir les demandeurs d’emploi et de les inviter à reprendre un emploi grâce à ses propres moyens de prospection ou à ceux que les entreprises lui ont offerts.

Evidemment, la question de la formation professionnelle se pose depuis toujours à l’agence. Nous savons ? et cela’s’inscrit dans une problématique complexe très discutée sur le plan européen aujourd’hui ? que l’insuffisance de qualification professionnelle constitue un handicap en vue de la reprise d’un emploi ou tout simplement de son maintien. Cette constatation est bien réelle mais doit être accompagnée de réserves prudentes.

En effet, le thème de l’insuffisance de la qualification comme facteur explicatif du chômage est, aujourd’hui, mis à rude épreuve en raison de l’existence d’un taux de chômage important chez les jeunes diplômés. Le chômage touche des titulaires de diplômes qui, il y a quelques années, représentaient une réelle chance d’emploi, comme certains BTS, DUT ou diplômes d’ingénieurs. Or ces formations initiales ne garantissent plus aujourd’hui une reprise d’emploi ou l’accès à un emploi. On peut faire la même observation pour les chômeurs de longue durée dont la plupart ont plus de quarante ans. Une comparaison au niveau européen fait, du reste, apparaître que le chômage de longue durée est une maladie spécifiquement française. Or, les chômeurs de plus de quarante ans qui ont le plus souvent un niveau de formation important détiennent des compétences indéniables et ont une expérience professionnelle attestée.

L’agence nationale pour l’emploi entretient trois sortes de relations avec la formation professionnelle.

En premier lieu, elle est pourvue d’une dotation budgétaire divisible en deux grandes parties. D’une part, un budget annuel, d’environ 500 millions de F., permet à l’agence de fournir des prestations de conseils d’orientation en vue d’une formation ou d’un emploi. D’autre part, l’ANPE bénéficie d’un budget dit « mesures pour l’emploi », qui participe pour une part modeste à l’ensemble de la dépense publique de l’emploi.

La première partie de la dotation correspond au rôle d’opérateur direct de l’ANPE disposant de ses propres fonds pour prescrire aux demandeurs d’emploi des actions très courtes d’orientation ou, pour ceux qui le souhaitent, un bilan d’évaluation. A cette fin, l’ANPE, qui n’est pas elle-même organisme de formation, conclut un contrat avec des organismes de formation.

Incontestablement, il y a à la fois du bon et du moins bon dans cette façon de procéder. L’aspect positif réside dans le fait que le tissu de formation français, bien connu pour sa diversité, permet de trouver assez facilement un partenaire pour effectuer les actions de sous-traitance. Néanmoins, cette diversité constitue aussi un handicap dans la mesure où les actions de formation et d’orientation risquent d’être trop dispersées.

Du point de vue de la formation proprement dite, l’ANPE traite chaque année entre 200.000 et 300.000 cas dans le cadre des mesures de l’Etat pour l’emploi, destinées notamment à faciliter la reprise d’un emploi. L’action de l’ANPE ne concerne pas, dans ce cas, la personne elle-même, sa compétence et sa capacité à être embauchée, mais vise à encourager l’employeur à recruter un demandeur d’emploi.

L’ensemble de ces mesures atteint un montant annuel d’environ 1,5 milliard de F. Il s’agit essentiellement d’incitations à l’embauche par le jeu des exonérations, des cotisations sociales patronales ou d’aides à la formation.

La formation professionnelle est alors organisée par l’entreprise dans le cadre de ses propres structures de formation ou par un organisme de formation choisi par elle, car il s’agit là d’une formation d’insertion en vue d’occuper un emploi, dont le profil est préalablement défini.

L’ANPE a, quant à elle, une approche différente de l’emploi dans une entreprise. Ainsi, lorsqu’une entreprise dépose une offre d’emploi à l’ANPE, celle-ci peut se charger de former ou d’apporter des compétences complémentaires à des demandeurs d’emploi susceptibles de satisfaire cette offre. Pour ce faire, elle conclut directement un contrat avec un organisme de formation. Par ce contrat, elle commande et règle les affaires elle-même.

Enfin, l’ANPE intervient dans le cadre du stage d’insertion et de formation à l’emploi (SIFE) introduit par la loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle. Je ne trouve pas la nouvelle appellation très heureuse car elle me paraît susceptible d’entraîner des confusions avec les CIF.

La formule du SIFE regroupe désormais les stages de reclassement professionnel (SRP), les stages « cadres » du FNE, les actions d’insertion et de formation du FNE (AIF) et les actions d’insertion financées par le FNE en faveur des femmes isolées. Elle témoigne de la tentative de l’Etat de rationaliser et de simplifier les stages d’insertion professionnelle. L’ANPE sera donc placée d’emblée dans une position particulière.

L’ANPE sera habilitée, par la loi et les décisions du ministère du Budget, à traiter annuellement environ 40.000 SIFE bénéficiant à des jeunes à titre individuel. Elle aura une relative autonomie pour prescrire et réaliser les actions d’insertion professionnelle des jeunes. Il reste que 200.000 SIFE environ seront organisés à l’échelon régional. Un plan annuel régional de développement des formations professionnelles des jeunes, introduit par la loi quinquennale, permettra à l’ANPE de rendre compte des besoins collectifs des demandeurs d’emploi ou des besoins exprimés dans les bassins d’emploi.

Enfin, j’observerai que la contribution de l’ANPE au dispositif de formation professionnelle, d’un montant total de 2 milliards de F., reste assez modeste par rapport à la dépense totale de formation professionnelle qui s’élève, si ma mémoire est bonne, à environ 130 milliards de F., dont 45 milliards de F. correspondent à l’enveloppe budgétaire de la formation professionnelle.

L’Agence ne dispose donc que de petits moyens qui, globalement, peuvent apparaître comme assez disparates. Certaines actions sont à très court terme, d’autres portent sur six mois ou un an. Du point de vue du fichier de l’ANPE, environ 500.000 personnes peuvent être concernées par le dispositif de formation, ce qui est relativement peu sur un flux de six millions d’inscrits. Cela met donc bien clairement l’accent sur le fait que l’ANPE, premier opérateur public de l’emploi en France, n’occupe pas une place aussi importante dans le dispositif de formation professionnelle qu’on pourrait le croire.

Par ailleurs, du fait des mesures visant à sa déconcentration, l’ANPE pourrait progressivement s’intégrer au fonctionnement des COREF, qui supervisent les plans annuels de l’emploi et de la formation. En effet, l’agence devra, à son tour, participer à l’établissement des plans annuels de développement des formations professionnelles au niveau régional et départemental.

A l’exemple de l’Allemagne et, à un moindre degré, de l’Angleterre, le service public devrait disposer de moyens de prescription adaptés à la situation individuelle des demandeurs d’emploi. Or, le problème fondamental pour notre pays est la capacité de réaction dans les meilleurs délais de l’appareil de formation professionnelle aux besoins du marché du travail. La lourdeur et la complexité des procédures et des dispositifs rendent très difficile le travail de réadaptation et de réinsertion rapides accompli par l’ANPE en vue d’une reprise d’emploi par une personne inscrite au fichier.

De surcroît, l’information de l’agence sur la réalité des besoins de l’emploi est très insuffisante. De ce point de vue, alors qu’en Allemagne les employeurs indiquent aux organismes chargés localement de la formation professionnelle un état prospectif des besoins d’emploi à court et moyen terme, en France, l’appareil de formation n’est pas en possession des données susceptibles d’éclairer les choix devant être fixés pour l’avenir. La France ne maîtrise pas très bien la gestion de son « marché de l’emploi », relativement opaque et peu propice aux prévisions économiques fiables. De ce point de vue, je pense que l’agence détient une part importante de responsabilité car elle n’est pas en mesure de donner un état suffisant des besoins en formation à la lumière des besoins de qualification et des profils d’emplois prévisibles dans les bassins d’emploi.

M. le Président : Le rôle de l’ANPE vous paraît-il bien défini aujourd’hui ? Après avoir évoqué le travail de formation professionnelle accompli dans le cadre de l’ANPE, pensez-vous que l’ANPE a aussi un rôle identique à celui d’un organisme de formation ? Si oui, comment selon vous, financer cette activité ?

M. Gilbert HYVERNAT : Je ne pense pas que le rôle de l’ANPE doive être celui d’un organisme de formation. Simplement, elle a besoin de pouvoir utiliser, de manière rapide et efficace, les structures de formation. Son rôle doit donc plutôt consister à informer les organismes de formation sur les besoins des entreprises en cette matière, à court ou à moyen terme. En tout état de cause, l’ANPE n’a pas pour vocation de faire elle-même de la formation.

La situation du monde du travail exige que chacun soit prêt à une réadaptation rapide dans des conditions satisfaisantes, s’il souhaite reprendre un emploi. Ce problème n’est, aujourd’hui, pas très bien résolu du fait du manque de lisibilité des besoins d’emploi, et de l’importante complexité des relations entre les salariés et les autorités responsables de l’emploi.

M. le Président : Avant de revenir au problème de lisibilité du dispositif de formation professionnelle, je souhaiterais que vous établissiez un bilan du rôle d’opérateur en formation de l’ANPE dans le cadre des SIVP et des stages modulaires, par exemple ?

Quelle a été l’affectation des recettes perçues par l’agence dans ce cadre ? Pouvez-vous nous donner des précisions sur l’écart constaté entre les crédits budgétaires demandés par l’agence pour la formation professionnelle et ceux effectivement consommés ?

M. Gilbert HYVERNAT : Je n’ai pas apporté de séries statistiques et je n’étais d’ailleurs pas en charge de la gestion des SIVP. Cependant, je peux vous les transmettre rapidement.

M. le Président : Avec plaisir car il serait intéressant de savoir pourquoi les crédits consommés ont été inférieurs aux crédits demandés et quelle a été leur affectation.

M. Jean-Michel FOURGOUS : Combien y-a-t-il eu d’offres d’emplois en France en 1993 ?

M. Gilbert HYVERNAT : Le nombre annuel d’offres d’emplois en France est d’environ 4 millions. Sur ce total, l’ANPE en traite environ 1,3 million.

M. Jean-Michel FOURGOUS : Le montant des dotations budgétaires de l’ANPE par rapport au nombre d’offres d’emplois est élevé en 1993. Il est, par ailleurs, regrettable que les entreprises s’adressent en moyenne à l’agence seulement une fois sur quatre ou cinq.

M. Gilbert HYVERNAT : Une fois sur quatre.

M. Jean-Michel FOURGOUS : Donc, vous sélectionnez les « A.N.P.iste » et vous les présentez une fois sur quatre aux employeurs, ce qui équivaut globalement au placement d’un demandeur d’emploi sur vingt, de sorte que vous n’exercez votre métier qu’à raison d’une offre d’emploi sur vingt.

Il serait intéressant de connaître le coût global de l’ANPE et celui d’un demandeur d’emploi. Il conviendrait ainsi d’évaluer la rentabilité de l’ANPE du point de vue du taux de placement des demandeurs d’emploi. Comme dans tout organisme, il me semble que vous devriez mesurer l’efficacité de votre action. Or que pensez-vous de la faiblesse des résultats obtenus ?

M. Gilbert HYVERNAT : C’est une vaste question, mais je parviens mal à suivre votre extrapolation relative au taux de placement des demandeurs d’emploi.

Je précise d’abord que je n’ai pas employé le terme d’« A.N.P.iste » et je m’attacherai plutôt à conserver l’appellation consacrée de demandeur d’emploi.

M. le Président : Bien sûr.

M. Gilbert HYVERNAT : Un demandeur d’emploi se rend à l’ANPE pour deux raisons : s’y inscrire pour prétendre à une indemnisation du chômage par les Assédic et trouver un travail.

L’ANPE a pour première fonction d’inscrire les demandeurs d’emploi, comme le lui prescrit la loi. Ainsi elle engage une procédure administrative d’inscription au fichier des demandeurs d’emploi. La seconde mission de l’ANPE est de proposer du travail au demandeur d’emploi ou toutes les modalités lui permettant d’y parvenir dans les meilleures conditions.

Je rappelle que le marché de l’offre d’emplois est composé d’entreprises, d’associations, de collectivités publiques. 4 millions d’entreprises se créent ou disparaissent, chaque année, en France. L’ANPE en couvre à peu près le quart, soit entre 1,2 et 1,3 million en 1992 et 1993.

Lorsque l’ANPE reçoit une offre d’emploi, son travail consiste à proposer à l’entreprise d’où émane cette offre les candidats paraissant les plus aptes à occuper cet emploi. L’agence n’est donc pas maîtresse de la décision d’embaucher de l’employeur et n’a qu’un rôle de médiation.

En 1992 et 1993, il convient d’observer que la vitesse de proposition par l’ANPE de demandeurs d’emploi aux entreprises offrant des emplois a été pratiquement doublée en ce qui concerne les offres dites les plus commodes. Le traitement de certaines demandes d’emploi dure plusieurs semaines. En outre, l’ANPE est entrée ? quoiqu’avec difficulté ? dans une logique de sélection. Nous sommes, en effet, aujourd’hui confrontés à des employeurs qui nous demandent de proposer des éléments de sélection des candidats à l’emploi. C’est là quelque chose de nouveau car, jusqu’à présent, l’entreprise souhaitait établir elle-même une sélection.

Je souligne ce fait car, dans ces conditions, il devient difficile de procéder à une comparaison entre le taux de présentation des demandeurs d’emploi et celui de leur placement. En outre, il arrive qu’un demandeur d’emploi vienne très souvent à l’agence seulement pour obtenir une information, ou qu’il ne se rende pas à un rendez-vous dans une entreprise. Dans ce cas, nous sommes contraints d’appliquer, même si cela se fait de manière parfois critiquable et peu satisfaisante, les règles de gestion de la liste des demandeurs d’emploi qui conduisent à la radiation annuelle d’environ une centaine de milliers de demandeurs d’emploi.

M. le Président : Je voudrais revenir sur le problème de la lisibilité des besoins d’emploi.

Il existe actuellement un nouveau répertoire opérationnel des métiers et de l’emploi (ROME). Or, pourquoi constate-t-on que vos agences travaillent toujours sur la base de l’ancien répertoire ?

Certains employeurs se plaignent de l’inadaptation du profil des demandeurs d’emploi par rapport aux postes offerts. Il arrive ainsi par exemple, que l’ANPE envoie des peintres ou des carreleurs à des employeurs souhaitant recruter des constructeurs en béton armé. Ne retardez-vous pas d’une guerre de ce point de vue ?

M. Gilbert HYVERNAT : Le répertoire opérationnel des métiers (ROME), dans sa première formule, a été conçu à une époque où l’emploi présentait, au plan qualitatif, une lisibilité certaine et où l’on pouvait travailler par branche. Ces structures de l’emploi se sont terriblement déformées ces dix dernières années. Le ROME tel qu’on a pu le connaître ne rend plus compte, aujourd’hui, que de 20 ou 30 % des problématiques d’emploi : d’une part, les métiers deviennent de plus en plus complexes ; d’autre part, il faut maintenant être capable de passer d’un métier à un autre, grâce à une adaptation légère acquise à l’issue d’une formation professionnelle. Il ne s’agit pas de faire des révolutions mais de permettre aux salariés de s’adapter à des changements de métiers.

Le service public de l’emploi français a longtemps vécu sur la grande illusion qu’à toute offre correspondait nécessairement une demande d’emploi et qu’il suffisait de les rapprocher. Aujourd’hui, cette méthode est en question. Prenons l’exemple de l’entreprise de maçonnerie qui propose des emplois de maçons. Nos fichiers comprennent, par exemple, des maçons, âgés de quarante à cinquante ans, et nous éprouvons des difficultés majeures à établir une correspondance entre le profil de ceux-ci et les caractéristiques des emplois de maçon offerts par les entreprises de bâtiment et de travaux publics telle que Dumez ou Bouygues. Celles-ci proposent, en effet, des métiers qui n’ont guère été maîtrisés au fil du temps par les demandeurs d’emploi. Ce n’est donc pas parce qu’ils exercent un métier de maçon que les demandeurs d’emploi peuvent accéder à une offre d’emploi de maçon, car il existe différents types de maçons.

M. le Président : L’ANPE a aussi été un opérateur en formation. Pourquoi ne formez-vous pas vous-mêmes les demandeurs d’emploi avant de les présenter sur le marché du travail ?

M. Gilbert HYVERNAT : Nous n’avons pas nous-mêmes d’activité de formation. La formation professionnelle peut aider à une reconversion. Les bénéficiaires d’une formation de reconversion peuvent accéder à un emploi proposé après une adaptation dans l’entreprise. A cette fin, des aides de l’Etat permettent à l’entreprise d’adapter les personnels aux emplois proposés.

Je peux vous citer un autre exemple que j’ai vérifié, il y a quelques jours, dans le Nord, à Wattrelos, dans le secteur de la confection qui connaît d’importantes difficultés. Un agent m’a informé que six piqueuses, qu’il avait envoyées dans une entreprise, étaient revenues sans succès. Lorsque nous nous sommes rendus dans l’entreprise pour comprendre la raison de ce refus, nous avons découvert qu’elle était dotée d’équipements très modernes et que le profil d’emploi de piqueuse dépendait, en fait, de la nature du matériel. Or, aucune des personnes envoyées par l’agence, c’est-à-dire des femmes entre quarante et cinquante ans, n’était capable d’occuper les emplois proposés. Il était donc nécessaire de pratiquer une adaptation des demandeurs d’emploi à ces matériels et à ces styles de métiers. L’entreprise a la possibilité de le faire elle-même mais, parfois, elle ne peut pas ou ne veut pas le faire parce qu’elle se trouve dans des conditions économiques qui ne lui permettent pas de réaliser cette adaptation, malgré les aides que nous leur proposons, financièrement.

M. le Président : Vous pensez que les besoins réels de l’entreprise rendent les qualifications répertoriées dans le ROME peu adaptées pour un accès direct et rapide à un emploi.

M. Gilbert HYVERNAT : La question ne se pose vraisemblablement pas ainsi. Je crois plutôt que les entreprises ont été trop longtemps éloignées de l’activité de formation. De nombreux demandeurs d’emploi parviennent difficilement à suivre une formation alternée en relation avec les emplois proposés parce qu’ils sont loin de détenir la qualification exigée aujourd’hui sur un marché où l’emploi est rare et où l’entreprise sélectionne les candidats à l’embauche beaucoup plus que dans le passé.

Le ROME a été entièrement refondu. Plus de 3.000 entreprises et organismes de formation l’ont acquis avec intérêt. Notre problème est de pouvoir dépasser le stade de la simple information sur l’offre ou la demande d’une catégorie d’emploi qualifié, comme celle de maçon sans précision ou spécification supplémentaire.

L’agence répertorie des déclarations d’offres ou de demandes d’emploi. Les personnes que nous recevons nous déclarent, en effet, détenir une certaine qualification. Pour certaines professions, nous disposons aujourd’hui d’une petite panoplie nous permettant de procéder à des évaluations concrètes. Ainsi, nous avons eu quelques cas de personnes inscrites au fichier qui se disaient chauffeurs routiers et qui se sont en fait révélées incapables de conduire un camion. Seule l’expérience nous a permis de nous en rendre compte.

L’employeur proposant un emploi fait aussi une déclaration à l’agence. Notre rôle consiste donc à procéder à un ajustement entre deux déclarations, et le nouveau répertoire ROME vise à permettre cet ajustement.

Permettez-moi, en outre, de répondre à la critique que vous formulez sur le retard d’application du nouveau ROME. Celui-ci, informatisé, est déjà opérationnel dans soixante agences et il le sera dans les 700 agences du réseau à la fin de 1995. Toutes les agences en disposent, depuis l’été dernier, sur un support papier mais, sous cette forme, ce n’est pas un outil très pratique pour gérer des flux de 100 ou 200 demandeurs d’emploi chaque jour dans une agence. Le répertoire sera bientôt disponible sur écran, ce qui permettra de satisfaire plus rapidement nos interlocuteurs.

Mme Nicole CATALA : Quelle est la proportion de demandeurs d’emploi dont vous arrivez à vérifier la qualification ? Cette vérification est-elle l’exception ou la règle générale ?

M. Gilbert HYVERNAT : Cela reste vraiment l’exception encore aujourd’hui. Nous veillons à vérifier l’exactitude des déclarations concernant certaines qualifications ou certains métiers. Par exemple, pour les conducteurs de poids lourds, nous pratiquons désormais, dans la région Ile-de-France, un examen systématique de la situation et du niveau professionnels et nous procédons à un examen médical.

Si l’on se laissait tromper par les fausses déclarations des demandeurs d’emploi, les conséquences seraient vraiment très lourdes.

Mme Nicole CATALA : De fortes résistances syndicales se sont exprimées à l’encontre de cette vérification de la qualification réelle des demandeurs d’emploi : ont-elles été surmontées aujourd’hui ?

M. Gilbert HYVERNAT : Elles ont été surmontées. Certes je ne parle pas sur un plan général, mais en tout cas, les syndicats des transports, par exemple, ne nous opposent plus, aujourd’hui, les mêmes objections de principe qu’auparavant.

Mme Nicole CATALA : Arrive-t-il qu’à la suite d’une opération d’évaluation des compétences réelles, le demandeur d’emploi tarde à modifier sa demande ? Ainsi, par exemple, une femme qui s’était déclarée secrétaire de direction se réinscrit-elle comme simple secrétaire ou dactylo après vérification de sa déclaration ? Chacune de ces vérifications donne-telle lieu à une sorte d’opération vérité ?

M. Gilbert HYVERNAT : Dans la moitié des cas seulement les personnes acceptent la remise en cause de leur déclaration. Beaucoup n’acceptent donc pas que leur déclaration soit rectifiée.

Lors d’une émission télévisée, a été cité le cas d’un chauffeur routier se plaignant d’être toujours rejeté des emplois où l’ANPE l’envoyait. Mais ce que ne disait pas la télévision, c’est qu’il avait quatre vertèbres soudées et qu’il lui était interdit de conduire. Nous avions dit à l’intéressé qu’il n’était plus en état de conduire un camion. Pourtant il persistait à vouloir conduire et prétendait que l’agence ne lui trouvait pas de travail en qualité de camionneur.

M. Claude DEMASSIEUX : Je voudrais revenir sur la lourde charge de travail pesant sur les 14.000 agents de l’ANPE. Vous avez évoqué le rôle des sous-traitants en formation et en orientation. Pensez-vous que les agents de l’ANPE soient compétents en matière de formation ? Ne passent-ils pas trop de temps à vérifier le sérieux de la compétence des organismes de formation, alors qu’il vaudrait mieux laisser ce genre de tâche à des commissions locales ?

Je crains que cette situation ne conduise les agents de l’ANPE à passer leur temps à un travail déjà effectué par ailleurs, ou bien, s’ils y passent peu de temps, à choisir des organismes dont les compétences ne sont pas avérées. N’est-il donc pas nécessaire de redéfinir les missions de l’ANPE de telle manière que cet établissement fasse son métier et rien d’autre ?

M. Gilbert HYVERNAT : L’une des tâches de l’agence est précisément de proposer aux demandeurs d’emploi des formations d’adaptation. L’agence a accompli des progrès considérables mais il n’en reste pas moins qu’un demandeur d’emploi lui demande beaucoup de choses. En particulier, si on admet avec lui qu’il n’est plus capable d’exercer le métier auquel il a été préparé et qu’il doit en faire un autre, il nous interrogera sur les modalités de sa reconversion.

J’apprécie la façon dont vous posez votre question, aussi y répondrai-je tranquillement. En fait, le travail de l’agence n’est pas de faire de la formation. Il consiste à prescrire une formation adaptée pour répondre aux déficiences de la personne à la recherche d’un emploi compte tenu des besoins du marché du travail. Pour ce faire, il convient d’évaluer les compétences de la personne et de trouver sur le marché la formation qui lui conviendrait le mieux. C’est une tâche difficile.

L’univers même de la formation est d’une telle complexité qu’il est devenu peu lisible. Il conviendrait donc, à l’instar de certaines régions, de fournir clairement aux intéressés des informations pratiques sur les formules d’insertion professionnelle et sur la nature des formations.

Un sondage publié récemment a montré, à notre immense surprise, que 22 % des personnes à la recherche d’une information sur la formation professionnelle, cherche à se la procurer auprès des services de l’ANPE. Or, l’agence éprouve des difficultés à disposer d’une telle information détenue, par ailleurs, par d’autres instances.

En aucun cas, l’ANPE ne doit être un organisme de formation. Elle doit être un utilisateur du dispositif de formation professionnelle et émettre des avis sur les évolutions structurelles ou conjoncturelles des emplois. Toutefois, il arrive qu’elle outrepasse ses compétences parce qu’elle ne sait pas bien comment le dispositif de formation professionnelle peut répondre aux questions d’adaptation ou de réadaptation et que les entreprises se trouvent dans la même ignorance.

Il y a quelques années, nous avions émis avec l’AFPA l’hypothèse que celle-ci pouvait jouer un rôle un peu plus dynamique dans l’information sur les formules de stages et la nature des formations proposées. Peu de progrès ont été réalisés à ce sujet. En l’absence d’un système d’information fiable et solide sur l’état des formations, nous sommes donc contraints d’accomplir par nous-mêmes un travail de recherche de prestataires de formation.

M. le Président : Vous avez évoqué tout à l’heure la situation plus favorable, selon vous, de l’Allemagne où bon nombre d’actions sont regroupées sous l’autorité de l’Arbeitsamt. Estimez-vous qu’il conviendrait d’apporter des modifications aux structures mêmes de l’ANPE et pensez-vous que, à l’exemple de l’Allemagne, un rapprochement avec l’UNEDIC soit souhaitable ?

M. Gilbert HYVERNAT : C’est une question qui échappe au strict champ de la formation professionnelle, même si l’UNEDIC a un poids financier important. Ainsi, 250.000 personnes bénéficient annuellement de l’allocation formation reclassement (AFR). Pour ce qui est d’un rapprochement entre l’ANPE et l’UNEDIC, c’est une question à laquelle on ne peut pas répondre dans l’immédiat. Je suis pour ma part tenu de me retrancher derrière les propos tenus par le ministre du Travail, de l’emploi et de la formation professionnelle qui a expliqué clairement que, pour l’instant, ce problème ne semblait pas à l’ordre du jour. Je note toutefois que la loi quinquennale prévoit une évaluation du fonctionnement des institutions du service public de l’emploi et qu’un rapprochement institutionnel existe déjà.

Il est tout de même patent que le système souffre de trop de complexité et qu’il est difficile, en particulier pour un demandeur d’emploi, de s’y mouvoir. Je crois qu’il y a deux sortes de solutions. La première est probablement d’approfondir le travail dans les régions, car on n’y est pas dominé par le poids des institutions parisiennes. Je pourrai développer certains exemples d’initiatives tout à fait remarquables de fonctionnement commun aux ASSEDIC et à l’ANPE. Mais en règle générale, la grande faiblesse de notre dispositif tient à nos systèmes d’information conçus il y a une dizaine d’années et devenus inadaptés.

Mme Nicole CATALA : M. Hyvernat pourrait-il nous fournir un bilan, même général, des contrats de détermination prévisionnelle des besoins en emplois signés avec l’Etat pour certaines branches professionnelles conformément à ce qui avait été décidé en 1987 ?

M. Gilbert HYVERNAT : J’ai eu l’insigne honneur de présider pendant trois ans la commission de politique contractuelle. Je n’en fait plus partie mais je vous ferai parvenir dans les meilleurs délais les éléments permettant d’apprécier les résultats des contrats de détermination prévisionnelle des besoins en emplois.

Mme Nicole CATALA : Quand on parle d’évaluation des besoins futurs, on ne peut pas négliger les efforts entrepris dès 1987 mais dont j’ignore s’ils sont poursuivis aujourd’hui.

La deuxième question que je voulais vous poser concerne la proportion des emplois aidés par rapport aux placements effectués. Vous nous avez dit que l’ANPE avait procédé à 1,3 million de placements en 1993. Pouvez-vous ainsi nous préciser combien il y-avait de contrats aidés sur ce nombre ?

M. Gilbert HYVERNAT : Environ 200.000, sur un total de 1,2 ou 1,3 million.

Mme Nicole CATALA : J’aimerais aussi connaître la place du diplôme, et donc de la formation, dans l’accès à l’emploi, aujourd’hui et demain. Pensez-vous que les entreprises attachent autant d’importance que naguère aux diplômes, ou bien s’attachent-elles davantage aux connaissances ou aux compétences pratiques de leurs salariés ?

M. Gilbert HYVERNAT : Il arrive que de brillants diplômés, par exemple des « centraliens », se trouvent obligés, à quarante ans, d’accepter une diminution de moitié de leur salaire.

Des experts de la formation et du placement des cadres, notamment à l’APEC, me disaient lors d’une séance du conseil d’administration, il y a deux ou trois semaines, que la détention d’un diplôme reste de toute façon déterminante au-dessus du niveau de « bac + 2 ». En revanche, au-dessous de ce niveau, les entreprises ont plutôt tendance à privilégier l’expérience professionnelle. Ceci nous renvoie d’ailleurs à la difficulté d’insertion des jeunes diplômés du fait de leur inexpérience professionnelle antérieure. Je pense au cas des PME-PMI ou de l’artisanat, où l’on cherche plutôt à embaucher quelqu’un qui a — comme on dit — déjà fait ses preuves.

Il reste que l’on déplore le chômage grandissant des titulaires de BTS et de DUT, malgré le succès passé de ces diplômes sur le marché du travail.

Mme Nicole CATALA : Comment expliquez-vous cette situation ? Est-elle due à une inflation de BTS ou de DUT ?

M. Gilbert HYVERNAT : Oui ! Outre les effets de la crise actuelle, l’élargissement du nombre de BTS et de DUT est exagéré de sorte que dans certaines disciplines leur valeur diminue. On assiste à une saturation du nombre des jeunes hommes et jeunes filles préparant des BTS très hétérogènes. Du même coup, l’employeur éprouve une certaine méfiance vis-à-vis des titulaires de ces diplômes et préfère plutôt recruter des bacheliers. Il s’agit d’un phénomène récurrent tous les dix ans qui atteint aujourd’hui les métiers requérant le niveau d’un BTS ou d’un DUT.

Mme Nicole CATALA : Quel contenu l’ANPE donne-t-elle à la notion du partenariat souvent évoquée ces derniers temps ? Peut-on imaginer que l’agence conclue une convention avec des organismes administratifs en vue de favoriser le rapprochement entre l’offre et la demande d’emplois ? On sait que selon la législation en vigueur ces conventions peuvent être conclues avec des associations. La notion de partenariat leur sera-t-elle étendue ?

M. Gilbert HYVERNAT : C’est une question sur laquelle nous menons une réflexion en ce moment afin de satisfaire le mieux possible les offres d’emplois. Il est regrettable que l’agence, qui reçoit beaucoup de demandeurs d’emplois, offre insuffisamment de services dans la mesure où elle ne traite que 1,2 million d’offres d’emplois. Certes, ce nombre est en soi déjà assez élevé, mais le directeur général de l’agence, M. Michel Bon, considère que ce chiffre devrait être doublé. En effet, sur un total de 4 millions d’offres d’emplois, il serait souhaitable que l’ANPE en traite près de 2 millions pour démentir les critiques formulées sur l’insuffisance, l’inutilité et l’inefficacité de son activité. Il faut que l’agence fasse l’effort de répertorier le plus possible d’emplois disponibles dans les entreprises. A cette fin, elle doit se mettre beaucoup plus en liaison avec les entreprises, ce qui constitue un bouleversement par rapport aux habitudes de ces dernières années consistant à privilégier le traitement de la demande plutôt que de l’offre d’emplois. Compte tenu de la limitation des effectifs de l’établissement, il conviendra de modifier en conséquence l’organisation du travail des personnels de l’agence.

Il faut admettre que le partenariat est la seule réponse moderne au défi d’une grave crise de l’emploi qui risque, malgré une éventuelle reprise, d’être durable. Le taux de chômage restera élevé et l’agence continuera à traiter de nombreux cas de demandes d’emploi. Sauf à augmenter beaucoup les effectifs de l’ANPE, ce qui n’est en aucun cas la demande la direction générale, il conviendra d’accroître les capacités de traitement des demandes d’emploi et de mieux coordonner les diverses institutions du service public de l’emploi.

Une telle réforme n’est guère aisée compte tenu des rigidités d’une législation certes protectrice mais qui peut aussi se révéler être un obstacle à l’emploi.

D’autre part, l’agence est souvent sollicitée, notamment par les autorités communales, en vue d’améliorer la situation locale de l’emploi. Mais bien que la situation soit en train de changer, peu d’actions conjointes sont en fait entreprises. Nous avons aussi la volonté de travailler avec les associations plus fréquemment que nous ne l’avons fait jusqu’à maintenant.

M. le Président : Je voudrais revenir plus précisément sur l’objet des travaux de la commission d’enquête : l’utilisation des fonds de la formation professionnelle. L’agence a accumulé des réserves financières. Quelle est l’importance et la raison des crédits non consommés par l’agence ? Pouvez-vous notamment nous apporter des précisions sur les ajustements réalisés en cours de gestion grâce à ces réserves budgétaires de l’agence ?

M. Gilbert HYVERNAT : Je croyais, venant du secteur privé, en l’occurrence de Rhône-Poulenc, que l’agence disposait d’un épais « matelas » de réserves. Dieu soit loué ! la France est dotée d’un ministère du Budget qui veille à l’utilisation des dotations budgétaires. La complexité de la gestion des réserves nécessite en tout état de cause la présence d’un expert budgétaire.

L’agence est dotée d’un budget, notamment de fonctionnement, dont le montant s’élève à plus de 7 milliards de F. et il est vrai que, depuis quelques années, des réserves budgétaires ont été accumulées en raison notamment du décalage des délais d’engagement des crédits dépensés par rapport aux crédits prévisionnels demandés. Ainsi, en 1992, l’agence a mis cinq mois à recruter en fait 450 agents conformément à l’autorisation qui lui avait été accordée. Or pendant une période de cinq mois, les crédits destinés à la rémunération de ces personnels sont demeurés en réserve jusqu’à la date d’entrée dans les cadres en mai et juin. L’importance des réserves s’explique essentiellement par le jeu des postes pourvus très lentement, en raison des règles statutaires attachées au recrutement, à la mobilité, aux promotions des personnels.

La direction du Budget ne manque pas d’invoquer la procédure de régulation budgétaire à tel point qu’en décembre 1993, par exemple, la trésorerie de l’établissement a été asséchée et que le ministère du Budget aurait dû nous accorder une aide spécifique pour boucler la trésorerie qui, finalement, a été juste suffisante. Il n’y a donc pas de réserves au sens strict du terme, ou de « matelas », comme on pourrait l’envisager. Les dotations budgétaires de l’année suivant celles pendant laquelle les crédits ne sont pas consommés, sont diminuées et en conséquence cinq décisions budgétaires modificatives ont été prises en 1993.

En outre, la constitution de réserves traduit un dysfonctionnement dans l’appréciation des dépenses prévisibles. Nous étudions actuellement les moyens d’accroître la rapidité des affectations des personnels aux emplois budgétaires. Pour quelqu’un issu du monde de l’entreprise, il est assez surprenant de constater que plusieurs mois, voire plusieurs années, sont nécessaires pour rendre effective une décision administrative.

M. le Président : Vous déplorez la longueur des retards d’affectation des personnels sur des emplois budgétaires. Pouvez-vous, d’autre part, nous préciser la proportion des emplois directement affectés au service des usagers de l’ANPE, c’est-à-dire d’une partie du service public de l’emploi ? Quelle est, plus particulièrement, la proportion des emplois restant vacants au siège ? Est-il exact, comme l’affirment des organisations représentatives du personnel de l’ANPE, que plus de 900 emplois seraient actuellement vacants ? Avez-vous aussi une idée du taux d’absentéisme du personnel ?

M. Gilbert HYVERNAT : L’absentéisme et les vacances de postes sont deux sujets différents.

Il est assez drôle que ce soient des organisations représentant le personnel qui parlent de cela. Voilà qui ne manque pas de sel !

Il s’agit de postes non-pourvus seulement pendant une période de l’année. En fait, le nombre de postes non pourvus en 1993 a été pratiquement nul. Qu’entend-on par « postes vacants » ? S’il s’agit de vacances de postes durant douze mois, leur nombre doit être limité !

M. le Président : Je tiens quand même à vous rappeler que la direction générale a présenté aux organisations syndicales, le 19 octobre 1993, les tableaux de gestion des quotas statutaires de promotion et de recrutement arrêtés au 3 août 1993 au vu desquels 900 postes ne sont pas pourvus, dont 445 de conseillers adjoints et de conseillers et 479 de conseillers principaux.

M. Gilbert HYVERNAT : Il s’agit essentiellement de la conséquence des promotions, des départs et de l’ouverture des postes mis au concours. Le nombre de postes statutaires non pourvus à la fin de l’année 1993 avoisinait ainsi 400, soit 2,5 % des effectifs budgétaires totaux. La plupart ont été pourvus depuis lors.

M. le Président : Ce n’est donc pas dû à une insuffisance des moyens budgétaires ?

M. Gilbert HYVERNAT : Non ! Cela n’a aucun rapport avec les moyens budgétaires. Le problème résulte de la lourdeur des modalités de recrutement.

M. le Président : Vous invoquez la lourdeur des modalités de recrutement après avoir regretté la lenteur de la mise en application du nouveau répertoire ROME...

M. Gilbert HYVERNAT : J’ai coutume de ne pas critiquer l’établissement dans lequel je suis affecté, d’autant qu’il s’agit d’un établissement public à caractère administratif. Lorsque nous ouvrons des postes au concours, nous les ouvrons à l’ensemble des candidats répondant aux conditions exigées. Or il est arrivé, en 1992 et en 1993, que, pour un concours de 300 postes de conseiller professionnel, il y ait 25.000 candidats inscrits. Et nous devons respecter l’égalité des candidats au concours.

M. le Président : Nous connaissons tout cela. Il s’agit des règles générales d’accès aux emplois publics.

M. Gilbert HYVERNAT : C’est ce qui confère une lourdeur à la gestion de l’établissement. En tout état de cause, nous souhaitons — c’est un sujet à traiter avec les organisations représentatives du personnel et qui ne manquera pas d’être commenté — que les modalités de recrutement à l’ANPE soient beaucoup plus déconcentrées à l’échelon local. Il faut rompre avec l’ancienne pratique selon laquelle on acceptait un poste en Ile-de-France dans la seule attente de rejoindre le plus vite possible la région de son choix.

La question que vous posez met l’accent sur les difficultés et les lourdeurs de la procédure en vigueur dans un établissement très administratif. J’en profiterai pour dire un mot de la formation des personnels. Celle-ci a couvert, cette année, près de 10 % du temps de travail, c’est-à-dire qu’il a fallu organiser des formations approfondies compte tenu du nombre de nouveaux agents récemment recrutés dans un établissement en pleine mutation et encore appelé à se transformer.

L’absentéisme est un autre sujet d’étude des autorités de l’agence. L’absentéisme apparaît un peu trop élevé. Cela tient à un facteur culturel sur lequel je ne reviens pas car vous le connaissez, et aussi à la composition essentiellement féminine et jeune des effectifs de l’établissement. De nombreux personnels sont en effet en congé de maternité. Il conviendra donc de développer le travail à temps partiel. Quoiqu’il en soit, l’absentéisme est élevé si on le compare à celui des agents de la Poste, par exemple, et si on observe qu’un temps important est consacré à la formation.

M. Claude DEMASSIEUX : Au total, si l’on prend en compte le nombre de postes non pourvus, le taux d’absentéisme et les effectifs en formation sur le terrain, quel est en fait le pourcentage de personnels efficients ?

M. Gilbert HYVERNAT : 75 %, en moyenne ! Ce taux n’est pas très bon, mais il faut savoir que, dans toutes les grandes entreprises on considère comme excellent un taux de 80 %. L’ANPE n’a, de ce point de vue, qu’un déficit d’environ 5 ou 6 points.

M. le Président : Je souhaiterais également des précisions sur les modalités de la construction du siège de l’ANPE à Marne-la-Vallée. Pouvez-vous nous confirmer que la construction d’une piscine dans le sous-sol de l’immeuble Galilée a bien été décidée par l’agence ? Est-ce que l’autorisation de dépenses a été accordée sur les réserves budgétaires de l’établissement ? Comment y-a-t-on renoncé ? Quelles ont été les conséquences financières du renoncement à ce projet ? Et quel était l’opérateur de la construction du siège social ?

M. Gilbert HYVERNAT : Je ne peux qu’inviter les membres de votre Commission à se déplacer au siège de l’ANPE. Vous y verrez un bâtiment construit par les promoteurs, comme eux seuls savent en faire ! J’ai découvert le problème il y a deux ans, parce qu’un journaliste m’avait posé la question. En fait, il s’agissait d’un canular ! Un fonctionnaire de l’Etat hautement diplômé, voulant se livrer à une plaisanterie, a diffusé cette information sur papier officiel de la Délégation à l’emploi. Or, dans notre pays, lorsqu’on voit un papier à en-tête officielle, revêtu d’une signature, on y prête foi. Mais venez voir sur place ! Vous y verrez que la construction d’une piscine était impossible et qu’il s’agissait bien d’un canular. Nous savons qui en est à l’origine. Il s’agit d’un haut fonctionnaire, que nous connaissons bien !

M. le Président : Il n’y a jamais eu d’inscription de dotation budgétaire ?

M. Gilbert HYVERNAT : Il n’y a pas eu d’inscription budgétaire ni d’autorisation du ministre de tutelle !

M. le Président : Ni d’imputation sur les réserves budgétaires ?

M. Gilbert HYVERNAT : Non ! Tout cela aurait dû rester un joyeux canular. Mais plusieurs années après, celui-ci apparaît encore bien pesant.

M. le Président : Si vous aviez une suggestion à formuler pour une meilleure utilisation des fonds affectés en général à la formation professionnelle, quelle serait-elle ?

M. Gilbert HYVERNAT : Depuis 1969, je m’occupe du secteur de la formation professionnelle, y compris dans les grandes entreprises du secteur privé. J’ai pu, à cet égard, établir des comparaisons avec les pays étrangers. Depuis longtemps, j’estime, pour ma part, que le système est beaucoup trop « ouvert ». Il a probablement l’avantage de donner des réponses très diversifiées aux problèmes de l’emploi. Mais il a pour inconvénient de n’être pas aussi rigoureux que le système allemand, d’être peu maîtrisable et d’être composé d’acteurs de qualité bien modeste. Le « turnover », la création et la disparition des entreprises de formation professionnelle, est beaucoup trop rapide. Tout cela n’est pas très sérieux eu égard à la rareté des crédits. Il suffit d’aller dans d’autres pays du monde pour se convaincre que nous manquons de grands opérateurs assurant le respect de la qualité, comme les produits conformes à la norme ISO 9000. La France est un pays qui prend aujourd’hui un retard considérable parce la qualité de la formation y est négligée et parce que nous avons une idée insuffisante de ce qu’est une formation efficiente. La formation doit être traitée comme un produit à part entière et il faut que notre pays renonce à un certain romantisme sur la question.

M. le Président : Quels sont les obstacles à l’efficacité du système français de formation professionnelle ?

M. Gilbert HYVERNAT : De nombreuses personnes ont compliqué à merveille les circuits ! Pour revenir en arrière, c’est difficile. La simplification du système serait une belle ambition, mais je doute que l’opération réussisse. A mon sens, il faut surtout que les responsables du financement de la formation professionnelle imposent un certain nombre de règles de qualité. Bon nombre d’opérateurs en formation devront s’adapter pour répondre à un certain niveau de qualité ou disparaître purement et simplement. Je suis sûr qu’un franc investi dans la formation professionnelle devrait donner des résultats d’un montant supérieur à ce seul franc.

Mme Martine DAVID : Ne faut-il pas non plus que les autorités responsables du financement de la formation professionnelle rendent plus sévères les conditions d’agrément des organismes de formation ?

M. Gilbert HYVERNAT : Oui ! Parce que dans ce secteur on est à la fois juge et partie. Non seulement le système s’est complexifié, mais il procède d’un certain nombre de contradictions assez évidentes, qui ne nous conduiront pas à l’amélioration de la qualité du dispositif.

M. le Président : Monsieur Hyvernat, la Commission vous remercie.




Audition de M. Dominique de CALAN

Secrétaire général-adjoint de
l’Union des industries métallurgiques et minières et
Directeur du service de la formation professionnelle

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1er mars 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

M. Dominique de Calan est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Dominique de Calan prête serment.

M. le Président : Monsieur de Calan, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Secrétaire général-adjoint de l’Union des industries métallurgiques et minières, vous êtes directeur du service de la formation professionnelle, et chacun connaît votre compétence dans le domaine de la formation professionnelle.

Les fonds consacrés à la formation professionnelle sont considérables, plus de 110 milliards de F. d’après le compte de 1991, soit 1,7 % du PIB et l’ensemble de la dépense pour l’emploi, au sein de laquelle l’effort de formation professionnelle doit être considéré comme une dépense active, atteint même 3,75 % du PIB. Etant donné l’importance des dépenses consenties par l’Etat et les entreprises, le rapport entre le coût et les résultats de la formation professionnelle vous paraît-il satisfaisant ? D’autre part, comment ces sommes se répartissent-elles selon leur provenance publique ou privée ?

M. Dominique de CALAN : Ces questions sont complexes et il est difficile d’y apporter une réponse exhaustive. Dans ce domaine, je constate d’abord, pour m’en étonner, que les médias ont coutume de mettre en cause l’insuffisance de la gestion des partenaires sociaux. Or, sur les 120 milliards de F. consacrés aujourd’hui à la formation permanente, d’après les données des dossiers statistiques du travail et de l’emploi établies par le ministère, 13,5 milliards seulement sont gérés par des organismes paritaires. Ces 13,5 milliards se répartissent ainsi : environ 6,5 milliards pour les OMA, 2 milliards pour le congé individuel de formation et 5 milliards pour les fonds d’assurance formation. On veut donc rendre les partenaires sociaux responsables de la mauvaise rentabilité du secteur alors qu’ils ne sont compétents que pour 12 à 13 % des sommes concernées. Cela étant, il est vrai qu’ils doivent, selon moi, faire un effort pour la partie de la formation qui les concerne.

En réalité, il y a deux grands contributeurs de la formation permanente. D’abord, les entreprises y consacrent une somme d’une quarantaine de milliards qu’elles comptabilisent dans la déclaration 2.483 et qu’elles utilisent en s’adressant directement aux organismes de formation. Il s’agit là d’un marché totalement privé, même si plus de 50 % de ces dépenses se font par recours à des organismes du service public, l’Education nationale ou les GRETA. L’autre grand contributeur de la formation professionnelle est l’Etat. Les dépenses qu’il consent pour la formation professionnelle se sont élevées en 1992 à 51,6 milliards de F. et à 59,2 milliards de F. si l’on y ajoute celles des collectivités territoriales et des administrations publiques. Reste enfin, pour aboutir au total de 120 milliards, les 5,2 milliards de l’UNEDIC et le 1,2 milliard dépensé par les ménages. On peut certes considérer que l’argent dépensé par l’UNEDIC, essentiellement dans la gestion de l’allocation formation reclassement (AFR), augmente la part gérée par les partenaires sociaux. Mais, en définitive, cette part demeure faible, mettons de 15 à 20 milliards, contre 60 milliards pour l’Etat et 40 milliards pour le marché privé. C’est dans ces deux grands secteurs qu’il faut continuer de rechercher à augmenter la productivité nécessaire.

Le rapport qualité-prix est-il suffisant ? De ce point de vue, j’aurais deux reproches à faire aux formations, quelle que soit l’origine de leur financement. D’abord on constate un allongement de la durée des formations, initiale, continue ou différée, qui n’apporte rien à leur utilité. S’agissant du congé individuel de formation ? je préside l’organisme compétent en la matière ? cet allongement de la durée est d’environ 20 %. Ce n’est pas raisonnable.

La durée annuelle des formations initiales actuelles est sans doute excessive, et celle des formations continues a le défaut majeur de faire systématiquement référence aux formations initiales, sans tenir compte de l’expérience professionnelle. Il n’est pas normal que les formations subventionnées par le congé individuel ou par l’Etat durent entre 18 mois et deux ans, soit quatre fois plus longtemps que les autres.

Ma seconde observation est qu’il faudrait développer la formation hors du temps travaillé, qu’il s’agisse du temps de loisirs, de vacances, de chômage partiel ou de chômage. Il y a une vaste réflexion à mener sur cette question, en ayant bien présent à l’esprit que, sur dix francs dépensés pour la formation professionnelle, la part de celle-ci stricto sensu ne représente que 4 F., le reste n’étant que le coût du maintien de la rémunération. Je me résume : il faut agir sur la durée des formations diplômantes en exerçant une pression sur l’offre, de façon à ne jamais dépasser 1.200 heures, ni une année complète, même pour l’accession au grade d’ingénieur ou de technicien supérieur. Il faut en outre faire en sorte qu’une partie au moins de la durée de formation soit prise sur le temps non travaillé.

Je voudrais encore revenir sur un point. On parle souvent du 1,5 % destiné à la formation continue. Ce chiffre est inexact, car il intègre deux contributions qui sont en fait quasi fiscales : le 0,4 % pour l’alternance, qui transite par les OMA, et le 0,2 % pour le CIF qui transite nécessairement par des organismes agréés. En revanche, le 0,9 % restant n’est versé que par les entreprises qui ne satisfont pas à leur obligation minimale. Or, il n’est quasiment plus une entreprise moderne qui n’aille au-delà des dites obligations et qui considère que le 0,9 % constitue une dépense de formation professionnelle au sens fiscal du terme. Cet effet est désormais intégré à la gestion sociale des entreprises. Dans ces conditions, la meilleure régulation qui soit est celle opérée par le marché libéral, ou la seule intervention nécessaire est celle qui viserait, comme je l’ai dit, à peser sur l’offre pour éviter que les durées de formation ne soient trop longues.

M. le Président : Lorsque vous parlez des 5 milliards de F. de l’UNEDIC, avez-vous à l’esprit à la fois la contribution de l’UNEDIC elle-même et les transferts de l’Etat ?

M. Dominique de CALAN : Si je ne me trompe pas la contribution de l’UNEDIC était de 5 milliards de F. en 1991 et de 7 milliards en 1992. Je me suis limité aux commandes de formation passées par elle au secteur public ou privé.

M. Germain GENGENWIN : Considérez-vous donc que les montants consacrés au financement de l’allocation formation reclassement (AFR) doivent être prélevés sur la partie formation ? Les actions de formation payées par les conseils régionaux sont, en effet, destinées à des gens titulaires de l’allocation de base. Quel est votre avis sur cette question ?

M. Dominique de CALAN : Je ne fais que constater que sur un total de 120 milliards de F., 7 milliards sont pris en charge par l’UNEDIC au titre de la formation. L’implication du régime d’assurance chômage mériterait certes quelques développements supplémentaires, mais je me contenterai de dire que nous préférons, en la matière, la prévention au traitement curatif, c’est-à-dire privilégier les logiques de conversion et d’adaptation, comme le fait la branche dont je m’occupe. L’objectif à poursuivre doit être la mobilité professionnelle, interne ou externe, plutôt que l’acquisition de diplômes dont l’adéquation directe à l’emploi est appelée à s’affaiblir.

M. le Rapporteur : Du point de vue du législateur la répartition des 115 milliards ne se présente évidemment pas du tout de la façon que vous avez décrite... Vous rangez 15 de ces 115 milliards dans une catégorie sui generis dont je ne vois pas bien la justification, car ces fonds proviennent tout autant des entreprises que les 40 milliards gérés directement par elles. Quelle est votre opinion sur la gestion paritaire de ces sommes, dont la masse, pour être minoritaire, n’est pas pour autant négligeable ? Dire que les entreprises, et notamment les grandes entreprises, ont désormais atteint un degré de maturité permettant de se passer du système obligatoire ne revient-il pas à dire que le paritarisme a fait son temps ? Si vous pensez que ce système a donné de bons résultats dans le passé, mais qu’il produit désormais des effets pervers, voire des fraudes caractérisées, comment envisagez-vous d’y remédier ? Par la suppression du paritarisme lui-même ? Par le renforcement des moyens de contrôle ?

M. Dominique de CALAN : Les 40 milliards gérés par les entreprises le sont éventuellement de façon paritaire, dans le cadre de plans de formation, mais ils le sont au sein des entreprises elles-mêmes, sous la responsabilité de chaque chef d’entreprise. Il y a, en outre, 60 milliards sous le contrôle direct de l’Etat. Restent donc 15 milliards dont l’affectation est collective, même s’il s’agit, comme d’ailleurs pour les 60 milliards que contrôle l’Etat, de fonds versés par les entreprises. Toute la question est de savoir qui décide, qui ordonne, et qui contrôle les dépenses.

S’agissant des fonds gérés dans le cadre du paritarisme, je suis de ceux qui pensent, étant Président du COPACIF, que le congé annuel de formation, s’il n’est pas réformé, est appelé à disparaître d’ici 5 ans, du fait du risque de confusion existant entre les plans de formation diplômantes des entreprises et les aspirations individuelles des salariés à partir en congé de formation. Mon avis est qu’il faudrait, quitte à réduire le prélèvement, par exemple de 0,20 à 0,15 %, ne conserver que des OPACIF à base régionale et interprofessionnelle, avec répartition des dotations au prorata de la population active de chaque région. Il s’agit, en d’autres termes, d’interdire les fonds d’assurance formation et toute politique de branche dans ce cadre, et de faire place au projet de formation émanant des individus : permettre, par exemple, à un métallurgiste qui en a assez de faire ce métier de se reconvertir dans le cadre d’un parcours individuel de formation. Le rôle des branches, par contre, serait renforcé pour ce qui est des formations en alternance, quitte à y intégrer le capital de temps de formation introduit dans le nouvel article L 932-2 du Code du travail résultant de la loi quinquennale sur le travail, l’emploi et la formation professionnelle.

M. le Rapporteur : Et les FAF ?

M. Dominique de CALAN : Il n’y a pas de raison d’interdire aux branches d’en créer, mais il faut savoir qu’ils ne répondent plus à l’objectif qui leur avait été assigné au départ, c’est-à-dire la mutualisation des fonds. Je ne crois guère à leur avenir, dans la mesure où les entreprises dépassent largement leurs obligations de formation. La métallurgie, pour prendre l’exemple de la branche que je connais le mieux, n’a jamais voulu mutualiser un centime en provenance du plan de formation, à l’exception de deux tout petits fonds régionaux d’assurance formation, d’un montant total de 15 millions à comparer avec une collecte de 1,1 milliard de F.

Mais puisque vous me demandez ce que je pense du paritarisme, je vous réponds que mon opinion, que partage une partie au moins du patronat, est qu’il convient de distinguer trois missions. La définition des grandes orientations et des priorités doit revenir aux commissions paritaires nationales de l’emploi. Il s’agit des secteurs prioritaires, de l’apprentissage, de la qualification, des formations de niveau III, IV ou V, de l’âge des publics en formation. Le contrôle et le suivi, tant du respect des orientations que de l’utilisation des fonds, doit relever d’un paritarisme renforcé, par exemple, au moyen du rattachement des commissaires aux comptes. En revanche, la gestion des fonds devrait être unique et purement patronale, ce qui présenterait le double avantage d’éviter la confusion des rôles et de bien distinguer les responsabilités. Je suis donc pour le renforcement du contrôle paritaire éventuellement par le rattachement des commissaires aux comptes à un organisme paritaire ad hoc mais il me paraît souhaitable de séparer les organes de contrôle et de gestion, ce qui clarifierait la responsabilité de la gestion.

M. le Président : N’est-ce pas le cas actuellement ?

M. Dominique de CALAN : Si, à l’UIMM. Le transfert des fonds de l’alternance et de l’apprentissage, grâce à deux lois de finances pour 1992 et 1993 que vous avez adoptées, fonctionne selon ce principe. Les fonds sont transférés après accord paritaire et sous le contrôle d’un groupe technique paritaire. Nous avons donc une pleine responsabilité, y compris pénale, de l’utilisation des fonds et le contrôle est exercé par des commissaires aux comptes et un groupe technique paritaire.

J’espère rallier l’ensemble du CNPF à cette logique et, pourquoi pas, la majorité des syndicats. Trois d’entre eux au moins n’y opposent pas de refus. Le quatrième aimerait gérer tout en contrôlant les fonds mais n’a pas de proposition à formuler pour séparer le contrôle et la gestion. Pour des raisons d’efficacité et de responsabilité, je tiens au principe de la gestion unique.

Pour ce qui est d’éventuelles fraudes, on m’a signalé deux ou trois « margoulins ». Chaque fois, nous avons porté plainte. Cela dit, dans ma branche professionnelle, la métallurgie, le pourcentage de personnes malhonnêtes n’est pas supérieur, et est même peut-être inférieur, à la moyenne nationale.

D’autre part, je m’interroge sur le caractère frauduleux ou non de la pratique qui a consisté, pour certains centres de formation d’apprentis, compte tenu de la pression sur l’apprentissage, à mélanger des contrats de qualification et des contrats d’apprentissage et à financer l’apprentissage par de l’argent provenant de l’alternance. Pour ma part, j’y vois plutôt un détournement de procédure qu’une fraude à proprement parler.

M. Germain GENGENWIN : Ne pensez-vous pas que la gestion unique est un voeu pieux ? Et le fait de concentrer au niveau national la gestion des fonds collectés par les ASFO n’empêcherait-il pas une véritable décentralisation et une véritable responsabilisation des partenaires sociaux dans les régions ?

M. le Rapporteur : Je comprends que vous préfériez que les patrons prennent leurs responsabilités en matière de gestion des fonds de la formation professionnelle. En revanche, votre analyse sur le nécessaire déclin des organismes intermédiaires entre l’entreprise et les organismes de formation ne vaut-elle pas aussi pour les ASFO ? Pourquoi ne pas remplacer le système actuel par des contrats de gré à gré entre l’entreprise et l’organisme de formation ?

M. Dominique de CALAN : La gestion unique est-elle un voeu pieux ? Pour ma part, je ne vois pas d’autre solution que de séparer la gestion et le contrôle avec un conseil de surveillance et un directoire. Certes, cela gêne certains mais ils n’ont aucune autre proposition à formuler. En contrepartie, les commissaires aux comptes seraient rattachés aux organes de contrôle. Je suis confiant quant à la possibilité d’aboutir à un accord de ce type dans la métallurgie. Mais cela dépendra aussi de vous ! Je constate en effet, dans les projets de décrets d’application de l’article 74 de la loi quinquennale que certains services du ministère du travail poussent à la gestion paritaire.

M. le Président : Ces projets de décret d’application ne nous sont pas soumis, alors qu’ils le sont aux syndicats !

M. Dominique de CALAN : Pour ce qui concerne le comité de suivi, ils ne sont pas neutres. Lorsque nous serons consultés, nous appellerons l’attention sur le fait que certains services imposent une logique contraire à celle de la séparation entre les organes de gestion et les organes de contrôle. Or, cette séparation me semble être une voie d’avenir. J’attends des contre-propositions. Cependant, j’espère que l’OMA nationale ira dans ce sens. Si la réunion qui doit se tenir jeudi prochain, trois mars, à Matignon a bien lieu, les chefs de file de la délégation du CNPF insisteront sans doute sur ces trois logiques de la formation : politique et priorité, contrôle et suivi, gestion.

Bien entendu, tout contrôler à Paris pose un problème mais l’article 74 de la loi quinquennale ne nous laisse pas d’autre choix : tout ne peut être que national ou régional. Or, seules trois régions sont capables de dépasser le plancher de 100 millions de F. fixé pour la collecte : la région Rhône-Alpes avec 144 millions, le Nord-Pas-de-Calais avec 135 millions et l’Ile-de-France avec 373 millions. Dans ces conditions, la collecte nationale nous est imposée.

La métallurgie est, par nature, très déconcentrée. L’organisation du contrôle exercé sur l’OMA national déconcentré sera conférée à l’ensemble des chambres syndicales territoriales et leurs commissions paritaires, les CPTE. Cela dit, nous sommes pour une politique de branche fortement déconcentrée.

Enfin, nous avons aussi de très grands groupes industriels qui mènent une politique spécifique. Plus d’un million de salariés sont employés dans cinquante très grandes entreprises dans lesquelles les choix stratégiques doivent être ceux du président directeur général.

J’en viens à l’ASFO. Elle n’aura plus, selon moi, qu’un rôle de formateur. Je crois utile de garder, pour les PME-PMI, des organismes patronaux faisant de la formation à but non lucratif. Dans la métallurgie, sur un milliard et demi de chiffre d’affaires, un milliard concerne la formation continue et 500 millions de F. la formation initiale à travers 80 centres de formation d’apprentis et 70 ASFO. 90 % du chiffre d’affaires proviennent de sept grands domaines d’activité : la productique, l’électrotechnique, l’électronique, le dessin-études, les matériaux composites, les structures métalliques et la maintenance. Les investissements capitalistiques sont tels que les PME dans lesquelles nous souhaitons former des salariés n’auront pas la capacité de soutenir l’effort dans le cadre du marché libéral. Par exemple, il convient d’avoir à l’esprit qu’il faut réunir 4,5 millions d’investissement pour former quinze personnes en maintenance.

En revanche, la formation aux métiers de base à mi-chemin entre la formation initiale et continue, nécessite de tels investissements qu’il convient de l’inclure dans la politique générale de formation aux métiers industriels.

M. le Rapporteur : Autrement dit, vous estimez que la branche professionnelle doit prendre en charge la formation aux métiers à haute technicité, et recourir au marché libéral pour les autres. Pensez-vous que ce schéma puisse être transposé à d’autres branches professionnelles que la vôtre ? Selon quels critères choisissez-vous les organismes libéraux et quels sont les organismes dispensateurs de formation retenus ?

M. Dominique de CALAN : Je pense, en effet, que la formation aux différents métiers doit relever de la branche professionnelle. A cet égard, la politique du secteur du bâtiment et des travaux publics est très proche de la nôtre. Les services et le commerce préfèrent l’adaptation professionnelle à la formation proprement dite préparant aux métiers de base de ce secteur. Pour ce qui est du choix des organismes libéraux de formation, il relève de l’entreprise et non de la branche professionnelle. Selon une enquête que nous avions effectuée à Deauville sur la politique de formation de 1.500 entreprises, l’industrie et le bâtiment étaient plutôt axés vers une politique des métiers, alors que le secteur du commerce et des services privilégient à des degrés divers une politique d’adaptation, étant précisé que le commerce fournit un effort moindre que les services en faveur de l’adaptation professionnelle. Il apparaît bien que dans ces deux secteurs qui se sont professionnalisés, l’expérience s’acquiert essentiellement dans l’entreprise.

M. le Président : Si je comprends bien, ayant estimé qu’il serait souhaitable d’établir une séparation entre la fonction de gestion et de contrôle des fonds de la formation professionnelle, vous ne souhaitez donc pas que les ASFO gardent leur double casquette de collecteurs de fonds et de dispensateurs de formation.

M. Dominique de CALAN : La fonction de collecte n’est pas forcément indispensable pour l’alternance et pour les congés individuels. Mais je ne veux pas interdire aux ASFO de mutualiser des fonds sur un petit bassin d’emploi, dans la mesure où les PME-PMI, qui souffrent de pénuries de compétences, préfèrent avoir un seul interlocuteur pour leur plan de formation chargé de gérer leur fonds, de choisir leurs formateurs et de leur prodiguer des conseils généraux. Cela ne porte que sur des sommes relativement faibles soumises à un contrôle quasi direct des chefs d’entreprises dans la mesure où ces derniers font en général partie du conseil d’administration de l’ASFO. En revanche, s’agissant de l’alternance et des congés individuels de formation, je revendique une politique de branche en ce qui concerne le transfert et l’utilisation des fonds et la fixation des priorités.

M. le Président : Selon vous, pour qu’un fonds d’assurance formation soit efficace et plus proche des besoins en formation, vaut-il mieux qu’il soit inter-professionnel et régional ou professionnel mais national ?

M. Dominique de CALAN : Les ASFO ne peuvent pas tout faire. C’est pourquoi, dans la métallurgie, j’ai recentré notre action sur les métiers industriels. Je ne crois pas à la polyvalence complète en matière de formation : les évolutions techniques et technologiques nous obligent à nous concentrer sur les métiers. Je pense qu’il faut constituer des réseaux de compétences déconcentrés par grande branche professionnelle. Dans l’industrie, il faut éviter que le bassin d’emplois tourne sur lui-même. Celui-ci doit s’ouvrir à d’autres régions et à d’autres pays étrangers. Nous cherchons à nous concentrer sur nos marchés, à labelliser, selon des critères objectifs de qualité, les centres qui travaillent en notre nom, à multiplier les échanges avec d’autres en ce qui concerne nos métiers de base. Un sous-traitant ne peut apprécier seul ce que sera son métier dans quatre ou cinq ans. Pour notre part, nous avons créé une association européenne, Eurométalform, regroupant la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la France ainsi que la Belgique, la Grande-Bretagne et l’Irlande n’étant que membres correspondants. En effet, dans huit pays sur les douze membres de l’Union européenne, nous avons une approche semblable sur les qualifications et les métiers de notre profession. En revanche, l’Allemagne ne souhaite pas faire partie de cette association car elle craint de perdre des parts de marché.

M. le Président : Des organismes de formation trop spécifiques ne peuvent-ils pas présenter certains dangers ? Des FAF de métiers qui ont leurs propres écoles de formation font pression pour que leurs adhérents recourent à cette école en n’accordant qu’un remboursement très réduit en cas contraire ; c’est là un abus.

M. Joseph KLIFA : Il faut quand même labelliser la formation !

M. Dominique de CALAN : Je partage en partie le point de vue exprimé par Monsieur le Président. Ce danger est réel pour les branches professionnelles « mono-métiers » qui risquent de capter le marché de la formation. Il n’existe, pas en revanche, dans une branche interindustrielle comme celle dont je m’occupe et qui recouvre l’aéronautique, l’automobile, l’informatique, l’électronique et la fonderie.

On a reproché à la réparation automobile d’avoir recours à un système de formation tel que les utilisateurs sont captifs. Mais les représentants de ce secteur ont fait remarquer que leurs entreprises comptaient en moyenne trois salariés et que, sans un investissement réel, il n’y aurait pas de formation.

Je pense qu’il faut éviter une normalisation. On ne peut pas traiter de la même façon le cas de la réparation automobile où les entreprises comptent un si petit nombre de salariés et celui de la construction automobile. Il convient de laisser libre cours au jeu d’une politique contractuelle, quitte à ce que l’Etat exerce un contrôle s’il pense qu’il y a des abus.

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous que votre branche ait organisé une sorte d’Education nationale bis pour assurer la formation professionnelle de ses ressortissants et qu’au contraire d’autres branches très puissantes ne se soient dotées d’aucun organisme de formation ?

M. Dominique de CALAN : Sans doute cela s’explique-t-il en partie par le fait que, pour nos métiers, la formation n’étant pas assurée par la voie des baccalauréats professionnels et des IUT, les entreprises ont été contraintes de maintenir la compétence des métiers. Elles ont donc décidé d’investir, notamment pour améliorer la formation technologique de l’encadrement moyen. Etant donné l’investissement en jeu, nous n’avons pas pu nous en remettre totalement à d’autres du soin de former les personnes qui devaient occuper les postes de travail. Aujourd’hui, notre branche accueille 60 % des détenteurs de baccalauréats professionnels. A l’avenir, nous comptons travailler avec l’Education nationale et l’AFPA, mais en gardant la maîtrise des flux. Nous ne garderons que 25 à 30 % de CFA entièrement privés à des fins d’expérimentation de certaines filières d’accès à nos métiers dans des conditions plus souples et plus rapides qu’à l’Education nationale, sans pour autant constituer une Education nationale bis. Nous recourons largement à la formation par l’apprentissage, mais nous comptons aller plus loin et serions prêts à former à de nouvelles technologies les personnes qui seraient ensuite embauchées par d’autres secteurs. Mais il faut, pour cela, maîtriser un tant soit peu les flux financiers.

M. Germain GENGENWIN : Avec la suppression des transferts volontaires de fonds entre OMA et, d’autre part, les mesures de rationalisation des circuits de financement et le resserrement du dispositif de collecte des fonds, que nous avons adoptées aux articles 71 et 74 de la loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, ce sont des millions de F. qui vont remonter vers Paris. Vous avez bien joué ! Mais des régions comme l’Alsace vont se trouver dépossédées de leurs compétences en matière de formations qualifiantes.

M. Dominique de CALAN : Je me suis battu pour qu’on garde la déconcentration, mais je n’ai pas obtenu satisfaction ! Mais rassurez-vous : si on laisse faire la métallurgie, étant donné la façon dont nous comptons déconcentrer par CFA, cet argent sera largement restitué aux régions qui seront même bénéficiaires. En effet, en ce qui concerne la métallurgie, l’Ile-de-France représente 25 % des effectifs de l’alternance et 35 % des fonds collectés à ce titre. Or nous souhaitons une déconcentration per capita dans le cadre de l’OMA de sorte que l’Alsace percevra des fonds supérieurs à ceux résultant de sa propre collecte. Je rappelle qu’on dénombre dans la métallurgie 70 conventions collectives de plein exercice déconcentré. Notre seul problème, c’est que pour tenir compte de l’échelon régional actuel de la déconcentration, il faudrait dénoncer 60 conventions collectives de la métallurgie dont le champ territorial est départemental ou même infra-départemental comme dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, ce qui politiquement n’est guère opportun.

M. René CARPENTIER : Dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple ?

M. Dominique de CALAN : Oui car c’est une région traditionnellement industrielle où il existe six conventions collectives différentes à Lille-Roubaix et à Tourcoing, sur le littoral, à Dunkerque et dans l’Arrageois.

M. le Président : Nous aurions pu évoquer également la trésorerie excessive des organismes collecteurs, le niveau élevé de leurs frais de gestion, les délais de remboursement, l’absence de valeur ajoutée, l’insuffisance du suivi et du contrôle. Pouvez-vous du moins nous dire votre sentiment à propos de la taxe d’apprentissage ? Selon vous, la collecte est-elle bonne ? Une réforme de circuits de financement de l’apprentissage vous apparaît-elle nécessaire ?

M. Dominique de CALAN : Une trésorerie excessive ? Sans doute, mais les propositions que nous faisons depuis deux ans pour la réduire ne reçoivent jamais d’écho ! Si l’Etat s’engageait à ne pas modifier la collecte sans prévenir douze mois auparavant, les organismes pourraient ne pas provisionner au-delà d’un an.

M. le Président : Mais il y a des délais de paiement !

M. Dominique de CALAN : Ils sont de deux ans. Prenons cette disposition et l’on divisera la trésorerie par deux. Nous pourrions ainsi ne provisionner que la moitié des montants relatifs aux contrats de qualification.

On améliorerait également la situation si l’on décidait que les entreprises qui n’ont pas demandé dans l’année qui suit la fin du contrat à être remboursées renoncent à ce remboursement. La trésorerie pourrait, de ce fait, être diminuée de 10 à 20 %. Nous pourrions donc par deux mesures simples diminuer au moins de moitié la trésorerie.

D’autre part, est-il prouvé que les frais de gestion sont plus légers quand on concentre ? Certains organismes publics ont d’importants frais de gestion. Cela dit, on pourrait les faire passer progressivement de 6 % à 5 %, voire à 4 %.

Quant à la taxe d’apprentissage, l’espérance de vie des autorités qui s’y attaquent n’excède guère six mois... Près de 3 milliards de F. vont à l’Education nationale, c’est-à-dire à l’enseignement supérieur public ou enseignement privé sous contrat. Si l’on y touche, on déclenche des révolutions locales. Un peu plus de 50 % de la taxe sont donc gelés. Quand j’ai proposé d’y renoncer dans certaines régions, les élus m’ont opposé un net refus que d’ailleurs je comprends bien. La même attitude prévaut du reste dans les entreprises. Cela constitue en quelque sorte un ballon d’oxygène pour l’expérimentation de l’Education nationale à hauteur de 1 % de son budget. La situation sera différente dès lors que l’expérimentation sera effectuée par d’autres voies.

M. Germain GENGENWIN : Il y a aussi les écoles consulaires ?

M. Dominique de CALAN : Un milliard de F. environ va au Fonds national interconsulaire de compensation (FNIC) et aux artisans. Je croyais que lorsque le crédit d’impôt formation avait été instauré, on aurait supprimé ce fonds, mais il n’en a rien été. Actuellement, on dispose de 3.000 F. par artisan. J’avais aussi espéré voir tripler ce montant. Les engagements de porter ce montant à 9.000 F. devront être pris par la Direction du Budget ou résulter de l’augmentation des disposibilités du FNIC, ce qui diminuera la taxe d’apprentissage.

Je ne porterai pas d’appréciation sur le système consulaire. A mon avis, l’apprentissage ne se développera pas en s’appuyant sur la taxe, mais grâce à un transfert des fonds de l’alternance et à un financement normal des stages d’apprentis qui ne pourra excéder un doublement, c’est-à-dire une fraction de 0,2 %, sauf à compromettre les formules alternées. Pourra-t-on clairement définir l’apprentissage comme une voie de formation initiale procurant les mêmes diplômes que l’Education nationale ? Pourquoi, en effet, les collectivités publiques ne subventionneraient-elles pas l’apprentissage tout autant que la formation dans les LEP ? La dépense moyenne d’un jeune en LEP préparant un baccalauréat professionnel était de 28.475 F. en 1992. Si on multiplie ce montant par le nombre d’apprentis (220.000), on obtient environ 6,5 milliards de F., à rapprocher de la contribution de l’Etat de 4 milliards de F. ; 2,5 milliards de F. pourraient ainsi être consacrés au développement de l’apprentissage. Je crois que l’apprentissage peut se développer grâce à un transfert des fonds de l’alternance et, d’autre part, grâce à un financement normal au même titre que la formation initiale. On disposerait ainsi de 30.000 F par apprenti et il y aurait une véritable égalité des chances.

M. le Président : Quelles mesures pourrait-on prendre pour assainir le marché de la formation professionnelle ?

M. Dominique de CALAN : Pour assainir le marché, encore faudrait-il qu’il soit pollué. Je crois avoir démontré qu’il ne l’est pas tant que cela. Pour les fonds en alternance, je propose de séparer le contrôle de la gestion. Pour le marché libéral, les entreprises sont vigilantes. Enfin, en ce qui concerne les 60 milliards de l’Etat, même si les quelques organismes auxquels j’appartiens sont consultés, il y a de très gros efforts à faire. En fait, si les gens en formation consacraient un peu de leur temps ou de leur argent à cette formation et en devenaient un peu les clients, le marché serait très rapidement assaini. Lorsque l’on y consacre plusieurs samedis, on ne supporte pas longtemps qu’une formation ne soit pas de qualité.

M. Germain GENGENWIN : Très bien.

M. le Président : Je vous remercie.




Audition d’une délégation de la CGC

composée de

MM. Robert BONBONNELLE,
Secrétaire national chargé du département culture et formation,
et Jean-Jacques BRIOUZE,
Délégué national chargé de la formation professionnelle

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1er mars 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Robert Bonbonnelle et Jean-Jacques Briouze sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Robert Bonbonnelle et Jean-Jacques Briouze prêtent serment.

M. le Président : Je remercie MM. Robert Bonbonnelle et Jean-Jacques Briouze, d’avoir répondu à notre invitation au nom de la CGC et je leur pose immédiatement la première question : alors que la négociation va s’engager au niveau national entre partenaires sociaux, quelles orientations conviendrait-il selon vous de tracer pour le financement de la formation professionnelle ?

M. Robert BONBONNELLE : Dans le domaine de la formation professionnelle, les partenaires sociaux ont une lourde tâche à accomplir et je voudrais dire d’abord que les moyens accordés aux organisations syndicales ne sont pas à la mesure des besoins, compte tenu de l’étendue du territoire, du nombre d’organismes qui gèrent la formation professionnelle et de l’évolution de la législation sur laquelle les collègues qui accomplissent les missions doivent se tenir à jour. Nous avons donc des besoins. Sur la façon d’obtenir des moyens, nous sommes très ouverts. Nous entendons simplement que les moyens accordés soient connus de tous — c’est le cas — et qu’une transparence totale règne dans ce domaine.

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Dans les négociations qui vont s’ouvrir, je distinguerai d’une part le volume des moyens financiers disponibles pour la formation permanente, d’autre part le système de collecte.

S’agissant du montant des fonds, étant donné la situation actuelle, il n’est pas question pour le patronat d’augmenter les charges des entreprises. La CGC partage ce point de vue et, au cours de la négociation, ne demandera pas que ces charges augmentent fortement. D’ailleurs, 3,2 % de la masse salariale sont déjà consacrés à la formation professionnelle alors que l’obligation légale n’est que de 1,5 %.

En revanche, une disposition de la loi quinquennale sur l’emploi pose problème. Elle institue en effet un capital temps-formation sans en prévoir le financement. Il faudra trouver ce financement avec les employeurs. Or, pour l’instant, le patronat dit : « prenez sur le congé individuel de formation ». Il y a donc un bras de fer en perspective. Pour parler familièrement, nous disons « Touches pas à notre CIF », et le patronat nous répond : « Touches pas à notre plan ». La solution sera certainement un compromis entre le plan et le congé individuel de formation, mais je ne sais pas où nous en serons en juillet prochain.

En ce qui concerne ensuite les structures, il y a trop d’organismes collecteurs. Nous sommes pour que l’on en diminue significativement le nombre. Ainsi, on ne peut pas continuer à avoir près de 200 organismes mutualisateurs, dont beaucoup d’ASFO, dans le domaine de l’alternance. Pour opérer une restructuration, il serait judicieux de confier aux fonds d’assurance formation la collecte des crédits destinés au plan par branche professionnelle, si possible en restructurant ces branches, à l’exemple de ce qui a été fait dans le commerce. Outre les FAF, il faudrait aussi un agrément en ce qui concerne l’alternance, car les politiques d’alternance ne doivent pas être menées au coup à coup mais s’articuler sur le devenir des entreprises. Les commissions paritaires nationales de l’emploi pourraient être les organes compétents de cette politique de branche.

S’agissant du congé individuel de formation, il faut bien constater que l’agrément donné à des fonds d’assurance formation a perverti la nature de ces congés. Ils servent souvent à former du personnel en fonction des besoins de la branche et non des choix individuels. Nous sommes pour la restructuration dans un organisme unique, le FONGECIF.

M. le Président : Vous souhaitez donc que les formations ne correspondent plus aux besoins des entreprises mais aux desiderata des salariés. Si vous étiez des chefs d’entreprise, qui financent ces formations, ne demanderiez-vous pas qu’elles bénéficient à l’entreprise ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Le livre IX du code du travail s’intitule « de la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente ». Or, les moyens que l’entreprise consacre à la formation professionnelle ne proviennent pas seulement de l’investissement du capital mais sont aussi le fruit du travail des salariés. Nous estimons qu’ils peuvent servir à donner à des gens une chance de passer dans une autre branche professionnelle pour obtenir une meilleure situation.

M. le Président : C’était un peu une provocation de ma part.

M. le Rapporteur : J’apprécie l’effort réformiste de votre confédération pour résoudre les dysfonctionnements de la formation professionnelle. Vous nous avez parlé de transparence, de réduction du nombre des organismes. Mais n’êtes-vous pas frappé par la différence entre ce qu’étaient dans les années 1970 les fonds d’assurance formation chargés de promouvoir la formation et ce qu’ils sont aujourd’hui ? Par ailleurs, avez-vous le sentiment dans les organismes paritaires de contrôler quoi que ce soit ? Pensez-vous que le paritarisme, institué en 1970 sans contrôle, a été une bonne solution pour ce secteur de la formation professionnelle que vous gérez ? N’a-t-il pas plutôt abouti à en accentuer les dysfonctionnements ? Finalement croyez-vous à l’avenir du paritarisme et si oui, en le réformant par quel moyen ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Si je ne croyais pas en son avenir, je n’aurais pas évoqué le rôle des fonds d’assurance formation de branche. Le paritarisme a été institué en 1970 par les partenaires sociaux eux-mêmes.

M. le Rapporteur : Il a été institutionnalisé par la loi.

M. Jean-Jacques BRIOUZE : En 1971. Les partenaires sociaux ne l’avaient pas attendu. Il est important que le paritarisme existe et que les représentants des salariés soient associés à la formation car elle les concerne directement et doit leur permettre d’améliorer leurs compétences dans le processus de production et, par là même, la capacité des entreprises dont ils sont les salariés. C’est grâce à la participation de leurs représentants que l’on prend en compte les desiderata des salariés. Or, on sait bien qu’en formation, si on ne s’implique pas, on perd son temps. Tout cela a évolué, bien sûr, mais nous aussi : notre conception n’est plus la même qu’il y a vingt ans, lorsque les organismes avaient uniquement une vocation de collecte. Maintenant, ils apportent en outre aux entreprises, et en premier lieu aux petites entreprises, la possibilité de mettre en place des plans de formation.

M. le Rapporteur : Vous êtes donc pour une transformation complète des FAF. Vous confirmez bien l’analyse suivant laquelle les FAF d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’autrefois. Pourquoi ne proposez-vous pas plutôt d’autres structures ? Quel intérêt les syndicats ont-ils à gérer un système qui est en train de fondre entre leurs mains ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Je connais très bien deux FAF au moins, Promofaf et Unipro-Clinique, et je suis étonné de votre dernier propos.

M. Robert BONBONNELLE : Si nous sommes à ce point attachés au paritarisme, c’est que nous voyons mal quel autre système pourrait le remplacer.

M. Bruno BOURG-BROC : Que pensez-vous des bruits selon lesquels les ASFO seraient des organismes, sinon de perdition, du moins de déperdition de moyens ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Pour nous il est essentiel de séparer la fonction de collecte de la fonction de formation. C’est pourquoi nous ne faisons pas de formation : nous aidons seulement des groupements d’entreprises à formuler les contenus de formation dont ils ont besoin et à rencontrer des prestataires à même de leur fournir des produits adaptés à leurs besoins. La « surface » importante qui est la nôtre nous permet en outre de leur obtenir des tarifs intéressants, notamment auprès de l’Education nationale qui est la première entreprise de formation de France.

M. le Président : Vous faîtes donc du conseil aux entreprises ? Voilà une troisième fonction qui s’ajoute à la collecte et à la formation elle-même.

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Non, car je viens de vous dire que nous ne dispensons pas de formation.

M. le Rapporteur : Cela va venir...

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Je ne crois pas. Pour ce qui est des ASFO, je ne suis pas en mesure de confirmer les rumeurs qui circulent ici et là.

M. Robert BONBONNELLE : Nous avons eu connaissance comme vous de ces rumeurs mais nous ne disposons pas d’éléments qui permettraient de les confirmer.

M. Germain GENGENWIN : La loi de 1971 a fait beaucoup de bien, mais ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de la réformer, notamment pour supprimer le caractère obligatoire des cotisations ? Ce n’est pas que je sous-estime la nécessité de la formation, mais je suis persuadé que cette suppression serait un bon moyen de responsabiliser davantage les entreprises, dont un trop grand nombre se contentent de cotiser pour se donner bonne conscience. Il me semble également que continuer à faire relever l’agrément des organismes nationaux de branches est un frein à la décentralisation et à la responsabilisation de vos mandants. Je parle, bien entendu, pour l’ensemble des syndicats et non pas seulement pour le vôtre.

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Je n’ai parlé tout à l’heure que des organismes professionnels et non pas interprofessionnels. Ces derniers me semblent devoir être maintenus pour l’essentiel au niveau national — je pense par exemple à l’AFOS-PME et ses délégations régionales —, mais aussi au niveau régional comme échelon de regroupement local, car il est nécessaire de s’appuyer à la fois sur une logique nationale et sur les volontés locales. Dans la plupart des régions, on s’aperçoit que l’organisme de région, type Interfoc ou FAF de l’Est, a plus de poids localement que des petits FAF locaux. Pour que l’articulation entre la politique nationale de l’aménagement du territoire et la responsabilité de droit commun des régions soit assurée au mieux, il faut que cette concertation s’organise au niveau des branches. La dimension interprofessionnelle locale n’est pas encore très élaborée, mais il est vrai aussi que les organisations syndicales n’ont pas l’habitude de la concertation avec les conseils régionaux comme elles l’ont avec leurs interlocuteurs de l’Etat. Nous estimons nécessaire qu’une telle concertation se développe.

M. le Rapporteur : Ma question sera plus prosaïque, et portera sur les modalités de la participation de syndicalistes à la gestion de la formation professionnelle. Comment les syndicats désignent-ils leurs représentants au niveau local et au niveau national ? Combien de temps ces délégués consacrent-ils à leurs fonctions ? Comment sont-ils indemnisés ? Sont-ils rémunérés ? Comment font-ils pour connaître la qualité de tous les organismes auxquels ils ont à faire ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Ce dernier point est en effet très délicat, et c’est l’une des raisons qui nous fait précisément souhaiter une réduction du nombre des organismes collecteurs.

Ce dont nous avons besoin est de disposer de militants qui connaissent à la fois les dispositifs existants, la pratique du paritarisme, et la problématique de la formation. Il vaut mieux en outre, qu’ils appartiennent à la branche professionnelle qu’ils suivent. Lorsque nous avons la chance de disposer de tels éléments, tant mieux, sinon nous formons exprès des militants, ce qui prend un certain temps, mais ne doit tout de même pas être trop long car les choses évoluent, et il arrive aussi que les gens changent de branche ou de région... Nous faisons également un recyclage permanent : ainsi, nous allons faire une session spécialement consacrée aux nouveautés de la loi quinquennale sur l’emploi, le travail et la formation professionnelle.

M. le Président : Dans la gestion paritaire, quelle est la part du bénévolat et quelle est celle du salariat ? Le bénévolat me paraît présenter l’immense avantage d’échapper au reproche selon lequel le paritarisme coûte de l’argent aux cotisants. Est-il vrai, par ailleurs, que certaines centrales financent des emplois de permanents syndicaux, sous couvert de paritarisme, sur le dos de la formation professionnelle ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Le code du travail prévoit expressément que les militants qui participent à la gestion de la formation professionnelle se voient maintenir leur rémunération par l’entreprise, celle-ci en étant éventuellement remboursée sur les fonds de la formation professionnelle continue. Le cas de notre organisation est un peu particulier, car les cadres ne sont pas remplacés pendant leurs heures de délégation, et il est bien normal qu’ils touchent tout leur salaire, puisqu’ils font tout leur travail, en prenant au besoin sur leur temps de loisirs. On ne remplace pas un directeur qui s’absente un ou deux jours par mois.

Pour ce qui est des permanents payés par les FAF, nous avons la possibilité dans certains fonds de rémunérer des conseillers techniques chargés, par exemple, de faire des recherches particulières en matière de formation professionnelle pour permettre aux organisations syndicales d’exercer correctement leur mandat. Ces personnes participent notamment à la formation des administrateurs.

M. le Rapporteur : Combien y-a-t-il de conseillers techniques à la CGC ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Je crois qu’il y en a un à l’AFOS-PME et un à Uniformation.

M. Joseph KLIFA : Et combien d’administrateurs ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Si je prends l’exemple du FAF que je connais, il y a deux administrateurs au niveau national plus deux administrateurs par région, soit une cinquantaine au total.

M. le Rapporteur : Ces administrateurs sont-ils bénévoles ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Oui.

M. le Rapporteur : Combien avez-vous au total de conseillers techniques ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Trois ou quatre conseillers techniques au niveau de la confédération mais je ne connais pas le chiffre pour les fédérations. Je pense que cela doit apparaître au travers des réponses au questionnaire que vous avez adressé à tous les organismes collecteurs, car les choses sont claires.

M. le Rapporteur : Il serait bon que vous nous fassiez parvenir, dans des délais relativement brefs, un état précis du nombre de conseillers techniques et d’administrateurs de votre centrale syndicale, y compris les fédérations.

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Je peux m’y engager pour la confédération ; c’est un autre problème pour les fédérations !

M. Joseph KLIFA : A quoi pensiez-vous lorsque vous nous avez dit que les moyens ne sont pas à la mesure des besoins ?

M. Robert BONBONNELLE : La plupart de nos collègues sont bénévoles, même s’ils bénéficient du concours de quelques conseillers techniques en nombre très limité. Envoyer siéger dans des organismes de formation des gens inexpérimentés ou n’y envoyer personne n’est pas la meilleure façon de faire fonctionner le paritarisme. Nous souhaitons donc être en mesure de faire face à nos obligations. D’autre part, nous ne voyons guère ce qui pourrait remplacer le paritarisme. J’ajoute que la formation du salarié est une forme de citoyenneté. Vous imaginez aisément le poids de nos charges et de nos obligations en matière de formation, domaine éminemment complexe et évolutif.

M. le Rapporteur : Ne pensez surtout pas que nos questions, parfois un peu brutales, trahissent la moindre suspicion à l’égard des syndicats dont nous reconnaissons tous l’utilité primordiale pour la paix sociale et pour le développement du pays.

Cela dit, selon vous, le paritarisme est la seule solution pour la formation. Or, 90 % de la formation d’une entreprise ne sont pas gérés paritairement, puisque le plan de formation est seulement soumis au comité d’entreprise.

M. Robert BONBONNELLE : Nous connaissons parfaitement cette réalité mais nous rêvons d’autres façons de former que ce plan de formation, dont nous nous demandons parfois s’il répond réellement aux besoins de l’entreprise.

M. Bruno BOURG-BROC : La durée du mandat de vos conseillers techniques et administrateurs est-elle limitée ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : S’agissant des administrateurs, ils détiennent un mandat syndical qui peut donc prendre fin du jour au lendemain.

M. Bruno BOURG-BROC : Le nombre de leurs mandats est-il limité ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Je ne connais pas d’administrateurs qui l’aient été leur vie durant ! Nous ne souhaitons pas qu’ils deviennent des fonctionnaires des FAF, mais nous espérons un retour sur investissement au titre de la formation dispensée aux personnes auxquelles nous donnons mandat.

Pour ce qui est des conseillers techniques, ils ont un contrat de travail lié à leurs compétences. Dès que nous estimons qu’ils ne sont plus compétents, nous les changeons.

M. le Président : Que proposeriez-vous pour assainir le marché des organismes dispensateurs de formation ?

M. Robert BONBONNELLE : Au terme d’assainissement, nous préférons ceux de simplification et de clarification. Simplifier facilite le contrôle. D’autre part, nous souhaitons une distinction très claire entre la gestion et la formation. Il semblerait que le projet de décret d’application de l’article 74 de la loi quinquennale sur les structures de collecte, dont je viens de prendre connaissance, nous donne satisfaction en ce qui concerne la distinction entre la collecte des fonds et la formation. Nous nous en réjouissons. Il semblerait également qu’on s’achemine vers une diminution du nombre d’organismes collecteurs.

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Pour réduire le coût de la formation, il conviendrait que les personnes qui en bénéficient ne reçoivent pas systématiquement une partie de la formation déjà acquise ailleurs. Pour l’éviter, il serait bon de dresser un bilan de la capacité des gens avant toute formation et de valider les acquis.

M. Bruno BOURG-BROC : Qui procèderait à cette évaluation ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Il y a plusieurs niveaux d’évaluation. D’abord, celui des organismes officiels agréés par l’Etat ; puis, celui de l’organisme de formation. Lorsque des formations se recoupent, comme c’est souvent le cas, il faut éviter de refaire le même module à plusieurs reprises. Il conviendrait également de créer des organismes habilités à certifier les connaissances acquises dans l’entreprise. Un tel dispositif éviterait des temps de formation trop longs, donc coûteux.

M. le Président : Que proposez-vous pour l’utilisation des fonds affectés à la formation professionnelle ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Nous demandons la clarté et l’exercice d’un véritable contrôle par l’Etat.

M. le Président : Cette remarque vaut-elle à la fois pour la collecte des fonds et pour la formation dispensée ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Elle vaut pour tout. Pour notre part, nous faisons fonctionner le dispositif. Il est juste qu’un tiers, l’Etat, en assure le contrôle.

M. le Rapporteur : Cela dit, si le dispositif est clair, le contrôle devient inutile !

M. Jean-Jacques BRIOUZE : Il permet précisément d’apprécier le niveau de clarté !

M. le Président : Actuellement, estimez-vous le contrôle inexistant ou insuffisant ?

M. Jean-Jacques BRIOUZE : C’est évident. Compte tenu du nombre d’inspecteurs et de contrôleurs de la formation en France, comment voulez-vous qu’ils fassent correctement leur travail !

M. le Président : Je vous remercie.




Audition d’une délégation de la CFTC

composée de

MM. Jacques VOISIN, Secrétaire général,
et Lionel DUBOIS, Conseiller technique

(Extrait du procés-verbal de la séance du 1er mars 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Jacques Voisin et Lionel Dubois sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Jacques Voisin et Lionel Dubois prêtent serment.

M. le Président : Nous sommes là pour réfléchir ensemble à une meilleure utilisation des fonds de la formation professionnelle, qui représentent près de 120 milliards de F. Quelles mesures proposeriez-vous pour assainir le marché ?

M. Jacques VOISIN : Il est nécessaire de réorganiser notre dispositif de gestion de la formation professionnelle compte tenu de la prolifération des organismes. Aussi ne sommes-nous nullement opposés à une restructuration du système de gestion paritaire, mais je souligne bien — car cela est important — paritaire. Nous approuvons également l’idée d’une régionalisation de la formation professionnelle, car il faut que celle-ci soit le plus près possible de ceux à qui elle s’adresse. Mais il importe aussi que les vrais acteurs de la formation professionnelle dans l’entreprise ne soient pas mis à l’écart de la politique de formation. Que la région soit responsable des décisions concernant la formation professionnelle, et en particulier celle des jeunes, soit, mais à condition de ne pas considérer la région sous un jour uniquement politique, mais de faire leur place aux entreprises et aux partenaires sociaux ! Nous sommes, certes, consultés au niveau du COREF, mais c’est insuffisant. Les partenaires sociaux doivent pouvoir intervenir à propos des orientations de la politique régionale de formation professionnelle. Actuellement, nous avons le sentiment de ne pas nous y retrouver.

Je noterai que sur les 120 milliards de F. de la formation professionnelle, seulement 15 à 20 relèvent de la maîtrise paritaire, ce qui conduit à relativiser la responsabilité des partenaires sociaux dans ce domaine. Quant à parler d’« assainissement », ce n’est pas le mot qui convient à propos du système paritaire. Si les partenaires sociaux n’ont pas rempli toutes leurs missions dans ce domaine, c’est seulement dans la mesure où ils n’ont pas contrôlé les résultats comme ils auraient dû le faire. Nous n’avons pas à déplorer notre gestion. On aurait peut-être pu faire mieux en termes de résultat. Nous aurions pu investir mieux dans la formation professionnelle. Ayant présidé pendant deux ans le COPACIF, je reconnais que nous avions du mal à nous engager au delà du montant de l’année de collecte alors que nous aurions la possibilité de le faire. Des Fongecif ont constitué des réserves d’un an ou même de deux ans : cela n’était pas normal. On aurait pu effectivement faire mieux. Le COPACIF en avait la volonté, mais nous étions prisonniers d’une certaine inertie, d’autant que certains fonds estimaient qu’ils n’étaient pas sûrs de garder l’année suivante leur montant de collecte. Il en allait de même pour les fonds de l’alternance. J’ai découvert ainsi, un jour, que dans les « tuyaux » de l’alternance, il y avait au moins en trésorerie une fois le montant annuel de la collecte qui tourne autour de cinq milliards de F. Aussi convient-il de procéder à une restructuration afin qu’un seul organisme soit chargé, au niveau national, des mouvements financiers de l’alternance.

Comme le CNPF l’a dit en ouvrant les récentes négociations sur la formation professionnelle, on pourrait, avec les moyens dont on dispose, faire mieux. Le seul défaut de la gestion paritaire était de se satisfaire de comptes équilibrés et parfois d’un peu de marge. Nous avons souvent dit aux administrateurs représentant notre organisation qu’il fallait promouvoir une autre politique. Mais le paritarisme est lent ; il repose sur de longues discussions entre les cinq organisations syndicales et les deux organisations patronales ; il suppose le compromis. Nous avons mis vingt ans pour mettre en place les dispositifs issus de l’accord de 1970 et de la loi de 1971 qui ont donné naissance à notre système de formation professionnelle. Celui-ci, limité au départ, s’est peu à peu complété et a géré des sommes de plus en plus considérables. En 1991, lorsqu’a été négocié le nouvel accord, nous avons dit qu’il fallait changer de braquet, aller plus loin, s’orienter davantage vers une formation de qualité.

M. le Président : Si, comme vous semblez le dire, tout le monde a bien fait son travail, il ne devrait pas y avoir besoin d’un contrôle. S’il en faut un, c’est qu’il y a eu des dysfonctionnements.

M. Joseph KLIFA : Faut-il contrôler la qualité de la formation ou l’utilisation des moyens ?

M. Jacques VOISIN : Les deux.

Je citerai l’exemple du Fongecif de Provence-Alpes-Côte d’Azur qui, ayant à assurer une formation de niveau universitaire à un salarié, s’est adressé d’une part à un organisme de formation, d’autre part à l’Université : les coûts variaient du simple au double ! Dans la mesure où nous maîtrisions les fonds, nous avons pesé sur la qualité et sur les prix, mais nous n’avons pas su généraliser cette démarche, parce que le marché de la formation est complexe, et que, face à ce marché, nous n’étions que des partenaires sans avoir nécessairement le temps et la connaissance approfondie de ce marché.

M. le Rapporteur : Avez-vous l’impression aujourd’hui d’avoir un quelconque poids dans le mécanisme de la formation professionnelle paritaire ? Au cours des années, ne pensez-vous pas que les syndicats ont abandonné la gestion des fonds et, la collecte étant parfois sous-traitée, qu’ils se bornent à siéger dans les conseils d’administration et à avoir des conseillers techniques. Que vous ne soyez pas suffisamment représentés dans les instances politiques de la formation professionnelle, j’en suis d’accord. Mais sur le plan de la gestion paritaire, vous me semblez bien conservateurs : vous ne faites aucune proposition un peu audacieuse de réforme !

M. Jacques VOISIN : Votre analyse me semble bonne. Que pèse le paritarisme ? Que pesons-nous, nous, organisations syndicales, dans le paritarisme ? Je l’ai souvent dit moi-même, nous nous sommes contentés de mettre en place un dispositif de gestion. Ce que nous voudrions, c’est pouvoir gérer le paritarisme.

Nous n’avons pas eu le temps de former nos hommes au paritarisme et ils n’y sont pas notamment sensibles. Peut-être y a-t-il là un problème interne à notre organisation. Nos représentants ont plusieurs missions à assumer, ont peu de temps pour le faire et sont d’abord des « politiques ». Nous n’avons peut-être pas eu suffisamment le souci de leur apporter la formation nécessaire.

Pour le reste, je n’ai pas de propositions innovantes à vous faire. Il n’y a pas de meilleur système que la gestion paritaire. Il est essentiel que les acteurs sociaux dans les entreprises pilotent la formation professionnelle. Il faut que nos hommes y soient mieux formés. C’est tout.

M. le Président : Vous parlez du paritarisme avec passion, mais n’avez-vous pas le sentiment qu’il aurait dû rester un moyen et qu’il est devenu un objectif et que finalement on se préoccupe plus du maintien de la structure paritaire que des résultats de la formation professionnelle, alors que ces derniers constituent le véritable objectif ?

M. Jacques VOISIN : Je ne crois pas.

M. le Président : S’il fallait choisir, privilégieriez-vous l’efficacité immédiate, quitte à toucher au paritarisme, ou un paritarisme intouchable mais moins efficace ?

M. Jacques VOISIN : Je suis convaincu que le paritarisme est capable d’être le véritable moyen de mise en œuvre de la formation professionnelle. Mais il faut préciser ce que l’on entend par paritarisme. Dans ce cadre, on s’est trop longtemps contenté de gérer. Le paritarisme est un moyen aujourd’hui, ce peut être une ambition demain. Aujourd’hui, il ne donne peut-être que la moitié de sa mesure, car c’est tout ce qu’il peut faire. Il a du mal à aller plus loin, alors qu’il le faudrait.

M. Joseph KLIFA : Vous êtes en train, sans le vouloir, de définir les limites de la cogestion.

M. Jacques VOISIN : Non, je ne crois pas.

M. le Rapporteur : Aujourd’hui dans les grandes entreprises, on dépense pratiquement tous les fonds affectés à la formation dans le plan de formation et le comité d’entreprise donne son avis. Ne pensez-vous pas que cela fonctionne mieux que le système paritaire dans lequel les FAF ont recours à des organismes de formation extérieurs ?

M. Jacques VOISIN : Si l’on a aujourd’hui une gestion décentralisée de la formation professionnelle hors entreprise cela tient aussi aux comportements qu’ont eus les entreprises pendant longtemps. L’employeur avait pour premier souci a production, la formation venait après. Il était content qu’un organisme paritaire la gère. Aujourd’hui au contraire la formation est reconnue comme un investissement par l’entreprise. Mais nous souhaiterions que l’objectif de cet investissement soit partagé. Le paritarisme permet de faire comprendre que dans la formation il y a deux partenaires et que c’est là un moyen de la rendre efficace. L’avis du comité d’entreprise sur le plan de formation ne suffit plus, il faut impliquer les salariés. La récente loi quinquennale, par exemple, institue un capital temps-formation. Dans ce cadre le salarié risque de donner plus de lui-même sur son temps personnel. Cela ne peut se concevoir que si les salariés participent plus activement à la politique de formation professionnelle de l’entreprise. Mais, lorsque dans une petite entreprise, il n’y a pas les structures nécessaires, ni un véritable souci de formation, l’outil de gestion paritaire est seul capable de faire des propositions et tient le rôle d’un conseiller en formation. Il y a donc place à la fois pour la formation organisée au niveau de l’entreprise et pour un outil paritaire.

M. le Rapporteur : Ce que vous dites est vrai dans le cadre de la petite entreprise. Mais n’avez-vous pas le sentiment que le système que vous décrivez, s’il a été utile autrefois, est dépassé, toutes les grandes entreprises reconnaissant la formation comme nécessaire et l’assurant au-delà même de ce qui est obligatoire ? Si le système est obsolète, ne vaut-il pas mieux inventer autre chose ?

M. Jacques VOISIN : Les grandes entreprises sont aujourd’hui capables de conduire leur propre politique de formation. Cela peut se concevoir, à condition que les acteurs y soient bien associés. Il est inutile de reconstruire pour elles ce qu’elles ont déjà. En fait, ces grandes entreprises ont le choix. Ce que le paritarisme doit faire, c’est organiser l’environnement de la formation professionnelle. En outre, il prend aussi en compte les besoins des petites et moyennes entreprises.

M. le Rapporteur : Très souvent dans les FAF et les organismes mutualisateurs, les entreprises mettent en place des comptes de réserve. Pourquoi ne l’avez-vous pas dénoncé ? Les représentants des syndicats dans les conseils d’administration sont-ils vraiment compétents ? Comment sont-ils payés ? Comment exercent-ils ce lourd métier ? Quel est le statut de vos conseillers techniques ? Il importe de connaître les conditions matérielles dans lesquelles les syndicats peuvent agir. Le paritarisme ne fonctionne qu’avec des professionnels.

M. Jacques VOISIN : Je ne peux vous répondre pour toutes les structures régionales ou interprofessionnelles. Le paritarisme coûte cher. Dans beaucoup d’organismes est prévue une prise en charge pour les représentants. Nous nous sommes donnés les moyens de financer le paritarisme avec beaucoup de souplesse et selon des modèles différents.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous communiquer un état récapitulatif du nombre de vos représentants dans les conseils d’administration et de vos conseillers techniques ?

M. Jacques VOISIN : Je pourrai vous le communiquer au niveau interprofessionnel national. Les données seront plus longues à recueillir dans les fédérations, les régions et les départements. Sur le plan national, pour l’AGEFOS-PME, il y a un conseiller technique et des administrateurs. Au COPACIF, les sommes déjà très faibles prévues pour les représentants syndicaux sont bloquées depuis 10 ans. Moi-même, lorsque j’étais président, puis M. de Calan qui m’a succédé, avons été très rigoureux pour ne pas augmenter les frais. Il est peut-être dommage de n’avoir jamais mis en place un schéma type. Aujourd’hui existe une grande diversité.

Ceci dit, je vais m’efforcer de vous communiquer dans un délai de quinze jours, les renseignements que vous souhaitez.

M. Lionel DUBOIS : En tant que conseiller technique, je suis salarié de l’entreprise et je ne suis pas payé par la structure dans laquelle j’occupe un poste de représentant. J’ai été formé par ma confédération, puis sur place. Je siège dans plusieurs organismes et il faut se débrouiller pour se procurer les documents et apprendre sur le terrain.

En ce qui concerne la collecte par d’autres organismes que les FAF, dont vous avez parlé, elle a lieu en général au titre des entreprises de moins de 10 salariés.

M. le Rapporteur : Non, elle se pratique en particulier dans le BTP.

M. Lionel DUBOIS : Dans nos structures régionales cela nous échappe un peu. Je dois dire que nous avons géré les fonds de la formation en « bon père de famille » car les crédits des organismes étaient engagés sur deux ans. On les conservait et il y avait accumulation. Le nouveau plan comptable remet les choses au point et la gestion se fera de façon plus saine en fonction des nouveaux engagements.

M. le Président : L’argent est-il investi en placements financiers ?

M. Lionel DUBOIS : Oui, et le produit est réincorporé à la collecte.

M. le Président : Quel est le pourcentage du personnel de votre confédération qui est rémunéré sur les fonds de la formation professionnelle ?

M. Jacques VOISIN : Aucun permanent n’est rémunéré ainsi, seulement des journées de conseillers techiques.

M. le Président : Certaines mauvaises langues affirment que plusieurs organisations rémunèrent ainsi leurs permanents.

M. Jacques VOISIN : Pas la nôtre.

M. Lionel DUBOIS : Il y a des financements de conseillers techniques.

M. le Président : On dit aussi que certains organismes collecteurs se sont constitué des patrimoines importants. Qu’en pensez-vous ?

M. Jacques VOISIN : Que c’est regrettable, car ce n’est pas leur objet.

M. le Président : Mais cela existe

M. Jacques VOISIN : Cela existe. C’est sûr !

M. le Président : Avez-vous des exemples ?

M. Jacques VOISIN : Non, je n’en ai pas à l’esprit.

M. Lionel DUBOIS : Quoiqu’il en soit, c’est appelé à changer grâce au nouveau plan comptable. Les excédents des fonds de l’alternance doivent être désormais reversés à l’AGEFAL.

M. le Rapporteur : Monsieur le Secrétaire général, comment contrôliez-vous la gestion du COPACIF lorsque vous en aviez la responsabilité ?

M. Jacques VOISIN : Nous avions un budget annuel, un budget prévisionnel et des vérifications trimestrielles. Nous disposions d’un expert comptable, et la secrétaire du président était une comptable qualifiée. Au total, il y avait cinq personnes. Tous les organismes dépendant du COPACIF fonctionnaient également de cette manière avec un commissaire aux comptes.

M. le Rapporteur : Quel était le budget du COPACIF, et d’où venaient ses cinq salariés ?

M. Jacques VOISIN : Je vous communiquerai ultérieurement le montant du budget du COPACIF que je n’ai plus en tête, mais qui était très faible, car il s’agit d’une structure très légère. A mon époque, le directeur venait du centre INFFO, et lorsqu’il est parti à l’AFPA, nous avons choisi pour être son successeur un responsable impliqué dans la formation professionnelle au conseil régional d’Aquitaine.

M. le Président : J’ai cru comprendre tout à l’heure que vous étiez contre la confusion de la fonction de collecte et de la fonction de formation proprement dite.

M. Jacques VOISIN : En effet : il ne faut pas mélanger les genres, si l’on veut que le marché soit sain et la formation de qualité.

M. le Président : Etes-vous également pour la séparation entre gestion et collecte ?

M. Jacques VOISIN : Je n’en vois pas bien l’intérêt.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance d’attitudes « intéressées » de la part de certains prescripteurs de formation, attitudes qui consistaient à traiter en priorité avec certains organismes dispensateurs de formation, moyennant un intéressement.

M. Jacques VOISIN : Pas en détail... J’ai eu vent, comme tout le monde, de rumeurs, mais je ne sais rien de précis.

M. le Rapporteur : Quels sont les critères en fonction desquels les représentants d’un syndicat choisissent tel organisme de formation plutôt que tel autre ? Y a-t-il des liens privilégiés entre certains syndicats et certains organismes ? Donnez-vous des consignes et, si oui, sous quelle forme ? Verriez-vous un inconvénient, par exemple, à ce que chaque branche se dote d’un organisme dispensateur à l’instar de la métallurgie ?

M. Joseph KLIFA : Le CFPC, organisme collecteur et dispensateur à gestion paritaire, pourrait-il servir de modèle à de telles structures, adaptées à la fois aux besoins des entreprises et à ceux des salariés qui souhaitent se former ?

M. Jacques VOISIN : Le problème posé par un tel cadre est de savoir où nous nous situons. Nous sommes là pour représenter les salariés, pour veiller à ce qu’ils reçoivent la formation qu’ils souhaitent. La consigne que nous donnons à nos administrateurs, quand nous les rencontrons, c’est-à-dire au moins quatre à cinq journées par an, c’est de privilégier la qualité de l’offre et de vérifier celle-ci.

M. Joseph KLIFA : Mais vos administrateurs sont des généralistes, comment peuvent-ils apprécier la qualité des formations offertes ?

M. Jacques VOISIN : C’est aussi en amont qu’il faut prendre le problème : comment s’organise la démarche de formation. C’est une démarche politique au niveau de la branche et des commissions paritaires pour l’emploi, de manière à ce que les représentants des salariés soient associés à la définition des besoins. A partir de là, il faudrait évidemment que nos représentants dans les branches soient parfaitement bien informés des objectifs de formation définis par les commissions paritaires de l’emploi, et c’est un peu là que le bât blesse : leur manque d’information les handicape souvent dans la négociation des projets de formation.

M. Joseph KLIFA : Pensez-vous qu’il devrait y avoir une commission de suivi des formations ?

M. Jacques VOISIN : Certainement. Une telle commission répondrait à l’idée que j’exprimais tout à l’heure de peser sur la qualité de la formation. Le marché s’est développé de façon anarchique pendant une vingtaine d’années, et c’est seulement en 1991 qu’une loi est venue introduire un début de régulation. Nous sommes dans un monde assez anarchique.

M. le Président : Pourquoi les tentatives faites par M. André Laignel pour labelliser les organismes n’ont-elles pas abouti ?

M. Jacques VOISIN : Je crains de n’avoir pas de réponse à vous apporter.

M. le Rapporteur : Avez-vous le sentiment que les syndicats jouent la carte de la réforme de la formation professionnelle ?

M. Jacques VOISIN : Je le crois mais encore faut-il qu’on les laisse occuper leur place. Or, certaines branches semblent considérer que la gestion et le contrôle doivent être de leur ressort exclusif...

M. le Président : Vu du dehors on n’a parfois le sentiment que certains partenaires sociaux se préoccupent d’avantage de protéger leur citadelle, que d’améliorer la formation professionnelle...

M. Jacques VOISIN : Je ne présenterais pas les choses de cette façon. Si certains peuvent avoir le sentiment que le syndicalisme a pour souci premier ses propres moyens d’existence, c’est qu’il doit y avoir problème ; peut-être cela doit-il poser toute la question du taux de syndicalisation... Pour ma part, je considère que les partenaires sociaux se sont donné les moyens de gérer, de façon, certes brouillonne, mais honnête, le paritarisme et que cela a un coût. Comme le disait Jacques Delors c’est seulement lorsque le frigidaire est rempli que l’on est en situation d’aider autrui. Sans outil paritaire, le syndicalisme aurait-il la capacité de venir en aide au salarié ?

M. le Rapporteur : Estimez-vous qu’une loi sur le financement public des syndicats permettrait d’envisager la question de façon plus sereine ?

M. Jacques VOISIN : Lorsque M. Mitterrand a proposé la loi sur le financement des partis politiques, j’ai trouvé qu’il avait tout à fait raison, et je dois dire que j’ai pensé que ce serait une bonne chose de l’étendre au syndicalisme. Cela dit, si un juge vient regarder dans nos comptes, il ne trouvera rien à redire... Ce serait plus net : il faut bien financer le système paritaire.

M. le Président : Pensez-vous que la CGT accepterait que le CNPF soit payé par l’Etat ?

M. Jacques VOISIN : Il faudrait lui poser la question. Je ne suis pas certain qu’elle serait contre.

M. le Président : S’il existe des dysfonctionnements dans les circuits de financement de la formation, où se situent-ils selon vous ? En amont de la collecte, au stade de la gestion des fonds ou bien entre la prescription et la dispense de formation ?

M. Jacques VOISIN : Pourquoi parlez-vous de dysfonctionnements ?

M. le Président : Selon vous, il n’y en a pas... Je prendrai l’exemple d’un tuyau alimenté en eau et qui n’en restitue qu’une partie à l’autre extrémité.

M. Jacques VOISIN : Tout dépend de la pression !

M. le Président : A moins qu’il y ait une déperdition.

M. Jacques VOISIN : Je ne sais pas s’il y a dysfonctionnement. Je pense qu’il y a seulement une façon de gérer qui n’est peut-être pas la plus efficace. Thésauriser, garder en réserve un an de collecte n’est certainement pas la manière de gérer la plus efficace. Le problème essentiel est là. Est-ce pour autant un dysfonctionnement ? Mieux vaudrait une gestion à flux tendu. Bien sûr, il ne peut s’agir de jouer en bourse, quand on est un organisme de formation professionnelle. Si cela s’était produit, je le regretterais mais je ne comprendrais pas non plus qu’on ne cherche pas à faire vivre l’argent quand on a un ou deux mois d’avance de trésorerie, l’objectif étant, bien entendu, de réinvestir les fonds dans la formation professionnelle.

M. le Président : Peut-être pourrait-on réduire les délais de paiement ?

M. Joseph KLIFA : N’oublions pas que la ville de Paris a été mise à l’index par la Cour des comptes pour avoir thésaurisé !

M. Jacques VOISIN : Il ne faut surtout jamais oublier que l’argent de la formation professionnelle ne nous appartient pas. Et les dysfonctionnements — puisque le mot a été utilisé — sont essentiellement là.

M. le Rapporteur : Comment les chefs d’entreprise justifient-ils cette gestion « à la papa », qui n’a rien à voir avec celle de l’entreprise ?

M. Jacques VOISIN : Je serai plus dur que vous : nous sommes aussi coupables que les responsables d’entreprise puisque nous siégeons dans les conseils d’administration. Le problème est de prendre un réseau en main. Cela dit, le système paritaire en lui-même n’a pas à avoir honte de ses résultats.

M. le Président : Je vous remercie.




Audition de MM. Denis MORIN et François MONGIN,

respectivement sous-directeur
et chef de bureau à la direction du Budget
au ministère du Budget

(Extrait du procès-verbal de la séance du 15 mars 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Denis Morin et François Mongin sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Denis Morin et François Mongin prêtent serment.

M. le Président : Messieurs, quelle est votre mission au ministère du Budget ?

M. Denis MORIN : Je suis sous directeur à la sixième sous-direction du ministère du Budget, chargée de l’ensemble des problèmes sociaux. Elle comporte trois bureaux : le bureau chargé de l’emploi, dont le responsable est M. François Mongin, le bureau chargé des prélèvements sociaux et de l’équilibre de la sécurité sociale, enfin, le dernier bureau s’occupe des problèmes de vieillesse.

M. le Président : Avez-vous beaucoup à intervenir ?

M. Denis MORIN : Cela dépend de l’actualité, laquelle est assez chargée ces temps-ci.

M. François MONGIN : Je dirige pour ma part le Bureau 6A à la direction du budget, qui assure le suivi des budgets du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Mon bureau s’occupe également de l’insertion sociale des travailleurs immigrés et suit à ce titre le fonds d’action sociale (FAS) et la Sonacotra.

M. le Président : Les dispositions de la loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle devraient donner lieu à la publication d’une quinzaine de décrets d’application sur la formation professionnelle. Ces mesures sont-elles financées dans le cadre de la loi de finances initiale pour 1994, compte tenu de l’augmentation du nombre de contrats emploi-solidarité (CES) porté à 650.000 ? Vous n’êtes pas sans ignorer que la prise en charge totale des CES devrait être ramenée dans certains cas à 85 %, instituant ainsi une sorte de ticket modérateur à la charge des établissements d’accueil. Cette mesure d’économie de 2 milliards de F. permettrait, grâce à une dotation de 8,3 milliards de F., de financer l’augmentation des stages de CES. Où en est l’application de cette mesure ? Quel est l’état actuel du chapitre 44-75 relatif aux mesures exceptionnelles en faveur de l’emploi, du budget et des charges communes ?

M. Denis MORIN : Les mesures contenues dans la loi quinquennale récemment votée font l’objet d’un financement dans le cadre de la loi de finances, qu’il s’agisse des mesures relatives à la budgétisation des allocations familiales pour compenser les exonérations de cotisations familiales pesant sur les bas salaires — mesures qui seront financées sur le budget des charges communes —, ou d’autres dispositifs, dont la montée en régime se fera progressivement. La mesure que vous avez évoquée a été mise en œuvre dès 1993, et a donné lieu à une ouverture de crédits correspondants. Elle va se dérouler jusqu’au terme de la loi quinquennale et donner lieu à l’inscription des crédits nécessaires chaque année.

Le financement des autres dispositifs est en principe prévu dans la loi de finances, soit sur une ligne budgétaire correspondante, soit sous forme d’une réserve qui sera répartie le moment venu entre les diverses lignes budgétaires en fonction de la nécessité des dépenses.

M. le Président : Les arbitrages concernant les mesures nouvelles inscrites dans la loi quinquennale ont-ils déjà été rendus ?

M. François MONGIN : La loi quinquennale a fait l’objet d’un certain nombre d’expertises aux fins de chiffrages qui n’avaient pas pu être conduites, par définition, au moment de la discussion du projet de loi au Parlement. Le ministère du travail et nous-mêmes avons tenu des réunions d’échange, sous l’égide du cabinet du Premier ministre, sur le chiffrage de certaines des mesures de la loi quinquennale. Mais cet exercice n’est pas encore achevé.

Si l’on considère la loi quinquennale dans sa globalité, dans la mesure où elle prend appui sur des dispositifs qui existaient et qui donnaient déjà lieu à une couverture budgétaire, le problème de son financement ne se pose pas ex nihilo. Il existait déjà des dotations budgétaires qui peuvent être rangées aujourd’hui sous la bannière de la loi quinquennale. Celle-ci ne nous oblige donc pas à ouvrir au premier franc les crédits nécessaires à son financement. Par conséquent, la discussion porte plutôt sur les dispositions nouvelles qu’elle contient et pour lesquelles un calibrage précis doit être fait. Cet exercice n’est pas complètement terminé, car tous les projets de décrets d’application de la loi quinquennale n’ont pas encore été élaborés, discutés et arbitrés.

M. le Président : Qu’en est-il du ticket modérateur qui est prévu dans le cadre du financement à 85 % ?

M. Denis MORIN : Pour ce qui est des CES, la loi de finances de 1994 intègre une économie qui consiste à augmenter légèrement le coût des CES pour la collectivité qui les emploie. Cette économie a été arbitrée par le cabinet du Premier ministre. Les crédits qui concernent cette ligne budgétaire en tiennent compte. Il n’y aura donc pas de difficulté particulière pour que cette mesure soit mise en œuvre. Globalement, pour 1994, nous avons un contingent de 650.000 CES. Les chiffres de l’année 1993 font état d’un volume global d’entrée dans le dispositif de 703.000. Mais les gouvernements successifs ont pris l’habitude d’ajuster en cours d’année les crédits du budget de l’emploi en fonction des circonstances. Si des crédits supplémentaires se révélaient nécessaires, il n’y aurait pas de difficulté pour les dégager.

M. le Président : Combien de stages l’économie de 2 milliards de F. prévue grâce au ticket modérateur permettrait-elle de financer ? Où en est précisément cette mesure ?

M. François MONGIN : La mesure sur le ticket modérateur est encore soumise à l’arbitrage du cabinet du Premier ministre puisque les nouvelles dispositions concernant la configuration des CES pour 1994 n’ont pas été définitivement arrêtées.

M. le Rapporteur : Depuis vingt ans, les budgets relatifs à la formation professionnelle se caractérisent par une flexibilité, un laxisme et quelquefois une certaine incohérence dans l’établissement des comptes qui sont tout à fait exceptionnels. Comment se fait-il qu’une direction comme la vôtre, réputée pour sa rigueur dans l’établissement des comptes, ait pu laisser passer de telles choses à l’intérieur tant des budgets publics que des budgets de la formation issue du secteur privé ?

Avez-vous peu connaissance des dossiers ? Vous les cache-t-on ? Etes-vous perturbés dans votre travail par d’autres organismes ? Avez-vous le sentiment que tout cela est para-public ? Que se passe-t-il ?

M. Denis MORIN : Sur le secteur de l’emploi, je ne sais si les errements que vous dénoncez ont vingt ans d’âge. Les instruments budgétaires dont nous disposons permettent sans grande difficulté — l’expérience des années passées l’a montré — de calibrer de façon relativement précise les moyens affectés à la lutte contre le chômage en fonction de l’évolution de la situation économique, et en particulier d’ajuster en volume et en qualité les dispositifs de traitement social du chômage pour faciliter l’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi et le retour à l’emploi de ceux qui malheureusement sont dans une situation de précarité et d’exclusion.

Il est vrai que depuis vingt ans on a un peu tout essayé en matière de politique de l’emploi...

M. le Rapporteur : Je ne parle pas de l’emploi mais des fonds qui servent au financement de la formation professionnelle. Cela aussi est de votre compétence.

M. François MONGIN : Dans ce cas, il convient de distinguer deux choses. Il y a les dispositifs de formation professionnelle qui sont financés à partir des lignes budgétaires du ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Ici, la lisibilité est claire.

Mme Martine DAVID : Est-ce vraiment votre impression ?

M. François MONGIN : Entendons-nous : nous savons quels types de dispositifs nous finançons sur les lignes budgétaires. Certes, on peut s’interroger sur l’efficacité du franc investi. Mais lorsque nous inscrivons un montant déterminé de crédits en faveur de l’AFPA, ces crédits vont bien à l’AFPA. Pour ce qui est de savoir ce qu’il en est fait en termes de formation des chômeurs et d’insertion...

M. le Rapporteur : Ne dites pas cela à un ancien haut fonctionnaire. On sait très bien que la direction du Budget ne se contente pas d’une étude strictement comptable. Ne me dites pas que vous n’avez pas examiné le fond des dossiers. Ne dites pas non plus que ces dossiers sont clairs et lisibles.

Pour avoir vu fonctionner la direction du Budget, qui fait preuve d’habitude de férocité à l’égard des autres ministères, je me pose la question de savoir comment il se fait que dans un secteur clef comme celui de la formation professionnelle, il y ait des opacités aussi flagrantes qui aboutissent à une utilisation quelque peu contestable des deniers publics.

M. Denis MORIN : Une des difficultés de la lisibilité des actions vient de la multiplicité des intervenants dans ce secteur. Lorsque l’Etat finance un kilomètre de route, on sait combien cela coûte et on voit le résultat. Dans le domaine de la formation professionnelle, en dehors des crédits qui figurent sur des lignes budgétaires et qui sont lisibles, interviennent les régions, les collectivités locales, ainsi que les entreprises. Je dois reconnaître qu’à ce niveau il est difficile de savoir comment s’effectuent la collecte et l’utilisation des fonds. De plus, les organismes qui collectent les fonds ne sont pas des établissements publics. Nous n’exerçons pas de tutelle à ce niveau nous permettant de savoir comment fonctionne le système.

Le même reproche pourrait être adressé au 1 % logement qui était difficile à appréhender par l’administration centrale. C’est pourquoi en 1987, M. Méhaignerie, alors ministre de l’Equipement et du logement, a décidé de créer un établissement public destiné à renforcer le contrôle sur ce secteur.

Il est évident que lorsqu’un établissement public existe, sur lequel s’exerce la tutelle de l’administration concernée, la lisibilité devient plus grande. Dans le cas présent, nous avons à faire à des associations loi 1901 dont nous n’avons pas à connaître le fonctionnement. Nous ne pouvons que diligenter des enquêtes de façon à en savoir plus. Mais nous avons des difficultés à savoir comment fonctionnent les OMA. Ce n’est pas l’AGEFAL qui nous aide dans cette tâche.

M. le Président : Collaborez-vous à la mission du groupe national de contrôle qui existe auprès de la délégation à la formation professionnelle ? N’y a-t-il pas là moyen d’avoir prise ?

M. François MONGIN : Nous avons des relations avec le groupe national de contrôle, mais elles ne sont pas systématiques. Le premier souci de la délégation à la formation professionnelle n’est pas forcément de porter à notre connaissance les résultats des enquêtes du groupe national de contrôle.

Par ailleurs, je ne suis pas certain que le groupe national de contrôle, indépendamment de la qualité des travaux qu’il peut conduire, soit en mesure d’assurer la parfaite maîtrise du contrôle de l’ensemble des organismes qu’il a vocation à vérifier, aussi bien ceux qui relèvent de la formation en alternance ou de l’apprentissage, que ceux qui relèvent du financement des actions de formation continue des entreprises.

M. le Président : Quelle est votre attitude entre ce qui concerne le contrôle des excédents des organismes collecteurs ? Avez-vous connaissance du montant des reliquats dégagés par les organismes collecteurs de formation ? Quels sont les critères de restitution de ces reliquats ?

M. Germain GENGENWIN : Depuis combien de temps exercez-vous vos actuelles fonctions ?

MM. Denis MORIN et François MONGIN : Un an.

M. Germain GENGENWIN : Nous accordons tous les ans dans le cadre du budget des centaines de milliers de francs aux OMA et aux OPACIF et vous ne savez pas comment cela fonctionne !

Les crédits de la DFP passent par vos bureaux. Comment expliquez-vous la démultiplication des lignes budgétaires dans les différentes DRFP ? Ce phénomène a entraîné une démultiplication des structures au niveau des bassins d’emploi. L’Etat a même du mettre en place un coordonnateur de zones au-dessus des PAIO et des missions locales pour y voir clair.

M. Denis MORIN : Chaque année l’Etat verse au titre du CIF 500 millions de F. en plus des fonds collectés par les OPACIF. Compte tenu de l’importance des disponibilités des OPACIF, qui sont environ 70, l’Etat pourrait se désengager. Mais on peut considérer aussi que l’Etat, même si son intervention est en voie de diminution, exerce une certaine pression en faveur de tel ou tel type de formation. Il est arrivé au ministère de l’emploi de rencontrer des difficultés avec des organismes de formation dans une grande région française au point de se demander s’il fallait continuer à subventionner ou non.

M. le Rapporteur : Est-ce pour cette raison que vous avez supprimé les crédits au FONGECIF en question ?

M. Denis MORIN : Nous arrêtons une enveloppe globale dans le cadre d’une discussion annuelle avec le ministère de l’emploi. Mais nous ne sommes pas les gestionnaires des crédits. Une fois que les crédits sont inscrits sur les lignes budgétaires et qu’ils sont votés, ce sont les ministères concernés qui gèrent.

M. le Rapporteur : Vous savez très bien que des conventions sont signées entre l’Etat, les collectivités territoriales et les organismes de formation. Or, la Cour des comptes dénonce le fait que des stages sont antidatés, non effectués ou que les délais de paiement ne sont pas respectés. Vous affirmez que la direction du budget n’est pas du tout attentive à cela, alors que je connais des ministères où votre Direction est très regardante sur l’utilisation des deniers publics !

Mme Martine DAVID : Le fait de ne pas savoir ce que devient l’effort financier de l’Etat dans ce secteur très important qu’est la formation professionnelle ne vous interpelle pas ? Cette préoccupation est d’autant plus impérieuse que nous sommes dans une situation économique difficile. Les jeunes ont plus que jamais besoin d’une formation continue qui soit de très bonne qualité. Or des insuffisances — pour ne pas dire, comme le Rapporteur, des incohérences — sont à dénoncer. Force est de constater que depuis le début de nos auditions, nous n’avons pas beaucoup perçu de volonté d’aller vers une clarification des mécanismes de financement de la formation professionnelle.

M. Denis MORIN : Je n’ai pas dit que nous nous désintéressions de l’utilisation des fonds publics. Si j’ai donné ce sentiment, c’est que je me suis mal exprimé. J’ai indiqué que des discussions annuelles avaient lieu au niveau central et que la responsabilité de la gestion courante de ces crédits n’incombait pas à la direction du budget. Cela dit, on peut soutenir que le dispositif général des formations en alternance souffre d’insuffisances.

Mme Martine DAVID : Notre objectif est de clarifier la situation du secteur de la formation professionnelle et d’aboutir à des conclusions afin de l’améliorer. Dans ce but, avez-vous des propositions à formuler ?

M. le Rapporteur : Vous nous donnez l’impression de ne pas maîtriser la dépense. Or votre direction siège au conseil de gestion du fonds de la formation professionnelle. Je rappelle aussi que votre direction élabore les arrêtés de répartition des crédits. De plus, vous calculez l’enveloppe budgétaire en fonction des taux horaires. Vous êtes donc en amont du dispositif. Vous affirmez ne pas avoir de contact avec la DFP et les organismes de contrôle. On est un peu inquiet de savoir que la direction du budget n’a pas de contact avec ceux qui sont chargés de contrôler le système. Si nous avons mal compris, je vous demande de nous éclairer. Si des problèmes existent, quelles sont vos propositions pour les régler ?

M. François MONGIN : La direction du Budget siège tous les mois au conseil de gestion du fonds de la formation professionnelle. Si vous avez accès aux procès verbaux de ces réunions, vous constaterez que nos représentants font des observations qui ne vont pas nécessairement dans le sens de ce qui est proposé.

En particulier, nous nous interrogeons sur la politique contractuelle. Nous nous sommes étonnés à plusieurs reprises du fait que l’Etat puisse être conduit à accompagner le financement d’opérations de formation continue dans des branches professionnelles honorablement cotées, bénéficiant la plupart du temps à des salariés qui ne sont pas nécessairement les plus immédiatement menacés par le chômage. La problématique d’analyse que nous avons sur la politique contractuelle rejoint plus ou moins celle du congé individuel de formation. Mais nous sommes plus ou moins entendus. Nous considérons que dès lors que les actions de formation continue sont financées par les entreprises, dont la plupart font un effort financier qui va bien au-delà de l’effort légal, nous voyons mal en quoi l’Etat continuerait à appuyer cet effort financier qui est en soi suffisant. L’effort de l’Etat pourrait être orienté vers d’autres secteurs.

Cela dit, lorsque les décisions sont prises, vous nous pardonnerez de ne pas en être les seuls acteurs. Nous pouvons prendre des positions sur certains dossiers, mais ces positions deviennent, au fil du processus de prise de décision, quelque chose dont nous n’avons pas l’entière maîtrise. Mais, au sein du conseil de gestion, nous remplissons autant que faire se peut le rôle d’analyse critique qui nous est dévolu. C’est ainsi que nous avons bloqué pendant quelque temps, en attendant de mieux le finaliser, un projet de la délégation à la formation professionnelle sur le développement des bilans de compétence. Cette formule en effet ne nous agréait pas dans la mesure où elle consistait à développer des effectifs financés sur des crédits d’intervention, pour des actions dont la maîtrise nous échappe totalement.

M. le Rapporteur : Vous intervenez donc !

M. François MONGIN : Pardonnez ma vivacité, mais je ne peux pas laisser dire que nous ne faisons pas ce que nous avons à faire. Cela dit, nous le faisons dans un cadre contraint.

Par ailleurs, il convient de distinguer dans le secteur de la formation professionnelle plusieurs niveaux d’intervention : la formation professionnelle des demandeurs d’emploi, celle des jeunes sans qualification ainsi que la formation professionnelle continue des salariés. Il y a de plus l’alternance qui constitue en soi un domaine à part. On peut déplorer ce morcellement mais chacun de ces blocs correspond à une logique différente.

Si l’on considère l’alternance et la formation continue des salariés, la difficulté fondamentale provient de ce que les options prises à l’origine ont consisté à s’appuyer sur des opérateurs privés extrêmement morcelés — 67 OPACIF, 200 OMA — sur lesquels la maîtrise est extrêmement difficile. Lorsque nous avons des doutes sur la manière dont fonctionne le dispositif, nous diligentons des enquêtes pour éclaircir nos interrogations. Nous savons, à peu près comme tout le monde, que les organismes mutualisateurs de l’alternance pratiquent une thésaurisation de fonds relativement importante. Ils ont en caisse environ un an de collecte. Tout le monde sait aussi que les OMA s’emploient à éviter que cet argent ne remonte à l’AGEFAL, qui est pourtant l’organisme chargé de faire la péréquation des besoins de financement en alternance.

M. le Président : Vous avez l’air de dire que thésauriser à ce point n’est pas de la bonne gestion. Les organismes concernés prétendent craindre de ne pas avoir suffisamment de collecte devant eux.

M. François MONGIN : Je ne dis pas que cela est un signe de mauvaise gestion. Je dis que cet excédent de trésorerie pourrait alimenter d’autres organismes. Nous avons l’impression qu’il y a une sous-optimisation de ces financements et que ceux-ci pourraient être mieux mobilisés. Mais je ne dis pas que les OMA sont de mauvais gestionnaires. La maîtrise de ce dispositif est rendu extrêmement difficile par son morcellement et par l’incapacité à mobiliser l’argent.

M. le Rapporteur : Est-ce le directeur du Budget ou le ministre des Finances qui ne vous entend pas ?

M. Denis MORIN : Cela est vrai aussi pour le ministère de l’Emploi. Nous avons des difficultés à appréhender la situation d’organismes qui sont nombreux et qui gèrent des fonds à caractère privé, même s’ils sont collectés dans le cadre d’obligations légales. Si, à l’issue d’enquête, nous apprenons qu’il y a dans tel ou tel OMA ou dans tel ou tel OPACIF des excédents en caisse nous ne pouvons pas être les seuls à en tirer les conséquences.

M. le Rapporteur : Ce ne sont pas des fonds privés. Vous pouvez vous en remettre à la Cour des comptes qui est capable d’analyser les FONGECIF. Pourquoi ne déférez-vous pas ces affaires à la Cour des Comptes ?

Mme Martine DAVID : Vous êtes conduits à diligenter des enquêtes lorsque vous considérez qu’un organisme de formation ne joue pas correctement son rôle. Cela arrive-t-il souvent ?

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de supprimer l’agrément à un organisme qui ne remplit pas sa mission ? N’est-ce pas là l’une des solutions ?

M. le Rapporteur : Que pensez-vous de la procédure d’agrément pour faire face aux difficultés que l’on relève ? Ne me dites pas que vous n’y avez pas pensé puisqu’un précédent ministre chargé de la formation professionnelle l’avait envisagé.

M. François MONGIN : Ce serait probablement une solution, même si la portée en est insuffisante. Cela dit, le groupe national de contrôle procède à des redressements. La loi quinquennale renforce assez sensiblement les sanctions qui frapperaient les organismes qui détourneraient des fonds ou qui ne s’acquitteraient pas de leurs obligations légales. Même si ce n’est qu’un début, la loi prévoit de nouveaux outils pour réguler le dispositif.

Quant à instituer une procédure d’agrément pour les organismes dispensant des formations dans le cadre du contrat de qualification, cela ne nous choquerait pas.

M. le Président : Avez-vous connaissance de cas de détournement de fonds ou d’organismes qui ne rempliraient pas leurs obligations légales ?

M. François MONGIN : Non, ce type de comportement n’est porté à notre connaissance que ponctuellement, à la faveur d’une enquête de l’inspection des finances.

M. le Rapporteur : Vous ne pouvez ignorer que des cas de détournement ont pu être mis en évidence, notamment par la Cour des comptes.

M. François MONGIN : Je ne vous dis pas que je n’ai jamais entendu parler de détournement. Mais je ne pense pas qu’on puisse tirer de quelques incidents des lois à caractère général.

M. le Président : Ma question était de savoir si vous aviez eu connaissance de phénomène de ce genre.

M. François MONGIN : Nous avons eu connaissance des rapports auxquels M. le Rapporteur a fait allusion.

M. le Président : Quelle a été votre réaction ? Il est curieux de constater qu’un grand nombre de rapports sont publiés mais on ne sait jamais s’ils sont suivis de recommandations. Avez-vous un moyen d’intervenir ?

M. François MONGIN : Actuellement, nous proposons qu’un certain nombre des organismes concernés — FAF, OMA, OPACIF — soient soumis, à partir d’un certain niveau de collecte, au contrôle économique et financier de l’Etat. J’espère que cette proposition connaîtra une suite favorable. La possibilité pour un contrôleur d’Etat de se faire communiquer les comptes d’un organisme est déjà un premier maillon, sur lequel nous fondons un espoir d’améliorer la situation.

Les décrets d’application de la loi quinquennale prévoient de faire siéger à l’AGEFAL un commissaire du Gouvernement. Une telle disposition nous paraît de nature à améliorer la transparence des relations entre l’Etat et cet organisme. Certes, ce ne sont pas des pas de géant. Mais en prenant en compte la capacité de réaction des organismes, nous avançons progressivement.

M. le Président : Y a-t-il eu des sanctions ?

M. François MONGIN : La direction du Budget ne gère pas les plaintes contre tel ou tel organisme, même si nous en avons connaissance. C’est du ressort du ministère de tutelle qu’est le ministère du travail. Nous ne pouvons pas nous substituer à ce ministère pour la gestion courante.

M. Germain GENGENWIN : Je serai moins sévère envers les organismes de formation qu’envers ceux qui commanditent les actions de formation. C’est par exemple le conseil régional qui est responsable lorsqu’il donne des ordres de formation.

Il y a 35.000 organismes de formation. On sait que toutes les fédérations Léo Lagrange se sont transformées en organismes de formation. Or l’obligation de collecte du 0,2 % et du 0,4 % sont des obligations légales. La vérification des comptes vous incombe donc à ce titre. De même les organismes décentralisés ont pour mission de contrôler et de vérifier.

Vous avez signalé tout à l’heure l’exemple des engagements de développement de l’Etat dans le cadre de la formation professionnelle. Mais je ne suis pas sûr que ce soit un bon exemple car il s’agit en l’occurrence d’engagements contractualisés avec les régions et avec les entreprises. Nous connaissons l’efficacité de ces expériences. Pour ce qui est des bilans de compétence, c’est une autre question. Le problème est que très souvent les entreprises ne connaissent pas les organismes gestionnaires des fonds qu’elles versent.

M. le Président : Vous dites que la mission de contrôle revient au ministère du Travail. Mais vous exercez bien une tutelle conjointe avec ledit ministère ?

M. François MONGIN : Je suis navré de dire que nous ne sommes pas équipés pour cela.

M. le Rapporteur : Pourtant, vous signez les arrêtés de répartition. Le Ministre des Finances doit normalement se retourner vers la direction du Budget.

M. Denis MORIN : Si nous parlons de crédits budgétaires, c’est évident. Mais nous parlons des crédits collectés par des associations de droit privé auprès des entreprises. C’est là qu’est la difficulté.

Les éventuels comportements de thésaurisation de certains organismes concernent l’utilisation de fonds privés et non de crédits budgétaires, même si ces fonds versés par les entreprises sont collectés dans le cadre d’obligations légales.

M. le Rapporteur : Dans un rapport récent, la Cour des Comptes a constaté que le FNIC n’avait pas de budget. Or cet organisme est normalement contrôlé par la direction du Budget. La taxe d’apprentissage est une taxe versée par les entreprises à l’Etat par l’intermédiaire des chambres de métiers et des chambres de commerce. Cependant, vous semblez rester l’arme aux pieds, considérant qu’il n’entre pas dans votre compétence de demander au FNIC de se doter d’un budget. Je ne reconnais plus la direction du Budget ! C’est bien la première fois que j’entends la direction du Budget se plaindre de ne pas être entendue.

M. le Président : Quelle est votre attitude face aux excédents dégagés par les organismes collecteurs ? Quels sont vos critères de restitution ?

M. François MONGIN : Notre politique en la matière vise à respecter les textes applicables. Nous avons été troublés, en particulier ces derniers temps, en constatant que certains reliquats, engrangés au titre de l’alternance dans certaines branches professionnelles, pouvaient être recyclés au profit d’actions de formation continue de salariés de la même branche. Ce genre de pratique tend à se généraliser, parce que certaines branches, et pas seulement le BTP, ont tendance à formuler des demandes similaires. Cela pose bien un problème d’équilibre global du système. Que l’on remette à plat le système pour voir dans quel sens il faut le faire évoluer semble tout à fait souhaitable. Mais il nous paraît assez dangereux de répondre à ce type de demandes au coup par coup. Il n’est pas souhaitable qu’une branche, qui dégage des excédents dans le cadre des formations en alternance, ne fasse pas remonter ces excédents à l’AGEFAL comme la règle l’impose, et les utilise pour financer des actions de formation, dont je ne conteste pas le fond, au bénéfice de salariés en place, alors que d’autres branches professionnelles ont des besoins non satisfaits en termes de formation en alternance.

Il est donc incontestable que le système actuel n’est pas équilibré. Je n’ai pas de solution miracle. Mais dès lors que ce type de comportement est en train de se développer dans le bâtiment, dans l’hôtellerie, dans la construction automobile, il serait peut-être utile d’avoir une réflexion de fond sur le fonctionnement de ces circuits financiers et l’adéquation des prélèvements aux besoins. Si on cautionne un système où il y a des fuites, on aura encore plus de difficultés qu’auparavant à suivre le cheminement des fonds engagés.

M. le Président : Que représentent les reversements au Trésor ? Qu’en faites-vous ?

M. François MONGIN : Vous savez très bien que les reversements au Trésor sont infimes. Les organismes font tout pour qu’ils le soient.

Une solution extrêmement simple pour la direction du Budget consisterait à faire de ces prélèvements des prélèvements fiscaux supplémentaires au profit de l’Etat et à laisser celui-ci faire la redistribution. Nous nous retrouverions ici dans une mécanique que nous connaissons infiniment mieux.

M. le Président : Que deviennent les reliquats des établissements publics qui ne peuvent pas être mutualisés ?

M. François MONGIN : L’ANPE n’a pas de reliquat. Si cela était le cas, comme nous sommes là dans un cadre budgétaire classique, il est automatiquement reporté sur l’exercice ultérieur.

M. le Président : Le Directeur général de l’AFPA ne nous a pas dit la même chose.

M. François MONGIN : Les excédents de l’AFPA n’ont connu dernièrement, à ma connaissance, que deux affectations qui ne sont pas fondamentalement contestables : le financement de l’accord de « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » que l’AFPA a mis en place pour faciliter la rénovation de ses cadres et la rotation de son personnel. Cela n’est pas forcément une mauvaise chose compte tenu de l’état de cet établissement. Ensuite, le financement du plan de développement des investissements. Quand on connaît l’état des centres de formation gérés par l’AFPA, cela ne semble pas une dépense « exotique ».

M. Germain GENGENWIN : Comment pensez-vous pouvoir instaurer le guichet unique au sein d’un bassin d’emploi, c’est-à-dire faire en sorte que l’ANPE puisse remplir sa mission et que les autres organismes qui gravitent autour puissent trouver un moyen d’œuvrer ?

M. François MONGIN : La loi quinquennale prévoit que l’ANPE peut dans certaines conditions déléguer certaines de ses missions à des opérateurs. Les missions locales sont clairement visées.

Mais le guichet unique n’est pas encore finalisé. Ce sera un des thèmes majeurs du futur contrat de progrès, qui seront débattus entre l’ANPE et l’Etat d’ici au 30 juin prochain. Le débat est ouvert sur ce sujet. Comme nos collègues du ministère du travail, nous estimons souhaitable de ne pas envoyer des jeunes se heurter à plusieurs portes de manière infructueuse. De même, il serait souhaitable, pour que la collecte des offres d’emploi soit plus efficace, d’éviter qu’une multitude d’intervenants aillent, à des titres divers, démarcher des entreprises qui finissent par se montrer nettement moins réceptives.

M. le Président : Que faudrait-il faire d’après vous pour que les fonds de la formation professionnelle soient mieux utilisés ?

M. Denis MORIN : Simplifier. Nous-mêmes avons du mal à comprendre comment s’organisent les circuits financiers relatifs à la taxe d’apprentissage.

Il faudrait également essayer de rapprocher l’ensemble des dispositifs de formation en alternance, qu’il s’agisse de l’apprentissage ou des contrats de qualification. On devrait pouvoir arriver à simplifier les circuits financiers et à rapprocher les actions qui sont financées par deux canaux voisins, d’une part, la formation en alternance dans le cadre du 1,5 %, d’autre part, l’apprentissage dans le cadre du 0,5 %.

M. le Président : Quels organismes de collecte supprimeriez-vous en priorité ?

M. François MONGIN : A priori plus le nombre d’organismes collecteurs est important, plus le risque de pertes en ligne et de dispersion est important. Si on veut continuer à s’appuyer sur des structures professionnelles...

M. le Rapporteur : Ce n’est pas votre avis ?

M. François MONGIN : Je vous ai donné mon avis : ce qu’il y a de plus opérationnel pour nous c’est l’affectation directe des fonds à l’Etat, et la redistribution par l’Etat. C’est pour nous la réponse la plus simple et la plus facile à gérer. Mais vous savez bien que cela n’est pas possible.

M. le Rapporteur : Surtout si vous dites à une commission d’enquête que vous n’arrivez déjà pas à gérer les fonds de la formation professionnelle directe !

M. François MONGIN : Si l’on continue à s’appuyer sur des structures professionnelles, il faut, comme le ministère du travail cherche à le faire actuellement, s’employer à réduire le nombre de ces organismes. Faut-il organiser des structures interprofessionnelles, des structures sur une base régionale, interrégionale ou nationale ? Je n’en sais rien. Mais il conviendrait que le nombre des OPACIF passe de 70 à 25 et le nombre des OMA de 200 à 50.

Par ailleurs, il y a un autre problème. C’est celui où les organismes sont à la fois collecteurs et dispensateurs de formation, donc juge et partie, ayant ainsi directement intérêt à alimenter leur fonds de commerce. Faut-il continuer à s’appuyer sur ce système, ou bien faut-il, comme cela se fait pour les ordonnateurs et les comptables, dresser une ligne de partage entre les organismes collecteurs et les organismes dispensateurs, et à ce moment-là assujettir ces derniers à un cahier des charges et à des règles de contrôle beaucoup plus strictes qu’aujourd’hui ? C’est un axe de réflexion qui paraît tout à fait pertinent.

M. le Président : Je vous remercie.




Audition d’une délégation de la CGT

composée de

MM. Jean-Michel JOUBIER, responsable du secteur formation
et Joseph SERRAMALERA, collaborateur du service formation

(Extrait du procès-verbal de la séance du 15 mars 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Jean-Michel Joubier et Joseph Serramalera sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Jean-Michel Joubier et Joseph Serramalera prêtent serment.

M. le Président : Dans quelle mesure, à votre avis, la formation professionnelle peut-elle contribuer à diminuer le taux de chômage des jeunes diplômés ?

M. Jean-Michel JOUBIER : En soi, la formation professionnelle ne va pas régler le problème du chômage. Mais c’est souvent une voie de passage obligé pour s’attaquer au problème du chômage.

M. le Président : Est-ce une voie de passage obligatoire ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Quasiment obligatoire. Pour un jeune diplômé, on peut se poser la question de savoir s’il est nécessaire de lui donner un complément de formation par rapport à la formation qu’il a déjà reçue. La question se pose avec acuité pour les jeunes qui sortent du système éducatif ou qui sont déjà dans l’entreprise et qui n’ont qu’un faible niveau de qualification. Pour un jeune, la question est davantage de savoir comment on peut l’insérer dans l’entreprise, ce qui pose immédiatement la question de l’adaptation de la formation qu’il a reçue à son emploi dans l’entreprise. Ce n’est donc pas la formation professionnelle qui va régler la question de l’emploi pour le jeune diplômé.

M. le Président : Que pensez-vous de la qualité des formations qui sont dispensées dans le cadre actuel de la formation professionnelle ? Sont-elles adaptées au marché de l’emploi ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Globalement oui. De tout temps, le jeune qui sortait du système éducatif, au sens large, avec une formation professionnelle avait toujours besoin d’une période d’adaptation. Par ailleurs, le système éducatif préparant aux formations professionnelles est globalement adapté aux besoins de notre économie. Avec cependant un problème de taille, celui de l’échec scolaire et des jeunes qui sortent du système éducatif sans formation professionnelle. Cette lacune impose d’apporter des mesures concrètes pour y remédier. Autant cela était concevable il y a vingt ans, car le jeune pouvait tout de même s’insérer dans l’entreprise et y acquérir par le travail la formation qui lui manquait, aujourd’hui, du fait de la raréfaction de l’emploi, la difficulté de s’insérer est beaucoup plus grande. Au-delà du problème de la qualification se pose la question de l’insertion sociale. Se creuse le fossé entre insertion et emploi.

M. le Président : Quel système a votre préférence : la formation sous statut scolaire ou la vraie alternance ?

M. Jean-Michel JOUBIER : La CGT est favorable au développement de l’alternance. Nous pensons qu’il n’est pas concevable aujourd’hui qu’une jeune qui sort d’une formation professionnelle n’ait aucune connaissance de l’entreprise. Aussi nous sommes favorables à ce que se développe l’alternance sous statut scolaire.

M. le Président : N’est-ce pas contradictoire ?

M. Jean-Michel JOUBIER : L’entreprise doit être, sous certaines conditions, un lieu de formation. Dans ce cadre-là, une coopération doit se nouer de façon étroite entre l’école et l’entreprise. Il n’y a rien d’incompatible entre les filières publiques de formation professionnelle et l’entreprise. Dans certaines branches des accords existent qui ont donné des résultats positifs et qui donnent à penser qu’il est possible de développer l’alternance.

Un autre problème est celui de la capacité actuelle des entreprises à accueillir tous les jeunes. Pour l’instant, ce débat n’est pas porté sur la place publique. Il faut donc débattre sur la question de savoir comment les entreprises peuvent retrouver leur capacité d’accueillir toute la jeunesse qui a besoin d’une formation professionnelle.

M. le Président : On constate régulièrement que toutes les places ne sont pas pourvues en apprentissage. Il y en a plus de 1.500 disponibles en Alsace, à titre d’exemple.

M. Jean-Michel JOUBIER : Derrière ces chiffres, n’y a-t-il pas le problème de l’image de l’apprentissage et des métiers manuels dans l’opinion publique ? Se pose la question de savoir comment développer une véritable promotion des filières techniques et professionnelles.

M. le Président : Par une meilleure rémunération.

M. Jean-Michel JOUBIER : Je suis bien d’accord avec vous, Monsieur le Président.

M. le Rapporteur : Le sujet de la commission d’enquête porte sur l’utilisation des fonds de la formation professionnelle.

Quel est votre sentiment sur la situation financière de la formation professionnelle en général, et sur celle des ASFO en particulier. Avez-vous eu connaissance de dysfonctionnements dans les ASFO et à quel moment ? Comment avez-vous réagi ? La centrale syndicale que vous représentez a-t-elle interpeller la branche professionnelle concernée ? Avez-vous été tenté de faire modifier le statut des ASFO ? Parlez-nous de la longue histoire de la CGT avec les ASFO ?

M. Jean-Michel JOUBIER : C’est plutôt une histoire conflictuelle. Dès le départ nous avons été opposés à la mise en place des ASFO à cause du manque de transparence de leurs finances. Elles gèrent l’argent des plans de formation des entreprises dans la plus totale confidentialité.

M. le Rapporteur : Vous siégez dans les comités d’entreprise.

M. Jean-Michel JOUBIER : Le comité d’entreprise n’a aujourd’hui aucun moyen réel de contrôle sur l’utilisation des fonds de l’entreprise en matière de formation professionnelle. Il est consulté pour avis sur le plan de formation. On n’a pas connaissance de la gestion des ASFO.

S’agissant de la partie alternance, où il y a un peu plus de transparence, ce n’est pas le conseil de perfectionnement qui gère directement les fonds, c’est le conseil d’administration de l’ASFO. Nous n’avons donc pas les moyens réels de contrôle.

J’aimerais bien en savoir plus sur l’utilisation des fonds de l’alternance collectés dans les ASFO, sur les dirigeants des ASFO. N’ont-elles pas par ailleurs d’autres responsabilités ? Je pose des questions. Je ne sais pas exactement s’il y a détournement. Mais compte tenu de l’intégration de l’appareil des ASFO dans l’appareil du patronat, la tendance est forte de voir un certaine laxisme apparaitre dans l’utilisation des fonds concédés aux ASFO par les entreprises.

Nous souhaitons qu’il y ait une distinction entre le collecteur et le dispensateur de formation.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que dans les FAF, qui sont des organismes paritaires, c’est, contrairement aux ASFO, la clarté ? Les syndicats étant présents, on pourrait penser que les inconvénients que vous avez signalés à propos des ASFO disparaissent lorsqu’il s’agit de FAF.

M. Jean-Michel JOUBIER : Dans les organismes paritaires, l’ensemble des organisations qui y siègent ont une vision plus approfondie de l’utilisation des fonds. Cependant, le poids de l’appareil technique est très important. Dans les faits, il est plus proche d’une partie du paritarisme que de l’autre.

Je vais prendre un exemple, celui du FORCO qui est un FAF qui se met en place dans le commerce de grande distribution. Lors du premier conseil d’administration du FORCO, la discussion a porté sur la nomination du secrétaire général. C’est le chef du service formation du CNPF, M. Trenel, proposé par la partie patronale, qui va devenir à partir du 1er septembre secrétaire général du FORCO. Ainsi on constate en général un poids prédominant de l’appareil technique.

M. le Rapporteur : Etes-vous en train de dire que la partie syndicale est systématiquement minoritaire et qu’elle ne peut pas se faire entendre ? Pourquoi défendre le paritarisme dans ces conditions ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Nous avons toujours dit que ce type de paritarisme n’est pas celui que nous souhaitions.

M. le Rapporteur : Quel paritarisme souhaitez-vous ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Le fait qu’une partie du paritarisme représente à elle toute seule 50 % pose déjà un premier problème. Ensuite, le fait que chaque organisation syndicale pèse le même poids, quelle que soit sa représentativité dans la branche professionnelle, pose un deuxième problème. Nous avons toujours demandé que les organisations syndicales siègent en fonction de leur représentativité. Il conviendrait aussi que nous ayons des moyens véritables de peser sur les décisions.

En matière d’actions de formation, l’entreprise va demander à l’appareil technique du FAF, en fonction de l’action dont elle a besoin pour son personnel, de trouver l’organisme de formation. On n’a pas les moyens suffisants pour peser comme on le souhaiterait.

Cependant, le paritarisme, même si ce n’est pas la transparence la plus totale, est tout de même mieux que les ASFO.

La CGT est favorable par principe à ce que les fonds de la formation professionnelle soient gérés au plus près des salariés dans l’entreprise.

A partir de là, nous n’avons pas signé les premiers accords de mise en place des FAF aux lendemains de la loi de 1971. Mais on s’est très rapidement rendu compte que les petites et moyennes entreprises n’étaient pas capables d’avoir un appareil technique interne qui leur permette d’assurer les services de formation qu’une grande entreprise peut se payer. Il y avait donc besoin d’un organisme extérieur qui soit à la fois collecteur et conseil pour ces petites et moyennes entreprises. Nous ne sommes pas opposés à ce principe, mais l’activité de conseil doit servir aussi bien à l’employeur qu’aux organisations représentatives et aux salariés.

M. le Rapporteur : Comment la CGT gère-t-elle la présence de ces multiples représentants au sein de tous les organismes ? Sont-ce des bénévoles ou des personnes rémunérées ? Et par qui ? Peut-on confier à des bénévoles la gestion d’organismes qui sont de gros collecteurs d’argent ?

M. Jean-Michel JOUBIER : La CGT ne gère en direct que les fonds d’assurance formation interprofessionnels nationaux. Pour les branches, c’est chaque fédération qui a sa propre politique.

M. le Rapporteur : Vous n’allez pas, vous non plus, nous dire que vous n’êtes pas au courant de ce qui se passe dans vos fédérations ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Notre principe c’est le fédéralisme, avec une certaine indépendance des fédérations, voire des régions, puisqu’il existe aussi des fonds régionaux interprofessionnels. Il y a deux types de représentants. Certains camarades sont des permanents payés par l’organisation ou bien détachés par l’entreprise. D’autres travaillent dans l’entreprise et siègent bénévolement en tant que militants dans un fonds d’assurance formation.

Cela nécessite de pouvoir réunir régulièrement ces camarades et de discuter avec eux des orientations du fonds concerné.

Il n’y a pas de camarades qui siègent et qui seraient payés directement par les FAF. Dans les gros FAF, il peut y avoir une subvention afin d’avoir un conseiller technique qui aide au traitement des dossiers. Vous parliez de transparence. Nous avons à faire à des représentants patronaux dont l’appareil technique a plus de moyens que nous et qui sont donc généralement mieux armés. Cela impose que, de notre côté, nous ayons des camarades qui travaillent plus particulièrement sur les orientations et sur leur application. Sinon, c’est le déséquilibre le plus total. Nous assurons en quelque sorte une aide au fonctionnement du paritarisme.

M. le Président : Dans quelles proportions ?

M. Jean-Michel JOUBIER : C’est variable. Dans certains organismes, il n’y a pas de subvention directe, mais on financera des journées d’études pour les administrateurs. Dans d’autres, une subvention sera accordée pour un conseiller technique. Cela dépend aussi de la surface financière de l’organisme.

M. le Président : D’après vous, à combien devrait s’élever la part des frais de fonctionnement d’un FAF ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Autour de 10 %, pas plus. C’est pourquoi nous sommes favorables à un regroupement et à un assainissement du champ de la collecte. Nombre de petits organismes s’occupent de collecte sans être capables de mener une réelle politique d’impulsion et de suivi des formations. Nous sommes pour donner une priorité à un système par branche professionnelle. Dans certains métiers, il est vrai qu’il peut y avoir transversalité. Mais la priorité va à la branche car cela nous semble une entité économique et professionnelle. On peut y élaborer une politique de formation professionnelle. Nous considérons que les FAF interprofessionnels sont la voiture balai.

M. le Rapporteur : Vous êtes très sceptique sur le paritarisme et sur la gestion des FAF mais vous en reconnaissez cependant la nécessité pour les petites entreprises. Vous demandez que le comité d’entreprise puisse contrôler la formation et vous admettez la nécessité d’un organisme collecteur.

M. Jean-Michel JOUBIER : Tout à fait.

M. le Président : Votre préférence va aux FAF par branche, mais ne pensez-vous pas que les FAF par branche professionnelle courent le risque d’une dérive corporatiste ou centralisatrice ? La décentralisation de la formation appellera aussi une décentralisation de la collecte. Les FAF interprofessionnels ne s’imposent-ils pas d’eux-mêmes ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Non, nous ne le pensons pas. Il nous parait nécessaire de disposer, au niveau d’une branche ou de plusieurs branches proches, d’une structure de collecte disposant d’antennes auprès des entreprises. Il ne faut pas seulement qu’il y ait un siège parisien. La cohérence économique d’une branche professionnelle et le fait que la formation a un lien étroit avec l’emploi, font qu’il est nécessaire d’avoir une réflexion sur la formation au niveau de la branche. Un organisme national mais déconcentré nous semble nécessaire. Cela dit, l’échelon régional est un échelon important. L’interprofessionnel gomme les spécificités.

M. le Président : La thésaurisation des FAF est-elle abusive ou non ? A quoi sont utilisés les produits financiers des FAF que vous connaissez ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Lorsqu’ils existent, les produits financiers devraient être utilisés pour payer les frais de gestion. Pour notre part, nous ne souhaitons pas qu’il y ait thésaurisation. Nous connaissons cependant des cas où cela se pratique.

M. le Président : Avez-vous déjà pris position contre des FAF à l’intérieur des conseils d’administration ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Tout à fait. Mais pas que des FAF, des FONGECIF aussi.

M. le Rapporteur : Trouvez-vous normal que beaucoup d’organismes aient de nombreux excédents ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Il y a excédents et excédents. Nous souhaitons que lorsqu’une entreprise verse, dans le cadre du plan de formation, tout ou partie de sa collecte à un fonds d’assurance formation, elle puisse garder sur deux ans le bénéfice de sa collecte afin de pouvoir assurer une formation plus ambitieuse que si elle utilisait annuellement sa collecte. Cela conduit inévitablement à des excédents. Le problème se pose lorsque sur trois, quatre ou cinq ans, les excédents qui ne sont pas utilisés se cumulent.

Il y a obligatoirement excédent pour les petites et moyennes entreprises sur leur compte individuel, si on veut leur permettre de mener une politique de formation. Nous ne sommes pas favorables à la mutualisation dès le premier franc pour le plan de formation. Cela signifierait que les plus grandes entreprises bénéficieraient des fonds des petites entreprises. Si on supprime le compte individuel des petites entreprises dans un FAF on supprime la formation pour ces dernières.

Cela dit, on connait des cas où les excédents sont considérables. Cela pose deux problèmes : quelle politique d’incitation doit avoir le fonds, notamment en matière de plan de formation ? Quelle politique de conseil aux entreprises faut-il mener pour les inciter à faire de la formation ? En tout état de cause, ce n’est pas sur le plan de formation que l’on trouve les plus gros excédents.

M. le Rapporteur : Vous êtes aux antipodes de la position de FO qui défend le paritarisme au niveau interprofessionnel. Profitent-ils plus que vous du système ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Je n’en sais rien.

M. le Rapporteur : Vous n’avez jamais entendu parler de dysfonctionnements dans les organismes collecteurs ? Cela est tout de même surprenant.

M. Jean-Michel JOUBIER : Il est vrai qu’il y a des cumuls et des sommes importantes thésaurisées. On les trouve davantage dans le domaine de l’alternance que sur le plan de formation. Le problème est que des organismes, en gageant ces fonds, se font financer leur siège national et des sièges régionaux. J’en connais un.

M. le Rapporteur : Regrettez-vous de telles pratiques.

M. Jean-Michel JOUBIER : Tout à fait. Nous estimons que l’argent de la formation doit servir à la formation. L’argent de l’alternance doit servir à financer la formation en alternance pour les jeunes. Le fonds en lui-même n’est pas le seul responsable. Il faut aussi regarder du côté des entreprises.

M. le Rapporteur : Pensez-vous qu’il y ait suffisamment de contrôle dans ce domaine ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Nous souhaitons la plus grande transparence et donc que des contrôles aient lieu.

M. le Rapporteur : Quel type de contrôles souhaiteriez-vous ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Un premier contrôle devrait s’exercer sur les organismes de formation. Quand on voit la multiplicité de ces organismes, et les scandales qui ont éclaté à propos de l’utilisation des fonds de la formation pour autre chose que pour des actions de formation, des contrôles s’imposent.

En matière de collecte, on se situe dans le cadre des lois du marché avec tout ce que cela comporte comme aspects négatifs. Je ne considère pas la formation comme une denrée comme les autres. Dès 1970, nous avons demandé la constitution d’un grand service public de formation professionnelle des adultes. Les FAF peuvent avoir un rôle de contrôle. Un certain nombre d’entre eux commencent à le jouer et à s’occuper de la qualité des formations dispensées. Mais une action de l’Etat en la matière est nécessaire.

Nous sommes d’accord pour réorganiser le secteur de la collecte, car on voit se développer un marché concurrentiel. Nous souhaitons des règles strictes afin d’éviter les chevauchements. Il faut empêcher les FAF de s’arracher les entreprises en promettant plus que le FAF voisin, ou en organisant des campagnes de publicité qui dilapident les fonds.

M. le Président : Les dépenses de communication sont pourtant encadrées dans leur montant.

M. Jean-Michel JOUBIER : Certes, cela rentre dans les frais de gestion, mais cela ne devrait-il pas aussi servir plutôt à développer la formation ? Une situation malsaine est en train de se développer. A cet égard, nous avons dit, à l’occasion de la discussion du projet de décret d’application de l’article 74 de la loi quinquennale sur l’emploi, que la philosophie globale du projet de décret nous satisfaisait.

M. Germain GENGENWIN : En effet, l’article 74 de la loi quinquennale a fait l’objet d’un accord de la part des partenaires sociaux. Je constate ainsi que vous êtes d’accord avec l’UIMM qui s’est prononcée pour une collecte par branche. Par ailleurs, vous vous êtes prononcé pour que l’utilisation des fonds de la formation professionnelle se fasse au plus près des entreprises. Mais ne pensez-vous pas que depuis une dizaine d’années les diverses négociations avec les partenaires sociaux ont conduit à une multiplicité d’organismes de collecte et de formation ? Comment faire pour assainir cette situation ?

M. le Président : L’activité de conseil doit-elle être distincte de l’activité de collecte ? Il arrive que la première, sous couvert de communication ou d’information, donne lieu à une utilisation abusive des fonds de la formation professionnelle. Peut-on parler d’abus lorsque des organismes collecteurs deviennent ainsi dispensateurs de formation ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Je ne sais pas si nous sommes d’accord avec l’UIMM. Jusqu’à présent nous n’avons pas été informés d’une position officielle de l’UIMM sur les organismes paritaires et les ASFO. J’ai même entendu un dirigeant de l’UIMM déclarer que si le projet de décret d’application de l’article 74 de la loi quinquennale restait en l’état, cela constituerait un « casus belli ».

Sur la multiplicité des organismes, nous n’avons pas signé tous les accords. Il faut savoir que ce sont les fédérations patronales qui pèsent de tout leur poids dans ces négociations. A ce niveau, il serait nécessaire d’avoir des positions cohérentes. Je parlais tout à l’heure du FORCO. Dans le même temps, un des FAF qui devrait s’y fondre, demande actuellement son agrément pour le congé individuel de formation et l’alternance. Nous ne signerons pas la demande d’agrément. Si la demande est soumise à la Commission permanente du Conseil national de la Formation professionnelle, de la promotion sociale et de l’emploi, nous donnerons un avis négatif.

Toutefois, il faut être conscient que ce n’est pas sur des questions comme celle-là que l’on mobilise les salariés.

Nous souhaiterions que le CNPF donne des orientations claires à l’ensemble de ses fédérations. Nous espérons que la négociation qui s’est ouverte le 8 février dernier permettra d’avancer afin de clarifier le champ de la collecte et de permettre une meilleure transparence dans l’utilisation des fonds de la formation professionnelle.

S’agissant de l’activité de conseil, il est difficile d’être à la fois formateur et conseiller. Certains organismes de qualité le font. S’il existe une certaine déontologie, cela ne nous pose pas de problème. Les entreprises peuvent avoir besoin de conseils en matière de formation. Il nous semble nécessaire que l’organisme collecteur ne soit pas que collecteur. Sinon, il n’aurait aucun moyen d’intervenir auprès des entreprises sur l’organisme formateur choisi par l’entreprise. Aussi sommes-nous favorables à l’activité de conseiller en formation des organismes collecteurs. Nous le sommes moins s’agissant du conseil en gestion des ressources humaines. Mais cela est une autre question.

Les organismes collecteurs peuvent former leur personnel afin de remplir cette tâche de conseil. De plus, nombre des salariés qui travaillent dans les organismes collecteurs connaissent le monde de l’entreprise et sont capables, dans le cadre d’une réflexion collective et d’un travail approfondi au sein de l’organisme collecteur, de pouvoir assumer des tâches de conseil. Il n’y a pas que les grands organismes de conseil que l’on peut trouver sur le marché. L’intérêt de l’organisme collecteur est qu’il œuvre dans le cadre du paritarisme.

M. le Rapporteur : Vous vous êtes prononcé en faveur d’un service public de la formation professionnelle. Avez-vous le sentiment que le secteur public de la formation professionnelle fonctionne bien ? Tous vos espoirs ont-ils été réalisés ? Le secteur public gère-t-il mieux les 60 milliards de francs destinés à la formation que les 60 milliards de francs du secteur privé ?

M. Jean-Michel JOUBIER : La formation continue représente environ 40 milliards de F. Le secteur public n’a qu’une petite part du marché des entreprises pour la formation continue des salariés. Le secteur public s’inscrit lui aussi sur le marché. A part l’AFPA qui est dotée d’une cohérence nationale en la matière, peut-on parler de secteur public avec les GRETA ? Les personnels sont de droit public, mais on sait comment est assurée la gestion financière des GRETA. L’intervention d’un GRETA sur le marché ne s’inscrit-elle pas plutôt dans une démarche de secteur privé ?

M. le Rapporteur : Dans ces conditions, qu’est-ce qui est véritablement public ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Il n’y a pas grand chose. A part l’AFPA — et encore, c’est une association loi 1901 —, je ne peux pas dire qu’il y a véritablement un service public de la formation professionnelle des adultes. Il est à construire. Les universités font des choses intéressantes, mais c’est chaque université qui se détermine.

M. le Rapporteur : Quand je parle du secteur public de la formation, je parle tous organismes confondus, y compris la DFP, le FNE...

M. Jean-Michel JOUBIER : Sur la politique publique de formation professionnelle, nous considérons qu’il y a là aussi des gaspillages, non pas parce qu’il n’y a pas assez d’argent qui y est consacré mais plutôt parce qu’il n’y en a pas assez. A quoi correspond un stage rémunéré à 24 ou 25 F de l’heure ? Pour former comment, former qui et à quoi ? Que devient le jeune lorsqu’il sort de son stage ? Quelles sont les conditions pédagogiques à ce niveau de financement ? Des fonds importants sont globalement consacrés à la formation professionnelle, mais il faut avoir des formations de qualité. L’Etat doit avoir une réflexion sur l’utilisation des fonds publics afin de mettre en œuvre une formation professionnelle débouchant sur des qualifications reconnues et sur des emplois. Certes, il est facile de parquer des jeunes dans des stages et ainsi de pouvoir les rayer des statistiques du chômage. Si tel est l’objectif, c’est y consacrer beaucoup d’argent. Il faut donc absolument revoir les objectifs des financements publics de la formation professionnelle. Nous l’avons toujours dit : ou il y a trop d’argent ou il n’y en a pas assez.

M. Germain GENGENWIN : Le sentiment global que nous donnent les partenaires sociaux est que leur préoccupation principale est la formation continue des salariés. On laisse à la charge de la collectivité, et notamment au conseil régional, les demandeurs d’emploi. L’UIMM a prévu de participer à leur formation à travers l’apprentissage. Seriez-vous d’accord pour affecter une partie des crédits de l’alternance au financement de l’apprentissage ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Nous considérons que l’apprentissage fait partie des formations initiales et doit donc s’inscrire dans le cadre d’un cursus scolaire, même si c’est un contrat de travail, afin qu’il y ait une cohérence de l’ensemble du parcours. Sinon, on va arriver à des dissociations entre niveau de formation générale et niveau de diplômes professionnels. Cela dit, dans un certain nombre de situations et de métiers où l’apprentissage a une longue tradition, nous ne l’éliminons pas totalement. Nous ne souhaitons pas une extension de l’apprentissage, mais nous ne nous y opposons pas là où il existe une meilleure garantie pour les jeunes de trouver un emploi à l’issue de leur apprentissage.

Par ailleurs, nous pensons que les jeunes qui sont sortis du système éducatif ont besoin d’une formation individualisée car chaque jeune est un cas. Or, l’apprentissage n’est pas une formation individualisée. Le jeune qui est en voie de marginalisation et le jeune qui est sorti au niveau IV n’ont pas les mêmes besoins de contenu de formation. Pour permettre leur insertion, il me semble que le contrat de qualification est un outil adapté. C’est pourquoi nous y sommes attachés. Fondre les crédits destinés à l’alternance et ceux destinés à l’apprentissage ne permettrait pas d’obtenir une meilleure transparence : quelle transparence y a-t-il dans l’utilisation des fonds destinés à l’apprentissage ? Commençons donc par éclaircir cela tant au niveau national que régional, et voyons aussi la question de la péréquation au niveau national. Pour nous, la taxe d’apprentissage, de par son origine, n’a pas comme seul but de financer l’apprentissage. Elle a comme but de financer les formations professionnelles initiales :

Nous sommes favorables à la mise en place d’un fonds qui collecterait la taxe d’apprentissage avec possibilité d’une péréquation interrégionale. On aurait alors une plus grande transparence et la possibilité de répartir les crédits entre les différentes filières de formation professionnelle initiale, car aujourd’hui je ne sais pas exactement comment sont utilisés les fonds de la formation professionnelle.

M. le Président : Comment faire pour améliorer l’utilisation des fonds de la formation professionnelle ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Premièrement, donner un véritable pouvoir de contrôle au comité d’entreprise. Nous souhaitons que les plans de formation et l’alternance soient négociés au sein de l’entreprise.

M. le Président : Et là où il n’y a pas de comité d’entreprise ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Il en existe dans les grandes entreprises.

Pour les petites, il faut des organismes collecteurs dotés de moyens plus importants et la possibilité pour les organisations syndicales de mieux intervenir sur la gestion de ces organismes et sur les décisions. Nous ne remettons pas en cause les organismes paritaires mais nous voulons donner une autre nature au paritarisme.

S’agissant des fonds publics, nous sommes favorables aux accords de développement, mais nous sommes en désaccord dans la majorité des cas sur la manière dont les fonds publics sont utilisés. Ainsi, dans l’agroalimentaire, il existe un engagement de développement mais il débouche sur un effort supplémentaire de l’entreprise pour des formations de trente heures ! Nous prônons les accords de développement mais avec un cahier des charges précis qui permette de développer véritablement la qualification des salariés.

M. Germain GENGENWIN : Ne pensez-vous pas que pour l’efficacité du système une participation minimum du salarié à la formation serait nécessaire ?

M. Jean-Michel JOUBIER : Non. La CGT est attachée au droit à la formation professionnelle continue sur le temps de travail, pour les salariés, et rémunéré comme tel, droit issu des accords de 1970. De même, instaurer une obligation de partir en formation se révèlerait inefficace, car l’efficacité de la formation tient dans la motivation du salarié. Cela signifie qu’elle doit être reconnue dans le code du travail et au niveau de la rémunération.

M. le Président : Je vous remercie pour votre audition.




Audition d’une délégation de la CFDT

composée de

M. Gérard DANTIN, Secrétaire national chargé de
l’emploi et de la formation professionnelle,
Mme Christiane BRESSAUD, Secrétaire confédérale
chargée de la formation professionnelle
et M. Jean-Claude MEYNET,
Secrétaire confédéral chargé de la formation.

(Extrait du procès-verbal de la séance du 15 mars 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

M. Gérard Dantin, Mme Christiane Bressaud et M. Jean-Claude Meynet sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Gérard Dantin, Mme Christiane Bressaud et M. Jean-Claude Meynet prêtent serment.

M. le Président : Comment appréciez-vous l’efficacité de la formation professionnelle eu égard aux moyens mis en œuvre.

Mme Christiane BRESSAUD : Depuis plus de vingt ans que le système de la formation professionnelle est fondé sur l’obligation légale des entreprises, nous avons pu mettre en place, de façon plus rapide depuis dix ans, un système relativement performant en matière de qualification individuelle des salariés et de formation en alternance des jeunes. Grâce à trois contrats de travail : le contrat d’orientation, le contrat de qualification — concernant plus de 100.000 jeunes chaque année — et le contrat d’adaptation.

En tant qu’organisation syndicale, nous maîtrisons moins bien la question dite du plan de formation. Une partie des fonds qui lui sont affectés est gérée par le système paritaire dans le cadre des fonds d’assurance formation. Cela a permis, grâce à la mutualisation et à la capacité des FAF à assurer des missions de conseil, de développer la formation dans les petites et moyennes entreprises dont l’effort était très limité.

Ainsi, au fil des années, le champ d’intervention des partenaires sociaux dans le domaine de la formation professionnelle a été étendu, et un système de formation fondé sur les contrats à durée déterminée a été développé, ainsi que pour les salariés licenciés bénéficiant des conventions de conversion. Dans le dernier accord interprofessionnel que nous avons signé il y a trois ans, il y avait aussi une volonté, même si elle reste timide, d’accroître le rôle des partenaires sociaux dans le domaine de la formation initiale et de l’apprentissage.

Nous avons construit progressivement des dispositifs permettant aux jeunes de s’engager dans une qualification et de qualifier les salariés adultes, y compris lorsqu’ils ont été recrutés sous contrat précaire.

Mais on constate malgré tout des insuffisances. Ainsi, il nous semble que les inégalités d’accès à la formation professionnelle sont encore trop grandes. Les salariés sans qualification, a fortiori si ce sont des femmes, et travaillant dans de petites entreprises, n’ont pratiquement aucune chance d’accéder à une formation professionnelle. Le maillon faible du système nous parait être les plans de formation. En effet, ceux-ci permettent peu l’accès des salariés à la formation professionnelle et n’anticipent pas suffisamment l’évolution des emplois, alors qu’ils bénéficient de l’essentiel des financements. Le problème est fort complexe et pose la question de la responsabilité des chefs d’entreprise et des organisations patronales. Il faut également tenir compte des obstacles au départ des salariés en formation.

S’agissant des moyens financiers, les choses se sont mises en place progressivement. La collecte obligatoire qui concerne le congé individuel de formation et la formation des jeunes a permis une mobilisation des moyens financiers pour développer une politique de formation professionnelle. Le contrat de qualification en est le meilleur exemple. Ainsi, 63 % des contrats de qualification concernent des jeunes non qualifiés. A l’issue de ces contrats, 50 % des jeunes sont maintenus dans l’entreprise ou dans une entreprise voisine. Le taux d’insertion est donc bon par rapport à d’autres mesures de la politique de l’emploi. De plus, la plupart des jeunes sous contrat de qualification réussissent pour la plupart à obtenir un diplôme. Conformément à la volonté initiale, cette formule profite largement aux jeunes qui sortent du système scolaire avec une qualification faible.

Le congé individuel de formation qui fait aussi l’objet d’une collecte et d’une gestion territoriale et interprofessionnelle est essentiellement destiné à l’obtention d’une qualification professionnelle : 50 % des salariés en congé individuel de formation changent de qualification et 30 % d’entre eux se reconvertissent ; 40 % des salariés en congé individuel de formation sont peu qualifiés. On ne trouve pas les mêmes pourcentages en ce qui concerne les salariés inscrits dans les plans de formation. Selon le CEREQ, la moyenne d’heures de stage est de 45 heures, contre 900 heures pour le CIF et de 650 heures pour les jeunes en alternance.

M. le Président : La masse des moyens financiers consacrés à la formation professionnelle, 120 milliards de F. en 1992, contribue-t-elle selon vous à diminuer significativement le taux de chômage des jeunes ?

Mme Christiane BRESSAUD : Je ne crois pas que le rôle de la formation professionnelle soit de diminuer le taux de chômage. En raison de la gravité de la situation de l’emploi, on veut faire jouer à la formation professionnelle le rôle d’un instrument pour la défense de l’emploi. Mais la formation professionnelle est faite pour acquérir une qualification.

Le principal point faible est l’inégalité d’accès à la formation et l’absence d’anticipation des besoins d’emplois. Les plans de formation dans les entreprise n’anticipent pas assez les besoins d’emplois, hormis dans les cinquante plus grandes entreprises qui ont une véritable gestion prévisionnelle des emplois.

M. le Président : Je suis surpris de vous entendre dire que la formation professionnelle n’ait pas pour rôle de faire diminuer le chômage. Car son rôle est de permettre aux gens d’acquérir une qualification en vue d’occuper ensuite un travail.

Mme Christiane BRESSAUD : Certes, mais il n’y a pas de lien mécanique entre l’acquisition d’une qualification et le fait d’avoir ou pas un emploi.

On a assisté ces dernières années à la fin d’une croyance commune en un lien direct entre l’acquisition d’un diplôme et l’accès à un premier emploi.

M. le Rapporteur : Je suis étonné par votre discours. Car il y a un problème de mauvaise gestion des fonds de la formation professionnelle. Vous le savez bien.

Mme Christiane BRESSAUD : Non.

M. le Rapporteur : Tous les journaux en parlent. N’avez-vous pas le sentiment que la structure paritaire est maintenant remise en cause parce qu’elle n’a pas produit les effets espérés en 1971 ? Le paritarisme s’est détourné de ses objectifs et actuellement les organismes collecteurs ne donnent plus satisfaction à personne. Par conséquent, il faut ou bien les modifier, ou bien les supprimer.

A cet égard, quel est votre point de vue sur la gestion des fonds de la formation professionnelle ?

Mme Christiane BRESSAUD : Je ne pense pas que l’on puisse parler en général d’une mauvaise gestion des fonds de la formation professionnelle. Il existe des cas de mauvaise gestion bien sûr, mais comme partout. Si on parle strictement de la gestion financière et, s’il y a une trésorerie abondante dans les OMA, pas autant d’ailleurs que les chiffres circulant dans les journaux, cela est dû à la situation de l’emploi. Nous avons quelque chose de particulièrement transparent dans le système des OMA, c’est le financement au contrat. Grâce au système de la collecte, nous savons ainsi exactement ce dont nous disposons, et lorsque nous ne finançons pas de contrats en alternance, l’argent reste en caisse.

M. le Rapporteur : C’est bien ce qu’on vous reproche !

Mme Christiane BRESSAUD : Nous ne finançons pas des structures de formation ou du fonctionnement comme le fait la taxe d’apprentissage dont la distribution n’est, quant à elle, pas transparente. Quand nous déboursons de l’argent, nous savons qu’un jeune est sous contrat. Si ces dernières années, il y a eu une trésorerie excessive, c’est essentiellement parce que les entreprises ne recrutent pas de jeunes. En 1986, plusieurs OMA ont, en revanche, été au bord du dépôt de bilan du fait du grand nombre de jeunes embauchés sous contrat de qualification et en SIVP. Les entreprises étaient alors dans une situation de reprise de l’emploi. Sans doute, il y a eu des cas de malversation mais pas plus que dans d’autres secteurs.

M. le Rapporteur : Savez-vous que les excédents sont interdits par la loi dans ce domaine et que, lorsqu’ils existent, ils doivent être reversés au le Trésor.

M. Jean-Claude MEYNET : Il faut revenir à des données plus raisonnables. Sur les 120 milliards de F. de formation professionnelle, 45 % environ sont gérés dans la sphère de l’entreprise. Le reste relève de fonds gérés par l’Etat et 5 % le sont par les régions et 5 % l’UNEDIC. S’agissant des fonds collectés auprès des entreprises, 20% sont gérés paritairement, soit moins du quart du total. Les entreprises utilisent essentiellement leurs fonds pour payer les salaires des salariés en formation. Le reste de la dépense des entreprises concerne pour 21 % des conventions de gré à gré conclues entre l’entreprise et l’organisme de formation, et pour 15 % les centres de formation des entreprises.

En ce qui concerne le CIF, il faut préciser qu’il est obligatoire de passer par une structure paritaire ; pour les OMA, il s’agit d’un choix volontaire des entreprises. On constate que l’essentiel des sommes est dépensé de gré à gré à l’intérieur des entreprises ou bien avec des organismes de formation. L’intérêt de la gestion paritaire tient essentiellement aux relations de confiance établies entre les entreprises, à savoir celles de cinquante salariés ou moins, et les organismes collecteurs. Ces entreprises ont rarement un chef du personnel, et encore plus rarement un chef de la formation continue. Donc la gestion externe joue le rôle de conseil.

Mme Martine DAVID : J’ai l’impression, en vous entendant, que la formation professionnelle en France ne va pas si mal que ça. Or ce n’est pas notre impression. Et nous ne sommes pas les seuls de cet avis. Des rapports récemment publiés indiquent très clairement que les fonds affectés à la formation professionnelle ont eu des résultats très insuffisants. Notre grande préoccupation est que le gros effort financier consenti depuis de nombreuses années, au gré des gouvernements successifs, n’a pas permis d’atteindre les objectifs que l’on pouvait en attendre.

Or on souhaiterait vous entendre formuler des propositions pour améliorer le système de la formation professionnelle.

Mme Christiane BRESSAUD : Ce qui ne va pas en France, avant tout, c’est la situation de l’emploi. Il ne faut pas faire de démagogie et dire que la formation peut créer des emplois et résoudre tous les problèmes de l’emploi. En ce qui concerne le diagnostic que l’on peut établir de la situation de la formation professionnelle, nous ne pouvons parler que de ce qui est de notre ressort c’est-à-dire du système paritaire. Nous ne parlons pas des dépenses publiques de formation professionnelle, lesquelles sont plus importantes que les fonds collectés auprès des entreprises, ni d’ailleurs d’un autre problème qui est celui des organismes de formation et sur lequel nous n’avons aucune prise.

Il faut évaluer un dispositif en fonction des objectifs antérieurement fixés. Dans ce sens, le rapport de l’IGAS et de l’IGF, qui est le seul rapport que je connaisse, a souligné certaines faiblesses du système paritaire, parmi lesquelles son émiettement, la multiplicité des organismes, la gestion frileuse. Mais il observe aussi que le système paritaire a profité aux petites entreprises en ce qui concerne la formation en alternance. Il ne faut pas oublier non plus les acquis du système paritaire depuis vingt ans et ce qu’aurait été le paysage de la formation professionnelle si ce système n’avait pas existé. Que serait, par exemple, aujourd’hui la formation des salariés du secteur du bâtiment et des travaux publics s’il n’y avait pas eu le GFC-BTP. Les patrons des entreprises de ce secteur n’avaient absolument pas les moyens de développer la moindre politique de formation professionnelle. Et je ne parle pas des grands groupes.

Le système construit au fil des vingt dernières années a incontestablement atteint des objectifs, même s’ils sont encore insuffisants. Ainsi, le nombre de nouveaux bénéficiaires de contrats de qualification est de plus de 100.000 par an, c’est-à-dire presque autant que le nombre de nouveaux apprentis.

Il convient donc de parler de ce qui va bien avant de parler de ce qui ne va pas.

M. le Président : Je suis tout de même surpris de vous entendre dire que la formation ne changera pas grand chose à l’emploi.

On constate que la formation professionnelle d’Outre-Rhin est plus près du terrain et que le chômage des jeunes y est moins élevé, alors que vous prétendez qu’il n’existe plus aucune adéquation entre la formation et l’emploi occupé.

Mme Christiane BRESSAUD : Je n’ai pas dit qu’il n’y avait aucune adéquation, Monsieur le Président. J’ai dit que, quelles que soient les améliorations qu’on apportera à notre système de formation professionnelle, cela ne résoudra pas les problèmes d’emploi. Ce n’est pas la même chose. Le rôle de la formation est d’anticiper les évolutions de l’emploi et, lorsqu’on est dans une situation de l’emploi aussi difficile que la nôtre, de les accompagner. Mais il ne faut pas demander à des mesures qui ont pour objectif la formation et la qualification des salariés ou des jeunes de remplir le rôle d’une mesure de gestion sociale du chômage. Ce lien concerne la qualité des emplois et non la quantité.

M. le Président : Précisément, la politique de formation professionnelle tient-elle compte des besoins de l’économie ? Anticipe-t-elle suffisamment les besoins d’emplois des entreprises ?

Mme Christiane BRESSAUD : Je pense que les choses s’améliorent. L’Etat a mis à la disposition des partenaires sociaux un instrument qui fonctionne bien et que nous jugeons satisfaisant, le contrat d’études prospectives. Il s’agit d’analyses menées dans le cadre des branches professionnelles pour connaître l’évolution des emplois dans les années à venir. Sur la base de ces contrats, on peut définir des politiques de formation au niveau des branches professionnelles. Les organisations professionnelles ont négocié de tels contrats qui ont pour avantage d’être en prise sur les réalités.

Je suis d’accord avec vous, Monsieur le Président, pour reconnaître qu’il existe un grand défaut d’anticipation et de prévision. Mais on assiste depuis peu en France à un réel tournant.

M. Germain GENGENWIN : Vous avez parlé des inégalités d’accès à la formation professionnelle et du maillon faible des plans de formation. Les plans de formation sont pourtant bien discutés dans les comités d’entreprise dans lesquels siègent les partenaires sociaux. Aussi, comment pouvez-vous regretter le manque de maîtrise des partenaires sociaux sur ces plans de formation ?

Mme Christiane BRESSAUD : Nous sommes consultés sur les plans de formation normalement deux fois par an, conformément aux dispositions du code du travail. Bien souvent, il s’agit d’une réunion au cours de laquelle nos représentants reçoivent une liste d’actions programmée et où ils se contentent d’émettre un avis, sauf dans les entreprises dont la direction laisse les syndicats s’impliquer dans le plan de formation et qui connaissent des réussites spectaculaires. Nos délégués cherchent donc à motiver les salariés, souvent non qualifiés, pour partir en formation et tentent de surmonter les nombreux blocages d’ordre culturel et comportemental. Ils s’efforcent d’expliquer aux salariés de l’entreprise que s’ils ne se forment pas ils se feront licencier du fait de la fermeture des chaînes de production.

Mais nous sommes trop peu impliqués dans le processus de formation dans les entreprises. Dans l’accord national interprofessionnel signé il y a trois ans, les entreprises étaient incitées à élaborer des programmes pluriannuels. Il nous faut aussi convaincre nos adhérents de l’importance de la formation professionnelle, de la nécessité d’aider les salariés à partir en formation et de les mobiliser sur l’évolution des emplois dans l’entreprise. La qualité du plan de formation professionnelle peut se mesurer à la qualité du dialogue social.

M. Germain GENGENWIN : Un chef d’entreprise a tout intérêt à ce que son personnel soit bien formé. Aussi peut-on concevoir que l’obligation légale soit supprimée et que l’entreprise soit responsable de la formation de ses salariés.

En outre, nous pensons aussi aux demandeurs d’emploi qui, quant à eux, ne sont pas intégrés dans le monde du travail. Comment combiner ces deux aspects de la formation professionnelle ?

Mme Christiane BRESSAUD : L’obligation légale nous est enviée par d’autres pays. Ainsi, les Italiens sont en train de mettre en place un système de financement de la formation professionnelle sur ce mode, l’Espagne aussi.

Faut-il supprimer l’obligation légale de 1,5 % ? Le problème est que nous constatons en France une absence de culture de formation dans les entreprises. Si les entreprises forment si peu de jeunes, cela est dû à des facteurs culturels. Les organisations patronales le reconnaissent. Nous ne sommes pas en Allemagne. Depuis la Libération, il y existait un partage des rôles entre l’entreprise et l’Education nationale. Les entreprises laissaient à l’Education nationale le soin de former les jeunes et s’engageaient à les embaucher à un certain niveau de diplômes.

M. le Président : Je vous rappelle que l’Education nationale a exigé d’exercer cette responsabilité.

Mme Christiane BRESSAUD : Je pense qu’il y avait un marché entre le monde économique et l’Etat en 1945. Il y a encore des branches professionnelles qui relèvent de cette culture-là. Je ne porte pas une accusation mais je dresse un constat. La prise de conscience du secteur de la chimie sur son rôle dans la formation des jeunes ne date peut-être que d’un an.

Nous constatons que là où il existe une obligation de collecte et une gestion paritaire de celle-ci, c’est là où les choses se passent dans les meilleures conditions. Notre système de congé individuel de formation est extrêmement performant. Son seul défaut est de n’occuper qu’une place minoritaire dans le dispositif de formation. Son financement est relativement faible. Nous avons un système d’alternance qui, malgré ses défauts, a permis à de nombreux jeunes l’acquisition d’une qualification. Lorsqu’une totale liberté est laissée aux entreprises, on constate que la plupart du temps elles n’ont pas le temps, surtout en période de crise, de s’occuper de formation.

Nous estimons que le système paritaire devrait jouer davantage son rôle d’intermédiaire entre l’entreprise et l’organisme de formation, c’est-à-dire entre la demande et l’offre de formation. Le système paritaire a été créé pour éviter les versements directs au Trésor. Mais il n’a pas, à notre avis, été assez dynamique dans le domaine de l’ingénierie en formation. Il faut aider la plupart des petites entreprises à faire émerger leurs besoins, à résoudre les problèmes rencontrés pour décider les salariés à partir en formation. Il faut donc renforcer les systèmes paritaires des branches professionnelles. Le rôle d’une branche professionnelle est, en effet, de réguler la demande des entreprises qui relèvent de son secteur et de servir d’interface. Il faut que le système paritaire se reconcentre sur ses missions de conseil et d’aide pour rapprocher l’offre et la demande de formation et anticiper les besoins futurs. Cette question est d’ailleurs en cours de négociation. Nous estimons indispensable qu’en matière de formation professionnelle existe un système intermédiaire entre l’entreprise individuelle et l’offre de formation et que le système de collecte, à condition qu’il soit reconcentré, soit séparé de l’activité de formation.

M. le Président : Comment se fait-il qu’il y ait aujourd’hui des organismes collecteurs, notamment des FAF, qui font en même temps de la formation ?

Mme Christiane BRESSAUD : Les FAF n’ont pas en principe le droit de faire de la formation. Cette fonction est admise pour les ASFO dont le paritarisme est plus que limité dans la mesure où il est concédé au niveau d’un conseil de perfectionnement. Le système de gestion paritaire ne consiste pas à mélanger la collecte et l’activité de formation. Le mélange des deux fonctions conduit à une opacité financière. Les ASFO ne sont pas en mesure d’établir le lien entre l’offre et la demande puisque leur objectif est de recruter des clients pour remplir leurs stages.

Certains grands FAF nationaux sont agréés à plusieurs titres, mais ils n’exercent jamais d’activité de formation.

M. le Président : Quel type d’organismes collecteurs recueille votre préférence ?

Mme Christiane BRESSAUD : Notre préférence va vers un système paritaire du type du FAF. Nous voulons que l’organisme collecte les fonds au niveau des branches professionnelles.

M. le Président : Vous excluez donc les organismes interprofessionnels...

Mme Christiane BRESSAUD : Sauf pour le congé individuel de formation car c’est un congé de mobilité professionnelle, c’est-à-dire une reconversion à froid. Si nous faisons de grands organismes de collecte par branche, ayant un rôle de conseil aux entreprises, il nous faut préserver sur le territoire un peu de respiration interprofessionnelle pour les salariés. Par exemple, dans les FONGECIF territoriaux, la moitié des congés correspondent à des changements de métier. Cela est important car ces reconversions se font à froid, donc avant qu’il y ait des problèmes d’emploi.

M. le Président : On reproche aux organismes collecteurs de thésauriser leurs disponibilités. Que pensez-vous de ces matelas de trésorerie ?

Mme Christiane BRESSAUD : Ces matelas ne sont pas aussi épais qu’on le dit.

La trésorerie des OMA tient à la situation de l’emploi. Je ne cherche pas des excuses. Il faut savoir que ces organismes financent au contrat. Lorsque les entreprises ne recrutent pas sous contrat, l’argent reste dans les caisses.

M. le Président : C’est un raccourci.

Mme Christiane BRESSAUD : En ce qui concerne le système « jeunes », le financement est au contrat. C’est beaucoup plus compliqué pour les plans de formation, je vous l’accorde. Mais il y a tout de même très peu de matelas de sommes non utilisées sur les plans de formation.

En outre, certains organismes font mal leur travail.

De manière générale, on peut reprocher aux organismes mutualisateurs leur gestion frileuse. Qu’il s’agisse d’un congé individuel ou d’une formation de jeune, cela dure deux ans. Nous avons autorisé certains dépassements, mais cela n’est pas toujours fait. De plus, certains organismes sont trop passifs. Ils attendent le client au lieu d’aller le démarcher. Or le système paritaire ne se justifie que s’il offre une prestation de service aux entreprises. Il ne faut pas qu’il devienne un parasite des entreprises. Nous essayons d’agir contre le fait que nous ne sommes pas des banques mais que nous devons faire du contrat.

M. le Président : Que deviennent alors les produits financiers ?

Mme Christiane BRESSAUD : Les produits financiers sont réinvestis dans le circuit, c’est-à-dire dans la formation.

M. le Président : Sont-ils aussi affectés aux frais de fonctionnement ?

Mme Christiane BRESSAUD : Non. Dans les OMA le fonctionnement est financé au contrat. C’est plus compliqué pour les FAF.

M. Jean-Claude MEYNET : Le taux des charges dans le cadre de l’alternance est autorisé en fonction du contrat signé et non selon la collecte. Il est aux environs de 8 % des contrats engagés et non de la collecte. Cela incite donc à signer des contrats. Les produits financiers sont à la fois le résultat de la bonne gestion et de l’envolée des marchés financiers. L’argent non dépensé au jour le jour ne reste pas à la Caisse d’épargne mais il est placé selon des règles qui ne sont pas fixées par les organismes paritaires mais par les pouvoirs publics.

M. le Président : Vous ne pensez pas que les organismes collecteurs se transforment en instruments financiers ?

M. Jean-Claude MEYNET : J’ai été administrateur d’un organisme gestionnaire du congé individuel et d’un OMA. Sur l’OPACIF régional, des produits financiers importants ont été dégagés. Ils étaient liés essentiellement à la bonne tenue des marchés financiers. Nous en étions nous-mêmes surpris. Cet argent était systématiquement réinjecté pour financer des actions de formation afin de satisfaire les demandes des salariés.

M. le Président : Et non en frais de fonctionnement ?

M. Jean-Claude MEYNET : Je peux vous dire aussi que nous étions très attentifs à de ce qu’on appelait les ruptures. En effet, lorsqu’un salarié est autorisé à partir en congé individuel, on engage la somme pour la durée du congé. Un dispositif de suivi des ruptures avait été mis en place : dès que le contrat s’interrompait, pour des raisons diverses, il était « réinjecté » au mois.

M. le Président : Les ruptures de contrat représentent quel pourcentage ?

M. Jean-Claude MEYNET : C’est très variable. Les sommes réinvesties au titre des ruptures peuvent représenter 5 % du total des sommes versées.

Il y a un système d’engagement sur la durée de la formation qui est variable en matière de politique contractuelle. Lorsque l’argent n’est pas dépensé, le risque est qu’il n’y ait plus de report.

En termes de comptabilité, il conviendrait peut-être de revoir les choses et de les assouplir de façon à ce que l’on puisse procéder à des anticipations. Il faut savoir aussi que l’on est dans un système fiscal et que l’argent n’appartient pas a priori à l’entreprise.

M. le Président : C’est de l’argent privé ou public ?

M. Jean-Claude MEYNET : C’est de l’argent fiscalisé dont la gestion est confié à l’entreprise. On prend donc un engagement pour la somme qui est rentrée réellement dans les caisses de l’organisme paritaire.

M. le Président : Selon votre conception personnelle, est-ce de l’argent privé ou public ?

M. Jean Claude MEYNET : En tant que syndicaliste, ma conviction est que c’est l’argent des entreprises et des travailleurs. Ce n’est pas en tout cas l’argent de l’Etat.

M. le Président : C’est de l’argent privé alors.

M. Jean-Claude MEYNET : Cela dit, l’argent privé doit faire l’objet d’un contrôle social.

M. Germain GENGENWIN : A partir du moment où l’entreprise est obligée de verser 0,2 % pour le CIF et 0,4 % pour la formation en alternance, c’est de l’argent public.

M. Jean-Claude MEYNET : Mais l’Etat a confié cet argent aux entreprises.

Mme Christiane BRESSAUD : C’est la spécificité du système français.

M. le Président : Jusqu’à quel pourcentage estimez-vous les frais de gestion raisonnables ?

M. Jean-Claude MEYNET : Entre 8 et 10 %.

M. le Président : Vous ne trouvez pas que c’est beaucoup ?...

M. Jean-Claude MEYNET : Ce sont des frais de gestion et aussi des frais de service. Dans l’organisme où j’étais administrateur, nous avons eu une longue discussion sur l’évolution des fonds d’assurance formation. Il en est ressorti que les frais de conseil aux entreprises sont inclus dans l’ensemble des frais de l’organisme. La règle est donc de dire que les frais de gestion doivent inclure les frais de conseil.

M. le Président : Si l’on retranche les frais de conseil, quel est le taux des frais de gestion ?

M. Jean-Claude MEYNET : Environ 6 %.

M. le Président : S’agissant d’organismes paritaires qui fonctionnent la plupart du temps sur le principe du bénévolat, ne trouvez-vous pas que cela fait beaucoup ?

Mme Christiane BRESSAUD : Pour apprécier les frais de gestion, il faut prendre aussi en compte la couverture de l’organisme et le type d’entreprise auquel il s’adresse. Certains FAF ont choisi de se décentraliser pour être plus près des entreprises. Cela représente un coût. Il a donc fallu qu’on gère la question de la déconcentration des FAF sans que cela aboutisse pour autant à une explosion des frais de fonctionnement. Certains ont mieux réussi que d’autres. De plus, le fait de s’adresser à des petites entreprises rend les frais plus importants. Tout est démultiplié.

La CFDT est d’accord pour serrer les frais de gestion. Mais elle serait aussi favorable pour faire apparaître à part la question des frais liés à l’information des salariés, à la mobilisation des entreprises ainsi que les frais liés aux activités de conseil.

Nombre de FONGECIF ont développé des politiques d’accueil et de conseil aux salariés pour les aider à choisir une reconversion ou une qualification. Si je prends le cas du FONGECIF de ma région, il occupe trois ou quatre salariés pour remplir ces tâches.

M. le Président : Y a-t-il des gens qui émargent au budget des organismes collecteurs et qui font tout à fait autre chose en étant, par exemple, mis à la disposition d’organisations paritaires ou syndicales ?

M. Gérard DANTIN : Des subventions peuvent être accordées aux fins de paritarisme parce que cela représente du temps pour les gens qui s’en occupent. Cela représente du temps, des études et des compétences. Les personnes exerçant une activité dans ces organismes de formation sont bien souvent des permanents syndicaux payés par leur organisation. Si on sortait du paritarisme, les lignes budgétaires seraient différentes, mais cet argent-là serait de toute façon quelque part.

Mais, pour autant qu’on le sache, ce ne sont pas des permanents détachés ou payés par les organismes de formation. Les vacations sont versées pour le temps passé au service des organismes collecteurs. Ainsi, la CFDT a organisé une session de formation de trois jours à Bierville qui a regroupé 70 représentants d’organismes collecteurs.

M. le Président : Combien le montant de ces frais représente-t-il par rapport aux frais de gestion ?

M. Gérard DANTIN : C’est insignifiant. Moins de 0,5 %. Comme nous sommes dans le cadre du paritarisme, nous demandons à être traités de la même façon que le patronat.

M. le Président : Quand une OMA excédentaire prête de l’argent à une OMA déficitaire, est-ce un don ou un prêt ? En d’autres termes, les échanges financiers entre FAF sont-ils gratuits ou donnent-ils lieu à rémunération ?

Mme Christiane BRESSAUD : La CFDT s’est toujours prononcée contre les transferts de gré à gré car ils manquent de transparence. Nous avons été entièrement satisfaits de constater que la loi quinquennale supprimait les transferts de gré à gré. Nous sommes pour que les excédents soient collectés dans des organismes paritaires de régulation, tels l’AGEFAL, dans la transparence, et que les excédents soient mutualisés et remis dans le circuit pour ceux qui font du contrat. C’est le cas pour les jeunes. Cela devrait également exister pour toutes les autres collectes. Rien n’est plus transparent qu’une collecte dont on connait le pourcentage de la masse salariale. Il faut empêcher tous les systèmes de dérogation permettant sinon des trafics du moins des manœuvres peu claires.

Nous nous prononçons contre les transferts de gré à gré, car il est arrivé que des transferts de fonds aient été opérés, en dehors du contrôle des conseils d’administration, sans aller forcément aux organismes qui en avaient besoin. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’a été mise en place l’AGEFAL.

M. le Président : Ma question était de savoir si les échanges financiers entre les FAF étaient rémunérés.

Mme Christiane BRESSAUD : C’est normalement interdit.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance de ce genre de pratiques ?

Mme Christiane BRESSAUD : Non.

M. Jean-Claude MEYNET : De toutes façons, depuis un an c’est interdit.

M. le Président : Madame Bressaud, vous avez déclaré tout à l’heure qu’il n’y avait pas de mauvaise gestion des fonds mais qu’il y avait selon vous seulement des cas de mauvaise gestion. Cela veut donc dire que la gestion peut être mauvaise.

Mme Christiane BRESSAUD : Mauvaise gestion dans le sens où des fonds seraient gaspillés. A notre avis, le défaut principal est la passivité des gestionnaires. Nous avons dit aux 70 représentants en formation à Bierville, que s’ils prêtaient le flanc à la critique, c’est parce qu’ils se sont endormis dans une gestion « pépère », au jour le jour. Il ne s’agit pas de prendre des risques en Bourse mais de faire en sorte que les organismes paritaires soient plus actifs. Il faut faire la démarche de placer des contrats. C’est pourquoi nous avons obtenu que l’AGEFAL finance une campagne paritaire pour obliger nos organismes à démarcher les entreprises.

Il n’y a donc pas de mauvaise gestion à proprement parler. Je ne connais que cinq organismes dans notre collimateur en raison d’une gestion que je trouve anormale, pour ne pas dire plus.

Par contre, la passivité et la frilosité dont je parlais sont un problème.

Des actions très performantes ont été réalisées. En matière de congé individuel de formation, les FONGECIF ont des systèmes d’accueil et de conseil aux salariés. Il y en a cinq ou six qui font mal leur travail, mais la majorité d’entre eux se sont dotés de politique très dynamique.

M. le Président : Les organismes que vous avez dans le collimateur ne sont pas des FONGECIF ?

Mme Christiane BRESSAUD : Non, à part un, mais il a été remis récemment dans le droit chemin. Ce FONGECIF considérait qu’il avait besoin d’un matelas épais pour dormir.

M. le Président : Nous le connaissons tous. Quels sont ces organismes que vous avez dans le collimateur ?

Mme Christiane BRESSAUD : Il nous est difficile de donner des noms.

M. le Président : Je n’insisterai pas à condition que vous me disiez de quel type d’organisme il s’agit.

Mme Christiane BRESSAUD : Il y a des FAF et des ASFO, mais je dois dire que ce sont en majorité des ASFO. Et si quelqu’un peut voir clair dans le système des ASFO, c’est qu’il a une bonne vue.

M. Jean-Claude MEYNET : Le problème des ASFO est qu’elles ont une double ou même une triple casquette. C’est à la fois un OMA, un organisme de formation et, par dérogation, un pseudo-collecteur du plan de formation.

Même si la dominante OMA fait l’objet d’une gestion prudente et assez passive, il y a ça et là des conduites intéressantes. Le CEREQ a réalisé en 1992 une étude sur le lien entre l’emploi et la formation en ce qui concerne le contrat de qualification. Diverses stratégies sont utilisées par les entreprises : cela va du contrat de qualification bon marché à des stratégies d’anticipation de la gestion des emplois dans des secteurs différents comme les coopératives agricoles ou la métallurgie.

M. Germain GENGENWIN : En mutualisant en un seul endroit, à l’AGEFAL, l’ensemble des crédits non utilisés, n’avez-vous pas le sentiment qu’on éloigne trop ces disponibilités des véritables besoins des entreprises et des salariés situés dans les régions ?

Mme Christiane BRESSAUD : L’AGEFAL ne mutualise pas tout l’argent de la formation des jeunes des FAF ou des OMA. A l’AGEFAL, on ne mutualise que les excédents. Ensuite, on essaie de faire circuler cet argent. Une réforme dernièrement adoptée tend à redistribuer les fonds, et permettre une circulation plus rapide. Jusqu’à présent on redonnait de l’argent aux FAF sur la base de prévisions. Maintenant, le suivi de la trésorerie est mensuel. Ainsi on ne leur verse pas des sommes qu’ils n’utiliseront pas si les prévisions n’aboutissent pas. Tout cela permet d’utiliser les fonds ailleurs.

L’AGEFAL ne permet qu’une régulation à la marge par rapport aux masses financières des OMA. C’est un système qui nous permet de mettre un peu d’ordre. Si nous voulons réguler le système paritaire actuellement éclaté, il nous faut avoir des moyens pour le faire. Ainsi nous avons pu inciter les organismes à moins de passivité.

Dans un groupe paritaire, l’augmentation du taux des ruptures de contrat de qualification nous inquiétait. Nous avons demandé à l’AGEFAL de faire une petite enquête. On s’est aperçu que certaines OMA, pour attirer le client, donnaient l’ensemble du financement du contrat tout au début. De sorte que si l’entreprise ou le jeune rompait son contrat, il n’y avait pas de remboursement. Nous avons donc demandé à cet organisme de fractionner les remboursements des contrats de manière à ce que la dernière partie du remboursement soit faite une fois que le jeune a passé son examen.

On a donc besoin de réguler le système. Mais on aurait aussi besoin que l’Etat exerce réellement son pouvoir de contrôle et ait réellement une politique d’agrément.

M. Germain GENGENWIN : Ne croyez-vous pas que serait accomplie une avancée sociale si les fonds étaient gérés au niveau des régions avant d’être transférés vers l’AGEFAL dont le champ territorial est national ? L’efficacité des sommes disponibles et la responsabilisation des partenaires sociaux ne seraient-elles pas plus grandes ?

Mme Christiane BRESSAUD : L’AGEFAL, avant de redistribuer ses fonds, prend obligatoirement l’avis de la commission paritaire régionale — COPIRE — où siègent les partenaires sociaux. Un système de régulation nationale est indispensable. Qu’on puisse renforcer le rôle des partenaires sociaux régionaux, d’accord, mais en préservant le système de régulation nationale. La politique du contrat de qualification par exemple a une cohérence nationale. Elle permet de donner autant à la Bretagne qu’à l’Alsace en fonction des besoins. Cela dit, on peut chercher des voies permettant de renforcer la présence et l’efficacité des partenaires sociaux au niveau régional.

M. le Président : Les fonctionnaires de la Direction du budget que nous avons reçus se sont plaints de l’AGEFAL. Ne croyez-vous pas que c’est un peu facile d’attaquer l’Etat dès lors que quelque chose ne va pas ? Si l’Etat exerçait un contrôle, l’organisation paritaire ne se refermerait-elle pas sur elle-même pour empêcher tout contrôle ? Il y a un choix à faire entre la collecte directe de l’Etat et celle d’organismes paritaires.

Mme Christiane BRESSAUD : La CFDT a toujours souhaité que l’Etat exerce son contrôle. Elle a regretté qu’à un moment donné le groupe de contrôle soit très peu étoffé. Pour notre part, la nomination d’un commissaire du Gouvernement ne nous pose pas de difficulté.

M. le Président : Quelles mesures prendriez-vous pour améliorer l’utilisation des fonds consacrés à la formation professionnelle ?

M. Jean-Claude MEYNET : En matière d’alternance, et plus généralement en matière d’insertion professionnelle des jeunes, on s’aperçoit que les mesures les plus efficaces sont celles associant le plus les entreprises, l’insertion dans l’emploi et dans la qualification. Il faut jouer sur les deux aspects. Cela demande une responsabilisation des entreprises dans le dispositif.

M. le Président : Il y a donc bien une liaison intime entre l’emploi et la formation.

M. Gérard DANTIN : Notre réponse a pu vous paraître étrange. Nous sortons d’une période où plus on avait une qualification plus facilement on trouvait un emploi. Ainsi la dernière promotion de SUPAERO comprenait 530 ingénieurs. Or seulement 48 ont trouvé du travail. Certes la formation est un moyen nécessaire, mais aujourd’hui elle ne conduit pas systématiquement à occuper un emploi.

Monsieur le Président, vous vous êtes interrogé pour savoir si les organismes collecteurs relevaient bien de la responsabilité des partenaires sociaux. Je pense que oui parce qu’ils résultent d’une politique contractuelle. Ce système paritaire ne pourra être amélioré que dans la mesure où les entreprises prendront leur plus large part de responsabilité. La formation dans les entreprises fonctionnera d’autant mieux que les syndicats y seront associés. Si les choses devaient bouger, ce serait un coup dommageable porté à la politique contractuelle.

M. le Président : Je vous remercie pour cette participation aux travaux de la Commission.




Audition de MM. Claude MICHEL
et Jean-François JOBERTON,

respectivement Président et Vice-Président de l’AGEFAL

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 mars 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Claude Michel et Jean-François Joberton sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Claude Michel et Jean-François Joberton prêtent serment.

M. le Président : Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Pouvez-vous en premier lieu nous présenter l’AGEFAL ?

M. Claude MICHEL : l’AGEFAL fonctionne avec un Directeur général, un Directeur chargé des études, une spécialiste en droit social et droit du travail, une secrétaire et un demi-poste de comptable. Il s’agit d’un organisme paritaire dont le bureau comprend 5 représentants patronaux - trois pour le CNPF, 1 pour l’UPA, 1 pour la CGPME - et 5 représentants des syndicats représentatifs des salariés. Ce bureau élit un Président, un vice-Président, un trésorier et un trésorier-adjoint. Il rend compte á un conseil d’administration de 20 membres composé de 10 représentants patronaux et de 10 représentants des salariés. Les mandats sont de deux ans. Pour l’instant je préside l’AGEFAL au nom du CNPF et M. Joberton (FO), en est vice-président. A la fin de l’année cette répartition sera inversée, la présidence revenant aux salariés et la vice-présidence aux représentants patronaux.

M. Jean-François JOBERTON : En outre une commission de contrôle des comptes présente au conseil d’administration l’état des comptes une fois par an, en liaison avec le commissaire aux comptes.

M. Claude MICHEL : Le Ministère du travail est aussi représenté par un observateur que nous pouvons interroger sur tel ou tel point de droit. En revanche il n’y a pas de commissaire du Gouvernement.

M. le Président : Il est prévu á l’article 71 de la loi quinquennale que le gouvernement nomme un commissaire. Savez-vous quand cette nomination aura lieu ? Vous paraît-elle utile ou vous semble-t-elle faire problème ?

M. Claude MICHEL : Je n’ai pas la moindre information á ce sujet. Dans cette affaire, les avis me paraissent dictés plus par les passions que par l’examen des réalités. Depuis que l’AGEFAL existe, nous disposons régulièrement de rapports sur sa gestion présentés par le Commissaire aux comptes ainsi que les contrôles exercés par les services du ministère du travail et du ministère des Finances. Ces rapports ont toujours été très positifs. Le dernier rapport des Commissaires aux comptes nous a été remis le 15 avril 1993.

En outre l’observateur du Ministère du travail, Monsieur Lambert, chef du groupe national de contrôle, nous conseille utilement. Nous ne voyions donc pas la nécessité de nommer un commissaire du gouvernement. Certains de nos membres ont vu lá une marque de suspicion.

M. le Président : L’article 71 de la loi quinquennale donne á l’AGEFAL des pouvoirs de transfert singulièrement plus étendus qu’auparavant. On peut donc juger que la présence d’une caution gouvernementale n’est pas inutile.

M. Claude MICHEL : Il nous semble que ce pouvoir de transfert va diminuer et non s’accroître au cours des prochaines années. Les OMA ne pourront plus opérer de transferts entre eux et devront passer par l’AGEFAL. Mais á la suite de la loi quinquennale, les grandes branches professionnelles s’organisent en branches fermées. Chacune va donc fonctionner en quelque sorte comme une « mini AGEFAL » et nous aurons beaucoup moins de transferts á effectuer.

M. le Président : Cela vous semble-t-il une bonne chose ou une régression ?

M. Claude MICHEL : Je ne saurais dire si cette décision est bonne ou mauvaise. Simplement les branches sont de puissance inégale et l’on peut s’inquiéter pour le devenir des inter-professionnelles.

M. le Président : La mutualisation de fonds des OMA se fait-elle toujours de gré á gré ou l’autorisation est-elle donnée cas par cas ?

M. Claude MICHEL : Il y a eu une évolution. Au départ les sommes qui transitaient par l’AGEFAL étaient très faibles. Elles atteignent aujourd’hui 800 á 900 millions de F. par an. Certains OMA sont excédentaires, d’autres ont des besoins de financement. Dans le système en vigueur jusqu’á il y a deux ans, les OMA présentaient des plans d’engagement. Ces plans n’étaient pas toujours réalisés pour différentes raisons : par exemple, certains stages n’avaient pas lieu par suite d’un manque de candidats. Les sommes prévues restaient alors inemployées. Il y a un an le conseil de l’AGEFAL a décidé sur notre proposition, de supprimer l’engagement pour raisonner uniquement en termes de trésorerie. L’AGEFAL a pu ainsi faire rentrer 600 millions de F. et accélérer la rotation des fonds. A partir du plan de travail de chaque OMA nous établissons sur ordinateur un agenda de trésorerie. Les représentants des OMA viennent voir le Directeur général et, lorsqu’il y a conflit, M. Joberton et moi-même intervenons pour statuer cas par cas sur le sérieux des demandes présentées et la capacité qu’a l’AGEFAL d’y répondre. Certains OMA collectent moins de 20 millions de F. alors qu’elles interviennent sur un marché très demandeur où les dépenses peuvent aller jusqu’á 100 millions de F. L’AGEFAL abonde la différence non plus sur dix-huit mois mais le fait désormais mois par mois en fonction des besoins.

M. le Président : Vous exercez donc un véritable contrôle et celui-ci ne relève pas seulement du groupe technique paritaire.

M. Claude MICHEL : Oui, il y a un vrai contrôle de gestion. D’ailleurs le nouveau Directeur général que nous avons recruté il y a quelques mois est un gestionnaire.

M. le Président : Lorsque vous refusez de subventionner un OMA déficitaire, que se passe-t-il ?

M. Claude MICHEL : Il n’y a pas de raison formelle d’opposer un refus si les besoins sont réels. Le Directeur général de l’AGEFAL mène des discussions techniques avec ses homologues des OMA. En cas de désaccord, M. Joberton et moi-même discutons avec le Président de l’OMA concerné, qui vient avec les représentants paritaires de l’organisme. C’est une discussion de gestionnaires. Nous veillons á ce qu’il n’y ait pas de fuite en avant inconsidérée. Jusqu’á présent nous avons toujours trouvé une solution.

M. le Rapporteur : Notre commission se préoccupe essentiellement de l’utilisation des fonds. Dans le secteur que vous contrôlez, avez-vous entendu parler de fraudes ou avez-vous eu vous-même á intervenir en cas de fraude ? Pensez-vous qu’il s’agisse lá d’un secteur vraiment transparent de la formation professionnelle ? Par ailleurs, estimez-vous qu’il est possible de laisser ainsi des fonds immobilisés dans différents organismes ? Enfin pour quels motifs acceptez-vous ou refusez-vous les demandes ?

M. Claude MICHEL : M. Joberton et moi-même avons pris nos fonctions le 1er janvier 1993. Depuis lors je n’ai pas eu connaissance d’une seule fraude ni eu de doutes sur un seul dossier. S’agissant des sommes « immobilisées », comme je viens de l’indiquer elles ne le sont plus vraiment puisque nous finançons les OMA en fonction de plans de trésorerie trimestriels. L’OMA doit nous envoyer les documents certifiant la validité des chiffres qu’il présente et éventuellement notre spécialiste va vérifier sur place.

M. le Président : Que vérifie-t-il ?

M. Claude MICHEL : Il vérifie le bien-fondé de la demande á partir des documents comptables. Cette procédure évite que des masses d’argent soient inemployées.

M. le Rapporteur : Elle a donc été instituée dans le courant de l’année dernière. Existe-t-il des immobilisations immobilières ? Dans ce cas elles devraient être prises en compte pour apprécier la trésorerie.

M. Claude MICHEL : Il n’y en a pas pour l’AGEFAL. En ce qui concerne les OMA, qui sont plus de 200, je ne peux vous répondre précisément.

M. Jean-François JOBERTON : Certains OMA sont propriétaires de leurs locaux, d’autres sont locataires.

M. le Rapporteur : Lorsqu’un OMA se trouve, une année, en situation déficitaire, alors qu’il possède un patrimoine immobilier important, vous ne lui demandez pas de faire un petit effort plutôt que d’avoir systématiquement recours á vous ?

M. Claude MICHEL : Nous ne nous sommes jamais inquiétés de ce problème immobilier. Si vous le souhaitez, je vous apporterai des informations á ce sujet. Notre préoccupation essentielle a consisté á récupérer l’argent se trouvant dans le circuit, á supprimer la notion d’engagement au profit de celle de trésorerie et á vérifier le bien-fondé des plans de formation prévus.

M. le Rapporteur : Vous êtes-vous interrogé sur l’importance du personnel employé par les OMA ? En cas de déficit, n’avez-vous pas cherché á vérifier s’ils pouvaient réaliser des économies dans ce domaine ?

M. Claude MICHEL : Nous n’avons pas pris cette question en considération. Nous avions d’autres priorités.

M. le Rapporteur : Mais pensez-vous qu’il puisse y avoir lá un problème ?

M. Claude MICHEL : Je ne sais pas au juste, mais en général les OMA sont des structures légères.

M. le Rapporteur : Tout á l’heure, vous avez eu l’air de trouver que 200 OMA, c’était beaucoup.

M. Claude MICHEL : Je n’ai pas dit cela.

M. le Rapporteur : Mais pensez-vous que ce soit beaucoup, ou pas ?

M. Claude MICHEL : Le plan quinquennal tend á ramener le nombre d’OMA á un par région. Cela nous inquiète. En effet, les régions sont d’importance inégale : comment comparer le Limousin et l’Ile-de-France ? La perspective de n’accepter qu’un OMA par région est une démarche sans doute cartésienne, mais qui mériterait d’être aménagée en fonction des potentiels industriels de chaque région, ainsi que de sa configuration géographique. En effet, certaines régions possèdent des centres industriels très éloignés les uns des autres. Il est indispensable surtout de bien séparer la collecte et la formation.

M. le Rapporteur : Mais pourquoi l’AGEFAL ne pourrait-elle pas jouer un rôle important dans la péréquation entre les régions ?

M. Claude MICHEL : Comme je l’ai dit, les branches professionnelles tendent á s’organiser en branches fermées, ce qui réduit d’autant notre capacité de péréquation. Ne resteront pour finir, sur le bord de la route, que les interprofessionnelles qui, d’une région á l’autre, sont de puissance inégale, et qui ont á faire, parfois, á des régions elles-mêmes peu homogènes : deux villes qui jouent chacune un rôle de pôle économique peuvent en effet se trouver séparées de plusieurs dizaines de kilomètres. Il est donc risqué de ne prévoir qu’un seul OMA par région. C’est surtout vrai pour l’Ile-de-France, la région Rhône-Alpes et le Nord-Pas-de-Calais. En Ile-de-France, par exemple, il existe trois académies. Comment n’y aurait-il qu’un seul OMA ?

M. le Rapporteur : Lorsque la subvention que vous accordez á un OMA déficitaire est supérieure á ce déficit, á qui va la différence ? Pour quelles raisons un OMA résisterait-il á la tentation de financer un volume de contrats supérieur á sa collecte, puisqu’il sait que de toute façon l’AGEFAL interviendra pour combler son déficit ? Est-ce que cette sécurité n’a pas pour finir trop calmé le jeu ?

M. Claude MICHEL : Ne parlons pas de subvention, mais de transfert, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Pour l’essentiel, les problèmes financiers que rencontrent les OMA sont dans la quasi-totalité des cas de nature structurelle, et non pas conjoncturelle. Si ces difficultés étaient de nature conjoncturelle, nous pourrions imaginer qu’il faille mettre en cause la gestion de l’organisme tant en termes de recettes que de dépenses. Mais le plus souvent, il s’agit de professions á faibles revenus qui ont des besoins de formation importants. Nous avons réfléchi á la question que vous soulevez, mais nous avons considéré qu’elle ne se posait pas vraiment. Nous n’accordons pas systématiquement les sommes demandées. Je dirais même qu’on ne les accorde jamais sans discussion et contrôle préalable. En outre, nous réclamons des preuves, c’est-á-dire le nombre de contrats signés et comme nous connaissons le nombre de contrats passés dans les années antérieures, nous pouvons mesurer les performances générales réalisées par tel ou tel OMA. Au total, je crois que notre gestion n’est pas mauvaise.

M. Joseph KLIFA : Vous semblez dire que nombre de demandes présentées par les OMA sont refusées.

M. Claude MICHEL : Ce n’est pas le cas général. Prenons un exemple : un OMA collecte 20 millions alors que ses besoins, justifiés, s’élèvent á 80 millions ; s’il nous demande, une année, 120 millions, nous nous informons auprès de lui : combien de contrats compte-t-il conclure cette année, combien en a-t-il conclu l’année précédente ? Sur ces bases, nous nous décidons.

M. Joseph KLIFA : Toutes les demandes ne sont donc pas satisfaites, ce qui signifie que certaines sont exagérées.

M. Claude MICHEL : Le problème, c’est que la volonté de développer la formation dans un secteur peut se heurter á la réalité du marché. Mais je ne peux pas accuser les OMA de présenter des demandes exagérées. Nous nous prononçons á partir de l’historique des années antérieures, que nous sommes en mesure de faire remonter jusqu’á 1986. Cet historique permet de mesurer la crédibilité des OMA. Enfin, n’oublions pas que nous ne pouvons redistribuer que ce que nous recevons. Je peux dire que jamais un OMA n’a été empêché de travailler á cause de nous.

M. Joseph KLIFA : Mais vous exercez bien un rôle de « censeur », afin de ramener les OMA á une plus juste appréciation de la réalité ?

M. Claude MICHEL : « Censeur » ne me paraît pas être le mot qui convient.

M. le Rapporteur : En fait vous ne censurez pas assez !

M. Jean-François JOBERTON : Dans certains secteurs, si l’AGEFAL n’intervenait pas, très peu de contrats de formation seraient conclus. En effet, il existe des secteurs où le nombre de contrats signés et réalisés est supérieur au montant de la collecte. C’est le cas de l’agriculture, de l’artisanat, de la santé, des petites entreprises du bâtiment... Notre rôle est de compenser les insuffisances constatées dans ces secteurs par un transfert á partir des secteurs excédentaires. Globalement, ce sont les petites et très petites entreprises qui signent le plus de contrats en alternance. Or, les entreprises de moins de 10 salariés contribuent á hauteur de 0,1 %, alors que le taux est de 0,4 % pour celles de plus de 10 salariés. La différence est de taille ! N’oublions pas enfin que certaines professions sont pour l’essentiel composées de petites entreprises : sans mécanisme redistributeur, on y signerait moins de contrats qu’á l’heure actuelle.

M. Claude MICHEL : En 1992, sur 264.634 contrats, 66.000 concernaient des entreprises de moins de 10 salariés, et 41.000 des entreprises entre 10 et 49 salariés. Vous le voyez, environ près de la moitié des contrats intéressent des entreprises de moins de 50 salariés.

M. Germain GENGENWIN : C’est vrai du nombre de contrats, mais pas du nombre de journées de formation.

M. Jean-François JOBERTON : Je ne crois pas. Les contrats sont d’une durée moyenne á peu près identique, quelle que soit la taille des entreprises.

M. le Rapporteur : Le système actuellement en vigueur a tout de même de quoi surprendre un parlementaire. En effet, voilá des organismes collecteurs qui passent des contrats sans tenir compte du montant de leur collecte. Ce système pousse á la concurrence puisque tous les OMA sont assurés de la contribution de l’AGEFAL. Dans ces conditions, comment un organisme ou une entreprise peuvent-ils choisir un OMA plutôt qu’un autre ?

M. Claude MICHEL : S’il existe des cas de concurrence, ils ne sont sûrement pas la majorité.

M. Germain GENGENWIN : Dans la réalité, la compétition est vive.

M. Claude MICHEL : Je ne le pense pas. Prenons á nouveau un exemple. Un OMA du secteur de la santé vient nous voir et nous dit : la France manque d’infirmières, nous voulons donc former un millier d’aide-soignantes sur contrats de qualification. Cette démarche me paraît bienvenue, et dans ce cas, il n’existe pas de concurrence entre OMA. Nous acceptons donc d’abonder de deux ou trois fois la collecte initiale. Cette intervention correspond tout á fait au rôle de l’AGEFAL.

M. le Rapporteur : Et si un OMA territorial vous fait la même proposition quinze jours plus tard ?

M. Claude MICHEL : Je le répète, il n’y a pas de concurrence directe dans les domaines de la santé, de l’artisanat, de l’agriculture et de l’agro-alimentaire ou autres. Quant au choix, il est évidemment affaire de proximité. Quelqu’un qui habite et travaille á Rennes ne va pas aller suivre une formation en alternance á Brest. La concurrence ne joue donc que marginalement, même en Ile-de-France, où les dix OMA existants sont bien répartis sur la région.

M. Joseph KLIFA : Est-ce á dire que les OMA passent des accords entre eux pour éviter de se marcher sur les pieds ?

M. Claude MICHEL : Ce n’est pas la peine. Chacun a sa clientèle d’entreprises locales. J’ajoute qu’il y a beaucoup d’OMA qui sont très spécialisés.

M. Germain GENGENWIN : Un certain nombre d’OMA de branches acceptent de consacrer une partie de leurs ressources á l’apprentissage. Quelle est votre position sur cette question ?

M. Claude MICHEL : On a eu trop tendance ces dernières années á laisser croire que l’AGEFAL avait des ressources en quantité quasiment illimitée. Il a même fallu que je rappelle que nous ne pouvons redistribuer plus d’argent que nous n’en recevons. Pour l’instant, la partie des fonds consacrée á l’apprentissage n’empêche pas de satisfaire les besoins dans le domaine de la formation en alternance, mais si le nombre des contrats de qualification devait augmenter, mettons, de 20 %, leur financement ne serait plus assuré. Prenons donc garde á ne pas trop verser pour l’apprentissage.

M. le Président : M. Gengenwin ne semble pas satisfait de votre réponse...

M. Germain GENGENWIN : Je l’ai bien comprise : mais comment envisagez-vous l’harmonisation, prévue par la loi quinquennale, entre l’apprentissage et les contrats de qualification ?

M. Claude MICHEL : Je ne suis pas sûr que ma réponse vous fera davantage plaisir que la précédente... Je considère qu’il ne faut pas mélanger les genres, et qu’apprentissage et qualification sont deux choses complètement différentes. L’ensemble des partenaires sociaux partagent d’ailleurs, je le crois, ce point de vue. L’apprentissage est une formation initiale, tandis que les contrats de qualification ne sont qu’un palliatif, une thérapeutique, qui n’aurait plus sa raison d’être si le système d’éducation était idéal. Lorsque j’entends parler d’unification des deux programmes, je m’inquiète donc énormément, même si l’AGEFAL peut gérer les deux.

M. Germain GENGENWIN : Il ne s’agit pas, dans mon esprit, d’ôter á l’AGEFAL quelque responsabilité que ce soit, mais de se mettre d’accord sur une façon de procéder pour harmoniser la gestion de l’apprentissage et des contrats de qualification depuis que l’apprentissage relève des conseils régionaux.

M. Claude MICHEL : Toute la question est de savoir ce qu’il faut harmoniser. Je ne m’identifie pas forcément á l’AGEFAL en tant que telle : j’y suis arrivé il y a dix-huit mois seulement, je la quitterai á la fin de l’année, et mon mandat est bénévole. Je suis foncièrement attaché, en revanche, au paritarisme, qui invite les partenaires á se rencontrer, á discuter ensemble et á trouver ensemble des solutions. J’y vois un gage de maturité pour nos sociétés industrielles. Or, le chef d’entreprise que je suis trouve que le paritarisme est depuis trop longtemps attaqué dans ses fondements mêmes, et considère qu’il faut être extrêmement prudent, car certains voient dans le contrôle de l’apprentissage par les régions une attaque de plus contre le paritarisme. Je veux bien que les régions s’occupent d’apprentissage, mais il faut veiller á préserver un paritarisme á la fois régional et national ; et éviter que de trop grandes distorsions ne s’établissent entre les formations dispensées dans les différentes régions.

M. le Président : Je voudrais en venir aux aspects financiers des questions qui nous occupent. On entend souvent dire que les organismes collecteurs se seraient constitué des trésoreries excessives. L’AGEFAL a-t-elle déjá refusé des financements á des OMA au motif que leurs provisions et leurs reprises de provisions étaient trop importantes ?

M. Claude MICHEL : Oui. Une déviation de plus en plus fréquente ces derniers temps consistait á demander de l’argent supplémentaire á partir des fonds actuels de l’AGEFAL au titre des engagements, même s’il y avait une trésorerie suffisante. Nous avons mis fin á cela, et récupéré, avec l’aide de la cellule de contrôle, la totalité des sommes dépassant six mois de trésorerie, soit tout de même 600 millions.

M. le Président : Est-ce á dire que vous considérez que six mois de trésorerie, c’est normal ?

M. Claude MICHEL : Je n’ai pas dit cela... J’observe en outre que, désormais, les échéanciers de trésorerie sont établis trimestriellement.

M. le Président : Savez-vous que certains organismes dispensateurs se plaignent d’être payés avec retard ?

M. Claude MICHEL : Oui, et c’est pourquoi notre spécialiste rend régulièrement visite aux OMA. Ce n’est pas inutile...

M. le Président : Pensez-vous que le plafonnement des frais de fonctionnement a encore un sens ?

M. Jean-François JOBERTON : C’est soit 8 %, soit deux fois 6 %. Il serait utile, sans aucun doute, de changer progressivement les règles d’assiette.

M. Claude MICHEL : Cela dit, la chose excède nos compétences : les plafonds actuels ont été institués par décret.

M. Germain GENGENWIN : Qu’est-ce qui fait qu’un OMA choisit d’adhérer á l’AGEFAL ou á l’AGEFOS ?

M. Claude MICHEL : Il n’y pas de choix entre AGEFAL et AGEFOS. Pour nous, l’AGEFOS est un OMA comme un autre. Nous ne connaissons que sa structure nationale.

M. le Président : Il semble que ses moyens en personnel soient considérables. On parle d’un total de 500 personnes.

M. Claude MICHEL : Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que l’AGEFOS représente environ un tiers de la formation en alternance. Mais ce n’est pas notre vocation que de nous pencher sur ces problèmes.

M. le Président : Considérez-vous qu’il faille encourager la multiplication des organismes collecteurs de branches, ou bien plutôt celle des organismes interprofessionnels régionaux ?

M. Claude MICHEL : Certaines branches très structurées et très organisées ont les moyens de contrôler la gestion des formations qui les intéressent. D’autres, au contraire, sont trop faibles pour constituer un OMA. Sans doute le mieux est-il que les OMA nationaux aient des subdivisions régionales, et que l’on concilie le caractère interprofessionnel avec le caractère géographique des OMA.

M. le Rapporteur : Nous avons adressé un questionnaire á l’AGEFOS PME, qui nous a répondu, á notre grande surprise, qu’elle n’avait pas d’excédents. Qu’en pensez-vous ?

M. Claude MICHEL : Il est assurément plus facile á un organisme doté de 22 sous-organismes d’équilibrer recettes et dépenses. Cela m’incite á penser que, si les branches doivent représenter, á l’avenir, 80 % du budget de l’AGEFAL, cette partie de son activité est appelée á diminuer grandement pour faire autre chose en matière d’apprentissage, par exemple.

M. le Président : Y-a-t-il beaucoup d’OMA qui choisissent de reverser leurs excédents au Trésor plutôt qu’á l’AGEFAL ?

M. Claude MICHEL : De moins en moins, le chiffre tendant même vers zéro.

M. le Président : Pourquoi, au départ, les gens se tournaient-ils vers le Trésor ?

M. Claude MICHEL : Le plus souvent, par méconnaissance. C’est pourquoi nous avons décidé d’éditer un journal de l’AGEFAL.

M. le Président : Cela occasionne des frais de fonctionnement.

M. Claude MICHEL : Certes, mais il faut savoir communiquer ! Les frais de fonctionnement de l’AGEFAL, c’est 2 millions de F.

M. le Rapporteur : Vous êtes de très loin les plus pauvres de cette branche !

M. Claude MICHEL : Sans doute !

M. Germain GENGENWIN : Quand on pense qu’á l’AFPA, il y a 800 personnes !

M. le Président : Que pensez-vous du jugement de la direction du Budget, qui a prétendu que l’AGEFAL n’aidait guère á maîtriser le dispositif d’insertion des jeunes, et du reproche de certains FAF, qui soutiennent que l’AGEFAL ne les tient pas suffisamment informés de son action ?

M. Joseph KLIFA : Vous avez dit que le contrôle était nécessaire. Mais y a-t-il un contrôle de la qualité de la formation, du suivi ?

M. Claude MICHEL : L’AGEFAL n’a pas dans ses missions d’exercer un tel contrôle.

M. Joseph KLIFA : Vous distribuez des fonds dont vous ne contrôlez pas l’utilisation ?

M. Claude MICHEL : Nous vérifions l’année suivante que les fonds ont été utilisés, mais, pour le moment, nous ne pouvons pas effectuer de contrôle qualitatif.

M. Joseph KLIFA : Souhaiteriez-vous pouvoir le faire ?

M. Claude MICHEL : Il faudra, en effet, que l’AGEFAL acquierre un tel pouvoir.

M. le Rapporteur : Comment savez-vous que ce sont bien des actions de fomation qui sont financées ?

M. Claude MICHEL : Nous avons eu la visite d’un représentant de l’Inspection générale des finances et d’un représentant de l’Inspection générale des Affaires sociales. Tous les deux ont estimé qu’il n’y avait rien á redire.

M. le Président : Récemment ?

M. Claude MICHEL : Il y a moins de deux mois.

Par ailleurs, quand j’ai pris la présidence de l’AGEFAL, poussé par mon expérience de l’industrie, j’ai demandé un audit du système. Il a été fait et c’est á cette occasion que nous nous sommes aperçus de ce problème de financement des engagements qui nécessitait un retour á la trésorerie. Pour le reste, le commissaire aux comptes n’a rien relevé. D’un autre côté, l’observateur du Ministère du travail qui assiste á toutes nos réunions n’a constaté aucune anomalie.

Quant au jugement de certains FAF, chaque fois que nous recevons un OMA, celui-ci nous dit que son cas est tout á fait particulier et que nous comprenons mal ses problèmes...

M. le Président : Pourriez-vous nous faire parvenir le rapport d’audit ?

M. Claude MICHEL : C’est entendu.

M. le Rapporteur : Imaginons le cas d’un OMA qui ne collecte pas beaucoup d’argent mais que vous autorisez á faire passer bon nombre de contrats de qualification. Comment vérifiez-vous, avec 4 personnes et demie, que les sactions de formation ont bien eu lieu ?

M. Claude MICHEL : Il y a avec nous une personne qui vient de la cellule de contrôle du Ministère du Travail et qui est chargée de visiter les OMA et de les contrôler.

M. le Président : Quels conseils donneriez-vous pour parvenir á une meilleure utilisation des fonds de la formation professionnelle ?

M. Claude MICHEL : Je voudrais que l’on évite de faire un faux procès aux partenaires sociaux ! On lit trop souvent dans la presse que s’ils avaient su résoudre le problème de la formation professionnelle, cela se saurait !

Depuis 1983, on a conclu 1.600.000 contrats de qualification, 1.000.000 de SIVP ou de contrats d’orientation. Ces contrats ont été très décriés, mais dans 50 % des cas, les SIVP débouchaient sur un contrat á durée indéterminée. 60 % des jeunes qui signent un contrat de qualification obtiennent un diplôme ou un titre homologué et, sur 1.600.000 jeunes, 740.000 sont restés dans l’entreprise d’accueil avec un contrat á durée indéterminée et 200.000 avec un contrat á durée déterminée.

Le système n’est dont pas aussi mauvais qu’on le dit. Je souhaite qu’on l’améliore, qu’on modifie la mission de l’AGEFAL pour lui permettre d’exercer un contrôle qualitatif, qu’on recherche un équilibre entre apprentissage et qualification, mais je crois qu’il ne serait pas bon de procéder á une révolution.

M. le Président : Vous êtes un fervent partisan du partenariat et du paritarisme. Certains disent que, dans ce cadre, l’obligation de participer au financement n’aurait plus de sens. Pensez-vous que l’on puisse parvenir á supprimer l’obligation légale de participer au financement de la formation professionnelle et á s’en remettre au volontariat ?

M. Claude MICHEL : Non, je ne le crois pas. Pour la formation permanente, par exemple, les entreprises sont tenues de verser 1,5 % de leur masse salariale. Les grandes entreprises vont jusqu’á 10 %. Certaines entreprises plus petites ou appartenant á un secteur de moindre technologie ont prétendu qu’elles n’avaient pas besoin de cet argent, mais comme elles étaient tenues de le dépenser, elles ont découvert qu’en fait il les aidait á développer leur technologie et á améliorer la formation de leur personnel. Par conséquent, l’Etat doit, á mon avis, continuer á donner un minimum d’impulsion.

M. le Président : Il n’y a plus de questions je vous remercie.




Audition d’une délégation de Force ouvrière

composée de

MM. Antoine FAESCH, Secrétaire confédéral
et Jean-François JOBERTON,
Délégué á la formation professionnelle

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 mars 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Antoine Faesch et Jean-François Joberton sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Antoine Faesch et Jean-François Joberton prêtent serment.

M. le Président : Puisque des négociations viennent d’être engagées á propos de la formation professionnelle entre les partenaires sociaux, pouvez-vous nous dire quelles grandes orientations il conviendrait, selon vous, de retenir dans ce domaine ?

M. Antoine FAESCH : Pour la formation continue ou pour la formation initiale ?

M. le Président : Essentiellement pour la formation continue.

M. Antoine FAESCH : Nous avions conclu, le 3 juillet 1991, un accord national interprofessionnel qui tendait á renouveler l’accord initial du 9 juillet 1970 et nous ne pensions pas que, si peu de temps après, cet accord serait remis en cause. Il n’a pas pu être appliqué car le temps ne nous en a pas été donné. Il avait, en effet, fallu procéder á des modifications législatives, instituer un agrément, définir les conditions d’application de la nouvelle formule des contrats d’insertion et quand ces conditions eurent été arrêtées, il se trouva que la situation économique s’était sensiblement dégradée : nous étions pratiquement á la rentrée 1992. L’ANPE, d’ailleurs, n’a pas mis trop de bonne volonté pour appliquer ces objectifs et, du côté des employeurs, on n’était pas non plus très pressé. Aussi le Gouvernement a-t-il considéré, alors que nous aurions souhaité que le dispositif soit mis en application, qu’il n’était pas suffisamment efficace. Il a donc pris l’initiative de soumettre au Parlement des modifications législatives et de nouvelles négociations ont été engagées pour mettre cet accord á jour.

Quelles grandes orientations retenir ?

Pour ce qui est de la formation continue des salariés en général, FO estime qu’il n’y a pas de bonnes raisons de modifier le dispositif actuel. Celui-ci a été mis sur pied par la voie conventionnelle et nous souhaitons qu’on laisse les partenaires sociaux faire le travail.

Ce travail a été bien fait et a donné d’excellents résultats. De nombreux militants syndicaux participent á la mise en œuvre des systèmes de formation permanente. Il est regrettable que l’on ne tienne pas suffisamment compte des efforts des partenaires sociaux pour donner á la France un système de formation professionnelle qui supporte toutes les comparaisons.

Le système d’insertion en alternance est donc remis en cause. A nous de voir comment combiner la volonté du législateur et les possibilités des entreprises, compte tenu des systèmes de financement prévus. Nous avons un certain nombre d’idées á ce sujet. Sans vouloir m’attarder sur l’actualité, si le gouvernement voulait confier aux partenaires sociaux le soin de définir et de mettre en œuvre un système plus dynamique d’insertion, tel que le législateur l’a souhaité, nous savons le faire. Mais il a un problème de financement. On consacre á l’heure actuelle environ 6 milliards de F. á l’insertion en alternance. Selon nous, pour réaliser une insertion plus dynamique, il faut trouver 3 milliards de F. supplémentaires. Si demain le Gouvernement nous disait : « ces 3 milliards on les a trouvés », il n’y aurait pas besoin d’attendre les manifestations : lors de la négociation paritaire du 5 avril les partenaires sociaux trouveraient des solutions. Je peux le dire car j’ai sondé plusieurs de nos interlocuteurs. Qu’on nous donne les moyens, et l’affaire est réglée.

M. le Président : Qu’appelez-vous insertion plus dynamique ?

M. Antoine FAESCH : Le contrat d’orientation a été substitué au SIVP, dispositif dont on avait usé et abusé dans certains secteurs et qui n’offrait plus de formation réelle. Mais ce contrat est lourd á mettre en œuvre. Il ne permet pas d’insérer les jeunes en nombre suffisant. D’ailleurs, beaucoup de jeunes qui sortent du système scolaire ne veulent pas entendre parler de formation. On a donc souhaité leur proposer directement du travail tout en conservant un volet pédagogique afin qu’ils forment un projet professionnel. Il est vrai que les contraintes du contrat d’orientation sont lourdes, par exemple l’obligation des 32 heures par mois pour les entreprises qui prennent des jeunes ; il est vrai, encore une fois, que certains jeunes hésitent á entrer dans un système de formation. Pratiquer une insertion plus dynamique, ce serait insérer un plus grand nombre de jeunes dans les entreprises afin d’éviter que ne se développe dans nos villes et nos banlieues le syndrome du chaudron. Les syndicats souhaitent contribuer á la recherche et á la mise en œuvre de solutions. Il faut permettre aux partenaires sociaux de les élaborer. Ils savent le faire. En 1983, par exemple, ce sont eux qui, á la demande du Gouvernement, ont inventé la formation en alternance.

M. le Président : Selon vous il faudrait 3 milliards de F. supplémentaires. C’est dire que l’on ne consacre pas assez d’argent á la formation professionnelle. En êtes-vous sûr ? L’objectif de notre commission est justement d’examiner si les 120 milliards consacrés á la formation professionnelle sont bien utilisés !

M. Antoine FAESCH : J’ai parlé de la contribution de 0,4 % consacrée au financement des opérations d’insertion en alternance et qui représente aujourd’hui environ 6 milliards de F. par an. Pour satisfaire les besoins il faut en gros 3 milliards de plus. D’autres que nous ont abouti á la même estimation.

M. le Rapporteur : Quelles économies jugez-vous possibles de faire ailleurs sur les 120 milliards consacrés á la formation pour récupérer ces 3 milliards supplémentaires ?

M. Antoine FAESCH : Je n’ai pas d’idées bien précises sur les économies á réaliser. Il n’y en a certainement pas á faire sur le congé individuel de formation. En toute objectivité, je ne vois guère qu’on puisse faire ailleurs d’économies significatives, même si l’on peut ici ou lá resserrer les boulons, sauf á diminuer les possibilités de formation promotionnelle. Dans les FAF gérés paritairement, il n’y a pas de gaspillage, sauf quelques cas de contre-performance, et les dépenses de gestion sont très raisonnables. Les instances paritaires sont très attentives á cela. S’agissant des ASFO, gérées par le patronat, je ne vois pas grande critique á faire même si le dispositif méritait d’être mieux contrôlé.

M. le Président : Il n’y a pas d’économie á faire il faut de l’argent en plus : il faut donc augmenter la contribution, la porter par exemple de 0,4 á 0,5 %. Est-ce ce que vous suggérez ?

M. Antoine FAESCH : Ce ne serait pas suffisant. Il faudrait 0,6 %.

M. le Président : Est-ce la position que vous défendrez dans les négociations paritaires ?

M. Antoine FAESCH : Peut-être. Le sujet n’est pas nouveau. Je connais déjá la réponse patronale : nous ne pouvons pas actuellement. On nous l’a déjá faite.

M. le Rapporteur : Peut-on alors prendre ces sommes sur les fonds publics ? Et lesquels ?

M. Antoine FAESCH : C’est á coup sûr l’opinion des patrons. Pour ma part je considère qu’il s’agit lá d’un problème de solidarité nationale. Qu’il y ait participation du budget de l’État ne me paraît pas choquant.

M. Francisque PERRUT : Qu’on nous donne 3 milliards de F. et le problème sera résolu, dites-vous. C’est un peu facile. Tout le monde en dit autant. Mais que proposez-vous concrètement ?

M. Antoine FAESCH : Les choses sont claires. Les pouvoirs publics nous demandent de faire plus. Nous répondons : cela coûtera plus. Cela étant, je suis tout á fait prêt á développer un programme. Nous avons des idées.

M. Francisque PERRUT : Lesquelles ?

M. Antoine FAESCH : La loi quinquennale prévoit un dispositif nouveau, le contrat d’insertion. Il faut en faire quelque chose. Nous avons des idées précises á ce sujet mais cela coûte. En fait, sans incitation, les entreprises ne feront rien. On ne peut pas envoyer des jeunes dans les entreprises et leur faire faire le travail d’un salarié en les payant moins que le SMIC, alors qu’il n’y a pas de formation. Si c’est la formation qu’on veut, pourquoi avoir supprimé le contrat d’orientation et le contrat d’adaptation, qui en comprenaient une ? Aujourd’hui il faut faire autre chose que de la formation pure. Mais si l’on veut que les entreprises paient les jeunes au SMIC il faut les y inciter, ou elles ne le feront pas. A la place des chefs d’entreprise, j’aurais d’ailleurs la même attitude.

M. Francisque PERRUT : J’aurais souhaité néanmoins en savoir plus.

M. le Président : Nous sortirions de l’objet de la commission qui est d’examiner l’utilisation des fonds de la formation professionnelle.

M. Germain GENGENWIN : M. Faesch est le premier á demander plus d’argent pour l’alternance. Certains responsables nous ont dit au contraire que l’on pouvait même diminuer les cotisations, les fonds n’étant pas utilisés á plein. Cela posé, ne croyez-vous pas que le système actuel d’exonération des charges sociales incite les entreprises á ne pas embaucher et crée encore plus d’exclus ? Pourriez-vous chiffrer le manque á gagner pour l’URSSAF de ces exonérations ?

M. Antoine FAESCH : Je n’ai pas les chiffres mais cela ne serait pas difficile á calculer. Récemment le gouvernement a décidé une exonération de cotisations sociales pour les chômeurs bénéficiant d’un contrat emploi solidarité. En tant que responsable de 1’ARRCO, je vois tout á fait ce que sera le manque á gagner pour les régimes de retraites complémentaires. A partir de lá il est facile de faire le calcul pour l’ensemble de la protection sociale.

Pour en revenir aux 6 milliards de F. ou plus précisément aux 5,7 milliards dont je parlais, dans les organismes á gestion paritaire et dans les ASFO, il existe des conseils de perfectionnement qui contrôlent l’utilisation de ces sommes pour l’insertion.

Je ne sache pas qu’il y ait des abus, ou qu’il y ait trop d’argent. Non, ce n’est pas vrai ! Certes, il arrive que l’on dise que telle structure de gestion possède des réserves considérables. La raison en est que nous sommes contraints de pratiquer une gestion autonome. Nous n’avons pas la possibilité de présenter des ardoises á l’Etat. Si nous prenons des engagements de formation, nous devons les provisionner ; c’est á quoi servent ces réserves, qui ne sont donc pas gaspillées. Maintenant, si l’on nous dit de changer de mode de gestion, et que l’Etat nous couvre, cela change tout. Mais pour le moment, nous ne sommes pas le Crédit Lyonnais ! Nous devons couvrir nos engagements. Non, vraiment, il n’y a pas trop d’argent !

M. Germain GENGENWIN : Pourtant, á l’ASFO Alsace, combien de millions sont partis ailleurs ?

M. Antoine FAESCH : Et où donc ?

M. Germain GENGENWIN : Dans d’autres régions...

M. Joseph KLIFA : Passer de six á neuf représente 3 % des 120 milliards de l’enveloppe globale. Ce n’est donc pas considérable. Ce qui compte, c’est de savoir comment ces 120 milliards de F. ont été utilisés. Ont-ils permis d’obtenir des résultats concrets, d’améliorer réellement la formation ? N’a-t-on pas constaté, par exemple, l’existence de stages alibi, qui ne servent pas les objectifs de formation que se sont donnés les partenaires sociaux ?

M. Jean-François JOBERTON : Ces 120 milliards de F. recouvrent des réalités très différentes : la collecte auprès des entreprises, le budget de l’AFPA, les opérations menées par l’Etat... Les origines budgétaires et les affectations de ces sommes sont très diverses. Ce qui vient des entreprises représente 40 milliards, dont la moitié est consacrée au maintien de la rémunération et á la protection sociale des salariés pendant qu’ils sont en formation...

M. le Rapporteur : Pour le législateur, c’est la même chose !

M. Joseph KLIFA : Il faut bien payer les salariés pendant leur formation !

M. le Rapporteur : Ces 120 milliards de F. ont au moins un dénominateur commun. : servir á la formation. Cette masse financière vous paraît-elle actuellement bien investie, ou y a-t-il des faiblesses ?

M. Jean-François JOBERTON : Pour mener un salarié de 30 ans au niveau d’un brevet professionnel qui lui permettra d’être plus performant dans son emploi, il faut compter un an de formation á temps plein, ce qui coûte 200.000 F. On le voit, on a vite fait de dépenser 120 milliards. De même, aujourd’hui, 25 á 30.000 personnes par an bénéficient d’un congé individuel de formation. Il en coûte 3 milliards.

M. le Rapporteur : Mais c’est très peu ! 3 milliards de F. sur 120 milliards ! Les exemples que vous nous donnez sont très marginaux. En revanche, qu’en est-il des 60 milliards de financement public ? L’effort demandé aux contribuables vous paraît-il bien employé ?

M. Jean-François JOBERTON : Ce n’est pas nous qui décidons des financements publics.

M. Antoine FAESCH : Considérons le cas de l’AFPA dont les partenaires sociaux, vous le savez, ne contrôlent pas les dépenses. Les coûts de formation de l’AFPA sont supérieurs á ceux de certains organismes privés, dont le sérieux est indiscutable. En revanche, les résultats obtenus par l’AFPA á l’issue des stages sont meilleurs. L’AFPA a donc eu longtemps une bonne image. Mais la crise économique a tout changé. Aujourd’hui, c’est vrai, les personnes qui ont reçu une formation de l’AFPA ne trouvent pas d’emploi. Mais ce n’est pas la faute de l’AFPA. Quant aux organismes de formation, les entreprises y regardent de près ; en cas de contre-performances, et il s’en produit, elles cessent tout rapport avec eux. En effet, il est de l’intérêt des entreprises que les formations soient de qualité. Au total, le système français de formation continue supporte la comparaison avec ceux de ses voisins, y compris celui de l’Allemagne, même si, lá-bas, l’apprentissage est plus développé.

M. le Rapporteur : Avez-vous entendu parler de fraudes, en particulier de faux stages ou de dépenses retournées vers leurs initiateurs ? Comment pouvez-vous, dans le cadre du paritarisme, contrôler un secteur si important alors que vous disposez de si peu de permanents ? Comment un appareil syndical relativement pauvre est-il en mesure d’y parvenir ? Le paritarisme, c’est bien, mais exercez-vous un vrai contrôle ?

M. Jean-François JOBERTON : Un incident s’est produit dans un organisme paritaire. Il s’agit du Fongecif-Centre. Une plainte a été déposée auprès du Procureur de la République, et la justice suit son cours. Si le commissaire aux comptes de cet organisme avait travaillé avec la diligence voulue, les « contre-performances » auraient été arrêtées plus tôt. Mais de façon générale, la présence de commissaires aux comptes dans ces organismes est pour nous une garantie. Encore faut-il qu’ils accomplissent leurs tâches de la manière la plus précise possible.

M. Antoine FAESCH : Il est certain que nous ne pouvons pas contrôler tous les comptes de la formation. C’est pourquoi ne devraient fonctionner, selon moi, que les fonds d’assurance formation créés par les organisations professionnelles et syndicales reconnues comme représentatives. Reste que les syndicats n’ont pas suffisamment de militants disponibles pour suivre la gestion des fonds d’assurance formation. C’est pourquoi nous avons des conseillers techniques. Ce sont des syndicalistes rémunérés par leurs syndicats, avec une subvention du fonds d’assurance formation. Ils ont pour rôle de suivre le fonctionnement du FAF. Mais même ce type de contrôle ne suffit pas. Nous avons besoin d’une gestion plus rigoureuse, comportant de véritables procédures budgétaires. En outre, la mission du commissaire aux comptes doit être mieux précisée. Sans doute faudra-t-il améliorer la loi sur ce point. Monsieur Joberton a cité un cas, évidemment très regrettable. Ce genre de choses peut arriver, mais lorsque les gestionnaires paritaires s’en aperçoivent, ils prennent des mesures de redressement rapides et vigoureuses.

M. le Président : Trouvez-vous que ce soit une bonne chose que de faire contrôler les FAF par des gens rémunérés grâce á eux ?

M. Antoine FAESCH : Ils ne sont pas directement salariés des FAF. De toute façon, croyez-moi, quand ils signalent quelque chose, la réaction ne se fait pas attendre !

M. le Président : Font-ils autre chose que contrôler ?

M. Antoine FAESCH : Oui : ils conseillent les administrateurs, qui ne sont pas forcément des experts et qui, en outre, n’exercent pas leurs fonctions á temps plein.

M. le Président : Combien cela fait-il de personnes dans chaque FAF ?

M. Antoine FAESCH : Une quinzaine au maximum pour chaque organisation syndicale. Cela dit, cela n’existe que dans les FAF importants, c’est-á-dire couvrant au moins 750.000 salariés.

M. Bernard LEROY : Quels sont les critères d’évaluation et de contrôle de ces conseillers techniques ? S’agit-il des aspects administratifs ? De la qualité des formations ? De l’adaptation de celles-ci aux besoins ?

M. Antoine FAESCH : Ils ont connaissance non seulement des rapports administratifs mais aussi des rapports financiers, et c’est en comparant le volume de l’activité et celui des dépenses qu’ils apprécient la régularité du fonctionnement. S’ils ont le moindre doute, ils interrogent le commissaire aux comptes.

M. Germain GENGENWIN : Le principe même de l’auto-contrôle nous inquiète quand même un peu. Autre question, très différente : FO a-t-elle créé en tant que telle un organisme de formation ?

M. Antoine FAESCH : Oui : le fonds d’assurance pour le développement de l’éducation permanente (FADEP), qui a son siège á la Confédération et dont sont membres les organisations FO qui emploient des salariés et doivent cotiser á ce titre, ainsi que les comités d’entreprises qui le souhaitent. C’est un fonds qui n’est pas très important, mais je puis vous garantir qu’il est très bien contrôlé, et que c’est, de tous les fonds, celui qui me crée le moins d’inquiétudes...

M. Germain GENGENWIN : Quel est son chiffre d’affaires ?

M. Jean-François JOBERTON : 1 million de F. environ.

M. Antoine FAESCH : FO, en outre, a participé á la constitution, par voie conventionnelle, de plusieurs FAF, dans lesquels sa responsabilité est donc pleinement engagée.

M. Joseph KLIFA : Considérez-vous que cela soit une bonne chose, pour un syndicat, que d’être associé á la gestion d’un fonds au lieu de s’en tenir á sa fonction première de contrôle ? Par ailleurs, partagez-vous l’idée selon laquelle la multiplication des formations de branches, conduisant á une spécialisation croissante des conseillers techniques, devrait permettre á terme une meilleure adéquation des formations aux besoins ? Etes-vous favorable, enfin, á la régionalisation croissante de la formation professionnelle ?

M. Antoine FAESCH : La gestion paritaire est une chose très importante dans notre pays. Prenons l’exemple de l’assurance-vieillesse : le tiers des ressources des salariés retraités du secteur privé leur sont apportées par des régimes complémentaires, régimes á la gestion desquels les syndicats ont tout á fait vocation á participer. S’agissant de la formation professionnelle, je rappelle que, lorsque le dispositif légal a été mis en place voici une vingtaine d’années, FO avait même proposé, sans que l’idée ait finalement été retenue, d’instituer une cotisation spécifique des salariés.

Pour ce qui est des formations de branche, je ne vois pas au nom de quoi on pourrait s’opposer á ce que, dans une branche donnée, les partenaires sociaux s’accordent pour bâtir un système d’assurance formation dans le cadre de la politique conventionnelle. J’ajoute que les militants qui participent d’une manière ou d’une autre á la gestion du système de formation professionnelle bénéficient de notre part de stages d’information. Nous disposons d’ailleurs á cet effet de subventions publiques.

Enfin, sur la question du régionalisme, je dois dire que je suis, pour ma part, plutôt jacobin...

M. le Rapporteur : Les parlementaires que nous sommes sont très frappés de constater qu’une masse d’agent considérable est laissée, pour ainsi dire, sans contrôle réel, qu’il s’agisse de financements publics ou de financement dits privés. Quelle méthode envisageriez-vous pour renforcer le contrôle des 60 milliards classés á tort sous cette dernière rubrique ? Par exemple, la formule que vous avez préconisée tout á l’heure vous paraîtrait-elle appropriée ? Etes-vous favorable, par ailleurs, au principe d’un financement public des syndicats ?

M. Antoine FAESCH : Je considère évidemment que les syndicats jouent un rôle essentiel dans la démocratie, et qu’ils ne travaillent pas seulement pour leurs adhérents, mais pour l’ensemble des salariés, et même pour l’intérêt général. Il me paraît donc tout á fait légitime qu’ils continuent de recevoir une aide publique. Si celle-ci venait á disparaître, je crois que l’on ne tarderait pas á s’apercevoir que l’on a besoin d’interlocuteurs syndicaux, sauf á prendre le risque de ne plus rien contrôler du tout...

M. le Rapporteur : Ma question portait moins sur le maintien des aides actuelles que sur l’éventuelle mise en place d’un véritable système de financement analogue á celui dont bénéficient les partis politiques.

M. Antoine FAESCH : Sans doute notre trésorier vous ferait-il une toute autre réponse que moi, mais je considère que l’effort financier représenté par les crédits d’heures et les dépenses de formation est déjá très important, et qu’il n’y a pas lieu de demander notablement plus. Si les syndicats étaient trop subventionnés, ils ne feraient plus d’efforts pour avoir des adhérents, et ne seraient donc plus en phase avec les intérêts des salariés.

M. le Président : Estimez-vous que l’administration devrait intervenir davantage dans le contrôle des fonds de la formation professionnelle ?

M. Antoine FAESCH : Oui. Tout contrôle est en soi une bonne chose, surtout lorsqu’il s’agit d’argent public, mais pas seulement. Dans d’autres structures á gestion paritaire, certains détournements - certains scandales, pour appeler les choses par leur nom -, ont conduit á mettre en place des systèmes de contrôle interne qui ne constituent évidemment pas une garantie absolue, mais qui permettent tout de même de déceler très rapidement les irrégularités. On devrait faire la même chose pour la formation professionnelle.

J’ajoute qu’il est des cas où la collecte est exclusivement contrôlée par le patronat et où les syndicats n’ont aucun moyen de contrôle. Il faudra que les choses évoluent sur ce point.

M. le Président : Que pensez-vous des avantages et des inconvénients de la double casquette des ASFO, qui sont á la fois collecteurs et dispensateurs de formation ?

M. Antoine FAESCH : Il faudra qu’á l’avenir les choses changent. Il peut y avoir des ASFO collecteurs et des ASFO dispensateurs de formation, mais il ne faut pas que les deux fonctions soient réunies dans un même organisme.

M. le Président : Que convient-il de faire pour assainir le marché des organismes dispensateurs de formation ?

M. Antoine FAESCH : Il y a des choses á parfaire dans le cadre du dispositif conventionnel. Si cela ne suffit pas, l’Etat peut toujours apporter des corrections.

J’ai connu un temps où, dès qu’il s’agissait de modifier un tant soit peu le dispositif de la formation continue, le gouvernement invitait les syndicats á le faire. Ceux-ci négociaient dans le sens souhaité par les pouvoirs publics ; le ministre du Travail ou le ministre de la Formation professionnelle suivait les négociations et l’on s’en remettait á nous pour arranger les choses. Tout se passait bien ! Ce n’est qu’avec la dernière loi quinquennale que le ministre du Travail a pensé qu’il fallait procéder autrement. J’aime bien M. Giraud, mais je pense qu’il n’a pas été bien conseillé !

M. le Président : Pensez-vous que la voie que vous préconisez puisse suffire pour assainir le marché des dispensateurs de formation ?

M. Antoine FAESCH : Il s’agit d’organismes privés. Il appartient aux partenaires sociaux de mettre de l’ordre dans ces affaires.

M. le Rapporteur : Je ne vois pas bien comment ! Faut-il décerner un label, un agrément ?

M. Antoine FAESCH : Un agrément de la commission paritaire.

M. le Rapporteur : Vous préférez cela á un agrément par décret ?

M. Antoine FAESCH : Je veux bien tout ce qu’on voudra ! Mais ce qui vient d’être décidé á propos de l’apprentissage ne va pas dans le sens d’un meilleur contrôle et ne m’inspire guère confiance.

M. le Rapporteur : Ne peut-on imaginer, pour mettre de l’ordre dans un marché qui est véritablement anarchique, d’instituer un agrément ?

M. Antoine FAESCH : Je ne suis pas contre ! Tout ce qui va dans le sens d’une garantie de la qualité est bon. Au demeurant, nous refusons déjá que des formations soient dispensées par certains organismes dont nous savons qu’ils ne sont pas sérieux. On peut en effet créer très facilement des organismes de formation.

M. le Président : Par simple déclaration !

M. Antoine FAESCH : Si vous voulez un contrôle plus rigoureux, nous ne vous dirons jamais non !

M. le Président : Comment, dans ces conditions, expliquez-vous les difficultés auxquelles s’est heurté M. Laignel lorsqu’il a voulu mettre de l’ordre dans ces organismes ? On sait qui lui a mis des bâtons dans les roues !

M. Antoine FAESCH : S’il avait pris les choses autrement, cela aurait marché !

M. le Président : Comme M. Giraud !

M. Antoine FAESCH : Il y a parfois dans les cabinets ministériels des conseillers qui sont de véritables fléaux ! J’ai dit á M. Giraud qu’il y avait 30 ans que n’était pas sorti un aussi mauvais projet ; il aurait bien fait de nous écouter ! Mais si l’on accepte de faire á nouveau confiance aux partenaires sociaux, le 5 avril, on aura la solution !

M. le Président : Je vous remercie.




Audition de MM. Jean LECOINTRE et Yves ROBIN,

respectivement,
Président de la Commission de la formation de
l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie et
Directeur de la Formation

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 mars 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Jean Lecointre et Yves Robin sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Jean Lecointre et Yves Robin prêtent serment.

M. le Président : Pouvez-vous nous décrire la place occupée par les chambres de commerce et d’industrie dans la formation professionnelle et nous dire quels sont, selon elles, les besoins á satisfaire ?

M. Jean LECOINTRE : La loi de 1898 fait figurer parmi les missions des chambres de commerce et d’industrie celle de répondre aux problèmes de formation des entreprises, qu’il s’agisse de la formation initiale ou de la formation continue.

D’une part, nous dispensons dans quelque 500 établissements, des formations initiales allant du niveau du CAP á celui de Bac+5 et des grandes écoles. Environ 4.000 jeunes diplômés sortent chaque année de ces établissements et presque tous trouvent très vite un emploi.

D’autre part, en ce qui concerne la formation continue, c’est une mission dont nous nous acquittons depuis beaucoup moins longtemps, c’est-á-dire depuis la loi de 1971. Nous accueillons ainsi 350.000 adultes en vue d’une formation de quelques jours á quelques semaines.

Toutes ces formations ont l’avantage d’être définies en fonction des besoins exprimés par les entreprises et, le plus souvent, elles sont dispensées en concertation avec elles La plupart de nos professeurs dispensent des enseignements á la fois dans le cadre de la formation initiale et de la formation continue, de telle sorte qu’eux-mêmes sont obligés de suivre une formation continue.

Les moyens financiers nous sont fournis par la taxe d’apprentissage que nous collectons. Mais pour la formation continue, nous ne collectons qu’une partie de la taxe dont le reste est collecté par des organismes agréés ; nous intervenons comme sous-traitants de la formation et quelquefois comme sous-traitant de la collecte. C’est ainsi que l’IFERP, qui est un grand organisme collecteur de la région parisienne, a confié une part de la collecte á la chambre de commerce parce que ses frais de gestion sont inférieurs á 1,5 %, c’est-á-dire sensiblement moindres que ceux des ASFO. Les chambres de commerce sont soumises á un contrôle et sont parfaitement organisées pour assurer la collecte au moindre coût.

M. le Président : Que pensez-vous du principe de la taxe d’apprentissage, de son utilisation et de sa collecte ?

M. Jean LECOINTRE : Le terme de taxe d’apprentissage est d’ailleurs impropre puisque cette taxe concerne également la formation professionnelle dans différents autres domaines. Actuellement, les chambres de commerce en assurent la collecte dans les meilleures conditions puisqu’elles disposent de fichiers des entreprises. Ainsi, la chambre de commerce de Paris collecte la taxe auprès de 70.000 entreprises pour la reverser á plus de 6.000 établissements d’enseignement, le tout gratuitement.

Le quota qui est la part réservée aux CFA ne représente que 20 % de la taxe d’apprentissage, c’est-á-dire 0,10 % sur les 0,50 %. C’est peu mais, avec cela, les établissements consulaires répondent bien aux besoins. Evidemment si l’on veut multiplier par deux l’apprentissage, il faudra des moyens financiers complémentaires.

M. Yves ROBIN : En 1991 la taxe d’apprentissage collectée par les chambres de commerce s’est élevée á 2,38 milliards de F. Sur ce montant 1,817 milliard de F. ont été reversés á des établissements extérieurs, les chambres de commerce conservant 563 millions pour leurs propres établissements consulaires puisque, outre la collecte, elles remplissent aussi une fonction de formation.

M. le Président : Quelle est la part affectée á la formation professionnelle dans la contribution versée aux chambres de commerce et d’industrie ?

M. Yves ROBIN : Rappelons qu’il s’agit d’un mécanisme d’exonération. Les entreprises peuvent s’exonérer du paiement d’une partie de la taxe d’apprentissage dans la mesure où l’imposition additionnelle á la taxe professionnelle qu’elles versent aux chambres de commerce et d’industrie est affectée en partie á la formation initiale. En 1991 il s’agissait de 565 millions de F.

M. Jean LECOINTRE : Il y a lá un problème majeur pour le développement de l’apprentissage á l’avenir. En effet, plus on développe l’apprentissage, plus il y a d’exonération de cotisations et moins il rentre d’argent. En effet, actuellement, dès lors qu’une entreprise de 50 personnes recrute un apprenti supplémentaire, elle n’a plus á payer de taxe d’apprentissage.

M. le Président : Rappelons que l’article 71 de la loi quinquennale vise á fusionner la taxe d’apprentissage et la contribution au financement des contrats d’insertion en alternance. En outre, dans le cadre de la dernière loi de finances, a été adopté, après rectification du gouvernement, un amendement permettant aux branches professionnelles ayant adopté des plans de développement de l’apprentissage d’utiliser pour leur financement jusqu’á 30 % - et non plus 25 % - des fonds déposés par les entreprises au titre de la formation en alternance. Lors du débat on a suggéré que c’était peut-être le moment de supprimer le FNIC.

M. Jean LECOINTRE : Nous avons demandé sa suppression dans un document adressé au ministère du travail.

M. le Président : Ce n’est pas ce qu’a dit M. Rapeaud au Premier ministre.

M. Jean LECOINTRE : Ce que nous avons suggéré c’est que toutes les exonérations soient supprimées dès lors qu’il y aurait d’autres systèmes de financement. Elles sont, en effet, compliquées et ont des effets pervers.

M. Yves ROBIN : Permettez-moi de préciser ce qu’a voulu dire le Président Rapeaud lors du forum national de l’apprentissage. Le FNIC est une structure interconsulaire qui sert á transférer une partie de la taxe professionnelle, des entreprises de plus de 10 salariés vers des entreprises de moins de 10 salariés, sous forme d’aides. Faut-il supprimer le FNIC ? D’abord faut-il maintenir l’aide forfaitaire applicable aux commerçants et artisans qui embauchent un apprenti ? On rejoint lá le problème général des exonérations. Nous sommes prêts á une remise á plat de la taxe d’apprentissage et á la suppression de ces exonérations. Ce que M. Rapeaud a voulu dire, c’est que la structure interconsulaire qui fonctionne bien pourrait être utilisée, comme l’a d’ailleurs proposé M. Chamard, pour gérer les aides, une fois supprimées les exonérations. Il faudra alors un autre système d’aides généralisé, par exemple de 20.000 ou 25.000 F. pour l’embauche d’un apprenti quelle que soit la taille de l’entreprise.

M. Jean LECOINTRE : De toute façon le FNIC, sous sa forme actuelle, connaîtra de gros problèmes á très court terme. En effet, M. Bérégovoy a décidé le triplement des allocations qu’il délivre. Pour ce faire nous avons utilisé les réserves en 1993. Pour cette année nous n’en avons plus.

M. Germain GENGENWIN : Nous l’avons fait observer lors du débat. L’apprentissage va coûter de plus en plus aux régions car elles veulent élever le niveau de formation avec, par exemple, un CAP á 450 heures et un BTS á 800 heures. Comment les chambres de commerce et d’industrie peuvent-elles participer á cet effort de formation des régions ?

M. Jean LECOINTRE : Effectivement les régions consentent une aide substantielle. Ce qu’il faut, c’est simplifier les systèmes d’exonération et d’aide, au profit d’un fonds unique de développement de l’apprentissage. Il faudrait que soit reversée aux CFA la partie de la taxe d’apprentissage versée au trésor public. M. Bérégovoy avait promis qu’elle reviendrait au FNIC mais cela n’a pas été fait. Il faudrait aussi pouvoir reverser une partie des fonds de la formation continue á l’apprentissage dès lors que contrat de qualification et contrat d’apprentissage auraient les mêmes bases juridiques et financières. Actuellement les fonds de la formation continue sont quatre fois supérieurs á ceux de l’apprentissage. Il y a donc une possibilité de tranferts. Il appartient aux partenaires sociaux de se manifester.

M. Yves ROBIN : Les ressources financières des CFA proviennent des concours pesant sur les redevables de la taxe d’apprentissage, des subventions recueillies par les organismes gestionnaires sur la base du nombre réel d’apprentis et des coûts forfaitaires et aussi d’une partie de la taxe additionnelle á la taxe professionnelle perçue sur les chambres de commerce et d’industrie et affectée aux premières formations technologiques et professionnelles.

M. Jean LECOINTRE : La contribution des chambres de commerce et d’industrie a été importante ces dernières années et les effectifs qu’elles ont formés ont beaucoup augmenté.

M. Yves ROBIN : Nous espérons que la rénovation de l’apprentissage permettra d’atteindre un objectif de 400.000 apprentis. Dans la mesure où les classes d’âge correspondent á un nombre de 700.000 á 750.000 jeunes, il y aura un phénomène de transfert des élèves de l’enseignement général et technologique vers les formations en alternance. Il serait donc logique de réformer la taxe d’apprentissage et de procéder á un transfert des fonds consacrés á l’alternance vers l’apprentissage comme cela a été suggéré lors des travaux préparatoires de la loi de Finances. De même, seraient souhaitables des transferts en provenance du budget de l’Education nationale.

M. Germain GENGENWIN : J’ai plutôt peur que ce ne soit l’inverse et que l’on ouvre finalement des sections de CFA dans les lycées.

M. Yves ROBIN : Certains représentants de l’Éducation nationale nous l’ont laissé entendre. Or on ne peut pas financer la formation de 100.000 nouveaux apprentis sur une masse financière en diminution au fur et á mesure de l’augmentation du nombre d’apprentis.

M. le Président : Nous y reviendrons á propos de la simplification des filières de formation. Je suis, pour ma part, opposé á l’installation d’une filière unique. Il faudrait plutôt rendre complémentaires plusieurs types de filières, l’apprentissage devant être considéré comme une filière modèle. Se poseront ensuite les problèmes de structures d’accueil. Il y a bien actuellement une dualité entre les établissements dispensant des formation en alternance. Or, il faudrait un statut unique des établissements d’enseignement.

M. Yves ROBIN : L’article 57 de la loi quinquennale concerne l’ouverture des sections d’apprentissage dans les établissements de l’Éducation nationale. Une première, puis une seconde version d’un projet de décret nous ont été transmises par le ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Elles ne semblent pas envisager l’établissement de conventions entre les CFA et les sections ouvertes dans les établissements de l’Éducation nationale. C’est pourtant la solution de bon sens. Ainsi lorsque je dirigeais une chambre de commerce, j’ai mis en œuvre ces formations dans le cadre d’un partenariat avec un lycée professionnel.

M. Jean LECOINTRE : Nous ne sommes pas non plus favorables á la filière unique, mais á une harmonisation des filières. Nous souhaitons que la formation se fasse dans des établissements bien définis - les instituts de formation alternée - accueillant les apprentis sous contrat d’apprentissage et sous contrat de qualification, c’est-á-dire avec une filière qualifiante et une filière diplômante.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Certains organismes assurent á la fois un rôle de collecte, de répartition et de prestation de services. De façon générale quels sont selon-vous les aspects négatifs d’une telle situation ?

M. Jean LECOINTRE : L’expérience des chambres de commerce montre qu’il n’est pas impossible de concilier ces divers rôles. Ce qu’il faut éviter, c’est la constitution de monopoles. Si une branche professionnelle oblige les entreprises á passer par un organisme précis, c’est une mauvaise chose. Nous sommes favorables á la liberté de choix des entreprises. A partir du moment où l’entreprise peut choisir, rien n’empêche que l’organisme collecteur soit aussi prestataire de service. C’est le cas des chambres de commerce.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Avez-vous connaissance de dérives dans le domaine de la formation continue ?

M. Jean LECOINTRE : Cela se produit quand les entreprises sont obligées de passer par un partenaire unique. Il s’ensuit, en particulier, des coûts de collecte trop élevés. Ainsi l’année dernière, lorsqu’il s’est agi de collecter les 0,15 % auprès des travailleurs indépendants et professions libérales, ce qui représente de faibles sommes, á peu près 250 F. par entreprise, 67 organismes agréés se sont présentés. Face á cet engorgement, on a fini par demander á l’URSSAF de procéder á la collecte. Celle-ci a demandé 10 % de frais. Il a fallu ensuite créer un organisme pour s’occuper de la gestion et de la répartition des fonds : lá encore, 5 % de frais, auxquels se sont ajoutés 5 % pour la communication. Ainsi, au total, 20 % de la collecte ont été absorbés en frais divers. Je trouve cela scandaleux. L’organisme en question s’appelle l’AGEFICE. Or, les chambres de commerce avaient proposé de réaliser la collecte gratuitement.

M. Jean-Paul ANCIAUX : De quels moyens disposez-vous pour mesurer les résultats de la formation continue ?

M. Jean LECOINTRE : S’agissant des formations diplômantes, il n’y a aucune difficulté. Par exemple, il existe un institut de formation de la vente, dont nous suivons les jeunes gens qui en sont sortis. Les autres formations sont demandées par les entreprises, qui sont le mieux placées pour en apprécier les résultats.

M. Yves ROBIN : Le budget de la plupart des formations continues est en équilibre, car lá le service rendu est payé á son prix.

M. Jean LECOINTRE : Dans ce domaine, c’est en effet le marché qui est le meilleur régulateur.

M. Yves ROBIN : Cependant, nous tâchons d’anticiper sur les besoins en formation des entreprises et des territoires. En effet, quelle que soit sa qualité, la formation doit être suivie aussi loin que possible depuis l’amont jusqu’á l’aval, y compris jusqu’á l’emploi lui-même.

M. Germain GENGENWIN : Vous qui avez une grande expérience en matière de formation, comment expliquez-vous que, alors que depuis des années la participation au financement de la formation professionnelle ne cesse d’augmenter, et que l’on consacre á cette dernière 120 milliards de F. selon les données de 1992, les résultats soient de plus en plus mauvais ? Comment pourrait-on faire mieux ?

M. Jean LECOINTRE : L’évolution technologique a beaucoup accru les besoins de formation. Dans l’automobile, qui est ma profession, il y avait, voilá 40 ans, des mécaniciens dans les garages ; puis sont venus des électriciens, et aujourd’hui des électroniciens. En 1950, un véhicule restait á l’atelier en moyenne sept heures pour une réparation ; aujourd’hui, il reste une heure un quart. De plus, la formation est d’un niveau de plus en plus élevé, et coûte de ce fait de plus en plus cher. Le prix n’est pas le même, en effet, pour former un mécanicien ou un électronicien. En outre beaucoup de jeunes sortent mal formés de l’enseignement général, ce qui les conduit á passer des contrats de qualification. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les dépenses de formation continue aient augmenté.

De plus, nous avons besoin d’un enseignement flexible, et donc coûteux. A la Chambre de commerce de Paris, nous préparons 4.000 jeunes á 20 métiers á travers 100 filières. Or, 50 % de ces filières n’existaient pas il y a dix ans, et un tiers il y a cinq ans. 11 est donc nécessaire de s’adapter sans cesse.

M. Jean-Paul ANCIAUX : La formation s’adresse soit aux jeunes, pour les qualifier, soit aux salariés, pour les faire évoluer, soit aux chômeurs, pour les reconvertir. Dans l’effort de formation sont associés les entreprises, l’Etat et les collectivités locales. A votre avis, sur quoi doivent porter les améliorations, et qui doit en prendre la responsabilité ?

M. Jean LECOINTRE : Commençons par la reconversion. Elle n’a de sens que si les métiers auxquels on reconvertit les chômeurs existent réellement. Reconvertir des jeunes femmes en dactylos est inutile, puisque ce métier a disparu. En revanche, á Paris, nous avons reconverti une cinquantaine de jeunes femmes travaillant précédemment dans les assurances pour devenir assistantes de petits patrons de PME. Cette reconversion, qui comporte un aspect psychologique important, est une réussite. De la même façon, l’une de nos écoles parisiennes se consacre, á la demande de l’Armée, á la reconversion des capitaines d’infanterie en surnombre. Voilá quinze ans, on faisait d’eux des chefs du personnel. Aujourd’hui, ils deviennent des négociateurs, des commerciaux, parce que des besoins existent dans ce secteur.

Les actions de qualification sont beaucoup plus difficiles, car elles portent sur des jeunes largement dépourvus de formation professionnelle. Le contrat de qualification ne suffit pas. Il y faut un travail de plus longue haleine.

M. Yves ROBIN : S’agissant des partenaires de la formation, nous souhaitons travailler le plus possible avec les entreprises, notamment pour développer l’activité de tutorat.

M. le Président : Que pensez-vous des dispositions de l’article 74 de la loi quinquennale relatives á la signature de conventions entre organismes collecteurs et chambres consulaires pour collecter les contributions des employeurs ?

M. Jean LECOINTRE : Nous menons actuellement une concertation avec le ministère du travail au sujet du décret d’application de cet article, dans lequel nous avons du mal á reconnaître la loi elle-même. Pour le moment, la voix des chambres consulaires a des difficultés á se faire entendre. Je ne fais pas de procès d’intention, mais force est de reconnaître que le projet de décret, pour l’heure, est très loin de nous satisfaire.

M. le Président : La vocation des chambres consulaires est-elle vraiment de devenir des organismes collecteurs tous azimuts ?

M. Jean LECOINTRE : Ce n’est pas le cas : nous ne faisons qu’apporter notre assistance aux entreprises, notamment petites et moyennes. La collecte de fonds n’intervient que dans le cadre d’une convention de formation.

M. Yves ROBIN : Pour être précis, notre inquiétude porte sur l’interprétation de la deuxième phrase du cinquième alinéa de l’article 74, laquelle dispose que les chambres consulaires « peuvent percevoir des fonds pour la formation professionnelle par le biais de conventions de formation ». Il ressortait des débats au Parlement que cela serait possible avec toutes les entreprises. Aussi pensions-nous, dans notre naïveté, que le régime serait le même pour les entreprises de 10 salariés et plus et pour celles de moins de 10 salariés. Or, il semble que, dans l’état actuel du texte, les participations versées par ces dernières ne soient pas libératoires de la cotisation de 0,15 %, ce qui est tout de même aberrant !

M. le Président : Si vous aviez un conseil et un seul á nous donner pour une utilisation plus rationnelle des fonds affectés á la formation professionnelle, quel serait-il ?

M. Jean LECOINTRE : Avant tout, de simplifier les structures, notre préférence allant á des organismes régionaux interconsulaires, ayant pour interlocuteurs les conseils régionaux eux-mêmes.

M. le Président : Et le dialogue entre partenaires sociaux ?

M. Jean LECOINTRE : Il y a des régions, comme l’Ile-de-France, où il fonctionne déjá de façon tout á fait satisfaisante. Pourquoi n’en irait-il pas de même dans toutes les régions ? Il suffit de le vouloir. Je souligne, s’agissant des frais de gestion dont la dérive est si fréquemment dénoncée, qu’ils sont inférieurs á 1,5 % pour la formation continue qui relève de nous, et que leur coût est même nul pour ce qui est de l’apprentissage.

M. le Président : Je vous remercie.




Audition de M. Jean-François de ZITTER

Directeur général de l’Institut français de gestion

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 avril 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

M. Jean-François de Zitter est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Jean-François de Zitter prête serment.

M. le Président : Monsieur de Zitter, vous n’avez pas toujours travaillé dans la formation professionnelle. Peut-on vous demander la raison de ce choix ?

M. Jean-François de ZITTER : Il résulte de l’évolution de ma carrière qui ne s’est pas déroulée, á proprement parler, dans le monde de la formation. Je n’y étais cependant pas tout á fait étranger puisque j’ai fait partie du premier Conseil de l’université Paris-Dauphine et que j’ai enseigné pendant vingt cinq ans dans des organismes associatifs, á savoir les écoles de développement social créées par M. Buron, ancien ministre du général de Gaulle. Après avoir travaillé quinze ans dans le secteur pétrolier, il m’a été demandé de diriger l’Institut français de gestion justement parce que je n’étais pas partie prenante dans la formation, tout en la connaissant. J’occupe donc ce poste depuis le mois de février 1989.

M. le Président : Le fait que des gens comme vous fassent ce choix prouve combien importante est devenue la formation professionnelle dans la vie de l’entreprise. Cependant, sur les 40.500 organismes existants, 26.500 seulement déclarent des recettes. Comment expliquez-vous ce décalage ?

M. Jean-François de ZITTER : Permettez-moi de rappeler que depuis trois ans, j’ai pris une part active dans la structuration de cette profession. Nous avons récemment créé une fédération de la formation professionnelle où se retrouvent les trois syndicats primaires prééxistants. J’ai été un des membres fondateurs de cette fédération et j’en suis actuellement le vice-président et le trésorier. J’ai donc une vision beaucoup plus globale que celle du simple directeur de l’Institut français de gestion.

Pour répondre á votre question, il existe un grand nombre d’organismes de formation dont l’existence ne signifie pas grand-chose. Rien n’est plus facile á obtenir qu’un numéro de formateur, qui permet de bénéficier de la déductibilité fiscale. Cela peut aller jusqu’á la séance de yoga pour cadres stressés, organisée par un professeur d’éducation physique ou par un masseur kinésithérapeute.

La fédération, pour sa part, par le bureau de laquelle j’ai été autorisé á m’exprimer en son nom, regroupe 300 organismes, qui représentent 5 milliards de chiffre d’araires, et 50 % de l’offre privée, hors les ASFO et les organismes intermédiaires. Elle emploie 15.000 salariés et forme 1 million de personnes. On se trouve, en réalité, devant un marché immense qu’il n’est pas aisé de contrôler.

Il est vrai que du pétrole á la formation continue, j’ai vécu plusieurs chocs et la découverte des pratiques que vous évoquez en fait partie. Celles-ci donnent parfois une mauvaise image de la profession, mais il n’empêche que les formateurs, dans l’ensemble, font un travail remarquable.

M. le Président : Vous constatez cependant que cette situation entraîne des abus. N’y a-t-il donc aucun contrôle ?

M. Jean-François de ZITTER : Pour ma part, je pense qu’il faut prendre le problème autrement, car cette profession est incontrôlable et le restera. Mieux vaut laisser le marché se réguler lui-même, puisqu’il s’adresse á des personnes adultes, le rôle du législateur devant se limiter á veiller á ce que les fonds publics soient correctement utilisés. On n’a pas les moyens matériels et humains de tout règlementer et, notamment, de contrôler le bien-fondé et le suivi d’un numéro de formateur.

Il faut savoir aussi qu’en dehors des organismes les plus importants, la plupart des autres ignorent en toute bonne foi les contraintes de la loi. Souvenons-nous qu’en vingt ans, il y a eu sept lois et quinze accords interprofessionnels, sans compter les décrets d’application. Ma conviction est qu’il faut renoncer á réglementer, sauf quand il s’agit de l’argent de l’Etat destiné aux actions prioritaires que ce dernier s’est choisi.

M. le Président : Ne faut-il pas craindre alors que, sans un minimum de régulation, l’argent destiné á la formation ne soit utilisé á d’autres fins ? Les entreprises de formation sont les seuls organismes d’enseignement qui ne soient pas habilités. M. André Laignel, quand il était ministre, a essayé de mettre en place une labellisation de ces organismes. Qu’avez-vous pensé de cette initiative ?

M. Jean-François de ZITTER : Beaucoup de bien. La labellisation, en effet, aurait été une bonne solution, mais elle posait, comme beaucoup d’autres mesures, un problème de faisabilité. Actuellement, c’est sans doute le champ d’application de la loi qui doit être revu.

En tant que directeur général de l’IFG, je me sens égoïstement peu concerné, car notre institut dispense une formation qualifiante pour les cadres. C’est donc la qualification elle-même qui est notre label, et, somme toute, notre sanction.

S’agissant des grands groupes et si l’on considère les fonds investis par eux dans la formation, la sanction immédiate est celle du marché. Je puis vous assurer que des sociétés comme Renault ou l’UAP restent très vigilants dans ce domaine et qu’ils éliminent très vite les organismes dont les prestations ne les satisfont pas.

La loi devrait, d’une part, protéger les fonds publics destinés aux dispositifs de formation pour les demandeurs d’emploi ou pour les jeunes et, d’autre part, aider les petites entreprises á se fédérer pour utiliser leurs fonds de formation. Elle ne peut le faire qu’en réduisant son champ d’application á des types de formation bien définis.

M. le Président : Quelle est votre définition de l’argent public et de l’argent privé ?

M. Jean-François de ZITTER : La distinction est claire pour moi : les fonds privés sont ceux qui sont dépensés, y compris dans le cadre de la loi, par les entreprises pour former leur personnel, et les fonds publics sont ceux que l’Etat consacre aux dispositifs prévus pour les demandeurs d’emploi et aussi pour les jeunes. Il est vrai que la loi rend obligatoire la participation des entreprises á la formation et l’on objecte souvent que les sommes investies de ce fait ne sont plus privées, mais relèvent du contrôle de l’Etat.

M. le Président : C’est la raison pour laquelle l’on compare souvent ces sommes á un impôt qui se trouve géré par les partenaires sociaux.

Pouvez-vous nous préciser, Monsieur de Zitter, quelles sont les types de formation dispensés par votre organisme, dans le cadre de conventions avec l’Etat, les entreprises et les organismes collecteurs ?

M. Jean-François de ZITTER : En ce qui concerne l’Institut français de gestion, il opère dans quatre secteurs. Le plus important est la formation qualifiante continue pour les cadres, qui dure de vingt á quarante jours et qui donne lieu á un certificat de fin d’études, homologué par l’Etat. Nous avons dix directions régionales qui assurent également cette formation, et je puis vous assurer que la qualité de l’enseignement est la même á Rodez qu’á Paris.

Nous intervenons également dans le secteur de la formation aux langues étrangères où nous sommes un des trois plus importants opérateurs français. Nous avons 135 professeurs, rien qu’á Paris, et nos programmes de formation portent sur 16 langues. Je dois vous préciser que ce marché est celui qui est le plus en difficulté actuellement, car on assiste á un phénomène de « dumping » social qui risque d’entraîner bientôt un grand nombre de dépôts de bilan.

La formation des jeunes est notre troisième secteur d’intervention. Nous les recrutons á Bac + 2 et nous les menons á Bac + 5, au sein de l’Institut de formation aux affaires et á la gestion (IFAG). Nous pratiquons depuis longtemps le principe de l’alternance puisque ces jeunes passent leur dernière année dans des entreprises, ce qui nous a permis de donner des emplois á 95 % de notre promotion de l’an dernier.

Enfin, notre champ d’activité est international et nous sommes, notamment, bien implantés dans les pays de l’Est, puisque nous avons formé 2.600 dirigeants de l’ex-empire soviétique et, grâce á la coopération de France-Pologne et du ministère des Affaires étrangères, 3.000 dirigeants á Varsovie. Nous intervenons aussi au Portugal et en Espagne ; un programme est en cours pour le Maroc et Chypre et nous l’espérons, pour le Liban.

Nous travaillons essentiellement á partir de contrats privés passés avec des entreprises et, pour 10 % de nos financements, á partir de contrats publics, notamment avec les conseils régionaux.

M. le Président : Pouvez-vous nous dire qui prend en charge la rémunération et l’accueil des stagiaires ?

M. Jean-François de ZITTER : Quand il s’agit d’un stagiaire qui travaille en entreprise, son stage est pris en charge par celle-ci, mais il lui est demandé, de plus en plus souvent, d’y participer, soit financièrement, soit en renonçant á des jours de congés, quand il s’agit d’une formation qualifiante longue. Quant aux demandeurs d’emploi, les frais du stage sont compris dans le système d’indemnisation.

M. le Président : Il existe une catégorie d’organismes dits « collecteurs », parmi lesquels les organismes mutualisateurs. Comment s’établissent les contrats qui sont conclus entre ces derniers, notamment les FAF, les OPACIF ou les OMA, et les organismes de formation ?

M. Jean-François de ZITTER : C’est un vaste débat ; nous sommes obligés de nous tourner vers les organismes collecteurs pour toucher l’argent des entreprises, ce qui augmente sensiblement nos délais de paiement, de l’ordre de 60 á 90 jours. Il arrive aussi que certains d’entre eux recommandent telle ou telle agence de formation, avec laquelle ils ont passé des accords, au mieux de leurs intérêts financiers, quand ils ne dispensent pas eux-mêmes la formation, faisant ainsi concurrence aux vrais professionnels de la formation.

Il y a donc, en bout de circuit, les véritables professionnels de la formation, qui sont les seuls á avoir une valeur ajoutée, puisqu’ils créent des emplois et dispensent l’enseignement, et entre les demandeurs de formation et eux, une structure intermédiaire légale, strictement financière, dont ils dépendent. Je tiens á rappeler ici que la profession de la formation ne comprend pas d’organismes puissants. Sur nos trois cents adhérents, nous comptons environ trois-quarts de PME et un quart d’associations nées du paritarisme.

On constate, heureusement, qu’un certain nombre de ces opérateurs, qui ne sont que des intermédiaires, évoluent vers des pratiques plus raisonnables. Je citerai parmi eux, pour exemple, l’AGEFOS PME Ile de France qui vient de conclure avec notre profession des accords très corrects sur le financement de la formation.

M. le Président : Vous avez évoqué les activités des ASFO, qui ont la double casquette de collecteur et de formateur. Pensez-vous qu’il vaudrait mieux qu’elles ne l’aient pas ?

M. Jean-François de ZITTER : Je pense que cela n’irait pas plus mal, en tout cas. Force nous est de constater que partout où l’on en trouve, les intermédiaires pèsent lourdement sur le marché, car ils jouent de leur position pour asseoir leur pouvoir. C’est une loi économique.

M. le Président : Quand vous nous dites que le propre des opérateurs de la formation est d’apporter une valeur ajoutée, voulez-vous sous-entendre que les organismes collecteurs n’en apportent aucune ?

M. Jean-François de ZITTER : Je me garderai de généraliser. Tout dépend de la taille des entreprises. S’agissant de grands groupes comme EDF, PSA ou IBM, on voit mal la valeur ajoutée que peuvent apporter les organismes collecteurs. En revanche, les PME n’ont souvent pas les moyens de gérer leurs efforts de formation. Il est donc normal qu’ils aient recours á des organismes mutualistes qui les conseillent. C’est le cas des AGEFOS PME qui ont très bien su assumer leurs responsabilités. En revanche, les organismes collecteurs ne prennent aucun risque financier et, quand une entreprise, qui a confié ses fonds á l’ASFO, ne peut plus payer sa formation, c’est nous qui devons prendre en charge la procédure.

M. le Président : Dans un autre domaine, jugez-vous que le marché de la sous-traitance fonctionne bien ? Et pouvez-vous nous dire si vous réussissez á contrôler la formation donnée par cette sous-traitance ?

M. Jean-François de ZITTER : Il s’agit lá d’un marché trop vaste, difficile á cerner et que je connais mal. Tout dépend de ce qu’on appelle sous-traitance.

En ce qui concerne l’lFG, nous assurons 1 million 700.000 heures par an de formation. L’enseignement des langues est dispensé par des professeurs salariés. Pour la formation continue des cadres, nous faisons appel, en plus des 80 permanents, á des intervenants divers, environ 600, avec lesquels nous signons un contrat nominatif.

Si c’est ce que vous entendez, Monsieur le Président, par sous-traitance, pour notre part, nos rapports avec les intervenants sont clairs : ceux-ci sont évalués par les stagiaires á l’issue de chaque session et si l’un d’entre eux ne donne pas satisfaction, nous proposons á nouveau le même service avec un autre intervenant.

Je me permets d’appeler l’attention de la Commission sur le fait que la profession avait signé une convention collective qui a force de loi, visant á protéger les salariés les moins favorisés, notamment les moniteurs techniques et les professeurs de langues. Nous avons même négocié avec les syndicats la rémunération des professeurs. Cette convention, hélas !, n’est pas appliquée, dans la plupart des cas et malgré nos efforts, moyennant quoi nous sommes confrontés á un véritable « dumping social » de la part d’opérateurs qui ne respectent pas la convention collective.

Pardonnez-moi, Monsieur le Président, cette incidente, qui a pour objet de bien montrer combien difficile est le contrôle dans le domaine de la formation continue.

Ce qui me semble important á retenir c’est que, lorsque nous sommes entre groupes de taille significative dans la négociation, le contrôle se fait automatiquement par les stagiaires. Je vous invite á venir discuter avec des cadres qui participent á nos cycles de formation. Je vous assure qu’ils n’acceptent aucun dysfonctionnement et que la sanction tombe d’elle-même.

Quant au chapitre de l’agrément, je ne vois pas sur quelles bases ni á partir de quelle procédure, on pourrait l’accorder aux 23.000 organismes qui la demandent, étant donné leurs diversités, á tous égards.

M. le Président : Ne croyez-vous pas que le chiffre d’affaires pourrait être le critère de cet agrément, les organismes qui n’en font pas étant éliminés.

M. Jean-François de ZITTER : C’est en effet la procédure dont nous avons décidé pour nos prochains adhérents. Mais quand on sait que nous sommes trois cents á faire 5 milliards de F. de chiffre d’affaires, il ne reste pas beaucoup de place pour les autres. A titre d’exemple, allez-vous donner un agrément aux grands médias qui le solliciteront uniquement pour organiser une ou deux journées d’information ?

M. le Président : Quand vous remettez un bilan pédagogique, pouvez-vous nous dire ce qu’il comprend ?

M Jean-François de ZITTER : Ce bilan comprend essentiellement le nombre d’heures de formation. Il est plus détaillé quand il s’agit de sommes consenties par l’Etat pour la formation des demandeurs d’emploi.

M. Francisque PERRUT : J’aurais souhaité savoir, quand on est en présence d’un organisme collecteur et d’un organisme formateur, quel est le pourcentage des fonds collectés qui parvient réellement á la formation. La réponse á cette question est, en réalité, le véritable objet de cette commission.

M. Jean-François de ZITTER : Si je pouvais vous répondre, cela signifierait que l’on maîtrise l’ensemble du dispositif. Or, nous n’avons aucun moyen de le savoir, car nous ne connaissons que le montant des sommes investies dans la formation. Soyons clairs : la disparité est grande d’un organisme á l’autre, notamment en ce qui concerne leur gestion.

M. Bruno BOURG-BROC : Ne s’agit-il pas seulement d’une impression de votre part ?

M. Jean-François de ZITTER : Sans doute, mais elle se nourrit du fait que les prestataires de la formation sont actuellement en euthanasie. Il est impossible á long terme, pour un organisme non capitalisé qui doit faire le financement de ses clients, de se développer et de survivre. Si vous ne les aidez pas, un certain nombre de ces entreprises déposeront bientôt leur bilan. La situation est grave, car cette profession représente 15.000 emplois.

En ce qui concerne l’IFG, j’ai dû, il y a dix huit mois, dépenser 2 millions et demi de F. en frais financiers, ce qui correspond au coût de la création d’une filiale á l’étranger. On ne peut tout de même nous demander á nous, qui ne sommes finalement que des PME, de financer la trésorerie de toute notre clientèle. Si je traite avec une grande entreprise, elle me règle sous 60 jours. Quand je suis obligé de passer par une FAF ou une ASFO, celles-ci retiennent l’argent 60 á 90 jours de plus. Si je refuse, on me répond qu’on ne travaillera plus avec moi. A prendre ou á laisser !

Ce n’est, fort heureusement, pas le cas de l’AGEFOS PME qui accepte de signer avec l’organisme de formation une convention qui permet d’échelonner les paiements sur chaque trimestre, avec un acompte de 20 % en début d’année. On ne demande rien d’autre !

M. le Président : Que faut-il penser, alors, du discours de l’organisme collecteur qui prétend avoir besoin d’une trésorerie importante pour pouvoir faire face á deux années de paiements, avant de récupérer les sommes en amont ?

M. Jean-François de ZITTER : Je suis fort triste pour lui... Mais il faut savoir raison garder. J’insiste sur le fait que les entreprises sont obligées de geler les fonds de la formation et de les confier á des organismes intermédaires qui n’ont aucune valeur ajoutée. Il me semble qu’il serait mieux de mutualiser ces fonds et d’assurer aux vrais professionnels de la formation des conditions de travail corrects. Savez-vous ce que font certains organismes collecteurs, monsieur le Président ? Je citerai le cas d’une ASFO á qui nous sommes obligés de faire parvenir les attestations de stage par lettre recommandée avec AR pour être sûr qu’elle les reçoit bien ! Je veux bien admettre que ces organismes aient des problèmes de trésorerie, mais enfin... L’IFG est prêt, croyez-moi, á leur dispenser des cours de gestion ! Il n’y a pas besoin de beaucoup de personnel pour gérer tout cela avec les moyens bureautiques actuels.

M. le Président : Estimez-vous donc que les organismes collecteurs devraient être gérés davantage par des bénévoles ?

M. Jean-François de ZITTER : On a tout de même l’impression que tout ce système a été quelque peu dévoyé au sens étymologique du terme.

M. le Président : Il reste que sur les 120 milliards de F. consacrés par les entreprises á la formation professionnelle, 28 milliards seulement sont comptabilisés par les organismes de formation. Une chienne n’y retrouverait pas ses petits, mais s’il existe une déperdition comptable, il y a fort á parier que ces sommes ne sont pas perdues pour tout le monde.

M. Jean-François de ZITTER : Il est vrai que l’écart est énorme. Je n’ai pas plus d’explications que vous.

M. le Président : Monsieur de Zitter, si vous étiez membre de la commission, dans quelle direction chercheriez-vous ? Notre objectif étant de mieux utiliser les fonds de la formation professionnelle, quelles seraient vos suggestions ?

M. Jean-François de ZITTER : Mon sentiment premier est qu’á vouloir trop règlementer, on ne règlemente plus rien. L’objectif prioritaire doit être de protéger les plus faibles ainsi que l’argent de l’Etat quand il est destiné aux demandeurs d’emploi ou aux dispositifs jeunes. Les dispositions doivent être simples, connues, contrôlées et sanctionnées. Or actuellement aucune de ces conditions n’est remplie. Laissons le marché privé, dans la mesure où il est adulte, se règlementer seul. Quand on défend la qualité, le moindre dérapage entraîne une sanction immédiate.

Je crois aussi qu’il faut absolument protéger les dispositifs concernant les demandeurs d’emploi. Il y a deux manières pour un organisme de formation de gagner de l’argent avec ces dispositifs dont je me suis retiré : soit on déclare, avec la complicité des services locaux, un nombre d’heures plus important que celui réellement effectué ; soit on gonfle le nombre de stagiaires par session au-delá des normes pédagogiques admises. Tout cela est connu. C’est lá-dessus qu’il faut agir.

Quant aux collecteurs, je suis convaincu qu’ils s’imposent, certes, comme organismes mutualistes d’aide aux petites entreprises mais ils doivent être contrôlé et sanctionnés au premier abus.

Je crois qu’on ne peut pas non plus éviter de poser le problème de la taxe d’apprentissage. En ce qui me concerne, j’ai perdu un million de F. de taxe d’apprentissage en 1991, pour moitié avec des entreprises qui me payaient d’autres prestations par ce biais, et pour moitié á cause des organismes collecteurs, qui se mettaient 50 % dans la poche. Ce sont tous ces circuits du marché de la formation qu’il est impossible de règlementer. Il faut oser le dire : la machine actuelle de la taxe d’apprentissage est un scandale. Chacun peut en augmenter á sa guise le rendement et la tentation en est forte, vous le comprendrez, pour les entreprises en difficulté.

Je terminerai enfin sur une question un peu désabusée : et l’individu, dans tout cela, qu’en a-t-on fait ? Les gens sont-ils devenus si sots qu’on ne puisse leur laisser la liberté de choisir ? Ne peut-on, dans le contexte actuel, les responsabiliser davantage ? La personne la plus concernée, c’est quand même celle qui décide d’aller se former, au détriment, souvent, de sa place dans l’entreprise et aussi de sa vie privée. Pourquoi ne pas augmenter, par exemple, la déduction fiscale en faveur de la personne qui se forme ? Pourquoi ne pas inventer une nouvelle forme de crédit de formation qui pourrait s’échelonner sur toute une carrière et que la personne pourrait négocier avec son employeur ? Encore une fois, les cadres qui viennent se former chez nous sont les plus soucieux de la rigueur et de la qualité de leur formation. C’est cela, la vraie sanction du marché.

M. le Président : Vous proposez que le marché se régule seul, mais quelle place donnez-vous á l’Etat, et, en particulier, á l’Education nationale dans cette organisation ?

M. Jean-François de ZITTER : Je considère que, sur un marché de ce genre, les secteurs de l’Education nationale comme des Chambres de commerce qui s’occupent de formation continue devraient le faire dans les mêmes conditions que les autres organismes. La tentation est grande, en effet, pour un GRETA, de facturer ses prestations au prix marginal et non réel, car il n’a pas les mêmes charges que nous. Il y a lá un mécanisme d’évasion fiscale qui, me semble-t-il, n’est pas vraiment la mission première de l’Education nationale. En tout cas, l’opérateur étatique, qu’il s’agisse de GRETA ou de chambre consulaire, doit intervenir dans les mêmes conditions que l’opérateur privé, car il ne peut se soustraire á la règlementation européenne.

M. Francisque PERRUT : Vous touchez lá un problème que je connais bien. Tout repose sur la fiabilité des responsables car le budget des chambres de commerce, notamment, échappe á tout contrôle.

M. le Président : Quoi qu’il en soit, nous devons faire entendre notre avis sur ces abus et intervenir en ce qui concerne, notamment, les chambres de commerce.

Monsieur de Zitter, je vous remercie de votre témoignage et des éclaircissements qu’il nous a apportés.

M. Jean-François de ZITTER : Si j’ai réussi á vous faire entendre les difficultés de notre profession, j’en suis heureux. Je rappelle, au-delá de mes responsabilités á l’IFG, que cette profession, qui emploie 15.000 personnes pour former un million de gens, est en danger. Nous ne pouvons pas nous charger de la trésorerie de nos clients et, sans mesure corrective rapide, nous nous trouverons bientôt en euthanasie.

M. le Président : Je vous remercie.




Audition de M. Claude BLONDEL,

Président du Conseil de gestion du fonds de la
formation professionnelle et de la promotion sociale,
ancien Secrétaire général de la formation professionnelle

(Extrait du procès -verbal de la séance du 5 avril 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

M. Claude Blondel est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Claude Blondel prête serment.

M. le Président : Monsieur Blondel, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Conseiller-maître á la Cour des Comptes, vous avez été secrétaire général de la Formation professionnelle de 1974 á 1980 et vous présidez le Conseil de gestion du Fonds de la formation professionnelle. Je voudrais vous demander ce que vous pensez, aujourd’hui, de la politique suivie dans ce domaine. Diriez-vous qu’elle reste conforme aux grands principes sur lesquels elle avait été fondée au début des années 70 ? Certains d’entre eux n’ont-ils pas été progressivement déviés de leur sens originel ? Et les objectifs qu’on s’était fixé en 1970 ont-ils été atteints ?

M. Claude BLONDEL : Permettez-moi, d’abord, de préciser que je ne m’exprime pas ici en tant que membre de la Cour des Comptes, afin de bien distinguer les fonctions. J’ai travaillé plus de dix ans au secrétariat général de la Formation professionnelle, où j’avais commencé par être détaché en 1969. Comme vous venez de le rappeler, je préside le Conseil de gestion. Je suis aussi président du conseil d’administration du Centre INFFO dont la tâche est de diffuser de l’information sur la formation professionnelle.

Depuis les lois de 1971, qui ont donné un grand coup d’accélérateur á la formation continue, la situation a évidemment beaucoup évolué. On peut dire qu’á présent, la formation professionnelle est très largement intégrée dans la politique générale des entreprises, ainsi que dans la gestion des personnels. Ce n’était pas le cas il y a vingt-cinq ans. Les grands principes affirmés dans l’enthousiasme des débuts - accès du plus grand nombre á la formation, promotion des travailleurs, mobilité professionnelle - demeurent valables et continuent á inspirer bon nombre des actions menées dans ce domaine. Quant aux objectifs, l’idée essentielle, en 1971, était de corriger, par la formation continue, les défauts de la formation initiale, et même, en retour, d’influencer celle-ci. L’expérience a montré, malheureusement, que la formation continue ne peut pas remédier á tous les maux et que, donc, c’est sur la formation initiale que doivent d’abord porter les efforts.

M. le Président : Que pensez-vous des effets de la décentralisation ? Et quel est votre avis sur les dispositions de la récente loi quinquennale sur ce point ?

M. Claude BLONDEL : Je me souviens d’une époque où la moindre convention relative á la formation professionnelle devait être examinée á Paris, ce qui était absurde, parce que Paris n’avait pas les moyens de juger. La décentralisation lancée en 1983 n’aurait pas pu se faire aussi facilement si elle n’avait été précédée elle-même par la déconcentration administrative qui a été menée pendant les années 70. Ses effets sur le développement de la formation professionnelle ne peuvent être que bons. Il faut donc la poursuivre. Quant á la loi quinquennale sur l’emploi, elle contient en ce domaine des dispositions intéressantes. Je regrette toutefois qu’on semble vouloir étirer dans le temps l’application de certaines de ces mesures. Et surtout, je suis d’accord pour que, dans le domaine des actions pour les jeunes, les collectivités territoriales aient un rôle moteur. Mais á une condition : c’est qu’elles aient les moyens nécessaires.

M. le Président : La répartition des compétences administratives et financières entre les diverses institutions publiques concernées vous semble-t-elle satisfaisante ? Le principe de l’interministérialité a-t-il encore un sens á vos yeux ?

M. Claude BLONDEL : Il y a deux questions en une. Je vous répondrai, d’abord, qu’il n’y a pas de raison valable de distinguer entre les conventions de formation du Fonds national pour l’emploi et celles du Fonds de la formation professionnelle. Si l’ensemble de la formation professionnelle doit rester sous la coupe du ministère du Travail, la sagesse serait de fondre ces deux organismes. Mais la situation n’a pas toujours été celle-lá. En 1984, nous avions un ministre de la Formation professionnelle á part entière ; et auparavant, elle était rattachée au Premier ministre et confiée á un comité interministériel. Aujourd’hui, le pilotage de la formation professionnelle a pratiquement perdu tout caractère interministériel, et c’est, á mon sens, un grave appauvrissement. Le groupe permanent de la formation professionnelle qui comprenait tous les directeurs d’administration centrale concernés ne s’est pas réuni depuis trois ans. De ce fait, il y a maintenant une coupure que je trouve très fâcheuse entre la formation professionnelle et le ministère de l’Education nationale. Les quelques dispositions de la loi quinquennale qui touchent aux formations initiales sont tout á fait mineures et risquent fort d’être inopérantes. Il y aurait le plus grand intérêt, pour la formation professionnelle, á ce que l’on revienne á un système beaucoup plus interministériel.

M. Francisque PERRUT : Je partage complètement votre avis. On a eu grand tort de séparer formation professionnelle et éducation nationale. Je me souviens de l’époque où M. Beullac était le ministre de l’Education et où ces deux activités étaient encore étroitement liées. Et d’ailleurs, la pratique de l’alternance va dans ce sens. Je souhaite donc comme vous qu’on en finisse avec un système qui est la source de beaucoup d’échecs scolaires.

M. le Président : La gestion des organismes collecteurs de fonds a été très critiquée ces dernières années par différents rapports ? Qu’en pensez-vous ? Ne faudrait-il pas changer le système de collecte ?

M. Claude BLONDEL : Hormis les FAF, je n’ai pas connu directement ces organismes, qui ont été inventés en 1984. Tant qu’on maintiendra le principe du prélèvement obligatoire, il me semble utile, surtout pour les petites et moyennes entreprises, que des organismes intermédiaires, en forme de mutuelles, s’occupent de la collecte des fonds. Quand, á la fin des années 70, on a obligé les entreprises á verser 0,2 % pour les formations en alternance, l’argent est allé directement á des centres de formation, et il n’en est résulté aucun effet bénéfique pour la formation elle-même, sinon de faire monter les prix ! En revanche, je trouve anormal que la gestion de ces organismes, qui reçoivent des fonds résultant d’une obligation légale, ne soit pas plus étroitement surveillée. Peut-être faudrait-il aller jusqu’á placer des contrôleurs d’Etat auprès des plus importants d’entre eux. Je suis frappé par la faiblesse des contrôles. En 1992,dernière année dont les résultats sont connus, les services de la formation professionnelle on contrôlé en tout et pour tout une cinquantaine de centres et les redressements ont porté sur une soixantaine de millions de F. C’est dérisoire.

Je pense aussi que les règles de rémunération des dirigeants et des cadres devraient être les mêmes que celles qui sont appliquées dans les entreprises publiques. Naturellement, c’est un point qui devra faire l’objet d’une négociation avec les partenaires sociaux. Enfin, la loi quinquennale prévoit un regroupement de ces organismes au niveau régional. L’idée est bonne, mais on pourrait aller plus loin. Pourquoi avoir trois types de collecteurs : ceux qui s’occupent des formations en alternance, ceux qui récoltent les fonds relatifs au congé individuel de formation, et les fonds d’assurance formation ? On pourrait simplifier et rationaliser tout cela. Un contrôle sérieux n’est pas inaccessible.

M. Jean-Paul ANCIAUX : 120 ou 130 milliards de F. pour la formation continue, á votre avis, c’est assez, pas assez, ou trop ? Nous sommes d’accord pour dire que la gestion des organismes collecteurs manque de transparence. Est-il possible d’envisager des économies dans ce secteur ? Et n’y aurait-il pas une redistribution á opérer, dans les efforts de formation, entre les trois publics visés : chômeurs, salariés et jeunes ? Quelles sont les priorités ? Faut-il, enfin, formuler des critères en termes de résultats, je veux dire d’insertion ou de qualification á l’emploi ?

M. Claude BLONDEL : 120 milliards, c’est déjá une bonne somme. La France n’est pas en retard par rapport aux autres pays. Nous avons un dispositif de formation étoffé, et des entreprises qui vont bien au-delá de l’obligation légale. Le problème est plutôt d’utiliser aux mieux tous ces moyens et de définir des objectifs clairs et précis. On pourrait sûrement réaliser des économies avec un peu plus de rigueur aussi bien dans la gestion paritaire que dans la gestion publique. Mais cela n’ira pas très loin. Quant aux priorités, nous sommes obligés d’agir sur tous les fronts á la fois ; mais il y a un équilibre á trouver. Depuis quelques années, le poids des actions jeunes - dont je ne conteste pas la nécessité - est devenu de plus en plus lourd : en gros, sur les 5 milliards de F. que le conseil de gestion de la formation professionnelle que je préside doit répartir, 4 vont aux jeunes et un seulement aux autres formations de travailleurs en activité. Autrefois, c’était l’inverse. Je me demande personnellement s’il ne serait pas souhaitable de déplacer un peu d’argent d’une enveloppe vers l’autre. Je pense, en particulier, á ce qu’on appelle la politique contractuelle, á savoir les engagements de développement signés avec les entreprises qui font un vrai effort de formation pour leurs salariés. 4 á 500 millions de F. pour cette politique, á une époque où nous devons tout faire afin d’inciter les entreprises á s’adapter á la concurrence internationale, c’est très insuffisant. Il en va de même en ce qui concerne les nouvelles formations d’ingénieurs, secteur décisif pour l’avenir qui ne bénéficie que de quelques dizaines de millions.

M. le Président : Nous sommes en train de nous éloigner su sujet de notre enquête. Revenons, si vous le voulez bien, aux organismes collecteurs. Vous dites que vous n’avez pas de rapports avec eux. Mais en tant que président du Conseil de gestion, vous devez les connaître.

M. Claude BLONDEL : Le Conseil de gestion a uniquement pour tâche de répartir, selon les directives du comité interministériel et du groupe permanent qui ne se réunit plus, les crédits budgétaires figurant au chapitre 43-03.

M. le Président : Ils sont importants : presque 5 milliards.

M. Claude BLONDEL : Oui, mais nous ne connaissons les organismes collecteurs qu’á travers des rapports et nous n’intervenons pas dans leur gestion. Encore une fois, quand j’ai quitté le secrétariat général, il n’y avait que les FAF, avec lesquels j’ai d’ailleurs beaucoup travaillé.

M. le Président : J’ai le sentiment que vous êtes un peu réticent sur le principe de la gestion paritaire.

M. Claude BLONDEL : Pas du tout. Je trouve excellent que les partenaires sociaux participent á la gestion. Mais ce n’est pas parce qu’elle est paritaire qu’une gestion est forcément parfaite. Je trouve bien qu’il y ait une gestion paritaire mais il est normal que ceux qui ont la responsabilité de gérer des sommes importantes se soumettent á un contrôle. Toutes les entreprises publiques le font, et leurs dirigeants n’en sont pas pour autant déshonorés.

M. le Président : Vous attribuez des subventions á des organismes publics qui organisent des stages. Mais il arrive souvent que des stagiaires abandonnent en cours de route. Quel contrôle avez vous sur la réalité des opérations ?

M. Claude BLONDEL : C’est á l’administration de la formation professionnelle qu’il appartient de procéder aux vérifications nécessaires. Il existe des règles á ce sujet. Les subventions sont versées en plusieurs tranches et ajustées á la fin, pour tenir compte des effectifs réels.

M. le Président : Avez-vous déjá constaté des abus ? Fausses déclarations, par exemple ?

M. Claude BLONDEL : Non, pas sur les conventions de l’Etat. En ce qui concerne les déclarations des entreprises en revanche, il y a eu des abus, c’est sûr. Le groupe national de contrôle et les groupes régionaux opèrent des redressements ; mais, comme je l’ai dit, il faudrait renforcer ces contrôles.

Quant au Conseil de gestion que je préside, tout ce qu’il peut faire, c’est de demander aux organismes de formation de présenter un bilan de leur activité d’une année sur l’autre. Nous nous fondons sur ces bilans pour renouveler ou non les conventions ; mais nous n’avons pas les moyens de vérifier leur exactitude.

M. le Président : Quels sont les éléments qui figurent dans les dossiers de demande de subvention ?

M. Claude BLONDEL : Des objectifs quantifiés : nombre de stagiaires, durée de la formation, budget. Nous renvoyons très souvent un dossier parce que le budget ne nous paraît pas raisonnable. Après, il appartient á l’administration de suivre l’opération.

M. le Président : Je reprends ma question. Comment vérifie-t-on la participation effective aux stages ? Qui contrôle la dépense finale ? Vous nous avez dit que c’était l’administration. Avez-vous connaissance de ses conclusions ?

M. Claude BLONDEL : Non, mais si je les demandais, on me les communiquerait, bien sûr. Je voudrais ajouter ceci. Depuis une dizaine d’années, le rôle du Conseil de gestion a beaucoup diminué. Aux termes de la loi de décentralisation de janvier 83, nous devons nous prononcer chaque année sur la répartition de la dotation réservée á la formation professionnelle entre les régions. Mais c’est un avis assez formel. Et puis, il y a la déconcentration. Sur la partie déconcentrée des crédits, le Conseil n’examine plus les dossiers un par un. Chaque préfet reçoit son enveloppe et c’est á lui qu’il revient de répartir les fonds entre les divers types d’actions, après avis du comité régional de la formation professionnelle. Le Conseil de gestion n’intervient que pour dire : telle région est moins bien traitée que telle autre. Ses avis ne sont pas inutiles dans la mesure où il comprend des représentants des partenaires sociaux qui siègent dans les comités régionaux et font remonter l’information. Mais il a un rôle de surveillance plus que de contrôle.

Restent les actions de caractère national, sur lesquelles nous exerçons, comme je l’ai dit, un contrôle plus serré á partir des bilans.

M. Francisque PERRUT : Ne trouvez-vous pas qu’il est contradictoire de vouloir resserrer le contrôle tout en maintenant un régime aussi libéral que le nôtre, qui favorise la multiplication des petits organismes de formation ? Ce ne sont d’ailleurs pas forcément ces petits organismes qui sont les moins sérieux : leur budget est plus serré et plus facile á contrôler. Peut-être le remède réside-t-il dans la régionalisation qui rapprochera la formation du terrain. Mais ne pensez-vous pas qu’une certaine concentration, malgré tout, serait utile ?

M. Claude BLONDEL : Je comprends votre souci : c’est effectivement au niveau régional que l’action peut être le plus efficace. Cela dit, un choix a été fait, en 1971, en faveur du pluralisme des lieux de formation. Que tout le monde puisse contribuer á celle-ci, pas seulement les pouvoirs publics, mais aussi les entreprises, les organisations professionnelles ou privées, les associations, c’est une richesse, incontestablement, pour la formation professionnelle. Je suis donc très réservé á l’égard de toute forme d’intervention autoritaire dans ce domaine. En 1990, le Parlement a voté une loi instituant un label. Elle n’est pas appliquée. En fait, seuls les utilisateurs peuvent dire si le stage qu’ils suivent est bon ou mauvais. L’information circule, et beaucoup de centres disparaissent parce que les entreprises, mieux averties, cessent de leur envoyer des clients. J’ajoute que si vous décidez, á un moment, de donner un label á tel ou tel organisme, cela peut être très dangereux par la suite.

M. le Président : Je voudrais vous demander, pour conclure, Monsieur Blondel, si vous avez des suggestions á faire pour améliorer l’efficacité et la rentabilité de nôtre système de formation professionnelle.

M. Claude BLONDEL : Je proposerais d’abord de renforcer la coordination entre l’Etat et les régions. La loi quinquennale parle de plans régionaux de formation. L’ANPE et l’AFPA doivent être déconcentrées ; mais on ne nous dit pas comment. Je constate qu’á l’heure actuelle, c’est toujours á Paris que sont faits les choix en matière d’équipements de l’AFPA et de l’ANPE. Le préfet de région devrait disposer d’une enveloppe globale de crédits d’équipements destinés á la fois aux services régionaux de l’ANPE et de l’AFPA, et aux diverses organismes de formation et d’apprentissage. Il pourrait ainsi bâtir, en liaison avec le Président du Conseil régional, une politique cohérente de formation. Je me souviens d’un cas où un malheureux préfet de région, qui pourtant connaissait bien le terrain, n’a pas réussi á faire modifier la localisation d’une agence pour l’emploi, parce que sa proposition n’était pas conforme aux plans de l’ANPE. On gagnerait beaucoup en efficacité si on jouait franchement le jeu de la régionalisation. Et pourquoi ne pas commencer par les opérations d’équipement ?

Il faudrait, ensuite, renforcer le contrôle sur l’utilisation des fonds provenant de la participation obligatoire. Je l’ai dit, et je n’y reviens pas.

En ce qui concerne cette participation elle-même, elle a certainement été très utile dans le passé. Je ne suis pas sûr que si l’on recommençait á zéro aujourd’hui, on aurait intérêt á utiliser de nouveau ce système, dont l’extrême complexité est, á beaucoup d’égards, paralysante. Pour simplifier les procédures, mobiliser les énergies, la meilleure formule me paraît celle des engagements de développement. Si elle était bien utilisée, si on revoyait ces engagements branche par branche, les entreprises seraient peu á peu dégagées de la participation obligatoire, et cela dynamiserait la formation. Je crois beaucoup plus, pour ma part, á des dispositifs contractuels qu’á une obligation fiscale contraignant les entreprises á verser de l’argent á des organismes qui ne l’utilisent pas toujours comme ils le devraient. Ce système rigide est une source de dysfonctionnements, et il peut avoir des effets pervers.

M. le Président : Pensez-vous que les partenaires sociaux seraient d’accord sur une telle formule ? Dans un cadre contractuel, ils n’auront plus á intervenir.

M. Claude BLONDEL : Je comprends votre objection ; mais il est parfaitement possible de décider que ces sommes seront versées á des organismes paritaires.

M. le Président : Monsieur Blondel, je vous remercie.




Audition d’une délégation du FAFCASE
(Fonds d’assurance formation de la coopération agricole du Sud-Est),

composée de

MM. Paul CLO, Président
et Jean-Claude THILL, Directeur général

(Extrait du procès-verbal de la réunion du 13 avril 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Paul Clo et Jean-Claude Thill sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l invitation du Président, MM. Paul Clo et Jean-Claude Thill prêtent serment.

M. le Président : Il existe plusieurs FAF dans le secteur de la coopération agricole. Comment expliquez-vous cette situation ? Pouvez-vous nous indiquer quel rôle jouent le FAFCA et le FAFCASO par rapport au FAFCASE. Ne pensez-vous pas qu’une rationalisation s’impose ?

M. Paul CLO : Je laisserai á M. Thill le soin de répondre sur toutes les questions techniques. Je dirai simplement, pour ma part, que la caractère interrégional du FAFCASE lui permet de rendre un service de proximité très efficace. Si les coopératives agricoles s’engagent dans la formation au delá de l’obligation légale, c’est dû, leurs dirigeants nous le disent, á cette proximité. Nous noyer dans une organisation nationale ne serait donc pas une bonne chose. En revanche, nous pourrions nous ouvrir á d’autres organisations professionnelles de la filière, par exemple les salariés de l’amont, exploitations agricoles, et de l’aval, industries agro-alimentaires.

M. Germain GENGENWIN : Quel secteur géographique couvrez-vous ?

M. Paul CLO : Nous avons quatre régions : la Corse, le Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes, ce qui représente au total plus de 60.000 salariés. Dans le Languedoc-Roussillon, nombreuses sont les petites coopératives viticoles assujetties depuis peu de temps á l’obligation de cotiser, et elles sont très satisfaites de nos services.

M. le Président : Comment se passe votre collaboration avec les autres FAF, notamment avec le FAF de l’Est et IPL dans les pays de Loire ?

M. Jean-Claude THILL : Il faut se souvenir que le régime de l’assurance-formation est né dans le Sud-Est, á partir du terrain, tout de suite après la loi de 1971. A l’époque, cette option n’avait pas été retenue par les organisations nationales. Quand nous avons créé le FAFCASE, nous l’avons même fait contre l’avis des organisations nationales.

Nous avons été sollicités, ensuite, pour étendre notre action á d’autres régions. Mais nous avons préféré donner aux intéressés le mode d’emploi, pour qu’ils créent eux-mêmes leur FAF. L’opération a bien marché dans le Sud-Ouest, où elle a abouti á la mise en place du FAFCASO. En Bourgogne, l’effectif de salariés concernés était insuffisant pour monter un FAF et il n’a pas été possible d’élargir le secteur vers l’Est, car bon nombre de coopératives agricoles étaient déjá adhérentes d’un FAF de la région. Il en a été de même en Bretagne où un FAF regroupait la plupart des coopératives. Le FAFCA, au niveau national, est venu en dernier.

En ce qui concerne le FAF de t’Est et IPL, notre collaboration a pour origine la demande d’un groupement de coopératives de commerçants du secteur agro-alimentaire, le groupe Système U. La quasi totalité des magasins U du Sud-Est avaient adhéré á notre FAF á partir de 1985. La direction nationale a constaté qu’ils en étaient contents et nous a demandé, dans un souci de rationalisation, d’étendre á l’ensemble du territoire le système qui fonctionnait dans le Sud-Est. Nous avons alors pris contact avec le FAFCASO, le FAF de l’Est et IPL, qui couvre la région de l’Ouest où se situe la majorité des commerces U. Ainsi s’est mise en place une organisation où les quatre partenaires se concertent régulièrement afin d’harmoniser la formation. Chaque FAF conserve, bien entendu, les fonds collectés dans son secteur géographique. Mais nous veillons á ce que tous les magasins disposent du même service, que les règles de prise en charge soient homogènes et les formations analogues. La direction de Système U nous a demandé de coordonner les interventions des FAF dans le sens de la stratégie définie par le groupe, et nous sommes aussi chargés de consolider les données des quatre FAF. Chaque trimestre, nous pouvons donc dire au groupe où ils en sont.

M. le Président : Vous êtes rémunérés pour assurer ces prestaions ?

M. Jean-Claude THILL : Oui, bien sûr.

M. le Président : Votre intervention est-elle vraiment indispensable á l’efficacité du système ?

M. Jean-Claude THILL : 11 faudrait poser la question au groupe Système U, dont les dirigeants semblent satisfaits de nos services. Notre rémunération correspond á notre travail de coordination et de consolidation des données.

M. Germain GENGENWIN : Que représentent les fonds collectés auprès des coopératives agricoles et des supermarchés ? Ne peut-on pas considérer que vous financez Système U á travers les cotisations que vous versent les coopératives ?

M. Jean-Claude THILL : Dans notre région, les contributions de Système U représentent á peu près 8 % du total des fonds que nous collectons. Notre mode de fonctionnement nous permet de suivre l’utilisation des fonds par « familles », chaque « famille » correspondant á un secteur d’activités, Système U constituant á lui seul une « famille ». Nous opérons des péréquations seulement á l’intérieur d’une même famille, et non, sauf exception, entre familles.

M. Germain GENGENWIN : Votre réponse me paraît trop vague. Qu’entendez-vous exactement par « famille » ?

M. Jean-Claude THILL : La famille Système U est constituée de l’ensemble des magasins Super U et Hyper U. La famille des coopératives agricoles comprend toutes les coopératives agricoles, qu’elles soient viticoles, de fruits et légumes ou de céréales.

M. Germain GENGENWIN : S’agissant d’une coopérative agricole, la famille comprend-elle toute la filière, de la production á la vente ?

M. Jean-Claude THILL : Oui, si la coopérative en question a une activité de vente. Mais si les produits sont vendus dans un magasin qui n’en est pas une filiale, celui-ci ne fait pas partie de la famille. Dans le cas de Système U, la famille dispose de droits de tirage correspondant aux 8 % qu’elle verse, pas plus. Si, une année, un magasin n’utilise pas tous les fonds auxquels il a droit, l’argent peut être mis á la disposition d’un autre magasin dont les besoins sont supérieurs á sa contribution propre, ce qui arrive souvent, par exemple, pour des petites entreprises qui veulent s’informatiser. Voilá comment s’opère la péréquation á l’intérieur d’une famille.

M. le Président : Vous êtes aussi un organisme mutualisateur. Il peut y avoir mutualisation au-delá des sommes versées.

M. Jean -Claude THILL : Les péréquations ne sont possibles qu’á l’intérieur d’une même « famille » et d’un même dispositif. Mais il est interdit, même au sein d’une même famille de passer d’un dispositif á un autre : l’argent du congé individuel de formation ne peut pas servir aux contrats jeunes.

Un mot, si vous voulez bien, sur l’informatique. Vous savez que dans ce secteur, c’est le logiciel qui est le plus cher. Nous avons constaté que la demande d’informatisation était grande, mais que les petites entreprises avaient beaucoup de mal á acheter cette prestation immatérielle. Pour leur éviter des erreurs, nous avons réalisé une étude comparative des divers types de formation, ainsi que des coûts, et nous la mettons á la disposition de nos adhérents pour faciliter leur tâche. Quand une demande dépasse 50.000 F., les administrateurs décident s’il y a lieu de faire procéder, par un consultant privé, á un diagnostic préalable de pertinence.

M. Joseph KLIFA : Vous avez insisté sur la notion de proximité, mais vous couvrez déjá un quart du territoire national. Pourquoi, alors, ne pas aller jusqu’á un organisme central pour toute la France ? Deuxième question : quand vous travaillez avec Système U, l’organisme de formation retenu est-il unique ou y a-t- il un organisme par région ? Enfin, vu le rythme de rotation des personnels constaté dans la distribution, les investissements faits dans le domaine de la formation des cadres sont-ils toujours justifiés par la durée de l’emploi ?

M. Germain GENGENWIN : Utilisez-vous tous les fonds collectés dans le cadre de l’OMA ou êtes-vous obligé d’en transférer aux mutualisateurs nationaux comme l’AGEFAL ? Quelles sont pour vous les actions á financer prioritairement ?

M. Jean-Claude THILL : Nous couvrons, effectivement, un cinquième du territoire national. Mais nous avons mis en place dès l’origine un système extrêmement décentralisé. Ainsi, a été institué dans chaque région, un comité paritaire qui se réunit tous les mois, auquel le conseil de gestion a délégué toutes les questions relatives aux demandes d’adhésion et de financement. Il n’y a pas un franc qui sort du FAF pour financer une action de formation sans que celle-ci ait été présentée au comité paritaire régional.

M. Joseph KLIFA : Tout cela pourrait être piloté á partir d’un centre unique.

M. Jean-Claude THILL : Si vous regardez les organismes de branche nationaux, vous verrez que très peu d’entre eux ont des comités régionaux et peuvent assurer un service de proximité. Il est relativement facile de coordonner quatre régions dont les préoccupations, les cultures sont assez homogènes. Avec vingt-et-une régions, ce serait beaucoup plus lourd, et donc beaucoup plus difficile á harmoniser.

Vous m’avez par ailleurs demandé si c’était le même organisme de formation qui intervenait quelle que soit la zone géographique dont émane la demande : pas forcément, dans la mesure où chaque région a tendance á faire travailler des organismes de formation locaux.

M. Joseph KLIFA : Définissez-vous un tronc commun de formation de façon á éviter d’aboutir á une multitude de définitions des formations, chaque organisme ayant la sienne.

M. Jean-Claude THILL : Vouloir harmoniser a priori les contenus de formation serait, á nos yeux, une erreur. Nous sommes dans une logique d’offre de formation et non de demande. Il vaut mieux que ce soient les entreprises et les salariés qui définissent exactement les objectifs de la formation qu’ils souhaitent. Une fois cette demande formulée, c’est á l’organisme de formation de proposer le contenu qui lui paraît approprié, pour le satisfaire.

A propos de votre question sur le renouvellement du personnel dans la distribution, je voudrais préciser que Système U ne représente que 8 % de notre chiffre d’affaires, ne constitue donc pas notre activité principale et n’est pas notre préoccupation majeure. L’essentiel pour nous, ce sont les coopératives agricoles. J’ajoute que leurs administrateurs, a priori, ne sont pas très favorables á la grande distribution, et suivent donc les opérations réalisées avec Système U de très près.

Vous m’avez interrogé sur la mutualisation. Je peux dire que nous n’avons jamais eu d’excédents, au contraire. En matière de contrats jeunes, par exemple, nous sommes obligés de demander á l’AGEFAL des fonds supplémentaires équivalant á environ 50 % de notre collecte.

Quant á nos priorités, elles vont aux petites entreprises, celles qui peuvent créer des emplois ; et c’est essentiellement pour elles que nous tenons á rendre un service de proximité.

M. Joseph KLIFA : Quel est le montant global de la collecte que vous effectuez ? Combien avez-vous de salariés ?

M. Jean-Caude THILL : Nous collectons 85 millions de F., tous dispositifs confondus, et nous employons 55 personnes, soit un agent et demi par 100 entreprises adhérentes. Ce personnel est géré par une association, l’ADAF. La plupart des FAF fonctionnent de la même manière.

M. le Président : Une telle superposition d’organismes ne favorise certainement pas la transparence dans l’utilisation des fonds de la formation professionnelle.

M. Jean-Claude THILL : Les associations de gestion ont pour seule activité d’assurer la gestion du FAF, elles ne collectent rien.

M. le Président : Sont-elles vraiment indispensables ? Leur seule justification n’est-elle pas de permettre de faire disparaître du bilan des FAF toutes les immobilisations ?

M. Jean-Claude THILL : Nos immobilisations ne dépassent pas 3 millions de F. Les associations de gestion permettent de répondre aux problèmes que pose l’absence de consistance juridique de la personnalité morale conférée aux FAF par le Code du travail. Cela pose problème si, par exemple, vous voulez ouvrir un compte en banque ou vous immatriculer á l’INSEE.

M. le Président : Comment font les FAF qui n’ont pas d’association de gestion ?

M. Jean-Claude THILL : Il faut le leur demander !

M. le Président : Quels critères retenez-vous quand vous faites appel á un organisme de formation ?

M. Jean-Claude THILL : Si l’entreprise connaît déjá son organisme, nous n’avons pas á intervenir. Si elle n’en a pas trouvé, nous recherchons sur le marché les gens les plus compétents, en tenant compte de l’ancienneté de l’organisme, de la répartition des permanents et des vacataires dans son personnel, du pourcentage d’heures de formation dispensées par types de publics, et bien entendu, des coûts. Nous essayons ensuite de bâtir un cahier des charges correspondant aux besoins de l’entreprise, nous lançons un appel d’offres, et nous communiquons les trois ou quatre meilleures réponses á l’entreprise pour qu’elle puisse faire son choix.

M. le Président : Vous ne dispensez pas vous-même de formation ?

M. Jean-Claude THILL : Acteullement, jamais. Nous l’avons fait, de façon marginale, dans les années 80, pour des publics précis provenant de petites entreprises. Mais nous y avons renoncé car on ne peut pas être á la fois juge et partie.

M. Joseph KLIFA : Pouvez-vous nous dire quel est le coût moyen du stage par -famille. ? Et comment assurez-vous le suivi de la qualité de la formation ?

M. Jean-Claude THILL : Le ratio heure-stagiaire est automatiquement fourni par notre système informatique. Dès qu’on dépasse le seuil de 200 F., le système va chercher dans la base de données les formations concurrentes. Si l’entreprise tient á une formation dont le coût dépasse ce seuil, nous lui demandons de financer le complément.

Sur le suivi, je prendrai l’exemple des contrats de qualification. Ayant constaté des dysfonctionnements dans ce secteur, notre conseil de gestion a décidé d’être particulièrement attentif au déroulement des contrats dont la seule sanction est la reconnaissance par une convention collective. Pour cela, nous faisons appel á un consultant externe qui a trois entretiens de deux á quatre heures, au début, au milieu et á la fin du contrat, avec le jeune concerné, le tuteur et le supérieur hiérarchique de l’entreprise. Nous recevons un compte-rendu écrit de ces entretiens. Ce type de contrôle nous a permis de découvrir deux escroqueries caractérisées pour lesquelles nous avons porté plainte.

M. le Président : Le nouveau plan comptable mis en place au 1er janvier dernier rencontre certaines difficultés d’application. Avez-vous reçu á ce sujet des instructions de la Délégation á la formation professionnelle ? D’autre part, quels montants versez-vous aux organisations syndicales représentatives ?

M. Jean-Claude THILL : Nous ne leur versons rien.

M. le Président : Vous ne mettez pas non plus de personnels á leur disposition ?

M. Jean-Claude THILL : Tout le personnel du FAF est employé par l’ADAF.

M. le Président : Et l’ADAF ne met pas de personnels á disposition des organisations syndicales ?

M. Jean-Claude THILL : Non. En ce qui concerne le plan comptable, bien entendu, il pose quelques petits problèmes comme toute innovation. Je n’ai pas reçu de consignes particulières. Les directives á suivre sont celles qui figurent dans l’arrêté paru au Journal Officiel. Nous avons décidé de faire un bilan provisoire au 30 juin selon la nouvelle nomenclature, pour mieux préparer les comptes de 1994, et nous l’avons envoyé á l’AGEFAL et au groupe national de contrôle.

M. le Président : Vous n’accordez pas de subvention pour le bon fonctionnement du paritarisme ?

M. Jean-Claude THILL : Les administrateurs sont indemnisés pour leur travail. Quand il arrive á une organisation syndicale de réunir ses administrateurs de divers FAF pour une journée de réflexion commune, nous remboursons les frais de déplacement. Si un spécialiste intervient au cours du séminaire, on partage les frais.

M. le Président : Auriez-vous, pour conclure, un message á exprimer ?

M. Jean-Claude THILL : Ce dont la formation professionnelle aurait grand besoin, ce serait d’une réforme complète du livre IX du Code du travail, peut-être en le fusionnant avec la partie du livre I relative á l’apprentissage.

Le deuxième point concerne les organismes de financement. Nous n’avons pas compris pourquoi la loi quinquennale dispose que tous les agréments doivent expirer au 31 décembre. Il y a 275 organismes de financement. C’est trop, sans doute. Mais il n’en existe que 20 qui aient les quatre agréments, et 17 qui en ont trois. Je ne vois aucune raison de retirer leurs agréments á ces 37 organismes qui ont toujours joué le jeu du développement de la formation. Ont-ils mal travaillé ? Pour notre part, les entreprises nous versent spontanément 2 % de leur masse salariale et toutes les coopératives ont décidé spontanément d’adhérer.

Enfin, nous ne comprenons pas non plus pourquoi le projet de décret sur l’article 74 de la loi quinquennale limite si strictement la compétence interrégionale. Il nous semble que, pour apprécier la qualité des services des organismes collecteurs et rationaliser la formation, on pourrait, comme pour l’Union monétaire, définir un certain nombre de « critères de convergence ». On retirerait les agréments á ceux qui ne les respecteraient pas. Ce serait plus constructif.

M. le Président : Monsieur Thill, je vous remercie.

M. Paul CLO : J’ai l’impression qu’il plane sur nous une petite suspicion. Je regrette que M. Colombier, qui est député de ma circonscription, ne soit pas lá. Demandez lui ce qu’il pense de notre activité.

M. Germain GENGENWIN : Il n’y a aucune suspicion dans nos questions, rassurez-vous. En tout cas, M. Thill a parfaitement raison sur le livre IX.




Audition d’une délégation du FAF Haute-Alsace

composée de

MM. Antoine PERRET, Président,
Bernard THUET, Vice-Président,
et Christian NOLL, Directeur

MM. Antoine Perret, Bernard Thuet et Christian Noll sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Antoine Perret, Bernard Thuet et Christian Noll prêtent serment.

M. le Président : Je vous remercie d’avoir accepté cet entretien avec la commission. Deux questions pour commencer. Pensez-vous qu’il y a place, dans votre région, l’Alsace, pour une ASFO et trois FAF ? Et quelle est votre opinion sur la querelle qui oppose les partisans des organismes de branche et ceux des organismes interprofessionnels ?

M. Antoine PERRET : L’expérience montre que les trois FAF et l’ASFO arrivent très bien à vivre ensemble. Nous avons, avec l’ASFO, un arrangement pour répartir les entreprises entre nous, en fonction du code APE. Nous sommes aussi l’antenne de l’ASFO pour les formations en alternance.

Quant à la querelle que vous évoquez, nous sommes résolument pour les FAF interprofessionnels. Les petites entreprises se retrouvent mal dans les organismes de branche qui ont des structures nationales et connaissent mal le terrain.

M. Bernard THUET : Personnellement, je viens de la branche chimie. Nous tirons grand profit des conseils du FAF pour nos formations en alternance. Avoir quelqu’un de compétent sur le terrain au niveau régional, c’est incontestablement un plus quand on veut mettre en place des formations qualifiantes.

M. Christian NOLL : Notre FAF est agréé pour le plan formation et pour l’alternance. C’est aussi le cas de l’ASFO. Les trois FAF ont toujours entretenu un partenariat de proximité actif, que l’accord avec l’ASFO a encore renforcé.

M. le Président : Vous vous êtes partagés le marché de la collecte : l’industrie est affectée à ASFO Alsace, le commerce et les services reviennent au FAF. D’autre part, le FAF assume la gestion administrative et financière de l’ASFO dans trois arrondissements. Comment les prestations sont-elles facturées ? Cette gestion justifie-t-elle l’existence de collecteurs distincts, aux statuts différents ? Ou ne vaudrait-il pas mieux fusionner les ASFO et les FAF ?

M. Christian NOLL : Nous avons une comptabilité analytique qui est régulièrement contrôlée par le commissaire aux comptes et qui fait apparaître les refacturations vers nos partenaires. Sur une restructuration éventuelle, je n’ai rien à dire. C’est aux administrateurs de se prononcer.

M. Antoine PERRET : Je suppose, Monsieur le Président, que vous voulez parler de la facturation des prestations réalisées. Une partie du personnel travaille effectivement pour l’ASFO.

M. le Président : Vous êtes alors en contradiction avec l’article 3 de la Convention de coopération technique que vous avez signée avec cet organisme, qui proscrit ce type d’affectation.

M. Christian NOLL : Notre personnel, dans son ensemble, est attaché au FAF. L’évolution des choses a fait que certains agents sont devenus, si j’ose dire, à dominante ASFO. Mais nous gardons toujours une approche globale des problèmes pour les entreprises du secteur, qu’il s’agisse du plan formation ou de l’alternance. Le guichet unique est un élément essentiel dans notre activité.

M. Antoine PERRET : Vous avez pu voir, dans les documents que nous vous avons envoyés, que nos frais de gestion sont inférieurs à 4 % pour le plan formation et à 6 % pour l’alternance. Le maximum toléré est 12 %.

M. Joseph KLIFA : Quel est le nombre des entreprises collectées ? Le montant de la collecte ? L’effectif de votre personnel ?

M. Antoine PERRET : Pour le plan formation, nous travaillons avec 500 entreprises, et pour l’alternance avec 2.000 environ. Le montant de la collecte a été, l’an dernier, de 28 millions de F. dans le premier cas, et de 10 millions de F. dans le second, pour 17 millions d’engagements. Le secteur alternance est déficitaire. Nous employons 11 personnes à temps plein.

M. Christian NOLL : Pour être tout-à-fait précis, nous étions à un peu plus de 9 « équivalents temps plein » en 1992. Nous sommes maintenant à peu près à 10.

M. Antoine PERRET : Outre l’ASFO, nous sommes aussi antenne du FONGECIF pour le congé individuel, et plus récemment du FONGEDIX, qui s’occupe des entreprises de moins de dix salariés.

M. le Président : Il y a des gens — je ne dis pas que ce soit mon opinion — qui pensent que toutes ces casquettes sur une seule tête, cela fait beaucoup, et qu’il serait préférable de séparer les responsabilités.

M. Antoine PERRET : Sur le plan formation, la situation est claire : nous sommes le seul organisme interprofessionnel de Haute Alsace. En ce qui concerne l’alternance, deux collecteurs avaient demandé l’agrément : l’ASFO et nous. Nous avons voulu jouer ensemble le jeu de la proximité. La multiplicité des casquettes ne pose aucun problème. Au contraire, elle nous permet d’offrir aux entreprises un guichet unique, comme vient de vous le dire M. Noll.

M. Bernard THUET : Dans le secteur chimie, nous cotisons pour le FONGECIF et pour l’ASFO au même bureau. C’est un avantage.

M. Christian NOLL : On pourrait s’interroger sur les congés individuels du FONGECIF. Mais tous les dossiers sont examinés par la commission paritaire, ce qui interdit tout dérapage. Il est clair que payer à trois endroits différents et à trois dates différentes pour des cotisations qui sont, finalement, assez modestes, n’est pas un bon système. Nous, au FAF, nous traitons les dossiers en une semaine. J’ajoute que nous avons quatre personnes qui vont sur le terrain pour conseiller les entreprises sur leurs projets de formation, notamment les PME.

M. le Président : Apportez-vous les mêmes avantages de simplicité et d’efficacité dans l’organisation de la formation ? Autrement dit, le juste retour vers les entreprises est-il bien assuré ?

M. Antoine PERRET : Je pense que oui, mais évidemment, je suis mauvais juge.

M. Bernard THUET : Nous faisons partie d’un certain nombre de forums de l’emploi qui ont été mis en place dans la région. Cela nous permet d’avoir un contact régulier avec les demandeurs d’emploi, et notamment les jeunes.

M. Germain GENGENWIN : Avez-vous un organigramme présentant vos diverses activités ? D’autre part, nous savons que toute la collecte d’ASFO n’est pas utilisée en Alsace. A quoi sert-elle ?

M. Antoine PERRET : L’organigramme figure dans le dossier qui a été fourni en réponse au questionnaire de la Commission. Il est vrai que ces dernières années, le budget d’ASFO Alsace a été excédentaire pour les formations en alternance. Je vous ai dit que ce n’était pas le cas du FAF, qui est structurellement déficitaire du fait de la répartition des entreprises selon le code APE : l’industrie a beaucoup de cotisations et peu de contrats, nous avons beaucoup de contrats et peu de cotisations. C’est pourquoi nous avions mis en place une péréquation des fonds entre les diverses OMA qui s’occupent d’alternance, et surtout avec l’ASFO. Ce n’est malheureusement plus possible aujourd’hui : la péréquation doit se faire au niveau national, à travers l’AGEFAL.

M. le Président : Avez-vous eu des excédents ?

M. Antoine PERRET : Jamais en ce qui concerne le plan formation, et pas davantage, bien sûr, pour l’alternance.

M. le Président : Le nouveau plan comptable imposé aux organismes collecteurs à compter du 1er janvier dernier vous cause-t-il des difficultés ?

M. Christian NOLL : Non, parce que nous assurions déjà le suivi des contrats mois par mois, ce qui nous permettait de faire figurer dans le plan le nombre exact des heures réalisées en alternance. C’est une très bonne chose que d’exiger cette précision. Mais pour nous, cela ne change rien.

M. Antoine PERRET : Je dois dire que nous regrettons qu’il ne soit plus possible d’assurer la péréquation des fonds de l’alternance au niveau régional. La nouvelle formule me paraît d’autant plus discutable qu’on constate aujourd’hui une baisse des contrats en alternance. Nous aurons probablement à reverser des fonds l’an prochain. Jusqu’à présent, l’entente était parfaite, même entre la Haute Alsace et la région de Strasbourg.

M. le Président : C’est une performance !

M. Joseph KLIFA : .Je reviens sur le dilemme branche ou interprofession. Certains pensent que les formations données dans le cadre d’une branche seraient plus qualifiantes. Qu’en pensez-vous ?

M. Antoine PERRET : C’est peut-être un peu plus vrai pour l’alternance ; mais pas pour le plan formation. L’inconvénient de la branche est double : les décisions ne tiennent pas toujours compte de la situation locale ; et la branche peut connaître des difficultés qui restreindront ses ressources. Le risque est moindre avec l’interprofession.

M. Christian NOLL : Même pour l’alternance, nous avons le sentiment, dans l’interprofession, de suivre la bonne démarche. Nous visons, en effet, des qualifications reconnues, et tous les partenaires sociaux, ainsi que la Direction du travail de la région, sont très vigilants sur les diplômes réels obtenus. Je crois savoir que ce n’est pas toujours le cas ailleurs.

M. Bernard THUET : L’an dernier, nous avons signé 243 contrats de qualification dans le cadre du FAF.

M. Germain GENGEWIN : Avez-vous le sentiment que les entreprises sont au courant des avantages qu’elles peuvent retirer de cette situation ? En d’autres termes, est-ce que les chefs d’entreprises ne considèrent pas seulement les fonds qu’il versent pour la formation comme de simples taxes, alors qu’ils en sont eux-mêmes indirectement les gestionnaires ?

Deuxième question : pensez-vous que les fonds de l’alternance peuvent être étendus à l’apprentissage et la formation des demandeurs d’emploi, notamment dans le cadre des nouvelles responsabilités confiées aux régions par la loi quinquennale ?

M. Antoine PERRET : Je vous répondrai d’abord que notre force réside justement dans le fait que nous sommes très proches des entreprises et que nous pouvons donc leur expliquer qu’il ne s’agit pas d’un impôt, mais d’un crédit qui leur ouvre de larges possibilités. Nous proposons en particulier, aux entreprises de moins de dix salariés, que nous visitons une fois par an, de se mutualiser pour bénéficier de formations plus performantes.

M. Bernard THUET : Nous organisons d’ailleurs une assemblée générale annuelle où tous nos adhérents sont conviés.

M. Christian NOLL : Je ne nie pas qu’il y ait un important travail à fournir pour bien expliquer aux entreprises ce qu’est la formation et à quoi correspondent les cotisations qu’elles doivent verser. Nous ne pouvons, notamment, occulter le FONGECIF ou l’ASFO, car nous sommes respectueux de notre mandat et des engagements que nous avons conclus avec nos partenaires. En somme, notre rôle est comparable à celui des VRP multi-cartes qui prennent régulièrement leur bâton de pèlerin.

M. Germain GENGEWIN : En ce qui concerne les fonds d’alternance, les FAF de branches risquent de transformer le système en place, car plusieurs de ces branches ont décidé d’en utiliser une partie au développement de l’apprentissage.

M. le Président : Il est vrai que la loi le permet, à hauteur de 0,35 %.

M. Christian NOLL : Un certain nombre d’ASFO ont déjà pris, d’ailleurs, des dispositions en conséquence. Je rappelle que les fonds de l’alternance sont passés de 0,3 à 0,4 %, ce qui correspond à des sommes peut-être trop élevées d’après certains élus employeurs. Si l’on veut éviter des mouvements de fonds qui profiteraient à certains, il serait préférable, à mon avis, d’aller dans le sens d’une qualité accrue de la formation, c’est-à-dire une formation plus créative. Nous nous y employons. Tant mieux si cela peut profiter à l’apprentissage par l’accès à la qualification des jeunes !

M. le Président : Je souhaiterais aborder le problème des délais de remboursement aux organismes de formation, dont un grand nombre d’entre eux dénoncent la lenteur. Qu’en-est-il pour vous ?

M. Bernard THUET : Je peux témoigner, en tant qu’utilisateur, qu’il n’y a aucun problème de ce côté.

M. Christian NOLL : En ce qui concerne le plan formation, ces délais sont d’une semaine, dans la mesure où les dossiers sont bien complets ; s’ils ne le sont pas, nous relançons les entreprises afin de pouvoir les régler au plus vite. Nous y mettons un point d’honneur, car il ne nous appartient pas de faire de la trésorerie sur le dos des organismes prestataires.

M. le Président : Vous assurez-vous de la qualité des stages ?

M. Christian NOLL : Bien sûr, puisque nous chargeons une commission de programmes de vérifier le prix et la qualité des prestations des différentes sociétés. Il est pour nous fondamental d’aider l’entreprise à bâtir un plan de formation fondé sur la qualité et qui fasse l’objet d’un appel d’offres. Ce n’est pas une mince affaire, mais nous y parvenons, justement, parce que nous sommes proches sur le terrain.

M. Antoine PERRET : C’est là le sujet de nombreux débats, car les entreprises ont le droit d’avoir leurs préférences et nous ne pouvons formuler qu’un avis.

M. le Président : Il est souvent reproché aux FAF d’avoir une gestion trop optimiste, de garder des fonds de roulement pléthoriques, et de dégager des produits financiers, dont l’utilisation n’est pas toujours très claire.

M. Antoine PERRET : Il est vrai que nous avons des produits financiers, qui sont parfois de l’ordre d’un million de F. C’est ce qui nous a permis, dans le passé, d’administrer les frais de gestion des entreprises, sans que cela leur coûte un centime, et de faire profiter plusieurs d’entre elles d’une certaine mutualisation.

M. le Président : Pourquoi répondez-vous, dans le questionnaire qui vous a été soumis, que les entreprises disposent de trois ans pour utiliser leurs versements. Pourquoi trois ans et non pas deux ?

M. Antoine PERRET : Le délai de deux ans correspond au versement des cotisations et celui de trois ans à l’utilisation de cette assiette.

M. Christian NOLL : Nous n’avons fait que suivre la règle des trois ans, qui est appliquée dans un grand nombre de FAF, et qui permet aux entreprises d’utiliser leur fonds avec retard, retard que nous essayons, d’ailleurs, de réduire. Il s’agit bien entendu de l’activité plan de formation.

M. le Président : Quand il s’agit de fonds de roulement, n’est-ce- pas un comportement un peu inflationniste ?

M. Christian NOLL : Je ne le pense pas, car si tous les adhérents demandaient à être remboursés en même temps, nous ne pourrions honorer leur demande.

M. Antoine PERRET : L’exercice de l’année 1993 a sans doute été très favorable, mais nous avons connu des périodes plus difficiles où ces fonds de roulement nous ont été très utiles.

M. Christian NOLL : Les mêmes fonds nous permettent aussi de participer ponctuellement à des actions en faveur des demandeurs d’emploi, mais de façon encore très marginale.

M. le Président : Certains FAF se mettent sous la tutelle d’organismes qui gèrent, notamment, l’actif patrimonial ou le personnel. Est-ce votre cas ?

M. Antoine PERRET : Je ne sais pas si l’on peut considérer la Chambre de commerce comme un organisme de tutelle, mais, pour notre part, il est vrai que le personnel que nous employons dépend d’elle, et que nous lui louons les locaux que nous occupons.

M. le Président : Question subsidiaire : quel est le montant des subventions que les FAF versent aux représentants des organismes syndicaux ?

M. Antoine PERRET : Nous versons 2.500 F. par an à chaque organisation syndicale. Malgré la modicité du montant, je tiens à préciser qu’il ne s’agit que d’une allocation budgétaire, aucune somme n’étant versée systématiquement. Ces sommes sont débloquées au cas par cas et sur présentation des factures. Ainsi, en 1993, seuls ont été versés 1.420 F. pour l’ensemble des cinq organisations présentes au Conseil.

M. Bernard THUET : Je souhaiterais préciser que les délégués des chambres patronales interviennent à titre gracieux et que les frais des représentants syndicaux sont remboursés sur titre justificatif.

M. Christian NOLL : J’ajouterai, à propos de la Chambre de commerce, que celle-ci met à notre disposition du personnel qui ne travaille que pour le FAF et dépend, par conséquent, du Conseil de gestion. La totalité des frais est donc reversée intégralement et les frais exposés correspondent aux frais réels.

M. Germain GENGEWIN : Combien de personnes employez-vous sur l’ensemble de vos structures ?

M. Antoine PERRET : Onze personnes, si l’on ne compte pas les « politiques ».

M. Germain GENGEWIN : Et vous réussissez à intervenir sur le terrain avec aussi peu de monde ?

M. Christian NOLL : Nous nous y employons.

M. le Président : Nous sommes maintenant à la fin de cet entretien. Quel conseil donneriez-vous à la commission pour arriver à une meilleure gestion des fonds de la formation professionnelle ?

M. Bernard THUET : Dans le cadre d’un bassin d’emploi, la notion de paritarisme me paraît essentielle. En effet, lorsque les représentants des deux délégations, patronale et salariée, se réunissent, ils font un travail très profitable, car ils sont les mieux placés pour connaître les vrais problèmes du terrain.

M. le Président : La discussion actuelle porte sur deux approches différentes : une organisation interprofessionnelle régionale, ou une centralisation par branche. Où va votre préférence ?

M. Antoine PERRET : Je dirais : attention à ne pas agréer un trop grand nombre de FAF de branches ! Il est bien préférable de continuer à travailler dans l’interprofessionalité.

M. le Président : Messieurs,je vous remercie.




Audition de Mme Marie-Christine DESBOIS,

Responsable du cabinet d’ingénierie formation
« Entreprises, performance »

(Extrait du procès-verbal de la séance du 13 avril 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

Mme Marie-Christine Desbois est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Marie-Christine Desbois prête serment.

M. le Président : Nous vous remercions, Madame, d’avoir accepté de témoigner devant cette commission. Vous faites partie de ce que l’on appelle les opérateurs de terrain. Pouvez-vous nous parler de votre longue expérience et des dysfonctionnements de la formation professionnelle, tels que vous les avez vécus ?

Mme Marie-Christine DESBOIS : Monsieur le Président, je vous remercie d’avoir bien voulu m’entendre et je souhaiterais que mon témoignage soit considéré, non pas comme un constat négatif, mais comme la volonté de voir se reconstituer des pratiques de formation plus saines et plus solides.

J’ai créé en 1984 un organisme de formation professionnelle spécialisé dans la micro-informatique. J’ai souhaité le faire sous forme de SARL, puisque nous vendions des prestations, démarche peu courante toutefois, dans la mesure où ces organismes sont, en général, des associations. Après six ans d’exercice, nous pouvions être satisfaits de notre développement puisqu’avec six millions de chiffre d’affaires, nous faisions partie des 4 % des organismes de formation les plus importants de France et que nous avions pu ouvrir trois autres centres. Pendant ce temps, nous avons surtout dispensé une formation-pilote et expérimentale et nous avons été une des premières « missions nouvelles qualifications » de Bertrand Schwartz. J’ai donc vécu, jusqu’en 1989, la formation sous toutes ses facettes, sans être confrontée vraiment à des dysfonctionnements graves. C’est en 1989 que les choses se sont gâtées quand s’est créé le CFI qui a changé les règles du jeu. Les responsables du CFI ont voulu, tout d’abord, que soient regroupés les différents organismes de formation et qu’ils soient gérés par un seul organisme collecteur. L’idée nous a paru très séduisante sur le papier et nous nous sommes engagés à fond dans cette nouvelle pratique de la formation individualisée. La réalité, hélas ! fut bien différente, car, si nous étions les maîtres d’œuvre de la qualification, nous ne l’étions jamais des conventions, toujours passées avec un très petit noyau d’organismes de formation de la région, qui, tous, s’apparentaient, curieusement, à l’institut de formation Léo Lagrange. Ces organismes nous redistribuaient ensuite l’argent, en prenant leur commission au passage, sous le simple prétexte qu’ils étaient les titulaires de la convention.

Quelques mois plus tard, les services de la préfecture de région nous ont demandé de mettre en place des structures communes. Pour des raisons évidentes de coût de gestion — pourquoi aurions-nous participé aux frais d’une autre structure ? —, mes associés et moi-même, nous avons refusé. Sans vouloir refaire « Dallas » à Nantes, notre situation, à partir de là, est devenue extrêmement difficile, car on nous accusait de tous les maux : problèmes de stagiaires remis en stages, pétitions contre notre organisme, tout était bon pour nous mettre en difficulté. Je peux fournir à la commission tous les documents nécessaires, si ses membres le souhaitent.

Mes partenaires de la direction départementale du Travail et de l’emploi et de l’ANPE m’ont alors bien fait comprendre qu’il était préférable, pour moi, d’aller m’installer ailleurs, dans une autre région. Je n’ai pas voulu tenir compte de leurs conseils. Dès mon premier refus, en août 1990, j’ai fait l’objet d’un contrôle de la part de la cellule régionale. Malheureusement pour mes détracteurs, ce rapport, qui est joint à mon dossier, ne formule aucune critique à notre encontre, ni en matière pédagogique, ni sur le plan matériel ou comptable. Convoquée par le délégué régional à la Formation professionnelle, je me suis entendue tenir le discours suivant, devant témoins : « Nous n’avons pas pu vous avoir financièrement, mais nous vous aurons psychologiquement ». Et comme j’objectais que nous vivions dans un Etat de droit, il m’a été répondu : « Droit ou pas, tant que je resterai dans la région, vous ne ferez plus de formation professionnelle. »

Le bras de fer s’est donc engagé et le délégué régional à la formation professionnelle a demandé des modifications à mon rapport de contrôle . Il n’a pas eu gain de cause, puisque ce rapport a été maintenu tel quel et validé par la cellule nationale. J’ai alors commis ma première grosse erreur en adressant au préfet de région un bilan circonstancié sur la mise en place du CFI et ses dysfonctionnements, l’ingérence des services de la DDTE et de l’ANPE, et le climat regrettable qui s’était instauré dans le milieu de la formation. Pour toutes ces raisons , j’ai demandé que la convention que nous avions signée pour former seize jeunes au dessin par ordinateur soit suspendue.

Ce rapport fut, hélas ! très mal perçu, d’autant que j’avais soulevé un point de dysfonctionnement important, en précisant que les jeunes ne faisaient jamais l’objet d’un bilan de compétence et qu’on se demandait comment ils pouvaient être inscrits dans un CFI. En conséquence, j’ai dû affronter tout un arsenal de mesures de rétorsion mises en place contre moi, notamment l’annulation illégale de conventions signées et le non-paiement de stages déjà terminés depuis six mois.

Le Ministre, Mme Martine Aubry, a fini par être informée de ma situation et a voulu provoquer une réunion avec les différents responsables. Mais ceux-ci ont fait en sorte que cette réunion n’ait jamais lieu.

A partir de ce moment-là, je me suis trouvée confrontée à des problèmes de trésorerie que je n’ai pu résoudre. J’ai demandé un échelonnement des taxes, qui m’a été refusé, bien que j’aie soumis au Trésorier payeur général une liste de créances sur l’Etat qui s’élevait à 1 million de F. Cette situation rocambolesque a entraîné la fin de mon entreprise EPS. Devant mon refus de déposer un bilan qui demeurait positif, on a demandé à l’URSSAF de liquider ma société en juillet 1992.

Il me restait à comprendre ce qui m’était arrivé. J’ai donc essayé de remonter le fil de mon histoire et je me suis souvenue que mes ennuis avaient commencé avec le partenariat auquel m’avait contraint le CFI. Or, j’ai vite découvert qu’il y avait une forte participation croisée au sein des conseils d’administration des dix plus gros organismes de la région nantaise. Nous y retrouvions toujours des représentants soit de l’institut Léo Lagrange soit de son organisme de formation attitré, l’INSTEP. C’était donc, en réalité, une seule et même structure qui s’était opposée à moi. J’ai découvert que ses différents responsables étaient aussi, curieusement, des élus. Vous comprendrez aisément que je me sois intéressée de plus près à ces deux institutions, Léo Lagrange et l’INSTEP. Celles-ci, à leur tour, ont fait l’objet d’un contrôle, de la part du groupe régional, qui a abouti à un redressement de 14 millions de F. en 1992, soit 30 % de leur chiffre d’affaires. On s’est aperçu que l’INSTEP jouait le rôle d’une plaque tournante où pouvaient s’échanger les personnels. Sur les quatorze millions de redressement, il y en avait quatre qui ne correspondaient à aucune prestation justifiée, et le reste représentait des factures non imputables à la formation professionnelle. Toutes ces informations ont paru dans la presse et figurent au rapport de l’inspecteur chargé du contrôle, rapport qui est resté bloqué dans les bureaux de la délégation régionale. Quant à l’inspecteur, il a été prié de s’abstenir désormais de contrôler qui que ce soit.

Que dire encore ? La liste est longue des péripéties en tous genres. Léo Lagrange achète, en 1989, un immeuble pour en faire son siège dans la commune de Saint Sébastien et demande à bénéficier d’une subvention d’équipement, alors que ce type de subvention devrait être réservé à l’usage exclusif des organismes de formation professionnelle. Elle y installe l’INSTEP, sans doute, mais en échange d’un loyer de 15.000 F. Tout cela se passe dans la plus grande convivialité, puisqu’Yves Laurent, maire de Saint Sébastien, est président de l’INSTEP et que le président de Léo Lagrange, lui, n’est autre que Gérard Mauduit, adjoint au maire de Saint Nazaire. Je précise que la subvention a été accordée sur les fonds réservés au contrat de plan Etat-région et qu’elle n’a jamais fait l’objet d’une demande au COREF. Elle n’a d’ailleurs été signée que par le délégué régional. J’ajouterai que le trésorier payeur général, si sourcilleux avec moi, n’a même pas vérifié la légalité de cette subvention.

Tous ces événements, qui se sont produits en même temps qu’on s’acharnait contre moi, m’inclinent à penser qu’il y avait vraiment deux poids deux mesures, selon les organismes de formation. Ironie cruelle du sort, la région nantaise semble marquée par le destin : sur les trois délégués régionaux à la Formation professionnelle qui se sont succédé en dix ans, le premier a sauté du vingt-neuvième étage, le second s’est vu expulser de la fonction publique à la suite d’un scandale et le troisième se trouve aujourd’hui avec une affaire pour le moins délicate sur les bras. Quant au malheureux Yves Laurent, chacun sait qu’il s’est suicidé dans des conditions particulièrement tragiques.

L’INSTEP, depuis, a été liquidé, mais le préfet de région a ramené le montant du redressement de 14 à 4 millions de F.

M. le Président : Le préfet de région n’est pas compétent pour prendre de telles mesures !

Mme Marie-Christine DESBOIS : Toujours est-il qu’en juin 1992, l’INSTEP avait un passif de 28 millions de F., soit plus des deux tiers de son chiffre d’affaires. Il reste à déplorer le fait que de tels événements aient empoisonné le climat de la formation professionnelle dans la région et que les organismes aient tous , plus ou moins, mis la clé sous la porte. Dans un paysage devenu désert, le Délégué régional à la formation professionnelle est toujours à son poste et l’on continue de s’acharner contre moi.

Pourtant, je ne me laisse pas abattre, puisque j’ai créé un cabinet d’expertise et que la région m’a confié un audit de CFA. Je souhaiterais que vous ne donniez pas foi aux accusations de paranoïa dont j’ai été l’objet, mais il est vrai que je suis toujours la cible d’attaques parfaitement illégales : l’huissier force ma porte sans commissaire de police et sans l’aide d’un serrurier pour me réclamer des sommes que je ne dois pas ; on perd systématiquement mes déclarations d’impôts pour pouvoir me taxer ensuite, et l’on me demande de payer le redressement fiscal de mon ex-mari, dont je suis séparée depuis dix ans. Cherche-t-on à m’intimider ? Veut-on me discréditer devant vous ? Il n’en reste pas moins que je vous suis reconnaissante de m’avoir permis, pour la première fois, de m’exprimer comme je le souhaitais, en cherchant à découvrir une explication rationnelle à tout ce qui m’est arrivé.

M. le Président : Madame Desbois, pensez-vous que votre cas soit exceptionnel ?

Mme Marie-Christine DESBOIS : je ne suis pas la seule, en tout cas, dans la région nantaise. Il existe sans doute d’autres exemples ailleurs, mais ils ne sont pas du même ordre. Ce qui est grave, c’est que ce sont les mêmes équipes qui fonctionnent depuis des années, les mêmes qui, anonymement, obtiennent par cooptation les projets. Si l’on veut réellement assainir le système, il ne suffira pas de couper les têtes. Il faudra veiller avec la plus grande rigueur à ce que les textes, en matière de subventions, soient appliqués, car l’ensemble de ces dysfonctionnements porte sur des sommes énormes. Quand le texte de la loi de 1974 prévoit des annexes pédagogiques très précises qui doivent être jointes à toute demande de subvention, il est anormal qu’un Trésorier payeur général verse de l’argent pour un dossier où ces annexes sont vierges.

M. le Président : Il semble de plus en plus fréquent que les délégués régionaux à la Formation professionnelle passent dans le privé, et notamment dans des organismes collecteurs de formation. Avez-vous une expérience là-dessus et quels sont vos commentaires ?

Mme Marie-Christine DESBOIS : J’ai une certaine expérience que je vous livre, « brute de décoffrage » : il est vrai que, jusqu’à maintenant, les fonctionnaires des services des directions régionales constituaient la mine principale de cooptation. A l’exception de ceux qui éprouvaient une sorte de ras-le-bol et qui ne voulaient plus entendre parler de formation, ce sont toujours les mêmes gens que l’on retrouve dans les circuits.

M. Germain GENGENWIN : Je n’ai pas de question à poser à Madame Desbois. Son témoignage est pour nous un exemple de ce qui peut se passer en matière d’utilisation des fonds de la formation professionnelle. J’ignore encore les enseignements que nous pourrons en tirer pour obtenir davantage de contrôle dans les régions.

Mme Marie-Christine DESBOIS : Je remercie la commission de m’avoir entendue et j’espère surtout que mon témoignage contribuera à un assainissement de la formation professionnelle.

M. le Président : Je vous remercie à mon tour.




Audition d’une délégation du GFC-BTP

composée de

MM. Jean MARTIN, Directeur général,
Marcel MALMARTEL, Directeur
et Mme Monique GOYARD, Adjoint au Directeur général

(Extrait du procès-verbal de la séance du 13 avril)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

MM. Jean Martin, Marcel Malmartel et Mme Monique Goyard sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Jean Martin, Marcel Malmartel et Mme Monique Goyard prêtent serment.

M. le Président : Pouvez-vous pour commencer nous présenter la structure du GFC-BTP ?

M. Jean MARTIN : Le GFC-BTP est un organisme paritaire professionnel, créé le 29 juin 1972 par un accord collectif entre les organisations salariales et patronales du bâtiment, dès la mise en œuvre de la loi de 1971. Ce groupement a pris la forme d’un FAF, conformément à la réglementation.

Il est administré par un conseil d’administration qui comprend vingt titulaires et dix suppléants, répartis également entre les employeurs et les salariés. Le GFC est relayé par des associations régionales, les AREF, qui sont au nombre de 22 dans la métropole et de deux dans les départements d’outre-mer, et qui sont constituées et administrées de la même façon que le GFC lui-même. Chacune de ces entités comprend un personnel permanent : pour le GFC, un directeur général, un directeur, un adjoint au directeur général, ainsi que cinquante personnes réparties comme le montre l’organigramme qui vous a été remis ; de la même façon, les AREF ont un secrétaire général ou un directeur, et emploient au total 230 personnes, l’effectif de chacune d’entre elles variant de 5 à 16 personnes. Voilà donc les structures à la fois administratives et juridiques du GFC, étant précisé que les administrateurs qui y participent bénévolement sont au total, pour le GFC lui-même et les AREF, au nombre de 700.

M. le Président : L’importance de ces effectifs ne rend-elle pas la machine un peu lourde ?

M. Jean MARTIN : Sans doute, mais grâce à ces nombreux bénévoles, nous sommes toujours en prise directe avec les besoins de la profession, exprimés tant par les employeurs que par les salariés. De plus, les AREF servent de relais dans les entreprises pour diffuser l’information auprès des employeurs et des salariés.

M. le Président : Les AREF n’assurent pas la collecte. Quel est donc leur rôle ? Avez-vous connaissance de leurs frais de gestion ?

M. Jean MARTIN : Seul le GFC est agréé en tant que collecteur, FAF, OPACIF et OMA. Les AREF, de leur côté, sont des organes de terrain qui assurent la liaison entre les entreprises, les salariés et les formateurs. Le GFC est bien entendu informé de leurs frais de fonctionnement, dont il supporte la plus grande part par le biais de dotations qu’il leur verse. Les AREF doivent rendre compte de l’utilisation de ces dotations, leur bilan étant certifié par un expert-comptable. Le commissaire aux comptes du GFC lui-même contrôle toutes les AREF une fois tous les trois ans.

C’est encore le GFC qui attribue aux AREF les dotations destinées au financement de la formation sur le plan régional. C’est à lui qu’il appartient de leur donner les instructions pour l’utilisation de ces sommes et à qui revient le contrôle de la répartition des fonds ainsi que du respect des directives. Toutes les dispositions sont donc prises pour éviter des dérapages, qui sont d’ailleurs rares.

M. le Président : Comment s’effectuent les transferts de ressources entre les différents organismes collecteurs, FAF, OPACIF et OMA ? Pouvez vous nous dire quelques mots sur ces mouvements croisés ?

M. Jean MARTIN : Je dirai qu’il n’y a pas, à proprement parler, de mouvements croisés entre les régimes gérés par le GFC. Nous veillons avec beaucoup de rigueur à ce que chaque régime fonctionne avec ses propres ressources et que ses dépenses puissent être bien contrôlées.

Le contrôle est encore plus rigoureux pour ce qui concerne la formation continue et l’alternance. Il n’y a absolument aucun glissement de fonds, et j’y insiste, entre les deux. Nous avons d’ailleurs pris la précaution d’ouvrir des comptes bancaires différents pour chacune de nos activités. C’est seulement par décision du Conseil d’administration que des sommes sont transférées du FAF au CIF.

M. le Président : Mais la loi autorise-t-elle ce transfert ?

M. Jean MARTIN : Je ne parle pas des fonds de l’alternance, mais des fonds mutualisés pour le compte du plan de formation. J’insiste encore sur le fait qu’il n’y a aucun transfert entre les fonds de l’alternance et ceux de la formation continue. Ce n’est qu’à l’intérieur de la formation continue que, sur décision du conseil d’administration, des transferts peuvent être opérés du plan de formation au CIF (l’inverse n’est pas possible). Cette pratique a d’ailleurs toujours eu lieu, car, en matière de congé individuel de formation, l’activité est très importante dans la profession du BTP. Rien, dans la loi, n’interdit ce transfert.

Vous avez relevé, Monsieur le Président, et nous en sommes conscients, que nous avions des disponibilités importantes en matière d’alternance. La raison en est simple : la situation du BTP est très spécifique quant à la formation des jeunes puisque la profession a toujours accordé une importance particulière à l’apprentissage. C’est ainsi qu’elle a créé il y a cinquante ans le Comité central de coordination de l’apprentissage (CCCA). Depuis très longtemps également, il existe une taxe parafiscale alimentant le CCCA, et qui, depuis 1973, est imputée sur la participation à la formation continue, étant en quelque sorte considérée comme une dépense libératoire. De ce fait, la part de la formation continue se trouve réduite de 0,30 %, ce qui n’est pas négligeable puisque cette amputation se fait, non pas sur la partie des cotisations affectées au CIF et à l’alternance, mais sur celle qui va au plan de formation de l’entreprise. Or, les besoins pour la formation des jeunes par la voie de l’alternance sont forcément moindres, puisque le BTP recourt largement à l’apprentissage. On aboutit ainsi à une situation paradoxale, le financement de la formation continue des salariés de l’entreprise, amputé d’un tiers, étant déficitaire, alors que les fonds destinés aux jeunes sont excédentaires par rapport aux besoins.

Pour remédier à ce déséquilibre de financement qui met le BTP dans une situation délicate, nous avons proposé que la taxe parafiscale dont j’ai parlé ne soit pas imputée sur la part réservée à la formation continue des salariés de l’entreprise, mais sur les fonds de l’alternance, ce qui rétablirait l’égalité entre le BTP et les autres industries.

Il existe bien, par conséquent, un excédent des fonds de l’alternance et le législateur en a tenu compte puisqu’en 1986, il a autorisé les organismes se trouvant dans la situation du GFC-BTP à affecter ces fonds à la formation des jeunes salariés d’entreprise et, en 1994, à titre exceptionnel, à la formation des salariés menacés de perdre leur emploi. Autrement dit, il s’agit là d’un transfert légal, qui est opéré par un accord signé entre le ministre du Travail et les partenaires sociaux du bâtiment.

M. le Président : Cet excédent de 30 millions de F., puis, en 1991, de 15 millions de F. a été versé à l’OMA, du CCCA et a donc fait l’objet d’une convention. Quelle prestation le CCCA vous fournissait-il en échange ?

M. Jean MARTIN : Rien. Le CCCA utilise ces fonds pour financer des contrats d’insertion des jeunes, dans le cadre de la réglementation. Les transferts au CCCA ont fait l’objet à chaque fois d’une décision d’autorisation du ministère chargé de la formation professionnelle.

M. le Président : Pourriez-vous nous parler de la collecte assurée par la Caisse nationale de retraite des ouvriers du bâtiment et des travaux publics, la CNRO ? Il semble que, jusqu’en 1986, le mandat confié à la CNRO n’ait précisé de façon formelle ni la nature des prestations fournies, ni les principes de reversement des fonds du GFC-BTP, ni les modalités de facturation retenues par la CNRO.

M. Jean MARTIN : Il s’agit là d’une formule voulue, dès 1972, par les partenaires sociaux et qui ne relève nullement d’une décision du conseil d’administration du GFC. Ce sont les partenaires sociaux et eux seuls qui ont décidé de confier à la CNRO la collecte des cotisations du GFC-BTP.

J’ai souhaité, pour ma part, que les opérations de collecte soient formalisées dans une convention avec la CNRO, ce qui a été fait en 1986 et doit être renouvelé de façon plus précise encore dans les semaines qui viennent.

M. le Président : Pensez-vous que le fait que la collecte passe par un réseau aussi compliqué, qui n’est pas obligatoire, même s’il est utile pour certains, soit un facteur de transparence ?

M. Jean MARTIN : Je vous répondrai que ce sont les partenaires sociaux qui ont pensé que cela évitait au GFC de mettre en place un système de collecte, avec le fichier nécessaire, et de gérer le contentieux qui pourrait s’ensuivre. Ils ont estimé qu’un tel système permettait d’opérer la collecte à moindres frais. Quant à la transparence, je ne vois pas où est le problème. L’argent transite, en effet, par la CNRO, mais dans des délais qui ne sont pas suffisants pour permettre de dégager des produits financiers importants, encore que l’Inspection générale des finances ait considéré que compte tenu du volume des masses financières en cause, un délai de deux ou trois jours pouvait engendrer des produits non négligeables.

M. le Président : L’Inspection générale des finances a évalué ces produits financiers à 1,5 million de F. pour 1992, ce qui n’est pas rien.

Puisque vous évoquez ce rapport de l’Inspection des finances, je m’étonne que vous n’ayez pas indiqué, dans le questionnaire qui vous avait été soumis, que vous aviez fait l’objet d’un contrôle par l’IGAS et l’IGF, en 1992.

M. Jean MARTIN : Ce n’était pas un contrôle, à proprement parler, puisque les inspecteurs ont parlé de « vérification ». Je ne joue pas sur les mots : sincèrement, nous avions compris que le questionnaire ne visait que les contrôles exercés par le groupe national de contrôle. Nous n’avions aucune raison de vous cacher le fait que nous avions fait l’objet de cette vérification de l’IGAS. J’en veux pour preuve le fait que j’ai moi-même évoqué ce rapport.

M. le Président : Pensez-vous que ce soit une bonne formule de faire collecter les fonds destinés à la formation professionnelle par un organisme externe comme la CNRO ?

M. Jean MARTIN : Je ne puis vous répondre, puisque le GFC n’a aucun pouvoir de décision là-dessus. Les partenaires sociaux ont dû privilégier cette formule pour de bonnes raisons.

Je rappelle que le GFC-BTP comprend 23.000 entreprises, le plus souvent de petite taille et dissiminées sur l’ensemble du territoire. Il est évident que si nous devions nous charger de la collecte des fonds, il faudrait mettre en place une structure beaucoup plus lourde que celle qui existe. Notre tâche est grandement facilitée par tout le système d’organisation de la CNRO.

M. le Président : Quelle influence avez-vous sur le suivi et la qualité de la formation ? La vérification de 1992 avait montré que vous ne disposiez pas de moyens de contrôle suffisants.

M. Jean MARTIN : Je suis assez surpris de vos propos, car le GFC-BTP est ordinairement considéré comme un organisme qui, grâce à ses travaux d’ingénierie sur l’offre de formation, veille avec un sérieux particulier à la qualité de la formation. Ces travaux sont conduits, notamment, avec l’Education nationale, et nous nous efforçons à la fois de réduire la durée de la formation et de l’individualiser au maximum dans le but d’en limiter le coût et d’en améliorer l’efficacité. Nous avons signé, dans cet esprit, des conventions avec l’Education nationale, l’AFPA et d’autres formateurs importants et nous menons dans ce cadre de nombreuses actions concrètes que je pourrai détailler si vous le souhaitez.

M. le Président : Pourtant, le rapport de 1992 de l’IGAS et de l’IGF souligne, page 85, une « faiblesse des moyens de contrôle » qui ne vous permet pas, je cite, « d’avoir une influence sur le coût et la qualité de la formation ».

M. Jean MARTIN : C’est une affirmation que nous avons dû contester, sur la base des éléments que je viens de vous indiquer.

M. le Président : Quelle est votre pratique en matière de subventions accordées aux organisations professionnelles représentatives ? Et sur quoi, éventuellement, sont-elles imputées ?

M. Jean MARTIN : Nous nous bornons à appliquer les dispositions arrêtées il y a une vingtaines d’années par les partenaires sociaux à l’égard de l’ensemble des organismes paritaires du BTP. Ils avaient alors souhaité harmoniser les indemnisations accordées par chaque organisme paritaire à ses administrateurs pour leur participation à des réunions statutaires. Ils ont ainsi conclu en 1973 un accord définissant les modalités d’indemnisation des administrateurs.

M. le Président : Versez-vous des subventions pour le bon fonctionnement du paritarisme ?

M. Jean MARTIN : Nous versons des indemnités correspondant aux frais engagés par les administrateurs pour leur transport et leur hébergement. S’agissant des pertes de salaires dues à leur absence, elles sont directement payées à l’entreprise, de façon que celle-ci maintienne son salaire à l’intéressé et qu’il continue à bénéficier de la couverture sociale. Cela représente à peu près 300.000 F. par an.

M. le Président : Aux termes de la convention signée en 1973, la subvention devrait représenter un pourcentage de la masse salariale.

M. Jean MARTIN : Nous ne parlons pas de la même chose. Il y a, effectivement, un autre volet à l’accord, concernant le versement aux organisations représentées dans les organismes paritaires d’une subvention annuelle qui, jusqu’à ces derniers temps, était assise sur la masse salariale des organismes, et qui, maintenant, tient également compte du montant des cotisations encaissées. Pour le GFC, cette subvention était de l’ordre de 10.000 F. par organisation, elle est maintenant de l’ordre de 25.000 F. en vertu d’un récent avenant.

M. le Président : Je vous prierais de nous communiquer la convention et l’avenant. Payez-vous des prestations à des conseillers techniques ?

M. Jean MARTIN : Non. L’accord de 1973 avait précisément pour but d’éviter que les organisations syndicales ne demandent à disposer de conseillers techniques dans tous les organismes paritaires.

M. le Président : Comme vous le savez, l’objectif de notre commission est de rechercher si les quelque 120 milliards de F. de la formation professionnelle ne pourraient pas être mieux utilisés. On fait beaucoup de reproches aux organismes collecteurs. Avez-vous personnellement un message à nous communiquer sur ce sujet ?

M. Jean MARTIN : Oui, et il est très simple. Il faudrait mieux prendre en compte les spécificités du secteur du BTP en matière de financement de la formation professionnelle, pour ne pas aboutir, comme c’est le cas actuellement, à des aberrations et à des déséquilibres dus uniquement à une application trop rigide des textes. On obtiendrait de meilleurs résultats si les structures existantes étaient améliorées et, peut-être, si elles étaient moins nombreuses. Trois organismes traitant de la formation professionnelle dans le BTP, c’est beaucoup. En revanche, l’organisation décentralisée mise en place par le GFC est un élément positif, car elle permet d’élaborer une politique de branche avec des informations qui montent de la base et des directives qui redescendent du sommet. Mais il faut veiller à ce que cette décentralisation ne rendent pas les structures régionales trop indépendantes de l’organisation centrale, qui peut, seule, assurer le contrôle de la bonne utilisation des fonds.

M. le Président : Et le contrôle qui s’exerce sur le GFC ? A votre avis, est-il suffisant ?

M. Jean MARTIN : Nous sommes probablement sollicités plus que d’autres. Mais je ne m’en plains pas, car je ne crains pas les contrôles. J’ai toujours accueilli les inspecteurs de l’IGF et de l’IGAS avec plaisir, considérant comme une marque de distinction le fait qu’ils s’intéressent à nous. A mes yeux, je vous l’ai dit, il ne s’agit pas à proprement parler d’un contrôle : les inspecteurs viennent voir comment nous fonctionnons et nous demandent des idées, des suggestions. Je les ai reçus de nouveau au début de 1994, mais je n’ai pas encore eu connaissance de leur rapport. Pour moi, le vrai contrôle est celui qu’exerce, chaque année, sur pièces, le groupe national de contrôle. Ce groupe a reconnu que les documents comptables que nous présentions étaient toujours impeccables.

M. le Président : J’ai compris que vous étiez très favorable à une structure de branche pas trop décentralisée. L’autre formule a aussi ses défenseurs. Ce n’est pas à nous de trancher. On peut sans doute apporter des améliorations des deux côtés.

M. Jean MARTIN : Il faut nous enrichir de nos différences !

M. le Président : Sans doute. Comme disait le poète, c’est de l’uniformité que naquit un jour l’ennui. Je vous remercie pour votre collaboration.

M. Jean MARTIN : Nous sommes contents, nous aussi, d’avoir été distingués et entendus par vous.




Audition de M. Michel GIRAUD,

Ministre du Travail, de l’emploi et de la formation professionnelle

(Procès-verbal de la séance du 21 avril 1994)

Présidence de M. Jean Ueberschlag, Président

M. le Président : M. le Ministre, depuis le mois de décembre dernier, la Commission a procédé à vingt-trois auditions, questionné les représentants de nombreux organismes de collecte et de formation et a même entrepris des audits de ces organismes, ce qui est une innovation. Arrivant au terme de nos entretiens avec les nombreux partenaires de la formation professionnelle, nous avons souhaité clore cette partie de nos travaux en vous entendant, M. le Ministre. La formation professionnelle fait en ce moment l’objet de divers rapports commandés par différents ministères, rapports dont les conclusions, publiées dans la presse ces jours derniers, suscitent une certaine agitation. Nous souhaitons que le nôtre jette sur cette question un éclairage inhabituel.

Mais, dès à présent, ce que nous savons de la teneur de ces documents et nos propres informations nous confortent dans l’impression que ceux qui affirment l’existence d’un grand scandale exagèrent, et que ceux qui déclarent que tout va bien aimeraient que cela n’aille pas mieux. Le système actuel, complexe et contrasté, fondé sur le paritarisme, n’est ni tout blanc ni tout noir, mais peut-être le temps est-il venu de repartir sur des bases actualisées en simplifiant ce qui s’est singulièrement compliqué depuis 20 ans, à mesure que les dispositions nouvelles se stratifiaient. Quel est votre sentiment, M. le Ministre, sur l’utilisation des fonds affectés à la formation professionnelle ?

M. Michel GIRAUD : Je suis d’autant plus heureux de répondre à votre invitation, M. le Président, que j’ai toujours considéré la constitution de cette commission d’enquête parlementaire comme une excellente initiative. L’examen rigoureux, pluraliste et objectif de la situation auquel vous vous êtes livrés au cours de vos nombreuses séances est un gage de sérénité et les conclusions de vos travaux seront un bon cadre de référence pour les nécessaires réformes à venir.

J’approuve sans équivoque votre constat : rien, en effet, n’est tout blanc ni tout noir dans la formation professionnelle. Mais lorsqu’un sujet délicat sort de l’ombre, qui met enjeu, comme c’est le cas, des intérêts contraires, les excès sont à fleur de lèvres, excès critiques largement amplifiés, dans une société fortement médiatisée, par des indiscrétions que je suis le premier à déplorer. Cela étant, il serait erroné de prétendre que le système pris en charge depuis 23 ans par les partenaires sociaux est parfaitement rodé et efficace. S’il l’était, l’insertion des jeunes dans le marché du travail serait moins difficile et moindre le chômage des jeunes actifs. A ce sujet, il faut être clair et établir nettement que c’est un jeune actif sur quatre qui est au chômage, puisque, sur cent jeunes âgés de moins de 26 ans, soixante poursuivent des études, d’autres sont au service militaire ou en contrat de formation et trente travaillent. Mais il serait tout aussi malveillant de dire que rien n’a été fait, que, dans ce secteur, la malhonnêteté est généralisée ou encore que l’on entretient sans raison des myriades de fonctionnaires. Ces deux attitudes sont excessives et il faut donc rechercher une voie raisonnable, partenariale, sans que soit gommé le rôle majeur du Parlement en la matière. Je souhaite donc me donner le temps nécessaire pour analyser avec toute la prudence requise l’ensemble des rapports achevés ou en cours de rédaction et prendre largement en compte les conclusions des travaux de votre commission. Cela signifie que le projet de loi sur la formation en alternance ne sera pas soumis au Parlement au cours de son actuelle session comme cela avait été initialement prévu, mais durant la session d’automne. Ainsi les passions se seront-elles apaisées et les partenaires sociaux comme les parlementaires auront-ils pu disposer du maximum d’éléments. Car pour s’imposer très fortement, le projet de loi régissant la formation en alternance ne doit pas pour autant être accouché aux forceps.

Plutôt que de vous donner lecture de l’exposé que j’avais préparé et qui récapitule les principaux problèmes en suspens, je vous en laisserai copie, et je me tiens à la disposition de la commission pour répondre à ses questions.

M. le Président : Une négociation vient de s’engager entre les partenaires sociaux sur l’avenir de la formation professionnelle. Selon vous, M. le Ministre, quel doit être le rôle de l’Etat et quel doit être celui des partenaires sociaux en la matière ? Ces derniers sont-ils les mieux placés pour corriger des dysfonctionnements qu’ils ont contribué à créer ? Et que proposez-vous pour revaloriser le rôle, très amoindri, du Parlement dans l’élaboration des règles de la formation professionnelle ?

M. Michel GIRAUD : La formation professionnelle est le fait de quatre acteurs : le Parlement, le gouvernement, les partenaires sociaux et les régions. Il ne peut être question que quiconque prétende « tirer la couverture » à soi. Il s’agit donc d’organiser le partenariat et de le faire vivre en ayant précisé avec soin les responsabilités de chacun.

Le Parlement a vocation à fixer le cadre juridique, administratif et financier dans lequel doit se développer la formation professionnelle. La loi quinquennale votée par le Parlement contient des dispositions relatives à une décentralisation progressive, partenariale, de la formation professionnelle, à la revalorisation de l’apprentissage ou encore aux diverses formes de contrôle, et elle appelle le projet de loi sur la formation en alternance qui devrait, comme je l’ai dit, être présenté au Parlement à la session d’automne. Le Parlement a aussi droit de regard sur les politiques régionales de la formation professionnelle, et le Comité de coordination des programmes régionaux, chargé de l’évaluation de ces politiques doit, conformément à l’article 53 de la loi quinquennale, lui faire rapport. Le Parlement a également vocation à voter les crédits, c’est-à-dire le budget du Ministère, dont une annexe est exclusivement consacrée à l’effort de financement de la formation professionnelle de la nation.

Le gouvernement, pour sa part, a vocation à mettre en œuvre l’ensemble des dispositions de caractère budgétaire, législatif et réglementaire votées par le Parlement, à exercer les fonctions de contrôle qui sont les siennes et à définir des politiques de référence. C’est ainsi que, conformément à l’article 73 de la loi quinquennale, la qualité de la formation va très prochainement faire l’objet d’une circulaire d’application.

Les partenaires sociaux ont été impliqués directement, depuis 1971, dans l’élaboration et la mise en œuvre de la formation professionnelle. Ils ont vocation à définir les besoins de manière concertée et prospective. Or, l’une des faiblesses de la formation professionnelle tient à ce qu’elle a été trop statique, que l’évolution des métiers a été insuffisamment intégrée dans les programmes. Il est pourtant impératif de faire comprendre aux jeunes que s’ils doivent être formés à un métier, ils doivent aussi s’attendre à en changer au cours de leur vie professionnelle. Les partenaires sociaux ont encore vocation à animer le dialogue social dans les branches et dans les entreprises et, une fois le cadre bien défini, à gérer les moyens dans la transparence et l’efficacité, ce qui n’est pas toujours le cas. Ils ont aussi vocation à susciter de nouvelles politiques et des innovations, ainsi qu’à faire vivre les accords d’entreprise et les accords interprofessionnels.

Quant aux régions, un rôle éminent leur a été dévolu par la loi du 7 janvier 1983, qui leur a conféré la responsabilité de la formation professionnelle. Mais cette disposition n’a été que très partiellement mise en œuvre. Par ailleurs, cette compétence reconnue par la loi, doit s’exercer dans un cadre partenarial — celui, notamment, des contrats d’objectif des branches —, le seul dans lequel la formation professionnelle puisse fonctionner. L’action de la région se situe donc dans un cadre défini par le Parlement, sans que, naturellement, l’Etat soit exclu du processus, parce que la synergie est indispensable entre l’Education nationale et les entreprises, et parce que le service public de l’emploi a un rôle à jouer en matière de solidarité nationale, notamment pour ce qui est du fonctionnement des réseaux d’accueil, sujet sur lequel, comme vous le savez, j’ai donné des garanties.

Ainsi, le cadre général de la formation professionnelle ne peut résulter que du vote du Parlement et c’est dans ce seul cadre que s’exerceront, d’une part, la responsabilité affectée aux régions, et, d’autre part, toutes les formes de partenariat qui doivent sous-tendre une politique que chacun souhaite voir demain plus efficace qu’hier.

M. Germain GENGENWIN : M. le Ministre, vous venez de souligner avec insistance le rôle du Parlement. Mais il arrive que le législateur ne reconnaisse plus son enfant dans les décrets d’application... J’en donnerai pour exemple la question relative aux PAIO et aux missions locales à laquelle vous avez répondu hier en séance publique. Sans mésestimer le travail accompli, nous devons avoir le courage de repenser ces structures si nous voulons mieux harmoniser les actions menées : on ne peut admettre indéfiniment que l’ANPE, la mission locale, le CLEF, le coordinateur de zone... fassent double, triple ou quadruple emploi, leurs fichiers concernant les mêmes jeunes. Je mesure l’ampleur des pressions exercées par certains, qui ignorent parfois la complexité du problème global mais, sans revenir sur le CIP qui appartient désormais au passé, je ne peux passer sous silence le fait que deux autres articles, dont l’impact nous avait échappé lors de la discussion du projet de loi quinquennale, nous posent problème.

Il s’agit tout d’abord de l’article 74 relatif à l’agrément des OMA qui, privilégiant les OMA de branche, s’il était appliqué en l’état, aurait pour conséquence l’aspiration verticale de la majeure partie des moyens, ce qui irait à l’évidence à l’encontre des dispositions des lois de décentralisation : il faudrait donc des OMA horizontaux, avec un minimum de chiffre. Il s’agit par ailleurs de l’article 71 relatif à la fongibilité des sommes collectées dont la rédaction actuelle aurait pour effet que tout cela échappe au niveau local.

Sur un tout autre plan, la presse a fait état d’un rapport IGF-IGAS sur la formation professionnelle. La commission pourrait-elle s’en voir communiquer un exemplaire pour en tirer ses propres conclusions ?

M. Michel GIRAUD : Un décret d’application n’a pas pour objet de déformer la loi mais d’en permettre l’application. Ce n’est ni le lieu ni le moment de rouvrir le débat sur le CIP, mais je ne pense vraiment pas que les deux premiers projets de décrets d’application transmis le 21 décembre 1993 aux partenaires sociaux déformaient le texte de l’article 62 de la loi votée le 20 décembre : je pense qu’ils le traduisaient. C’est au terme de consultations ultérieures qu’un projet de décret complémentaire a été publié. Ceci étant dit, tous ces textes ayant été retirés, n’en parlons plus...

Quant au dernier rapport IGF-IGAS, il a été naturellement transmis à votre Commission. Je souligne qu’il n’engage que ses signataires : je ne me sens absolument pas engagé par ce texte, mais uniquement par le rapport que je viens de déposer, au nom du Gouvernement, sur le Bureau de votre Assemblée.

Quel est, maintenant, l’objet de l’article 74, sinon mettre de l’ordre dans les organismes de collecte ? L’article 74 tient compte de ce que la validité des agréments expire le 31 décembre 1995 et précise les nouvelles conditions d’agrément. Quant au projet de décret d’application, il prévoit qu’un même organisme peut être agréé pour la formation continue et pour la formation en alternance et devrait préciser le minimum de collecte potentielle pour les organismes nationaux de branche.

Un autre point, auquel je crois le Parlement très attaché, figure dans ce projet de décret, chacun le sait : c’est la séparation entre la collecte et la prestation de formation. Bien des problèmes restent encore à résoudre en ce domaine : le degré souhaitable de paritarisme dans la gestion, la place des organismes consulaires qui ne sont pas agréés pour la collecte, la répartition des moyens entre les organismes de branche et les instances interprofessionnelles...

Mais l’essentiel est, d’une part, de réduire le nombre d’agréments qui est aujourd’hui de 440, au total, en adoptant une double logique, verticale et horizontale, avec les exceptions qui s’imposent, notamment pour les artisans et, d’autre part, de définir des règles claires afin qu’un organisme comme l’AGEFAL puisse récupérer les fonds disponibles, dans un système de fongibilité organisée. Si l’on ne procède pas de la sorte, on ne parviendra jamais à la rigueur de gestion et à la transparence légitimement souhaitées par beaucoup et, dans ce cas, les quelques organismes qui prennent des libertés coupables continueront de porter atteinte à l’image de la formation professionnelle dans son ensemble et au dispositif de collecte de fonds.

M. le Président : Les nouveaux agréments seront subordonnés à la passation d’un accord entre les partenaires sociaux. Mais comment cet accord pourra-t-il se faire si l’agrément est accordé aux chambres consulaires, qui sont tout sauf des organismes paritaires ?

M. Michel GIRAUD : Vous aurez parfaitement compris que je suis en position de très forte résistance à ce sujet ! Peut-être les conclusions des travaux de votre Commission m’aideront-elles !

M. le Président : Comment justifiez-vous, M. le Ministre, la contradiction apparente entre la volonté affichée par le gouvernement de resserrer le dispositif de collecte et de réduire le nombre des organismes collecteurs, et l’attribution récente de nouveaux agréments ?

M. Germain GENGENWIN : Notamment un OMA du commerce !

M. Michel GIRAUD : Certaines branches anticipent les dispositions de l’article 74. Quand la branche du commerce prend l’initiative de resserrer ses activités et de passer de six organismes à un seul, je trouve que c’est un bon exemple qui répond à l’esprit et à la lettre de l’article 74. Je tiens à préciser que le projet de décret prévoit un délai de six mois avant l’attribution de nouveaux agréments afin que tous les contrôles nécessaires soient effectués.

M. Germain GENGENWIN : C’est au Président de la Région Ile-de-France plutôt qu’au Ministre que je m’adresse maintenant pour lui demander dans quel délai cette région demandera le transfert des formations non qualifiantes.

M. Michel GIRAUD : Je vous répondrai donc en cette qualité pour vous dire que la Région Ile-de-France ne sera pas en mesure de présenter le plan régional de formation avant septembre prochain. Nous considérerons l’année 1995 comme une année d’expérience à blanc, et nous ne solliciterons le transfert que le 1er janvier 1996, après que l’ensemble aura été mûrement réfléchi. Il reste en suspens, en particulier, la question des missions locales et du réseau d’accueil, qui demande une réflexion approfondie. En tant que Ministre maintenant, je pense que, pour ce qui est du réseau d’accueil, une clarification s’impose certes, mais que la solidarité nationale impose que l’Etat ne se désengage pas de sa responsabilité d’accompagnement des populations les plus fragilisées.

M. le Président : Qui dit formation professionnelle dit entreprises, organismes de collecte et prestataires. On vise à améliorer la collecte, mais ne faudrait-il pas, aussi, améliorer les prestations offertes par les organismes de formation qui ne sont aujourd’hui tenus qu’à une simple déclaration d’existence ? L’assainissement souhaité ne passe-t-il pas également par l’instauration d’un système d’agrément, par le contrôle de la qualité des formations dispensées et par le suivi des stagiaires ?

M. Michel GIRAUD : A l’évidence, les contrôles actuels, qui sont insuffisants, doivent être renforcés aussi bien pour les organismes de collecte que pour les organismes de formation. La loi quinquennale apporte d’ailleurs des précisions à ce sujet. Je rappelle qu’un nouveau plan comptable a par ailleurs été mis au point pour les premiers et qu’un autre va l’être, au cours de l’été 1994, pour les seconds. La volonté du gouvernement est d’accroître les moyens de contrôle en privilégiant l’autorégulation du marché. Un projet d’accord-cadre avec la Fédération de la formation professionnelle, sorte de charte de qualité, est d’ailleurs en cours d’élaboration. Si je suis favorable à la définition de normes de qualité reconnues, je suis plus réservé sur la perspective d’un agrément administratif préalable : chaque année, des organismes de formation se créent et rien n’autorise à leur faire des procès d’intention. En outre, l’agrément administratif préalable est une procédure très contraignante qui irait à l’inverse de l’esprit de la loi quinquennale, qui est une loi de confiance, et je lui préfère de beaucoup un contrôle sérieux a posteriori. Je ne m’appuie pas, pour dire cela, sur les recommandations du rapport IGF-IGAS mais sur la réflexion menée par le gouvernement, qui tend à instituer un système d’habilitation au niveau régional pour les organismes qui s’occupent des contrats de qualification. L’important est que les entreprises sachent que l’argent qu’elles versent est bien dépensé, au bénéfice, notamment, des jeunes en formation, et que les critiques infondées cessent. En résumé, je suis favorable à des contrôles sérieux, a posteriori, avec des moyens reconnus, sur la base d’expertises validées.

M. Germain GENGENWIN : Procéder à l’inverse serait grave et dangereux et j’appuie fermement les propos tenus par M. le Ministre. Le rôle des élus est de savoir résister aux multiples pressions des organismes de formation qui visent à ce que soient financés des organismes et non des actions de formation.

M. Jean-Michel FOURGOUS : La commission a constaté l’inefficacité du circuit de la formation professionnelle et la longueur des délais qui séparent le paiement par l’entreprise et la formation effective des salariés. Le désir de voir les procédures raccourcies est général. Ne peut-on penser que l’entreprise maîtriserait mieux la formation si elle l’assurait elle-même ? On peut, à cet égard, tracer un parallèle avec le paiement, par les entreprises du secteur marchand, de quelque 500 milliards de francs de charges patronales, montant équivalent au coût estimé du chômage. Si les entreprises étaient mises dans l’obligation d’accueillir les chômeurs, ces deux montants s’annuleraient ! En bref, comment en finir avec des trajectoires administratives compliquées qui ne fonctionnent pas, coûtent cher et ne satisfont ni les entreprises ni les salariés ? Comment raccourcir les circuits et confier l’essentiel de la mission de formation aux entreprises ?

M. Michel GIRAUD : Je souhaite préciser les poids financiers relatifs pour éviter toute confusion ou toute proposition de solution difficile à mettre en œuvre. Je rappelle que les principes de base qui sous-tendent la formation professionnelle sont l’obligation légale minimale de participation à l’effort de formation — obligation actuellement fixée à 1,5 % de la masse salariale — et le développement de politiques contractuelles. En moyenne, les entreprises dépassent très largement le seuil légal puisque leur dépense de formation, dépense volontaire incluse, représentait 2,9 % de la masse salariale en 1989 et 3,3 % en 1993. Les variations constatées sont par ailleurs considérables, puisque de grandes entreprises de service consacrent jusqu’à 9 % de leur masse salariale à la formation cependant que les PME sont plus proches du minimum légal. Qui a ces chiffres en tête comprend mieux la confusion faite par certains et entretenue par d’autres sur la ventilation des 120 milliards de F. dont on a l’habitude de dire qu’ils représentent le coût de la formation professionnelle. Qu’en est-il en réalité ? Les entreprises concourent à cet effort pour 42 %, dépense volontaire incluse, l’Etat pour 45 %, les ménages pour 1,5 %, l’Unedic pour 4,5 %, les autres administrations publiques pour 2 % — que l’on pourrait ajouter aux 45 % annoncés précédemment, portant ainsi la part réelle de l’Etat à 47 % — et les collectivités locales pour 5 %. L’apprentissage représente 2 milliards seulement apportées par les entreprises et le reste par l’Etat et les collectivités locales sur ces 120 milliards. Pour ce qui est des organismes collecteurs, les sommes en cause s’élèvent à un peu plus de 10 % de ces 120 milliards, soit 13 milliards environ, répartis entre les FAF pour 4,4 milliards, les congés individuels de formation pour 2 milliards, les OMA pour 5,8 milliards et les OCA pour un milliard. Ces éléments doivent être gardés en mémoire, car ils rendent impossibles l’application du schéma simple et intellectuellement séduisant évoqué à l’instant. Cela ne signifie pas que des efforts ne doivent pas être faits pour mieux affecter ces 13 milliards, ni qu’il ne faudra pas un jour faire un peu plus.

M. Jean-Michel FOURGOUS : Tel était précisément l’objet de ma question.

M. le Président : Certaines des personnalités entendues par la Commission ont exprimé l’opinion que ces cotisations pourraient être rendues facultatives. Qu’en pensez-vous ?

M. Michel GIRAUD : Je pense qu’une telle décision serait sans importance pour les grandes sociétés mais qu’il en irait très différemment dans les petites entreprises et dans les entreprises artisanales, et que cela ne serait pas sans conséquence sur le développement de la formation en alternance et de l’apprentissage.

M. Germain GENGENWIN : Faut-il rappeler que les crédits de l’Etat évoqués précédemment parviennent aux régions sous six, voire même huit rubriques budgétaires différentes ? N’y a-t-il pas, là aussi, matière à simplification ? Quand, par ailleurs, les formations qualifiantes et l’insertion des jeunes sans profession seront du ressort des régions, il est illusoire de penser que la formation en alternance pourra aboutir sans relation avec les entreprises. Un grand chantier d’harmonisation des contrats de qualification et d’apprentissage doit être ouvert.

M. Michel GIRAUD : C’est le fond du problème et c’est ce à quoi, dans mon esprit, répond le projet de loi sur la formation en alternance. Je suis persuadé qu’il nous faut changer de braquet car si, comme l’a dit M. le Président, rien n’est ni tout noir ni tout blanc, il nous faut faire en sorte de rendre moins noir ce qui l’est, en nous dotant d’une filière de formation en alternance la plus large et la plus performante possible. Comment ne pas constater qu’en Allemagne, pays où la formation en entreprise est beaucoup plus développée qu’elle ne l’est ici, le chômage des jeunes actifs est sensiblement moindre qu’en France ? Notre objectif doit être d’instituer une véritable filière de formation professionnelle parallèle à la filière classique, allant jusqu’aux niveaux les plus élevés. La question s’est posée de la distinction entre apprentissage et qualification, qui ont tous deux leurs avocats inconditionnels. Pour ma part, je suis tenté de considérer comme nécessaire la refonte des financements, avec l’objectif de rapprocher taxe d’apprentissage et contribution pour l’alternance et d’instituer un tronc commun de formation appuyée sur l’entreprise. Faut-il, après ce tronc commun, imaginer une sortie « en patte d’oie » offrant soit un contrat diplômant soit un contrat qualifiant ? Peut-être. Mais je suis en tout cas convaincu que seul un tronc commun de la formation en alternance permettra d’éviter toute dispersion. Cela suppose que financements et méthodes soient rationalisés.

M. le Président : Nous en sommes tous plus ou moins d’accord, avec quelques nuances : une véritable formation en alternance s’impose, mais la distinction doit toujours être faite entre, d’une part, l’indispensable formation initiale avec contrat diplômant et, d’autre part, le contrat qualifiant. Je souhaite par ailleurs revenir sur ces contrôles que vous avez vous-mêmes qualifiés d’« insuffisants » et dont plusieurs de nos interlocuteurs nous ont dit ne pas comprendre pourquoi ils n’étaient pas plus nombreux. Ne pensez-vous pas qu’il y a mieux à faire en cette matière, et qu’aussi longtemps que cette épée de Damoclès ne sera pas visiblement suspendue au-dessus des organismes de collecte et de formation, des dérives se perpétueront ?

M. Michel GIRAUD : Il est vrai que le contrôle ne fonctionne pas bien et qu’il faut mettre en place les moyens — notamment en personnel — nécessaires à un fonctionnement effectif. Je suis favorable, sans aucune réserve, à un contrôle efficace et connu, qui valorisera d’ailleurs l’image de la formation professionnelle. La situation est probablement pire encore que vous ne l’imaginez : depuis 10 ans, le contrôle a été largement négligé et les carences de l’Etat sont considérables. Ce sont, chaque année, moins de 100 des 30.000 à 40.000 organismes de formation en activité qui font l’objet d’un contrôle sur pièces, et en moyenne trois des 250 organismes agréés qui sont contrôlés chaque année depuis 10 ans... Les effectifs de contrôle sont très réduits et, de surcroît, affectés à d’autres tâches. Il n’y a donc pas de contrôle. Aussi, avant de crier « au gâchis », commençons par assumer les responsabilités qui sont celles des pouvoirs publics, et contrôlons au lieu de laisser faire !

C’est pourquoi j’ai évoqué la mise en place, effective ; d’un nouveau plan comptable pour les organismes collecteurs, et d’un autre, dans les mois qui viennent, pour les organismes de formation. Il faut, par ailleurs, s’appuyer sur les dispositions de la loi quinquennale qui prévoit, je le rappelle, des sanctions pénales, le renforcement des pouvoirs des inspecteurs de la formation, la désignation d’un commissaire du gouvernement à l’AGEFAL — un décret est en voie de publication à ce sujet —, le resserrement du dispositif de collecte... Au delà, des moyens doivent être mis en œuvre et, déjà, une circulaire, datée du 16 mars 1994, fait référence à la politique de contrôle. Je plaide, en outre, en faveur du redéploiement des effectifs de contrôle de la formation professionnelle en donnant la priorité cette année aux OMA, aux organismes spécialisés dans les contrats de qualification et au réseau d’accueil, dans le programme national de contrôle.

M. le Président : M. le Ministre, quelle est la question que nous ne vous avons pas posée et à laquelle vous auriez aimé répondre ? Et qu’auriez-vous fait si vous aviez été membre de cette Commission ?

M. Michel GIRAUD : Je n’aurai pas l’immodestie de vous dire ce que j’aurais fait si j’avais été membre de votre Commission ! Je ne reviendrai pas dans le détail sur les sujets que nous avons évoqués et qui méritent d’être largement débattus : resserrement du dispositif de collecte, degré de paritarisme dans la gestion des organismes collecteurs, conséquences de la séparation de l’activité de collecte et de l’activité de formation, modalités de transmission des biens des organismes dont l’agrément ne sera pas reconduit, possibilité d’instituer des sections professionnelles au sein des organismes collecteurs interprofessionnels, répartition du pouvoir de collecte entre les organismes interprofessionnels et de branche...

C’est un vaste chantier qui est ainsi ouvert. J’ai la conviction profonde, étayée par une expérience régionale de plus de vingt années, que toute lutte efficace en faveur de l’emploi, et notamment de l’emploi des jeunes, impose que la formation professionnelle change d’ambition. Il faut refondre le système de formation et instituer une alternance fondée sur l’entreprise, ce qui pose le problème du civisme des entreprises. C’est, plus qu’une priorité, une urgence, mais aussi un problème très difficile à résoudre en raison de conservatismes, de retranchements, de frictions entre les différents acteurs, et le débat qui s’annonce sera lui aussi difficile. Je souhaite donc que s’opèrent une synergie et une solidarité aussi fortes que possible entre le Parlement et le gouvernement. Le reproche a été fait au gouvernement de ne pas avoir suffisamment écouté le Parlement sur certains sujets. Sur celui qui nous occupe aujourd’hui, je souhaite que le Parlement s’exprime le plus vite et le plus nettement possible afin que les conclusions auxquelles votre Commission sera parvenue puissent être intégrées dans le projet de loi. Je souhaite aussi que l’on parvienne à mieux équilibrer le rôle du Parlement, qui doit se renforcer, et celui des partenaires sociaux, qui, sous peine de commettre une grave erreur, ne doit pas être amoindri. Il convient de réaliser un meilleur équilibre entre la décision politique, qui appartient au Parlement, et sa mise en œuvre quotidienne, qui doit impliquer très largement les partenaires sociaux. Cette démarche, qui se fera dans le cadre régional, doit rester éminemment partenariale.

M. le Président : Ainsi, M. le Ministre, vous ne faites pas vôtre l’affirmation selon laquelle la formation professionnelle serait « le jardin réservé des partenaires sociaux » ?

M. Michel GIRAUD : Vous l’aurez compris !

M. le Président : M. le Ministre, je vous remercie. Notre Commission espère contribuer au débat engagé sur la formation professionnelle et vous trouverez en son sein des parlementaires tout disposés à vous apporter leurs lumières à ce sujet quand vous le souhaitez.