ASSEMBLÉE NATIONALE

______

Actes du colloque organisé

sous le haut patronage de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

par

la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité

des chances entre les hommes et les femmes

présidée par

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU

______

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité

des chances entre les hommes et les femmes

« FEMMES ET BIOÉTHIQUE : L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION -

L'AMP EN QUESTION »


_ _ _ _

Jeudi 5 avril 2001

SOMMAIRE

_______

Pages

_ Mme Martine Lignières-Cassou,

Présidente de la Délégation aux droits des femmes

11

_ Allocution d'ouverture de M. Bernard Kouchner,

Ministre délégué à la santé

13

_ Mme Martine Lignières-Cassou,

Présidente de la Délégation aux droits des femmes

19

_ Message de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

23

_ Professeur Claude Sureau,

Président honoraire de l'Académie nationale de médecine

25

_ Mme Yvonne Knibiehler,

Historienne, professeur émérite à l'Université de Provence

29

Annexes

- Bilan réglementaire provisoire des centres AMP pour 1997 et 1998
-
Bilan de l'activité 1999 du don d'ovocytes en France (1ère partie, 2ème partie , 3ème partie, 4ème partie)

Première table ronde :

« Une révolution dans la procréation »

Infertilité et désir d'enfant. L'AMP : conditions d'accès et pratiques ; succès et risques. L'AMP avec tiers donneur.

Présidence de M. Alain Claeys,

Rapporteur de la mission d'information commune préparatoire au projet de loi de révision des « lois bioéthiques » de juillet 1994

Intervenants :

_ Mme Chantal Ramogida,

Présidente de l'association « Pauline et Adrien » 37

_ Mme Simone Bateman-Novaes,

Sociologue au Centre de recherche Sens, Ethique,

Société (IRESCO-CNRS) 43

_ Professeur René Frydman,

Chef du service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart, conseiller technique auprès du ministre de la recherche 47

_ Mme Patricia Barbazanges,

Témoignage d'une candidate à l'AMP 53

_ Professeur Pierre Jouannet,

Directeur du laboratoire de biologie de la reproduction de l'hôpital Cochin, président de la Fédération française des CECOS 57

_ Mme Brigitte Feuillet-Le Mintier,

Directeur du Centre de recherche juridique de l'Ouest (CRJO-IODE, UMR-CNRS) 61

Deuxième table ronde :

« Encadrement et perspectives »

Rôle des CECOS. Contrôle des centres d'AMP. Le diagnostic préimplantatoire. Les dons d'ovocytes. Le modèle britannique.

Présidence de Mme Yvette Roudy,

Ancienne ministre,

vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes

Intervenants :

_ Docteur Marie-Odile Alnot,

Médecin en biologie de la reproduction et responsable CECOS à l'hôpital Necker-Enfants malades

_ Professeur Arnold Munnich,

Chef de service de génétique médicale à l'hôpital Necker-Enfants malades et directeur de l'unité U 393 de l'INSERM

_ Docteur Hélène Letur-Könirsch,

Praticien hospitalier en médecine de la reproduction et gynécologie médicale à l'hôpital Necker-Enfants malades, co-présidente du GEDO (Groupe d'études sur les dons d'ovocytes)

_ Professeur Jacques Salat-Baroux,

Ancien chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Tenon

_ Docteur Françoise Shenfield,

Médecin des hôpitaux, membre de la HFEA (Human Fertilisation and Embryology Authority)

_ Débat

_ Allocution de clôture de Mme Martine Lignières-Cassou,

Présidente de la Délégation aux droits des femmes Médecin des hôpitaux, membre de la HFEA (Human Fertilisation and Embryology Authority)

_ Annexes

- Bilan réglementaire provisoire des centres AMP pour 1997 et 1998

- Bilan de l'activité 1999 du don d'ovocytes

69

75

79

85

89

93

101

107

109

111

   

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU,

Présidente de la Délégation aux droits des femmes

et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Je voudrais d'abord remercier très chaleureusement Monsieur le ministre délégué à la santé, Bernard Kouchner, d'avoir accepté notre invitation à ouvrir ce colloque intitulé « Femmes et bioéthique : l'assistance médicale à la procréation - L'AMP en question » en apportant, dans quelques instants, sa vision des enjeux de l'AMP.

Je remercie également les éminents professeurs, médecins, sociologues, juristes et représentants d'associations d'avoir bien voulu apporter leur contribution sur le thème des femmes confrontées à l'assistance médicale à la procréation.

La Délégation aux droits des femmes organise chaque année un colloque dans le but de contribuer à la réflexion des parlementaires sur des grands thèmes d'actualité législative concernant les femmes.

L'année dernière, dans la perspective de la révision de la loi Veil, nous avions retenu le sujet « Contraception, IVG : mieux respecter les droits des femmes ». Aujourd'hui, paradoxalement, le thème retenu paraît antinomique au précédent, puisqu'il oppose le désir d'enfant au choix délibéré de l'enfant « quand je veux ».

Il s'intègre en fait dans une problématique millénaire - femmes, maternité, médecine -, sans cesse renouvelée du fait des avancées scientifiques et des interrogations éthiques qu'elle soulève.

ALLOCUTION D'OUVERTURE DE

M. Bernard KOUCHNER,

Ministre délégué à la santé

Il y a huit jours tout juste, je défendais devant le Sénat un texte du Gouvernement, auquel je sais que vous avez beaucoup contribué, visant à réaffirmer avec force le droit des femmes à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse. L'ordre des termes me semble important. L'intitulé du texte fait d'abord référence à l'interruption volontaire de grossesse puis à la contraception, ce qui, à mon avis, est une erreur qu'il faudrait corriger.

Aujourd'hui vous m'invitez - j'en suis honoré et je vous en remercie vivement - à ouvrir vos travaux et réflexions sur les enjeux actuels et futurs de l'assistance médicale à la procréation.

Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle entre ces deux occasions qui m'ont été données, de manière si rapprochée, de mesurer combien est à la fois cruciale et exposée la place des femmes sur ces questions essentielles, pour elles bien sûr, mais aussi pour l'ensemble de la société.

Droit de recours à l'IVG en cas de grossesse non désirée. Droit d'accès à l'AMP pour désir d'enfant inassouvi. L'interpellation est forte, dans un cas comme dans l'autre. Je ne peux que vous encourager dans votre démarche, Mesdames. Oui, il est fondamental que vous, les femmes, approfondissiez l'analyse des tenants et des aboutissants de vos droits en matière de procréation.

Je salue votre initiative, Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Le droit d'accès à l'assistance médicale à la procréation a été explicité et encadré par voie législative, pour la première fois en 1994, par les premières lois dites de bioéthique, que j'ai eu l'honneur de présenter et de faire adopter en première lecture par l'Assemblée nationale dès 1993.

Je ne reviendrai pas sur les conditions de cet accès, telles qu'elles ont été voulues par le législateur, ni sur l'encadrement qu'il a souhaité mettre en place pour garantir la qualité et la sécurité des soins indispensables à ces pratiques. Ces questions sont l'objet de vos débats d'aujourd'hui. J'attends avec intérêt vos conclusions.

Je voudrais insister devant vous ce matin sur les responsabilités qui assortissent vos droits dans ces domaines. Car, face à ces questions, Mesdames, votre situation particulière vous ouvre l'accès à des droits particuliers, qui s'accompagnent de responsabilités particulières.

Les droits que vous avez acquis sont source de liberté. Liberté de maîtriser sa fécondité. Liberté de choisir d'être mère. Facilité et amplitude plus grandes données à l'accomplissement d'un projet procréatif. Cette liberté, comme toute liberté, engage votre responsabilité. Elle engage également notre responsabilité. Ce point n'est pas suffisamment souligné.

Cette liberté engage votre responsabilité vis-à-vis de l'autre. L'enfant à naître d'abord. Vous posez-vous la question, avant de recourir à l'AMP avec tiers donneur, de ce que vous direz à votre enfant, un jour, des conditions de sa conception ? Vous posez-vous la question de ce que pèse votre désir de grossesse face au poids que représentera pour lui le non-dit, le mystère ou la révélation de l'anonymat au sujet de ses origines ? Loin de moi la volonté de m'ériger en moralisateur. Je profite de l'occasion pour reposer, à voix haute, les questions difficiles que font émerger ces sujets et qui ne sauraient être résolues une fois pour toutes.

Nous devons en effet faire face à une évolution perpétuelle des m_urs, des réflexions et des décisions. Dans le même ordre d'idée, je pourrais parler de l'adoption. De nouvelles lois vont être proposées dans ce domaine. L'adoption en sera facilitée. Mais nous posons-nous suffisamment la question de l'adoption du point de vue de l'enfant ? Jamais assez, surtout en ce qui concerne les adoptions dans le tiers-monde.

Votre liberté engage votre responsabilité vis-à-vis de l'enfant à naître ; elle l'engage aussi vis-à-vis de l'homme que vous avez choisi comme partenaire : le père de l'enfant que vous allez porter. Comment aborder ensemble la question, infiniment délicate, d'un éventuel transfert post-mortem ? Le gouvernement va proposer, à l'occasion de la prochaine révision des lois de 1994, d'ouvrir, sous certaines conditions, la possibilité de ce transfert. C'est une liberté supplémentaire donnée à celles qui souhaitent avoir recours à l'AMP ; c'est une responsabilité plus lourde aussi : celle de décider - seule - puisque l'autre sera mort, de poursuivre le projet parental initié à deux ; responsabilité de décider - seule - de mettre au monde un enfant au-delà de la mort de son père. Il n'est guère facile de discuter sérieusement et sereinement avec son conjoint de l'éventualité de sa mort prochaine, alors que l'on est au plus fort d'un temps de projet commun et que rien n'incite à anticiper un quelconque accident. Saurez-vous le faire ? Toutes les femmes à qui ce choix sera offert sauront-elles le faire ? Plus de liberté ? Soit. Mais comment être sûr que cette liberté nouvelle sera utilisée à bon escient ?

Le choix de recourir à l'AMP engage également votre responsabilité vis-à-vis de la société. Quel sens faut-il donner à ce profond désir d'enfant qui vous anime au point de souhaiter passer outre les obstacles de la nature ? Il existe aussi des obstacles économiques, dont on ne parle jamais. Je pense pourtant que c'est un point sur lequel nous devons réfléchir.

Suffit-il que la médecine propose un espoir de solution pour que chacun se sente obligé d'y recourir ? Le choix offert laisse-t-il encore place à la liberté d'y renoncer ? Laisse-t-il la place, au moins, à la réflexion avant d'y recourir ? Pourquoi un enfant ? Je pense notamment aux couples homosexuels. Il y a deux ou trois ans seulement, cette question serait apparue vague et théorique. Mais aujourd'hui, elle est devenue plus précise et plus présente. Depuis la semaine dernière, certains pays y apportent même des réponses.

Enfin, et peut-être surtout, Mesdames, ce qui me frappe, c'est la responsabilité que vous prenez vis-à-vis de vous-mêmes en vous engageant dans ces techniques. Vous le savez, elles sont loin d'être anodines. Il s'agit de traitements violents, de sujétions lourdes et répétées, pendant des mois, voire des années, avant qu'un succès n'intervienne, s'il intervient jamais, puisque malheureusement les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Au nom de quoi entreprendre ce long et difficile chemin ? Comment mesurer pour soi-même, avant de s'y lancer, les enjeux de l'investissement, pour l'immédiat comme pour le futur, pour le succès comme pour l'échec ?

Plus de liberté ? Soit. Mais il faut donner aux femmes les moyens de cette liberté. Cette exigence doit nous animer tous. C'est l'intérêt de votre réflexion d'aujourd'hui. C'est la force des associations qui se sont investies dans ce secteur, comme celle - « Pauline et Adrien » - de Mme Chantal Ramogida, qui, je le sais, est présente ce matin. Accompagner, former, informer. Il faut aider les femmes, toutes les femmes - y compris les plus vulnérables - à ne pas se laisser instrumentaliser par leur désir d'enfant.

La loi de 1994 va être incessamment révisée. Elle est actuellement à l'étude au Conseil d'Etat. Je la présenterai devant le Conseil des ministres d'ici quelques semaines. Elle va dans ce sens. En insistant sur la dimension qu'il convient d'accorder aux droits des personnes, elle rappelle la nécessité d'informer, de laisser à chacun le temps de la réflexion ; elle systématise l'obligation de rechercher le consentement avant tout prélèvement, ainsi qu'avant l'accès à toute technique d'AMP ; elle précise les conditions dans lesquelles doit être recueilli ce consentement ; elle redit le nécessaire respect des convictions de chacun dans ces domaines. L'étape de l'information et de la réflexion est indispensable. Elle a pour objet de prendre le recul nécessaire pour se poser la question du sens de ce que l'on entreprend, pour vérifier que la décision prise l'a été en toute liberté. Elle permet de prendre du champ vis-à-vis de la technique et de l'omniprésence-puissance de la médecine.

La révision de la loi de bioéthique sera également l'occasion d'un élargissement du champ des possibles, avec son corollaire : l'alourdissement des responsabilités que suppose ce gain de droits et de liberté. Surcroît de responsabilité qui pèsera, une fois de plus, particulièrement sur vous, Mesdames : je pense, par exemple, à l'ouverture souhaitée par le Gouvernement que des lignages cellulaires à visée thérapeutique puissent être constitués, y compris avec des cellules totipotentes obtenues à partir d'un ovocyte, en utilisant la technique dite du transfert nucléaire. Le risque existe que les pressions soient fortes de la part des chercheurs pour obtenir les ovocytes utiles à leurs recherches. Ce risque est le principal argument de ceux qui ont plaidé contre l'ouverture proposée par le gouvernement. Nous sommes conscients de ce danger. C'est pourquoi notre projet contient de solides garanties sur ce point. Mais la meilleure garantie, ce sera l'information et la prise de responsabilités. La meilleure garantie, c'est vous, les militants et les militantes, qui pourrez l'apporter.

Faire progresser la démocratie et le droit des personnes nécessite de prendre des risques, car la voie suppose d'ouvrir chaque jour davantage le champ des libertés et donc des responsabilités de chacun. Il faut ensuite, c'est aussi notre rôle et nous nous y emploierons, accompagner ce gain de démocratie des moyens nécessaires à son effectivité. La route est étroite, je le sais, entre notre but, qui est que l'ouverture du champ des possibles profite au plus grand nombre, et le risque d'assujettissement de quelques-unes au profit du désir de puissance de quelques autres.

Le pari est celui de la confiance. A mon avis, il n'y a pas d'alternative à la route du progrès. Mais il est impératif de l'accompagner et d'en anticiper le sens et les conséquences. Au nom de votre place privilégiée au c_ur de ces questions relatives à la procréation, je vous enjoins vivement, Mesdames, à poursuivre la réflexion que vous engagez aujourd'hui.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU,

Présidente de la Délégation aux droits des femmes

et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Monsieur le Ministre, je vous remercie d'avoir posé un certain nombre d'enjeux. Je vous remercie de votre pari sur la confiance, de votre appel à la fois à la liberté, à la responsabilité et à l'altérité.

Je voudrais simplement préciser le sens que nous avons donné à cette manifestation et rappeler le cadre dans lequel elle s'inscrit.

La révision des lois de bioéthique est à l'ordre du jour et la Délégation aux droits des femmes, depuis la place qui est la sienne, a souhaité, sur proposition de Madame Yvette Roudy, contribuer à ce débat. C'est pourquoi nous avons choisi de centrer notre attention plus principalement sur l'assistance médicale à la procréation. Au-delà de la technique, nous nous interrogeons sur la place et le désir des femmes, puis des couples, dans cette démarche.

Depuis la nuit des temps, et encore aujourd'hui dans certains pays (je pense notamment à l'Afghanistan...), la femme est d'abord considérée comme une mère : elle se doit de procréer. La vie est un don de Dieu ou de la Nature : la fécondité est bénie, tandis que la stérilité, qui ne peut être que féminine, est maudite.

Malheur à celle qui ne peut transmettre la vie, les biens ou le nom patronymique.

Dans nos sociétés occidentales, les progrès de la science, notamment avec la contraception, et le mouvement d'émancipation des femmes, ont permis de maîtriser la fécondité, de dissocier sexualité et procréation.

Donner la vie est devenu un choix des femmes d'abord. Qui ne se souvient du slogan des années 70 : « un enfant si je veux, quand je veux » ?

Ce droit de choisir la vie est devenu une liberté individuelle. Celle-ci est certes encadrée - je pense en particulier à la loi sur l'IVG - mais elle constitue désormais un droit fondamental des femmes et plus globalement des couples.

Avec la fin du XXème siècle, la perspective a changé. La mort de Dieu, la mort de « l'homme porteur des lendemains radieux » nous enferment et scellent notre finitude.

Seul l'enfant, aujourd'hui, semble détenteur de notre transcendance, du dépassement de la condition humaine. Les demandes de transplantation de gamètes post-mortem ne sont-elles pas le signe exacerbé de ce désir collectif ?

Désir d'autant plus fort que la technique médicale est dotée de la toute puissance réparatrice. Or, nous savons qu'il n'en est rien ou si peu.

Cette quête collective laisse-t-elle place au désir individuel, au désir personnel ? Il est frappant de constater comment, en une génération, la revendication du « droit à la différence » d'un certain nombre de groupes, notamment homosexuels, a basculé en une demande d'assimilation ou d'indifférenciation sociale passant par l'enfant.

Devant cette évolution, les féministes sont partagées :

· L'AMP va-t-elle récréer une sorte de devoir d'enfant ? La parole d'une Simone de Beauvoir sur le prétendu devoir de maternité serait-elle aujourd'hui d'actualité ? Ou, au contraire, l'AMP devient-elle une médecine au service d'un désir librement consenti ?

· Les conditions d'accès à l'AMP renforcent-elles un modèle de vie familiale uniforme porté par un couple hétérosexuel marié, ou faisant la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans, et en âge de procréer ? La loi sur l'adoption telle qu'elle a été acceptée il y a plusieurs années, donnant un droit d'adoption aux célibataires (1), aurait-elle pu être, encore aujourd'hui, votée en l'état ?

Voici quelques-unes de nos interrogations. Je sais pouvoir compter sur les intervenants pour apporter leurs réponses et leur propre questionnement.

Le colloque est organisé autour de deux tables rondes. La première intitulée « Une révolution dans la procréation » est présidée par M. Alain Claeys, rapporteur de la mission d'information commune préparatoire au projet de révision des « lois bioéthiques » qui mène, depuis un an, et grâce à de nombreuses auditions, un travail considérable de recherche et d'approfondissement sur ce sujet.

La deuxième table ronde « Encadrement et perspectives », sera présidée par Mme Yvette Roudy, ancienne ministre, vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes et membre de la mission d'information.

Message de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

« En raison d'un calendrier parlementaire particulièrement chargé, je n'ai malheureusement pas pu être des vôtres à l'occasion du colloque qui vous réunit à l'Assemblée nationale. Je souhaitais néanmoins vous dire l'importance que j'attache au sujet dont vous allez débattre et vous assurer de l'intérêt que je porte aux échanges et aux propositions que vous, élus, scientifiques, médecins, responsables associatifs, ferez aujourd'hui pour éclairer le travail de la représentation nationale sur le projet de révision des lois de bioéthique, adoptées par le Parlement en 1994.

Je tiens à rendre un hommage particulier à Martine Lignières-Cassou, présidente de la Délégation aux droits des femmes, qui a organisé ce colloque et qui _uvre, avec enthousiasme et détermination, à la reconnaissance et à la défense de ces droits. Des droits qui sont, à mes yeux, l'un des visages de la justice sociale, mais qui s'imposent aussi comme un impératif à part entière, qui se suffit à soi seul.

Nous sommes actuellement à un moment charnière du combat des femmes, où se mêlent les revendications anciennes, les avancées récentes et les aspirations nouvelles. Nous vivons aussi une période exceptionnelle de changements technologiques, culturels, sociaux, économiques et politiques. Dans ce monde en constante mutation, il me semble qu'une exigence s'impose : faire le point pour aller plus loin, accompagner et encadrer les évolutions par des mesures d'évaluation et d'incitation, afin d'en garantir l'efficacité et l'humanité. C'est, je crois, l'ambition de ce colloque, mais surtout la volonté des femmes et le devoir du législateur.

Aujourd'hui, il est presque impossible d'évaluer de façon précise les conséquences qui découlent des nouvelles découvertes. En matière de biotechnologie, ce constat relève de l'évidence. Ainsi, en 1994, la question de l'insémination par micro-injection intracytoplasmique ne se posait pas. A présent, elle apporte des enseignements essentiels sur les conditions et les modalités de mise en _uvre de l'AMP. Certes, les techniques changent et les innovations se succèdent, sans que nous puissions immédiatement en mesurer les effets. Le principe d'incertitude qui domine encore doit alors être assorti d'un principe de précaution. Mais nous ne devons pas pour autant renoncer à travailler et à chercher, limiter la recherche et le savoir. Au contraire, nous devons continuer de produire et de penser, pour orienter notre action dans la direction souhaitable. Car nos concitoyens exigent légitimement les techniques les plus modernes et les plus efficaces pour réaliser leurs projets. Je pense, plus particulièrement, au désir d'avoir un enfant, que vous allez évoquer longuement aujourd'hui.

Entre ces deux exigences, la prudence et le progrès, la voie est étroite. Je crois, pour ma part, que sur cette voie, le principe fondamental du respect de la dignité humaine, des droits de l'homme et des libertés individuelles, est notre seule vigie. A cet égard, je veux souligner l'importance de la réflexion éthique qui, en privilégiant la pluralité des approches et la diversité des disciplines, donne un contenu concret à ces valeurs. Je me réjouis qu'elle s'enrichisse aujourd'hui, par votre colloque, du regard que les femmes portent sur l'AMP et de l'expérience qu'elles peuvent en livrer. Il est nécessaire d'entendre leurs aspirations et leurs attentes, de respecter leurs droits et leurs choix.

A la lumière du témoignage et de l'espoir des femmes, les travaux des experts, dans le cadre des comités d'éthique, des groupes de réflexion ou des missions d'information - comme celle qu'a présidée Bernard Charles et dont Alain Claeys a été le rapporteur à l'Assemblée nationale -, n'ont que davantage de force, d'écho et de légitimité. Leurs conclusions constituent un apport précieux et un arbitrage indispensable pour le législateur, qui devra donner à la réflexion éthique une dimension juridique, dans laquelle s'incarnera la révision de notre législation. Puissent vos échanges et vos débats de ce jour éclairer notre réflexion et guider notre action, dans le respect des droits de l'homme et des femmes.

Professeur Claude SUREAU,

Président honoraire de l'Académie nationale de médecine, membre de la commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal

Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité. Cela va me permettre de libérer mon c_ur et de vous livrer les sentiments que j'éprouve, après une longue carrière consacrée à la gynécologie.

La question qui nous occupe ce matin renvoie directement à la place de la femme dans notre société. Vous faisiez allusion, il y a quelques instants, aux femmes afghanes. Il est évident que la situation de la femme française est préférable à la situation des femmes de nombreux pays. J'irais même jusqu'à dire qu'elle est préférable à la situation des femmes de la majorité des pays. Il suffit de considérer l'espérance de vie, particulièrement élevée en France. Vous permettrez, au gynécologue que je suis, d'oser dire qu'il s'agit là, peut-être, d'une des manifestations de la qualité de la gynécologie française, notamment en matière de dépistage des cancers.

A côté de cet aspect purement médical, la place de la femme dans la société, son rôle, et surtout le regard que les membres de la société portent sur elle, me paraissent encore notablement insuffisants. Je pense que mes collègues médecins ne me démentiront pas, si je dis que dans le cadre des instances universitaires ou hospitalières françaises, les problèmes de femmes, les questions de maternité et de procréation ne reçoivent qu'un sourire poli. L'intérêt ne commence à apparaître que lorsque que leur femme, leur s_ur ou leur fille présentent un problème gynécologique. Dans ce cas, on nous demande une bonne adresse, que ce soit pour une interruption volontaire de grossesse ou pour une aide médicale à la procréation. Globalement, nous nous heurtons malgré tout à un réel désintérêt, oserais-je dire à du mépris. Ce constat est vrai pour les instances médicales universitaires ou hospitalières, mais également en ce qui concerne tous les autres aspects de la société civile. Je pense d'ailleurs, en m'en excusant auprès des parlementaires et des juristes présents ce matin, que ce constat se vérifie surtout en matière de dispositions législatives et de décisions judiciaires.

Je voudrais vous citer quelques exemples. La loi du 31 juillet 1920 réprimant la provocation à l'avortement et à la propagande anticonceptionnelle avait, en principe, été instaurée pour pallier la dénatalité consécutive à la guerre. Mais il faut bien reconnaître que ce texte a eu des conséquences redoutables en termes de mortalité et de morbidité. Qui cette loi concernait-elle ? Les femmes. Dans cette aventure, les hommes se sont esquivés avec la plus grande rapidité. Vous savez comme moi qu'il a fallu attendre 1975, pour que la situation soit corrigée.

Il est vrai que, par la suite, nous avons enregistré quelques progrès. En fait, il y en a eu trois : la loi Neuwirth de 1967, la loi Veil de 1975 et la loi Pelletier de 1979. J'ajouterai également le nom d'une autre femme, souvent oublié : Marie-Madeleine Dienesch (2). Sa responsabilité dans l'amélioration des conditions de la naissance en France a été fondamentale. Je pense que l'ensemble de la population française devrait lui en être éternellement reconnaissant.

Par contre, les lois de 1994 sont des lois auxquelles j'ai adressé des critiques virulentes, pour une raison essentielle, que je tiens à souligner aujourd'hui. Ces deux textes faisaient une confusion regrettable entre les problèmes éthiques, qui, à mon avis, relèvent essentiellement de la décision personnelle, et les problèmes législatifs, qui concernent l'ensemble de la population. C'est le reproche majeur qui peut être adressé aux lois de 1994.

Je ne citerai que deux exemples. Dans l'affaire « Pirès », la première chambre civile de la cour de cassation (3) a refusé l'implantation posthume d'un embryon au motif que son père était décédé. Il s'agit d'une position que je n'hésite pas à qualifier de scandaleuse, car elle réalise une confusion particulièrement regrettable entre le problème éthique, auquel Madame Pirès avait donné une réponse extrêmement précise, et le problème juridique et judiciaire, qui a abouti à une coercition dont les conséquences psychologiques sont à la fois irréparables et désastreuses.

L'autre aspect de la question sera, je l'espère, corrigé. La rédaction de l'article 16-3 du code civil (4) est particulièrement inopportune et maladroite. Son interprétation restrictive, par la première chambre civile de la cour de cassation, aboutit de facto à une tentative d'interdiction de la stérilisation, qu'elle soit masculine ou féminine. J'ai néanmoins l'espoir que ce problème sera prochainement résolu.

Malheureusement, les problèmes qui concernent la femme, et au-delà le couple, ont été considérés avec une certaine désinvolture par les instances législatives et judiciaires.

L'année 1994 n'a malgré tout pas été si noire, même si nous pouvons regretter que cette décision n'ait pas été prise plus tôt : il a fallu en effet attendre 1994 pour qu'un décret de Simone Veil permette la prise en charge de l'analgésie péridurale au cours de l'accouchement. Jusqu'alors, on considérait comme normal que les femmes souffrent au moment de l'accouchement, ce qui montre, d'une manière très nette, la désinvolture que l'ensemble du corps social éprouvait vis-à-vis de l'accouchement.

Mes propos peuvent vous paraître exagérément critiques. Mais je pense que cette critique peut être à l'origine d'une évolution favorable de notre législation et des prises de position judiciaires. Pour terminer, je dois néanmoins reconnaître un élément positif : nulle part, la procréation médicalement assistée n'est prise en charge par l'assurance maladie d'une manière aussi complète que dans notre pays. C'est sur cette note d'espoir que je conclurai mon intervention.

Martine LIGNIÈRES-CASSOU

Je vous remercie pour cette critique « tonique ». Je voudrais juste préciser que, dans le cadre de la révision de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, nous proposons un encadrement juridique de la pratique de la stérilisation (5).

Mme Yvonne KNIBIEHLER,

Historienne, professeur émérite à l'Université de Provence

J'évoquerai ce matin le désir d'enfant dans sa dimension historique.

Quand l'ange Gabriel a visité la Vierge Marie, il ne lui a pas demandé si elle désirait un enfant. Depuis le début de l'hominisation, la femelle humaine enfantait docilement, parfois sous contrainte, puisqu'elle ne connaît pas de rut qui la disposerait à accepter le mâle. La mythologie gréco-latine raconte quantité de rapts et de viols commis sans remords. Les femmes devaient procréer pour assurer la survie de l'espèce, ou de la cité, ou d'une lignée masculine. On mariait les filles dès la puberté pour ne rien perdre de leur période fertile. Et quand un couple demeurait stérile, la femme était répudiée.

Premier changement : le christianisme valorise la chasteté et la virginité. Toute femme peut alors se consacrer à Dieu, donc refuser le poids du mâle et la charge du petit : elle échappe à l'emprise collective et s'exprime comme individu. Mais sa liberté est toute négative, son refus d'enfant la prive du plaisir d'amour. Celle qui se marie accepte implicitement de procréer. Si elle n'y parvient pas, elle n'est pas répudiée, puisque le mariage chrétien est indissoluble, mais elle déçoit, elle trahit une attente collective : celle d'une famille, celle d'une communauté. Son désir personnel n'est pas distinct de cette attente collective.

Le second changement vient 2000 ans après. Une contraception efficace est concédée aux femmes. Chacune peut dissocier désir d'amour et désir d'enfant. Mais les féministes des années 60 et 70 ont eu tant de peine à faire admettre cette liberté, qu'elles ont été conduites à désacraliser la maternité, à la dénoncer comme une aliénation, un esclavage. Le désir d'enfant n'est pas naturel, disaient-elles : il est inculqué aux femmes par la « culture patriarcale » ; le « sujet femme » doit s'affirmer ailleurs et autrement. En pratique, nombre d'entre elles admettaient l'enfantement, mais comme épanouissement narcissique du moi féminin, comme jouissance personnelle, à condition que « le choix de donner la vie » soit dégagé de toute consigne, de toute influence.

Il a donc fallu un troisième changement avant que le désir d'enfant n'explose.

Ce fut, à la fin des années 70, une panique soudaine de stérilité. La pilule permettait aux jeunes femmes de retarder les naissances, parfois trop  : quand elles se décidaient à devenir mères, c'était trop tard. Certaines, en multipliant les partenaires, contractaient une infection par chlamydia (qui rend stérile). Or, la contraception avait créé l'illusion d'une maîtrise absolue : « Un enfant si je veux, quand je veux ». Si « quand je veux » l'enfant ne vient pas, la déception est d'autant plus scandaleuse qu'elle est perçue comme une sanction de la nouvelle liberté.

Sanction inacceptable ! Les victimes exigent réparation. Elles passent du désir subjectif à une demande de plus en plus pressante. Le corps médical vole à leur secours, car il escompte des bénéfices personnels : d'abord, bien sûr, la satisfaction des patientes et leur gratitude, mais aussi le progrès de la science, la notoriété personnelle et même le profit financier. Leur zèle élève le désir d'enfant au rang d'une exigence sacrée. Au seuil des années 80, la fécondation in vitro (FIV), prouesse technique, a fait l'objet d'une prodigieuse valorisation médiatique. L'offre a stimulé la demande.

Un espoir fou, celui de la dernière chance, a enthousiasmé les femmes stériles. Les services hospitaliers, stupéfaits, ont été envahis, les listes d'attente s'allongeaient démesurément, imposant des délais de plusieurs années. Ce qui surprend, c'est l'acharnement de celles qui s'engagent. Leur désir est présenté comme une détresse comparable à celle qui justifie l'avortement. Une femme médecin cite une patiente qui en était à sa vingt-deuxième tentative d'insémination ! Même pour une intervention lourde, risquée, aléatoire, comme la fécondation in vitro, certaines ne voulaient entendre aucun avertissement. « Même si je n'ai que 1% de chances, je veux tenter l'expérience. Je la tenterais même si je n'ai aucune chance. Au moins j'aurai tout essayé, je n'aurai pas de regret. »

Le désir s'exprime bientôt comme un « droit à l'enfant » ; « enfant prothèse, enfant greffe », enfant objet pour la mère, enfant possédé plutôt que désiré. Revendication de plus en plus individuelle, de plus en plus subjective. Dans de tels cas, « le sperme évince le père » : des demandes émanent de femmes célibataires, vierges, homosexuelles, ménopausées. Une association, Alma mater, organise des « prêts d'utérus ». Pourquoi pas disent les uns ? Horreur ! s'écrient les autres... Le désir d'enfant des femmes ne connaît plus aucune limite, et plonge en plein désarroi les sages des comités d'éthique.

Les nouvelles techniques ne posaient pas que des problèmes éthiques. Elles connaissaient de nombreux échecs. Soit la fécondation n'avait pas lieu, et des déceptions successives plongeaient dans la déréliction des femmes qui ne pouvaient plus faire le deuil de l'idylle maman-bébé. Soit la stimulation ovarienne déclenchait une grossesse multiple : pour celle qui rêvait de choyer un joli poupon, c'était accablant de mettre au monde des triplés ou des quintuplés. Pire : les enfants FIV naissaient souvent prématurés, donc fragiles. Un néonatologue, en grande colère, fit savoir qu'il dépensait 7 000 à 8 000 francs par jour pour soigner chacun de ces nouveau-nés, alors qu'il en « jetait à la poubelle » - c'est son expression - cinq ou six chaque année.

D'un autre côté, émergeaient de troublantes questions d'identité. Autrefois la mère était désignée par la grossesse et l'accouchement ; seul le père restait incertain. Pendant les années 80, la situation se renverse : le père peut être identifié grâce aux empreintes génétiques. Mais désormais, qui est la mère ? Celle qui donne un ovocyte ou un embryon ? Celle qui prête son utérus, porte et accouche ? Celle qui nourrit ? Celle qui éduque ?

Les féministes, sidérées et perplexes, ont tardé à réagir. Quelques-unes s'enthousiasmaient : on guérissait une souffrance réputée insoutenable et on mettait au service des femmes une « médecine du désir ». D'autres s'irritaient devant cette exaltation de la « vocation maternelle ». Bientôt des colloques ont mûri la réflexion : « Maternité en mouvement » en 1986, puis « L'ovaire-dose » en 1988. Alors les féministes ont pris la défense des femmes avec vigueur et lucidité. Elles ont exigé l'évaluation de ces techniques aventureuses qui connaissaient, au début, 80% d'échecs, et qui constituaient donc un leurre pour la plupart des patientes. Elles ont dénoncé l'occultation des effets nocifs. C'est le biologiste Jacques Testart qui le disait : « Les gynécologues traitent les femmes comme aucun garagiste n'oserait traiter les voitures ».

Bref, les nouvelles techniques ont jeté une lumière crue, cruelle, sur un désir sauvage, aveugle, passionné, sur la folie de certaines femmes, éternelles complices de leur propre sujétion. Chacun, chacune a constaté qu'on doit compter avec l'irrationnel, qu'on doit parfois défendre les femmes contre elles-mêmes.

Parallèlement, l'adoption a connu, elle aussi, un boum extraordinaire. En prenant une dimension mondialiste, elle a posé des problèmes jusque-là peu visibles. Des adolescents suicidaires, ou fugueurs à répétition, ont reproché à leurs parents adoptifs d'avoir changé leur destin sans leur accord.

Il devient urgent de chercher la bonne mesure.

Il est vrai que le désir d'enfant, enraciné dans le corps et le c_ur des femmes, est un des plus exigeants qui soient. Vrai aussi que la maternité constitue un passage socialement très valorisé dans la vie d'une femme. Vrai encore que l'enfantement reste un discriminant majeur entre les sexes, et que c'est peut-être la seule permanence du « féminin ».

Mais voici trois pistes de méditation :

- Nous sommes déjà six milliards sur la planète : il n'est plus nécessaire d'augmenter le nombre des vivants. Nul n'est tenu de procréer : on peut bâtir tout autrement une existence pleine et utile.

- Nous ne vivons plus sous le regard de Dieu tout puissant, mais sous la férule du marché tout puissant, lequel stimule la production des biens, plutôt que l'éducation des enfants. Des techniques prestigieuses aident les femmes à enfanter, mais ensuite on les laisse écartelées entre leurs tâches professionnelles et leur tâches parentales.

- Grâce au désir d'enfant, les sciences ont fait entrer toute la reproduction humaine dans une ère nouvelle, avec en perspective un eugénisme vertigineux.

Le désir d'enfant a échappé à la sphère privée puisque nous en parlons ici. Il est socialisé, il a une dimension politique. Or, la parité invite les femmes au civisme. Il faut qu'elles apprennent ensemble à objectiver leurs désirs, tous leurs désirs ; à les assumer non plus seulement comme soucis personnels, mais comme éléments d'une dynamique collective. Au vingt-et-unième siècle, le désir d'enfant relève de la citoyenneté féminine : il appartient aux femmes de mesurer et de négocier sa juste place.

PREMIÈRE TABLE RONDE :

« UNE RÉVOLUTION DANS LA PROCRÉATION »

Infertilité et désir d'enfant. L'AMP : conditions d'accès
et pratiques. Succès et risques. L'AMP avec tiers donneur.

Présidence de M. Alain CLAEYS,

Rapporteur de la mission d'information commune

préparatoire au projet de loi de révision

des « lois bioéthiques » de 1994

J'ai la charge de présider la première table ronde, intitulée « Une révolution dans la procréation ». Nous ne devons pas minimiser le caractère quasi-révolutionnaire des techniques d'AMP. Amandine, premier bébé conçu par fécondation in vitro, est née en février 1982 grâce à l'équipe dirigée par le professeur René Frydman. Depuis, cette technique a permis la naissance de plus de 60 000 enfants en France. A côté de la fécondation in vitro, l'assistance médicale à la procréation regroupe également tous les procédés de stimulation ovarienne, d'insémination artificielle et d'implantation des embryons, éventuellement issus d'un don.

Mais avant d'évoquer ces techniques, il me semble plus juste de parler des hommes et des femmes concernés, c'est-à-dire les couples réunis autour d'un projet parental extrêmement fort, les enfants qui voient le jour grâce aux progrès de la science et les professionnels qui rendent possibles ces naissances plus particulières que les autres.

Nous ne soulignerons jamais assez la particularité de ces naissances, qui sont l'aboutissement de parcours longs, souvent douloureux pour les parents et particulièrement pour les femmes. Ces naissances sont aussi le fruit de recherches et de techniques médicales très perfectionnées, qui exigent de la part des médecins une grande maîtrise et un dévouement exceptionnel. Comme toutes les techniques médicales, elles ne sont pas exemptes de risques. Risques pour les donneurs, notamment les femmes qui doivent subir un traitement lourd de stimulation ovarienne avant la ponction des ovocytes. Risque de prématurité élevée pour les enfants. Et surtout risques d'échecs, car l'AMP n'est pas, hélas, la panacée. Les taux de réussite varient selon les individus et les techniques utilisées.

Il est donc indispensable d'accompagner au mieux les futurs parents dans leurs démarches et tout au long de ce parcours particulièrement difficile.

J'ai bien entendu les remarques du professeur Claude Sureau. Pour ma part, j'ai la conviction que les lois bioéthiques de juillet 1994, ont dessiné un équilibre plutôt satisfaisant en ce qui concerne les conditions de recours à l'AMP. Elles ont posé des conditions sociales et médicales précises qu'encadrent des principes éthiques intangibles. Nous avons fait le choix - qui fait toujours l'objet d'un consensus très large - de garantir l'anonymat du don. Cette question est distincte de celle du secret, pour l'enfant, des circonstances de sa naissance.

Toutefois, je crois que le temps est venu de procéder à une révision des « lois bioéthiques ». Le gouvernement a pris toutes les précautions, en saisissant à la fois le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) (6) et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) (7). Le projet est aujourd'hui devant le Conseil d'Etat. Le Parlement a fait son travail, notamment à travers la mission d'information et le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (8). Je pense que le moment est venu d'aborder cette révision, dans le même souci qui a prévalu en 1994. Au cours des débats qui s'engageront dans les prochains mois, il n'est pas question d'opposer telle radicalité à telle autre. En pensant aux hommes et aux femmes concernés, nous devons trouver un nouvel équilibre, tenant compte des évolutions scientifiques et aussi, peut-être, des espoirs thérapeutiques.

Je vais maintenant vous présenter succinctement les intervenants. Mme Chantal Ramogida qui dirige l'association « Pauline et Adrien », créée en 1988 pour aider les couples infertiles à réaliser leur projet parental dans les meilleures conditions possibles, nous dira quelles sont les attentes des couples et les obstacles qu'ils rencontrent.

La deuxième intervenante, Mme Simone Bateman-Novaes, sociologue et directrice de recherches au CNRS nous livrera les enseignements que l'on peut tirer d'une approche sociologique de la place et du rôle des différents acteurs de l'AMP, et suggérera l'équilibre qui devrait prévaloir entre les impératifs de techniques médicales très spécifiques et les attentes des couples attachés à la réalisation de leur projet parental.

Le professeur René Frydman, chef du service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart, nous expliquera ensuite quelles ont été les évolutions des techniques d'AMP, quels en sont les risques et quelles sont les informations données sur ce sujet aux couples et plus particulièrement aux femmes.

Le professeur Pierre Jouannet, qui dirige le laboratoire de biologie de la reproduction à l'hôpital Cochin, traitera, quant à lui, des particularités de l'AMP avec tiers donneur et du rôle des CECOS (9). Nous essayerons également d'évoquer avec lui la question de la place respective du clinicien et du biologiste.

Mme Brigitte Feuillet-Le Mintier, qui dirige le Centre de recherche juridique de l'Ouest, nous indiquera les modifications législatives qu'il serait souhaitable de retenir pour garantir une meilleure protection des femmes.

Enfin, nous laisserons la parole à une patiente, Madame Patricia Barbazanges, qui a accepté de témoigner sur le parcours d'AMP qu'elle a suivi. Nous l'en remercions vivement, car il n'est pas facile d'évoquer en public, des sujets si personnels.

Mme Chantal RAMOGIDA,

Présidente de l'Association « Pauline et Adrien »

Je remercie vivement les organisateurs de ce colloque, qui me donnent l'opportunité d'exprimer ce que ressent chaque individu lorsqu'il, ou elle, découvre et prend conscience que la procréation est un véritable problème.

Lorsque deux êtres se rencontrent, s'aiment et s'épousent, l'envie d'avoir un enfant se fait rapidement ressentir. Ils échafaudent des projets et s'imaginent déjà vieillir entourés de leurs enfants et petits-enfants. En fait, la vie normale, courante, à laquelle chacun aspire.

Seulement, il arrive parfois - trop souvent à mon goût, car actuellement un couple sur six dans le monde consulte pour des problèmes d'infertilité -, que cette grossesse tant attendue et désirée n'arrive pas. Alors viennent les interrogations. Pourquoi ne suis-je pas enceinte ? Ai-je un problème ? Est-ce mon mari ? Que se passe-t-il ?

Beaucoup de questions restées sans réponse se bousculent dans nos pensées respectives. La femme culpabilise de ne pouvoir donner un enfant à son mari. Le mari, souvent, n'imagine pas que lui puisse avoir un problème.

Le couple vit l'expérience de l'infertilité comme injuste et se sent entièrement isolé du reste du monde. Souvent, il est incapable de parler de ce qui est vécu comme une honte dans certaines cultures. C'est ainsi que s'est fait ressentir le besoin de créer un soutien aux couples infertiles. L'association « Pauline et Adrien » est née en 1988. Très rapidement, grâce au soutien des médecins, des biologistes et des médias, nous avons été inondés de demandes de la part des patients, hommes et femmes, par courrier, par téléphone et durant nos rendez-vous. Aujourd'hui, nous regroupons plus de 8 000 personnes et nous recevons plus de cent cinquante lettres par semaine.

Les questions que l'on nous pose couvrent des sujets aussi « simples » que la définition de l'infertilité, son incidence chez l'homme et chez la femme, et aussi « complexes » que des demandes d'explications sur les techniques d'assistance médicale à la procréation, l'AMP, ou sur les meilleurs traitements pour tel ou tel problème. Il nous arrive aussi de voir des couples consulter pour des questions de religion liées à une éventuelle AMP.

Le principal souci des couples infertiles est de remédier à une situation dévastatrice tant sur le plan psychologique que sur le plan social. L'infertilité requiert du couple que les deux partenaires soient solides et solidaires pour parcourir le chemin ardu que représente l'AMP. Elle requiert du médecin beaucoup de délicatesse, la compréhension de ce que peut traverser le couple, émotivement et socialement, et une explication claire des symptômes et des traitements possibles.

Lors du premier constat d'échec, en l'occurrence la non-obtention d'une grossesse, il est probable que le couple n'en parlera pas, même à ses proches. Le rôle des associations et des médecins devient alors primordial. C'est vers eux que le couple va se tourner pour chercher des informations. Quelles sont les causes de l'infertilité ? Quels sont les traitements ? Les traitements sont-ils fiables ? Sont-ils éprouvés ? Où peut-on accéder à ces traitements ? Et surtout, aurons-nous un bébé en fin de parcours ? Ayant vécu personnellement l'infertilité, je peux vous assurer que le chemin est long et difficile. Surviennent enfin, une fois prise la décision de poursuivre l'AMP, les questions sur l'efficacité des traitements, la capacité et l'humanité du médecin traitant et les taux de réussite des différents centres d'AMP.

Pour soulager ces doutes et cette angoisse, l'information a une place primordiale. D'abord, les couples doivent comprendre ce qui leur arrive. Souvent, pressés par le temps, par des soucis de rentabilité, par des hôpitaux qui surveillent de très près leurs budgets, les médecins consultés ne peuvent pas prendre le temps nécessaire à une explication claire, objective et compréhensible pour les personnes infertiles. Or, le dialogue aide le couple à faire face et, plus important encore, à consentir à des choix après avoir été informé.

C'est dans ce rôle de fournisseur d'informations que des associations de patients, telle que « Pauline et Adrien », jouent un rôle important, passant par le témoignage personnel d'une expérience d'infertilité et par un groupe de discussion. La constitution d'une telle association représente pour les patients un lieu sûr, où l'échange se fait de manière personnelle et approfondie. Nous avons créé en France un relais téléphonique. De nombreux couples, dans tous les départements, offrent la possibilité à d'autres couples de discuter, de partager leurs expériences et de se renseigner sur tous les aspects de l'infertilité et de ses traitements.

Notre bulletin « Naître autrement » fournit une information sur différents thèmes, dont par exemple l'infertilité masculine. Ce bulletin est non seulement envoyé aux adhérents de l'association, mais également à toutes les cliniques publiques et privées, à tous les laboratoires qui pratiquent l'AMP, ainsi qu'aux pouvoirs publics et aux médias.

Nous militons pour la transparence des résultats, ce qui est loin d'être facile. Aujourd'hui, les patients ne connaissent pas les résultats des centres d'AMP. Des taux de réussite sont annoncés, mais nous ne savons pas à combien de bébés nés vivants ils correspondent.

Ces dernières années, on a souvent lu dans la presse que nous vivions à l'ère de l'information. Pourtant, dans un monde où l'information est de plus en plus accessible techniquement, notamment au travers d'Internet, il reste une méconnaissance de la part des patients sur ce qui les touche de très près : leur corps.

Traditionnellement, l'information sur le corps et ses maux était réservée aux sages, aux sages-femmes, aux sorciers de village, puis aux médecins. Le médecin a pris une place importante et on lui a, en quelque sorte, livré le pouvoir sur nos corps physiques. Bien que nous respections son savoir, ses études, aujourd'hui, nous, patients infertiles, revendiquons notre droit de reprendre possession du savoir sur notre corps et notre condition infertile.

Ce droit passe par la capacité de poser des questions et d'obtenir des réponses. Nous devons nous renseigner sur les avantages et les risques. Nous devons savoir si l'AMP est pratiquée de manière éthique et scientifique. Nous devons militer pour que les lois permettent l'accès et le remboursement de tous les traitements. Nous devons aussi concilier nos croyances religieuses avec nos pratiques de santé.

La raison principale pour laquelle il est si important pour nous d'obtenir des lois sérieuses est notre protection, et la protection de la société dans son ensemble, vis-à-vis de ce que je qualifierais de « recherches extravagantes ». Les récentes expérimentations sur le clonage mettent en lumière ces possibles dérives. Depuis que les docteurs et les scientifiques existent, l'homme a voulu étendre les limites de son savoir. C'est grâce à cela que la pénicilline a été découverte, que les transplantations d'organes ont été rendues possibles et que les bébés éprouvettes sont nés. Mais c'est aussi cela qui a permis la guerre atomique et la guerre chimique.

On n'est plus très loin du meilleur des mondes d'Aldous Huxley. N'arrive-t-on pas à la science pour la science, plutôt que la science pour le bien de l'humanité ? Avons-nous le temps d'entrer ici dans cet important débat ? Simplement nous pensons qu'il est nécessaire de définir des limites éthiques claires au-delà desquelles les chercheurs ne doivent pas s'aventurer, pour que les embryons et les gamètes ne puissent être utilisés à des fins détournées. Nous devons nous souvenir que notre seul objectif est, par un traitement médical, de parvenir à la procréation.

C'est très bien me direz-vous, mais comment comptez-vous faire tout cela ? Je crois sincèrement, pour l'avoir vécu, que nous pouvons accomplir énormément en prenant en compte quatre acteurs principaux : la communauté médicale (les médecins, les biologistes et les infirmières), les autorités (le ministère chargé de la santé et la sécurité sociale), les médias (les journaux, les radios et la télévision) et les patients eux-mêmes.

Lorsque j'ai créé mon association en 1988, après avoir eu six enfants, dont cinq par fécondation in vitro, personne ne parlait en France d'infertilité. Révoltée par la manière dont on m'avait traitée
- sans compassion, sans gentillesse et surtout sans informations -, j'ai lancé un cri d'alarme, que les médias ont tout de suite repris et amplifié. Il y avait un réel besoin d'information, immédiatement reconnu par les médias.

Il a fallu beaucoup de temps pour que les médecins acceptent le fait que notre travail et l'information que nous fournissons pouvaient les aider. Ce que nous expliquions aux couples, les médecins n'avaient pas besoin de le répéter. Nous les aidions à gagner du temps et à rassurer leurs patients. Aujourd'hui, l'association est invitée à tous les congrès et participe à plusieurs comités scientifiques en tant que représentant des patients.

Nous avons réussi aussi à entrer dans le domaine politique au travers de plusieurs rencontres ministérielles. Nous avons participé activement à la discussion autour de l'élaboration de la loi de bioéthique de juillet 1994 et nous avons été consultés à plusieurs reprises en vue de la révision de cette loi.

C'est parce que chaque personne infertile est un individu à part entière et non un cas parmi tant d'autres, qu'elle doit savoir ce qui lui arrive. Rappelons que suivant la charte de l'organisation mondiale de la santé de 1946, « la santé est un état de bien-être physique, mental et social et non pas simplement une absence de maladie ou d'infirmité ». Comme vous le savez, l'infertilité affecte tous ces domaines.

C'est parce que chaque personne infertile est un individu qu'elle devrait avoir accès aux traitements. Riches et pauvres, toutes catégories ethniques et sociales confondues. L'accès et le remboursement des traitements est un but que poursuivent toutes les associations de personnes infertiles.

Et, parce qu'on aurait pu souffrir soi-même d'infertilité, il faut être solidaire des autres personnes infertiles. La joie d'un enfant est une joie personnelle, mais la solitude face au manque d'enfant est une solitude infinie. C'est à chacun de soutenir le couple infertile, d'être à son écoute, de l'aider et de l'informer.

Le médecin, par le serment d'Hippocrate, a le devoir de traiter « suivant le régime qui, selon sa capacité et son jugement, est le meilleur pour le patient ». Le serment d'Hippocrate est en fait une série de principes éthiques qui doivent guider le médecin dans sa pratique quotidienne de la médecine. En tant que patient, il nous arrive encore aujourd'hui de nous interroger sur la réelle motivation du médecin.

Le médecin a un devoir éthique envers ses patients. La pratique de l'AMP, avec toutes les implications religieuses, sociales, morales et éthiques, est un domaine où l'éthique personnelle est d'autant plus importante.

Les autorités ont aussi un rôle important à jouer en permettant la pratique de l'AMP dans des conditions sûres, légales et contrôlées. Les limites légales doivent être discutées dans des comités comprenant médecins, biologistes, éthiciens, personnalités religieuses, mais également patients. Celui qui n'a pas vécu l'infertilité ne peut comprendre les enjeux personnels d'un tel parcours.

Finalement, et pour éviter une médecine uniquement pour les riches, il faut permettre à tous d'accéder aux traitements dont les systèmes de santé doivent assurer le remboursement.

Parce ce que nous vivons une époque de communication et d'information, les médias ont un rôle énorme à jouer pour faire comprendre aux couples que l'infertilité n'est plus une fatalité. Prenons le cas de la France par exemple : il y a une dizaine d'années, on ne parlait que de stérilité. Les progrès accomplis dans le domaine de l'AMP nous permettent aujourd'hui de parler d'infertilité, voire de fertilité. « Pauline et Adrien » organise chaque année, au mois de décembre, la journée nationale de la fertilité, au cours de laquelle nous réunissons à la fois médecins, biologistes, médias, personnalités politiques et patients.

Pour conclure, nous aimerions souligner l'importance d'une collaboration étroite entre toutes les parties prenantes pour aboutir à une information claire, objective, éthique et réfléchie sur tout ce qui touche à l'infertilité. Chacune a son rôle à jouer et doit garder son indépendance de choix et d'action. Je plaide ici pour une attitude responsable de chacun, avec de la compassion pour ceux qui souffrent d'infertilité. Je plaide ici pour que chacun d'entre vous, médecins, vous vous mettiez à la place du patient pour comprendre ses besoins et preniez le temps de lui expliquer les choses. Enfin, je plaide ici pour une médecine humaine, qui nourrit la vie, et qui rend à l'individu sa place au centre de la préoccupation médicale.

Mme Simone BATEMAN-NOVAES,

Sociologue au Centre de recherche Sens, Ethique, Société (IRESCO (10)-CNRS)

L'article L. 2141-2 du code de la santé publique (11) exige que tout couple candidat à une assistance à la procréation soit marié ou puisse apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans. La loi du 29 juillet 1994 affirme ainsi la valeur que la société accorde à la stabilité d'une union comme condition préalable à toute procréation. En exigeant le consentement éclairé des deux membres du couple, la loi demande la confirmation expresse de leur volonté de procréer. Mais le législateur prend la précaution de restreindre encore le recours légitime à l'AMP, en ajoutant des notions qui renvoient aux conditions biologiques de la fécondité : ne peuvent avoir accès à l'AMP que deux personnes vivantes de sexes différents, en âge de procréer, et ayant une infécondité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Cet article vise à exclure toute option normative qui ferait de l'assistance à la procréation autre chose qu'un écart exceptionnel par rapport au modèle de référence en matière de procréation : le rapport sexuel fécondant entre un homme et une femme - modèle qui renverrait à un ordre « naturel » des choses. Le législateur croit trouver dans la physiologie un rempart contre toute dérive de l'assistance à la procréation. Pourtant, cette croyance ne tient pas compte de la manière dont chaque société intervient pour redéfinir le « naturel » en termes de normalité.

En effet, pour ne citer qu'un exemple, l'âge auquel il est physiologiquement possible d'avoir des enfants (aussi jeune parfois que douze ou treize ans pour les filles) ne correspond pas nécessairement à l'âge auquel il est socialement acceptable de le faire. Les normes biologiques de la capacité à procréer sont toujours réévaluées à la lumière d'une norme sociale définissant l'aptitude à devenir parent. Même la différence des sexes peut être un critère biologique flou : l'état civil d'une personne fixe sans ambiguïté son sexe, même s'il existe des anomalies de la différenciation sexuelle, voire après qu'il y a eu transformation chimique et/ou chirurgicale du sexe de cette personne.

Malgré cette référence normative de la loi de 1994 à un ordre naturel, la régulation de la dimension technique de ces nouvelles formes d'engendrement, régies par le code de la santé publique, prédomine sur les dispositions relatives à la filiation, régies par le code civil. Or ces dispositions aboutissent à une proposition de relations entre partenaires procréateurs qui est loin de conforter un ordre supposé naturel.

D'abord, la dimension sexuée de la fécondité et de la gestation n'est nullement pensée en termes de différence proprement corporelle entre les sexes. L'infertilité est considérée comme un état du couple, tel une unité indifférenciée, et non comme une pathologie physique attribuable à l'un, à l'autre ou aux deux partenaires. La femme et son conjoint sont des pourvoyeurs de cellules reproductives et leur accord est requis à chaque étape du procédé. Un égalitarisme entre l'homme et la femme est certes mis en avant, mais il a pour effet d'occulter la dissymétrie physiologique des deux sexes devant certains aspects de la pratique. En effet, le recueil des gamètes est pour la femme un procédé bien plus lourd que pour l'homme, et de toute façon - en attendant l'ectogenèse - la plupart des interventions d'AMP se produiront sur le corps de la femme.

On constate également que la poursuite de la prise en charge d'un couple infécond est mise en cause dès que l'une des conditions d'accès à l'AMP n'existe plus. C'est ainsi que la loi détermine, par exemple, le refus de toute demande d'insémination ou de transfert d'embryons après le décès d'un conjoint. Si en apparence, c'est l'expression d'une volonté de procréer dans un cadre stable qui légitime la prise en charge médicale, de fait, cette volonté n'est recevable que dans la mesure où elle est l'expression de désirs non contraires à l'ordre public. Autrement dit, cette volonté renvoie aux conditions dites naturelles de l'engendrement.

Pourtant, la distinction entre demandes recevables et demandes « hors normes » est loin d'être évidente. Dans la pratique quotidienne, même la demande légalement recevable pose question à certains médecins. Que faire des couples dont l'infécondité relève éventuellement de difficultés d'ordre sexuel ? Ou des couples qui ont déjà des enfants d'un mariage précédent ? De ceux où il existe un écart d'âge très important entre l'homme et la femme ? Que faire des couples où le risque de transmettre une maladie grave (SIDA, chorée de Huntington...) justifie l'assistance à la procréation, mais où le pronostic vital du conjoint atteint est compromis ? Le cas du couple dont le conjoint est transsexuel féminin est un cas limite entre les demandes recevables et les demandes hors normes. Peut-on refuser des demandes qui satisfont aux critères de la loi ? De quel droit ?

Par définition, la demande dite hors normes ne respecte pas les conditions naturelles de l'engendrement. Elle provient précisément de personnes qui souhaitent avoir des enfants, malgré le fait qu'elles refusent les rapports hétérosexuels dans le seul but de procréer (femmes seules, couples homosexuels). Accepter de répondre à ces demandes revient à légitimer le désir de descendance de ceux qui refusent la « nature » comme référence normative en matière procréatrice, et le couple constitué d'un homme et d'une femme comme seul cadre acceptable pour élever des enfants. L'assistance à la procréation, définie jusqu'ici comme démarche exceptionnelle, serait pleinement reconnue comme méthode alternative de procréation.

Quelles que soient les différences entre les demandes dites recevables et celles dites hors normes, elles semblent malgré tout avoir trois points communs :

- Les demandeurs souhaitent éviter des relations sexuelles ressenties comme inacceptables - parce qu'adultérines ou opportunistes - et les problèmes affectifs et relationnels qui pourraient en découler. La fidélité apparaît ici comme souci moral commun.

- Les demandeurs expriment la volonté de ne pas se soumettre aux limites qu'impose la biologie de la vie sexuelle, en particulier celles qui découlent de s'être retrouvé(e) avec un partenaire stérile.

- Les demandeurs revendiquent plus que la possibilité d'élever des enfants : ils souhaitent procréer, avoir un enfant issu de leur corps, qui ressemblera à au moins un de ses parents et qui continuera la lignée.

Ces trois points sont souvent évoqués pour justifier les soins proposés aux demandeurs dits recevables, mais ils sont également invoqués pour refuser l'AMP aux demandeurs dits atypiques. Pourquoi ces arguments poseraient-ils problème dans un cas et pas dans l'autre ? Il faudrait plus de quelques minutes pour approfondir cette question.

Il est en tout cas peu probable que le rapport sexuel fécondant puisse servir encore longtemps de référence normative efficace. Tout d'abord, parce que cette référence produit l'effet paradoxal de gommer la différence des sexes là où elle a toute son importance, c'est-à-dire dans la prise en compte de la dissymétrie physiologique des sexes en ce qui concerne les aspects techniques de la procréation assistée. Ensuite, parce qu'elle ne permet pas de faire l'économie des choix proprement sociaux qui s'imposent autant en amont qu'en aval des limites fixées par l'article L. 2141-2 du code de la santé publique. Surtout, elle nous empêche de situer notre réflexion sur l'AMP dans le cadre des transformations considérables qu'ont déjà subies la famille dite traditionnelle et les rôles parentaux, avec l'augmentation du divorce et des remariages, des unions libres et des enfants nés hors mariage et, depuis peu, avec la reconnaissance légale restreinte des unions de même sexe.

Certes, il est peut-être prématuré, pour le législateur et pour une partie de l'opinion, d'envisager une modification substantielle des conditions d'accès à l'AMP. Mais peut-être faut-il oser se dire que la loi du 29 juillet 1994 a déjà légitimé ces méthodes comme alternatives au rapport sexuel, malgré les restrictions que l'article L. 2141-2 impose à leur accès. Au moment où ces méthodes d'engendrement nous éloignent encore plus du rapport sexuel fécondant, en nous entraînant vers ce qu'il est convenu d'appeler le clonage thérapeutique, peut-on encore se permettre de légiférer au cas par cas (post mortem, transsexuels, clonage...) ? Il serait déjà question de demander aux femmes de mettre leur fécondité en jeu, avec les risques parfois vitaux que comporte un prélèvement d'ovocytes, pour soigner des malades anonymes du futur. Cette démarche, quelle que soit sa validité, est pourtant délicate, même lorsqu'il s'agit de solliciter un don pour pallier l'infécondité d'autres femmes. Nos conceptions de la nature ne sont plus en mesure de contenir les transformations en cours de la famille, de la médecine et, plus globalement, de la société.

M. Bernard Kouchner nous a dit ce matin que la route du progrès était inévitable. Mais au carrefour où nous sommes, la question est justement de savoir quelle est cette route du progrès.

Professeur René FRYDMAN,

Chef du service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart,

conseiller technique auprès du ministre de la recherche

Je vais essayer, en quelques minutes, de dresser un rapide état des lieux.

Il y a aujourd'hui près de 40 000 tentatives de fécondations in vitro chaque année dans notre pays, ce qui correspond environ à 15 000/20 000 couples.

A côté de la fécondation in vitro, l'AMP recouvre également un certain nombre de procédés d'insémination et de stimulation ovarienne. Pour ces techniques, la prise en charge des patients est évidemment un peu différente. Les lois bioéthiques et le guide des bonnes pratiques se sont surtout intéressés à la fécondation in vitro. Mais dans les années qui viennent, il sera nécessaire de se concentrer sur l'insémination et la stimulation de l'ovulation. En termes de complications, notamment de grossesses multiples, ces pratiques sont bien moins maîtrisées que la fécondation in vitro. Dans les conditions actuelles, cette dernière est plus maîtrisable que la stimulation de l'ovulation simple.

Il existe une centaine de centres en France, qui sont agréés pour pratiquer des fécondations in vitro. Certains ont un agrément spécifique pour la prise en charge de la stérilité masculine. D'autres ont un agrément spécifique pour le don d'ovocytes.

En ce qui concerne l'évolution de la prise en charge des patients, nous constatons que le nombre des tentatives augmente régulièrement chaque année. Aujourd'hui, près de 40 % des fécondations in vitro utilisent la technique dite de l'ICSI (12), qui correspondrait normalement à une indication masculine. Le développement du traitement des stérilités d'origine masculine constitue un changement important.

Dans le cas de la fécondation in vitro, il est important de rappeler que certaines indications sont absolues, alors que d'autres ne sont que relatives. Dans certaines situations, il est absolument indispensable d'avoir recours à une fécondation in vitro pour avoir un enfant. Ces cas sont les suivants :

- lorsque la femme n'a pas de trompes ou que celles-ci sont manifestement non fonctionnelles ;

- lorsque l'homme n'a pas de spermatozoïdes dans l'éjaculat ;

- lorsque la femme n'a pas d'ovaires fonctionnels et qu'il est nécessaire de recourir à un don d'ovocyte ;

- lorsqu'il convient d'effectuer un diagnostic génétique préimplantatoire - puisqu'il est nécessaire de passer par la fécondation in vitro pour analyser l'embryon et identifier les éventuelles maladies « d'une particulière gravité et incurable au moment du diagnostic ».

Par contre, toutes les autres situations sont des indications relatives. Dès qu'il y a une perméabilité des trompes, il est possible d'envisager une conception, soit après une simple stimulation, soit associée à une insémination. Il est également très fréquent que les choses se passent de manière spontanée. Cela arrive tout le temps. Il faut donc bien relativiser les techniques de prise en charge.

Les techniques d'AMP ont évolué depuis bientôt vingt ans. Mais elles consistent toujours à obtenir des ovocytes et des spermatozoïdes, puis à faire la rencontre, en laboratoire, des deux gamètes ainsi obtenus.

En ce qui concerne les ovocytes, nous avons connu des évolutions importantes. Après le cycle naturel, nous sommes passés à la stimulation de l'ovulation. Au début, nous utilisions une technique de recueil par c_lioscopie sous anesthésie générale. Aujourd'hui, il existe un quasi-consensus autour d'une technique de recueil par échographie par voie vaginale. Celle-ci peut se faire sous anesthésie locale, sous neuroleptanalgésie ou sous anesthésie générale, selon le désir de la patiente et les possibilités qui peuvent lui être offertes. Avec le développement de médicaments que nous avions l'habitude d'utiliser dans des cas particuliers, il est également possible d'envisager le retour à un cycle naturel, avec juste une adjonction de médication en fin de stimulation. Il s'agit d'un point important, car c'est cette stimulation de l'ovulation qui explique la lourdeur et les contraintes de cette démarche. Elle peut aussi être à l'origine d'un certain nombre de complications, sur lesquelles je reviendrai.

Pour l'obtention des spermatozoïdes, la méthode utilisée est généralement la masturbation. Il convient néanmoins de souligner qu'environ mille hommes sont opérés, pour effectuer un recueil des spermatozoïdes au niveau du testicule ou de l'épididyme. Nous assistons donc à un changement. Les femmes ne sont plus les seules à subir le geste opératoire.

Les résultats des techniques d'AMP varient selon un certain nombre de conditions. Un critère incontournable est l'âge des ovaires de la patiente. Celui-ci ne correspond pas toujours à son âge réel. Certaines femmes jeunes ne pourront bénéficier que d'un don d'ovocyte. Inversement, des femmes d'une quarantaine d'années ont encore des ovaires tout à fait fonctionnels. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas faire abstraction de ce déclin du taux de succès selon l'âge de la patiente.

Les femmes ont en moyenne leur premier enfant entre 29 et 30 ans. L'âge de la procréation médicalement assistée a, par conséquent, tendance à s'élever. Près de 50 % des demandes que nous recevons émanent de femmes autour de 35 ans. Il s'agit d'un âge relativement élevé, où les chances de succès sont moindres que chez des femmes plus jeunes.

Le nombre d'embryons transférés a fait l'objet de nombreux débats. Il convient en effet de trouver un équilibre entre le souhait d'obtenir une grossesse et le risque d'obtenir une grossesse multiple. Incontestablement, ce risque est lié au nombre d'embryons transférés. Il est intéressant de constater que les discussions et les guides de bonnes pratiques ont abouti à une diminution du nombre d'embryons transférés. Aujourd'hui, l'implantation de quatre embryons ne concerne plus que 8 % des cas, contre 20 % en 1991. Ce chiffre peut paraître encore élevé, mais il marque tout de même une modification des pratiques, qui tiennent davantage compte des risques encourus.

En ce qui concerne les résultats, nous avons l'habitude de tenir compte des données publiées par FIVNAT (13). Depuis quelque temps, nous disposons également d'un document ministériel, qui doit corroborer les informations de FIVNAT. Ces statistiques montrent que les taux de grossesse connaissent une légère augmentation, de l'ordre de deux points. De 1994 à 1999, nous sommes passés de 19,5 % à 21,7 %. Les progrès sont plus significatifs pour l'ICSI, qui n'affichaient que 15 % de réussite en 1994 et qui a atteint 21 % en 1995, puis 25 % en 1999. Je vous rappelle qu'il s'agit du taux de grossesses par ponction effectuée.

Les complications liées aux techniques d'AMP sont essentiellement de deux ordres. La première catégorie porte sur les risques d'hyper-stimulation ovarienne. En donnant des traitements de stimulation trop forts, nous pouvons nous retrouver face à un syndrome dans lequel les ovaires sont extrêmement douloureux et augmentent de volume, ce qui peut déboucher sur un épanchement péritonéal. Ce risque d'hyper-stimulation est majoré si la femme devient enceinte. Nous pouvons tenter de le contrôler en effectuant un monitorage extrêmement précis. Mais le risque zéro n'existe pas.

La deuxième catégorie de complications concerne les grossesses multiples. Sur le nombre de grossesses obtenues, près de 25 % sont des grossesses gémellaires. Mais le taux de grossesses multiples diminue progressivement. En France, les grossesses triples ne concernent que 1 à 2 % des cas. Aux Etats-Unis, cette proportion atteint 13 ou 14 %. Nous devons incontestablement opérer une bascule entre la probabilité d'une grossesse et le risque d'une grossesse multiple.

Au-delà de ces deux grands risques, deux questions restent posées : l'effet à long terme des stimulations ovariennes, sur lesquelles les données scientifiques restent encore limitées, et le suivi des enfants nés grâce à l'ICSI. Pour 1998, les données de FIVNAT font état de 169 cas d'hyper-stimulation sur les 40 000 tentatives pratiquées. Par ailleurs, elles mentionnent 17 hémorragies, 5 infections et aucun décès maternel.

Pour conclure, je voudrais revenir sur un point qui a déjà été évoqué ce matin. Les techniques d'AMP nécessitent l'intervention de deux acteurs (le médecin et le couple), mais je me demande s'il n'en faudrait pas un troisième. Aujourd'hui, le médecin et le couple se retrouvent face à face, aux prises à des pressions parfois difficiles à gérer. Il est compliqué de sortir d'une relation d'offre et de demande et de dépasser la passion qui peut exister de part et d'autre.

Le médecin et le biologiste ont un objectif, qui est d'améliorer les résultats de l'offre. Un certain nombre d'évolutions ont déjà eu lieu, comme le passage de la c_lioscopie à l'échographie pour le recueil d'ovocytes, de l'administration des traitements de stimulation non plus par voie intramusculaire mais par voie sous-cutanée... Mais pour améliorer les milieux de culture, développer des techniques comme l'éclosion assistée, la culture prolongée, la conservation de fragments ovariens, la maturation in vitro, le médecin et le biologiste ont besoin d'une autorisation de recherche sur l'embryon, ce que la loi actuelle de bioéthique n'autorise pas.

De l'autre côté, le couple a besoin d'une véritable prise en charge, d'une information et de la fixation de certaines limites. Lorsque l'on regarde la pratique réelle des centres, il est clair que l'information est toujours trop rapide. La lecture des papiers est une démarche insuffisante. Nous ne nous en sortirons pas sans des personnels formés, capables de délivrer une information complète et qui ont du temps pour le faire. Leurs compétences pourraient d'ailleurs être étendues à l'ensemble des problèmes concernant la femme. Il est tout aussi important de donner des explications avant une hystérectomie ou avant toute intervention chirurgicale. Dans certains pays, il existe des centres de documentation au sein même de l'hôpital, avec un accès à Internet, à des livres et, surtout, des personnes compétentes capables de répondre aux questions sont présentes. Ces personnes ont reçu une formation médicale, juridique et psychologique autour des problèmes de l'infertilité comme de l'adoption.

Dans le cas de l'AMP, il serait important que les patients puissent s'adresser non seulement à des associations, mais également à des personnels d'accueil (une conseillère en infertilité). C'est la seule façon de donner toutes les informations. Les situations méritent un véritable dialogue. La seule chose qui a été prévue dans de nombreux centres est un entretien avec un psychologue. Cet entretien doit être possible, mais je ne suis pas certain qu'il doive être obligatoire. En revanche, un vrai temps d'explication, qui fasse partie intégrante de la prise en charge, me semble tout à fait nécessaire et n'existe pas aujourd'hui. Ce serait un pas important dans l'aide à la réflexion des femmes et des couples.

Madame Patricia BARBAZANGES,

Témoignage d'une candidate à l'AMP

Je vous remercie de me permettre d'apporter un témoignage personnel, beaucoup plus concret que les propos qui viennent d'être tenus, mais certainement complémentaire, notamment par rapport à l'intervention du professeur René Frydman.

Pour ma part, j'en suis aujourd'hui à ma quatrième tentative d'ICSI (FIV avec micro-injections). Mes deux premières tentatives se sont soldées par un échec, car il n'y a pas eu transfert d'embryons. Les deux suivantes ont donné lieu à des implantations et à deux grossesses. Mais j'ai malheureusement fait deux fausses couches environ un mois et demi après. J'imagine que pour le centre qui me suit, ces deux grossesses sont prises en compte dans les taux de réussite publiés. Pourtant, pour moi, il s'agit bien de quatre échecs.

Il est vrai que les deux dernières tentatives ne sont que des demi-échecs, dans la mesure où il y a eu, à chaque fois, une implantation. Mais l'implantation est l'une des phases les plus délicates et les plus méconnues. Elle débouche très souvent sur des échecs, puisque ceux-ci représentent environ 75 % des cas. Ces échecs sont inexpliqués. Toutefois, pour les comprendre au moins partiellement, il est utile de rappeler en quoi consiste concrètement une procédure d'AMP.

Il a été dit, à plusieurs reprises, qu'il s'agissait d'une démarche à la fois douloureuse et contraignante. Effectivement, le traitement commence par une série de piqûres quotidiennes, pendant quinze ou trente jours selon le protocole prescrit. Il paraît que ces injections ne sont pas douloureuses. Je suis peut-être particulièrement douillette, mais, personnellement, je ne partage pas cet avis. Il convient en outre de souligner qu'au cours de ces quinze ou trente jours de traitement, vous devez aussi subir des échographies et des prises de sang régulières.

Pour les femmes qui ont une activité professionnelle, cela signifie qu'elles doivent prendre au moins deux demi-journées pour réaliser les échographies et qu'elles sont souvent obligées d'arriver en retard à leur travail afin de faire les prises de sang. Celles qui ne peuvent pas se le permettre sont contraintes de se lever beaucoup plus tôt pour procéder à ces examens. Quoi qu'il en soit, cette moins grande disponibilité se traduit généralement par un surcroît de travail le soir et le week-end.

Cette situation n'est pas anodine. Au bout de ces quinze ou trente jours de traitement, les femmes se retrouvent avec un corps extrêmement sollicité et avec les ovaires « torturés ». Elles sont fatiguées par les douleurs au ventre et aux ovaires, ainsi que par le surcroît de travail lié à des absences plus ou moins bien gérées. Peu de femmes vont expliquer à leur employeur qu'elles sont stériles, ou que leur mari est stérile et qu'elles doivent avoir recours à une fécondation in vitro. Généralement, elles mentent plus ou moins, en apportant des arrêts de travail d'une demi-journée. Voilà le quotidien des femmes qui subissent ces traitements d'AMP. Faut-il encore préciser que du fait des nombreux échecs, ces contraintes se renouvellent tous les deux ou trois mois ?

Il résulte donc de ce qui précède que ce sont des femmes fatiguées par leur traitement, leur souffrance, stressées par la gestion de leur activité professionnelle, voire tout simplement en dépression, qui se présentent le jour de la ponction.

La ponction est réalisée sous anesthésie générale ou sous anesthésie locale. Le médecin vous précise à cette occasion que vous pouvez reprendre votre activité professionnelle dès le lendemain. Sur le plan médical, c'est sûrement vrai. Mais après avoir vécu trente jours de traitement et une anesthésie générale, en ayant comme perspective l'espoir d'une réimplantation d'embryons deux jours après, je peux vous assurer que vous n'êtes pas en mesure de reprendre immédiatement une activité professionnelle. C'est peut-être le cas pour les femmes qui considèrent que le travail est un moyen de ne pas trop réfléchir à ce qu'elles viennent de faire, mais je pense qu'elles ne sont qu'une minorité.

Je tiens à insister sur le fait que ces informations ne sont pas données lors de la première rencontre. On n'informe pas suffisamment les couples - les techniques de fécondation in vitro sont des problèmes de couples et pas seulement des problèmes de femmes, même si elles sont les seules à subir les traitements - des contraintes et des difficultés de gestion du quotidien qui découlent de ces traitements. Je suis personnellement très étonnée que les équipes médicales n'indiquent pas aux femmes qu'il serait préférable de prendre une semaine de vacances avant et après la ponction.

Je ne pense pas qu'une femme fatiguée et stressée soit dans de bonnes conditions pour obtenir une grossesse. J'ai un peu l'impression que cela revient à soigner une jambe de bois. Les problèmes que je viens de souligner sont probablement une des causes des nombreux échecs. Il serait au moins intéressant d'envisager les choses sous cet angle.

Je rejoins ce qu'a dit le professeur René Frydman au sujet du conseil psychologique et de l'accompagnement des couples. Lors de mon premier rendez-vous, on m'a expliqué en quoi consistait une fécondation in vitro et on m'a rappelé la législation. On m'a également remis une copie de la loi, que je n'ai d'ailleurs pas lue. Si je ne l'ai pas fait, alors que je suis avocate, cela vous donne une idée du nombre de femmes qui se livrent à cet exercice !

On m'a effectivement indiqué que je pouvais consulter un psychologue. Ce n'était pas une obligation. Beaucoup de femmes et de couples refusent cette proposition, notamment par manque de temps. Compte tenu de tous les examens à pratiquer, il est très difficile de prendre encore une demi-journée supplémentaire pour aller chez un psychologue dont la consultation coûte en outre relativement cher. Et la plupart des personnes concernées n'imaginent pas ce qu'un psychologue pourrait leur apporter. Dans le cas de mon couple, l'origine de la stérilité est parfaitement identifiée. Nous ne comprenions pas à quoi pouvait nous servir un psychologue, puisqu'il s'agissait clairement d'un problème médical.

Je n'ai contacté une psychologue qu'à partir de ma troisième tentative. J'ai alors réalisé l'intérêt de cette démarche. Je voudrais donc apporter un petit bémol à l'intervention du professeur René Frydman. Même si cela est un peu délicat, il serait peut-être opportun d'imposer cette consultation aux patients avant de commencer les traitements. Il leur appartiendra ensuite de décider s'ils veulent poursuivre les consultations ou non. Mais au moins, ils pourront choisir en toute connaissance de cause, en sachant ce que peut éventuellement leur apporter un psychologue.

Il serait utile que cette consultation avec un psychologue soit prise en charge par la Sécurité sociale. A mon avis, il est certainement préférable de rembourser une heure de consultation plutôt que des boîtes de Lexomil ou de Prozac. Beaucoup de femmes prennent des produits de ce type, quand elles ne se retrouvent pas tout simplement en dépression. Chaque tentative est une épreuve pour les femmes qui ne sont pas préparées psychologiquement. Je pense que nous avons besoin d'un véritable « coaching ». Comme les sportifs, nous avons un challenge à remporter, mais aussi parfois des échecs à gérer.

Pour terminer, je profite de l'opportunité qui m'est donnée pour remercier le corps médical dans son ensemble, pour sa compétence et surtout pour l'espoir qu'il nous donne. Je remercie également l'association « Pauline et Adrien », pour le travail d'accompagnement qu'elle réalise sur le terrain et qui devrait sans doute être généralisé dans tous les centres.

Professeur Pierre JOUANNET,
Directeur du laboratoire de biologie de la reproduction de
l'hôpital Cochin,
Président de la Fédération française des CECOS,
centres de conservation de l'_uf et du sperme humains

Après l'intervention de Madame Patricia Barbazanges, je voudrais signaler que j'anime le principal laboratoire de fécondation in vitro de l'Assistance publique. Depuis 1994, date de sa création, je demande la création d'un poste de psychologue dans mon service. Mais jusqu'à présent, aucune vacation de psychologue ne m'a été accordée. La loi prévoit pourtant que ces entretiens sont nécessaires. Je pense qu'il y a un réel problème de prise de conscience de la part des responsables institutionnels sur les conditions d'exercice des activités d'AMP au sein des hôpitaux.

Je voudrais vous livrer quelques réflexions d'un praticien.

La maîtrise au laboratoire de la fécondation et du développement embryonnaire précoce a mis entre les mains des médecins la plupart des processus biologiques qui permettent la procréation d'un être humain.

L'intervention médicale prend ici une dimension particulière. Elle ne se contente pas de remplacer un élément déficient ou de se substituer à une fonction défaillante. Elle a pour but de satisfaire un projet d'enfant, quelquefois impossible autrement.

Cette situation, que l'on ne peut assimiler à un traitement comme un autre, crée de nouvelles interrogations. Le médecin et le biologiste devront-ils répondre de leurs actes devant les seuls adultes qui les auront sollicités, ou aussi devant les enfants qu'ils auront aidés à concevoir ? Si le désir d'enfant est l'objectif qu'il convient de satisfaire, jusqu'où peut-on aller dans l'utilisation des techniques disponibles pour réaliser ce projet ? Peut-on entreprendre une assistance médicale à la procréation qui ignorerait les règles fondamentales régissant la reproduction de tout être sexué, par exemple en ayant recours au clonage ? Le praticien peut-il utiliser ses compétences pour répondre à des demandes qui transgressent les modèles habituels de la procréation ou les normes sociales de la parentalité ? Peut-il permettre la naissance d'enfants dont le géniteur est décédé au moment de l'acte médical ? Doit-il prendre en charge le désir d'enfant de femmes seules ou de femmes vivant en couple homosexuel ? Autrement dit, doit-on fixer des limites à la médicalisation de la procréation ?

Ces techniques donnent de nouveaux pouvoirs au médecin, mais celui-ci n'est plus en mesure de les exercer de manière isolée. Il doit les partager avec ses patients et éventuellement avec d'autres praticiens. Il doit être en mesure de rendre compte de ses choix ou de ses non-choix à ceux qui le consultent, mais aussi à la société. Il devient nécessaire d'inventer de nouvelles formes d'exercice, de relations et de décision médicales.

Quand il s'agit de recourir à une méthode médicalisée de procréation, la décision appartient autant au patient qu'au médecin. L'exercice harmonieux de ce double pouvoir exige que le patient dispose de tous les éléments nécessaires à son choix. Si l'information doit être aussi complète, objective et compréhensible que possible, elle doit aussi, pour que la décision soit pertinente, être adaptée à la situation de chacun. Le médecin est évidemment le plus apte à délivrer cette information, mais il n'en a pas toujours les moyens ni le temps. L'information apportée par les médias n'est pas suffisante, car elle est souvent trop générale, trop superficielle ou trop anecdotique. Les associations de patients ou d'usagers peuvent jouer un rôle très utile, mais le message a également besoin d'être plus personnalisé. Quels sont les objectifs du traitement ? Quels sont ses avantages et ses inconvénients ? Quels sont les risques ? Quelles sont les conséquences à court et à long terme ? Avec les nouvelles technologies médicales, une nouvelle forme de communication apparaît, qui a pour but de répondre aux questions de chacun.

Je partage ce qui a été dit par les intervenants précédents sur l'importance du conseil. Dans d'autres domaines de la médecine, il commence à être structuré. Le « conseil génétique » notamment est devenu indispensable, quand il s'agit de décider d'un acte dont les motivations et les conséquences ne sont pas que médicales. La même démarche de conseil pourrait bénéficier, on l'a dit, aux patients qui souhaitent avoir recours à une méthode de procréation médicalement assistée.

Cette activité de conseil, conduisant à des décisions plus respectueuses des principes généraux et mieux adaptées aux situations individuelles, pourrait ne pas se limiter à la période initiale, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui. Le counselling pourrait accompagner le patient tout au long de la réalisation de l'acte diagnostique ou thérapeutique et de son suivi.

Informer le patient pour partager avec lui le pouvoir de décision, c'est tendre à en faire un partenaire plus conscient et plus actif de l'acte diagnostique ou thérapeutique. Ce partage n'est ni simple, ni confortable pour le médecin. Mais il peut lever bien des incompréhensions, des ambiguïtés ou des regrets ultérieurs. Il en résultera souvent une amélioration de la qualité et de l'efficacité d'actes mieux assumés en commun.

L'intervention d'un tiers pour « donner l'information » ou pour « accompagner » entame la singularité de la relation entre le patient et le médecin. Elle est sans doute nécessaire. Néanmoins, il faut bien avoir conscience qu'elle va s'ajouter à la multiplication des intervenants, qui doivent conjuguer leurs compétences pour la réalisation de l'acte. Le patient se trouve ainsi confronté à une équipe ou à un réseau de spécialistes les plus divers, dont il ne comprend pas toujours bien le rôle et les responsabilités respectives. Cette multidisciplinarité, qui est extrêmement enrichissante pour la réflexion et qui peut être un excellent moyen d'éviter toute dérive incontrôlée, ne doit pas aboutir à une dilution des responsabilités, qu'il convient, au contraire, de mieux définir.

Par exemple, la réalisation d'une fécondation in vitro à partir de spermatozoïdes prélevés directement dans les testicules, nécessite la participation directe de trois praticiens aux compétences complémentaires et qui doivent d'ailleurs être agréés de manière spécifique : le gynécologue, qui prend en charge la femme et la traite pour recueillir les ovocytes, l'andrologue, qui prend en charge l'homme et l'opère pour prélever les spermatozoïdes et le biologiste, qui traite les gamètes au laboratoire, injecte les spermatozoïdes dans les ovocytes et traite les embryons jusqu'à leur transfert dans l'utérus. Ces trois spécialistes ne peuvent décider ou agir autrement qu'en concertation avec les deux autres. Leur travail d'équipe ne peut donc être envisagé que si leurs références éthiques et méthodologiques sont communes. Ce nouveau pouvoir multidisciplinaire oblige à rechercher une nouvelle cohérence entre praticiens. La recherche de cette cohérence est rarement spontanée, mais elle est pourtant nécessaire ; sinon, les patients ne peuvent être que désorientés, voire déstabilisés.

Cette forme d'exercice plus collectif de la médecine impose une organisation dont la nature et les contours ne sont pas toujours bien définis. Il est vraisemblable que les progrès et les clarifications nécessaires proviendront plus d'une démarche pragmatique réfléchie et librement consentie des professionnels que d'une réglementation incomprise. Pour qu'elle ait un sens, cette approche doit s'appuyer sur la transparence et l'évaluation de l'activité des praticiens. Evaluation qui ne devrait pas se contenter de comptabiliser des actes ou de vérifier la bonne application des règlements, mais qui pourrait aussi analyser les nouvelles modalités de l'exercice médical, leurs conséquences et leurs perceptions sociales, afin d'en systématiser les aspects les plus positifs pour les transférer à l'ensemble des professionnels concernés.

Depuis une trentaine d'années, la médecine a sans doute plus évolué qu'au cours des siècles précédents. Les capacités de maîtriser les processus biologiques ou de les reproduire, quand ils sont défaillants, se sont multipliées. Il en résulte une médicalisation croissante de la vie de chacun et une transformation profonde de la pratique médicale et de ses enjeux.

Souvent, l'application de nouvelles technologies biomédicales et leurs conséquences conduisent à modifier ou même à bouleverser notre vision, imaginaire ou non, de notre corps et de la vie. Elles peuvent interroger nos valeurs personnelles ou celles qui dominent dans la société où nous vivons. Comme l'évolution des connaissances, l'évolution des valeurs est inéluctable, mais le rythme de ces changements respectifs étant très différent, l'accélération du phénomène a un effet déstabilisant. Aujourd'hui, le savoir-faire, notamment le savoir-faire médical, n'est plus un enjeu en soi. Les prémisses de nouveaux équilibres, de nouveaux choix éthiques et de nouveaux pouvoirs sont posés.


Mme Brigitte FEUILLET-LE MINTIER,

Directeur du Centre de recherche juridique de l'Ouest (CRJO-Institut de l'Ouest : Droit et Europe,

Unité Mixte de Recherche-CNRS)

Je souhaite au préalable insister sur l'intérêt de cette manifestation au regard du thème abordé : « Femmes et bioéthique ». Si l'assistance médicale à la procréation est l'affaire d'un couple qui souhaite avoir un enfant, elle reste tout de même en priorité l'affaire de la femme, ne serait-ce que parce que c'est sur le corps de la femme que l'essentiel de l'intervention médicale aura lieu. Cette considération est, à mon avis, très importante.

Le législateur doit prendre conscience que la femme et son compagnon sont en état de souffrance. Ils sont en mal d'enfant. La femme risque donc d'accepter beaucoup d'épreuves pour avoir cet enfant. Il est donc nécessaire de mettre en place un dispositif de protection extrêmement important.

C'est en tant que juriste - je suis professeur à la Faculté de droit de Rennes - que vous m'avez sollicitée. Aussi, vais-je essayer de vous présenter brièvement les questions qui méritent d'être traitées par le législateur, afin de garantir à la femme à la fois la liberté de ses choix et la protection qu'elle est en droit d'attendre.

Pour aller à l'essentiel, j'insisterai sur quatre points :

1) S'agissant des techniques médicales utilisées dans l'AMP, il est important de rappeler qu'elles doivent être, dans tous les cas, compatibles avec la sécurité de la femme, car l'intervention médicale n'est jamais anodine ; elle peut avoir des conséquences biologiques et physiologiques pour la femme. Les techniques médicales utilisées ne doivent pas non plus porter atteinte à l'enfant qui va venir. D'où la nécessité de s'assurer de deux choses.

D'abord, le milieu médical ne doit pas pouvoir utiliser des techniques insuffisamment éprouvées, même si ces techniques devaient a priori conduire à une amélioration des résultats de l'AMP. En effet, si des techniques insuffisamment éprouvées donnent de bons résultats, les centres auront tendance à les utiliser, notamment pour conserver leur accréditation. La politique d'accréditation est globalement positive, mais nous en voyons là les effets pervers. Les centres qui auraient des scrupules à utiliser ces techniques se verraient pénalisés. Il convient d'autant plus de se méfier de ces pratiques que les couples, qui sont en état de souffrance, veulent tout essayer, et surtout les techniques qui marchent. Nous le constatons aujourd'hui avec l'ICSI. Très largement utilisée, cette technique est pourtant loin d'être parfaitement éprouvée. Des études laissent en effet supposer qu'elle pourrait avoir une incidence sur l'enfant à naître.

Le législateur semble conscient de cette difficulté. L'avant-projet de loi prévoit qu' « aucune nouvelle technique d'assistance médicale à la procréation ne peut être mise en _uvre avant une évaluation préalable permettant d'assurer son innocuité ». En revanche, il ne prévoit rien pour les techniques déjà existantes, notamment l'ICSI.

Ensuite, lorsqu'une technique a été admise mais qu'elle présente des risques, comme l'ICSI ou la stimulation ovarienne, l'information systématique et la plus complète possible sur ces risques doit être donnée au couple et particulièrement à la femme, qui subit physiquement ces pratiques. Les témoignages que nous avons entendus ce matin montrent qu'il est extrêmement important de connaître exactement les inconvénients des traitements, ainsi que leurs conséquences et les risques qu'ils font peser sur la santé. L'information doit porter sur les risques certains, mais également sur les risques éventuels. Dans ce dernier cas, jusqu'où doit aller l'information ? Doit-on aller jusqu'à informer les patients sur l'état de la recherche ? Je reconnais que ce n'est pas facile à faire dans la réalité.

L'avant-projet de loi a prévu d'assimiler la stimulation ovarienne à une technique d'AMP lorsqu'elle serait pratiquée dans le cadre de l'AMP. Mais le texte ne prévoit rien sur l'information liée aux risques de cette pratique à délivrer au patient, au-delà de la traditionnelle information sur l'acte médical effectué par le médecin.

2) Après les techniques médicales, je pense qu'il est important de s'attarder sur les conditions d'accès à l'AMP. Qui, dans notre société, peut recourir à une assistance médicale pour avoir un enfant ? Aujourd'hui, il s'agit essentiellement de conditions d'ordre social (14). Deux problèmes spécifiques, qui concernent directement la femme, doivent être abordés par le législateur.

- Le premier porte sur le transfert d'embryons post mortem. Cette pratique est actuellement interdite, sur le fondement de la nécessité d'assurer une double parenté à tout enfant né de l'AMP. Il semblerait cependant que le projet de loi envisage de l'autoriser. Cette démarche pose tout de même la question de la filiation de cet enfant, qui sera en fait conçu après la mort du conjoint.

- Un deuxième thème, tenant aux conditions d'accès à l'AMP, concerne les transsexuels. En nombre, ces cas sont marginaux, mais les CECOS reçoivent déjà ce type de demande. Or, je crois que ce n'est pas au milieu médical de décider s'il doit ou non pratiquer l'assistance médicale à la procréation dans ces conditions. A mon avis, ce choix est un problème de société. C'est au législateur de prendre ses responsabilités. Si ces cas sont marginaux en nombre, ils ont des répercussions extrêmement importantes au niveau de la famille.

3) La troisième grande question concerne le don et la pénurie d'ovocytes (ici, la femme est au c_ur du sujet) qui rend l'assistance médicale à la procréation extrêmement difficile en pratique. Face à cette situation, il semble que certaines équipes conditionnent leur assistance à la présentation par le couple d'une donneuse d'ovocytes. Même si l'objectif poursuivi par le milieu médical est compréhensible (trouver des ovocytes), je crois malgré tout que le moyen utilisé est contestable. Ce n'est pas au médecin d'ajouter une condition à la loi et ainsi de définir les conditions d'accès à l'AMP Il appartient au législateur de dire si cette pratique peut être utilisée pour se procurer des ovocytes. Mais il faut être conscient que celle-ci risque de déboucher sur des paiements occultes. La personne qui en a les moyens peut rémunérer, de manière confidentielle, la femme qui accepterait de faire don de ses ovocytes.

Le législateur semble avoir pris conscience de ces risques et semble vouloir interdire ce type de pratique.

Pour résoudre le problème de pénurie d'ovocytes, certains médecins proposent purement et simplement de lever l'anonymat. Je voudrais faire quelques remarques sur ce point :

- Si l'on envisage de lever l'anonymat, je pense qu'il ne faudrait pas le faire ponctuellement sur la seule question du don d'ovocytes, mais dans le cadre d'une réflexion générale sur l'anonymat dans l'AMP. A force de régler des problèmes ponctuels, on risque de porter atteinte à un ensemble cohérent.

- Par ailleurs, la levée de l'anonymat dans le cas des dons d'ovocytes peut entraîner des inconvénients importants, notamment en ce qui concerne les éventuelles revendications ultérieures de la donneuse d'ovocytes sur cet enfant qui sera un peu le sien. Les difficultés risquent en outre de surgir dix ou vingt ans après le don. Il ne faudrait pas que l'enfant en subisse les conséquences. Pour le moment, je ne crois pas que le législateur souhaite s'engager dans cette voie.

En revanche, l'avant-projet de loi admet explicitement l'information du public en faveur du don, distincte de la publicité, interdite par la loi de 1994. Désormais, il sera possible de communiquer sur ce point. Il s'agit d'une bonne mesure. C'est aussi le rôle de l'Etat d'organiser cette solidarité entre les couples et entre les femmes et les sensibiliser à la détresse de celles qui attendent des dons d'ovocytes.

Je voudrais insister sur la prudence que doit avoir le législateur. Au-delà du problème ponctuel de la pénurie d'ovocytes pour l'AMP, se cache le problème de la pénurie d'ovocytes, si l'on admet ultérieurement le clonage thérapeutique. Il faut en être tout à fait conscient, car il faudra des ovocytes, avec le risque d'un marché des ovocytes et d'une instrumentalisation de la femme qui en fournira.

4) Enfin, le dernier volet qui doit retenir l'attention du législateur porte sur le contrôle des activités d'AMP. Pour assurer une protection réelle aux femmes, il est indispensable de contrôler les activités d'AMP. Le projet de réforme porte essentiellement sur la création d'une agence nationale (15). A mon avis, l'urgence n'était pas là, mais plutôt dans l'engagement des pouvoirs publics à réaliser des contrôles effectifs sur le terrain. L'agence a davantage sa raison d'être pour la recherche sur l'embryon.

Dans le cadre de la création d'une agence nationale, je pense en outre qu'il est très regrettable que le législateur n'aille pas jusqu'à prévoir qu'elle ne pourra pas être composée majoritairement de scientifiques. Cette mesure me paraît pourtant essentielle. Ce n'est pas l'expression d'un manque de confiance dans le milieu médical, mais seulement la volonté de respecter une règle élémentaire de la justice humaine : on ne peut à la fois être juge et partie. Le modèle de la « Human Fertilisation and Embryology Authority » mériterait d'être suivi.

*

* *

DEUXIÈME TABLE-RONDE :

« ENCADREMENT ET PERSPECTIVES »

Rôle des CECOS. Contrôle des centres d'AMP. Le diagnostic préimplantatoire. Les dons d'ovocytes. Le modèle britannique.

Présidence de Mme Yvette ROUDY,

Ancienne ministre,

vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes, membre de la mission d'information commune préparatoire à la révision des « lois bioéthiques » de 1994

Nous avons organisé de nombreuses consultations dans le cadre de la mission d'information préparatoire au projet de révision des « lois bioéthiques ». Nous nous sommes aperçus que les structures existantes, notamment la commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP), étaient insuffisantes. Contrairement à ce qui vient d'être dit, nous avons estimé qu'il était plus qu'urgent de prévoir la création d'une agence, pour suivre les progrès des sciences et des techniques et leurs applications.


Docteur Marie-Odile ALNOT,

Médecin en biologie de la reproduction et responsable CECOS à l'hôpital Necker-Enfants malades

Mon intervention a pour objet d'expliquer comment il est envisagé de passer de l'actuelle commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal à l'agence proposée par l'avant-projet gouvernemental.

La commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP) existe depuis 1988. De nombreux intervenants présents ce matin en ont fait partie. Il s'agit en réalité d'une commission mixte, constituée de deux sous-commissions, consacrées l'une à l'assistance médicale à la procréation (AMP) et l'autre au diagnostic prénatal (DPN). Les membres de la commission sont soit des membres communs, soit des membres propres à l'une des deux sous-commissions.

Les membres communs, au nombre de sept, sont les suivants :

- un représentant du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ;

- un représentant des associations familiales ;

- un médecin inspecteur de la DDASS (16);

- un pharmacien inspecteur de la DRASS (17) ;

- une personnalité scientifique ;

- un spécialiste du droit de la filiation ;

- un praticien ayant une expérience particulière en génétique humaine.

Les membres propres aux deux sous-commissions (d'AMP et du DPN) sont, dans chacune, au nombre de treize. Cinq sont proposés par les organisations professionnelles représentatives, les huit autres sont choisis en fonction de leur compétence et de leur expérience dans les différents champs d'activités de l'AMP et du DPN. Les secteurs publics et privés sont représentés.

Actuellement, la présidence de la commission est assurée par Madame Nicole Questiaux (18), présidente honoraire de section au Conseil d'Etat, nommée par le secrétariat d'Etat à la santé et à l'action sociale par décret du 8 avril 1999. Parmi les 34 membres de la commission, on compte vingt-quatre hommes et dix femmes - la parité est donc peu respectée - dont vingt-huit médecins et un seul représentant de la société civile. La composition sociale de cette instance ne peut conduire qu'à la critique d'être à la fois « juge et partie » dans les avis rendus et de ne pas être représentative de notre société actuelle.

Le rôle de la commission, précisé dans le code de la santé publique, consiste notamment à donner des avis sur :

- les demandes d'autorisation d'exercice des activités d'assistance médicale à la procréation et de diagnostic prénatal ; les avis sont basés sur la compétence des intervenants, les locaux, l'équipement, l'organisation et la qualité des prestations ;

- les demandes d'agrément des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal ;

- le renouvellement et le retrait des agréments.

Ces avis sont soumis au comité national de l'organisation sanitaire et sociale, qui fixe les indices de besoins régionaux, relatifs aux deux activités clinique et biologique de l'AMP et du diagnostic prénatal.

Par ailleurs, la commission participe au suivi et à l'évaluation, à partir des rapports annuels d'activité qui doivent être remis par tout organisme ou établissement autorisé.

Enfin, elle remet au ministre de la santé un rapport annuel portant sur l'évolution de la médecine de la reproduction et du diagnostic prénatal.

La commission siège exceptionnellement pour avis en réunion plénière, sauf pour ceux qu'elle doit donner concernant :

- l'attribution d'agrément pour le diagnostic préimplantatoire ;

- les projets d'études sur l'embryon, pour lesquels elle doit évaluer la pertinence scientifique et, si l'avis est favorable, fixer les règles lui permettant d'en contrôler la bonne exécution.

Il est important de rappeler que la commission n'est dotée d'aucun moyen spécifique par l'Etat, ce qui explique qu'elle est submergée par les avis qu'elle doit donner à temps, pour ne pas ouvrir la voie, par défaut, à des recours administratifs, qu'elle est dans l'impossibilité de publier les bilans d'activité des centres agréés dont elle est seule détentrice, et enfin qu'elle a, depuis 1994, pris du retard pour proposer à l'Etat les projets de décrets ou d'arrêtés nécessaires à l'application intégrale de la loi de 1994.

Il faut également souligner que la commission n'a aucun pouvoir de contrôle direct des données fournies en vue de première autorisation ou de renouvellement d'agrément. Elle peut seulement diligenter des contrôles, qui seront effectués par les médecins inspecteurs des DRASS.

C'est en réalité une commission purement technique, au pouvoir limité, le pouvoir décisionnel étant détenu et centralisé au niveau du ministère de la santé.

Les critiques émises, tant par la société civile que par les professionnels, semblent avoir été entendues par les différentes instances travaillant sur les projets de révision de la loi de 1994.

En effet, il est proposé une décentralisation de l'attribution des autorisations. Cette compétence serait confiée aux agences régionales de l'hospitalisation (ARH), sauf en ce qui concerne le diagnostic préimplantatoire.

Il est envisagé la création d'une agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines (APEGH), établissement public de l'Etat, placé sous la tutelle de deux ministres : celui de la santé et celui de la recherche. Cette agence serait dotée de moyens financiers et emploierait des agents mis à disposition ou contractuels.

Sa compétence en matière de reproduction humaine serait élargie au domaine de la recherche sur l'embryon et sur les cellules embryonnaires et f_tales, ainsi qu'aux différentes conditions (prescription, réalisation et utilisation) des examens des caractéristiques génétiques des personnes.

Les missions de l'agence seraient les suivantes :

- évaluer, puis suivre et contrôler les protocoles de recherche autorisés ;

- élaborer les règles et les recommandations de bonnes pratiques, suivre, évaluer et contrôler les activités de diagnostic et de soins ;

- assurer une veille non seulement scientifique et sanitaire mais aussi éthique sur les connaissances et les techniques actuelles, y compris dans un but prospectif ;

- promouvoir la formation ;

- diffuser les indicateurs nationaux et contribuer à l'information du public ;

- rendre un apport public annuel.

Les deux premières missions seraient rendues possibles grâce à l'existence d'un corps d'inspection spécifique.

L'APEGH serait dotée d'un Haut Conseil et administrée par un conseil d'administration.

Les membres du Haut Conseil, au nombre de dix-huit, seraient nommés pour quatre ans. La composition de cette instance serait la suivante :

- trois membres désignés par le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires ;

- huit personnalités compétentes proposées par les Académies des sciences et de médecine, par les instituts de recherche et par l'enseignement supérieur ;

- un député et un sénateur ;

- un membre du Conseil d'Etat ;

- un conseiller de la cour de cassation ;

- un membre du Comité consultatif national d'éthique ;

- deux représentants d'associations.

Le rôle du Haut Conseil serait :

- de rendre des avis publics sur les demandes d'autorisation de protocoles concernant les cellules souches embryonnaires, les techniques innovantes et la recherche sur l'embryon ;

- de définir l'orientation de l'agence ;

- d'établir des relations privilégiées avec le Comité consultatif national d'éthique.

En revanche, le nombre des membres du conseil d'administration n'est pas précisé. Seule leur origine est connue. Il s'agira de représentants de l'Etat, de professionnels de santé, de personnel de l'agence et de personnes qualifiées.

L'APEGH aurait des pouvoirs beaucoup plus étendus que la commission actuelle. Elle disposerait également de moyens pour les assumer. On peut se réjouir du contrôle effectif qu'elle pourrait exercer sur les activités et sur tous les protocoles de recherche autorisés.

Enfin, apparaît, dans l'avant-projet de loi, un souci de sortir du domaine purement technique pour s'ouvrir à la réflexion éthique et à une réelle volonté de transparence vis-à-vis de la société : les avis, les bilans et le rapport annuel seront rendus publics. Toutefois, on peut regretter que cette agence ne puisse pas entreprendre des enquêtes publiques, notamment en vue de recherches sur le don d'ovocytes, que certains professionnels soient complètement oubliés, comme les psychologues, les sociologues et les anthropologues, et que la société civile soit encore sous-représentée.

Madame Yvette ROUDY

Pour le moment, il ne s'agit que d'un avant-projet de loi, qui n'a pas encore été étudié par l'Assemblée nationale. Le projet de loi pourra être amendé et amélioré. Nous pouvons donc poursuivre notre réflexion sur le sujet. Comme vous l'avez fort bien souligné, quelques insuffisances apparaissent déjà.

Professeur Arnold MUNNICH,

Chef de service de génétique médicale à l'hôpital Necker-Enfants malades et directeur

de l'unité U 393 (19 de l'INSERM

Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant les législateurs. Généticien à l'hôpital Necker-Enfants malades, je m'occupe, avec le professeur René Frydman, de l'un des deux centres français autorisés à pratiquer le diagnostic génétique préimplantatoire (DPI), l'autre centre se trouvant à Strasbourg.

Le diagnostic préimplantatoire s'adresse à des femmes qui ont perdu un, deux, trois ou quatre enfants en raison d'une maladie génétique et qui ne peuvent se résoudre à la souffrance de ces interruptions médicales de grossesse à répétition. La première indication est cette intolérance, bien compréhensible, aux interruptions médicales de grossesse à répétition pour des maladies qui récidivent dans les familles.

La deuxième indication porte sur les problèmes d'infécondité dans des couples où il existe, en outre, des risques de maladies génétiques gravement invalidantes. Il s'agit par exemple d'un couple dont l'homme est concerné par la mucoviscidose, l'une des principales causes de stérilité masculine. Le diagnostic préimplantatoire permet d'éviter que la descendance de ce couple ne soit également atteinte de cette maladie.

Le diagnostic préimplantatoire ne concerne que des maladies génétiques gravement invalidantes. Dans l'esprit de la loi de 1975 qui régit le diagnostic prénatal, ces techniques ne s'appliquent qu'aux affections d'une particulière gravité et incurables au moment du diagnostic.

Pour prévenir ces maladies, nous combinons les techniques de procréation médicalement assistée avec les techniques les plus récentes de diagnostic moléculaire. Il s'agit d'une prouesse, mais pas d'une avancée technologique. La réalisation du diagnostic sur une cellule d'un embryon fécondé in vitro ne représente pas un progrès scientifique. Je le répète, il s'agit d'une prouesse, que seul un petit nombre de laboratoires peuvent réaliser.

Dans le cadre de notre consultation commune avec le professeur René Frydman, nous traitons environ soixante couples par an. Nous consultons ensemble depuis deux ou trois ans. Bien avant que les autorisations n'aient été données, nous avons commencé à écouter les parents et à les recevoir au sein de consultations mixtes. Celles-ci rassemblent le gynécologue, le biologiste de la reproduction, le généticien, la sage-femme et le psychologue. Sur les cinq personnes, il y a généralement trois femmes et deux hommes. Ces consultations paraissent lourdes, mais en réalité les choses se passent de manière tout à fait conviviale et détendue.

Tous les couples que nous recevons nous sont adressés par des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal. Ils ne peuvent pas venir nous voir directement. Ils ont au préalable consulté des généticiens, qui ont confirmé la validité de leur demande.

La consultation est l'occasion de donner des informations au couple, en particulier sur la manière dont les choses vont se dérouler et sur les chances de succès. Mais c'est surtout, pour moi, l'occasion de me rendre compte que bien des indications du diagnostic préimplantatoire résultent en réalité de mauvaises pratiques dans le diagnostic prénatal. Beaucoup de demandes émanent de couples qui ont vécu une très mauvaise expérience du diagnostic prénatal. Bien des couples, bien des femmes, s'imaginent que le diagnostic préimplantatoire est la panacée. Nous devons expliquer que ce n'est pas le cas et essayer de réorienter vers le diagnostic prénatal classique des couples qui, dans le passé, ont très mal vécu cette pratique.

Les indications du diagnostic préimplantatoire sont limitées. Comme je vous l'ai dit, nous ne recevons que cinquante à soixante demandes par an. C'est peu, au regard du nombre de diagnostics prénatals classiques effectués dans notre pays. Actuellement, une vingtaine de diagnostics sont en cours, une dizaine de grossesses se déroulent et deux ou trois enfants sont déjà nés.

Il me semble inopportun d'essayer de dresser une liste exhaustive des indications du DPI. Je crois que le législateur envisage de s'engager dans cette voie. Mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose.

Il convient d'assortir ce diagnostic préimplantatoire d'un diagnostic des anomalies chromosomiques à seize semaines, afin de s'assurer que la prouesse technologique n'a pas été entachée d'une erreur. Vous concevez bien qu'en réalisant un diagnostic moléculaire sur une cellule, il existe un risque d'erreur ! Il est donc indispensable de vérifier la réalité des résultats par un diagnostic prénatal classique.

Je voudrais insister sur la nécessité de poursuivre la recherche sur l'embryon. Celle-ci est indispensable. Il ne s'agit pas d'une curiosité morbide. La recherche est indispensable pour permettre un service de qualité et faire en sorte que nous soyons plus sûrs de nous. Pour le moment, nous ne connaissons pas les mécanismes précoces du développement embryonnaire en termes génétiques et moléculaires. Nous devons progresser dans ce domaine.

Pour conclure, il me paraît important de dire quelques mots sur les dérives possibles de ces pratiques. Après la naissance de Valentin (20), on m'a dit qu'il s'agissait du premier clonage humain ! Nous devons nous employer à expliquer ce que n'est pas le diagnostic préimplantatoire. Le diagnostic préimplantatoire n'est pas du clonage humain. Ce n'est pas de la thérapie génique. Il ne s'agit que d'un diagnostic ultra-précoce sur un embryon à risque. Il faut se garder des malentendus.

En revanche, nous sommes confrontés à des problèmes réels, qui sont presque obsédants pour nous. Qu'est-ce qui est légitime ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ? La réponse n'est pas facile. Nous sommes maintenant saisis de demandes de diagnostic moléculaire pour des couples inféconds présentant des risques de maladies génétiques, qui, dans d'autres circonstances, n'auraient même pas fait l'objet d'un diagnostic prénatal. Ces affections ne sont pas d'une particulière gravité. Elles ne sont pas mortelles, mais elles peuvent entraîner un handicap moteur par exemple. Au motif qu'il y a une indication de procréation médicalement assistée, nous sommes saisis de demandes de diagnostics préimplantatoires. Je ne porte pas de jugement sur les demandes de ces couples. Ce n'est pas mon rôle. Je ne fais que vous informer des cas auxquels nous sommes confrontés.

Je voudrais terminer en évoquant une autre situation, extrêmement délicate. Il s'agit des demandes de diagnostic préimplantatoire dans des cas où l'aîné est encore vivant et pourrait attendre de l'enfant à naître une greffe de moelle. Nous avons reçu quatre demandes de ce type en France. En d'autres termes, il nous est demandé d'identifier « l'enfant médicament » de l'aîné. S'il n'est pas possible de dire oui, je peux vous assurer qu'il est très difficile de dire non.

Docteur Hélène LETUR-KÖNIRSCH,

Praticien hospitalier en médecine de la reproduction et gynécologie médicale à l'hôpital Necker-Enfants malades,

co-présidente du GEDO (21)

Je remercie les organisateurs de ce colloque de m'avoir donné l'opportunité de parler des difficultés liées au don d'ovocytes et des perspectives qui se font jour.

I - Il existe une différence fondamentale entre les deux gamètes, ovocytes et spermatozoïdes. Ce point n'a pas été identifié dans la loi de 1994, qui, confondant le don d'ovocytes et le don de spermatozoïdes, ne fait référence qu'au don de gamètes.

a) Pourtant, la première différence tient déjà au nombre d'ovocytes recueillis. La stimulation de l'ovulation ne permet d'obtenir en moyenne que neuf ou dix ovocytes. Le nombre de dons est en outre limité, du fait de la lourdeur et du caractère invasif de cette technique. Je ne m'attarderai pas sur ce point, qui a déjà été longuement évoqué ce matin.

Le don d'ovocytes est par ailleurs entaché des risques inhérents à toute stimulation de l'ovulation et à toute ponction ovocytaire. Cette dernière se déroule maintenant de façon ambulatoire, mais il s'agit toujours d'un acte chirurgical. La situation est très différente en ce qui concerne les spermatozoïdes, qui sont plusieurs millions dans chaque éjaculat.

b) Il faut également tenir compte de la diminution de la fertilité de la femme à un âge relativement précoce. Celle-ci intervient de manière assez nette dès 35 ou 38 ans. Cette horloge biologique n'est pas aussi présente, tout au moins à cet âge, chez l'homme. Ces éléments montrent clairement que la performance du don d'ovocytes est bien moindre que celle du don de spermatozoïdes.

La congélation systématique des embryons issus de don d'ovocytes, avec quarantaine sanitaire de six mois (22), a en outre un impact négatif sur les résultats de l'exercice du don en France. Je reviendrai sur ce point tout à l'heure.

c) Sur le plan psychologique, le don d'ovocytes et le don de spermatozoïdes présentent également des différences. Nous constatons en effet une mobilisation féminine largement supérieure à l'implication masculine. Il est dénombré, par rapport aux demandeurs annuels, environ 60 % de donneuses et moins de 15 % de donneurs. Ces donneuses sont, dans près de 90 % des cas, motivées par un couple receveur, alors que la majorité des donneurs se décident à entreprendre leur démarche après une information médiatisée.

Cette différence de pourcentage suscite deux réflexions :

- Dans le don de spermatozoïdes, le double tabou « stérilité-sexualité » induit le plus souvent le « silence » du couple concerné. En corollaire, la connotation sexuelle au travers du recueil de spermatozoïdes peut représenter un frein pour certains donneurs. Ces deux aspects rendraient ainsi plus difficile la solidarité masculine.

- En miroir, la femme apparaît très fréquemment moins gênée pour parler de sa stérilité. En outre, le recueil ovocytaire demeure un acte médical. S'ajoute également chez la donneuse potentielle un altruisme nettement plus perceptible, avec le désir de faire partager l'expérience de la maternité, en dépit de la lourdeur de la technique. Les femmes souhaitent vraiment que leur don soit productif. C'est la raison pour laquelle certaines d'entre elles ne vont pas jusqu'au bout de la démarche, car les résultats extrêmement modestes que nous avons en France constituent un frein.

Lors de la tentative, on constate une grande différence entre les couples receveurs et les couples donneurs. Les donneuses vivent cette expérience relativement difficilement, du fait de la lourdeur de la technique, de la surveillance systématique échographique et hormonale. Elles ressentent souvent un certain sentiment d'isolement. A l'inverse, les receveuses vivent la tentative relativement bien. Les grossesses se déroulent dans de bonnes conditions et les relations entre la mère et l'enfant se nouent très facilement. D'après les psychologues, ces femmes qui étaient confrontées à une insuffisance ovarienne semblent, après la naissance de leur enfant, avoir complètement « oublié » leur stérilité antérieure et dénié le don d'ovocytes. En fait, l'arrivée de l'enfant les fait passer de l'état de personne stérile à l'état de femme et de mère.

Bien que la technique de sélection des donneuses soit identique, le problème du don, du non-dit et du secret se pose très différemment de ce qui se passe au cours des inséminations avec des spermatozoïdes issus d'un donneur. Cela confirme que la stérilité féminine ne peut pas être calquée sur la stérilité masculine. Cette différence doit être reconnue dans la loi, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

II - La notion de gestion du don de gamètes n'est pas non plus individualisée dans la loi. Celle-ci reconnaît uniquement les gestes habituels de l'AMP, à savoir, dans le cadre des dons d'ovocytes, les actes de ponction et de transfert pour le clinicien, et la mise en présence des gamètes masculins et féminins pour le biologiste. Il s'agit là des gestes les plus banals de l'AMP, alors que toute la problématique du don est ailleurs.

Le gestionnaire du don, qui peut d'ailleurs être le clinicien ou le biologiste agréés, a pour rôle d'analyser les motivations des différents protagonistes - donneurs et receveurs. Il assure la préparation et la coordination médico-psychologique. Il met en route et surveille la stimulation des donneuses. Il procède aux appariements, aux vérifications légales et sécuritaires et recueille les informations concernant les enfants nés. Mais son rôle primordial est sans conteste la connaissance des indications et l'évaluation des risques obstétricaux et psychologiques. En définitive, il doit être un spécialiste de l'inhabituel, à l'interface et à l'écoute de plusieurs spécialités (cancérologie, génétique, endocrinologie, immunologie...) finalisées par une pratique et entretenues par un contact permanent avec les disciplines susceptibles de traiter des patientes qui, dans l'avenir, pourraient avoir recours à la technique de don d'ovocytes. Cette responsabilité, extrêmement lourde, nécessite une culture médicale particulière et une compétence spécifique à reconnaître.

Ce rôle de gestion peut s'exercer sur un seul centre ou sur plusieurs établissements, comme le fait le CECOS de Necker. Cela permet de mettre en place une administration extérieure, d'organiser des échanges d'ovocytes et de soutenir les centres à masse critique plus faible.

III - L'évocation de la gestion renvoie évidemment à la politique d'attribution des ovocytes donnés et, par voie de conséquence, à la question du manque relatif de donneuses au regard de la demande.

Trois facettes de l'exercice du don d'ovocytes y sont étroitement corrélées : la diffusion de l'information, la gestion des listes d'attente et l'évolution des décisions de répartition ovocytaire en raison de l'impact sur les résultats de la congélation systématique, à titre sécuritaire et, depuis le décret de 1996, de tous les embryons issus de dons d'ovocytes.

a) L'information. Le Groupe d'études pour le don d'ovocytes a participé à la première campagne d'information sur ce thème en 1998. Nous avons édité un livret, déjà distribué à près de 20 000 exemplaires. La loi précise bien - ce qui paraît d'ailleurs logique -que toute publicité en faveur du don est interdite. Il est évident qu'un tel domaine ne relève pas du champ publicitaire. Néanmoins, il est nécessaire de développer une information répétée. C'est seulement de cette façon que nous pourrons motiver les donneuses et permettre une véritable égalité des femmes dans leur connaissance des possibilités de prise en charge.

D'autres associations, comme le Centre d'accueil pour les donneuses d'ovocytes (CADO), participent également à cette information, en ayant notamment une approche spécifiquement ciblée vers les éventuelles donneuses spontanées. Nous pouvons également citer le rôle des associations de patients, comme celle de Mme Chantal Ramogida.

b) La gestion des listes d'attente est aussi un point important, compte tenu de la « pénurie » des donneuses. La loi précise clairement que le don n'est pas subordonné à l'apport d'un tiers donneur. Cependant, en raison du manque relatif de donneuses, il faut bien reconnaître que la plupart des centres, s'ils ne refusent pas
- théoriquement - les couples sans donneuse, attribuent en priorité les ovocytes donnés aux couples qui ont réussi à motiver une donneuse pour le centre. Cette réalité de fonctionnement démontre, s'il en était besoin, la nécessité de développer l'information et de permettre une certaine incitation, sans tomber dans le travers de la contrainte.

c) La politique d'attribution ovocytaire et de congélation est enfin le dernier point que je voudrais aborder. La congélation systématique des embryons d'ovocytes est à l'origine d'une altération sensible de ses résultats en France.

Tous les embryons que nous obtenons ne sont pas congelés. Par ailleurs, près d'un tiers des embryons congelés ne résiste pas à la technique de décongélation. D'une manière générale, le taux d'implantation des embryons congelés apparaît plus faible que s'ils n'avaient pas subi ce processus. Cela diminue de moitié les chances de succès des patientes ayant recours à cette pratique en France.

Ces éléments ont conduit à modifier la politique d'attribution des ovocytes, en augmentant le nombre donné à un même couple. Cette attitude contribue à l'augmentation des délais d'attente, actuellement de près de trois ans en moyenne, et qui intervient très souvent dans la décision de partir à l'étranger.

Ces nombreux problèmes, et d'autres, ont amené à la constitution du GEDO, dont l'activité a permis, depuis sa création :

- la publication annuelle des résultats de l'activité du don d'ovocytes en France (23), avec en particulier l'authentification chiffrée des conséquences de la politique de congélation systématique des embryons issus de dons d'ovocytes ;

- le développement de l'information ;

- la mise en place d'avancées collaboratives scientifiques ;

- l'étude des dispositions légales et réglementaires participant aux difficultés d'exercice, assorties de propositions argumentées. Des auditions ont été effectuées par la mission d'information commune préparatoire au projet de loi de révision des « lois bioéthiques » de juillet 1994 à l'Assemblée nationale et par le Comité consultatif national d'éthique. Ce dernier a d'ailleurs rendu, le 5 mars 2001, un avis favorable à la révision du décret de novembre 1996.

Le professeur Salat-Baroux développera ci-après les arguments médicaux, scientifiques et éthiques, qui appuient notre proposition de révision de ce texte.

Professeur Jacques SALAT-BAROUX,

Ancien chef du service de gynécologie-obstétrique

de l'hôpital Tenon

Depuis ce matin, nous avons beaucoup parlé des dons d'ovocytes. Cela peut paraître un peu paradoxal, dans la mesure où il s'agit d'une technique tout à fait marginale qui ne représente qu'une centaine de cas pour 400 à 500 demandes, sur les 40 000 ponctions d'ovocytes réalisées chaque année. Pourquoi nous y attardons-nous ? Le don d'ovocytes soulève incontestablement des problèmes d'ordre beaucoup plus juridique et éthique que proprement médical.

Les résultats sont plutôt satisfaisants, puisque les chiffres du GEDO indiquent que le nombre de grossesses est de l'ordre de 26 à 30 % et que le nombre d'enfants nés grâce à cette technique est d'environ 17,5 %.

En fait, cette technique met en évidence les difficultés d'application de la loi de 1994 et de ses décrets d'application. On peut dire qu'elle est aujourd'hui en crise. Certains centres ont même décidé de ne plus la pratiquer.

Je rejoins sur ce point les critiques du professeur Claude Sureau vis-à-vis de la loi de 1994. C'est l'assimilation du don d'ovocytes et du don de spermatozoïdes par les articles L. 1244-1 (24) et suivants du code de la santé publique qui a entraîné toutes ces difficultés. Les spermatozoïdes peuvent être congelés, ce qui n'est pas le cas des ovocytes. Ce point méritait d'être souligné avant d'étendre les mêmes dispositions législatives à l'ensemble des gamètes.

Il est très bien de respecter l'anonymat prévu dans le cadre du CECOS, mais cette règle est assez difficile à appliquer dans le cas des ovocytes. Faire don d'un ovocyte suppose une technique relativement longue, douloureuse, avec des piqûres régulières, une anesthésie... Par conséquent, on comprend très bien que l'anonymat strict soit difficile à faire respecter. La plupart des donneuses veulent savoir où va leur ovocyte et ce qu'il va devenir. Comme l'a expliqué Hélène Letur-Könirsch, la receveuse « gomme » rapidement cette étape pour vivre sa grossesse et son accouchement. Mais les choses sont très différentes pour les femmes qui donnent des ovocytes. Depuis l'application stricte de l'anonymat, nous sommes passés de cinquante donneuses en 1994, à trente en 1998 et même à vingt l'an dernier.

Le don croisé, qui n'est pour moi qu'un habillage de la loi, ne résout pas le problème. Ou alors il le résout de telle façon qu'il donne en fait l'avantage au couple receveur qui apporte une donneuse. Ces pratiques peuvent facilement déboucher sur une certaine commercialisation occulte de ce don, même si la loi l'interdit.

Faut-il lever l'anonymat ? Faut-il lever l'anonymat pour les seuls dons d'ovocytes ? De telles perspectives font un peu frémir. Pourquoi lever l'anonymat pour les dons d'ovocytes et pas pour le reste ? Madame Brigitte Feuillet-Le Mintier a rappelé tout à l'heure que ces questions devaient être examinées de manière globale, pour l'ensemble des techniques d'AMP.

Certains proposent néanmoins une période expérimentale, où l'on pourrait lever l'anonymat uniquement pour les dons d'ovocytes et dans un contexte plutôt familial, comme cela se fait par exemple lors du don de moelle. Mais cette question n'en reste pas moins extrêmement délicate. Elle a été longuement et âprement discutée par le Conseil d'Etat, qui l'a finalement rejetée. Elle met en jeu tout ce que la société et la loi, ont banni jusqu'à présent. L'anonymat reste « la moins mauvaise solution ».

Je voudrais maintenant aborder le problème de la congélation. Madame Hélène Letur-Könirsch vous a expliqué les conséquences de cette pratique et les pertes qui en découlent. Nous avons pu comparer les résultats obtenus avant et après la loi. Je ne vous cache pas que nous avons été extrêmement surpris par les résultats. Nous avons constaté une perte embryonnaire d'environ 20 % lors de la décongélation. Les taux de succès par replacement ont chuté de 20 à 30 % par rapport aux résultats obtenus avec le transfert d'embryons frais.

En effet, le décret de 1996 exige une quarantaine des embryons d'au moins six mois, car l'ovocyte ne peut pas être congelé encore, en pratique courante, pour des raisons techniques. Si le décret de 1996 appliquant le principe de précaution au titre de la sécurité sanitaire devait être maintenu, nous pourrions nous poser un certain nombre de questions. Ses conséquences ne sont-elles pas plus néfastes que ce que nous redoutions ?

Les virus du SIDA, de l'hépatite B et de l'hépatite C peuvent-ils pénétrer à l'intérieur de l'ovocyte ? En d'autres termes, existe-il des récepteurs à ces différents virus ? La réponse est non. Des virus peuvent s'accoler aux spermatozoïdes, mais pas à l'ovocyte. En fait, le seul risque viendrait de la ponction, car celle-ci ramène du sang.

Nous connaissons essentiellement l'épidémiologie de l'hépatite C. Dans ce domaine, des efforts importants ont été faits par la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et par le Haut commissariat à l'hygiène publique. Si la prévalence de l'hépatite C n'est que de 1 % dans la population générale, il est apparu que la transmission materno-f_tale pouvait varier de 2 à 12 %. D'où la nécessité de mettre en place une étude prospective, pour voir si l'AMP chez des femmes atteintes d'hépatite C aurait des répercussions dangereuses. Mais ce protocole est très lourd, puisqu'il demande 500 couples et 2 000 femmes ayant accouché sans AMP, afin de comparer les résultats. Cette étude doit durer quatre ans. Comme elle n'a commencé que l'an dernier, nous n'aurons pas de réponse avant 2004.

Nous observons une quarantaine de six mois entre le moment où le don est fait et le moment où les embryons sont replacés. Sur cette période, avons-nous constaté des séroconversions ? La réponse est non, tout au moins en ce qui concerne les cas publiés. Il y a peut-être eu des cas non publiés, mais pas en France.

Par ailleurs, nous disposons maintenant d'une technique de recherche de la virémie au niveau du plasma, qui permet de savoir immédiatement s'il existe une virémie persistante chez la donneuse. Si les résultats sont négatifs pour le SIDA, pour l'hépatite B et pour l'hépatite C, nous pourrions effectuer un transfert d'embryons frais. C'est la raison pour laquelle le Comité consultatif national d'éthique a envisagé de donner aux femmes le choix entre un transfert d'embryons frais et un transfert d'embryons congelés. Personnellement, je souhaiterais que nous ayons un débat sur la possibilité pour les femmes d'effectuer un tel choix, à condition de disposer d'une information exacte.

Reste enfin, un dernier problème, c'est celui des résultats en terme de grossesse et d'accouchement suivant l'âge de la donneuse. En effet, dans notre étude, suivant que la donneuse a moins ou plus de 36 ans, les résultats sont significativement différents : respectivement 30 % et 7,4 % pour le taux de grossesses par transfert et pour la naissance d'enfants vivants. Ce problème est très préoccupant, car ces résultats se retrouvent dans toutes les autres techniques d'AMP.

Quelles conséquences peut-on en tirer sur les plans sociologique et administratif ? Doit-on inciter les femmes à concevoir plus précocement, ce qui n'est pas la tendance actuellement, si l'on en juge par les statistiques de l'INED (25) ?

Tels sont les problèmes posés par les dons d'ovocytes : techniquement apparemment simple et reproductible, mais soulevant de tels problèmes sur le plan juridique qu'on serait tenté comme Montesquieu de dire : « Quand une loi n'est pas nécessaire, il est surtout nécessaire de ne pas en faire ». Mais de nos jours, il ne s'agit là que d'une boutade. Il nous reste à retravailler pour trouver les meilleures solutions.

Docteur Françoise SHENFIELD,

Médecin des hôpitaux, membre de la H.F.E.A.

(Human Fertilisation and Embryology Authority)

Je vais vous expliquer brièvement comment fonctionne la HFEA en Grande-Bretagne. J'insisterai essentiellement sur les différences qui peuvent exister entre les systèmes britannique et français et nous permettre d'aller de l'avant.

La France propose des conditions que les patientes britanniques envient désespérément. Dans votre pays, les traitements de fécondation in vitro sont remboursés. Pour des raisons politiques, la situation est loin d'être la même en Grande-Bretagne. Vous avez certainement lu les méfaits de notre système dans de nombreuses publications.

Nos deux systèmes présentent également des différences en matière de don d'ovocytes. En Grande-Bretagne, il n'est pas obligatoire de congeler les embryons issus de don d'ovocytes. Si les patients le demandaient, nous pourrions évidemment le faire. Mais, lorsqu'ils ont été informés, ils ne le souhaitent pas. Je reviendrai sur l'importance de cette information, qui est au c_ur des missions de la HFEA.

La HFEA a été créée par la loi en 1990. Elle a notamment des responsabilités en matière d'information. Si vous consultez Internet ou si vous téléphonez à la HFEA, que vous soyez patient, journaliste ou simplement intéressé par ces questions, vous pouvez recevoir trois différents guides. Les thèmes que nous avons retenus sont les suivants : les traitements de la stérilité, les cliniques habilités et les résultats de la fécondation in vitro, centre par centre, ainsi que l'insémination artificielle avec don de spermatozoïdes.

Les responsabilités de la HFEA sont extrêmement importantes. L'information du public est une mission inscrite dans la loi. Il s'agit non seulement d'informer les patients mais également la société tout entière, sur les problèmes pratiques, scientifiques et éthiques, que posent ces techniques. La HFEA a également pour mission de contrôler la fécondation in vitro, le don de gamètes, la recherche embryonnaire et la congélation. Nous devons publier les résultats et permettre la recherche sous licence. Enfin, la HFEA doit promouvoir des débats sur les problèmes éthiques et sociaux liés à la fécondation in vitro.

La HFEA est composée de vingt-et-un membres nommés par le ministre. La parité entre hommes et femmes est respectée. Ces personnes sont choisies en fonction de leur expertise scientifique ou de leur expérience personnelle des problèmes de stérilité. La loi prévoit que la moitié des membres, ainsi que le président et le vice-président de la HFEA ne doivent être ni médecins, ni spécialistes de l'assistance médicale à la procréation. Cette instance est vraiment censée représenter la société britannique.

Nous avons le devoir de consulter régulièrement les professionnels et les experts de chaque technique (ICSI, diagnostic préimplantatoire...).

Nous avons déjà organisé plusieurs consultations publiques depuis 1992. La première portait sur la sélection du sexe de l'enfant pour des raisons sociales et non pour des raisons médicales. Il est rassurant de constater que le public britannique était tout à fait opposé à ce mode de sélection, qui, en général, privilégie les garçons au détriment des filles. Nous avons également organisé une consultation sur les dons de tissus ovariens, peut-être une solution pour ne plus avoir besoin d'autant de donneuses. Puis, récemment, nous avons effectué une consultation sur le diagnostic génétique préimplantatoire.

Par ailleurs, nous invitons régulièrement des experts, nationaux ou internationaux, et nous constituons des groupes de travail sur tous ces problèmes.

A titre d'exemple, je voudrais revenir sur les consultations publiques et sur les questions que nous avons posées à la population au sujet du diagnostic génétique préimplantatoire.

- Quels genres de maladies peuvent, légitimement, faire l'objet d'un diagnostic préimplantatoire ?

- Devons-nous restreindre l'accès au diagnostic préimplantatoire ?

- Faut-il transférer des embryons sains et des embryons qui ne le sont pas ? Certaines personnes nous ont déjà demandé s'il était possible de transférer un embryon qui présenterait les mêmes caractéristiques que ses parents, tous les deux atteints de surdité. Les questions peuvent parfois nous surprendre.

- Faut-il transférer des embryons porteurs d'une maladie récessive ?

- Peut-on faire un diagnostic préimplantatoire pour des maladies d'apparition tardive, comme la maladie de Huntington ?

Pour terminer, je voudrais insister sur un point qui me semble très important. En Grande-Bretagne, il n'est pas interdit de traiter des femmes seules, ou vivant en couple avec une autre femme. Mais la loi précise bien que, lorsqu'un traitement est offert à la femme - et non à un couple - il faut prendre en compte l'intérêt de l'enfant. A mon avis, il s'agit de l'élément le plus important, car notre responsabilité est engagée à son égard.

*

* *

DÉBAT

Madame Yvette ROUDY

Avant d'ouvrir le débat, je voudrais juste dire que tous ces traitements sont très coûteux. En France, nous les remboursons. Mais, nous pourrions aussi évoquer les trafics qui sont organisés à l'étranger. Il nous faudrait peut-être organiser un autre colloque sur ce point.

Madame Monique THÉPAUT (L'Assemblée des femmes)

Ma question ne relève pas du domaine médical, mais plutôt de la vie courante. Lorsque vous avez recours à un prêt, notamment pour un investissement immobilier, les établissements bancaires exigent la souscription d'une assurance en cas de décès ou d'invalidité. Or, il est clair que l'assureur ne donnera son accord qu'après la réponse à un questionnaire médical ou les résultats de certains examens. Si les personnes sont atteintes d'une maladie, mais qu'elles ne l'ont pas indiquée au moment de la souscription, l'assurance ne jouera pas. Qu'en est-il dans la situation actuelle ? Certaines personnes se savent porteuses de maladies qui ne peuvent se déclarer que des années plus tard.

Monsieur Alain DENIS

Je travaille à la Sécurité sociale et j'ai eu l'occasion de constater, dans les débats que nous avons entre professionnels de santé, que les psychiatres s'opposaient parfois assez fermement au remboursement des consultations de psychologues. Je voulais apporter cette précision par rapport à l'intervention de Madame Patricia Barbazanges.

Mon fils et ma belle-fille sont confrontés à ce problème d'infertilité, ce qui pose un certain nombre de questions dans le couple. Le gynécologue s'est empressé de dire à mon fils que ce n'était pas de sa faute. De tels propos peuvent avoir des effets destructeurs pour le couple. Alors que sa femme se bat, mon fils se sent coupable. Il aurait peut-être préféré que l'infertilité vienne de lui.

Au début de ce colloque, Monsieur Bernard Kouchner s'est interrogé sur ce qu'il convenait de dire à l'enfant. Au cours des discussions que nous avons dans notre famille, ma fille de quatorze ans a eu une réponse extraordinaire : elle nous a dit qu'elle se sentait bien dans sa tête, parce qu'elle était aimée. Je crois que le combat que mène le couple, que mène la femme, est un geste d'amour. Si le destin fait que la femme se retrouve seule, elle peut vouloir un enfant de son conjoint disparu. L'amour n'est pas mort. Evidemment, les juges ne tiennent pas comptent de l'amour, mais du droit. Nous devons donc changer la loi.

Madame Chantal RAMOGIDA

Vous avez évoqué le coût de l'assistance médicale à la procréation. A combien estime-t-on le prix d'un enfant ? Qu'est-ce que l'enfant rapporte à la société ? Combien coûte un homme ou une femme qui fume et qui développe un cancer ? Combien coûte le SIDA en France ?

A chaque fois qu'il est question d'assistance médicale à la procréation, le coût est toujours évoqué. J'ai beaucoup de mal à accepter ce genre d'argument. Un enfant n'a pas de prix.

Docteur Rachel DEVAUX (praticien-hospitalier, maître de conférence des universités)

Je voudrais revenir sur la question de l'information des couples. Je suis responsable d'une unité de biologie de la reproduction à l'Assistance publique. Dès la sortie des lois et des décrets, nous avons constitué un groupe de travail, en vue de rédiger un guide d'information pour les patients. Ce guide a eu beaucoup de succès et il a été largement diffusé en dehors de l'Assistance publique. Mais l'une des difficultés rencontrées a été de déterminer jusqu'où informer le couple ? Quels étaient les éléments importants à communiquer ?

En ce qui concerne les résultats, tous les centres, et pas seulement ceux de l'Assistance publique, se posent des questions sur les chiffres qu'ils doivent publier. Que signifient les résultats dans le domaine de l'AMP ? D'un centre à l'autre, ce ne sont pas les mêmes patientes qui sont prises en charge. Certains centres refusent les femmes de plus de 38 ans, pour ne pas avoir de mauvais résultats. Nous sommes le centre qui reçoit le plus de couples ayant des problèmes d'hépatite C. Or 75 % de ces femmes ont dû attendre et ont maintenant plus de 38 ans. Devons-nous les accepter, au risque d'avoir de moins bons résultats ?

Je pense que le débat doit porter sur la nature des informations à communiquer plutôt que sur la nécessité de celles-ci. Quels sont les éléments à retenir ? Cette discussion doit impliquer tous les professionnels (cliniciens, biologistes, gynécologues...).

Madame Monique HEROLD (secrétaire générale adjointe de la Ligue des droits de l'homme)

J'aimerais poser une question à Madame Françoise Shenfield. J'avais cru comprendre qu'une des responsabilités de la HFEA était de suivre le développement des enfants nés par procréation médicalement assistée.

Madame Brigitte FEUILLET-LE MINTIER

La question relative aux assurances ne concerne pas l'assistance médicale à la procréation, mais les tests génétiques. Aujourd'hui, il n'existe aucune obligation de déclarer que vous avez procédé à des tests génétiques. Les assurances ne pourront donc pas se prévaloir du fait que vous ne leur avez pas dit. De toute façon, ce seraient à elles d'établir la charge de la preuve.

Quelqu'un a dit que le juge ne tenait pas compte de l'amour. Même s'il le voulait, il ne pourrait pas le faire. La mission du juge n'est pas de faire le droit, mais de l'appliquer. C'est au législateur de prendre ses responsabilités.

Madame Françoise SHENFIELD

La question du suivi des enfants nous préoccupe beaucoup. Nous avons constitué un groupe de travail sur ce sujet. La loi prévoit déjà un certain nombre de recommandations. Depuis 1990, il existe un registre, avec le nom de tous les enfants nés par procréation médicalement assistée, le nom des donneurs - qui est codé -, et certaines informations qui pourront être communiquées aux enfants à leur majorité. Il convient toutefois de rappeler que seuls les parents peuvent informer les enfants.

Le premier enfant né depuis l'application de la loi aura 18 ans en 2008. Nous devons nous interroger sur la manière de délivrer l'information, peut-être avec un conseil psychologique. Dans la loi anglaise, il est d'ailleurs prévu de proposer un conseil psychologique à toutes les femmes et à tous les couples qui se lancent dans une démarche d'AMP.

D'ici à 2008, nous devons répondre à un certain nombre de questions. Qui va informer ? Comment ? Dans quel cadre ? Des études ont été menées sur le sujet. Il existe également quelques modèles en Europe. Les Hollandais par exemple ont créé un « système à deux portes », dans lequel le choix de l'anonymat appartient à la fois au donneur et au receveur. Un tel dispositif est évidemment difficile à gérer. Comme les Suédois, les Hollandais estiment que le secret et l'anonymat doivent être levés dans l'intérêt de l'enfant. En Suède, depuis quinze ans, tous les donneurs de sperme s'engagent à rencontrer l'enfant à sa majorité. Les Hollandais viennent d'adopter un projet de loi allant dans le même sens. De telles démarches peuvent sembler un peu dogmatiques. Personnellement, je serais plutôt favorable à l'ancien système hollandais, qui laisse le choix. D'une manière générale, la société fait confiance aux parents.

Madame Marie-Cécile MOREAU (juriste, membre du fonds des Nations Unies pour la femme, UNIFEM)

L'anonymat pose clairement la question du droit de la personne à connaître ses origines. Ce sujet nous pose un certain nombre de problèmes, que ce soit dans le cas de l'assistance médicale à la procréation, de l'accouchement sous X ou de l'adoption plénière. Nous sommes dans une situation difficile vis-à-vis des conventions internationales et particulièrement au regard de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme (26). La Grande-Bretagne a été condamnée deux fois par la cour de Strasbourg (27), sur le fondement de cet article 8. Nous avons devant nous le même risque. Faut-il attendre une condamnation pour légiférer ?

Madame Francine COMTE (Collectif pour le droit des femmes)

L'intérêt de ces échanges sur la procréation et sur les « lois bioéthiques » est de transformer une question privée en débat public. C'est un point très intéressant. Les normes « naturelles » sont remises en question. On constate le besoin de lieux de discussions. A ce propos, je trouve que les initiatives de la HFEA sont très intéressantes.

Des questions essentielles sont posées, comme le désir d'enfant exacerbé, le droit à connaître ses origines... Le repli sur le couple et la montée de l'individualisme ont eu des conséquences : le choix de procréer à tout prix semble prédominer par rapport à la possibilité d'adopter.

Malgré tout, le débat ne fait que commencer. Nous devons vraiment mener des réflexions approfondies. La levée de l'anonymat est peut-être une bonne chose pour certains, mais elle peut aussi être très négative pour d'autres.

Parallèlement, nous observons également de fortes tendances vers la parentalité multiple, vers la parentalité horizontale, c'est-à-dire vers des liens de solidarité très forts qui remplacent les liens de famille traditionnels. Le très beau film de Jacques Martineau et Olivier Ducastel Drôle de Félix pose un peu ce type de problèmes.

La loi va encadrer un certain nombre de questions. Mais la réponse doit venir de toute la société, grâce à des échanges et à des débats.

Madame Maya SURDUTS (secrétaire générale de la CADAC)

J'appartiens au Collectif pour le droit des femmes et à la Coordination nationale pour le droit à l'avortement et la contraception. Je partage complètement ce qui vient d'être dit, mais je voudrais soulever une autre question.

Nous avons vécu un tournant à un moment donné, grâce au combat des femmes pour la maîtrise de leur corps. Indéniablement, nous avons ensuite assisté à une reprise de l'initiative par le corps médical. J'ai eu le sentiment - et nous avons eu des discussions à ce sujet dans les années 80 - que des questions nouvelles faisaient leur apparition. Etait-on vraiment une femme si l'on n'avait pas d'enfant ? Avec les nouvelles techniques, il n'y avait plus d'excuses pour ne pas avoir d'enfant. Il s'agissait presque d'un impératif.

Je voudrais également revenir sur la distinction qui est faite entre les femmes et les hommes. Pourquoi un anonymat pour les femmes ? On parle très peu des hommes, que ce soit dans le cas du don de sperme ou de l'accouchement sous X.

La structure britannique prévoit une très large représentation de la société civile. En France, nous rencontrons un véritable problème dans ce domaine. Je pense que nous devons organiser davantage de débats publics et faire appel aux citoyens. Nous ne pouvons nous satisfaire du règne des spécialistes.

Madame Yvette ROUDY

Je partage complètement votre opinion.

Madame Simone BATEMAN-NOVAES

J'aimerais faire un commentaire sur la question de l'information. Il y a effectivement une difficulté à identifier les informations de base, qui devraient être données à toutes les personnes qui s'engagent dans une procédure d'AMP. Mais les témoignages ont montré que l'information faisait l'objet d'un processus dynamique. Comme l'a préconisé le professeur René Frydman, il faudrait prévoir la présence d'une personne qui accompagne les couples, au fur et à mesure de leur démarche. Cette capacité à intervenir tout au long du parcours dépendra beaucoup de la manière dont l'information circule au sein du service lui-même. Il ne faut pas non plus oublier l'information qui peut être donné après la tentative d'AMP. Le taux d'échec reste en effet plus élevé que le taux de succès.

Madame Yvette ROUDY

Très souvent, les taux publiés font référence à des grossesses et non à des enfants nés.

Madame Simone BATEMAN-NOVAES

En effet. Les femmes qui n'aboutiront pas dans leur démarche sont plus nombreuses que celles qui arriveront à avoir un enfant. C'est la raison pour laquelle il faut prendre en compte l'AMP de manière globale.

Madame Hélène GAUMONT-PRAT (membre du Comité consultatif national d'éthique)

Je suis membre du Comité consultatif national d'éthique. Je voulais apporter une précision sur les tests génétiques. Dès 1994, les assureurs ont signé un moratoire de cinq ans, renouvelé en 1999. Par ce moratoire, ils s'interdisent d'avoir recours à des tests génétiques ou de prendre en compte des résultats qui seraient apportés par les assurés eux-mêmes. Mais des discussions sont en cours, puisque la question se reposera en 2004.

Madame Carine FAVIER (Mouvement français pour le planning familial)

Je travaille au Planning familial. Personnellement, j'estime que les questions de l'IVG et de l'AMP ne sont pas si éloignées. Elles posent toujours le problème du désir d'enfant.

Par ailleurs, si les lieux d'information doivent être développés, je crois que l'accueil doit aussi être possible dans des structures qui accueillent des femmes. Celles-ci doivent avoir la possibilité de s'adresser à des structures non-médicalisées, distinctes des centres de prise en charge. Il est important que ces lieux se développent et qu'on leur donne les moyens d'exister.

Madame Françoise PELISSOLO (association « Elles aussi »)

Il me paraît important que les instances de contrôle respectent la parité, surtout dans le domaine de la procréation. Tous les intervenants ont mis l'accent sur les aspects psychologiques. Il me semble en effet indispensable que des hommes et des femmes soient à l'écoute et participent à la décision.

Madame Françoise SHENFIELD

Le code de pratiques de la HFEA nous enjoint de proposer un conseil psychologique avant le traitement, pendant et après. Cet « après » est complètement ouvert. Aucun délai n'a été fixé.

Nous savons tous que les hommes et les femmes ne voient pas le don de la même manière. Une étude européenne a montré que plus de 85 % des couples qui reçoivent un don de sperme ne le disent pas à l'enfant. Cette étude a été répétée à plusieurs années d'intervalle, et les résultats ont été confirmés. Dans un tel contexte, la question de l'anonymat ne se pose pas. Nous en sommes encore au secret. En Grande-Bretagne, les centres qui pratiquent les dons d'ovocytes ont indiqué qu'environ un tiers des femmes et des couples accepte un don d'une femme qu'ils connaissent. Les deux tiers préfèrent l'anonymat.

*

* *

ALLOCUTION DE CLÔTURE DE

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU,

Présidente de la Délégation aux droits des femmes

Au terme de débats particulièrement riches, je voudrais d'abord rendre hommage aux médecins, cliniciens, biologistes qui, maîtrisant les techniques de plus en plus performantes de l'AMP, donnent chaque année à des milliers de couples l'espoir de devenir des parents comme les autres.

Je tiens aussi à remercier chaleureusement les femmes et les associations qui ont accepté en toute franchise d'apporter leur témoignage sur ce « parcours du combattant » qu'est l'AMP.

Les débats justifient pleinement le sens que nous avons voulu donner à cette manifestation : le regard des femmes sur l'AMP. S'il s'agit d'un problème de couple et même si la stérilité masculine est plus fréquente qu'on ne le croit généralement, les femmes sont au c_ur du dispositif de l'AMP, car ce sont elles qui en subissent les conséquences et les interventions les plus lourdes.

Des échanges se dégagent quelques orientations qui permettraient d'améliorer la législation sur certains points concernant spécifiquement les femmes.

· Il importe en premier lieu de donner à la femme toute sa place dans le processus de l'AMP.

- Comme l'a rappelé M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, les femmes, les couples doivent assumer leurs propres responsabilités dans cette démarche, parfois éperdue, pour satisfaire un désir d'enfant. J'adhère entièrement à cette nécessaire prise de conscience qui implique une décision longuement mûrie et réfléchie dans toutes ses implications.

- Mais le corollaire en est une plus grande attention à prêter à la femme, au couple dans leur situation d'infertilité, vécue avec souffrance et culpabilité, et surtout une information plus complète, une écoute plus attentive lorsque la démarche d'AMP est engagée.

Cette démarche demeure pour les femmes une lourde épreuve, une « course de fond » dont elles ne mesurent pas l'ampleur au départ. Les témoignages très concrets de Mme Chantal Ramogida et de Mme Patricia Barbazanges sont à cet égard particulièrement émouvants.

Les patientes se plaignent toutes d'un manque d'information qui les livrent - en toute confiance d'ailleurs - au savoir et au pouvoir du médecin. Une médicalisation excessive du dispositif tend à négliger la personne. Certes, un entretien est prévu avec l'équipe médicale. Mais est-ce suffisant ? Les médecins ne semblent pas donner aux patientes les explications nécessaires sur la nature et l'efficacité des traitements proposés, les risques, les succès, mais aussi les échecs.

Il est absolument nécessaire de prendre en charge la dimension psychologique dans la démarche d'AMP. Chaque couple a son histoire ; l'infertilité renvoie à un passé personnel. Il faudrait pouvoir proposer systématiquement, mais sans l'imposer, un accompagnement psychologique, qui pourrait être une consultation avec un psychiatre, un psychologue, un « conseil » et envisager un remboursement par la sécurité sociale.

· Le regard du médecin sur sa pratique change. Les techniques d'AMP ne lui permettent plus d'exercer ses pouvoirs de façon isolée. Il doit les partager avec ses patients, avec les autres praticiens, avec toute une équipe. De nouvelles formes d'exercice de la médecine apparaissent, qui reposent sur la multipluridisciplinarité et la collégialité de la décision, permettant ainsi un enrichissement des réflexions, des connaissances et aussi d'éviter des dérives.

· Les conditions sociales de l'accès à l'AMP sont en question. La loi de 1994 pose en effet des conditions strictes : tout couple candidat doit être marié, ou apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans, être en âge de procréer, apporter le consentement éclairé des deux membres du couple, qui doivent être homme et femme.

Faut-il assouplir ces conditions qui renvoient à notre modèle de référence en matière de procréation : le rapport sexuel fécondant entre un homme et une femme, à un ordre « naturel des choses », selon Mme Simone Bateman-Novaes ? Sont en effet écartés du recours à l'AMP les couples qui n'entrent pas dans la norme, les femmes célibataires, veuves ou divorcées, alors que la loi permet déjà depuis longtemps à une personne seule d'accéder à l'adoption. Cette exclusion d'ailleurs ne peut manquer d'inciter des femmes à se rendre dans des pays proches, où la législation est plus souple.

Une réflexion doit s'engager sur ce sujet, en tenant compte des transformations considérables de la famille traditionnelle et des rôles parentaux, avec l'augmentation du nombre des divorces, des remariages et des familles recomposées, des unions libres et depuis peu la reconnaissance légale restreinte des unions de même sexe.

· La femme, responsable vis-à-vis d'elle-même, l'est aussi vis-à-vis de l'autre, en premier lieu de son mari ou de son compagnon, père de l'enfant à naître. Un projet parental a pu se former avant une mort imprévisible, ce qui pose le problème du transfert de l'embryon post-mortem, dont l'interdiction par la loi de 1994, confirmée par la jurisprudence, a soulevé contestations et interrogations. L'avant-projet de loi du gouvernement, comme l'a indiqué le ministre délégué à la santé, proposerait la possibilité de ce transfert, sous certaines conditions : le consentement exprès du défunt, de son vivant, à la poursuite du processus d'AMP et le respect d'un certain délai de réflexion. Ces situations, qui ne seront que marginales devront être traitées avec humanité et respect du projet parental. Il conviendra néanmoins de s'interroger sur la pertinence des délais proposés, nécessaires à la réflexion et au travail de deuil, et aussi s'interroger sur l'intérêt et l'avenir de l'enfant à naître.

· L'AMP avec tiers donneur soulève de nombreuses difficultés, en particulier lorsqu'il s'agit de dons d'ovocytes. La spécificité de la femme dans ces pratiques médicales devrait être mieux prise en compte. De nombreux médecins ont souligné les conséquences négatives de l'assimilation par le législateur de 1994 des spermatozoïdes et des ovocytes dans le don et l'utilisation des gamètes en vue d'une AMP. La différence est fondamentale, d'abord en raison des techniques de prélèvement, beaucoup plus lourdes pour la femme, impliquant intervention chirurgicale et anesthésie, alors que le don de sperme est facile, même si, parfois, un geste chirurgical peut être nécessaire.

Intervient également chez la femme une diminution de la fertilité plus précoce que chez l'homme, qui rend le don d'ovocyte beaucoup moins performant que celui du sperme.

- La règle stricte de l'anonymat qui s'applique au don de gamètes pose aussi problème. Elle n'est pas perçue de la même manière par les donneurs ou les donneuses. Ces dernières sont en effet plus motivées et impliquées dans le don, souvent lié à l'existence d'une relation personnelle avec le couple receveur. Elles souhaiteront connaître le devenir de leurs ovocytes. Faut-il lever l'anonymat qui depuis 1994, a eu pour effet de diminuer le nombre de donneuses ? Peut-on le lever partiellement pour les seuls dons d'ovocytes ? Ce sont de lourdes questions auxquelles il faudra répondre et qui rejoignent le problème plus général de l'accès aux origines, qu'il s'agisse de l'adoption, de l'accouchement sous X et maintenant de l'AMP.

La raréfaction du don d'ovocytes entraîne une augmentation excessive des délais d'attente, souvent la décision du couple de partir à l'étranger, et en raison de la pénurie, un risque de commercialisation du don.

- Les inconvénients de la congélation systématique des embryons issus de dons d'ovocytes, imposée par le décret du 12 novembre 1996 pour des raisons de sécurité sanitaire, ont été soulignés à plusieurs reprises. Un grand nombre d'embryons congelés ne résistent pas à cette technique et leur taux d'implantation n'est guère performant. Il en résulte une inquiétante diminution des chances de succès des patientes ayant recours à cette pratique.

Compte tenu de l'utilité contestable de ces précautions sur le plan pratique et du progrès des techniques, une révision du décret de novembre 1996 devrait certainement être envisagée.

En tout état de cause, sur ce sujet, la réflexion est loin d'être terminée et il faudra rapidement trouver des ouvertures à la fois humaines et médicales, pour que le don d'ovocytes, dans le respect de l'éthique, trouve sa place dans l'AMP.

· Les succès et les risques, mais aussi les échecs de l'AMP doivent être mieux connus.

- Les avancées rapides des sciences et des techniques médicales dans le domaine de l'AMP, depuis bientôt vingt ans, suscitent étonnement et admiration. C'est le cas notamment du recours croissant aux micro-injections (ICSI) qui ont connu un succès considérable, ces dernières années, dans les cas d'infertilités masculines.

C'est aussi le cas du diagnostic préimplantatoire. Les « prouesses » techniques du DPI permettent d'épargner à des femmes, à des couples la souffrance d'interruptions de grossesse à répétition et aussi d'éviter dans des cas rares la transmission de graves maladies génétiques. Les médecins sont toutefois affrontés aux problèmes d'ordre éthique que posent certaines demandes de couples.

- Des inquiétudes se font jour quant aux risques pour la santé des femmes et des enfants à naître et quant à la part encore élevée des échecs de l'AMP.

Des complications liées aux techniques peuvent survenir. Une stimulation ovarienne excessive peut entraîner chez les femmes des risques d'affections particulières (kyste ovarien, ménopause précoce, voire cancer de l'ovaire chez la femme jeune...).

Les transferts d'embryons que permet la stimulation ovarienne sont à l'origine des grossesses multiples avec leurs éventuelles conséquences sur le déroulement de la grossesse et l'état de santé de l'enfant. La joie d'accueillir un bébé pour le couple se transforme en désarroi, s'ils doivent tout d'un coup prendre en charge trois enfants.

La réduction embryonnaire que les praticiens peuvent être amenés à pratiquer pour éviter ces grossesses multiples est une décision difficile à prendre, et peut parfois conduire à un arrêt complet de la grossesse. Ces pratiques sont certes en diminution, mais pour assurer le succès de l'AMP, il est encore nécessaire de transférer des embryons en surnombre.

· Enfin, le suivi des enfants nés grâce à l'ICSI n'a pas encore pu faire l'objet d'une étude scientifique approfondie et des inconnues demeurent, en raison du caractère encore expérimental de la méthode.

D'où la nécessité, maintes fois rappelée par les instances éthiques et médicales, et prise en compte dans l'avant-projet de loi, d'une nécessaire évaluation préalable de toute nouvelle technique d'AMP permettant d'assurer son innocuité avant sa mise en _uvre.

D'où également la nécessité d'un meilleur encadrement des activités et techniques médicales de l'AMP, apportant aux femmes et aux couples les garanties indispensables.

· Des critiques ont été émises, en effet, à l'encontre de la commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal qui, à la fois juge et partie du fait de sa composition, n'associe que très faiblement la société civile. Ont été soulignés ses faibles moyens et son incapacité à exercer un contrôle direct. Des leçons doivent être prises auprès de la HFEA, autorité britannique, indépendante, composée pour moitié de non-médecins.

L'avant-projet de loi propose la création d'une agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines (APEGH), établissement public de l'Etat placé sous la tutelle des ministres de la santé et de la recherche. Ses pouvoirs, garantis par des moyens financiers et des personnels propres, seront beaucoup plus étendus que ceux de la commission actuelle.

On ne peut que se féliciter de la création de l'agence et de ses nouvelles missions ; elle pourra s'ouvrir à la réflexion éthique et répondra à un réel souci de transparence vis-à-vis de la société, notamment par l'information du public et la publication d'un rapport annuel.

Toutefois, on pourrait souhaiter que la société civile soit mieux représentée au sein de son haut conseil, que des professionnels comme les psychologues, les sociologues y soient associés et que soit prévue la parité homme-femme au sein des instances dirigeantes de la nouvelle agence.

· L'AMP doit sortir de la confidentialité des hôpitaux et les femmes sortir de leur isolement ; leur aventure - et celle de leur couple - n'est pas seulement individuelle. C'est l'affaire de la société tout entière. Les acteurs en sont les femmes et les couples, les équipes médicales, les instances chargées de dire l'éthique et, en dernier ressort, le législateur qui, rassemblant expériences, témoignages, enquêtes, réflexions, doit s'efforcer de légiférer pour encadrer les pratiques, éviter les dérives, protéger les femmes, tout en tenant compte à la fois des prodigieuses avancées des techniques médicales et des ouvertures offertes à la recherche scientifique.

*

* *

() Article 343-1 du code civil : « L'adoption peut être aussi demandée par toute personne âgée de plus de (L. n° 96-604 du 5 juill. 1996) "vingt-huit ans" [précédente rédaction : "trente ans"]. »

() Mme Marie-Madeleine Dienesch, députée des Côtes d'Armor de 1946 à 1978. Secrétaire d'Etat chargée des affaires sociales de 1968 à 1969, de l'action sociale et de la réadaptation de 1969 à 1972, puis de la santé publique et de la sécurité sociale en 1972.

() Arrêt du 9 janvier 1996

() Article 16-3 du code civil : « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité (L. n° 99-641 du 27 juill. 1999, art. 70) "médicale" pour la personne. »

() Articles 19 et 20 du projet de loi relatif à l'IVG et à la contraception : « Stérilisation à visée contraceptive ».

() Avis du CCNE sur l'avant-projet de révision des lois de bioéthique - N° 67 - 18 janvier 2001.

() Avis du CNCDH du 25 janvier 2001.

() Rapport sur l'application de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal par MM. Alain Claeys, député, et Claude Huriet, sénateur. Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale, n° 1407, février 1999.

() Centres de conservation de l'_uf et du sperme humains.

() Institut de recherche sur les sociétés contemporaines.

() Article L. 2141-2 (anciennement L. 152-2) du code de la santé publique : « L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d'un couple.

Elle a pour objet de remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Elle peut aussi avoir pour objet d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité.

L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans et consentants préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. »

() Intracytoplasmic sperm injection (fécondation in vitro par micro-injection d'un spermatozoïde).

() L'Association FIVNAT recueille les données sur les activités d'AMP à partir des fiches fournies par les centres AMP.

() Au regard de la femme, cela pose en premier lieu la question de savoir si une femme seule peut y recourir. Le législateur ne semble pas souhaiter revenir sur le choix opéré en 1994 (interdiction pour les femmes célibataires).

() L'agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines (APEGH) remplacerait l'actuelle commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP). Or, l'avis de cette commission est suivi dans 98,4 % des cas par le ministère de la santé.

() Direction départementale de l'action sanitaire et sociale.

() Direction régionale de l'action sanitaire et sociale.

() Membre et président d'honneur de la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), vice-présidente du comité consultatif national d'éthique (CCNE).

() Unité de recherches sur les handicaps génétiques de l'enfant.

() Valentin, premier bébé né en France après un DPI le 13 novembre 2000. L'enfant a pu naître indemne d'une grave maladie génétique héréditaire (déficit enzymatique hépatique) dont les parents étaient porteurs et qui avait déjà provoqué le décès de trois enfants du couple.

() Groupe d'études sur les dons d'ovocytes.

() Décret n° 96-993 du 12 novembre 1996 relatif aux règles de sécurité sanitaire applicables au recueil et à l'utilisation de gamètes humains provenant de dons en vue de la mise en _uvre d'une assistance médicale à la procréation et modifiant le code de la santé publique.

() Voir en annexe : « Bilan de l'activité 1999 du don d'ovocytes en France ».

( Ancien article L. 673-1 du code de la santé publique.

() Institut national d'études démographiques.

() Article 8 de la convention européenne des droits de l'homme :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

() cour européenne des droits de l'homme :

- affaire Johnston et autres, arrêt du 18 décembre 1986,

- affaire Gaskin, arrêt du 7 juillet 1989.


© Assemblée nationale