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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 24 avril 2001
(Séance de 12 heures)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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- Audition, en présence de la presse, de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le projet de loi de modernisatrion sociale - Titre II, chapitre Ier ,, Protection et développement de l'emploi

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le projet de loi de modernisation sociale - Titre II, chapitre 1er, Protection et développement de l'emploi.

Le président Jean Le Garrec a indiqué que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales avait souhaité entendre la ministre de l'emploi et de la solidarité, Mme Elizabeth Guigou, avant que ne soient déposés au Sénat divers amendements du Gouvernement portant sur l'amélioration du droit applicable en matière de licenciement économique dans le cadre de l'examen du projet de loi de modernisation sociale.

Les annonces récentes et quasiment simultanées de plans de licenciements au sein de divers grands groupes ont provoqué une émotion et une colère tout à fait légitimes de la part des salariés des entreprises concernées. L'opinion publique apparaît aujourd'hui fortement sensibilisée sur ce thème, ce qui témoigne d'une évolution notable des comportements dans la population. Alors que la situation de l'emploi s'est très nettement améliorée en France et que n'a cessé de baisser le nombre de chômeurs depuis trois ans, les Français acceptent de moins en moins que des entreprises dégageant des profits puissent dans le même temps élaborer des projets de restructurations se traduisant par des plans sociaux et des licenciements.

La réunion d'aujourd'hui a un caractère exceptionnel : c'est au législateur et à lui seul que revient la charge de délimiter les contours des droits et des obligations pesant sur les entreprises. La commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale examinera d'ailleurs en deuxième lecture le projet de loi le 16 mai ; l'examen en séance publique aura lieu les 22 et 23 mai. Le rapporteur au nom de la commission, M. Gérard Terrier, poursuivra à cette occasion, en vue d'améliorer encore le contenu du texte, le travail de grande qualité qu'il a fait en première lecture.

Trois grands axes doivent guider l'action du législateur. Il faut en premier lieu prévenir les licenciements dans toute la mesure du possible et faire en sorte que les plans sociaux voient leur contenu enrichi permettant ainsi d'éviter le maximum de licenciements. Il convient en second lieu de protéger le mieux possible les salariés touchés par ces mesures en donnant notamment davantage de pouvoirs aux institutions représentatives du personnel. Il est enfin nécessaire de mieux maîtriser les conséquences sociales des plans de licenciements en responsabilisant les employeurs.

Il ne faut pas oublier que, dans 80 % des cas, les licenciements sont le fait d'entreprises amenées à cesser complètement leurs activités. Dans ces cas, le reclassement interne des salariés est par définition exclu. En réalité, ce qui choque l'opinion publique aujourd'hui, c'est que des groupes solides et prospères puissent procéder à des plans sociaux pour satisfaire leurs actionnaires par exemple.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, a estimé que le désarroi et la colère des salariés aujourd'hui touchés par les licenciements économiques sont parfaitement compréhensibles. Certains d'entre eux ont appris de manière extrêmement brutale leur licenciement sans qu'un dialogue ait pu préalablement s'instaurer entre la direction et les représentants des personnels. Or ces salariés avaient bien souvent consenti d'importants efforts pour s'adapter à de nouvelles donnes au cours des années précédentes. Au moment où ils étaient en droit d'espérer une certaine stabilité de leur emploi, ils se retrouvent victimes de plans de licenciements massifs et inattendus. Ces annonces de licenciements soudaines constituent un triple choc : un choc pour les salariés intéressés qui voient d'un coup leur perspectives de vie bouleversées, un choc pour les territoires touchés qui peuvent parfois pâtir de taux de chômage déjà très élevés, un choc enfin pour les représentants de la Nation et pour le Gouvernement qui sont unanimes pour vouloir assurer une protection minimale aux salariés les plus fragiles et les plus exposés au risque de l'exclusion. La mécanique des licenciements de masse broie les salariés ; les stratégies de développement de certaines entreprises ne donnent manifestement pas à l'humain la place qui lui revient.

Il nous faut à présent réfléchir aux moyens d'améliorer la situation des salariés grâce à la loi qui doit être protectrice mais également en développant des actions innovantes autour du cadre législatif. Il faut agir en ce domaine dans le sens de la responsabilisation des acteurs en présence et rechercher en premier lieu l'efficacité des mesures à mettre en _uvre. Il n'est nullement question pour le Gouvernement de faire sien le discours de ceux qui plaident pour que le législateur n'intervienne pas dans le domaine de la gestion sociale des entreprises et considèrent la logique du « laissez-faire » comme la seule solution économique souhaitable. Une telle attitude reviendrait à préconiser la démission du politique. Il n'est pas davantage envisagé d'interdire purement et simplement les fermetures de sites appartenant à des groupes qui réalisent des profits.

La voie du Gouvernement consiste à rejeter les diktats d'un libéralisme non maîtrisé tout en récusant la logique opposée d'une administration directe des entreprises par les pouvoirs publics. Il convient en réalité d'instaurer un rapport de forces plus équilibré entre le collectif des salariés et l'employeur dans chaque entreprise. Des obligations beaucoup plus fortes doivent s'imposer aux employeurs qui souhaitent procéder à des licenciements. La responsabilité sociale des dirigeants d'entreprises ne saurait être occultée.

Si un meilleur équilibre des pouvoirs était trouvé au sein de l'entreprise, les représentants du personnel seraient en mesure de faire davantage de propositions alternatives dans le cadre du plan social et pourraient ainsi orienter dans un sens plus favorable aux salariés les mesures contenues dans le plan de reclassement.

Il convient de rappeler le fondement du droit du travail en vigueur aujourd'hui : ce droit part du principe que le pouvoir de décision en matière économique revient au chef d'entreprise. Celui-ci peut prendre toutes les décisions utiles pour développer la compétitivité de son entreprise. Cependant, ce pouvoir ne peut s'exercer légitimement sans que les salariés disposent de tous les éléments d'information utiles concernant la situation réelle de l'entreprise comme la nature exacte des mesures figurant dans le plan social. Le comité d'entreprise se voit reconnaître, pour sa part, la possibilité de recourir à un expert-comptable. Quant au juge des référés, il a la possibilité d'invalider un plan social considéré comme insuffisant.

Depuis plusieurs années, il faut relever que la chambre sociale de la Cour de cassation a développé une jurisprudence protectrice des intérêts des salariés en indiquant que l'employeur devait adapter ces derniers aux évolutions de leurs emplois et que leur licenciement ne devait intervenir que si les efforts de reclassement entrepris par l'employeur n'avaient pas abouti. Le droit français n'apparaît donc pas en retard par rapport aux législations des autres pays européens.

Lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif à la modernisation sociale a été notablement enrichi notamment grâce à des amendements présentés par le rapporteur, M. Gérard Terrier, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Conscient qu'il convient d'aller encore plus loin dans la voie déjà engagée, le Gouvernement propose de s'engager dans trois grands axes. Il faut tout d'abord prévenir les plans de licenciements économiques et donner aux représentants du personnel la possibilité de discuter le bien-fondé et la légitimité des plans sociaux. Il est, en second lieu, nécessaire d'améliorer encore l'efficacité et la qualité des plans sociaux, qui laissent encore à désirer dans certains cas. Il faut enfin faire contribuer les grandes entreprises à l'effort de réindustrialisation des sites ou des bassins d'emploi touchés par les licenciements.

S'agissant de la prévention des licenciements et du rôle des représentants du personnel, les conflits de Danone et Marks and Spencer ont montré les insuffisances de la législation actuelle. Pour y remédier, le coût du licenciement économique doit être renchéri par un doublement de l'indemnité légale minimale, indemnité qui n'a pas été révisée depuis vingt-deux ans. Il pourrait également être renchéri par le relèvement de la « contribution Delalande », qui ne serait remboursable à l'entreprise qu'en cas de reclassement effectif du salarié âgé concerné.

Par ailleurs, des moyens nouveaux devraient être donnés aux représentants du personnel. A cet effet, il serait opportun de demander aux organes dirigeants de l'entreprise -conseils d'administration ou conseils de surveillance- d'examiner les conséquences sociales et territoriales des projets de restructurations qu'ils sont amenés à étudier afin qu'ils puissent bien mesurer les enjeux des décisions leur incombant.

Dans un souci de clarification du droit, il serait en outre logique de mieux distinguer la phase de discussion entre la direction et le comité d'entreprise portant sur les mesures affectant le volume et la structure des effectifs de l'entreprise (dispositions du Livre IV du code du travail) de celle de consultation du comité d'entreprise au moment de la présentation du plan social (Livre III du même code). Deux réunions distinctes devraient être organisées. Le comité d'entreprise devrait par ailleurs bénéficier aux frais de l'entreprise des conseils d'un expert choisi par lui pour l'aider à formuler son avis et, le cas échéant, des contre-propositions.

Le deuxième axe consiste à renforcer les exigences de qualité du plan social en créant, tout d'abord, un droit effectif au reclassement. Le principe jurisprudentiel selon lequel les efforts de reclassement doivent être proportionnés aux moyens de l'entreprise ou du groupe a été inscrit dans le projet de loi. Ce principe mériterait d'être consolidé par de nouvelles dispositions. Aussi pourrait-il être intéressant de déterminer pour les grandes entreprises des obligations accrues en matière d'aide à la formation et au reclassement. Il est ainsi envisagé de mettre en place un congé de reclassement d'une durée de plusieurs mois qui permettrait le maintien du lien contractuel entre l'entreprise et le salarié. Dans les entreprises de plus petite taille, des bilans de compétence devraient être organisés au profit des salariés pendant la durée du préavis de leur licenciement. En toute hypothèse, il semble nécessaire de prendre en compte les besoins de protection particulière des salariés de plus de cinquante ans pour lesquels le congé de reclassement pourrait être plus long. Il est proposé que le financement de ces différentes mesures relève d'un accord des partenaires sociaux.

Il faut par ailleurs plaider pour le renforcement du contrôle et du suivi des plans sociaux et donc rehausser les moyens d'action de l'administration du travail en ce domaine. Le délai pour constater la carence de l'entreprise en matière de présentation de plan social pourrait opportunément être allongé. D'une manière générale, un suivi de l'application effective des plans sociaux et du respect des engagements de l'entreprise devrait être mis en place. A cet égard, on peut relever que les décrets d'application de la loi du 4 janvier 2001 votée à l'initiative de M. Robert Hue sur le contrôle des aides publiques paraîtront rapidement.

Le dernier axe de propositions porte sur les obligations incombant aux grandes entreprises en matière de réindustrialisation. Les entreprises décidant de fermer des sites dans des bassins d'emploi défavorisés pourraient être sollicitées soit pour inscrire dans le plan social des mesures concrètes visant à développer l'emploi dans le marché du travail local, soit pour engager elles-mêmes des actions d'aide à la création d'activités nouvelles, soit pour participer financièrement à un fonds devant être créé.

Enfin, le système dit d'assurance-chômage à malus consistant à taxer les entreprises recourant régulièrement à des licenciements n'est pas écarté à ce stade. Il pourrait être mis en place si les partenaires sociaux s'y montraient favorables.

La ministre a achevé sa présentation liminaire en indiquant que le Gouvernement avait levé l'urgence sur l'examen du projet de loi sur la modernisation sociale. Ainsi avant la réunion de la commission mixte paritaire, une deuxième lecture aura lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce qui permettra une discussion approfondie de ces propositions au sein des deux assemblées.

Le président Jean Le Garrec s'est félicité de ce que le Gouvernement prenne la juste mesure des difficultés posées par les récentes annonces de plans sociaux et décide à l'occasion de l'examen du projet de loi de modernisation sociale de présenter des amendements permettant de nouvelles avancées. Le travail accompli à l'initiative notamment du rapporteur, M. Gérard Terrier, lors de la première lecture a déjà été remarquable. Des progrès supplémentaires peuvent néanmoins être encore réalisés pour renforcer le rôle des syndicats notamment.

M. Gérard Terrier, rapporteur pour le titre II du projet de loi de modernisation sociale portant sur le travail, l'emploi et la formation professionnelle, s'est tout d'abord réjoui de la levée de la procédure d'urgence initialement déclarée par le Gouvernement pour l'examen du projet de loi. Les débats sur la question du licenciement économique doivent se dérouler dans la sérénité et permettre aux parlementaires de mener une réflexion complète et approfondie quant aux réponses adéquates à apporter aux situations dramatiques engendrées par les récents plans de licenciements.

Les diverses annonces de plans sociaux ont accru la sensibilité déjà grande de l'opinion publique sur ce sujet. Même si le projet de loi a été fortement enrichi au cours des débats de première lecture à l'Assemblée nationale, des avancées restent encore possibles et souhaitables. Les députés de tous les bords politiques s'accordent à considérer que les salariés ne sauraient être sacrifiés au seul profit des actionnaires. Si l'objectif à atteindre est le même pour tous, il y a fort à parier que les moyens d'y parvenir susciteront en revanche des divergences de fond. Le Gouvernement propose une ligne médiane entre les deux écueils que représentent le libéralisme sans limites et une économie que l'on pourrait qualifier d'administrée.

Différentes réformes sont aujourd'hui envisageables en sus du surenchérissement du coût des licenciements qui ne constitue pas nécessairement une solution optimale. L'exemple de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés dans les entreprises le prouve : une majorité d'entre elles préfèrent s'exempter de cette obligation moyennant le paiement d'une contribution financière. La logique de la taxation trouve donc des limites très sérieuses. Or le but poursuivi est bien de garantir à chacun le droit au travail. Pour ce faire, l'instauration d'un droit effectif au reclassement doit être préconisée, ce qui signifie qu'à une obligation de moyens se substituerait une obligation de résultats.

Une autre piste pouvant être explorée serait d'obliger le conseil d'administration ou le directoire d'une entreprise à prendre ses responsabilités en approuvant ou pas la fiche d'impact social d'un plan social devant être établie par l'employeur. Cet examen par les organes dirigeants constituerait un élément indispensable à la poursuite de la procédure d'examen du plan social. Une autre réforme importante consisterait à combattre la pratique des « paquets » de neuf licenciements qui permet à des entreprises de licencier quatre fois par an moins de dix salariés afin d'échapper aux règles applicables en matière de présentation du plan social.

Enfin, il faut se féliciter de la proposition du Gouvernement visant à renforcer la contribution des entreprises en faveur de la réindustrialisation des bassins d'emploi une fois les sites fermés. Cependant bien des questions restent posées s'agissant des modalités concrètes de ces nouvelles obligations pesant sur les entreprises.

M. Hervé Morin a fait les remarques suivantes :

- Personne ne peut être insensible au drame vécu par les salariés licenciés dans des zones où le taux de chômage atteint souvent déjà des taux élevés. Le groupe de l'UDF n'est favorable ni à un libéralisme « échevelé » ni à une économie administrée. Pour autant, les propositions faites par le Gouvernement qui se dit soucieux de trouver une ligne médiane entre ces deux écueils ne lui paraissent pas opportunes.

- Il est regrettable de légiférer dans l'émotion et l'urgence. Toute loi doit être mûrement pensée. Les dispositions adoptées sous le coup des émotions comme le fut l'amendement Michelin sont à proscrire.

- Il convient de distinguer deux situations différentes : celle où l'entreprise traite ses salariés comme quantité négligeable et celles où des efforts réels sont entrepris pour reclasser les salariés touchés, dans un véritable souci de dialogue social. Il semble que le plan social élaboré par le groupe Danone entre bien dans cette dernière catégorie.

- Les propositions du Gouvernement ne sont dans le fond nullement innovantes. Dans la pratique en effet, les indemnités de licenciement prévues par les conventions collectives dépassent souvent les indemnités légales, ce qui témoigne de la part des entreprises d'une volonté de préserver la paix sociale et de donner une image positive de la société vis-à-vis de l'extérieur. D'autres propositions apparaissent comme de fausses bonnes idées comme la taxation supplémentaire prévue pour la « contribution Delalande » alors que ce dispositif ne s'est guère avéré efficace, comme le démontre le taux d'inactivité record en France des personnes âgées de plus de cinquante ans.

- En revanche, on ne peut qu'être favorable à l'amélioration des procédures de reclassement. Il faut toutefois aller plus loin en reconnaissant à tous les salariés, quel que soit leur niveau de rémunération, un droit à bénéficier d'une formation longue, de qualité, qui soit intégrée dans leur vie professionnelle. Alors que des sommes considérables sont gaspillées actuellement en France au titre de la formation, il serait urgent de réorienter ces fonds dans le but de maintenir l'employabilité d'un maximum de salariés et prévenir ainsi un éventuel licenciement.

- Une autre réponse efficace consisterait dans le renforcement des instruments du dialogue social, ce qui nécessiterait d'abord de clarifier le rôle des trop nombreuses institutions représentatives du personnel. Il serait souhaitable de réfléchir dans ce cadre à un système de co-décision sur le modèle allemand et renforcer ainsi fortement le rôle des syndicats et le pouvoir des comités d'entreprises. Pour négocier, il faut avoir deux partenaires ; les organisations syndicales, très affaiblies en France, ne semblent guère en mesure de rétablir un équilibre des forces acceptable dans l'entreprise.

- Enfin, il semblerait que le séisme provoqué par l'annonce des derniers plans sociaux ait pour origine la crainte des Français d'un retour au chômage massif.

M. Maxime Gremetz a fait les observations suivantes :

- Le problème des licenciements économiques ne constitue pas, à l'évidence, une nouveauté, même si certains feignent aujourd'hui de découvrir l'ampleur du phénomène. La proposition de loi déposée par le groupe communiste le 22 décembre 1999 avait pour but de lutter contre de tels licenciements et s'inscrivait dans la volonté proclamée alors par le Gouvernement de légiférer sur cette question. Le texte ainsi élaboré avec l'appui de juristes spécialistes du droit du travail, d'inspecteurs du travail et des organisations syndicales, inscrit par le groupe communiste dans la part de l'ordre du jour qui lui est réservée, a malheureusement été repoussé par le groupe majoritaire de la majorité plurielle, qui est allé jusqu'à s'opposer à l'examen des articles de la proposition.

- Les propositions du groupe communiste ont été reprises sous forme d'amendements dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale. Cependant, le temps ainsi perdu a permis la mise en place de plans de licenciements que l'on pouvait pourtant pressentir depuis plusieurs mois. Ceux-ci apparaissent en effet comme la conséquence logique de la mondialisation capitaliste et du règne de la loi du profit. Si les propositions communistes avaient recueilli un accord lorsqu'elles ont été présentées, les affaires de Danone, Magnetti Marelli, Moulinex ou d'AOM-Air liberté n'auraient peut-être pas existé.

- Le groupe communiste ne peut pas être considéré comme une « machine à voter » ; il estime avoir le droit d'être entendu. En l'occurrence, il ne l'a été ni par le Gouvernement, ni par le rapporteur. Les salariés ont exprimé clairement leur revendication à Calais : ils ne veulent pas de « meilleurs » plans sociaux ; ils veulent travailler, produire et voir utiliser leurs compétences et leur savoir-faire. Va-t-on accepter que Danone licencie les salariés qui font sa richesse ? Le « ni-ni » exposé dans son principe par la ministre constitue une formule d'un triste souvenir. Le groupe communiste n'est pas favorable au retour à une économie administrée dont la mesure emblématique, l'autorisation administrative de licenciements, s'est révélée parfaitement inutile.

- En revanche, il faut donner aux comités d'entreprises et aux institutions représentatives du personnel la possibilité de contester le bien-fondé des licenciements prétendument économiques présentés par les employeurs, de façon à ce que les salariés soient sur le même plan que ces derniers. En Allemagne, les comités d'entreprises jouissent de pouvoirs importants sans commune mesure avec ceux dévolus à ces mêmes comités en France. S'ils parviennent à démontrer que le caractère économique des licenciements n'est pas réel, le plan social est considéré comme nul. Aujourd'hui, la législation française ne le permet pas, comme l'a rappelé la ministre en soulignant que la décision appartient en la matière à l'employeur et à lui seul.

M. Bernard Charles s'est félicité de l'organisation de cette audition qui permet à la Représentation nationale de disposer d'informations importantes avant la presse, ce qui n'est pas toujours le cas. Il a souhaité insister sur trois points :

- Il faut faire contribuer les grandes entreprises à la reconversion des territoires concernés par les plans sociaux et poser ainsi le principe de l'implication territoriale et sociale des entreprises.

- Il faut en second lieu opérer une distinction entre grandes entreprises et PME en matière de droit des licenciements et de reclassement.

- Il faut revaloriser le rôle des institutions représentatives du personnel et en simplifier la structure. Les exemples fournis par les autres pays européens peuvent être utiles à cet égard. Il convient d'ouvrir des pistes pour améliorer encore dans notre pays l'organisation du dialogue social et renforcer les droits des salariés. Ceux-ci ne peuvent accepter l'idée de perdre leur emploi à cause de délocalisations dictées par la loi du profit.

M. Gaëtan Gorce a souhaité d'abord manifester sa solidarité à l'égard des salariés récemment touchés par les licenciements économiques. C'est précisément le respect dû à ces salariés qui doit conduire à parler avec fermeté et franchise. L'Etat ne peut pas se substituer aux entreprises. En revanche, il a pour mission de garantir le dialogue social et la cohésion sociale.

Les propositions exposées par la ministre s'inscrivent dans le droit fil de la logique ayant prévalu lors de la première lecture du projet de loi de modernisation sociale à l'Assemblée nationale et des réflexions menées au sein du groupe socialiste depuis plusieurs mois.

Les salariés doivent être associés très en amont à l'examen de la situation économique de l'entreprise ; de même, la capacité d'expertise de leurs représentants doit être renforcée. La piste du congé de reclassement paraît extrêmement intéressante. En tout état de cause, l'employeur ne doit pas pouvoir se défausser de sa responsabilité en matière de reclassement dès lors qu'il en a les moyens.

On ne peut que relever le silence assourdissant d'une partie de l'opposition ; d'ailleurs aucun représentant du groupe RPR n'a jugé bon d'intervenir dans le débat en cours. Par ailleurs, la virulence de l'intervention de M. Maxime Gremetz au cours de la présente réunion ne doit pas faire oublier que les discordances de ton n'excluent pas les convergences de fond.

En réponse aux intervenants, la ministre a fait les observations suivantes :

- Le congé de reclassement doit être différencié de l'actuel congé de conversion d'une part puisqu'il revêtira un caractère obligatoire et d'autre part parce que, contrairement au congé de conversion qui donnait lieu à des aides de la part du FNE, le congé de reclassement devrait être pris en charge par les entreprises.

- Il faut assurément lutter contre les détournements de la législation consistant par exemple à recourir plusieurs fois par an à des licenciements de moins de dix salariés.

- L'obligation de soumettre aux organes dirigeants des sociétés une étude d'impact sociale et territoriale est d'ores et déjà prévue dans les amendements devant être prochainement déposés par le Gouvernement.

- L'intervention de M. Hervé Morin, qui tranche avec le silence des autres représentants de l'opposition, a le mérite de lancer le débat sur l'opportunité d'une éventuelle augmentation de la « contribution Delalande ». Il est vrai que ce mécanisme n'a pas donné toute satisfaction à ce jour et peut conduire à des effets pervers.

- Nul ne peut nier l'importance de la formation dans le débat sur les licenciements ; d'ailleurs cette exigence trouve en partie réponse dans le mécanisme de validation des acquis qui figure dans le projet de loi de modernisation sociale et se trouve au c_ur de la réforme d'ensemble de la formation professionnelle actuellement engagée.

En revanche, la ministre a déclaré ne pas pouvoir souscrire au discours évoquant des perspectives de retour à un chômage massif. La croissance demeure forte. Mais cela ne rend pas moins nécessaire de légiférer aujourd'hui sur la question des licenciements. Le projet de loi de modernisation sociale avait d'une certaine manière anticipé sur les plans sociaux actuels. L'annonce des plans de licenciements ne fait que renforcer la volonté de la majorité de légiférer sur ce sujet essentiel.

En réponse à M. Maxime Gremetz, la ministre a souligné que le travail mené avec le groupe communiste s'était toujours révélé constructif et que ce groupe ne pouvait assurément pas être considéré comme une « machine à voter ». Elle a par ailleurs rappelé que le juge disposait déjà de la possibilité de sanctionner à différents stades le non-respect de la procédure de licenciement - tel a par exemple été le cas pour Marks et Spencer - ou de frapper de nullité les licenciements dans lesquels l'employeur n'aurait pas rempli de façon suffisante son obligation de reclassement.

En conclusion, la ministre a relevé que la diversité des pistes évoquées démontrait, s'il en était besoin, la persistance de l'imagination, de la capacité de proposition et de l'enthousiasme de la majorité plurielle.


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