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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 38

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 mars 1999
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Jean-Paul Durieux, vice-président

SOMMAIRE

 

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– Auditions sur le projet de loi portant création d’une couverture maladie universelle - n° 1419 (MM. Jean-Claude Boulard et Alfred Recours, rapporteurs)

M. Marcel Ravoux, président et M. Daniel Postel Vinay, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles (CANAM)

Mme Jeannette Gros, présidente et M. Daniel Lenoir, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA)

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Marcel Ravoux, président, et M. Daniel Postel Vinay, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles (CANAM).

M. Marcel Ravoux, président de la CANAM, a tout d’abord exprimé son accord avec l’idée généreuse qui fonde le projet de loi sur la couverture maladie universelle (CMU) et s’est félicité de la modification de l’âge de couverture des étudiants, modification demandée par la Caisse depuis longtemps.

Il semble par contre que si les modalités de fonctionnement qui ont été retenues pour la CMU sont adaptées au régime général, elles n’ont pas pris assez en compte les spécificités des autres régimes :

- La dissociation entre le paiement des cotisations et l’ouverture des droits risque de poser à la CANAM un problème financier important. Dans ce régime en effet, l’indépendant paie lui-même sa cotisation. Si aujourd’hui le taux d’encaissement de ces cotisations proche de 97 % est très satisfaisant, on risque dans l’avenir de se heurter à des refus de paiement, qui, le temps que les contentieux soient réglés, pourraient générer une perte de 2 à 3 milliards de francs.

- L’accès à une couverture complémentaire, qui est la partie la plus novatrice de ce projet de loi, risque de produire des effets induits négatifs. L’effet de seuil sera particulièrement difficile à supporter pour ce régime, dans la mesure où à quelques cent francs supplémentaires un ménage disposant de 62 000 francs de ressources annuelles pourra passer d’une cotisation nulle à une cotisation s’élevant de 8 000 à 10 000 francs par an. Ceci sera ressenti comme une forte injustice et pourrait constituer un encouragement au travail dissimulé pour les personnes juste au-dessus du seuil. Pour ces raisons, il serait préférable que le principe d’une cotisation, même minime, soit arrêté et qu’une participation dégressive soit mise en place au-delà du seuil jusqu’à environ deux fois la valeur de celui-ci.

M. Marcel Ravoux a ensuite précisé qu’il n’était pas hostile à ce que les organismes mutualistes et les sociétés d’assurances gèrent les prestations versées aux assurés non salariés non agricoles, dans la mesure où elles le font déjà. Par contre, l’échéance de l’an 2000 pour la mise en œuvre de la CMU apparaît impossible à respecter en raison des fortes contraintes informatiques posées par le passage à l’an 2000. Il serait donc souhaitable de décaler l’entrée en vigueur du dispositif d’au moins un trimestre.

Enfin, il est regrettable que le Parlement n’ait toujours pas été en mesure d’examiner la question des indemnités journalières des artisans, mesure qui aurait dû faire l’objet d’un article d’un projet de loi portant diverses mesures d’ordre social.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a souhaité recueillir l’avis de la CANAM sur l’article 14 du projet qui tend à renforcer les conditions de recouvrement des cotisations des non salariés non agricoles. Il a ensuite souligné que l’option retenue par le projet de loi était, pour les futurs bénéficiaires de la CMU, de couvrir aussi la part aujourd’hui non couverte par le régime de la CANAM des dépenses remboursées, ce qui réduit les différentes existantes entre les régimes au niveau des taux de remboursement.

M. Daniel Postel Vinay, directeur général de la CANAM, a observé que la technique de l’avis à tiers détenteur sera effectivement une arme de recouvrement supplémentaire mais qui ne pourra fonctionner que lorsque ce tiers est facile à identifier. Il est peu probable que cette procédure permette de limiter le risque d’évasion pour tous ceux qui se trouvent à la marge supérieure du seuil, qui auront intérêt à minorer leurs revenus et à s’abstenir de payer leurs cotisations.

Par ailleurs, ce projet gommant la différence de taux de prise en charge entre le régime général et celui de la CANAM aboutit à ce que la couverture complémentaire d’un indépendant coûtera plus cher que celle d’un salarié. En conséquence, les organismes complémentaires pourraient être amenés à augmenter les cotisations des indépendants non éligibles à la CMU. Une modulation des 1 500 francs versés aux organismes complémentaires par le fonds de la CMU pour chaque bénéficiaire devrait être opérée en fonction de l’importance de la couverture des régimes.

M. Denis Jacquat ayant souhaité connaître le nombre de chefs d’entreprise couverts par la CANAM susceptibles d’entrer dans le champ de la CMU, M. Marcel Ravoux a précisé que sur un total de 1,2 million de chefs d’entreprise, 387 000 assurés sont actuellement sous le plafond de la sécurité sociale, soit moins de 67 000 francs de ressources annuelles et que 200 000 environ pourraient être concernés par la CMU. Il a également précisé que sur 100 francs de dépenses de santé remboursables, le régime général rembourse aujourd’hui 87 francs et la CANAM 83 francs.

M. Charles de Courson a souhaité connaître le nombre d’ayants-droit retraités relevant de la CANAM et l’estimation du nombre de ces personnes qui pourraient bénéficier de la CMU.

M. Marcel Ravoux a indiqué que ce chiffre s’élevait à 600 000, et à 900 000 avec les conjoints. Sans doute plus de 100 000 d’entre eux en France métropolitaine seront concernés par la CMU mais cette estimation est très difficile à faire car la CANAM n’a pas connaissance des revenus non professionnels et des ressources des conjoints.

M. Denis Jacquat a posé des questions sur :

- le risque de voir la mise en place de la CMU inciter au travail clandestin les commerçants et artisans, qui seront tentés de sous-déclarer leurs revenus au-dessous du seuil ;

- et sur les possibilités de gestion de la couverture complémentaire par la CANAM.

M. Charles de Courson s’est interrogé sur :

- les modalités actuelles de gestion de la couverture maladie par la CANAM ;

- sur la possibilité pour celle-ci de développer une activité en matière de couverture complémentaire ;

- sur l’intérêt, par référence au régime général, à faire gérer la couverture complémentaire par l’organisme chargé de la couverture de base, même si celui-ci est délégataire, ce qui induit des économies de gestion considérables ;

- et sur le risque d’augmentation des cotisations des adhérents à la CANAM non bénéficiaires de la CMU afin de compenser le coût de celle-ci.

M. Marcel Ravoux a jugé utile de lisser les effets de seuil, faute de quoi nombre des adhérents de la CANAM risqueraient de se tourner vers la CMU, alors que les cotisants doivent payer environ 4 000 francs par mois pour obtenir une couverture identique. Il convient donc de passer de la gratuité totale à un système plus progressif. Parmi les adhérents de la CANAM 15 à 18 % ne bénéficient actuellement d’aucune couverture complémentaire, le reste des assurés étant couverts, pour plus de la moitié, par la mutualité, pour la partie restante par des compagnies d’assurance. Pour certains ressortissants en situation difficile, dans certains départements, sur une base contractuelle, le Conseil général prend en charge les cotisations et la CANAM les prestations. Au demeurant, selon les renseignements dont on peut disposer, il semble que 10 à 12 % des salariés ne bénéficient pas d’une couverture complémentaire, les autres ayant très souvent droit au bénéfice de système mutualiste géré par les entreprises.

M. Daniel Postel Vinay a souligné que la CANAM était un organisme spécialisé chargé de la gestion d’un service public, et qu’elle ne pouvait pas, à défaut d’une habilitation législative spécifique, dépasser le cadre de sa mission de service public pour gérer de l’assurance complémentaire. Par ailleurs, la CANAM sous-traite la gestion du régime obligatoire à divers organismes et applique donc un système de décompte unique. Le régime général est donc dans une situation de départ inverse de celle de la CANAM.

M. Bernard Outin a demandé si l’application de la CMU modifierait les comportements de ceux qui ayant des revenus ne paient pas pour leur santé.

M. Denis Jacquat a demandé si, aux yeux de la CANAM, la mise en place de la CMU risquait d’entraîner des dérapages.

M.  Marcel Ravoux a souhaité que soit évité l’effet de “déconnexion ” pour les 200 000 personnes aujourd’hui exclues de toute couverture en matière de santé. La CANAM demeure attachée au paiement d’une cotisation minimale proportionnelle aux revenus dans le domaine de la couverture complémentaire.

M. Charles de Courson a estimé que l’application de la CMU risquait de conduire 10 à 15 % des allocataires actuels des régimes complémentaires à cesser d’acquitter leurs cotisations, aggravant de 700 à 800 millions de francs la charge de l’Etat dans ce domaine. Il a ensuite évoqué le risque d’une sélection faite par les régimes complémentaires en fonction de l’âge des allocataires.

M.  Marcel Ravoux a indiqué que les outils comptables et statistiques actuels ne permettaient pas d’évaluer si les personnes mentionnées par M. Charles de Courson avaient vocation à bénéficier de la CMU.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a souligné que les consultations relatives à la CMU étaient l’occasion de constater de nombreuses disparités dans la tarification des régimes complémentaires.

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Puis la commission a procédé à l’audition de Mme Jeannette Gros, présidente de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de M. Daniel Lenoir, directeur général.

M. Daniel Lenoir a exprimé l’accord de la MSA avec le principe d’un accès égal aux soins particulièrement important dans un régime où les pathologies sont très spécifiques, 70 000 adhérents de la MSA étant exonérés du ticket modérateur pour affections de longue durée. La MSA s’est d’ailleurs beaucoup investie dans la prévention avec notamment la récente création d’un réseau de santé bucco-dentaire. Environ 14 % des affiliés connaissaient un retard dans l’accès aux soins pour des raisons financières, de sous-information ou d’éloignement géographique. Les craintes de la caisse de voir un nombre important de ses adhérents se rattacher au régime général dans le cadre de la CMU, notamment en application du critère de résidence déterminé par le projet de loi, sont importantes.

M. Daniel Lenoir a souligné, en outre, que la question du recouvrement se posait non seulement s’agissant de la déconnexion entre le paiement des cotisations et l’ouverture du droit à prestations, mais également avec les possibilités dont disposerait la MSA d’utiliser la procédure d’avis à tiers détenteurs. Le système actuel en vigueur à la MSA, qui connaît environ 9 000 applications par an, et qui concerne aussi bien les salariés que les non-salariés, apparaît plus souple que les dispositions du projet de loi.

S’agissant de la couverture complémentaire, il faut essentiellement s’interroger sur la légitimité des effets de seuil. Il existe en effet un fort risque de voir une partie des assujettis du régime agricole être concernée par le seuil. On peut chiffrer cette population entre 800 000 et un million de personnes.

Mme Jeannette Gros a indiqué que le projet risquait d’aboutir à modifier l’affiliation d’un grand nombre de retraités, dont beaucoup sont attachés à la MSA, population âgée qui ne comprendrait pas ce changement, que les seuils retenus risquaient d’avoir un effet négatif pour les couples et les agriculteurs ayant un enfant à charge et qu’il paraît contraire à la logique d’encadrer les dépenses de soins des bénéficiaires de la CMU, alors que le Conseil d’Etat, comme le Conseil Constitutionnel, empêchent la mise en place de mécanismes d’encadrement des dépenses de santé pour le reste de la population.

S’agissant des refus de paiement, la question essentielle est aujourd’hui que certaines personnes n’hésitent pas à entamer des procédures totalement dilatoires au pénal. Enfin, le projet ne prend pas en compte le fait que certains agriculteurs soumis au régime réel d’imposition peuvent se retrouver dans des situations déficitaires de manières transitoire, et de ce fait, être assurés par la CMU, puis dès lors qu’elles ne sont plus en situation déficitaire, sortir de ce système, ce qui sera source de complexité et d’incompréhension pour les intéressés. Le problème de ces écarts de revenus s’est posé il y a quelques années pour les horticulteurs et il se pose aujourd’hui pour les éleveurs de porcs.

En réponse à une question de M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, Mme Jeannette Gros a indiqué que le nombre des assurés de la MSA ayant contracté une assurance personnelle était de l’ordre de 10 000, et que le risque de changement d’affiliation était d’autant plus important que les critères d’affiliation retenus par la MSA étaient extrêmement rigoureux, exigeant par exemple que l’exploitation couvre au moins 9 hectares.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a indiqué que le texte était sans effet quant à ces critères professionnels d’affiliation, qui ne sont pas modifiés. Ainsi, les retraités agricoles resteront gérés par la MSA. La question se pose en revanche pour les personnes qui ont choisi une assurance personnelle.

M. Daniel Lenoir a estimé que la MSA devait pouvoir continuer à gérer des personnes dont le rattachement sociologique au régime agricole est fort, notamment du fait de liens familiaux.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a répondu qu’une telle possibilité n’était pas contraire à l’esprit de la loi et qu’il convenait d’étudier une solution technique pour résoudre ce problème.

M. Charles de Courson a rappelé qu’à l’heure actuelle le critère professionnel d’affiliation à la MSA était fixé par référence à la surface de l’exploitation, laquelle doit être au moins égale à la moitié de la surface minimale d’installation (SMI). Contrairement à ce qui se produit pour la CANAM, le risque est donc fort de voir nombre de personnes actuellement couvertes par le régime agricole basculer brutalement au régime général, si les articles 2 et 3 du texte demeurent en l’état.

Par ailleurs, 85 % des affiliés à la MSA bénéficient d’un régime complémentaire. Il convient de savoir comment seront compensés les 1,2 milliard de francs de cotisations qui étaient versés à la MSA si 750 000 de ses adhérents bénéficient de la CMU. Enfin, la MSA envisage-t-elle de proposer un troisième niveau sur-complémentaire ?

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a relevé que le problème des 10 000 personnes en assurance personnelle au sein de la MSA devrait être examiné en détail au moment du débat sur le texte. Il ne concerne pas uniquement les personnes situées en-dessous du seuil d’une demi-surface minimum d’installation. En ce qui concerne le niveau complémentaire d’assurance, l’originalité de la MSA consiste en une forte coopération avec l’assurance de base. La mise en place de la CMU doit permettre de maintenir l’affiliation au régime complémentaire de la MSA et de préserver les accords collectifs existant pour les salariés. Il est toutefois nécessaire de clarifier le financement de la couverture complémentaire, qui demeure fortement excédentaire malgré le repli des régimes de base.

M. Yves Bur a évoqué le problème du remboursement des soins dentaires prothétiques.

En réponse aux intervenants, M. Daniel Lenoir a apporté les éléments d’information suivants :

- La MSA est particulièrement attachée à ce que le critère d’affiliation professionnelle ne soit pas remis en cause.

- Au niveau de la couverture complémentaire, la CMU va nécessairement modifier les règles d’affiliation et risque de générer un effet de seuil important. De 800 000 à un million de personnes pourraient basculer vers la CMU.

- Il existe au sein de la MSA un dispositif historique de forte intégration entre régime de base et régimes complémentaires. Il serait fort opportun que la MSA puisse en conséquence gérer le volet complémentaire de la CMU.

- La couverture complémentaire a un but essentiellement social et, à cet égard, le niveau moyen de prise en charge à 1 500 francs correspond à cet objectif.

Mme Jeannette Gros, présidente de la MSA, a tenu à préciser que les caisses de la MSA jouaient un rôle très important au niveau de la couverture complémentaire, qu’un certain nombre d’entre elles gère directement. Certaines proposent par ailleurs à leurs adhérents une couverture sur-complémentaire. Il existe toutefois une forte tension avec les mutuelles privées qui souhaitent se réserver ce créneau alors que la population, notamment âgée, souhaite pouvoir bénéficier du réseau de proximité de la MSA. La mise en place de la CMU risque toutefois d’entraîner l’augmentation des tarifs au niveau de cette couverture complémentaire.


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