COMPTE RENDU N° 39
(Application de l'article 46 du Règlement)
12/03/95
Mardi 23 Mars 1999
(Séance de 16 heures 30)
Présidence de M. Jean le Garrec, président.
SOMMAIRE
Auditions, en présence de la presse, sur le projet de loi portant création dune couverture maladie universelle n° 1419 (MM Jean-Claude Boulard et Alfred Recours, rapporteurs) :
Collectif santé et précarité
Union nationale interfédérale des uvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS)
Médecins du monde
ATD Quart-Monde
Médecins sans frontières
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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu les représentants :
- dassociations membres du collectif santé et précarité : Union nationale interfédérale des uvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS), Médecins du monde et dATD Quart-Monde,
- et de Médecins sans frontières, sur le projet de loi portant création dune couverture maladie universelle n° 1419.
M. Hugues Feltesse, directeur général de lUnion nationale interfédérale des uvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) sest félicité de ce que le projet de loi transmis par le Gouvernement comporte de nombreux éléments demandés lors du débat sur la loi de lutte contre les exclusions. Le projet doit donner à chacun la possibilité de tenir sa place dans la société. Laccès aux soins constitue en effet la première condition pour échapper à lexclusion et à la précarité. Plusieurs dispositions du projet de loi le système du régime déclaratif de ressources, la simplicité daccès aux soins grâce à la mise en place dun guichet unique , la dispense des avances de frais sont autant de points positifs allant dans le sens dune égalité de laccès aux soins. Des avancées supplémentaires pourraient cependant intervenir ; ainsi, le seuil de ressources retenu par le projet devrait être relevé au niveau du seuil de pauvreté.
M. Jackie Mamou, président de Médecins du monde, a estimé que le projet de loi était un texte fondamental qui permettrait de mettre en pratique les principes de liberté, dégalité et de fraternité face aux soins et à la maladie. Certains ont malheureusement développé des interprétations tendancieuses en qualifiant le texte de projet dassistanat. Il pourrait être amélioré sur divers points :
- Limmédiateté de louverture des droits doit être garantie sur simple déclaration de la personne afin de ne pas retarder son entrée dans le dispositif. Il convient de clarifier les dispositions de larticle 3 du projet de loi qui prévoit que toute personne résidant de façon régulière et stable en France peut bénéficier de la couverture maladie universelle. Ces termes a priori anodins peuvent créer des difficultés difficilement surmontables pour des Français nés à létranger qui ne sont pas toujours pourvus des documents exigés. Il faut par ailleurs évoquer le cas des 60 000 étrangers en situation irrégulière vivant en France. Il convient de ne pas écarter ces personnes du système de soins. Les associations membres du groupe de travail santé et précarité demandent à ce que toute personne puisse bénéficier immédiatement de la CMU, les preuves liées à sa situation et à sa résidence pouvant être apportées plus tard.
- Ces associations sont également très attachées au système de choix de lorganisme gestionnaire de la couverture complémentaire. Toute personne devrait, par une démarche active et citoyenne, bénéficier en la matière dun libre arbitre. LEtat devrait quant à lui garantir la qualité des prestations fournies, quelle que soit loption retenue par lintéressé. Il faut éviter que les personnes soient discriminées en fonction de leur âge ou de leur état dans leur démarche, à linstar de ce qui se passe dans certains pays étrangers.
- Labaissement à lâge de 16 ans pour bénéficier de la CMU est une mesure tout à fait pertinente pour des jeunes en situation de grande vulnérabilité ou de rupture avec la famille. Cependant, seuls les enfants dun ayant-droit assuré social pourront en bénéficier. Lun des parents doit donc être affilié. Cette disposition peut poser problème pour des jeunes en rupture familiale ou ayant des parents qui ne sont pas assurés sociaux. En ce qui concerne le recouvrement des frais auprès des parents prévu par le projet de loi, il est à craindre que cette disposition pose problème pour les familles dont les ressources seraient juste au-dessus du plafond prévu.
- Le guichet unique qui permet de demander à la fois la couverture de base et la couverture complémentaire est un point important du projet de loi auquel adhèrent toutes les associations qui le demandaient depuis longtemps.
- En ce qui concerne les étrangers en situation irrégulière, il serait souhaitable que le droit international soit appliqué, cest-à-dire que louverture des droits ne soit pas subordonnée à la régularité du séjour. Leur réserver laide médicale peut être considérée comme une discrimination et doit au minimum être assortie dune règle de confidentialité. On pourrait également envisager la création dune carte aide médicale banalisée sur le modèle de la carte CMU .
- Un amendement au texte serait souhaitable à larticle 30 qui dispose que toute personne peut accéder aux soins que nécessite son état . Une telle rédaction pose problème dans la mesure où un tiers doit évaluer la nécessité de cet état. Une rédaction daprès laquelle toute personne a droit à la prévention et aux soins serait nettement préférable. De même, il faudrait prévoir à larticle 30 lextension de laide médicale à tous les actes de santé publique remboursables, notamment ceux concernant la vaccination.
- Pour ce qui est du recouvrement des frais de santé auprès des personnes tenues à lobligation alimentaire, il faut éviter que des patients renoncent à se faire soigner de peur dalourdir les charges financières de leurs proches aux revenus faibles.
Mme Véronique Davienne, représentante de ATD-Quart Monde, a estimé que ce projet de loi était une réelle avancée mais quil fallait encore aller plus loin dans la prise en charge des exclus.
Le plafond de ressources doit être fixé selon le seuil de pauvreté et indexé sur les minimas sociaux. Il faut également atténuer leffet de seuil du plafond de ressources par une aide dégressive à la couverture complémentaire. Le tiers-payant doit être généralisé à lensemble de la population. Létendue de la prise en charge prévue à larticle 20 doit être améliorée en faisant référence expressément aux prothèses dentaires et auditives ainsi quaux appareillages. Le contenu du panier des soins doit relever de la compétence de lEtat et ne doit pas être négociable. Il faut également sinterroger sur lattitude des entreprises embauchant à temps partiel des salariés dont les ressources seraient inférieures ou égales au plafond. Dans ce cas, il faudrait préciser à qui revient la prise en charge de la couverture complémentaire. Enfin, il faut absolument aborder le problème de la formation des personnels en contact direct avec les futurs bénéficiaires de la CMU. Larticle 151 de la loi dorientation relative à la lutte contre les exclusions a prévu une formation pour les personnels en contact avec les populations exclues qui pourrait être étendue dans le cadre de la CMU.
Mme Noëlle Lasne, représentante de Médecins sans frontières, a indiqué que si le projet de loi constituait une avancée majeure en terme douverture de droits, il présentait cependant certaines lacunes. Pour ce qui est du délai douverture aux droits, aucune obligation nest prévue pour les CPAM. Un délai de réponse de huit jours devrait être inscrit dans la loi de façon à éviter une attente trop grande des populations concernées comme cest le cas aujourdhui pour laide médicale. De la même façon, ladmission dans le dispositif daide médicale doit se faire dans la journée et la formulation actuelle du projet de loi selon laquelle les demandeurs dont la situation lexige se voient ouvrir immédiatement laide médicale doit être modifiée en faveur de la rédaction de la loi du 29 juillet 1992 qui a préféré la notion de personnes en situation d urgence sanitaire et sociale .
Sagissant du droit à une couverture complémentaire, le texte comporte une inégalité flagrante, en ce qui concerne la prolongation des droits lors de la sortie du dispositif prévue à larticle 21, qui sera différente selon que les intéressés sont couverts par une caisse dassurance maladie ou par un organisme complémentaire. Il convient dharmoniser cette prolongation des droits pour tous les bénéficiaires de la couverture complémentaire, quel que soit leur choix initial.
Il convient également dassurer une protection identique sur tout le territoire et donc de prévoir que les documents contractuels relatifs à la couverture complémentaire CMU seront rédigés selon un modèle défini par décret en Conseil dEtat. Il faut en effet que les autres garanties, éventuellement proposées au bénéficiaire, soient déconnectées de la CMU qui risque de devenir un produit dappel pour certains organismes complémentaires. En outre, il faut pouvoir exclure de la gestion de la CMU les organismes qui ne respecteraient pas les prestations prévues pour cette couverture.
Il est en toute hypothèse indispensable de mieux définir le droit de recours, notamment si les bénéficiaires de la CMU ne reçoivent pas les prestations auxquelles ils ont droit.
Sagissant du calcul des ressources, le système risque dêtre moins favorable que celui de laide sociale sil ny pas de prise en compte des charges réellement supportées par le demandeur. Pour laide sociale, si un intéressé dépasse le barème, un examen de ses charges réelles a lieu et ces dernières peuvent être intégrées au calcul de ses ressources si elles sont indépendantes de sa volonté. Lattribution de la CMU doit suivre la même logique.
Enfin, il faut substituer aux actions en récupération les mécanismes dobligation alimentaire, faute de quoi une hospitalisation peut se traduire par une récupération de la totalité des ressources des intéressés.
En conclusion, il convient de refuser les pratiques assurancielles qui permettront à des assurances privées, parfois au moyen de publicité, dattirer à eux des bénéficiaires de la CMU. Notre système de soins est gravement affecté par des inégalités, comme le maintien dun secteur privé dans les hôpitaux publics, labsence de tiers payant généralisé, les disparités géographiques. Le législateur prend un grand risque en introduisant les assureurs privés dans un mécanisme qui au contraire devrait rétablir légalité.
Le président Jean Le Garrec a estimé que des critiques ponctuelles ne devaient pas faire oublier que le projet de loi était une avancée considérable et avait un caractère fondamental.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a pris acte de laccueil favorable réservé par les associations présentes aux principes posés par le projet de loi. Nombre des remarques faites sont à prendre en considération pour améliorer le texte sagissant notamment dune meilleure définition des soins et de lapplication des principes de continuité et dimmédiateté de la couverture. Les problèmes de seuil sont difficilement contournables, mais le texte permet dores et déjà une prise en charge au-delà du seuil fixé pour lannée suivant la sortie de la CMU, lorsquun organisme complémentaire a été choisi pour gérer la couverture.
Le projet de loi nest pas générateur dinégalités puisquil tend à développer lautonomie des personnes. La question de la cotisation reste posée, le maintien dune cotisation même symbolique faisant du droit aux soins un vrai droit, sans dailleurs que soit rétabli un lien entre la cotisation et la couverture maladie de base et complémentaire. En tout état de cause, on ne peut pas dire que le projet relève de lassistanat.
M. Alain Veyret a souhaité connaître lavis des associations présentes sur les difficultés daccès aux soins des salariés à temps partiel et de ceux qui ne touchent plus quun demi-salaire lorsquils sont en arrêt maladie.
M. Jean-Luc Préel a observé que si le projet est important, il convenait de rester modeste car de nombreux effets pervers sont à craindre, notamment sagissant des personnes actuellement affiliées à des mutuelles qui, ayant des revenus inférieurs au seuil déterminé par la loi, ne paieront plus de cotisations personnelles. Se pose aussi la question de la capacité des régimes de base à fournir des prestations dans le domaine complémentaire.
M. René Couanau sest interrogé sur les limites du présent projet dans le domaine de la prévention.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a rappelé que ce dernier aspect était évoqué dans les articles premier et 30 du projet de loi. Il faudrait cependant réintroduire cette préoccupation dans la définition même de la CMU.
M. Jackie Mamou (Médecins du monde) a souligné quaprès la loi créant le revenu minimum dinsertion le présent projet constituait bien une avancée fondamentale. Médecins du monde, devant lévolution inquiétante de la situation sanitaire dune partie croissante de la population française, a dû étendre sa vocation, initialement internationale, à des actions sanitaires et sociales de proximité. Depuis quelques années, le public concerné par ces actions a changé. Hier composé de personnes seules, souvent en rupture sociale, il sétend aujourdhui à des personnes ayant une résidence stable, couvertes par la sécurité sociale et exerçant souvent un petit boulot . Elles peuvent, dans la plupart des cas, consulter en ville sans pour autant être à même de payer les soins, les examens complémentaires ou même les médicaments en raison du niveau dissuasif du ticket modérateur. Le projet ne prend pas assez ces personnes en compte.
Il faut reconnaître le rôle symbolique éminent de lacquittement dune cotisation mais il semble difficile de trouver des modalités et un niveau satisfaisant pour cette contribution.
Mme Véronique Davienne (ATD Quart-Monde) a souligné que leffet de seuil pourrait être atténué par un mécanisme dégressif tel que celui qui existe pour les aides au logement, même si sa mise en place est complexe. La prolongation pendant un an du droit à la CMU repose sur lidée quau terme de cette période la situation de lintéressé se sera améliorée. En réalité, bien souvent, les personnes sont confrontées à des périodes successives pendant lesquelles leur situation saméliore puis se dégrade.
M. Hugues Feltesse (UNIOPSS) a rappelé que lUNIOPSS souhaitait la généralisation du tiers-payant à lensemble de la population. Prochainement, quand les médecins accepteront dêtre réglés par carte de crédit, toute personne possédant une telle carte et une carte Sesam-Vitale ne fera plus, dans les faits, lavance des frais car elle sera créditée du remboursement avant même dêtre prélevée sur son compte. Seuls les gens modestes seront alors obligés de régler immédiatement les soins. Le législateur devrait donc devancer cette évolution pour que tout le monde soit à égalité.
Se soigner est une nécessité : laccès aux soins nest pas un luxe quil faudrait soffrir au moyen du paiement dune cotisation. Cest un élément de la dignité de la personne. Poser une condition supplémentaire pour y accéder va à lencontre de lobjectif poursuivi par le projet de loi et pourrait retarder les procédures dattribution. Les inconvénients dune cotisation sont, de loin, supérieurs aux avantages.
Le président Jean Le Garrec a observé que la commission écoutait avec attention les suggestions formulées par les intervenants mais quen aucun cas ses membres ne considèrent la santé comme un luxe ; il est par contre légitime de sinterroger sur lopportunité dune cotisation personnelle modeste en tant quélément de citoyenneté et de dignité de la personne.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a rappelé que le principe du paiement dune telle cotisation était de lordre du symbole et que la reconnaissance du droit à lassurance maladie ne pouvait en aucun cas être conditionnée par son paiement. Le regard que porteront sur la CMU les personnes se situant juste au-dessus du seuil doit être pris en compte et le principe dune cotisation, même faible, paraît de nature à atténuer les différences de traitements.
M. Alain Veyret a insisté sur le cas des personnes victimes de pathologies graves et qui ne peuvent se faire hospitaliser, faute de pouvoir assumer une perte de salaire non compensée par une prise en charge complémentaire qui peut, par ailleurs, rester partielle. Il risque donc de se créer une zone intermédiaire de personnes à revenus modestes, mal couvertes, qui se situeront entre les bénéficiaires de la CMU et les plus aisés.
M. Jean-Luc Préel sest interrogé sur le dispositif proposé par le projet de loi sur les tarifs des prothèses ou des lunettes qui risque, en instituant un système de tarifs particuliers en faveur des bénéficiaires de la CMU, de créer dautres effets de seuil.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a souligné que larticle du projet de loi relatif aux prothèses et aux dispositifs médicaux était important car il ne poursuivait pas seulement un objectif damélioration des remboursements mais aussi celui dune meilleure maîtrise des dépenses à travers la conclusion daccords tarifaires susceptibles de bénéficier à tous les assurés. La qualité de la couverture maladie dépend en effet étroitement de la capacité à maîtriser les dépenses de santé.
Mme Noëlle Lasne (Médecins sans frontières) a rappelé les deux propositions formulées par lensemble des associations pour atténuer leffet de seuil : laide dégressive à la mutualisation et la généralisation du tiers-payant à lensemble des assurés. Le présent projet de loi constitue à cet égard loccasion unique de procéder à cette généralisation. Elle sest ensuite félicitée de linnovation que constitue la disposition du projet interdisant de pratiquer des dépassements dhonoraires en faveur des personnes bénéficiaires de la CMU.
M. Hugues Feltesse (UNIOPSS) a interrogé le rapporteur sur le point de savoir si la cotisation symbolique quil évoquait devait sentendre comme une cotisation annuelle ou mensuelle, et quel pourrait en être le montant.
En réponse, M. Jean-Claude Boulard, rapporteur a précisé que la question se posait de lopportunité dune cotisation dadhésion versée pour lensemble dun foyer et qui ne pourrait en aucun cas conditionner le droit à la couverture maladie.
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