ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES
COMPTE RENDU N° 41
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mercredi 24 mars 1999
(Séance de 16 heures 30)
Présidence de M. Jean-Paul Durieux, vice-président,
puis de M. Jean Le Garrec, président
SOMMAIRE
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Auditions, en présence de la presse, sur le projet de loi portant création dune couverture maladie universelle n° 1419 (MM. Jean-Claude Boulard et Alfred Recours, rapporteurs) :
- M. Jean-Pierre Davant, président de la Fédération nationale de la Mutualité française
- M. Marc Zamichiei, représentants des Mutuelles de France
- M. Gilles Marchandon, délégué général de la Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles (FNIM)
- M. Denis Kessler, président de la Fédération française des sociétés dassurances (FFSA)
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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Jean-Pierre Davant, président de la Fédération nationale de la Mutualité française, sur le projet de loi portant création dune couverture maladie universelle n° 1419.
M. Jean-Pierre Davant a indiqué que la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) a, le 11 janvier dernier, donné un avis favorable à lun des scénarios, proposé par le rapport de M. Jean-Claude Boulard, visant à mettre en place la couverture maladie universelle (CMU) en partenariat entre, d'une part, l'Etat et la Caisse nationale d'assurance maladie et, d'autre part, les régimes complémentaires, dans lequel le régime général gérait la couverture obligatoire et les régimes complémentaires étaient compétents pour la couverture complémentaire. Il faut regretter que le Gouvernement, en évoquant, de manière peu loyale, les atermoiements de la mutualité, ait fait un choix différent. Cependant, la Fédération nationale de la Mutualité française apportera tout son concours à la mise en uvre de la CMU.
Au-delà de cette différence globale d'approche, la Fédération nationale de la Mutualité française souhaite présenter plusieurs observations :
- Il paraît tout d'abord nécessaire de préciser que la CMU doit constituer pour les intéressés une solution transitoire et ne peut aboutir à différer le débat sur le faible niveau de remboursements des soins dans notre pays et la nécessité de modifier le système de soins. Si ce nétait pas le cas, les personnes ayant des revenus se situant juste au-dessus des seuils dapplication de la CMU se verraient pénalisées.
- En ce qui concerne les seuils, il convient de tenir compte déléments différents du seul revenu, par exemple des différences de pouvoir d'achat entre Paris et la province. Il faut rappeler qu'actuellement 20 % des mutualistes perçoivent moins de 7 500 francs par mois et doivent acquitter une cotisation d'assurance maladie. Il faut aussi prendre en compte les différences territoriales dans l'offre de soins, par exemple la forte présence du secteur 2 en région parisienne, qui peuvent entraîner des inégalités dans les conditions d'accès aux soins.
- Il aurait été préférable de commencer par mettre en place un système d'assurance maladie universelle, en harmonisant les financements et les prestations des différents régimes - notamment la prise en charge du ticket modérateur - avant de créer la CMU. Or la loi laissera subsister les très fortes différences existant entre le régime général et la CANAM.
- Compte tenu de l'élargissement du public potentiel de la couverture complémentaire de 4,5 millions de bénéficiaires, comme cela était prévu au départ, à 6 millions aujourd'hui, le dispositif concerne désormais un nombre important de personnes âgées quon peut chiffrer à environ 800 000, ce qui devrait conduire à réviser les prévisions concernant le financement du dispositif. Il est également souhaitable que les décrets d'application corrigent les inégalités qui pourraient exister.
- Il faut éviter que la CMU soit un système d'assistance. En ce sens, autant il est normal que les personnes qui bénéficient de l'assurance maladie gratuite soient exonérées de toute cotisation, autant il paraît nécessaire de demander une contribution, même minime, aux autres bénéficiaires. C'est une question de dignité. Cela permettrait en outre de gommer les effets de seuil.
- En ce qui concerne les modalités de gestion de la CMU, on ne peut que profondément regretter le choix du Gouvernement qui risque d'entraîner des effets pervers liés à la mise en concurrence de la CNAM et des caisses primaires d'assurance maladie avec les organismes chargés dassurer une couverture complémentaire. Les organismes de couverture complémentaire avaient pourtant fait la preuve de leur bonne volonté en concluant un accord de bonne conduite. Il eut donc été préférable de mettre en place un système de partenariat entre la CNAM et les organismes mutualistes. La solution retenue par le Gouvernement va provoquer des difficultés de gestion en particulier en cas de dépassement du seuil de 3 500 francs, de passage progressif d'une gestion de la couverture maladie d'une CPAM à une mutuelle ou de sortie de la couverture CMU, alors quil faudrait envisager de lisser le mécanisme, par exemple avec des cotisations adaptées. Les effets pervers qui vont résulter de la solution retenue comportent à terme le risque de privatisation de la sécurité sociale. Il aurait été préférable douvrir aux intéressés la possibilité dadhérer, dès le commencement du processus, à une mutuelle.
- Il est souhaitable d'impliquer davantage les professionnels de santé dans la CMU, notamment les médecins, en particulier ceux du secteur 2 auxquels devrait être demandé un engagement contractuel afin d'éviter les inégalités d'accès aux soins. On va en effet injecter dans le système de santé 9 à 10 milliards de francs, au moment dailleurs où la CNAM examine un plan stratégique pour faire dimportantes économies. Les professionnels, qui vont bénéficier de ce supplément de revenus, auraient dû être davantage associés au processus.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, après avoir salué la qualité de la concertation menée avec la FNMF préalable à létablissement du présent texte, a fait les observations suivantes :
- Le monde associatif est en grande partie favorable à linstitution dune cotisation personnelle pour les bénéficiaires de la couverture complémentaire de la CMU ; aucune des associations auditionnées ne sy est déclarée hostile. Une telle cotisation offrirait lavantage dune plus grande justice envers les personnes qui se trouvent juste au-dessus du seuil fixé pour lattribution de la CMU et ferait passer celle-ci de la sphère du droit octroyé à celle du droit acquis.
- Sagissant du risque de concurrence, il faut lire le projet de loi dans son interprétation partenariale, qui est la plus conforme à lesprit même du projet. On échappe alors au piège dune présumée remise en cause des frontières de compétences entre les caisses dassurance maladie et les organismes complémentaires. Il convient à cet égard de rappeler que la gestion de laide médicale des sans domicile fixe est actuellement confiée aux CPAM, délégataires en vertu de la loi. Cependant, il est fort probable que la grande majorité des futurs bénéficiaires de la CMU, autonomes dans leur démarche, choisiront de sadresser aux organismes complémentaires.
- Le projet de loi contient diverses dispositions engageant les professionnels de santé dans la mise en place de la CMU. Il faudra réfléchir à la possibilité daller au-delà, notamment en étendant linterdiction de dépassement dhonoraires aux chirurgiens-dentistes conventionnés. La maîtrise médicalisée des dépenses doit parallèlement rester une préoccupation majeure.
- Afin datténuer les disparités existant dans les couvertures complémentaires pourrait être envisagée la création dun fonds dencouragement à la mutualisation, qui pourrait être alimenté par un ajustement de la contribution des organismes complémentaires participant à la CMU ; on pourrait prévoir un taux de 0,25 %. La FNMF serait-elle favorable à la création dun tel fonds ?
M. René Couanau a noté que la FNMF considérait comme provisoires les solutions apportées par le projet de loi. La réflexion densemble sur le système de santé doit en effet se poursuivre. Il faudrait lever certaines ambiguïtés entourant la question de la cotisation personnelle : doit-elle être seulement symbolique ou faut-il défendre lidée dune juste cotisation, comme semble le faire la FNMF ? Enfin, quelles seraient les alternatives au guichet unique afin dassurer la rapidité dans lexamen des demandes de CMU ?
Mme Muguette Jacquaint a observé que toutes les associations demandaient que le plafond de ressources fixé dans le projet de loi devait être élevé jusquau seuil de pauvreté, soit 3 800 francs. Il faut par ailleurs se préoccuper des personnes qui sont actuellement couvertes par la sécurité sociale et qui acquittent donc des cotisations mais qui, en raison de la précarité de leur situation professionnelle, nont pas un accès réel aux soins du fait de taux de remboursement insuffisants. Linstauration dune aide à la mutualisation pourrait gommer leffet de seuil mais se pose alors la question du mode de financement de cette aide. Il faudrait peut-être réintroduire à ce niveau le rôle des entreprises, totalement oublié par le projet de loi.
M. Bernard Accoyer a noté que M. Jean-Pierre Davant estimait insuffisante lenveloppe prévue de 9 milliards de francs et craignait une confusion des rôles.
M. Marcel Rogemont sest interrogé sur le chiffrage du coût de la prise en charge complémentaire en fonction des différents statuts des éventuels bénéficiaires.
En réponse aux intervenants, M. Jean-Pierre Davant a déclaré ne pas être favorable à la création dun fonds dencouragement à la mutualisation. Il faut que les mutuelles soient reconnues en tant que telles, dans le rôle quelles ont toujours joué en faveur de lélargissement de laccès aux soins et de la lutte contre les exclusions, en dehors de toute logique commerciale. La cotisation prévue dans le projet de loi pour alimenter le fonds de financement de la protection complémentaire, la possibilité actuellement étudiée daugmenter la fiscalité sur les mutuelles et les inquiétudes nées de lapplication de la directive européenne sur les assurances par les mutuelles posent de sérieux problèmes aux mutuelles qui pourraient, de ce fait, être contraintes daugmenter les cotisations de leurs membres.
- Sagissant de la cotisation personnelle, il faut convenir que plus celle-ci sera importante, plus les effets de seuil seront gommés, même si ces derniers existent toujours. En tout état de cause, ils sont considérables dans le projet de loi actuel.
- Lensemble du réseau territorial des mutuelles et leur diversité dactivités auraient pu leur permettre dêtre aussi un point dentrée dans le dispositif CMU. Nombreux sont les Français qui connaissent tout autant ladresse de leur mutuelle que celle de leur caisse primaire dassurance maladie.
- Fixer le seuil à 3 800 F ne changerait rien au problème. Il faut prendre conscience de la grande diversité des populations concernées, notamment dans les populations retraitées (artisans, commerçants, personnes affiliées à la MSA). Les personnes vivant dans les grands centres urbains, en général, sont déjà affiliées à une mutuelle, même si elles gagnent moins de 3 500 francs par mois. Le problème de fond est donc bien celui du coût du système de santé.
- La France est le pays dEurope où les cotisations sociales sont les plus élevées alors que la médecine ambulatoire est parmi les moins performantes. A cet égard, la CMU ne doit être qu'un dispositif temporaire permettant dorganiser à terme un système plus équilibré.
- Il nexiste pas de chiffrage fiable des coûts de la CMU ; compte tenu du nombre de personnes âgées qui en bénéficieront, le chiffre de 1 500 francs prévu par le projet risque de savérer insuffisant.
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La commission a ensuite entendu M. Marc Zamichiei, représentant des Mutuelles de France qui a exprimé son plein accord avec le projet à lélaboration duquel il a participé.
Trois des aspects positifs de ce texte méritent dêtre soulignés :
- louverture de droits nouveaux pour 2 millions de personnes et le recul des inégalités sociales dans le domaine de la santé quelle engendre ;
- le fait que la mutualité sengagera dans la dynamique créée par lapplication de la CMU qui sera pour elle loccasion de se renouveler dans ses propres pratiques. Certes, il aurait été préférable de confier lensemble de la gestion aux organismes complémentaires. Toutefois, les pratiques séquilibreront assez rapidement et permettront dassurer un droit commun de la protection sociale ;
- loccasion ainsi offerte douvrir des voies nouvelles pour le système de protection sociale français à travers une meilleure régulation, par exemple grâce à la non-sélection des personnes en fonction du risque. La dispense davances de frais amènera les régimes obligatoires à améliorer leurs prestations.
Quatre aspects du projet de loi méritent des améliorations :
- La généralisation de la dispense davance de frais à lensemble des assurés sociaux est possible et nécessaire. Il sagirait dune mesure non inflationniste qui consoliderait notre système de solidarité dans la mesure où un dispositif prévu pour des populations défavorisées constituerait alors un progrès pour lensemble de la population.
- En ce qui concerne la non-sélection des personnes et des risques énoncée à larticle 20 du projet de loi, ces principes de non exclusion, que ce soit pour raisons de santé ou pour raisons financières doivent être renforcés et étendus par une modification des lois du 31 décembre 1989 et du 12 juillet 1990.
- Pour ce qui est du financement de la couverture complémentaire, lengagement des mutuelles est légitime. Mais le système, tout en permettant une mutualisation du risque, doit prévoir une prise en compte du coût réel de ce risque. Ce coût est très variable suivant les personnes concernées et les lieux de prise en charge et il donnera lieu à une mutualisation à lintérieur de la fédération. Si à lissue de ce calcul, le coût réel est supérieur à 1 500 francs, il faudra réviser la somme imputable sur la contribution des mutuelles. Si le système doit être simple pour les bénéficiaires, il ne doit pas empêcher le versement a posteriori de compléments de financement aux organismes contributeurs, afin de prendre en compte le coût réel des risques.
- Concernant le conseil dadministration du fonds de financement, le projet de loi prévoit quil sera composé exclusivement de représentants de lEtat. Il serait souhaitable que des représentants des organismes chargés dassurer une protection complémentaire, ainsi que des organismes dassurance maladie, puissent y siéger. En effet, ce fonds de financement remplit des missions essentielles sur le plan financier, mais aussi des missions de contrôle et pourrait permettre une évaluation en continu de la mise en uvre du dispositif.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, sest félicité que les Mutuelles de France considèrent le projet de loi comme une avancée sociale et a rappelé quil fallait avoir une lecture partenariale de la loi. Les différents organismes concernés doivent donc bien se considérer comme des partenaires. Il sagit moins de concurrence que dadapter le dispositif à la diversité des publics.
M. Germain Gengenwin sest interrogé sur le risque de surconsommation médicale liée à la dispense davance de frais, surtout si elle était étendue à toute la population.
M. René Couanau a observé que la mise en place de la prévention pour les publics visés par le projet de loi serait certainement très difficile dans la mesure où la prévention, dans le système actuel, est déjà défaillante à de nombreux égards, alors quelle sadresse à lensemble des assurés sociaux.
En réponse aux intervenants, M. Marc Zamichiei a rappelé que toutes les études, notamment celles de la CNAM, ont montré que la dispense de frais nentraînait en aucun cas une surconsommation médicale. Ainsi, les Mutuelles de France gèrent des centres de santé qui pratiquent le tiers payant et la consommation médicale ny enregistre pas de dérive. Il ne sagit donc pas dune mesure inflationniste mais dune mesure dégalité. Si elle était étendue à lensemble des assurés sociaux, le dispositif de la CMU gagnerait en légitimité.
Les inégalités daccès à la prévention sont plus fortes que les inégalités daccès aux soins. Lactuelle nomenclature des actes ne prévoit pas de prise en charge de la prévention, à lexception notable de la disposition prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale sur la prise en charge à 100 % des actes de dépistage de maladies graves.
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La commission a ensuite entendu M. Gilles Marchandon, délégué général de la Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles. Celui-ci a tout dabord précisé que la FNIM a été créée il y a une dizaine dannées. Elle regroupe une trentaine de structures de tailles diverses et protège environ 2,5 millions de personnes.
Une comparaison du projet de loi avec les scénarios avancés par le rapport de M. Jean-Claude Boulard et avec les discussions intervenues dans la phase de concertation, permet de constater lampleur prise par le volet complémentaire du projet qui a complètement changé de nature. La gratuité totale, la gestion par les caisses dassurance maladie, le nombre de bénéficiaires, le niveau des droits, tout indique que se crée une pseudo complémentaire , qui dissimule en réalité la mise en place de garanties et de prestations purement et simplement modulées selon le revenu des ménages. Les uns, dont les revenus sont au-dessous du seuil, bénéficieront gratuitement dune prise en charge totale de leurs dépenses de soins, avec dispense davance de frais, les autres, au-dessus de ce seuil, se contenteront du régime obligatoire de base , et sils ont fait leffort de sassurer volontairement au-delà, verront leurs cotisations augmenter pour financer la CMU. Les uns ne paient rien, les autres paient une, deux et trois fois, ce qui crée une situation tout à fait inéquitable.
Cette innovation dun régime complémentaire obligatoire gratuit est évidemment problématique, tout comme la création dun Etat assureur complémentaire santé par le biais des caisses primaires dassurance-maladie. Léquilibre et le partage des rôles établis depuis plus de cinquante ans sont ainsi totalement remis en question. Par ailleurs, le risque de voir les instances communautaires reconsidérer complètement leur grille danalyse de la nature et des conditions dexercice des activités de protection sociale, spécialement en matière de maladie qui devient clairement un marché , semble ignoré.
Les différents acteurs de la complémentaire sont placés dans des situations profondément inégales, les uns étant clairement favorisés (CPAM), les autres (les mutuelles) manifestement défavorisées. En effet, les organismes agissant pour le compte de lEtat , verront leurs dépenses intégralement compensées par lEtat, quil sagisse des dépenses de gestion ou du coût des prestations et nacquitteront pas la taxe prévue à la charge des autres intervenants, alors même quils seront chargés dinscrire les bénéficiaires et détablir le titre en faisant foi. Dans certains endroits, les caisses primaires sorganisent déjà pour sintéresser à lassurance complémentaire.
A linverse, les intervenants habituels en matière de couverture complémentaire, dont les mutuelles, se voient désavantagés. Ils seront confrontés dabord à un risque de perte de substance : les caisses pouvant attirer à elles des bénéficiaires jusqualors adhérents ou assurés payants qui peuvent représenter jusquà 20 ou 30 % de leffectif de certains des groupements, alors que les contrats collectifs obligatoires resteront intouchés.
Existe également un risque de pertes si le coût de la couverture excède en réalité 1 500 francs par an. Enfin, les mutuelles seront soumises à la taxation de 1,75 % du chiffre daffaires, ce qui est important lorsque les marges sont de plus en plus tirées sur un marché vraiment concurrentiel et que les exigences de solvabilité sont, légitimement, de plus en plus fortes. Les mutuelles seront finalement les plus désavantagées. Elles devront nécessairement répercuter entièrement les coûts de la CMU sur leurs adhérents alors que les assureurs seront à même de répercuter et compenser un déficit de la branche sur la totalité de leurs activités et que les institutions de prévoyance, a priori assureurs collectifs, sont peu concernées.
Il faut rappeler quune couverture complémentaire est une garantie souscrite volontairement. Elle est destinée à compléter une garantie obligatoire qui doit être suffisante. Les problèmes de grande détresse ou précarité sont dune nature particulière et nécessitent des réponses spécifiques. Il est démagogique de prétendre le contraire.
Les garanties complémentaires ne sont certes pas un luxe, mais correspondent à un acte volontaire qui saccompagne dun effort individuel ou collectif. Celui-ci peut et doit être encouragé et subventionné , dans le cas des plus démunis, de façon directe ou indirecte. Cest dans cette direction que peut et doit être recherchée la voie vers une couverture complémentaire universelle.
LEtat ne peut ni ne doit se mêler dune activité où l offre existe, de façon abondante et concurrentielle. Il ne peut pas donner un avantage indu à des organismes gérant un monopole. Il ne peut prétendre quil règle des situations marginales quand la population concernée est aussi nombreuse. Il ne peut être ainsi juge et partie et déplacer, comme et quand il, le veut la frontière entre obligatoire et facultatif, monopole et concurrence.
En conséquence, le projet de loi portant création de la CMU doit être profondément amendé et la FNIM a élaboré des propositions très précises. Si le projet devait cependant être voté en létat par le Parlement, cela signifierait que des changements essentiels dans notre système de protection sociale auraient alors lieu ou seraient sur le point de survenir.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a fait les observations suivantes :
- Lensemble du monde mutualiste se déclare prêt à contribuer financièrement au projet de CMU dans une logique de partenariat. Ainsi les organismes mutualistes pourraient être acteurs et financeurs du système envisagé.
- Certains semblent aujourdhui découvrir que le régime général est autorisé par la loi à gérer des régimes complémentaires. Il faut rappeler à ce propos quaux termes du code de laide sociale, lEtat peut dores et déjà déléguer la protection complémentaire de personnes sans domicile fixe au régime général. La partie de la population la plus en difficulté et marginalisée doit pouvoir sadresser à un guichet unique pour avoir accès aux soins.
- Le débat sur la cotisation reste ouvert.
Le président Jean Le Garrec a noté que la vision partenariale devait prévaloir et que les craintes exprimées par les représentants de la fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles étaient excessives.
M. René Couanau a jugé que ces craintes étaient fondées, puisquelles ont mis en évidence des effets de seuil et, par conséquent, les différences de couverture pouvant apparaître entre les personnes cotisantes couvertes par une mutuelle et les personnes démunies relevant de la CMU. Du fait de la mise en uvre de la couverture maladie universelle, les effectifs de certains groupements mutualistes pourraient diminuer à hauteur de 20 à 30 %. Il est inquiétant de constater que le rapporteur privilégie une lecture partenariale , comme si plusieurs lectures du projet de loi étaient possibles. En dautres termes, la lecture du Gouvernement et celle du rapporteur pourraient ne pas coïncider. En réalité, davantage que la lecture pouvant être faite du texte, cest lécriture, cest-à-dire les dispositions effectives du projet et la façon dont elles seront appliquées qui importent.
La question de fond est que si la couverture de base obligatoire ne permet pas dassurer la totalité des soins pour lensemble de la population, larticulation entre lassurance complémentaire facultative et lassurance de base obligatoire doit être repensée.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a assuré quil ny avait aucune divergence dappréciation entre la ministre et lui-même en ce qui concerne lapplication partenariale de la loi, qui est souhaitée par le Gouvernement.
M. Gilles Marchandon a considéré que si les craintes quil a exprimées savéraient fondées, cela aurait des répercussions négatives sur certaines mutuelles qui doivent sadapter à la nouvelle donne de la concurrence européenne et supporter leffet de dispositions fiscales à venir et le coût de la CMU. Il ne faudra pas sétonner alors que certaines dentre elles aient de graves difficultés.
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La commission a ensuite entendu M. Denis Kessler, président de la Fédération française des sociétés dassurance (FFSA).
M. Denis Kessler a indiqué que la FFSA avait depuis le départ, considéré que le problème auquel sattaque le projet de loi était réel. Ce problème peut sénoncer de façon simple : faute de pouvoir se payer une couverture complémentaire, une fraction de la population est dissuadée de recourir à des soins de base à cause des coûts que cela occasionne, liés au niveau du ticket modérateur. La seule solution consisterait à solvabiliser cette population qui pourrait alors sadresser, comme tous les autres Français, à lorganisme de leur choix : soit une institution de prévoyance, soit une mutuelle, soit un autre système. Cette solvabilisation permettrait laccès aux soins pour les plus démunis. Les trois familles dassureurs représentées dans la fédération avaient pris un engagement par écrit auprès du ministère en matière de contribution financière.
Lobjectif était de ne pas créer, pour les populations fragilisées, un guichet réservé. Ces personnes doivent être traitées comme tous les autres citoyens. Ainsi le troisième scénario élaboré dans le rapport de M. Jean-Claude Boulard correspondait à la situation idéale et permettrait de résoudre cette question sans créer de guerre de frontières ni de mécanisme de taxes et de prélèvements.
Tel na pas été le choix du Gouvernement, ce qui est très surprenant, puisque les professionnels de lassurance complémentaire étaient prêts à prolonger la concertation avec les régimes de base et les associations pour faire uvre commune. Les réserves des assureurs ne portent donc pas sur le principe de la CMU mais bien sur lesprit du projet de loi et sur les modalités retenues pour sa mise en uvre. Si le Gouvernement croit en la concertation et souhaite lutiliser comme mode daction et de réforme, il serait souhaitable, à lavenir, quil tienne compte de ses résultats et que les textes finalement présentés reflètent les termes des accords passés.
Le vice fondamental du projet de loi réside dans la confusion quil effectue entre le rôle des régimes de base et celui des organismes dassurance complémentaire. Aujourdhui, il existe une frontière claire entre ces deux fonctions, qui correspondent à des métiers et à des logiques économiques différentes. Lassurance de base est prise en charge par les caisses primaires et relève dune logique de sécurité sociale. Par contre, comme cela a été reconnu au niveau européen, lassurance complémentaire, quelle soit réalisée par des mutuelles ou des sociétés dassurance, relève du secteur concurrentiel et, par conséquent, constitue un métier à risque.
Le projet de loi tel quil est présenté remet en cause ce partage traditionnel des rôles et ouvre donc la porte à toutes les dérives possibles, ce qui est dangereux. La CNAM elle même est bien consciente du risque puisquelle a dores et déjà passé un accord sur la CMU avec la FFSA pour lui reconnaître une compétence de droit commun en matière dassurance complémentaire. Cet accord sera complété par un protocole technique, en cours de préparation, qui permettra de préciser dans quels cas, précis et limités, la prise en charge de la couverture complémentaire pourra effectivement être assurée par les caisses primaires. Compte tenu de lampleur des risques encourus, - la CMU concernant près de six millions de personnes -, la FFSA demande donc officiellement au Gouvernement de reconsidérer cette question de la répartition des rôles.
M. Denis Kessler a ensuite évoqué sept effets pervers du projet de loi :
- leffet sur la nature du RMI : jusquà aujourdhui, celui-ci a été considéré comme le revenu minimum nécessaire pour répondre aux dépenses de première nécessité. En décidant que ses allocataires ont droit à la CMU, il devient un revenu manifestement insuffisant pour assurer le minimum vital.
- leffet de seuil, qui, pour quelques francs, peut avoir des conséquences dramatiques. La solution proposée par la FFSA aurait permis déviter de tels effets, puisquelle aurait été modulable en fonction des ressources.
- un effet discriminatoire, lié à cet effet de seuil. La définition du panier de soin des bénéficiaires de la CMU étant renvoyée au décret, il est à craindre que certaines personnes à revenus modestes qui cotisent pour une couverture complémentaire se retrouvent de fait moins bien assurés que les bénéficiaires de lassurance gratuite.
- un effet déviction : un certain nombre de population cotisant jusquici pour une couverture complémentaire pourront en effet, demain, bénéficier de lassurance gratuite. Ce nest pas un phénomène mineur, et ses conséquences seront lourdes à supporter pour certaines sociétés dassurances, pour la MSA et pour les indépendants.
- un double effet de distorsion du fait dune couverture uniforme située à 1 500 francs : actuellement, les taux de remboursement ne sont pas les mêmes dans tous les régimes de sécurité sociale. Il conviendrait donc, dans la fixation des taux de prise en charge complémentaire, de tenir compte du régime daffiliation. Par ailleurs, il convient de rappeler que les sociétés dassurance doivent acquitter une taxe de 7 % sur leurs contrats dassurance santé, qui sappliquera aussi à la cotisation de 1,75 %, alors que les mutuelles ne sont pas soumises à cette taxation. Cette différence pèsera forcément sur les prises en charges qui pourront être proposées aux bénéficiaires de la CMU par les différents organismes.
- un effet dassiette, celle retenue par le projet de loi comprenant les frais de soin mais également les indemnités journalières et dinvalidité, alors que celles-ci ne devraient pas être prises en charge.
- enfin, un effet que lon pourrait qualifier de passager clandestin , les risques de voir des bénéficiaires supplémentaires profiter de la CMU, alors quils pourraient saffilier ailleurs nétant pas inexistants : du fait de la gratuité des soins et de la dispense davance de frais, il est probable que ce système sera attractif.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur, a confirmé la volonté de coopération du monde de lassurance au principe de la CMU et a réaffirmé la possibilité dune application partenariale du projet de loi. Le débat parlementaire et les échanges qui se poursuivent entre les différentes parties intéressées permettront de confirmer cette orientation. Pour sa part, le Gouvernement souhaite clairement quune coopération sinstaure entre les régimes de base et les organismes de couverture complémentaire et que, dans la majorité des cas, chacun demeure dans son rôle.
En ce qui concerne les cotisations et la participation, même symbolique, des bénéficiaires au financement de la CMU, la question est ouverte et doit être approfondie. La réponse qui y sera donnée est effectivement de nature à inscrire lapplication de la loi dans une logique partenariale. Le projet de loi doit donc être éclairci sur ce point.
Il en est de même pour la répartition des rôles entre les régimes de base et les organismes de couverture complémentaire. Il nest nullement dans les intentions du Gouvernement dengager le régime général dans la gestion dun régime complémentaire. Il convient donc de corriger, dans le texte, les dispositions qui pourraient le laisser penser. Au sein de la population concernée par la CMU, il y a cependant des cas où linsertion dans un régime contractuel sera difficile, voire impossible. A ce moment là, louverture dun guichet unique, comme le droit actuel le prévoit dores et déjà pour les personnes en grande difficulté, est manifestement la meilleure solution.
La maîtrise de lévolution des dépenses de santé est en tout état de cause indispensable pour garantir un niveau pérenne de couverture complémentaire. Quant à lassiette de la contribution, elle doit être précisément définie.
M. Germain Gengenwin, après avoir souligné le caractère exemplaire du régime dassurance maladie complémentaire dAlsace-Moselle qui est autonome et financé par une contribution propre, sest inquiété de la complexité de la gestion de la couverture complémentaire quentraîne ce projet de loi, avec par exemple le transfert de laide médicale déjà gérée par les départements.
Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, après avoir constaté une nette divergence entre le résultat de la concertation préalable et le texte du projet de loi, sest inquiétée du risque de découragement des acteurs concernés et des possibilités damélioration du texte encore possibles à loccasion du débat parlementaire.
Le président Jean Le Garrec a indiqué que le Gouvernement avait été amené à retenir un scénario mixte, à la suite dun cheminement complexe. Il sest aussi interrogé sur la connotation de lexpression passager clandestin .
En réponse aux intervenants, M. Denis Kessler a apporté les éléments dinformation suivants :
- Les termes de passager clandestin renvoient à lexpression anglaise free rider , qui, en théorie des choix publics, désigne le bénéficiaire dun équipement public ne payant jamais de droits dentrée.
- 85 % des Français disposent dune couverture complémentaire quils payent. Dans un cadre contractuel, ils choisissent la société ou la mutuelle qui leur convient le mieux et ont le choix entre plusieurs alternatives.
- La logique partenariale a été clairement écartée. On ne peut à la fois dire que tout est partenarial mais que rien nest décidé par les partenaires. Les mécanismes fondamentaux de la CMU ne relèvent pas des partenaires, par exemple la fixation du panier de soins. Linstitution dune taxe au lieu dune contribution jette par ailleurs une suspicion sur lengagement des parties. Les réseaux des 17 000 agents généraux auraient pu participer à leffort de solidarité sur une base volontaire. Il sera sans doute plus facile aux assureurs de payer la contribution sans participer aux mécanismes daccueil. Ce que le projet de loi exige permet aux compagnies dassurances de ne pas simpliquer dans le mécanisme, en étant simplement taxées.
- La contribution exigée de lassuré est indispensable par principe. Une mutuelle ou une assurance doivent demander à leurs adhérents dacquitter un droit, même symbolique, de manière à ce quexiste un contrat.
- Lassiette de la contribution devrait être limitée aux seules dépenses de soins, hors indemnités journalières et dépenses dinvalidité, qui ne sont pas de même nature. Lexistence même de la liberté de prestations de services et la nature non fiscale de la contribution sopposent à un dispositif qui crée une distorsion et risque de conduire certaines personnes à sadresser à des sociétés étrangères qui ne supporteront pas cette taxation, pour bénéficier dune couverture complémentaire à moindre frais.
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