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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 70

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 15 septembre 1999
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Pierre Joxe, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel de la Cour des comptes sur la sécurité sociale

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La commission a entendu M. Pierre Joxe, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel 1999 de la Cour des comptes sur la sécurité sociale.

Le président Jean Le Garrec a remercié M. Pierre Joxe d'avoir tenu son engagement de remettre le rapport annuel un mois plus tôt que l'an dernier, même s'il serait idéal que ce rapport puisse sortir en juillet, ce qui ne dépend pas de la Cour mais d'une chaîne de production des comptes de la sécurité sociale encore trop lente.

Depuis le mois de mars dernier, la commission des affaires sociales a amorcé une fructueuse collaboration avec la Cour qui s'est traduite notamment par quatre réunions de travail avec les magistrats de la sixième chambre pour exploiter le rapport 1998. Ces réunions ont eu comme objet l'assurance maladie, la famille et la vieillesse. Elles seront poursuivies sur le rapport 1999 dans les semaines qui viennent.

Par ailleurs, la commission avait indiqué une liste de sujets sur lesquels elle souhaitait orienter les travaux de la Cour. Pour le rapport 2000, la commission s'efforcera de formuler plus tôt ses demandes, après qu'elles puissent être intégrées dans le rapport.

M. Pierre Joxe a présenté le rapport en précisant qu'il s'agissait du cinquième rapport rendu au Parlement sur la sécurité sociale et du deuxième rendant compte de l'application de la loi de financement de la sécurité sociale.

Ce travail relativement nouveau est effectué par la sixième chambre de la Cour des comptes qui consacre toute son activité à la sécurité sociale. Au demeurant, des difficultés subsistent dans l'établissement des comptes sociaux. A cet égard il faut souligner l'impérieuse nécessité d'obtenir des comptes en droits constatés et dans des délais plus courts. Par ailleurs, on peut déplorer que certains documents aient fait l'objet de fuites avant la parution du rapport. Bien entendu ces fuites ne sont pas sans lien avec la communication du pré-rapport aux administrations pour qu'elles puissent répondre aux observations de la Cour.

Il y a lieu en effet de se féliciter que la commission des affaires sociales entretienne des relations suivies et fructueuses avec la sixième chambre de la Cour. L'apport de la Cour peut être très intéressant pour le Parlement dans la mesure où, si elle s'attache à la vérification des comptes, elle remplit en outre une tâche d'évaluation des politiques publiques en vérifiant que les objectifs fixés par les pouvoirs publics sont atteints.

Pour cette année, c'est surtout la maîtrise du risque maladie qui a fait l'objet des travaux de la Cour. Un grand nombre de recommandations ont été faites comme chaque année. Il faut savoir que ces recommandations ont été, dans le passé récent, largement prises en compte par les organisations et administrations concernées.

M. Gabriel Mignot, président de la sixième chambre, a d'abord présenté un bilan des suites données aux questions posées par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales :

- Sur les unions régionales des médecins libéraux, un problème juridique de compétence s'est posé à la Cour des comptes, auquel elle attend une réponse très prochainement.

- Sur la caisse autonome de retraite des médecins français (CARMF), un contrôle a été effectué et réponse sera donnée avant la fin de l'année, après consultation de cet organisme.

- Sur la formation médicale continue, les éléments les plus importants de la réponse se trouvent dans le rapport.

- Sur les retraites, les réponses aux questions précises posées au mois de juin dernier seront données prochainement à l'occasion de la rencontre avec le rapporteur.

Comme l'a indiqué le Premier président, le thème central du rapport est la maîtrise du risque maladie. Toutefois le travail de la Cour sur la branche maladie doit être apprécié sur plusieurs années, un champ aussi vaste et complexe ne pouvant être couvert que sur une période de moyen terme. Un long travail de reconnaissance des lieux et d'identification des leviers d'action reste donc à accomplir.

Les branches vieillesse et famille ne sont évoquées que de manière annexe dans le rapport, en ce qui concerne quelques points particuliers comme la validation des périodes assimilées où le problème des pluripensionnés. La Cour s'est également interrogée sur l'action sociale des branches du régime général, ce qui l'a amenée à constater la nécessité de clarifier les règles en la matière tout en laissant une plus grande marge de man_uvre aux institutions locales. Enfin, compte tenu du fait que la qualité du système de sécurité sociale dépend de la qualité des moyens de gestion, la Cour a examiné l'intendance de l'assurance maladie, notamment au niveau des personnels.

M. Claude Thélot, rapporteur général, a présenté succinctement les grands thèmes du rapport.

En ce qui concerne l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, la Cour a tout particulièrement examiné la mutation du financement réalisée au moyen du transfert des cotisations d'assurance maladie vers la CSG. Ses conséquences macro-économiques correspondent à une augmentation de 4,5 milliards de francs de la contribution des ménages au financement de la sécurité sociale. S'agissant des dépenses, la Cour a étudié la mise sous condition de ressources des allocations familiales puis le retour à leur universalité, ainsi que la réduction de l'AGED.

En ce qui concerne les comptes de la sécurité sociale, la Cour a constaté que les prévisions de recettes et de dépenses avaient été dépassées de 13 milliards de francs, en raison notamment du dérapage de la branche maladie et de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire. Le déficit du régime général est en nette diminution, sans que l'équilibre soit atteint pour autant. Il faut souligner que l'ampleur de ce déficit dépend de la manière dont on le mesure : il est de 10 milliards de francs en droits constatés et de 18 milliards de francs en encaissements/décaissements. Cela prouve le rôle capital de la qualité des comptes pour pouvoir porter un véritable diagnostic quantitatif sur les comptes de la sécurité sociale.

Le rapport de la Cour comprend également la synthèse des avis des comités départementaux d'examen des comptes des organismes de sécurité sociale (CODEC). Ceux-ci ont constaté un affaiblissement des mouvements de contestation du recouvrement des cotisations. Ils ont également contrôlé le rôle des URSSAF et des caisses de MSA dans la lutte contre le travail illégal, pour laquelle ils ont constaté des difficultés spécifiques pour la MSA.

La Cour a consacré une partie importante de son rapport à la maîtrise du risque maladie. Dans ce domaine, quelques points saillants méritent d'être relevés :

- La qualité des agrégats de la loi de financement peut être améliorée. S'agissant de l'ONDAM, dont la décomposition est décortiquée par la Cour, l'exécution dépasse de 9,5 milliards de francs les prévisions pour 1998.

- S'agissant de la politique hospitalière, la Cour a analysé la manière dont est répartie la dotation nationale entre régions et la dotation régionale par l'ARH compétente. Cette répartition est perfectible afin de mieux réduire les inégalités entre régions qui ne doivent pas être considérées comme autarciques et en prenant en compte réellement l'offre existante et son coût.

- La Cour a mené une réflexion sur l'offre de soins de ville, tant en ce qui concerne sa quantité (nombre de préretraites pour les médecins) que sa qualité (formation médicale continue, informatisation).

- La distribution des médicaments se fait d'une manière satisfaisante mais à un taux excessif, a estimé la Cour.

- S'agissant de la gestion du risque par la CNAM, la Cour n'a jamais dit que la caisse « paye en aveugle » mais elle constate qu'il y a des progrès à faire dans l'analyse des comportements des médecins et des patients moyens.

La Cour a enfin abordé trois thèmes annexes. Premièrement, l'action sociale des caisses est primordiale car le système de prestations légales uniformes ne peut pas suffire pour tenir compte des multiples réalités locales. Il se pose toutefois un problème d'équité, par exemple en matière d'aide au maintien à domicile ou de crèches. Deuxièmement, la gestion prévisionnelle des effectifs des caisses de sécurité sociale concerne tous les risques du régime général. Il y manque des outils de gestion prévisionnels et d'adaptation aux changements profonds des métiers impliqués par l'informatisation ou la mise en place de la CMU. Troisièmement, les retraites sont abordées au niveau de leur financement, pour lequel le fonds de réserve doit être plus amplement utilisé, et au niveau de la complexité du système des pluripensionnés, qui entraîne là aussi une certaine inéquité.

Après l'exposé des magistrats de la Cour des comptes, M. Claude Evin, rapporteur pour l'assurance maladie et les accidents du travail du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, a posé des questions et formulé des observations sur :

- l'évolution des prélèvements sur les revenus du travail à la suite de la substitution de la CSG à la cotisation d'assurance maladie ;

- l'impact des modifications de tarification sur les établissements privés ;

- la nécessité de repenser le dispositif relatif à la formation médicale continue mis en place par les ordonnances de 1996 et d'y introduire un système de certification ;

- la politique conventionnelle dont il faut revoir le mécanisme ;

- la distribution de médicaments, en particulier en ce qui concerne le rôle des grossistes répartiteurs qui n'existent nulle part ailleurs en Europe ;

- la gestion du risque. Il apparaît que sur ce point encore, la caisse nationale d'assurance maladie exerce un contrôle sans pouvoir réel de sanction, tandis que les commissions médicales régionales (CMR) instituées par les ordonnances de 1996 ne donnent pas non plus satisfaction ;

- les indemnités journalières dont il faudra également modifier le mécanisme par voie législative ;

- l'adaptation des objectifs de l'action sociale des caisses, sans doute trop axés sur des concepts anciens en particulier en ce qui concerne les structures d'hébergement.

Le président Jean Le Garrec a souhaité connaître l'avis de la Cour sur la délégation de gestion donnée par l'Etat aux caisses. Il conviendrait en effet de mieux identifier les outils à améliorer ou à inventer pour permettre aux caisses d'assumer réellement cette responsabilité.

M. Jean-Luc Préel a posé des questions sur :

- la possibilité de mettre, l'année prochaine, le rapport de la Cour des Comptes sur la sécurité sociale à la disposition des parlementaires quelques jours avant sa présentation devant la commission de l'Assemblée nationale afin d'en faciliter l'examen ;

- la répartition des rôles de l'Etat et de la CNAM concernant l'établissement des conventions avec les syndicats médicaux et paramédicaux ;

- le basculement des cotisations au profit de la CSG dont on peut penser qu'il contribue à établir une perception étatisée des ressources de la sécurité sociale ;

- les critères de répartition entre soins ambulatoires et en établissements par l'ONDAM ;

- la participation de l'Etat à la compensation des exonérations des charges sociales et l'imputation de celles-ci quand elle n'est pas assurée ;

- les moyens mis en _uvre pour mettre fin rapidement aux inégalités en matière d'équipements hospitaliers ;

- le rôle réel des conseils d'administration des hôpitaux ainsi que la participation éventuelle des collectivités locales au financement des établissements ;

- les moyens envisagés pour faire de la CNAM un acteur avisé et non aveugle ;

- la mise en place de la carte Sesam-Vitale ;

- le caractère inflationniste ou non du système du tiers payant.

M. Yves Bur a observé que la confusion des rôles entre l'Etat et l'assurance maladie semble être la principale source d'inefficacité. La CNAM, en présentant son plan stratégique, a certainement voulu essayer d'obtenir une clarification des rôles. Si la politique de la santé publique au sens strict relève effectivement de la compétence de l'Etat, personne ne sait de qui relève la politique de l'assurance maladie. D'autre part, il est évident que le système conventionnel est totalement archaïque. Là encore, on ne sait pas qui pilote ce système.

M. Denis Jacquat, rapporteur pour l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, a estimé indispensable que soit mise en _uvre une méthode stable de calcul du déficit de l'assurance maladie.

M. Germain Gengenwin a demandé si la Cour des comptes menait une étude prospective sur l'application des 35 heures dans les hôpitaux publics.

En réponse aux intervenants, M. Claude Thélot a formulé les observations suivantes :

- Pour ce qui est de la CSG, les 4,5 milliards supplémentaires payés par les ménages se décomposent en trois éléments : une baisse de 18 milliards sur les revenus d'activités, une augmentation de 21 milliards sur les revenus du capital et une augmentation de 2 milliards sur les revenus des placements. Ainsi, si certains ménages ne disposent que de revenus du patrimoine, ils se sont vus pénalisés par la substitution de la CSG aux cotisations d'assurance maladie. L'effet a été inverse, en revanche, pour les ménages ne disposant que de revenus d'activités.

- Pour ce qui est des cliniques privées, le rapport n'aborde pas expressément leur fonctionnement. Mais, l'enveloppe des cliniques privées est étudiée dans l'analyse approfondie qui est faite de l'ONDAM.

- En ce qui concerne la formation médicale continue, la Cour des comptes donne la recommandation suivante dans son rapport : « élaborer le cadre permettant la mise en _uvre de l'obligation pour les médecins de suivre une formation médicale continue ». Pour l'instant, ce cadre n'existe pas.

- La distribution du médicament semble effectivement coûteuse. Toute la chaîne de la distribution, et non seulement la partie concernant les grossistes-répartiteurs, a un coût important par rapport aux autres pays européens. La réglementation autorise des rentes excessives.

- Pour ce qui est du fonctionnement du risque maladie, revoir le système des sanctions n'était pas suffisant. C'est l'ensemble du système conventionnel qu'il faut revoir. La Cour a formulé la recommandation suivante : « mener une réflexion sur un nouveau dispositif de relations avec les professionnels de santé dans lequel chacun s'engagerait sur des bases contractuelles ». Cette réforme de la relation entre les caisses et les médecins est indispensable.

M. Claude Evin, rapporteur pour l'assurance maladie et les accidents du travail, a considéré que le système conventionnel ne fonctionnait plus et que le mécanisme qui encadre excessivement les négociateurs prévu par la loi de 1970 est obsolète. Il est nécessaire de réviser le plus vite possible tous les articles du code de la sécurité sociale concernant le système conventionnel car la pratique actuelle de la conclusion, de l'annulation par le Conseil d'Etat puis de la validation législative n'est plus tenable.

M. Gabriel Mignot a confirmé que le système conventionnel est paralysé. Aujourd'hui, ce système qui est pourtant un système contractuel entrant dans le champ du droit privé, est régi par des règles du droit public. Cette contradiction première explique la paralysie actuelle. Elle n'existe pas dans le régime de l'assurance chômage. Lorsqu'un chômeur ne respecte pas les règles de l'assurance chômage, il est sanctionné en application de règles du droit privé. Un tel système pourrait être transposé à l'assurance maladie. Il s'agirait de mettre en place un cadre législatif très général et des accords privés auxquels adhéreraient patients et médecins.

M. Yves Bur a souligné les difficultés liées à la représentativité syndicale pour la négociation des conventions.

Poursuivant ses réponses, M. Claude Thélot a apporté les précisions suivantes :

- Il existe des rigidités entre les différentes enveloppes de L'ONDAM qui contraignent fortement les arbitrages.

- La méthode actuelle de répartition des enveloppes régionales ne parvient pas à corriger les inégalités. En effet, des modalités globales de répartition sont insuffisantes pour obtenir une baisse des coûts dans certains hôpitaux où ils sont excessifs. Une contractualisation avec les hôpitaux ayant les coûts les plus élevés serait sans doute plus efficace.

- La Cour n'est pas armée pour procéder à des études telles que celle sur l'effet du tiers payant ; elle n'a pas non plus de mission prospective qui lui permettrait d'examiner la mise en place de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux.

M. Denis Jacquat, rapporteur pour l'assurance vieillesse, a posé trois questions relatives à la branche vieillesse :

- sur l'abondement du fonds de réserve des retraites pour 1999, l'origine des fonds et la date de versement ;

- sur l'état d'avancement de l'analyse du financement des régimes spéciaux ;

- sur la mise en concurrence des services d'aide à domicile que pratiqueraient certaines caisses régionales conduisant ainsi à un nivellement par le bas de ces services.

M. Pascal Terrasse a souhaité connaître le montant exact de l'excédent de la C3S et de l'abondement du fonds de réserve.

M. Gabriel Mignot a indiqué qu'en réponse aux recommandations du rapport qui soulignait le retard pris quant au fonds de réserve, le ministre de l'économie et des finances a simplement observé qu'il partageait le souci de la Cour de donner rapidement à ce fonds un rôle significatif. La base juridique du fonds, elle-même, n'est toujours pas en place.

M. Claude Thélot a souligné le diagnostic de faiblesse porté par la Cour sur les services d'aide à domicile, la CNAV menant en la matière une politique plutôt restrictive.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler a observé que le problème résidait principalement dans l'absence de vrais services d'aide à domicile organisés sur l'ensemble du territoire et offrant aux personnes âgées des services suffisamment diversifiés.


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