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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 31

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 février 2000

(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

pages

- Communication de Mme Hélène Mignon sur l'application de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions : le programme TRACE.

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- Examen de la proposition de loi de M. Jean Le Garrec instaurant une Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France - n° 1727

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- Examen, en application de l'article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi, modifiée par le Sénat, portant abrogation de l'article 78 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle - n° 2117 (M. Jean Rouger, rapporteur).

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- Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu une communication de Mme Hélène Mignon sur l'application de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions : le programme TRACE.

Mme Hélène Mignon, rapporteur, a rappelé l'objectif du programme TRACE qui est de donner à chaque jeune de 16 à 25 ans, en grande difficulté, une chance de rebondir lors d'un parcours d'insertion personnalisé qui s'inscrit dans la durée, dix-huit mois, éventuellement renouvelable par dérogation préfectorale.

Il faut en préalable préciser que la bonne application du programme suppose que soit définie la notion de « jeune en grande difficulté », or il n'y a pas forcément accord sur cette définition. Il suppose également que les acteurs locaux parviennent d'une part à mobiliser les jeunes les plus exclus car ceux-ci ne se présentent pas spontanément dans les missions locales et d'autre part à obtenir leur engagement sur un parcours de long terme.

Le repérage, l'information et la mobilisation des jeunes reposent sur un travail partenarial conduit par les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) en liaison avec les acteurs locaux de l'insertion, dont les centres communaux d'action sociale (CCAS) qui effectuent un travail remarquable et les associations avec lesquelles, d'ailleurs, la coopération devrait parfois être accrue.

Ce travail mené localement, en partenariat, - dans certains départements comme la Moselle par exemple - peut permettre de toucher au plus près de leurs lieux de vie, des publics parfois en rupture de contact avec les structures d'accueil des jeunes. Dans la réalisation de cet objectif les associations d'aide aux personnes en difficulté peuvent constituer des relais efficaces pour adresser aux missions locales les jeunes les plus en difficulté et demandent à pouvoir orienter les jeunes qu'elles connaissent vers le parcours TRACE. Mais il faut bien convenir que ceux pour qui les problèmes de réinsertion sont les plus lourds « effraient » parfois les intervenants institutionnels qui redoutent de ne pouvoir mener à leur égard une action ayant une réelle chance d'aboutir et n'ont pas toujours les moyens de les accueillir. L'intervention d'opérateurs externes aux missions locales de personnes qui connaissent bien ce public, issus des associations par exemple, et qui feraient le lien, pourrait apporter une solution. Les associations rencontrées, bien connues pour leur investissement sur le terrain, le souhaitent et parlent « d'apprivoiser » les jeunes.

Les difficultés à mobiliser les jeunes sont réelles. Elles s'expliquent aussi par le désintérêt ou le scepticisme des intéressés quant au processus qui leur est proposé, et pas forcément par la mauvaise signalisation des publics auprès des missions locales.

La directrice de la mission locale du Lot, par exemple, a insisté sur la difficulté qu'il y avait à demander à un public par définition exclu, de s'intégrer dans un dispositif qui demande un engagement sur dix-huit mois, alors que ces jeunes ne peuvent pas et ne savent pas se projeter à plus de un à deux mois. Beaucoup d'entre eux reculent au moment de passer à la contractualisation.

Pour préparer celle-ci de façon efficace, la mission locale du Mans fait précéder la signature de l'engagement d'une « plate-forme » d'information d'une durée de quatre semaines organisée de façon collective. Celle-ci, financée par la région au titre de la formation et par des actions collectives du fonds d'aide aux jeunes (FAJ) pour les interventions des opérateurs externes permet une mobilisation effective des jeunes. S'il y a concrétisation de l'engagement, elle est ensuite réintégrée dans les dix-huit mois du parcours TRACE. Ce « sas » apparaît très intéressant, ne serait-ce que par la resocialisation qu'il entraîne. A tel point que les jeunes ensuite entrés dans TRACE demandent à ce que de nouvelles réunions informelles soient ensuite organisées avec ceux qu'ils ont côtoyés à cette occasion.

Un premier bilan peut être dressé de l'exécution du programme en 1999.

En décembre 1999, 43 000 jeunes sont entrés dans le dispositif.

L'accroissement régulier du rythme des entrées mensuelles s'étant particulièrement accéléré dans les trois derniers mois de l'année, il est permis de penser que l'objectif annoncé de 60 000 en fin d'année 2000, sera atteint. En effet, si dans certains départements, les missions locales, les PAIO, les opérateurs extérieurs, ont pu se positionner très rapidement après le vote de la loi et la parution des circulaires d'application, force est de constater une très grande disparité sur le territoire dans le calendrier de mise en _uvre du programme. Certaines missions locales n'ont réellement commencé sa mise en _uvre qu'au dernier semestre de 1999, pour des raisons diverses. On a évoqué quelques fois les réticences devant la réorganisation nécessaire des missions locales, mais c'est souvent par besoin de repositionnement que le retard a été pris. Il faut aussi souligner l'éventuel antagonisme avec les intervenants externes qui a entraîné des blocages.

Dans les départements d'outre-mer et les trois régions métropolitaines, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Ile de France et Haute-Normandie, les résultats sont inférieurs à 80 % de l'objectif fixé.

Dans les départements d'outre-mer, cela peut s'expliquer par les difficultés structurelles liées à la modification du statut des agences d'insertion et leur transformation en établissements publics locaux. Les négociations sur cette question ont été très longues ont même entraîné des mouvements de grève du personnel.

Mme Hélène Mignon, rapporteur, a ensuite évoqué caractéristiques principales des jeunes entrés dans TRACE.

95 % des jeunes entrés dans TRACE étaient déjà en relation avec les missions locales, les PAIO et dans quelques régions avec l'ANPE, ce qui ne veut pas dire qu'ils étaient vraiment connus ou avaient déjà accepté une démarche d'insertion, mais qu'ils étaient venus au moins une fois.

La plupart d'entre eux ont quitté le système scolaire depuis un an, deux ans et souvent trois. Plus de la moitié a déjà exercé une activité professionnelle : cela peut signifier qu'ils ont bénéficié d'un CES, d'un CEC, d'un contrat d'apprentissage, d'un contrat de qualification ou d'un stage de formation. Bien sûr, il s'agit d'une étape importante et incontournable pour ces jeunes qui ne se retrouvent pas alors complètement exclus de la société mais ce n'est pas totalement satisfaisant, car c'est vers le vrai emploi qu'ils veulent aller.

En tout état de cause, au moment de leur entrée dans le processus,

- 70 % sont inscrits à l'ANPE mais 12 % seulement bénéficient d'allocation chômage,

- 8 % sont allocataires du RMI,

- 20 % de l'allocation pour parent isolé (API),

et un certain nombre, non négligeable, ne bénéficiaient pas alors d'une couverture sociale. Ceci devrait être réglé par la mise en place de la CMU.

On notera de façon globale, que les garçons sont plus nombreux que les filles, - et que celles-ci sont mieux formées - à 53 % mais il ne s'agit là que d'une moyenne nationale, des différences apparaissant entre les régions. Par exemple, ce sont majoritairement des filles qui sont rentrées dans le dispositif en Corse, Franche-Comté, Bourgogne et Alsace.

90 % des bénéficiaires sont de nationalité française, même si cela ne signifie pas grand-chose, puisque ceux qu'on appelle les première et deuxième générations, qui de toute façon sont sujets aux discriminations à l'emploi, sont français.

Si la fourchette d'âge se situe entre 19 et 25 ans, la moyenne d'âge est de 21 ans au moment de l'entrée dans le programme TRACE.

Le niveau de formation des jeunes entrant dans le dispositif varie selon les régions. Cela résulte, au départ, des choix effectués par les intervenants qui reçoivent les candidats. En effet, au démarrage du dispositif, le choix des publics correspondait à une volonté d'obtenir des résultats plus rapides et plus intéressants, en raison d'une interprétation stricte des textes exigeant des résultats et du délai de 18 mois.

Toujours est-il que 60 % des jeunes ont un niveau de formation VI ou V bis, 37 % ont un niveau CAP - BEP (niveau V) et 3 % ont un niveau bac et au-delà. Cela peut paraître anormal, mais il faudrait pouvoir apprécier leur histoire personnelle avant de pouvoir déclarer qu'ils ne devraient pas être admis dans ce dispositif. En sens inverse le premier des obstacles rencontré par les jeunes les plus lourdement en difficulté reste l'illettrisme. Sur cette question il est toujours difficile aux missions locales de mobiliser des moyens réellement adaptés et une plus grande implication des régions devrait être fortement encouragée.

Mme Hélène Mignon, rapporteur, a ensuite décrit la situation des jeunes entrés dans TRACE :

- 40 % des jeunes rentrés dans le dispositif sont en recherche d'emploi accompagné (parrainage, immersion dans l'entreprise) ;

- 27 % sont en situation d'emploi, mais quatre fois sur dix, au moyen d'un CES. Il est à signaler qu'à Strasbourg un programme spécifique CES/TRACE a été mise en place. Ceux qui ne bénéficient pas d'un CES sont souvent en contrat à durée déterminée ou ont conclu un contrat de travail à temps très partiel qui ne leur donne même pas l'équivalent des revenus accordés à un CES ;

- 16 % ont accepté de suivre une formation ;

- 6 % ont trouvé d'autres solutions (déménagements...) ;

- et 5 % sont sortis du programme.

Même si la sortie du programme n'est pas toujours aisée à identifier en pratique, des jeunes après un silence de plusieurs mois se manifestant parfois à nouveau. Finalement, 1 400 jeunes environ sont sortis du programme :

- la moitié par abandon,

- un peu plus d'un tiers par une situation d'emploi. Mais cet emploi peut en réalité entraîner une grande précarisation car il s'agit souvent de contrats temporaires, d'emplois peu qualifiés, de postes dans des secteurs marqués par une forte rotation, de temps très partiel parfois inférieur à un mi-temps.

Mme Hélène Mignon, rapporteur, a ensuite précisé les moyens mis en _uvre dans le cadre de TRACE et les besoins qui persistent.

La mise en place d'une offre de formation adaptée à tous ces jeunes a nécessité dans de nombreuses régions, une remise à plat des programmes de formation, et constitue un élément important de discussion dans le cadre des contrats de plan que ce soit avec les missions locales, les chambres consulaires, l'AFPA et l'ANPE. La question du traitement de l'illettrisme, comme cela a déjà été signalé, reste insuffisamment résolue.

Les régions, mais aussi les autres collectivité locales sont appelées à participer au fonctionnement des missions locales et des PAIO, afin de financer de nouveaux postes.

Depuis la promulgation de la loi de lutte contre les exclusions, 45 missions locales supplémentaires maillent le territoire. A ce jour, 460 postes supplémentaires ont été cofinancés par l'Etat et les collectivités territoriales. 240 nouveaux postes devraient progressivement être créés selon les mêmes modalités, mais sur le terrain, des collectivités territoriales demeurent réticentes.

La demande des intervenants des missions locales semblerait - après le recadrage sur leurs missions fondamentales et en particulier sur l'accueil d'un public en grande difficulté - porter sur une aide à la confrontation de plus en plus grande avec la violence. Cela n'est pas propre aux missions locales urbaines, et cela se voit dans toutes les structures accueillant des gens en très grande difficulté.

Il faut comprendre combien la nécessité d'avoir un travail et un revenu permet de s'inscrire dans la société et conditionne la solution de nombreux problèmes. Devant les inégalités ces jeunes se révoltent, n'ont pas les mots nécessaires pour une analyse, une discussion, une revendication et seule la violence est au rendez-vous.

Et il n'est pas étonnant, même s'il faudra pourtant trouver des réponses, que dans certaines missions locales, les jeunes adressés par la protection judiciaire de la jeunesse ne soient pas pris en compte.

Mais si les intervenants des missions locales demandent un soutien, ils analysent aussi comme une nécessité la rencontre de la plupart des jeunes avec un psychologue, ou parfois même pensent qu'il faut s'adresser à des services psychiatriques. Il faut « restructurer » la personne avant de vouloir et de pouvoir bâtir un projet. Le référent ne peut à lui seul répondre à tous les besoins même si le contact suivi qui s'établit avec un interlocuteur unique est un des points forts de TRACE et généralement analysé comme tel par les jeunes.

Même si 45 % du public est issu des zones urbaines sensibles, toutes les missions locales, même rurales, sont concernées par ces difficultés.

Prendre en compte les problèmes d'un jeune dans sa globalité, beaucoup de missions locales le faisaient déjà, mais avec un public plus facile. En effet, les missions locales et les PAIO apportent également aux jeunes un appui concernant l'ensemble des difficultés qu'ils peuvent rencontrer dans leur vie quotidienne, en particulier en matière de logement et de santé.

Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur les problèmes de la santé, car ils sont identiques à ceux que l'on trouve chez tous les exclus, mais avec peut-être une note plus douloureuse par la présence de jeunes alcoolo-dépendants et toxicomanes. Dans les grands centres, des réponses existent, encore faut-il convaincre le jeune, le mettre en confiance, lui faire admettre les décisions nécessaires.

Quant au problème du logement qui pour certains, et souvent les plus en difficulté, en rupture avec leur famille, est une condition sine qua non pour rentrer avec volonté et détermination dans le dispositif du programme TRACE, il est difficile à résoudre.

Si en zone urbaine, une solution transitoire peut être trouvée, en attendant que se mettent en place toutes les conditions d'accès à l'aide au logement, la difficulté sera souvent encore plus grande pour un jeune en milieu rural. En effet, lorsque la resocialisation est amorcée, il faut parfois accepter pour continuer le parcours, un stage ou un emploi très éloigné du nouveau lieu de résidence, et les transports en commun n'apportent pas toujours une solution. Où s'adresser, qui rencontrer, et comment pourra-t-on continuer à être suivi par le référent avec qui les rapports privilégiés ont été créés ? Le jeune se pose toutes ces questions. Une initiative intéressante est lancée par la présidente de la mission locale de Tarbes qui recense toutes les places disponibles en Midi-Pyrénées dans le cadre de foyers pour jeunes travailleurs, dans le but de mutualiser les offres et de pouvoir les présenter aux missions locales.

Incontestablement, la difficulté à s'insérer par le logement est encore trop grande et demeure un souci majeur. Un effort doit être fait dans ce sens, des solutions doivent être sérieusement cherchées et sans doute des fonds spécifiques devraient être débloqués.

Réussi un parcours d'accompagnement vers l'emploi consiste également en une meilleure prise en compte de la situation matérielle du jeune. Il faut pouvoir faire face à d'éventuelles difficultés financières, ne serait-ce que pour garder un logement trouvé avec difficulté ou pour éviter, tout simplement, l'abandon par le jeune de son parcours TRACE.

Les associations insistent sur le caractère indispensable, pour la viabilité du programme et de l'engagement du jeune, de pouvoir lui trouver des moyens minimaux de vie pendant la durée du parcours. Les périodes d'immersion en entreprise, par exemple, ne sont pas financées.

Sans être partisan de l'assistance systématique, les opérateurs demandent que le recours au fonds d'aide aux jeunes (FAJ) soit facilité.

La circulaire du 20 mai 1999 relative à l'utilisation des FAJ dans le cadre du programme TRACE a donné clairement des indications dans ce sens aux DRASS et aux DDASS. Les FAJ ne sont pas dédiés exclusivement aux jeunes qui relèvent du programme TRACE, mais ils doivent pouvoir être pleinement utilisés en appui de ce dispositif. Ces aides sont destinées selon le décret du 27 mars 1993 aux jeunes français ou étrangers en situation régulière et sont destinées à favoriser une démarche d'insertion, et Mme Martine Aubry, dans sa circulaire a bien rappelé la nécessité d'une parfaite articulation du dispositif FAJ avec le programme TRACE.

Sur le terrain, force est de constater que les départements n'ont pas toujours abondé les crédits d'Etat qui par conséquent seront utilisés à d'autres fins, et quand l'Etat et les collectivités remplissent leur contrat, c'est l'appel au FAJ par les travailleurs sociaux qui peut être insuffisant.

Le succès du programme suppose que l'on ne se limite pas aux aspects formation professionnelle même s'ils sont centraux. Résoudre les questions de santé et de logement en particulier ainsi que l'accès à des ressources minimales liées à l'offre d'insertion sont en effet bien souvent en pratique une condition d'adhésion et de réussite. Ces ressources minimales doivent se trouver dans une bonne utilisation du FAJ, une bonne articulation des dispositifs ou plutôt un bon enchaînement entre les CES, les stages de formation, les contrats à durée déterminée...Les chantiers-écoles, comme le soulignent les associations, peuvent constituer une solution souple permettant d'assurer une certaine continuité grâce à des entrées et des sorties permanentes.

Pour parvenir aux meilleurs résultats possibles il faut aussi que les référents puissent consacrer un temps suffisant à chaque jeune dont ils ont la charge. Pour cela ils ne doivent donc pas être responsable d'un nombre trop élevé de jeunes, la qualité de la relation qui s'établit étant un élément clef de la réussite.

Sur le sujet des contrats de qualification, Mme Hélène Mignon a regretté que ce dispositif qui est bien accueilli ne soit pas mieux connu. Il semble toutefois que son coût élevé pour les employeurs soit un frein à son développement.

Enfin, elle a indiqué qu'en dépit des déclarations d'EDF-GDF, on doit toujours déplorer la pratique de coupures d'électricité tandis que l'abonnement social téléphonique, qui consiste à alléger le tarif d'abonnement téléphonique pour les titulaires de certains minima sociaux, n'est pas à ce jour mis en place en raison d'un désaccord sur les modalités pratiques entre les différents intervenants.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Jean Le Garrec a souhaité que cette communication soit largement diffusée auprès des ministres concernés et des acteurs locaux en la complétant par quelques cas précis de mise en _uvre du programme TRACE. L'expérience jusqu'à ce jour souligne la nécessité d'une période de « pré-socialisation » qui permette de ne pas laisser de côté les jeunes les plus en difficulté. Il apparaît par ailleurs nécessaire de mieux utiliser les moyens existants et de rassembler tous les acteurs autour d'une même table.

M. Denis Jacquat a considéré que le coût excessif pour les employeurs que représentent les contrats de qualification ainsi qu'une information insuffisante à leur sujet handicapent le développement de ces contrats.

M. Bernard Perrut a noté que l'un des mérites de TRACE est sans doute d'avoir rappelé aux missions locales leur rôle à l'égard des jeunes les plus en difficulté, rôle dont certaines, mais seulement certaines, avaient pu s'écarter. La principale difficulté réside dans la nécessité de repérer les jeunes les plus en difficulté qui jusqu'à présent sont peu ou pas connus des travailleurs sociaux. Dans ce but, il faut sans doute développer davantage les liens avec les associations sur le terrain. Il ne faut pas cependant perdre de vue la charge de travail supplémentaire qui en résulte pour les missions locales et les PAIO.

Sur le contenu des programmes TRACE mis en place à ce jour, on peut se féliciter des actions engagées faveur de la santé, de la nutrition, du logement et de la lutte contre l'illettrisme. Reste le problème des déplacements des intéressés que certaines collectivités locales ont pu efficacement résoudre par des initiatives intéressantes telles que le covoiturage en milieu rural. Demeure également le problème crucial de la formation et de l'emploi des jeunes face aux discriminations dont ils sont souvent victimes dans le monde du travail. Il faut espérer que les chefs d'entreprise soient davantage sensibilisés au dispositif et qu'ils s'y engagent en plus grand nombre. L'expérience des chantiers-écoles est effectivement positive pour réinsérer les jeunes les plus exclus. Enfin, il faut noter les réticences de certaines collectivités locales à cofinancer des actions dans le cadre de TRACE au motif que ce programme relève de la solidarité nationale.

M. Jean-Paul Durieux a fait les remarques suivantes :

- Le programme TRACE comportant une obligation de résultat, celle-ci pouvait conduire les missions locales à sélectionner les jeunes, laissant les plus en difficulté en dehors du dispositif. La mobilisation des acteurs sur le terrain pour détecter ces jeunes doit donc être très forte.

- Des postes ont été crées dans les missions locales et ils sont indispensables. On ne peut cependant que regretter leur caractère précaire, c'est à dire le fait qu'ils n'existent que pour la durée de l'opération.

- Il est regrettable que les FAJ ne soient pas suffisamment sollicités par les acteurs et que de nombreuses collectivités locales ne contribuent pas au financement de ceux-ci.

- Il est indispensable de renforcer les moyens humains et financiers des missions locales qui, du fait des programmes TRACE, ont des tâches nouvelles et lourdes à accomplir pour aider à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté.

M. Michel Herbillon a observé, en tant que président de mission locale depuis dix ans, les résultats très satisfaisants obtenus par ce type de structure que ce soit en termes de formation des jeunes, d'insertion sociale ou de recherche d'emploi. Les missions locales conduisent aujourd'hui des actions diverses en direction des jeunes en difficulté : orientation vers les services sociaux, éducation à la santé et notamment à la nutrition, soutien scolaire, sensibilisation aux nouvelles technologies au travers, par exemple, de l'utilisation des fichiers d'emplois. Toutes ces actions sont très fructueuses, aussi il est absolument nécessaire de ne pas réduire les moyens des missions locales qui ont un rôle essentiel à jouer en termes d'insertion des jeunes.

M. Philippe Vuilque a noté que le parrainage était un dispositif qui s'avérait très efficace. En effet par ce biais des chefs d'entreprises s'impliquent vraiment dans une démarche de suivi des jeunes qui peut déboucher sur un emploi durable. Il est donc dommage qu'il reste expérimental et que son financement ne soit pas pérenne.

*

La commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Daniel Marcovitch, la proposition de loi de M. Jean Le Garrec instaurant une Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France - n° 1727.

M. Daniel Marcovitch, rapporteur, a tout d'abord indiqué que l'objet principal de la proposition de loi consistait à donner un fondement et une légitimité législatifs à la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv, le 16 juillet, afin de renforcer le devoir de mémoire qui incombe à la Nation tout entière à l'égard d'une période particulièrement contrastée de son histoire. Certes, à la suite du décret présidentiel du 3 février 1993, à six reprises déjà sur l'ensemble du territoire français, des cérémonies ont eu lieu pour commémorer les « persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite " gouvernement de l'Etat français " (1940-1944) ». Il est cependant aujourd'hui nécessaire que le Parlement joue pleinement son rôle afin de mettre en _uvre, grâce à cette proposition de loi, le devoir de mémoire sur ces années sombres de l'histoire de France, en établissant explicitement la responsabilité de l'Etat français dans ces crimes racistes et antisémites.

Si l'ombre que représente le gouvernement de Vichy est aujourd'hui bien présente dans les mémoires, il est regrettable qu'à l'inverse, la Nation n'ait à ce jour toujours pas reconnu les formidables actes de résistance entrepris par des concitoyens dans l'anonymat et à titre individuel, pour protéger des populations menacées, des juifs mais également des tsiganes ou des homosexuels notamment. Ces personnes, souvent d'origine modeste, ont, au péril de leur vie, fait preuve d'un courage exemplaire en hébergeant clandestinement ou en protégeant des dizaines de milliers de juifs. Grâce à ces actes de solidarité et de courage, les trois quarts des juifs résidant en France ont pu échapper à la déportation vers les camps de concentration.

A ce jour, ces héros n'ont eu droit qu'à la reconnaissance de l'institut israélien de Yad Vashem, crée en 1953 et habilité à décerner le titre de « Juste parmi les nations » ou à celle du Consistoire central israélite de France qui leur a rendu, le 2 novembre 1997, un hommage solennel en érigeant près de Thonon-les-Bains un monument à leur mémoire et à leur courage.

Plus de cinquante-cinq ans après ces événements, il apparaît indispensable que la République puisse également récompenser les actions de ceux qui ont alors sauvé l'honneur de la France par leur comportement de désobéissance humaniste. Il était envisagé dans la proposition de loi de créer un nouveau titre de « Juste » de France, mais à la suite des auditions et après réflexion il est apparu qu'il y avait ainsi un risque de confusion avec le titre déjà décerné par l'institut Yad Vashem. Ce risque et le fait que d'autres médailles et formes de reconnaissance existent déjà en France ont conduit à abandonner cette idée. En revanche, il demeure tout à fait opportun de conférer une base législative à la journée de commémoration du 16 juillet. Celle-ci doit être consolidée par un acte politique de l'ensemble des représentants de la Nation et ne saurait dépendre d'un seul décret.

En définitive, il convient de mettre un terme au mythe de l'irresponsabilité de l'Etat. Comme l'a indiqué le Premier ministre, M. Lionel Jospin, le 20 juillet 1997, à propos de la rafle du Vel d'Hiv : « Cette rafle fut décidée, planifiée et réalisée par des Français [...] Rappeler cela, si révoltante que soit cette réalité, ne nous conduit pas à confondre le régime de Vichy et la République ». Les procès de personnalités comme Maurice Papon ou Paul Touvier ont permis d'examiner la responsabilité individuelle de quelqu'uns, mais ils n'ont pas traité de la question de la responsabilité collective. C'est cette responsabilité collective qui doit aujourd'hui être reconnue par un acte politique fort.

L'actualité récente, notamment en Autriche, montre à quel point le devoir de mémoire est essentiel. Le fait que le gouvernement autrichien compte actuellement en son sein des membres qui se réfèrent volontiers à la période de la deuxième guerre mondiale apparaît très préoccupant à cet égard. L'Autriche, qui a souvent été décrite, largement à tort, comme la victime de l'Anschluss, a joué un rôle beaucoup plus ambigu à cette époque.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Jean Le Garrec a rappelé qu'il avait déjà déposé une première proposition de loi en 1992. Il s'agissait de faire officiellement reconnaître dans un texte de loi la responsabilité du gouvernement de Vichy dans les crimes racistes commis pendant cette période sombre de l'histoire de France. Il a fallu attendre vingt ans et le travail de quelques historiens, notamment américains, pour que la société française puisse regarder de façon plus exacte la réalité de ce passé peu glorieux. Le président de la République Jacques Chirac a reconnu, dans un discours essentiel le 16 juillet 1995, cette responsabilité fondamentale de l'Etat français. Il reste que cette question n'a, jusqu'à présent, jamais fait l'objet d'un véritable débat démocratique au Parlement.

De la même façon, il est très regrettable que l'Assemblée nationale n'ait jamais eu l'occasion de rendre un véritable hommage aux quatre-vingt parlementaires qui ont refusé, le 10 juillet 1940, d'accorder les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Ces parlementaires, qui se sont alors illustrés par une si grande clairvoyance et un courage exemplaire, n'ont pas reçu de la Nation la reconnaissance qui leur est due, à l'exception de l'hommage qui a été rendu dans l'hémicycle le 20 juin 1990, à l'initiative du président Laurent Fabius, en l'honneur des trois anciens députés encore vivants à l'époque, dont Maurice Montel présent dans les tribunes.

Il convient d'avoir aujourd'hui un regard objectif sur le passé de notre pays, en discernant aussi bien les ombres que la lumière. Malgré l'horreur de l'Holocauste, il ne faut pas oublier les actes de bravoure de ceux et celles qui, de manière anonyme, ont par leurs actes sauvé un grand nombre de femmes, d'hommes et d'enfants juifs et tsiganes. Comme Alain Touraine l'a fort justement écrit, « une nation qui ne sait pas regarder son passé, ne sait pas regarder son avenir ». Ainsi la France ne saurait s'exonérer de toute responsabilité dans les événements qui ont marqué cette période noire.

M. Michel Herbillon a fait les observations suivantes :

- Les Français éprouvent collectivement une certaine difficulté à assumer leur histoire et notamment ses épisodes les plus obscurs. Les progrès dans la reconnaissance de la responsabilité du régime de Vichy sont relativement récents et il faut retenir le discours du président de la République Jacques Chirac lors des cérémonies du 16 juillet 1995.

- Il est important que la République française puisse honorer comme elles le méritent les personnes qui ont fait preuve d'un courage admirable au cours de cette période sombre. Comme le disait Vladimir Jankelevitch, « Commençons par le commencement, et au commencement il y avait le courage ». Chacun sait que le courage n'est pas la chose la plus partagée au monde. C'est la raison pour laquelle il est essentiel de reconnaître les actes nobles accomplis par des femmes et des hommes qui se sont comportés en héros pendant que d'autres agissaient de façon médiocre, voire ignoble. Il est d'autant plus louable de vouloir célébrer le courage des héros de cette période que ceux-ci ont en général tendance à ne pas souhaiter se mettre en avant.

- Les parlementaires doivent, pour leur part, accomplir un travail beaucoup plus profond en faveur de la reconnaissance de ces actes. Il est curieux et regrettable que le Parlement et la Nation ne rendent pas véritablement hommage aux quatre-vingt parlementaires ayant dit non au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Si le musée du Parlement à Versailles comporte une salle où figurent les portraits de ces quatre-vingt parlementaires, il n'existe en revanche aucune plaque commémorative dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale

- Il est indispensable d'associer les jeunes générations aux actions commémoratives pour préserver la mémoire. L'effort de pédagogie doit en effet passer par une sensibilisation de la jeunesse. De ce fait, on peut se demander si une autre journée commémorative que le 16 juillet, situé en dehors des périodes scolaires, ne pourrait être envisagée.

- En ce qui concerne le cas de l'Autriche, une des raisons pouvant expliquer que les électeurs aient porté au pouvoir un gouvernement comportant des personnalités se référant à ce passé opaque de leur pays est qu'à aucun moment depuis plus d'un demi-siècle, cette nation n'a éprouvé et assumé un sentiment de culpabilité vis-à-vis du nazisme. Le travail de réflexion et d'introspection accompli par le peuple allemand dès le sortir de la seconde guerre mondiale n'a jamais été réalisé en Autriche, ce qui permet d'expliquer pour partie la situation politique que connaît actuellement ce pays.

M. Serge Blisko s'est interrogé sur le moyen de décerner aux héros de cette période un titre qui n'entre nullement en concurrence avec celui accordé par l'institut Yad Vashem, mais qui permette de bien marquer la reconnaissance de la République française envers leur acte de courage. Ces « Justes », qui sont souvent des personnes discrètes, doivent être récompensés de façon officielle par une cérémonie ayant aussi un caractère pédagogique pour la jeunesse. Le problème se trouve aggravé du fait que les bénéficiaires éventuels sont aujourd'hui des personnes très âgées.

M. Bernard Schreiner a indiqué qu'en tant qu'alsacien, il était particulièrement sensible à cette proposition de loi. En effet, l'Alsace a été singulièrement touchée tant par son annexion par l'Allemagne nazie en 1940 que par l'expulsion des juifs qui étaient pourtant bien intégrés dans la population. Il faut donc saluer ceux qui ont eu le courage de résister, en protégeant des juifs ou des personnes enrôlées de force dans les armées allemandes. Cette proposition de loi revêt par ailleurs un intérêt essentiel aujourd'hui encore, avec les purifications ethniques auxquelles on assiste dans les Balkans ou l'arrivée de l'extrême-droite au pouvoir en Autriche.

M. Bernard Perrut a salué l'unanimité qui se dégage aujourd'hui autour d'une période sombre de l'histoire de France, en soulignant que l'on évoque trop souvent les méfaits des collaborateurs au détriment des actions d'éclat de ceux qui ont résisté ou sauvé des vies humaines. S'il est possible de pardonner, on ne doit cependant pas oublier et il y a donc un devoir de mémoire envers les jeunes générations.

Mme Hélène Mignon a également soutenu ce nécessaire devoir de mémoire, en soulignant que dans chaque famille française on peut connaître quelqu'un qui a résisté ou sauvé des persécutés sans pour autant en faire état. Il faut mobiliser les maires de toutes les communes de France pour recueillir et sauvegarder ces témoignages et ainsi préserver la mémoire collective.

M. Jean-Claude Beauchaud a évoqué le relais possible que pourrait être le Parlement des enfants pour honorer les quatre-vingt parlementaires qui ont voté non le 10 juillet 1940.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a indiqué qu'en ce qui concerne le travail de mémoire, il eût été possible de retenir la date du 3 octobre, qui se situe en période scolaire et qui correspond à la promulgation du premier statut des juifs par l'Etat français, mais qu'il ne faut cependant pas multiplier les journées commémoratives à des dates différentes - le 16 juillet étant une date symbolique forte déjà commémorée depuis six ans - et qu'il existe au niveau des lycées un concours national de la Résistance et de la déportation. Par ailleurs, le centre de documentation juive contemporaine (CDJC) va devenir le centre européen de la Shoah, lieu riche en documentation qui sera accessible aux écoles.

En ce qui concerne le titre de « Juste », il s'agit d'une référence à la Genèse où il est dit que l'existence de cinquante « Justes » pourrait sauver la ville de Sodome de la punition divine. Ce terme a été repris par l'institut Yad Vashem de Jérusalem qui décerne le titre de " Juste parmi les nations ". Il existe donc un fort attachement de la communauté juive à ce terme. Toutefois, rien n'interdit à la France de rendre hommage collectivement à ses « Justes » qui ont sauvé son honneur en sauvant des juifs, en agissant selon la conscience humaine et pas selon le droit de l'époque. Dans le cadre des cérémonies du 14 juillet, il serait également possible d'envisager l'attribution de la Légion d'Honneur à ces « Justes » de France.

M. Michel Herbillon a souhaité savoir si la notion de titre de « Juste » de France était abandonnée.

Le rapporteur a indiqué que le terme de « Juste » était conservé mais non le titre correspondant, en précisant qu'il ne fallait pas créer de confusion avec le titre de Juste parmi les nations délivré par l'institut Yad Vashem de Jérusalem aux non juifs qui ont sauvé des juifs du génocide. Or la communauté tzigane est aussi concernée. La solution retenue est la plus honorable puisqu'elle traduit la reconnaissance collective par la France de ses héros, pour la plupart déjà décédés et parfois inconnus.

Le président Jean Le Garrec a relevé la grande sensibilité de toutes les communautés concernées lorsqu'il s'agit d'histoire. Le Parlement doit toutefois assumer ses responsabilités en rendant solennellement hommage à ceux qu'il n'est pas possible d'appeler autrement que « Justes ».

La commission a adopté, à l'unanimité, la proposition de loi dans le texte proposé par le rapporteur.

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La commission a examiné en application de l'article 88, sur le rapport de M. Jean Rouger, les amendements à la proposition de loi, modifiée par le Sénat, portant abrogation de l'article 78 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle - n° 2117. Elle a constaté qu'elle n'avait été saisie d'aucun amendement.

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Informations relatives à la commission

La commission a nommé le rapporteur et les membres de la mission d'information sur la sécurité dans les établissements scolaires.

Président et rapporteur :

M. Bruno Bourg-Broc

Membres :

 

M. Serge Blisko

 

M. Yves Bur

 

M. Pierre Carassus

 

M. Yves Durand

 

M. Patrick Malavieille

 

M. Bernard Perrut

 

M. Alfred Recours

 

M. André Schneider

La commission a désigné M. Jean-Pierre Baeumler rapporteur sur la proposition de résolution de M. Pierre Lequiller tendant à la création d'une commission d'enquête relative à la violence dans les établissements scolaires - n° 2107.

La commission a ensuite désigné M. Daniel Marcovitch rapporteur de la proposition de loi de M. Jean Le Garrec instaurant une Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France - n° 1727.


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