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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 33

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 1er mars 2000

(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution de M. Pierre Lequiller tendant à la création d'une commission d'enquête relative à la violence dans les établissements scolaires - n° 2107 rectifié (M. Jean-Pierre Baeumler, rapporteur)

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- Communication de M. Alfred Recours sur les musées

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La commission a examiné, sur le rapport de M. Jean-Pierre Baeumler, la proposition de résolution de M. Pierre Lequiller tendant à la création d'une commission d'enquête relative à la violence dans les établissements scolaires- n° 2107 rectifié.

M. Jean-Pierre Baeumler, rapporteur, a indiqué qu'aux termes de la proposition de résolution, une telle commission serait "chargée d'enquêter sur les causes des actes de violence scolaire et les réponses que les pouvoirs publics peuvent y apporter".

Après avoir estimé que cette proposition ne posait pas de problème particulier de recevabilité, il en a examiné l'opportunité.

La réalité du problème de la violence dans les établissements scolaires n'est pas contestable. Ainsi, au cours de l'année scolaire 1998-1999, 240 000 incidents ont été signalés chaque trimestre. Sur l'ensemble de ces déclarations, 2,6 % correspondent à des faits graves qui ont fait l'objet d'un signalement au Parquet. Les victimes de violence, tous degrés de gravité confondus, sont à 78 % des élèves et à 20 % des personnels. Par ailleurs, le sentiment d'insécurité s'est accru entre 1995 et 1998, selon une enquête menée par des universitaires.

Face à cette situation, les pouvoirs publics ne sont pas restés inertes. Les gouvernements successifs ont, depuis 1992, mis en _uvre plusieurs plans de lutte contre la violence à l'école. Le plan engagé en novembre 1997 concentrait les actions et les moyens sur les zones les plus touchées. Il a fait l'objet d'un bilan détaillé à partir duquel a été lancée, en janvier dernier, une seconde phase. La politique menée apparaît comme globale et cohérente.

Si le Parlement a, à l'évidence, un rôle à jouer dans l'information sur la violence scolaire, dans la définition et le suivi de la politique destinée à la combattre, la formule d'une commission d'enquête n'est pas opportune, car elle implique des procédures lourdes, solennelles, inadaptées au milieu scolaire. La mission d'information sur la sécurité dans les établissements scolaires, créée par la commission à l'initiative du groupe RPR le 23 février 2000, répond aux objectifs des auteurs de la proposition de résolution, sans avoir de tels inconvénients. Une mission d'information recourt à des méthodes plus souples qu'une commission d'enquête. En outre, le champ de la mission est plus étendu et permet de replacer la violence à l'école dans un cadre plus large, en abordant la sécurité des personnes, mais aussi celle des bâtiments, la sécurité alimentaire et la responsabilité des chefs d'établissement et des enseignants.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jean Ueberschlag a fait observer que, par rapport à une mission d'information, une commission d'enquête dispose de pouvoirs plus étendus.

M. Yves Durand a souligné qu'une commission d'enquête a nécessairement un aspect suspicieux et que la création d'un nombre excessif de commissions d'enquête risque de nuire à l'impact de leurs travaux. Il n'est pas exact de dire qu'une mission d'information n'a pas de réels pouvoirs d'investigation, comme le montre le travail réalisé sous cette forme par la commission, conjointement avec la commission des finances, sur la gestion des personnels enseignants du second degré.

M. Alain Néri a estimé qu'il ne fallait pas banaliser les commissions d'enquête et il a rappelé que l'école ne devait pas devenir une zone de non-droit.

M. Jean-Pierre Foucher a rappelé que les missions d'information avaient l'inconvénient de ne pas être limitées dans le temps, à la différence des commissions d'enquête, et que certaines de ces missions n'aboutissent jamais, leurs activités se heurtant parfois à une mauvaise volonté des administrations. Il a souhaité que la mission sur la sécurité dans les établissements scolaires débouche effectivement sur un rapport et que celui-ci soit discuté en commission.

M. André Schneider a indiqué que la mission d'information avait déjà commencé ses travaux et que son rapporteur, M. Bruno Bourg-Broc, envisageait la remise de son rapport en septembre.

Le Président Jean Le Garrec s'est engagé à user de ses prérogatives pour que la mission dispose de toutes les informations nécessaires et à organiser un débat en commission sur son rapport qui sera rendu avant la fin de la session ou au plus tard en septembre.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution.

*

La commission a ensuite entendu une communication de M. Alfred Recours, président et rapporteur de la mission d'information sur les musées.

M. Alfred Recours, rapporteur, a tout d'abord rappelé qu'en décembre 1998, le Bureau de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a souhaité créer une mission d'information sur un thème proprement culturel, afin de rééquilibrer son activité essentiellement monopolisée par les questions sociales.

Ce sont les musées qui ont retenu son attention, principalement en raison de l'obsolescence des textes les régissant depuis 1945. Le cadre normatif actuel se limite à une ordonnance prise le 13 juillet 1945, maintes fois modifiée et portant « organisation provisoire » des seuls « musées des beaux-arts ». Ce texte est aujourd'hui devenu un cadre juridique à la fois beaucoup trop étroit par rapport au développement de l'activité muséale depuis une vingtaine d'année et mal adapté aux avancées de la décentralisation. Il a perdu sa cohérence et son application est devenue malaisée.

En 1945, le schéma d'organisation était simple : un certain nombre de musées « nationaux » appartient à l'Etat, les autres étant soumis au contrôle scientifique de l'Etat, qui peut leur allouer des subventions et, éventuellement (pour les musées classés), y affecter des personnels de conservation. A côté des 32 musées nationaux, 1078 musées « classés ou contrôlés », selon l'appellation officielle, sont aujourd'hui recensés sur le territoire national.

Au-delà de l'uniformité de la dénomination, règne cependant désormais une totale diversité :

- diversité des types de musées (on peut dénombrer 535 musées spécialisés, 116 musées archéologiques, 243 musées ethnographiques ou de sciences et techniques, 71 musées d'histoire, 33 musées d'art contemporain, 72 musées des beaux-arts, qui sont donc loin d'être majoritaires et 543 musées polyvalents),

- diversité des statuts (musées municipaux ou départementaux, gérés la plupart du temps en régie directe, mais aussi parfois par une société d'économie mixte, une association, ou encore dotés d'un statut d'établissement public ou de groupement d'intérêt public ; musées privés gérés par une association ou une fondation),

- diversité des qualités scientifiques des collections et des conservations,

- diversité culturelle des animations.

Au sein même des musées nationaux, le statut n'est plus uniforme, puisque, si la gestion directe par l'Etat demeure la règle, certains se sont vu accorder le statut d'établissements publics (Louvre, Versailles).

Depuis le début des années 90, le ministère de la culture envisage de réformer ces textes, sans jamais être parvenu à atteindre, souvent pour des raisons politiques, mais également en raison de dissensions interministérielles, le stade ultime de l'examen au Parlement. Il a donc semblé intéressant, face à l'annonce d'un nouveau texte et de son prochain dépôt, que la commission compétente se penche, pour une fois par anticipation, sur la matière à réformer, afin de se forger sa propre opinion.

De plus, alors que jusque dans les années 70, les musées étaient condamnés comme des conservatoires poussiéreux et sans vie, désertés par le public et incapables de suivre l'évolution des pratiques culturelles et de transmettre, tout à la fois, la mémoire du patrimoine, le goût de l'art vivant et l'élan des créateurs, ces institutions connaissent depuis vingt ans une nouvelle vie et un réel engouement du public, si bien que l'on n'a pas hésiter à parler de « fièvre des musées » dans les années 80.

Plusieurs éléments ont joué en faveur de ce regain de dynamisme et ont contribué à faire de cette décennie une période de prolifération et de prise de conscience : la place considérable donnée à la culture dans le discours politique et l'action publique grâce à l'intervention personnelle du président Mitterrand, les premiers effets de la décentralisation (même si rien n'était spécifiquement prévu en matière de musées) et les balbutiements de la déconcentration (le décret sur l'organisation et les attributions des directions régionales des affaires culturelles - DRAC - date de 1986), la multiplication des projets de développement d'institutions et l'émergence de nouveaux domaines d'interventions, plus ou moins ignorés jusque-là, comme l'art moderne et contemporain, l'ethnologie, les sciences et techniques, l'histoire.

Au début des années 90, cette phase d'explosion a peu à peu laissé la place à une volonté de structurer l'existant, afin de mieux répondre aux besoins et exigences nouvellement apparus. La direction des musées de France a été réorganisée pour prendre en compte le rôle croissant des DRAC et de nouveaux modes de fonctionnement ont été recherchés pour répondre aux attentes du public et aux nouvelles missions culturelles des musées. Parallèlement, les politiques culturelles des collectivités locales se sont organisées et institutionnalisées.

Au total, en quinze ans, le nombre des visiteurs dans les musées nationaux est passé de 9 à 15 millions, 8 milliards de francs ont été consacrés par l'Etat à la création ou à la réhabilitation de ces établissements et plus de deux cent cinquante chantiers, répartis sur tout le territoire, ont été dénombrés.

Tout n'est cependant pas acquis. A l'euphorie, a succédé un temps de déconvenues depuis le milieu des années 90 : le resserrement du budget du ministère de la culture a parfois révélé la lourdeur des coûts de fonctionnement de certains établissements, la décentralisation n'a pas toujours tenu toutes ses promesses et les analyses des statistiques de fréquentation ont fait tomber bien des illusions quant à un hypothétique élargissement des publics.

C'est pourquoi il semble nécessaire d'aller plus loin et de chercher à toujours mieux intégrer le musée à la ville et à la vie. Pour cela, il convient bien sûr de réfléchir à la rénovation de son statut juridique, mais également à ses axes d'évolution et à ses possibilités d'ouverture vers tous les citoyens et toutes les cultures. Travailler, en quelque sorte, à passer du musée imaginaire au musée idéal, du musée rêvé au musée réel.

La mission d'information a commencé ses travaux en janvier 1999. Depuis cette date, elle a auditionné vingt-deux personnes, effectué six visites dans des établissements parisiens, deux déplacements en province, dans le Nord et à Lyon, et trois déplacements en Europe, à Amsterdam, Berlin et Londres. D'ici la fin de ses travaux, au mois de juin, elle procédera encore à plusieurs auditions et visites supplémentaires et se rendra en Espagne.

La mission avait décidé d'organiser sa réflexion à partir de trois questions :

- Comment définir le musée et garantir sa qualité et son niveau d'exigence scientifique et artistique, sans pour autant l'enfermer dans un statut par trop rigide ?

- Comment vitaliser et développer l'action en direction du public et l'ouverture vers l'extérieur, afin de donner aux musées toute leur place dans une politique de démocratisation culturelle ?

- Comment insérer le musée dans la décentralisation et en faire un vecteur dynamique d'aménagement culturel du territoire ?

Après plus d'une année de travail, ces axes de réflexion ont dans l'ensemble été validés. La question de la définition de l'institution muséale s'est en fait fondue dans les deux suivantes, la relation au public et l'intégration des musées dans la décentralisation, pour laisser la place à un troisième thème, profondément lié aux deux précédents, à savoir les statuts et les modalités de gestion choisis pour les musées nationaux.

Les travaux de la mission d'information trouveront leur aboutissement dans un rapport qui sera rendu en juin.

M. Alfred Recours, rapporteur, a ensuite détaillé le premier souhait de la mission : faire du musée un acteur à part entière de la démocratisation culturelle.

Pour faire vivre la démocratisation culturelle dans les musées, il convient avant tout de replacer le public au centre des missions de ces institutions. Celles-ci ont pendant trop longtemps donné la priorité aux collections, à leur conservation et à leur inventaire. La médiation n'était qu'une préoccupation de second rang, alors qu'elle fait partie des missions fondamentales d'un musée.

Tout au long des auditions et des rencontres, les membres de la mission ont retrouvé cette nature duale désormais vécue dans la plupart des cas comme une évidence.

« Les musées mettent les collections à la disposition des publics pour la connaissance, l'éducation et le plaisir. Ce sont des institutions qui collectent, préservent et rendent accessibles les _uvres et les objets qui leurs sont confiés par la société » (définition des musées proposée par la Museums association, Grande Bretagne, 1999) : cette définition présente l'intérêt de placer le public au c_ur de l'institution muséale et de considérer sur un plan d'égalité ses activités scientifiques (collecter et préserver) et ses missions culturelles (rendre accessible).

Le musée répond incontestablement à des objectifs patrimoniaux. Ses activités sont essentiellement organisées autour de collections (sauf pour des musées originaux comme la Cité des sciences et de l'industrie, qui ne fonctionne que par expositions temporaires longues) et il est investi, par rapport à elles, d'une mission d'enrichissement, d'étude, de conservation et de transmission. Le musée a reçu ces objets des générations précédentes et doit les transmettre aux générations futures dans les meilleures conditions possibles. Pour ce faire, il doit non seulement les entretenir et les enrichir, mais également travailler à leur meilleure connaissance et leur meilleure présentation par le biais d'études et de recherches.

« Les tableaux sont dans les musées parce qu'ils nous concernent collectivement ; ils appartiennent à tous et à personne » : ainsi s'exprimait un visiteur du Louvre dans une récente émission de La Cinquième et telle est, en effet, la raison d'être profonde des musées. Le patrimoine dont ils sont dépositaires doit rester la propriété de tous et ne doit pas être détourné de sa fonction de témoin et de mémoire.

Les musées constituent un formidable outil d'éducation populaire, qui doit pouvoir être accessible au plus grand nombre. L'association générale des conservateurs des collections publiques de France est la première à considérer que le rôle du musée dans la socialisation des groupes défavorisés doit être réaffirmé et que l'institution « est le reflet démocratique du rôle de l'individu dans la société et de ses rapports à son environnement ».

Au carrefour des loisirs et de l'éducation, entre « délectation » et apprentissage, le musée s'adresse à des visiteurs tous différents, ce qui implique une attitude d'ouverture face à leurs attentes et une capacité d'adaptation dans l'offre pédagogique qui peut leur être présentée.

Reste que le musée est encore bien trop souvent considéré comme un sanctuaire, un lieu de culture très sacralisé, puisque, selon les études du département des études et de la prospective du ministère de la culture, les deux tiers des français n'y sont jamais entrés. La fréquentation elle-même évolue lentement : en 1973, 27 % des français déclaraient être allés au moins un fois au musée dans l'année précédente ; ils sont 33 % aujourd'hui... Comment faire pour aller à la conquête de ces « non-publics » ?

La présentation muséographique est trop souvent destinée à ceux qui disposent déjà d'une culture artistique, d'une grille de lecture personnelle. La « délectation » recherchée par les auteurs de l'ordonnance de 1945 exige un effort, un apport personnel, et la synergie entre connaissance intellectuelle, émotion et imagination, nécessaire pour prendre plaisir au spectacle des _uvres, n'est pas donnée à tous.

Pour ceux qui en sont dépourvus, le musée apparaît comme un sanctuaire interdit. Entre la banlieue et le musée, il y a plus qu'un trajet de bus ou de RER : il y a tout à la fois un monde et un vide, souvent impensable à traverser, impossible à combler. Ici, les actions de grande ampleur ne sont pas envisageables. Les tarifs préférentiels, les guides, l'aide à la visite et l'information des visiteurs ne suffisent plus ; il s'agit de prévoir des actions sur mesure, capables d'utiliser des « outils » qui parlent aux nouveaux visiteurs (comme la vidéo, qui leur est souvent plus proche qu'un support écrit). Il faut progresser pas à pas, en collaboration avec les acteurs du terrain - associations, entreprises, écoles, institutions sociales, voire judiciaires - pour amener ces personnes à apprivoiser le musée, à s'approprier les _uvres, à se familiariser avec des références historiques, des critères esthétiques, des systèmes symboliques qui leurs sont étrangers.

Il serait par ailleurs important de croiser beaucoup plus les publics des différents musées (des beaux-arts, de sciences, d'histoire, de société) avec ceux d'autres institutions culturelles (bibliothèques et maisons des jeunes notamment) et, pour cela, se décider à faire sortir les _uvres des musées.

Les expériences de musée hors les murs ne doivent pas être un concept d'opportunité mais bien un nouveau mode d'action pour les musées. On ne peut plus se contenter d'attendre que les populations en difficulté franchissent seules les obstacles symboliques, et pas seulement financiers comme on le pense trop facilement, qui les coupent des musées. C'est donc la confrontation à l'extérieur avec les exigences d'un public différent qui permettra à ces institutions d'évoluer et de modifier leur conception des politiques de publics.

La relation au public, sa prise en compte dans la définition du projet d'un musée doit donc être réaffirmée comme essentielle. Dans les musées canadiens, l'organisation des expositions part toujours des conditions de présentation des collections au public. Ce point est la pierre angulaire de la réflexion muséale ; le reste (conservation, enrichissement des collections, publications...) en découle.

Un souci comparable devrait se retrouver clairement dans les projets scientifiques et culturels des établissements français. Ces documents, réservés aux maisons de la culture jusqu'en 1991, permettent aux musées de mener une réflexion essentielle sur leur projet de développement et leur insertion dans la vie culturelle locale. Le développement de cette pratique est cependant encore assez lente puisque seuls cent à cent-cinquante musées disposent aujourd'hui d'un document écrit utilisable. Tous les conservateurs n'ont pas encore compris qu'ils sont tenus d'expliquer leurs choix et leurs décisions, y compris dans les musées nationaux : les collectivités publiques qui les financent (Etat et collectivités locales) sont pourtant en droit d'attendre d'eux la présentation d'un véritable projet.

La majorité des responsables de musées fait néanmoins preuve aujourd'hui d'une volonté de conquête des publics et d'une nette conscience des insuffisances de leur action dans ce domaine. Les actions éducatives et culturelles réalisées par plus de quatre cents services culturels répartis sur l'ensemble de la France travaillent incontestablement à faire des musées des lieux de transmission de savoir, d'éducation et d'intégration sociale.

Si un certain nombre d'établissements est encore dépourvu de services des publics, c'est plus souvent en raison d'un manque de moyens et d'effectifs que d'un manque de volonté ou de prise de conscience. De plus, les services d'action culturelle et de relations avec les publics sont la plupart du temps sous-dotés et n'interviennent qu'en aval des projets, puisqu'ils ne sont considérés que comme des services commerciaux chargés de « vendre » un produit ou une manifestation sur lesquels ils n'ont pas été consultés. Enfin, les services de publics sont mobilisés à 99 % par les actions en direction des scolaires, alors que cela ne peut être leur seul domaine d'action. Les adultes, les handicapés, les « non-publics » doivent également faire l'objet d'une réflexion et de propositions.

Il est donc absolument nécessaire que les musées se donnent - ou reçoivent - les moyens financiers et humains (en effectifs, en savoir-faire) pour construire une véritable politique de médiation.

L'Ecole nationale du patrimoine a été créée en 1990 pour former les conservateurs du patrimoine (d'Etat et territoriaux) à un métier de plus en plus complexe. Ecole d'application professionnelle, elle propose à des étudiants disposant déjà d'une solide formation scientifique des compétences complémentaires destinées à les aider dans leur futur métier.

Selon la nouvelle directrice de l'Ecole, Mme Geneviève Gallot, les nouveaux entrants sont tout particulièrement attirés par la complexité du métier qu'il ont choisi. C'est justement la coexistence de la dimension scientifique et patrimoniale et de l'action culturelle et de conquête des publics qui les intéresse. Ils sont bien conscients du fait qu'un conservateur n'est pas uniquement un scientifique ou un gestionnaire, mais bien aussi un médiateur. Cette troisième dimension est d'ailleurs fortement présente dans le cursus de l'Ecole. Les promotions annuelles sont cependant relativement limitées, faute de moyens budgétaires pour des créations de postes : le taux de renouvellement des cadres n'est donc pas très élevé.

On déplore par ailleurs souvent l'absence de professionnalisme des services de publics dans les musées. Cela s'explique notamment par les manques de la fonction publique d'Etat dans ce domaine. Pour les musées nationaux, seuls existent des postes de conservateurs (qui sont avant tout des scientifiques), d'agents de surveillance ou de techniciens. Cela ne permet pas d'employer sur des postes de titulaires des responsables de services culturels, formés à la médiation. Ceux-ci sont donc nécessairement recrutés par mise à disposition ou détachement de l'Education nationale ou encore par voie contractuelle. Fin 2000 cependant, un premier concours d'ingénieur culturel va être ouvert, avec une option « accueil des publics ». Six postes sont prévus pour les musées nationaux. Ce concours sera accessible à tous les détenteurs d'un diplôme bac + 3, et donc pas uniquement aux diplômés de l'Ecole du Louvre.

Les musées territoriaux sont un peu mieux lotis puisque le cadre d'emploi de la fonction publique territoriale prévoit, pour les attachés de conservation, une option « médiation culturelle ». Pourtant, en province également, l'absence de qualification des personnels et les lacunes des politiques de recrutement ont été évoquées devant la mission à de nombreuses reprises. Pour les personnels d'accueil notamment, la filière culturelle de la fonction publique territoriale n'est que rarement utilisée.

Il y a donc ici un véritable effort à effectuer, tant de la part de l'Etat que du côté des collectivités gestionnaires de musées.

Les obstacles financiers pour accéder au musée ne sont pas les plus insurmontables, mais existent néanmoins. L'effort de modération et de modulation de la politique tarifaire est d'ailleurs une constante pour l'ensemble des responsables de musées rencontrés par la mission. L'harmonisation au sein des établissements d'une même ville, la mise en place de « passeports » permettant de circuler d'une institution à une autre, voire d'une activité culturelle à l'autre, restent cependant encore bien souvent à imaginer et à mettre en place.

Le débat sur la gratuité est quant à lui extrêmement ancien, mais a été relancé par l'instauration de la gratuité dans les musées de Grande-Bretagne et dans les quatre grands musées nationaux américains. C'est en fait un débat assez idéologique puisque, selon les cultures et les traditions nationales, la gratuité est plus ou moins valorisée.

Un certain nombre de visiteurs a d'ores et déjà accès aux musées gratuitement, sur critère d'âge (les moins de dix-huit ans dans tous les musées nationaux par exemple) ou critères sociaux. L'expérience d'une gratuité pour tous le premier dimanche de chaque mois, menée au Louvre depuis 1996, a néanmoins permis d'évaluer l'impact d'une mesure plus générale : la fréquentation s'est en moyenne accrue de 60 % les dimanches gratuits et la nature socioprofessionnelle du public s'est légèrement déplacée. Les analyses tendent à montrer que les visiteurs des dimanches gratuits sont plus franciliens (le dimanche gratuit est le seul jour du mois où les Français sont majoritaires au Louvre), moins habitués du musée, plus familiaux et plus jeunes que ceux des dimanches payants.

Reste à savoir si une gratuité généralisée permettrait d'amplifier ces effets, ce que les études actuellement disponibles ne permettent pas d'affirmer. Il semblerait que l'effet d'incitation du dimanche gratuit soit très fort parce que l'événement est à la fois régulier et exceptionnel.

L'application de cette mesure à l'ensemble des musées nationaux depuis le 1er janvier 2000 devrait avoir pour effet de permettre à des personnes éloignées des musées d'en prendre le chemin, et peut-être d'en devenir des visiteurs réguliers. Dans la mesure où, pour l'ensemble des musées nationaux, la proportion de visiteurs dits « de proximité » (originaires de la même région pour les musées d'Ile-de-France, et du même département pour ceux de province) est légèrement supérieure à ce qu'elle est au Louvre (24% contre 22%), ce public bénéficiera de l'essentiel de l'impact de la mesure. On attend une augmentation minimale de 2 % de la fréquentation annuelle, soit environ 200 000 visites supplémentaires.

La réflexion sur la politique tarifaire et la gratuité doit cependant continuer au niveau des musées territoriaux pour parvenir, si possible, à une harmonisation. Il en est de même pour les heures d'ouverture, qui devraient être élargies afin de permettre un accès aux musées aux heures où les visiteurs sont disponibles (déjeuner, soirée).

M. Alfred Recours, rapporteur, a ensuite présenté le deuxième aspect des réflexions de la mission qui tend à considérer les musées de la décentralisation comme un nouvel outil d'aménagement culturel du territoire.

Les lois de décentralisation ont simplement affirmé le maintien d'un contrôle de l'administration d'Etat sur les musées territoriaux (qu'ils soient classés ou inscrits) ainsi que d'un droit à subvention. Mais aucune précision supplémentaire n'a été apportée au texte de 1945.

Pourtant, en vingt ans, les politiques culturelles des collectivités territoriales se sont affirmées et des institutions - comme des directions d'affaires culturelles dans les grandes villes ou des conservations départementales - ont fait leur apparition, traduisant une volonté d'organiser et de dynamiser l'action culturelle locale.

Le patrimoine est notamment devenu pour les collectivités territoriales un outil de développement de première importance. Cette politique est menée de façon transversale et intègre les musées aux autres composantes de l'action patrimoniale que sont le patrimoine architectural et mobilier, l'archéologie ou l'ethnologie.

Face à ce processus, malgré un progrès constant de la déconcentration, les relations entre la direction des musées de France (DMF), les DRAC, les collectivités locales et les musées de province sont encore aujourd'hui assez largement improvisées, lacunaires et fluctuantes, faute notamment d'une base légale et réglementaire adaptée.

Le contrôle et l'expertise de l'Etat, par nature sectoriels, doivent donc évoluer dans leur fondement et leur application pour s'adapter au développement des politiques patrimoniales territoriales.

Pour tenir compte de ces évolutions et s'adapter à des institutions qui ont désormais, pour la plupart, atteint l'âge « adulte », les liens entre la DMF, les DRAC et les musées territoriaux doivent désormais relever d'une logique de conseil et d'expertise. La réussite d'une politique partenariale entre les différentes autorités publiques (Etat, régions, départements, villes) est à ce prix.

L'échelon central doit se concentrer sur une action d'impulsion et de contrôle (ou plus exactement de validation) dans les domaines scientifiques, techniques et politiques, afin de définir des orientations générales de programmation et de gestion. L'effort doit donc porter sur ce qui, demain, rassemblera tous les musées de France, quel que soit leur statut, à savoir les principes généraux applicables en matière d'acquisition, de conservation, de mise en valeur des établissements et des collections et de relations au public.

Les DRAC, qui devraient toutes comprendre un conseiller musée (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui), sont quant à elles destinées à devenir l'interlocuteur privilégié des acteurs territoriaux dans le domaine des musées, qu'il s'agisse des élus, des responsables d'établissements ou des partenaires éducatifs, économiques et sociaux. C'est à elles que revient désormais la charge de traduire sur le terrain les orientations générales définies par la DMF et de les mettre en _uvre par des moyens diversifiés, tels que la subvention, l'expertise, le conseil, l'évaluation et la contractualisation.

Un élément important de cette contractualisation devrait être le développement de réseaux de musées. Tous les intervenants de la table ronde organisée par la mission d'information le 9 décembre dernier, qui réunissait six responsables de musées territoriaux, se sont accordés sur l'importance de tels réseaux, qu'il s'agisse de réseaux entre établissements d'une même ville, d'un département ou d'une région, et ont regretté leur faible développement. Leur mise en place est un véritable enjeu et la clé d'un développement harmonieux de la vie culturelle, dont tous les secteurs sollicitent également l'attention des élus et les soutiens financiers. Elle permettrait d'utiliser les établissements ayant le plus grand succès touristique pour orienter les visiteurs vers les autres institutions et de mutualiser, sinon les financements, tout au moins les savoir-faire et les compétences, les musées locaux manquant de moyens pour disposer d'un spécialiste par type de collection.

Enfin, pour dynamiser les musées territoriaux, il convient de mieux faire circuler les _uvres et les hommes. Aujourd'hui, les dépôts des musées nationaux dans les musées territoriaux (classés en général) se font surtout avec l'objectif de combler un « trou » d'une collection. Il serait peut-être plus intéressant, comme la DMF cherche actuellement à l'encourager, de prêter ou d'échanger, sur une période plus courte, des _uvres de première importance, susceptibles de faire l'objet d'une exposition-dossier. Une telle évolution permettrait d'instaurer une relation beaucoup active entre les musées nationaux et les établissements en région.

Quant au renforcement de la mobilité des personnels de conservation, qui est hautement souhaitable, celui-ci ne pourra s'organiser que dans le cadre d'un corps véritablement unifié. On pourrait donc envisager un seul corps de conservation pour tous les musées bénéficiant du label « musées de France » évoqué ci-après.

Le champ de la législation sur les musées doit donc aujourd'hui être actualisé, afin de l'adapter et de l'ouvrir aux différents types d'institutions.

La fausse hiérarchie entre musées classés (créés après la guerre, dans une période de déficit de personnels, pour gérer les dépôts d'Etat dans les musées de province) et musées contrôlés n'a plus lieu d'être aujourd'hui et doit être abandonnée, au profit de la fixation de règles générales applicables à l'ensemble des musées, quels que soit leur type et leur statut.

Ces règles devraient concerner les missions, les responsabilités scientifiques et culturelles, les conditions de conservation et d'enrichissement des collections, les politiques de public, la formation des responsables. Leur respect, mis en _uvre éventuellement par contrat entre les DRAC et les établissements (ou leur tutelle), conditionnerait l'octroi d'un label« musées de France » garantissant au public la qualité scientifique et culturelle de l'établissement en question et aux musées le bénéfice de financements publics et, comme on l'a vu plus haut, de personnels formés par l'Ecole nationale du patrimoine.

Enfin, M. Alfred Recours, rapporteur, a évoqué une préoccupation rencontrée de façon récurrente par la mission au cours de ses travaux, celle d'une transparence, d'une responsabilité et d'une solidarité accrues pour les musées nationaux.

Trente-trois musées sont aujourd'hui des musées nationaux, c'est-à-dire des musées directement placés sous l'autorité de l'Etat. Leur gestion est assurée de façon duale par la direction des musées de France (DMF), organe administratif classique du ministère de la culture, et la Réunion des musées nationaux, institution à vocation économique disposant, depuis 1990, d'un statut d'établissement public industriel et commercial. L'originalité de cette organisation est que les deux structures sont dirigées par la même personne : le directeur des musées de France.

La plupart des musées nationaux sont directement gérés par la DMF. Les établissements sont financés sur crédits budgétaires (leurs personnels étant des fonctionnaires directement rémunérés par le ministère de la culture) et reversent la quasi-intégralité de leurs recettes propres (billetterie, librairie, produits dérivés) à la Réunion des musées nationaux (RMN). Ces ressources sont mutualisées et servent à financer la politique d'acquisition et d'exposition de l'ensemble des musées nationaux. En plus de cette fonction de mutualisation, la RMN a développé une activité de prestataire de services pour l'organisation et la gestion de librairies-boutiques dans les musées.

Pour l'actuelle directrice des musées de France et présidente de la RMN, Mme Françoise Cachin, il n'est pas souhaitable que ces deux organes soient séparés. Même si son statut peut apparaître comme une anomalie, la RMN est faite par et pour les musées nationaux. Toutes les fonctions qui ne sont pas directement liées à la gestion des collections (comme les activités commerciales) sont destinées à assurer leur enrichissement ou/et leur promotion : elles correspondent donc également à une mission de service public.

Si l'on comprend bien l'intérêt pratique que peut représenter la souplesse de fonctionnement (et de recrutement) de la RMN pour une administration chargée de gérer des structures ayant inévitablement des activités de nature commerciale, la complexité et le caractère peu motivant du système choisi restent néanmoins regrettables et devraient faire l'objet d'une révision. Il ne s'agit pas ici, bien sûr, de remettre en cause le principe de solidarité existant pour l'acquisition des _uvres, mais de donner aux musées nationaux une plus grande responsabilité de gestion à travers une plus grande maîtrise de leurs ressources.

Un musée est un service public, pas une entreprise destinée à gagner de l'argent : il n'y a pas d'ambiguïté sur ce point. Ce n'est pas un endroit où l'on se contente de regarder des collections avant de passer à la boutique ou au restaurant, mais une institution qui se doit également de valoriser et de faire évoluer ses collections, de former le visiteur, de l'aider à se poser des questions et de rencontrer les publics.

Pour autant, l'objectif d'une gestion saine, transparente et responsable doit être réaffirmé. On ne peut donc pas se satisfaire du fait que les budgets des musées soient quasiment impossibles à établir avec précision lorsqu'il ne s'agit pas d'établissements publics indépendants. Si les directeurs de musées, qui sont tous des conservateurs, ont aujourd'hui du mal à citer d'autres masses budgétaires que les traditionnels crédits d'acquisition ainsi que la dotation déconcentrée qu'il reçoivent, c'est qu'ils ne sont pas tous encore formés pour cela, mais aussi qu'ils ne voient pas toujours l'utilité d'un chiffrage budgétaire précis.

La mission a, sur ces questions, été particulièrement intéressée par l'expérience de « désétatisation » qu'ont vécue les musées néerlandais entre 1988 et 1994. Pour résoudre les problèmes de fonctionnement et de gestion rencontrés par ces établissements, directement rattachés au ministère chargé de la culture et soumis à une organisation jugée trop administrative, il a été décidé de les détacher de la tutelle de l'Etat. L'autonomie conférée à vingt-et-un musées et services connexes a permis d'assurer une gestion plus dynamique de ces institutions et de permettre au ministère chargé de la culture de se recentrer sur les grandes lignes de la politique relative au musée.

Pour ce qui concerne la France, le passage du musée du Louvre de la gestion directe par la RMN au statut d'établissement public administratif en 1992 a tout à la fois permis une responsabilisation des personnels, une meilleure autonomie en matière tarifaire et de financement et de véritables gains de temps en ce qui concerne le processus de décision. Le Louvre rend désormais beaucoup plus de comptes à la tutelle et, en même temps, a plus d'aisance pour entreprendre. Le bilan est donc pour lui tout à fait satisfaisant.

Le Louvre continue néanmoins à verser 45 % de ses droits d'entrée à la RMN, soit 60 millions de francs par an. Par le biais des dotations pour les acquisitions et les expositions temporaires, il récupère environ un tiers de ces versements. La RMN assure par ailleurs la gestion des boutiques et reverse une redevance annuelle au musée.

De façon plus générale, dans les années à venir, la contradiction entre l'existence de la RMN, établissement public industriel et commercial centralisateur, compétent pour la quasi-totalité des musées nationaux et la montée en puissance d'établissements publics administratifs comme le Louvre ou Versailles va s'accroître. Ces derniers voudront très certainement conquérir leur autonomie pleine et entière et chercheront donc à négocier leurs relations avec la RMN, qui lui sont aujourd'hui imposées. D'autres musées, d'ampleur comparable, tenteront d'acquérir eux aussi un statut d'établissement public. Ces négociations remettront forcément en cause l'équilibre actuel des financements et des mécanismes de gestion interne du secteur.

Une réflexion d'ensemble sur les relations entre les musées nationaux, la DMF et la RMN semble donc nécessaire, non pas pour systématiser la transformation en établissement public, mais pour examiner sereinement les évolutions possibles.

Le principe de la mutualisation des droits d'entrée, qui permet de constituer un fonds commun pour les acquisitions, pourrait être conservé (sous réserve de quelques aménagements), tout en laissant aux établissements le soin de gérer leurs autres ressources propres et d'en disposer librement. Il pourrait également être envisagé de revenir sur la stricte séparation existant actuellement entre les trente-trois musées nationaux en créant des sortes de sous-groupes, constitués autour d'un musée « chef de file » qui servirait de locomotive à un regroupement scientifique et fonctionnel. Ces regroupements pourraient ensuite établir des liens privilégiés avec les réseaux de musées constitués dans les régions. Cela ne pourrait que vitaliser les échanges et la circulation des _uvres, bien trop souvent jalousement conservées et retenues par leur « maison mère ».

La mission a par ailleurs pu constater à de nombreuses reprises l'attachement de la profession des conservateurs au principe d'inaliénabilité des collections publiques, qu'il considèrent comme un garde-fou contre des tentations de dilapidation du patrimoine national.

La notion se rattache néanmoins principalement aux musées des beaux-arts. Pour des musées d'un autre type, histoire naturelle, archéologie, sociologie, il conviendrait d'imaginer des règles de conservation différenciées.

De la même manière, l'octroi du caractère inaliénable pourrait être précédé d'un délai de latence de vingt ou trente ans pour les _uvres contemporaines. Dans certains pays scandinaves, les musées peuvent même se dessaisir, à l'issue d'un délai de dix ans, d'une partie de leurs collections contemporaines. Dans ce dernier cas, il est certain que l'inaliénabilité des collections limite les possibilités nouvelles d'acquisition (problèmes matériels de place dans les réserves et les espaces d'exposition, coût de l'entretien et de la restauration des _uvres) et fige, d'une certaine façon, les collections et la réactivité des musées par rapport à la création.

Quant à la répartition de la responsabilité patrimoniale de l'Etat, la France n'a jamais connu une loi ou une administration unique en matière de musées. Dès leur apparition officielle dans la législation de l'époque révolutionnaire, trois institutions distinctes se sont dégagées :

- le Muséum d'histoire naturelle (1793), qui entraînera le rattachement de tous les musées de ce type à l'administration de l'éducation nationale,

- le Conservatoire national des arts et métiers (1794), auquel seront plus tard rattachés les musées de sciences et techniques,

- et le musée du Louvre (1793), musée des beaux-arts par excellence.

Cette division tripartite a été conservée jusqu'à aujourd'hui, même si elle a pu conduire à des situations catastrophiques. La plupart du temps, les établissements hors ministère de la culture sont plutôt considérés par leur administration de tutelle comme des outils de recherche que comme des instruments culturels ; ce sont donc des musées de spécialistes qui ne bénéficient pas de l'apport muséographique et culturel que reçoivent les musées rattachés au ministère de la culture. La Grande Galerie de l'Evolution du Muséum d'histoire naturelle ou la toute récente rénovation du musée du Conservatoire national des arts et métiers constituent les rares exceptions à cette règle.

Un transfert de ces musées (ou de certains d'entre eux) au ministère de la culture devrait donc être envisagé, même si la charge financière supplémentaire pour le budget de la culture peut, a priori, être dissuasive. Pour le moins, il serait souhaitable d'utiliser le savoir-faire de la direction des musées de France et de l'Ecole nationale du patrimoine pour assurer le développement de ces établissements. De même, la Réunion des musées nationaux pourrait y jouer un rôle de prestataire de services.

Enfin, on doit regretter qu'il n'existe pas de vrai mécénat en France. Les dispositions fiscales sont tellement peu incitatives que les soutiens financiers accordés à un musée par le secteur privé le sont toujours au prix de contreparties. Il est donc préférable de parler de parrainage, qui s'accompagne généralement de demandes relatives à la présentation du nom du parrain, l'offre d'entrées gratuites, l'organisation de visites privées... Le véritable mécénat, désintéressé, manque, et cela est très pénalisant par rapport aux grands musées étrangers.

Même si une telle demande peu paraître un v_u pieux au regard de la ligne de conduite adoptée par le ministère des finances depuis de nombreuses années en matière de culture, il serait donc hautement souhaitable d'envisager l'adoption de mesures d'incitation fiscale au mécénat individuel, collectif ou d'entreprise.

Quand on compare le budget d'acquisition global des musées de France (nationaux et territoriaux), soit environ 250 millions de francs par an, et le prix de certaines grandes toiles du marché, qui peuvent atteindre 400 millions de francs, on peut craindre que les musées français ne soient plus en mesure de procéder à des acquisitions majeures, ce qui serait dramatique pour l'avenir.

Afin de préparer le débat fiscal du prochain projet de loi de finances pour 2001, qui risque d'intégrer les _uvres d'art dans l'assiette de calcul de l'impôt sur la fortune, il serait pour le moins judicieux que la commission des affaires culturelles soit capable de faire, en quelque sorte en "contrepartie", des propositions de mesures fiscales encourageant le mécénat et favorisant l'acquisition collective des _uvres d'art.

M. Alfred Recours, rapporteur, a indiqué que, à titre personnel et sans préjuger des conclusions de la mission sur cette question, il envisageait trois solutions :

- la mise en place, pour les achats d'_uvres, de SICAV à objet spécifique, comme le sont les SOFICA pour la production cinématographique, l'avantage fiscal étant conditionné par la présentation de l'_uvre au public,

- une réforme de la législation sur les souscriptions publiques, afin de prévoir que la souscription pour l'achat d'une _uvre présentée au public ouvrirait le droit à une réduction d'impôt proportionnelle à l'apport, comme cela existe pour les dons aux _uvres caritatives,

- la création d'une fondation alimentée par une taxe sur les jeux et destinée, comme cela se fait en Grande-Bretagne et en Italie, à l'acquisition de trésors nationaux menacés de sortie du territoire.

En conclusion, M. Alfred Recours, rapporteur, a considéré que l'ensemble, ou tout au moins la plupart, des interrogations et des pistes de réflexion qui venaient d'être évoquées pourraient trouver une réponse et un aboutissement, direct ou indirect, dans un projet de loi de modernisation du droit des musées, annoncé par la ministre de la culture pour le début 2001.

Ce texte devra permettre de rénover le cadre juridique trop étroit, de l'ouvrir à tous les types de musées et aux préoccupations autres que scientifiques, tout en réorganisant les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales, afin de donner aux musées toute leur place au sein de la démocratisation culturelle et de l'aménagement culturel du territoire. Il pourra, pour cela, s'appuyer sur le rapport de la mission d'information et sur la proposition de loi qui l'accompagnera.

Un débat a suivi la communication de M. Alfred Recours.

Le président Jean Le Garrec, après avoir félicité le rapporteur et l'ensemble des membres de la mission pour la qualité et le sérieux du travail accompli, a fait les observations suivantes :

- Il serait opportun d'examiner un rapport définitif sur ces questions avant la fin de la session. A cette occasion, une proposition de loi pourrait être présentée, afin de peser au maximum sur les décisions devant être prises en la matière. Il est de la responsabilité des parlementaires de se saisir aujourd'hui de ce dossier et de le traiter dans des délais brefs.

- Lors du débat prévu ce jour sur la protection des trésors nationaux, il serait souhaitable que divers membres de la commission interviennent dans l'hémicycle, afin d'interroger le Gouvernement sur les perspectives de développement des moyens consacrés par l'Etat à la préservation du patrimoine et à l'enrichissement des collections publiques.

M. Michel Herbillon, membre de la mission, après avoir remercié le président le Garrec d'avoir pris l'initiative de la mise en place de la mission d'information, a fait les remarques suivantes :

- Il est dommage que le volet culturel des activités de la commission soit réduit à la portion congrue. La création de missions d'information sur des questions de nature culturelle doit donc être développée et, à titre d'exemple, une mission pourrait être mise en place sur le thème du cinéma français.

- Il est nécessaire de se positionner très en amont des discussions sur un texte de loi relatif aux musées. Il y a aujourd'hui nécessité de légiférer sur les musées. On ne saurait admettre qu'un texte de loi sur cette question soit, à nouveau, reporté dans le temps.

La mission a eu le mérite d'anticiper sur ce débat indispensable et a axé ses activités sur une expertise concrète en rencontrant de nombreux professionnels concernés et en effectuant des visites sur place tout à fait instructives. A cette occasion, les membres de la mission ont relevé qu'en matière d'accueil et de présentation des _uvres d'art, les musées français avaient réalisé des progrès tout à fait appréciables au cours des dernières années et étaient bien souvent en avance sur les choix muséographiques d'autres pays européens.

- Il demeure indispensable de mieux associer les services de l'Education nationale ainsi que les écoles, collèges et lycées pour faire en sorte de sensibiliser tous les publics et les inciter ainsi à prendre le chemin des musées. Trop de jeunes restent à l'écart de cette forme de culture par manque de connaissance, de réflexe et d'habitude. De même, les communes, les conseils généraux ou régionaux, qui effectuent un travail remarquable dans le domaine de l'action culturelle à l'échelle locale, méritent d'être aidés dans cette démarche.

- Beaucoup de musées possèdent des réserves importantes d'_uvres qui ne sont pas montrées au public et restent stockées, tandis que d'autres musées de taille moins significative manquent d'_uvres et d'objets à exposer pour attirer un public nombreux. En effet, certains musées décentralisés et en province pâtissent d'une relative pauvreté en ce domaine, ce qui ne leur permet pas de conquérir de nouveaux publics. La question des réserves des musées doit donc être posée avec fermeté.

- Les personnels des musées pourraient être formés de façon plus systématique et complète. Par ailleurs, il serait opportun d'accroître largement l'autonomie de gestion dévolue aux directeurs de musées. Ceux-ci doivent se voir confier des responsabilités financières renforcées.

- La situation des musées qui ne relèvent pas de la gestion du ministère de la culture, mais dépendent de ministères tels que l'Agriculture par exemple (comme pour le musée de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort) apparaît préoccupante. Chacun sait que ces musées ne représentent nullement une priorité pour leur administration de rattachement et souffrent de ce fait d'une pénurie de personnels et de moyens matériels et financiers faibles. Il n'est pas rare que des communes soient ainsi amenées à subventionner ces musées afin de pallier les carences de tel ou tel ministère de tutelle.

- Il serait dangereux de « polluer » le débat sur le fonctionnement et le financement des musées en France en évoquant d'emblée la question de l'exonération du paiement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), étant donné le caractère médiatique et passionnel de ce sujet qui entraîne bien souvent des prises de position parfaitement contraires selon les partis et groupes politiques représentés à l'Assemblée nationale.

- Le mécénat doit se développer en France. Il reste encore insuffisant, ce qui s'explique pour partie par la difficulté dans notre pays à accepter de rapprocher intellectuellement l'argent de la sphère de l'art. Ces réticences doivent être dépassées afin de permettre, comme le souhaitait André Malraux, d'offrir au plus grand nombre l'accès à un maximum d'_uvres d'art.

M. Jean-Paul Bret, membre de la mission, a fait les observations suivantes :

- Le travail effectué dans le cadre de la mission d'information est d'une grande qualité, ce dont témoigne le contenu du rapport d'étape, à la fois synthétique et instructif.

- La première partie de ce rapport concerne le musée conçu comme un acteur essentiel de la démocratisation de la culture. Il ne semble plus aujourd'hui exister de musées dans lesquels l'objectif affiché serait, paradoxalement, de faire en sorte que le public ne soit pas présent ! Cette mentalité a certainement disparu. A cet égard, il faut saluer les efforts d'adaptation aux évolutions actuelles qui ont été entrepris au cours des dernières années pour améliorer l'accueil du public.

- La règle de l'inaliénabilité des _uvres d'art peut s'avérer problématique lorsque les objets détenus depuis longtemps dans un musée posent des problèmes de conservation et empêchent, de fait, de nouvelles acquisitions.

- Il serait utile de faire un bilan de la loi votée en 1992 relative aux fondations d'entreprise. Celles-ci étaient supposées favoriser les actions de mécénat, mais les résultats restent, semble-t-il, en deçà des espérances.

- Il est clair que nombre de propositions faites dans le cadre de la mission n'ont pas nécessairement vocation à être traduites de manière législative : certaines recommandations nécessitent l'intervention du pouvoir réglementaire ou des actions concrètes, et ne relèvent pas d'un texte de loi. Elles devront donc figurer de façon détaillée dans le rapport de la mission.

M. Jean-Paul Durieux a évoqué les points suivants :

- La démocratisation des musées est une priorité. Ainsi, les chiffres concernant le Louvre sont surprenants : 63 % des visiteurs sont des touristes étrangers et 19 % seulement viennent d'Ile-de-France, malgré les efforts en matière de tarifs et d'horaires.

- L'innovation et la créativité sont fondamentales. Il faut une muséographie vivante, qui permette au visiteur de se demander en quoi une _uvre le concerne et en quoi elle modifie son regard sur la société. Les initiatives prises en ce sens par la Cité des sciences et de l'industrie sont intéressantes, car elles utilisent toute la palette offerte par les nouvelles technologies.

- La circulation des _uvres est une nécessité absolue, il est anormal que les musées aient des réserves considérables et reprennent des _uvres pour les y entasser, comme le montre l'exemple de statues reprises au musée de Longwy et qui dorment dans les réserves de Versailles.

- Il convient de réfléchir aux moyens d'atténuer la règle de l'inaliénabilité, afin d'encourager une politique active d'acquisitions.

- L'application de l'ISF aux _uvres d'art n'aurait d'intérêt que si le produit en était affecté au ministère de la culture, ce qui est impossible.

- Le rapport de la mission d'information devrait déboucher sur le dépôt d'une proposition de loi.

M. Pascal Terrasse a abordé trois questions :

- Dans le cadre de la question de l'inaliénabilité des collections, se pose celle de la restitution de biens culturels acquis par la France au cours de guerres ou conflits, comme par exemple les archives royales de Corée dont le président François Mitterrand avait restitué un volume lors de sa visite à Séoul en 1993 ; ce problème sera ainsi évoqué lors de la visite du président de la République de Corée du Sud la semaine prochaine.

- La mission ne semble pas avoir assez pris en compte la révolution numérique. La conception traditionnelle du musée est devenue obsolète avec le développement des nouvelles technologies de l'information ; grâce à Internet et au DVD, les nouveaux musées sont virtuels. Pour aller au Louvre, le plus simple est de cliquer sur www.louvre.fr.

- A propos des acquisitions des musées nationaux, si la proposition du rapporteur sur le « recyclage » du bénéfice fiscal tiré de l'imposition des _uvres d'art à l'ISF est très intéressante, il ne faut pas négliger l'outil important que pourraient représenter les souscriptions publiques, à la condition qu'elles soient assorties d'une défiscalisation.

En réponse aux intervenants, M. Alfred Recours, rapporteur, a apporté les éléments suivants :

- Le tabou de l'inaliénabilité sera levé par le rapport de la mission d'information, car il convient de s'adapter à la diversité croissante des musées et concevoir de nouvelles règles.

- Les fondations d'entreprise sont un outil qui existe et fonctionne plutôt bien, mais pas pour les _uvres d'art des musées.

- Il est scandaleux que des biens mis en dépôt dans des musées territoriaux soient repris pour être placés dans des réserves ; il conviendrait en fait de s'interroger sur la possibilité de transférer des _uvres de musées nationaux vers des musées territoriaux au prix d'une acquisition pour le franc symbolique.

- Les nouvelles technologies ne peuvent jouer qu'un rôle complémentaire, car elles ne procurent pas la jouissance, le plaisir lié à la visite d'un musée, où les _uvres sont vues à leur véritable dimension ; il convient en outre de s'interroger sur les publics concernés : ceux qui n'ont pas accès à Internet sont souvent aussi ceux qui ne visitent pas les musées.

Le président Jean Le Garrec a souhaité que les travaux de la mission aboutissent, à la fin de la présente session, à la présentation d'un rapport qui serait débattu par la commission au cours d'une réunion publique, ainsi qu'au dépôt d'une proposition de loi.


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