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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 49

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 24 mai 2000
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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- Débat sur le rapport d'information de M. Alfred Recours sur les musées, avec la participation de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication


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La commission a examiné le rapport d'information de M. Alfred Recours sur les musées.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.- Je souhaite tout d'abord remercier l'ensemble des personnes auditionnées ou rencontrées par la mission d'information qui sont présentes aujourd'hui. Il me revient de vous exposer les raisons qui ont pu présider à la création d'une mission d'information sur les musées. La commission que je préside dispose de compétences très larges, et est saisie de très nombreux textes qui concernent des sujets aussi divers que le domaine social, l'éducation, la communication ou le sport. La culture n'est certes pas négligée, j'en veux pour preuve le passage en séance publique au cours de la nuit dernière d'un texte relatif à l'archéologie préventive, mais n'est cependant pas toujours une préoccupation prioritaire. Ceci est une des premières raisons qui m'a conduit à souhaiter la création d'une mission d'information sur un sujet spécifiquement culturel.

La mission d'information sur les musées, créée en décembre 1998, a réuni dix parlementaires : M. Alfred Recours, son président et rapporteur, et MM. André Aschieri, député des Alpes-Maritimes, Bruno Bourg-Broc, député de la Marne, Jean-Paul Bret, député du Rhône, Mme Catherine Génisson, députée du Pas-de-Calais, M. Michel Herbillon, député du Val-de-Marne, Mme Muguette Jacquaint, députée de la Seine-Saint-Denis, MM. Christian Kert, député des Bouches-du-Rhône, Patrice Martin-Lalande, député du Loir-et-Cher et Marcel Rogemont, député d'Ille-et-Vilaine. Leur travail a été non seulement actif mais encore passionné.

Mais pourquoi avoir choisi les musées ?

Tout d'abord en raison de l'obsolescence de l'ordonnance provisoire de 1945, qui est encore aujourd'hui le seul dispositif légal organisant les musées, et qui correspond désormais à un cadre trop étroit au regard du développement de l'activité des musées depuis vingt ans ainsi que des effets induits par la décentralisation.

En raison, également, de l'« explosion » des musées depuis vingt ans, et notamment de leur très fort développement en région. A titre d'exemple, je veux citer la région Nord-Pas-de-Calais qui possède aujourd'hui une des plus belles chaînes de musées d'Europe. A cette occasion, me revient à l'esprit une discussion que j'ai eue en 1977 avec M. Pierre Mauroy au cours de laquelle il affirmait que la solution des problèmes économiques de la région passait par un fort développement culturel.

Enfin, le rôle de démocratisation de l'accès à la culture que peuvent jouer les musées est apparu comme particulièrement important. Le mot  « conservateur » est beau, mais il ne saurait occulter la dimension de partage qui est caractéristique de l'idée de musée. A cet égard, me vient à l'esprit le livre d'André Malraux « Le musée imaginaire ». Le musée est un lieu de partage du plaisir, de la culture et de l'histoire. Il doit donc être un vecteur de compréhension de l'art par son environnement. J'en veux pour preuve l'exposition de photographies sur la Commune, actuellement présentée au Musée d'Orsay aux côtés de tableaux de Gustave Courbet : nombre de ces _uvres ne se comprennent qu'à la lumière de leur contexte historique, et le rapprochement est tout à fait passionnant.

Les travaux de la mission se sont déroulés sur dix-huit mois à travers diverses problématiques telles la définition du statut des musées, le rôle des musées dans la démocratie culturelle, leur place dans la déconcentration culturelle et l'aménagement du territoire. Ces thèmes, parmi d'autres, ont fait l'objet d'une réflexion collective approfondie au sein de la mission. Ce matin, après l'exposé du président de la mission M. Alfred Recours, trois débats, hélas trop courts, seront engagés, chacun étant introduit par des intervenants extérieurs que je remercie de leur présence.

M. Alfred Recours, président et rapporteur de la mission d'information.- La première chose à dire pour présenter les travaux de la mission d'information, c'est que celle-ci s'est volontairement limitée dans son propos et a renoncé à aborder l'ensemble des problèmes liés aux musées. De même, l'exercice de ce matin, vu la durée limitée qui m'est impartie, sera forcément schématique et parcellaire. Trois axes prioritaires ont été retenus, et ce choix a impliqué le renoncement à certaines questions telles le statut des personnels, l'économie des musées, l'intégration dans l'économie et l'aménagement du territoire. Pour guider son travail, la mission s'est référée à la définition du musée donnée par l'association des musées britanniques : « Les musées mettent à la disposition du public pour son éducation et son plaisir les _uvres mises à leurs disposition par la collectivité ».

Nombreux ont été les ministres de la culture, MM. Jack Lang, Jacques Toubon, Philippe Douste-Blazy et Mme Catherine Trautmann, à avoir souhaité réformer l'ordonnance de 1945 - caractéristique de ces textes provisoires de la République dont l'application perdure dans le temps - sans réussir à obtenir de résultats concrets. L'objectif de la mission était donc d'obtenir un tel résultat, soit sous la forme d'une proposition de loi d'origine parlementaire, soit sous celle d'un projet de loi, appelé à être enrichi par les travaux et les réflexions des parlementaires. Je pense que Mme Catherine Tasca, ministre de la culture, nous en dira un peu plus, tout à l'heure, sur ce point.

Différents thèmes ont donc retenu l'intérêt et l'attention de la mission.

Il s'agit tout d'abord de tout ce qui a trait au public, à son élargissement et à sa fidélisation. Avec des initiatives telles que les journées gratuites dans les musées nationaux, l'élargissement sociologique de la fréquentation des musées se consolide. Il est néanmoins plus que jamais nécessaire d'intégrer davantage qu'on ne le fait aujourd'hui le public dans la conception des projets scientifiques et culturels des établissements. Une telle idée a encore parfois du mal à se faire une place en France, alors qu'il s'agit d'une conception assez largement répandue dans d'autres pays européens et occidentaux.

Deuxième axe de réflexion et d'intérêt : la décentralisation culturelle et le rôle que peuvent désormais y jouer les musées. De plus en plus de collectivités locales ont pris des initiatives en la matière, en l'absence même de textes leur en donnant la compétence. La politique culturelle décentralisée s'en est trouvée enrichie de façon régulière. Face à cette évolution, le comportement de l'administration de l'Etat doit également évoluer : il est temps de passer d'une logique régalienne à une logique contractuelle. L'instauration du label « Musées de France » peut d'ailleurs y contribuer car, dans l'esprit de la mission, l'obtention de celui-ci devra être la résultante d'accords conclus entre l'Etat et les collectivités locales, pour le développement de leurs musées.

Les réseaux entre les musées doivent également se renforcer afin de faciliter la circulation des _uvres entre les établissements, mais également la circulation des hommes. En effet, il n'apparaît pas souhaitable que des conservateurs demeurent dans le même poste pendant la quasi-totalité de leur carrière. Un minimum de mobilité institutionnelle doit être mise en place. Une difficulté se pose en la matière ; elle tient dans les différences de statut entre les conservateurs dépendant de la fonction publique territoriale (conservateurs territoriaux) et ceux ressortant de la fonction publique d'Etat. Les passerelles entre les deux corps doivent être encore améliorées. Des postes de conservateurs généraux des musées territoriaux pourraient opportunément être proposés à ces personnels, et l'organisation du cursus de formation initiale au sein de l'Ecole nationale du patrimoine devra être revu en conséquence.

Troisième axe de travail retenu par la mission : la gestion des musées nationaux. Il nous a semblé ici que davantage de transparence était nécessaire. La gestion de ces établissements est encore très centralisée et, de ce fait, certains conservateurs n'ont pas toujours en tête toutes les données budgétaires propres à leur musée. Pour améliorer cette prise de conscience et donner plus de responsabilités aux chefs d'établissements, le statut d'établissement public administratif, accordé au musée du Louvre par exemple, devrait être étendu à bon nombre d'autres musées nationaux. Une telle démarche permettrait de redéfinir le rôle et les missions de la Réunion des musées nationaux (RMN), qui constitue un exemple de mutualisation des efforts et des initiatives très appréciable.

Je citerai pour terminer quelques autres points, toujours relatifs à la gestion des musées, qui ont plus particulièrement interpellé notre mission.

Lors des visites qu'elle a pu effectuer in situ dans des musées à Paris comme en province, celle-ci n'a pu que déplorer l'état de délabrement dans lequel se trouvent certains établissements ne dépendant du ministère de la culture, mais de ceux de l'agriculture ou de l'éducation nationale par exemple. Ce manque d'entretien plaide pour le rattachement à l'administration de la culture, afin qu'ils puissent bénéficier de l'expertise et du savoir-faire de la direction des musées de France et de la Réunion des musées nationaux. Il convient de relever que les musées dépendant du ministère de la défense bénéficient traditionnellement d'une véritable attention du fait notamment de la mission de mémoire confiée à cette administration.

La question de l'inaliénabilité des _uvres se pose par ailleurs avec une acuité accrue. Même si personne ne remet en cause le principe lui-même, on pourrait préconiser une « respiration » de cette notion, pour ce qui concerne les collections dites d'études faites d'objets ethnologiques et biologiques ou encore en matière d'acquisition des _uvres d'art contemporain. Toutes les _uvres n'auront manifestement pas le même intérêt à terme dans l'histoire de l'art. A cet égard des visites de réserves de musées seraient intéressantes à effectuer.

Enfin, la question du mécénat constitue également un sujet de préoccupation. Les règles d'exonérations fiscales adoptées par le législateur se trouvent fréquemment dénaturées ou inappliquées à la suite de circulaires du ministère de l'économie et des finances particulièrement interprétatives et restrictives. L'administration fiscale considère en effet qu'une exonération ne peut être accordée à une entreprise recevant des contreparties à ses actions de mécénat. Or les entreprises concernées peuvent vouloir développer une stratégie de communication autour de leur action de mécénat. Dans le contexte actuel du marché de l'art international, le niveau du mécénat reste en France encore trop faible. Il faudrait précisément s'attacher à le développer au lieu de le contraindre de toutes parts. Une taxe parafiscale sur les jeux pourrait être créée comme en Grande-Bretagne ; des souscriptions d'intérêt national par l'intermédiaire d'associations pourraient en outre être lancées.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.- Je vais maintenant donner la parole aux membres de la mission qui souhaiteraient commenter ou compléter l'exposé du rapporteur.

M. Michel Herbillon.- Je voudrais d'abord saluer la qualité du travail qui a pu être effectuée dans le cadre de la mission. Tous les membres ont, quelle que soit leur tendance politique, cherché à participer de façon constructive à cette démarche novatrice intervenant en amont d'un éventuel texte législatif - que nous appelons de nos v_ux - sur les musées. Cela ne préjuge cependant pas des prises de position des uns et des autres lors du débat sur ce texte.

Les musées sont aujourd'hui confrontés à une double exigence : assumer les tâches traditionnelles de conservation mais également de nouvelles missions en lien avec l'accueil et les demandes du public. Quelques pistes de réflexion intéressantes ont été dégagées par la mission autour de ce caractère dual : il convient de travailler à l'adaptation de leur statut, à la nécessaire transparence de leur gestion, à la question des moyens financiers encore insuffisants et du développement souhaitable du mécénat et enfin à la nécessité d'accroître la mise en réseau des musées entre eux en lien avec d'autres institutions culturelles.

M. Bruno Bourg-Broc.- Je m'associe aux propos qui viennent d'être tenus et m'exprime également au nom de M. Patrice Martin-Lalande. Je confirme que les conclusions présentées ce matin reflètent une approche des problèmes commune à tous les membres de la mission. Je ferai simplement quelques observations personnelles, à titre complémentaire.

Il convient de s'entendre tout d'abord sur la définition du musée : celui-ci ne doit être ni un lieu de spectacle ni un centre commercial. La conquête de nouveaux publics s'avère par ailleurs indispensable lorsque l'on sait qu'environ deux Français sur trois ne passent jamais la porte d'un musée. Les mesures qui ont été prises au cours des dernières années ont en fait surtout permis de conforter ceux qui avaient déjà pris l'habitude de fréquenter les musées. Si les manques de l'éducation nationale sont importants en matière d'enseignement artistique, la responsabilité du musée en la matière est cependant incontournable. Face à cette nouvelle exigence, le conservateur doit devenir un éducateur, un médiateur au service du public. Dans cette conception rénovée, la circulation des _uvres comme celle des hommes méritent également d'être améliorées. Enfin, des mesures fiscales adaptées restent à mettre en place si l'on souhaite encourager un développement du mécénat.

M. Marcel Rogemont.- Je retiendrai pour ma part trois idées fortes de cette mission d'information :

- la vitalité et la force des initiatives prises en matière de musées, en France et à l'étranger, qui ont permis, depuis vingt ans, l'éclosion de projets d'une grande richesse ;

- la haute qualité de la muséographie française, qui se place parmi les premières au monde qui s'est imprégnée du souci de s'adresser à tous les publics ;

- la nécessaire singularité de gestion des musées, qu'ils soient ou non musées nationaux. Ces derniers doivent en effet être plus autonomes et plus responsables qu'ils ne le sont aujourd'hui, dans le respect, bien entendu, de leurs missions. L'Etat doit également approfondir sa réflexion sur les moyens d'animer les fonctions de service public des musées de manière plus innovante et plus active.

Premier débat : les conservateurs doivent-ils rendre le musée au public ?

Propos introductif de M. Pierre Rosenberg, président-directeur du Musée du Louvre.- La fréquentation croissante des musées est un phénomène nouveau de dimension internationale. Hier jugés passéistes, les musées sont aujourd'hui « à la mode » et fréquentés par des artistes et des publics nombreux. Je dois dire que les conservateurs ont sans aucun doute joué un rôle déterminant dans cette évolution, et je m'en félicite. Mais ce phénomène de mode est fragile et il faut donc s'interroger sur les moyens de maintenir et de consolider cet engouement pour les musées. Un récent colloque organisé au Louvre sur l'avenir des musées a été l'occasion de présenter de nombreuses réflexions ou propositions. Ainsi, d'aucuns pensent que les nouvelles technologies videront les musées de leurs visiteurs, tandis que d'autres proposent de substituer à l'unicité de la localisation géographique d'un musée un ensemble d'antennes de celui-ci dans différentes villes parmi lesquelles les _uvres circuleraient : c'est ce que pratique aujourd'hui la fondation Guggenheim.

Je puis en tout cas vous assurer que la question de la popularité et de la fréquentation des musées est quelque chose qui préoccupe beaucoup les conservateurs. Ils s'interrogent tous, non pas sur la possibilité de rendre le musée « au public », mais plutôt sur la possibilité de rendre heureux tous « les publics », car la diversité des personnes reçues est extrêmement grande, comme le montrent des statistiques très précises. Le problème est de concilier les attentes du touriste, visiteur d'occasion, en lui donnant l'envie de renouveler sa visite, et les attentes des visiteurs plus réguliers et plus avertis. A cet égard, le rôle de l'éducation nationale est primordial. Les études démontrent en effet que la fréquentation des musées par les adultes est directement liée à l'initiation à l'art donnée dès l'école. Le caractère très averti du public italien constaté au musée du Louvre montre sans aucun doute que l'école peut jouer un grand rôle dans le développement du goût des _uvres d'art et dans la familiarité avec celles-ci.

Enfin, je remercie M. Marcel Rogemont qui a rappelé l'avance française en matière de muséographie, mais je dois dire que celle-ci fait désormais l'objet d'une vive concurrence à l'étranger, en particulier en Grande-Bretagne, avec l'ouverture de la nouvelle Tate et en Allemagne, à Berlin. Il faut donc poursuivre les efforts pour maintenir la France au tout premier rang.

Propos introductif de Mme Wanda Diebolt, administrateur général du Musée du Louvre.- En complément de ce que vient de dire M. Pierre Rosenberg, je me permettrai tout d'abord de souligner le caractère volontairement provocateur du titre donné à ce débat : en effet, alors qu'il peut laisser penser que les conservateurs se sont appropriés les musées qu'ils ont en charge, ceux-ci éprouvent souvent, au contraire, un sentiment de dépossession, car ils ont de moins en moins d'emprise sur la politique des musées. A titre d'exemple, au musée du Louvre, le service culturel et celui chargé de la muséographie ne comprennent pas de conservateurs. Ils ont même parfois le sentiment que leurs activités scientifiques sont désormais menacées par les exigences économiques ou d'animation culturelle, et ils s'en inquiètent légitimement. Car la fonction de conservateur, comme le prévoit explicitement le décret portant statut des conservateurs, possède un caractère scientifique indéniable. Il appartient donc aux tutelles de donner les moyens aux conservateurs de mieux concilier les pôles scientifiques et techniques de leur fonction.

Par ailleurs, tout le monde est d'accord pour considérer que le débat sur l'opposition entre fréquentation des musées par une élite et fréquentation de masse est désormais complètement dépassé. La masse touristique permet en outre de remplir l'objectif de développement des ressources propres qui est désormais assigné aux musées. Il serait toutefois paradoxal de vouloir assujettir les musées constitués sous forme d'établissements publics à la fiscalité sur les sociétés, procédé qui reviendrait à reprendre par l'impôt ce qui peut leur être alloué sous forme de subventions.

Mme Françoise Cachin, directrice des musées de France.- Même si l'on considère qu'il y a encore et toujours beaucoup à entreprendre pour mieux faire connaître les musées, les chiffres de fréquentation sont plutôt flatteurs pour la France. Si je me réfère à la dernière synthèse du dispositif Muséostat publié en avril 2000 par la direction des musées de France, on constate que les musées de France ont reçu 65 millions de visites en 1997, ce qui est un chiffre considérable. Sur ces 65 millions, 22 millions sont des visites de touristes et 43 millions des visites de Français. Parmi ceux-ci, 17 millions correspondent à des visites « de proximité » et 9 millions à des visites d'enfants et de jeunes de moins de quinze ans, dont 4 millions des visites scolaires.

M. André Loechel, chargé de mission à la direction de l'action régionale de la Cité des sciences et de l'industrie.- La mission et la commission des affaires culturelles entendent-elles apporter une réponse à la question relative au développement des musées virtuels ? De nombreux musées territoriaux développent des projets pour la mise en ligne de leur patrimoine, avec l'aide bien sûr des collectivités territoriales, et il me semble important d'appréhender cette évolution des musées et de réfléchir aux modalités d'utilisation des nouvelles technologies de l'information pour élargir les publics.

M. Marc Goujard, président de la fédération des écomusées et des musées de société.- Je regrette que les musées associatifs, qui représentent 50 % des écomusées, soient absents de la réflexion conduite par la mission. Pourtant, le développement des territoires passe par leur développement culturel et l'élargissement des publics par un travail d'éducation populaire que ces musées qui sont visités par 4 millions de personnes et représentent 1 500 emplois, effectuent incontestablement. La mission s'est surtout intéressée aux musées dans les villes, mais le monde rural doit également pouvoir bénéficier de sites culturels, quitte à organiser ceux-ci en réseau pour leur donner plus de force.

Je souhaiterais par ailleurs une clarification des compétences en ce qui concerne les tutelles s'exerçant sur les musées : L'Europe, l'Etat, les régions, les structures intercommunales (EPCI) et les collectivités locales sont autant d'instances dont les attentes ne sont pas toujours convergentes et qui rendent extrêmement difficile, pour un établissement, la construction d'un projet cohérent. Il serait indispensable de simplifier les procédures et d'assurer une meilleure coordination de leurs compétences respectives.

Je ferai, pour terminer, quelques observations ponctuelles : je constate tout d'abord que les lois de décentralisation ont eu pour conséquence d'instaurer des inégalités culturelles entre les régions et les départements, auxquelles il conviendrait de remédier en rétablissant, notamment par le travail en réseau, une certaine cohérence nationale. D'autre part, la défiscalisation appliquée en France n'est pas assez attractive pour encourager efficacement le mécénat. Pourquoi ne pas s'inspirer du système britannique qui réduit l'impôt au lieu du chiffre d'affaire ? Enfin, la gestion des musées est manifestement trop corporatiste. Qu'on le veuille ou non, le musée est aussi une entreprise culturelle dont il faut prendre en compte les différentes missions et fonctions.

M. Dominique Viéville, inspecteur général des musées.- J'estime que la politique de rénovation des musées contrôlés, conduite en application la loi programme de 1978, sous l'impulsion des collectivités locales, a réellement permis de restituer au public les richesses qu'ils n'étaient pas en mesure d'exposer auparavant. Quand une toiture fuit, un conservateur n'a pas vraiment le temps de se consacrer à développer une politique des publics !

La restitution des collections aux publics est au c_ur de la diversification des missions des musées que l'on constate depuis une dizaine d'années. Parmi ces nouvelles missions, le rôle éducatif est devenu essentiel. Les musées doivent en effet être des lieux d'apprentissage de la notion du temps, des connaissances et du savoir.

M. Alfred Recours, président et rapporteur de la mission d'information.- Je suis tout à fait d'accord pour dire que l'ambition des musées n'est pas d'atteindre un public déterminé mais de s'adresser à tous les publics, dans leur spécificité et leur diversité. Les données statistiques relatives à la fréquentation des musées français qui viennent d'être citées confirment la position de la France en Europe dans ce domaine. Je me réjouis de ces résultats, même si ceux-ci ne doivent pas pour autant nous autoriser à relâcher notre effort.

La question des musées virtuels et du transfert des musées sur les réseaux électroniques nécessiterait à elle seule un prolongement de la mission. Je ne crois pas, pour ma part, que l'on cesse d'aller visiter les musées si l'on peut y accéder de façon virtuelle. Le problème sera le même que pour la retransmission d'épreuves sportives à la télévision : il continuera d'y avoir des gens dans les musées, comme il y en a dans les stades, car la vision et le contact direct avec les _uvres procurent un plaisir inégalable.

La question des écomusées et de l'inégalité entre établissement ou entre régions déborde également assez largement du cadre que s'était fixé la mission d'information : elle relève en fait du débat général sur la décentralisation. Fondée sur le principe de l'autonomie de décision des collectivités locales, la décentralisation recèle inévitablement le risque que les choix politiques effectués dans les différents domaines de compétence décentralisés soient différents d'une région à l'autre. Chacun doit donc prendre ses responsabilités et les identifier clairement.

Je souhaite pour finir que l'on différencie nettement les rôles de l'éducation nationale et des musées en matière d'éducation artistique. Réservons à l'éducation nationale l'éducation artistique et l'initiation à l'histoire de l'art en milieu scolaire, et aux musées les actions éducatives et culturelles développées in situ : je souhaite donc que ces dernières missions ne soient plus assurées par des personnels détachés de l'Education nationale mais par des personnels relevant des musées.

Deuxième débat : La mise en réseau, passage obligé pour les musées territoriaux ?

Propos introductif de M. Roland May, conseiller pour les musées à la direction régionale des affaires culturelles de la région Rhône-Alpes.- La question des réseaux est une question essentielle car si les musées contrôlés sont les grands oubliés de l'ordonnance de 1945, leur importance numérique est réelle puisqu'ils représentent plus d'un millier d'établissements.

Je me contenterai aujourd'hui d'aborder la mise en réseau sous son aspect gestion structurelle, en laissant provisoirement de côté la mise en ligne via Internet ainsi que la collaboration de caractère purement scientifique.

Cette mise en réseau est intimement liée aux notions de territoire et de population et recouvre deux cas de figure, selon que les musées mis en réseau appartiennent ou non à une même collectivité locale. Dans la première hypothèse, assez bien identifiée par les villes de Strasbourg, Saint-Etienne ou Bordeaux, la préoccupation centrale tend davantage vers une optimisation des moyens de gestion et des structures que vers une véritable politique culturelle. Il s'agit pour l'essentiel de mettre en cohérence les calendriers et manifestations afférents à divers établissements, mais aussi de développer, à travers la création de services communs, des axes en matière de politique des publics. La mise en réseau n'est donc pas, dans cette optique, un passage obligé et les contre-exemples des villes de Lyon ou de Toulouse, où les établissements ont conservé leur autonomie, en est la meilleure preuve.

Il en va différemment lorsque les musées relèvent de collectivités différentes. Dans ce second cas, le phénomène de mise en réseau est apparu il y a une trentaine d'années, c'est-à-dire avant les lois de décentralisation. Il s'est d'abord développé de manière quelque peu anarchique aussi bien en milieu rural qu'en milieu « rurbain » avant de toucher les musées contrôlés dans les années 80, lorsque les collectivités territoriales ont souhaité dynamiser leur politique culturelle et touristique. Il s'agit le plus souvent d'établissements de taille modeste appartenant à des communautés elles-mêmes modestes, ce qui témoigne de la singularité de l'activité muséale en regard d'autres établissements culturels, tels les théâtres ou les opéras, qui sont exclusivement installés en milieu urbain, et traduit leur rôle en matière d'aménagement du territoire. Les conseils généraux ont la volonté d'aider à ces mises en réseaux comme le montre l'augmentation du nombre des conservations départementales (de 10 à 35), alors même que les lois de décentralisation ne donnent pas expressément compétence au département en ce domaine.

Je voudrais pour terminer lancer un certain nombre de questions qui sont au c_ur de ce débat :

- Quelle est l'utilité de la mise en réseau en terme de politique patrimoniale et de politique des publics ?

- Quel doit être le rôle de l'Etat à l'égard de ces réseaux ?

- Quel développement de la politique contractuelle ces mises en réseau doivent-elles entraîner ?

- Quel doit être le statut des collections des musées territoriaux ?

- Comment encourager ces politiques en liaison avec les politiques d'archéologie et d'inventaires ?

M. Jean-Michel Raingeard, secrétaire général de la fédération française des amis des musées (FFAM).- Notre fédération, qui regroupe 290 associations, souhaite participer plus activement à la politique d'aménagement du territoire qui sous-tend la mise en réseau. Il s'agit pour nous d'une préoccupation constante avec comme crainte récurrente l'idée que cette politique ne se traduise par une réappropriation de nature jacobine. Les statuts du futur établissement culturel local concentrent donc toute notre attention. Il est à cet égard important que les futurs projets législatifs comportent la reconnaissance de cette diversité du système muséal et de la nécessaire écoute de la société civile.

Enfin je ne peux que déplorer que les deux principaux établissements publics culturels, le Louvre et Versailles, ne comprennent pas de membre de la FFAM au sein de leur conseil d'administration.

Mme Annick Nautter, conservatrice du musée des beaux-arts d'Arras, vice-présidente de l'association des conservateurs du Nord-Pas-de-Calais.- Je souhaite mettre l'accent sur une forme différente de mise en réseau que constituent les associations régionales de conservateurs. Cette mise en réseau des personnes permet en effet de dépasser les barrières traditionnelles et institutionnelles. L'association des conservateurs du Nord-Pas-de-Calais, dont le statut devra évoluer pour des raisons de gestion, a permis depuis plus de vingt-cinq ans de développer des initiatives en matière d'expression, de publication, de politique touristique et de proximité et plus récemment pour la mise en ligne sur l'Internet.

M. Didier Schulman, conservateur du musée national d'art moderne.- Je voudrais parler d'un autre aspect de la mise en réseau que l'ancrage territorial qui a déjà été évoqué. Il s'agit de la mise en réseau sur une base thématique qui a eu, notamment pour les collections du XXème siècle, des effets spectaculaires en direction du public. En ce domaine, la circulation des _uvres d'art entre le Musée national d'art moderne et les musées territoriaux est une constante dont je me félicite.

M. Alfred Recours, président et rapporteur de la mission.- Je voudrais faire quelques observations à ce stade du débat. De notre point de vue, la mise en réseau est à développer sous les formes les plus diversifiées et en tous lieux. On doit pouvoir concilier réseaux verticaux, par thème ou par connexion informatique et réseaux horizontaux à l'échelon territorial. Il s'agit, dans tous les cas, de possibilités d'enrichissement supplémentaires pour tous les publics.

En ce qui concerne la circulation des _uvres, la mission a entendu des avis fort divergents selon que les conservateurs interrogés recevaient les _uvres ou les mettaient en dépôt. Nous sommes en tout cas tous d'accord pour affirmer la nécessité absolue de la mobilité des collections.

Enfin, je voudrais dire que la labellisation des musées peut être la pire ou la meilleure des choses. Lorsqu'on s'inscrit dans une logique contractuelle, ce qui est notre démarche, et non plus dans une logique régalienne, il n'y a aucune raison de s'inquiéter du cloisonnement. A condition qu'elle n'aboutisse pas à la dynamitation des musées, la labellisation ne peut être source de dynamisation.

M. Marcel Rogemont.- Il faut se demander avant tout pourquoi veut-on faire des réseaux. Le dialogue des musées dans un même espace géographique est nécessaire. Il doit permettre de proposer un parcours au public dans un espace de vie ou bien sur une thématique particulière, avec si possible l'association d'autres intervenants culturels. La mise en réseau doit aussi se faire au niveau international, y compris sur les contenus, par exemple sur le modèle de la fondation Guggenheim qui développe des musées territoriaux « franchisés » dans différents pays, comme le musée de Bilbao que la mission a visité.

Mme Françoise Cachin, directrice des musées de France.- Je tiens toutefois à souligner que les collections du Guggenheim sont louées par la ville de Bilbao et « tournent » régulièrement : le musée Guggenheim est en fait l'exemple même d'un « non-musée ».

M. Alfred Recours, président et rapporteur de la mission d'information.- La « chaîne Guggenheim » - pourquoi ne pas l'appeler comme cela ?- est en réalité constituée de belles réalisations architecturales payées par les collectivités locales pour bénéficier de la rotation des _uvres et du savoir-faire de la fondation. C'est un autre système que celui des musées traditionnels et il a le droit d'exister, même si l'on ne peut que constater la pauvreté des collections présentées.

M. Michel Herbillon.- Pour en revenir à la question des réseaux, il me semble que les _uvres ne tournent pas assez et qu'elles dorment dans les réserves des musées nationaux, alors que de nombreux musées territoriaux en auraient besoin pour valoriser leurs collections et attirer du public. Je me souviens à cet égard du succès de la politique « hors les murs » du Centre Georges Pompidou.

Mme Françoise Cachin, directrice des musées de France.- Il faut que le mythe des réserves des musées nationaux tombe, car la réalité est tout autre. Il n'y a pas de chefs d'_uvre dans les réserves. Que diraient les musées territoriaux si les musées nationaux leur déposaient les _uvres dont ils ne veulent pas ?

Troisième débat : quel avenir pour la Réunion des musées nationaux  ?

Propos introductif de Mme Irène Bizot, administrateur général de la Réunion des musées nationaux.- Je suis entrée il y a plus de trente ans à la Réunion des musées nationaux et je peux affirmer sans hésitation que les musées tels que je les ai connus comme jeune conservateur n'avaient aucun rapport avec les musées aujourd'hui. La croissance et la modernisation des musées nationaux ont été accompagnés par la Réunion des musées nationaux qui a joué un rôle essentiel dans le bouleversement du rapport entre le musée et les publics tant par la politique des expositions menée depuis les années soixante que par le développement de ses activités d'édition et de diffusion des produits des musées (livres, images, moulages, gravures, produits dérivés).

Aujourd'hui, la Réunion des musées nationaux représente une très grande force de mutualisation pour les musées nationaux (pour les acquisitions, les expositions, les activités d'édition et de diffusion) et, depuis quelques années, à l'égard des musées de région qui la sollicitent. Elle assure un équilibre entre les activités de service public (agence photos, visites, conférences, ateliers de chalcographie et de moulage) et les activités plus rémunératrices (catalogues d'expositions, guides, cartes postales). Ainsi, les expositions à succès font souvent l'objet de coproductions internationales qui permettent ensuite de réaliser des expositions nécessaires mais à moins grand public. L'extension de son activité à certains musées territoriaux l'a également conduite à mettre en place un réseau décentralisé d'édition en région qui réalise des productions spécialement adaptées aux expositions des musées territoriaux.

La participation de la Réunion des musées nationaux à la recherche de nouveaux publics se fait notamment à travers le soutien à de nouveaux produits tarifaires, comme la carte intermusées de la région Ile-de-France ou des Alpes-maritimes, qui sont des produits d'appel touristiques, ou encore la carte Sésame pour l'accès aux expositions du Grand Palais. La Réunion des musées nationaux s'est par ailleurs investie dans le secteur des nouvelles technologies en développant des produits ludo-culturels, du type CD-Rom et DVD-Rom sur les collections. Elle a également participé à la réalisation d'un service en ligne (l'histoire par l'image) et de sites Internet pour les musées nationaux, élaborés en collaboration avec la direction des musées de France. Enfin, toujours pour aller à la rencontre de nouveaux publics, elle a organisé des expositions-ventes de moulages et de gravures des ateliers du Louvre dans les magasins Carrefour d'une cinquantaine de villes en France et maintenant en Asie.

La Réunion des musées nationaux mène aussi une action européenne et internationale reconnue. Ainsi, elle possède une filiale en Italie qui a développé des activités d'édition, dispose d'une concession de librairie-boutique à la Galerie d'art moderne de Rome et assure des prestations de service à l'Etablissement public de Pompéi. Malgré la petite fréquentation du musée d'art moderne de Rome, sa librairie est considérée par les Romains comme la meilleure librairie d'art moderne de la ville. Une filiale japonaise sert par ailleurs de relais à des expositions des collections de musées régionaux au Japon et permet d'obtenir de véritables mécénats. La Réunion des musées nationaux mène également des opérations de coopération et de coédition avec les musées tchèques et roumains et réalise des expositions avec les pays africains et océaniens. Enfin, elle participe à un groupe d'une cinquantaine de musées organisateurs d'expositions dans le monde qui réfléchissent ensemble aux modalités d'organisation de ces manifestations et mettent en place des règles communes.

Rien de tout cela n'aurait été possible et ne serait envisageable sans le principe de mutualisation qui a justifié la création de l'établissement il y a un siècle.

Propos introductif de M. Philippe Durey, directeur du musée des beaux-arts de Lyon.- J'évoquerai pour ma part l'avenir de la Réunion des musées nationaux, dont je me réjouis de prendre bientôt la direction. Comme l'a souligné Mme Irène Bizot, ce qui caractérise cet établissement, c'est la grande diversité de ses actions. J'ai le désir de m'y engager, même si c'est une mission difficile, en tirant parti de mon expérience de conservateur de musée en région.

Quand j'ai pris, il y a quatorze ans, mes fonctions au musée de Lyon, celui-ci était une caricature du musée de province poussiéreux. Le comptoir qui tenait lieu de librairie ne vendait que quelques cartes postales, les catalogues étaient vieillots, c'était un exemple de « non savoir-faire ». Dès lors que la mairie de Lyon a accepté mon idée de concéder la librairie à la Réunion des musées nationaux, tout a changé, on a assisté à une professionnalisation. Très vite, j'ai pu constater que nos catalogues et nos objets dérivés étaient en vente au Louvre et à Orsay, ce qui a donné au musée des beaux-arts de Lyon une visibilité nationale : un grand pas a été franchi à ce moment là. L'antenne éditoriale de Lyon publie aujourd'hui trente-cinq titres par ans, alors qu'elle n'emploie que trois personnes. Elle est en relation avec quinze musées de la région Rhône-Alpes, ce qui lui permet d'adapter son action à la réalité locale.

L'avenir de la Réunion des musées nationaux passe par le développement des partenariats, en utilisant au maximum sa capacité opérationnelle et la souplesse de son statut. Les trois axes prioritaires de son action doivent être la recherche de la qualité, le pragmatisme et la mutualisation, qui ne signifie pas seulement une mise en commun des moyens, mais aussi une communauté de pensée au service du public.

M. Marcel Rogemont.- De manière un peu provocatrice, je dirai que mutualisation et Réunion des musées nationaux ne sont pas synonymes, car pour cette dernière, la mutualisation est la conséquence d'un choix de gestion de l'Etat et non pas un objectif. La première des mutualisations, c'est la subvention : elle relève de l'Etat, et pas de l'une de ses subdivisions.

L'avenir de la Réunion des musées nationaux peut se concevoir de deux manières : on peut choisir d'en faire la tête d'un réseau de musées « franchisés », ce qui entraînera un renforcement et une extension de son rôle, ou bien de la mettre au service des musées, selon un principe de subsidiarité.

A l'heure actuelle, même dans le cadre d'une mutualisation, on peut se demander si la Réunion des musées nationaux n'est pas déresponsabilisante pour les musées.

Mme Françoise Cachin, directrice des musées de France.- La Réunion des musées nationaux réunit les 33 musées « nationaux », c'est-à-dire que, même si elle est appelée à travailler de plus en plus au profit des musées de régions, elle est surtout orientée vers les premiers. Il n'est donc pas question qu'elle devienne une tête de réseau des musées en région.

M. André Desvallées, vice-président de l'Association nationale des conservateurs des collections publiques de France.- La nouvelle version du rapport de la mission est plus précise que la précédente, en particulier sur la définition du musée. Je me demande cependant pourquoi la commission a retenu la définition de la British museum association plutôt celle du Conseil international des musées (ICOM), qui a l'avantage d'être plus précise et d'affirmer de façon forte le caractère non lucratif des musées.

Le président Jean Le Garrec.- Je tiens à rappeler que la précédente version n'était qu'un rapport d'étape.

M. Alfred Recours, président et rapporteur de la mission d'information.- Si certaines questions restent aujourd'hui sans réponse, ces réponses viendront et le Parlement jouera pleinement son rôle de législateur au moment de l'examen du texte qui nous est annoncé. En attendant, les travaux de la mission d'information pourraient également être utilement poursuivis au sein d'un groupe d'études qui bénéficierait du substrat documentaire déjà constitué.

Je me félicite, en tout cas, qu'un éventuel projet de loi, non encore déposé, ait fait l'objet d'une réflexion en amont aussi large, sur un an et demi. Les réflexions de la mission seront prises en compte dans ce projet, dont la responsabilité incombe au Gouvernement. Les travaux ont associé l'ensemble des groupes de l'Assemblée nationale, y compris l'opposition, et ils ont permis d'entendre l'ensemble des catégories intéressées de la société civile.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.- Il convient maintenant de préparer rapidement un texte. Les travaux de la mission permettent d'échapper à une vision réductrice du rôle du Parlement. Ce n'est pas la première fois que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales crée une telle mission en amont d'un projet de loi. On peut ainsi citer les travaux de la mission sur la décentralisation du système de santé. C'est, en revanche, la première fois qu'elle le fait dans le secteur culturel. En outre, je rappelle que la commission a désormais le souci, après l'adoption de chaque loi importante, de désigner en son sein un rapporteur qui en suit l'application.

Je vais maintenant passer la parole à Mme Catherine Tasca, ministre, qui nous a rejoints à l'issue du Conseil des ministres et qui a accepté de conclure nos travaux.

Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication.- L'initiative qui a été prise par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et son président de constituer une mission d'information sur les musées est très opportune dans un contexte où ces institutions sont devenues, pour nos concitoyens, le premier équipement culturel qu'ils fréquentent.

Les chiffres vous sont connus : 33 % des Français déclarent avoir visité un musée et cette estimation sera très prochainement revue à la hausse, grâce à la décision de mon prédécesseur, Mme Catherine Trautmann, d'offrir la gratuité chaque premier dimanche du mois. Il nous faut néanmoins redoubler nos efforts pour accroître la fréquentation du public en particulier pour celles et ceux qui ne se sentent pas encore concernés par ces mesures.

Je souhaite, avant de vous faire part de mes intentions sur l'utilité d'une loi musée, exprimer toute ma reconnaissance au président de la mission, M. Alfred Recours ; le travail qu'il a engagé, avec ses collègues, depuis plusieurs mois, sa capacité d'écoute et sa maîtrise des sujets patrimoniaux ont contribué à enrichir notre propre réflexion. Car la méthode et l'approche qui furent les vôtres ont stimulé les services de l'administration et l'ensemble des partenaires associés à cette étude prospective. J'approuve cette méthode de travail en commun du Gouvernement et du Parlement et j'en souhaite le renouvellement.

Le dynamisme des musées nationaux et territoriaux ces dernières années montre à l'évidence que ces institutions sont devenues désormais des outils premiers de l'aménagement culturel du territoire, de l'intégration sociale et de la constitution des collections patrimoniales de notre pays.

Depuis près de dix ans, les pouvoirs publics ont envisagé de donner aux musées une assise juridique renforcée qui tienne compte de l'évolution des enjeux culturels. Je ne reviendrai pas sur les raisons du retard accumulé pour la mise en _uvre d'une telle réforme considérée aujourd'hui, tant par la Représentation nationale que par le Gouvernement, comme indispensable. Après la loi sur la protection des trésors nationaux et celle sur les ventes publiques aux enchères, je confirme devant vous ma ferme volonté de déposer très rapidement un projet de loi sur les musées.

Je me félicite à cet égard des propositions de votre commission. Elles portent tout d'abord sur la définition même du musée : la question mérite en effet d'être posée compte tenu de l'ampleur et de la profondeur des évolutions en cours. Placer le public au c_ur de l'institution muséale, comme vous le souhaitez, est devenu un objectif incontournable : les collections ne prennent tout leur sens que par rapport à celles et ceux qui les regardent. C'est pourquoi le projet de loi intégrera les éléments d'une véritable politique des publics. J'ai l'intention d'introduire des obligations nouvelles pour l'ensemble des musées qui seront labellisés, comme par exemple la gratuité obligatoire pour les jeunes de moins de 18 ans et la généralisation de la gratuité pour tous les Français un jour par mois. Comme l'a justement souligné M. Pierre Rosenberg, la démarche des publics vers les musées doit être accomplie le plus tôt possible et le rôle d'appui du système scolaire est déterminant.

Le rapport montre bien l'utilité de la gratuité limitée, certains jours de l'année, pour attirer un nouveau public de proximité qui, pour des raisons économiques ou personnelles, n'effectuait pas la première démarche pour participer aux activités des musées. Ce ne sont pas là les seules actions pour mobiliser les publics. Les expositions hors murs engagées par le Centre Georges Pompidou et d'autres institutions ont aussi prouvé leur pertinence.

Si les missions scientifiques des musées permettent de préserver les collections et de les étudier, il est clair que le développement des actions culturelles est d'autant plus nécessaire que son impact déterminant sur la fréquentation est aujourd'hui démontré. La conquête du public reste encore trop lente, les mesures que je viens d'évoquer peuvent nous permettre d'aller plus vite et plus loin. Elles ne sont pas suffisantes et on pourrait également envisager l'obligation de prévoir la création de services en direction des publics, soit par le musée lui-même, soit au niveau départemental ou régional, au titre à la fois de la mise en réseau et de la solidarité des départements pour les petites communes.

La croissance de la « demande » en matière de musées résulte essentiellement de l'amélioration de l'offre selon deux axes :

- le premier concerne la rénovation des bâtiments : 250 chantiers ont été ouverts depuis les années quatre-vingts, de grands programmes sont en cours, avec parallèlement la restauration des collections. Je poursuivrai cet effort ;

- le second est celui du développement des actions de médiation et de formation qui supposent des moyens humains et financiers. J'ai la ferme intention d'en faire une priorité pour les années à venir.

Nous devons aussi nous interroger sur la définition et le statut du musée du XXIème siècle.

Chacun reconnaît la nécessité de donner un cadre législatif conforme aux réalités du musée d'aujourd'hui alors même que les textes sont issus d'une ordonnance de 1945. Je partage à ce sujet les analyses de votre mission qui préconisent un statut garantissant la qualité et l'exigence scientifique, sans être rigide et l'instauration d'un label fédérateur impliquant la suppression de la catégorie dite des musées classés. Le label ne doit pas reposer exclusivement sur des critères patrimoniaux, il doit nécessairement intégrer des critères relatifs aux actions pour les publics.

C'est une dimension nouvelle du partenariat contractuel à laquelle, je le sais, les élus sont très attachés. C'est aussi à ce niveau que nous devons préciser les rapports entre l'Etat et les collectivités en considérant la logique prioritaire de conseil et d'expertise de l'Etat, telle que définie dans le cadre des lois de décentralisation ; elle doit s'appliquer pleinement aux musées. Pour ce faire, il convient de renforcer les moyens à l'échelon déconcentré, en particulier auprès des directions régionales des affaires culturelles.

Dans le même esprit, votre commission estime nécessaire d'engager une concertation entre les musées nationaux afin d'étudier la possibilité d'identifier, en certains domaines, un musée comme chef de file qui faciliterait la mise en réseau des établissements. L'exemple du musée d'Orsay auquel sont rattachés le musée Gustave Moreau et le musée Hennert illustre votre propos. Je ne suis pas opposée, bien au contraire, à une organisation de cette nature à condition que celle-ci ne vienne pas limiter l'autonomie propre des musées du réseau national qui bénéficient déjà pour la plupart du statut de service à compétence nationale.

Sur le rôle et la mission de la Réunion des musées nationaux, je pense qu'il convient de maintenir, comme vous le précisez dans votre rapport, le principe de la mutualisation mais il faut trouver parallèlement un juste équilibre pour à la fois ne pas contraindre l'autonomie des deux établissements publics, le Louvre et Versailles, et par ailleurs, garantir des ressources aux autres musées nationaux. La nomination récente de M. Philippe Durey, que je salue parmi nous, comme administrateur général de la Réunion des musées nationaux, succédant à Mme Irène Bizot dont l'action remarquable a contribué à faire de cet établissement une institution internationale exemplaire, répond à cette attente. M. Philippe Durey connaît parfaitement le réseau des musées nationaux et celui des collectivités locales, je n'ai pas besoin de rappeler l'excellence de sa direction au musée des beaux-arts de Lyon. Il saura contribuer à la redéfinition des rapports entre les établissements ; c'est aussi un des enjeux de développement des politiques des publics tant à l'échelon national que territorial.

Notre souci commun concerne aussi la formation des conservateurs et la mise en _uvre d'une réelle mobilité. Je suis très favorable à l'idée de création d'un grade de « généralat » pour les conservateurs territoriaux en parallèle avec le corps d'Etat. De même, nous nous devons d'amplifier la mobilité des agents, favoriser les passerelles entre les corps et par ailleurs accentuer la réforme en cours de l'Ecole nationale du patrimoine.

La loi nouvelle doit aussi prévoir des dispositions particulières pour les collections, de nombreux aspects sont évoqués à cet égard dans votre rapport. Le premier d'entre eux pose le problème de l'inaliénabilité des _uvres.

Loin d'en contester le principe, vous suggérez l'étude d'assouplissements dans certains domaines notamment l'archéologie, l'ethnologie et l'art contemporain. Je suis assez favorable à ce que la loi prenne en compte d'une manière générale les collections dites d'études comme celles de l'archéologie et l'ethnologie. Je ne suis pas convaincue de la nécessité de rendre aliénables les oeuvres d'art contemporain. C'est un sujet qui dépasse très largement la politique des musées, il concerne aussi et surtout les fonds régionaux d'art contemporain (FRAC).

J'estime néanmoins nécessaire d'engager une réelle collaboration entre les musées et les FRAC, notamment en favorisant des dépôts d'oeuvres patrimoniales majeures de leurs collections dans les musées. Les FRAC pourront ainsi mieux soutenir la création et remplir pleinement leur mission initiale de diffusion de l'art contemporain sur tout le territoire régional.

J'ai entendu votre demande de poursuivre et d'accroître la politique de dépôt d'_uvres des musées nationaux auprès des musées de région, c'est un acquis indéniable. C'est aussi la reconnaissance de la grande compétence des conservateurs d'Etat et territoriaux qui dirigent et font vivre nos musées. Ils ne ménagent pas leurs efforts pour faire découvrir ou redécouvrir leur collection. Dans cet esprit, je souhaite que l'on étudie le principe de transfert de propriété de l'ensemble des dépôts anciens de l'Etat au bénéfice des collectivités locales dont les établissements auront été labellisés. Je pense, en particulier, aux fonds constitutifs de 1811 de la plupart de nos musées en région, mais aussi des acquisitions de l'Etat antérieures à 1910, date de la première réglementation des dépôts de l'Etat. Cette proposition pourrait concerner de très nombreuses _uvres, dont des chefs d'_uvre et permettrait aussi d'émanciper les musées territoriaux du poids que représente le contrôle de ces dépôts anciens par les institutions d'Etat.

Un autre point évoqué dans votre rapport concerne l'enrichissement des collections publiques. Il s'agit bien sûr d'une des priorités de l'Etat et des collectivités locales. J'ai eu l'occasion de m'exprimer à ce titre lors d'un récent débat sur la protection des trésors nationaux. Il reste que pour l'amplifier, il est utile de bénéficier de fonds privés ; à cet égard, la contribution du mécénat individuel ou collectif demeure trop faible dans notre pays. J'examinerai donc avec la plus grande bienveillance les propositions que vous avez formulées à ce sujet.

Je n'ai pas répondu, Monsieur le président, à l'ensemble des conclusions de votre rapport, mais vous l'aurez compris, Mesdames, Messieurs, ma détermination est grande pour que le projet de loi sur les musées soit l'occasion d'affirmer le rôle et la mission qui est la leur pour l'éducation, la formation, le plaisir des publics ainsi que pour la conservation de notre patrimoine.

Ces établissements constituent les outils essentiels d'une politique culturelle, régionale, nationale et internationale. Il faut leur donner les moyens de se développer et d'être en mesure de poursuivre leur mission patrimoniale non dans le but de thésauriser mais pour que ces richesses puissent être vues par le plus grand nombre de nos concitoyens.

Il nous reste un important travail à engager ; je remercie toutes celles et ceux qui y contribuent. J'ai noté avec satisfaction votre décision, Monsieur le président, de créer un groupe d'études. Je remercie donc les parlementaires, les élus locaux, les personnels scientifiques mais aussi les services de l'Etat en DRAC et ceux de l'administration centrale, en particulier la direction des musées de France. Je veux souligner devant vous la grande capacité de travail et la force de conviction dont ont fait preuve Mme Françoise Cachin, directeur des musées de France, et toute son équipe.

Je souhaite que ce dialogue constructif se poursuive pour que nous réunissions notre défi commun d'une culture partagée par le plus grand nombre des Français.

Le président Jean Le Garrec.- Je remercie tous les participants au débat de ce matin. Madame la ministre, j'ai retenu votre lecture attentive du rapport parlementaire et votre engagement pour qu'un projet de loi soit déposé aussitôt que possible. Nous nous attacherons à ce qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.


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