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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 9 octobre 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Mike Moore, Directeur général de l'OMC

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Audition de M. Mike Moore, Directeur général de l'OMC

Le Président François Loncle a indiqué que la Commission était vivement intéressée par la préparation et les perspectives de la conférence de Doha qui se tiendra dans un mois et fait suite à celle de Seattle qui a débouché sur une impasse. Certains estiment que Doha devrait donner le signal d'un nouveau cycle de négociations commerciales susceptible de relancer les échanges. D'autres mettent l'accent sur la nécessaire régulation de la mondialisation, sur la protection de l'environnement, sur les normes sociales et sur le principe de précaution en matière alimentaire.

Il a souhaité connaître l'analyse de M. Mike Moore sur les conséquences économiques et commerciales des attentats du 11 septembre et des frappes contre l'Afghanistan. L'économie mondiale, déjà entrée en ralentissement avant ces événements, suscite des craintes : krach boursier, ralentissement de l'activité du transport aérien, augmentation des primes d'assurance, repli de la consommation des ménages, freinage des échanges internationaux. Il a demandé si l'alternative actuelle se posait entre retour du protectionnisme et renforcement du multilatéralisme.

M. Mike Moore a précisé que le rôle du Directeur général était de se mettre au service des membres de l'OMC, et de faciliter les négociations entre les ministres, ce qui est particulièrement d'actualité un mois avant le sommet de Doha, où chacun veut éviter la répétition de l'échec de Seattle. Des décisions de long terme doivent être prises, sinon l'OMC entrera dans une sorte d'hibernation, et des options dangereuses pourraient surgir. Un nouveau cycle de négociations s'impose, et il faut avoir à l'esprit des idéaux élevés.

M. Mike Moore a souligné que l'on ne devait pas attribuer tous les maux à l'OMC : ce sont les Gouvernements qui choisissent d'affecter des crédits à l'armement ou qui laissent s'installer la corruption. L'argument du développement va dans le sens d'une ouverture plus grande des marchés, qui peut tirer des millions de personnes de la misère. Si l'on veut atteindre les objectifs de réduction de la pauvreté fixés par les Nations unies, il faut progresser dans la libéralisation des échanges, car ce sont les pays les plus pauvres qui rencontrent les plus grands obstacles à leurs exportations. Ils gagneraient, selon une étude, 155 milliards de dollars par an avec la libéralisation plus poussée du commerce. Il faut féliciter l'Union européenne qui a donné l'exemple de la solidarité avec l'initiative d'ouverture du marché communautaire aux pays les moins avancés appelée « Tout sauf les armes ».

Globalement, la diminution des obstacles aux échanges agricoles, industriels et de services permettrait un gain de richesse égal à 613 milliards de dollars, c'est-à-dire à l'économie du Canada tout entier. La libéralisation de tous les obstacles représente deux fois l'équivalent de l'économie de la Chine. Les gains qui résulteraient de ces évolutions seraient donc infiniment plus élevés que les subventions que nous versons aux pays en développement.

Le commerce n'est évidemment que l'un des éléments d'un ensemble de politiques qui, au total, permettraient le développement. Les Gouvernements et les dirigeants politiques savent qu'aucun pays ne peut agir isolément pour la lutte contre le SIDA, restaurer l'environnement ou assumer l'exploitation d'une compagnie aérienne, ou encore répondre à la menace du terrorisme international.

Le mois prochain, l'OMC accueillera 1,5 milliard de citoyens chinois dans son système, pour participer à la définition de la contribution future au développement économique global, à la paix et à la sécurité.

La France est particulièrement intéressée au fonctionnement efficace du système commercial multilatéral. En 1999, 40 % de son PIB était lié au commerce de marchandises, elle exportait 7 % de son PIB en dehors de la Communauté et 14 % au sein de la Communauté. La France est le 2ème exportateur agricole mondial, le 3ème exportateur de services. Elle a augmenté ses exportations à la suite de la conclusion du cycle de l'Uruguay Round et est l'un des principaux bénéficiaires de notre accord sur les services. Les exportations françaises dans le secteur du commerce des services ont représenté 77 milliards de dollars pour l'année 2000.

La fin de l'année verra une récession de nature technique au Japon, en Europe et aux Etats-Unis. Il n'y a pas lieu cependant de penser, comme le disent certains commentateurs, que les événements du 11 septembre doivent entraîner le repli sur soi et la diminution des échanges.

La prochaine conférence ministérielle est l'occasion d'affirmer nos procédures, de renforcer la confiance en l'économie globale et de fortifier le système commercial multilatéral. Une Europe forte contribue d'ailleurs à consolider ce système.

M. Roland Blum a estimé que les prochaines négociations commerciales pourraient achopper sur plusieurs points, notamment la question des normes sociales et environnementales ou encore de l'agriculture. Il semble au demeurant que les clivages pauvres/riches n'expliquent pas toutes les oppositions, puisque l'Europe et le Japon, d'un côté, se disent favorables aux subventions, et de l'autre le groupe de Cairns, y est hostile.

Toutefois, depuis les événements du 11 septembre, les Etats-Unis interviennent plus directement dans l'économie, notamment l'aéronautique. Ce changement pourrait-il avoir une influence sur les prochaines négociations ?

Enfin, M. Roland Blum a souhaité connaître l'avis de M. Mike Moore sur la taxe Tobin.

M. Pierre Brana a souligné que l'une des conséquences des attentats terroristes sera un essoufflement de la croissance dans les pays en voie de développement (PVD). A cet égard, le Président de la Banque mondiale, M. James Wolfensohn, parle d'un bilan « inaperçu » qui va frapper les PVD et provoquer la mort de dizaines de milliers d'enfants. M. Mike Moore partage-t-il cette sombre analyse et quels sont les moyens dont l'OMC dispose pour réagir ?

S'agissant des candidatures à l'OMC, le fait que la Russie participe à la coalition antiterroriste peut-il faciliter son adhésion à l'OMC ?

M. François Guillaume a demandé si le principe de la globalité retenu pour l'Uruguay Round serait maintenu à Doha.

En outre, rappelant que le Congrès américain avait accepté les accords du GATT avec la réserve considérable de se retirer de l'OMC si les intérêts américains étaient contrariés, il a souhaité savoir si les Etats-Unis pourraient à nouveau maintenir leur prétention à user d'une négociation en fonction de leurs intérêts personnels et à s'en retirer.

M. Mike Moore a répondu aux intervenants.

De nombreuses pierres d'achoppement dans la négociation, comme par exemple l'agriculture, la propriété industrielle, etc., provoquent des difficultés avec les pays en développement. La presse des pays riches est souvent assez condescendante avec ces pays traités de manière trop globale alors qu'ils sont en fait très différents les uns des autres. Il suffit de comparer ceux d'entre eux qui exportent du pétrole et ceux qui en importent.

Les attentats du 11 septembre ont entraîné un certain interventionisme dans l'économie américaine, comme cela a été le cas pour les compagnies aériennes. Est-ce qu'il y a des risques de récession mondiale ? Sur ce point, M. Mike Moore s'est montré prudent observant qu'il en avait prévu, jusqu'à présent, deux sur sept.

Quant à la Taxe Tobin, dont l'idée date des années soixante-dix, le professeur Tobin lui-même reconnaît qu'elle n'est pas opérationnelle. Dans ce contexte où l'on n'arrive pas à se mettre d'accord sur le niveau de l'Aide publique au développement, comment réussirait-on sur la Taxe Tobin ? A l'évidence certains gouvernements s'y refuseront.

Les déclarations du Président de la Banque mondiale sont justes, la récession dans les pays riches a également des conséquences dans les pays pauvres où elle génère des troubles. Dans le cas de la Malaisie par exemple, 24 % du PIB sont liés aux exportations avec les Etats-Unis. La récession aux Etats-Unis l'atteint donc directement.

L'entrée de la Chine dans l'OMC, personne n'y croyait il y a quelque temps. Aussi convient-il d'être optimiste quant à celle de la Russie car le Président Poutine comprend les problèmes et s'efforce de les résoudre.

Après avoir observé ne pas aimer le concept de « globalité » qui se réfère à la position de certains Etats, il a souligné qu'il était nécessaire que les décisions soient acceptées par le marché et qu'une décision soit prise pour un nouveau cycle nécessitant une large négociation.

Les négociations seront plus ouvertes que jamais. Il va de soi que les Etats-Unis, comme les autres Etats, lutteront pour leurs intérêts. Il y aura un large cycle de négociations ou rien. Il a soutenu que l'Uruguay Round avait été un succès.

Rappelant que la France était attachée à un système multilatéral en matière commerciale, M. Jean-Claude Lefort a estimé que, pour des raisons de fond et d'opportunité, la réunion de Doha ne réunissait pas les conditions nécessaires à un succès. M. Mike Moore l'a dit lui-même : « Si nous échouons l'OMC sera en hibernation ». Or Seattle a échoué pour trois raisons : le poids de l'opinion publique qui veut participer en direct aux négociations, la contradiction Etats-Unis/Europe et les pays du Sud qui ne s'y retrouvent pas. A Doha, 647 ONG sont autorisées à participer à raison d'un membre par organisation et seuls les premiers journalistes inscrits pourront participer. Que reste-t-il pour l'opinion publique ? On le constate, l'une des causes de l'échec de Seattle est amplifiée à Doha, sans parler des contradictions persistantes entre les Etats-Unis et l'Europe ou encore des pays du Sud que l'on « exhorte », ce sont les propres termes de M. Mike Moore, à participer à ce cycle.

Enfin, le chiffre de 150 milliards de dollars de retombées chaque année pour les pays du Sud est contestable dans la mesure où il vaudrait mieux attendre la fin des négociations et connaître le contenu du compromis final pour l'évaluer.

En conclusion, ne serait-il pas plus responsable de reporter Doha ?

Citant Auguste Comte pour qui « tout est poison, rien n'est poison, tout est question de mesure », M. Jacques Myard a jugé que l'OMC était la pierre philosophale de l'humanité dans la mesure où elle va tout résoudre. On en est loin et si le commerce apporte du progrès, c'est à la condition d'un développement équivalent des nations. La liberté totale du commerce, c'est-à-dire l'ouverture des frontières sont facteur de déstabilisation. Si l'organisation d'un nouveau round est politiquement risquée, il n'est en outre pas certain que l'on en ait besoin au regard de la croissance constante ces dernières années du commerce international. Mettre l'accélérateur sur la libéralisation n'est pas raisonnable au moment où l'on a des difficultés à assurer un équilibre entre le Nord et le Sud qui soit plus conforme à une justice sociale. Il vaudrait mieux consolider les acquis plutôt que d'accélérer.

Le Président François Loncle a fait remarquer à M. Mike Moore que cette réunion lui donnait l'occasion de découvrir un bon échantillon de la contestation française à l'OMC.

M. Patrick Delnatte a demandé des précisions sur l'orientation et les axes de travail de l'OMC consacrés aux échanges de produits textile-habillement.

Mme Béatrice Marre s'est fait l'écho du consensus sur le maintien d'un système multilatéral même si l'OMC gagnerait à entrer dans le système onusien. L'une des questions qui se pose est de savoir quelle dose d'ouverture et de régulation, notamment en direction des pays du Sud, faire entrer dans l'OMC.

S'agissant de la prochaine conférence de Doha, la question du lieu se pose également.

Enfin, sur le fond, un texte présenté par Stuart Harbison, Président du conseil général de l'OMC, circule et il serait intéressant d'obtenir des éléments sur son contenu pour savoir si des avancées réelles, en particulier en termes de régulation pour les pays en voie de développement, sont prévues ou bien si, une fois de plus, on va se retrouver dans la situation de Seattle avec des discussions entre pays développés.

Mme Marie-Hélène Aubert a tout d'abord relevé que, depuis quelques années, certains pays se spécialisaient dans certains secteurs de production comme le textile ou l'électroménager, alors que parallèlement ces secteurs disparaissaient par pans entiers de nos pays, du fait du faible coût de la main d'_uvre dans les pays du Sud et du très faible coût du transport et de l'énergie. Or l'on sait que les flux de transport explosent avec la libéralisation. Ce phénomène est-il souhaitable et durable à terme ?

Elle a ensuite demandé à M. Mike Moore quel était son point de vue sur les relations entre l'OMC et les grandes conventions internationales onusiennes par exemple. Comment faire pour que l'OMC se soumette aux règles adoptées dans les enceintes internationales ?

M. Mike Moore a estimé que beaucoup de choses avaient changé depuis Seattle. Les pays développés sont plus attentifs aux discours des pays en développement qui, de leur côté, connaissent mieux leurs dossiers. Certains thèmes peuvent désormais être abordés qui n'auraient pu l'être à Seattle.

Le principal problème qui se pose aux démocraties émergentes est moins de savoir quel parti va triompher aux prochaines élections que d'empêcher une baisse du niveau de vie qui ferait replonger le pays dans les difficultés antérieures.

Il ne servirait à rien de repousser les rencontres ministérielles, ne serait-ce que pour la quarantaine de membres qui, faute de moyens, ne disposent d'aucune représentation permanente à Genève et ne peuvent donc pas s'y exprimer. Il faut sauvegarder le rythme des rencontres ministérielles qui s'impose en vertu du Statut de l'OMC.

Il faut se garder de tout romantisme et privilégier une approche visionnaire et pragmatique. Le progrès n'est pas fini, les changements sont continus, même si parfois certaines périodes sont plus difficiles. M. Mike Moore a confié que lui-même avait traversé ce type de période en connaissant un temps de chômage.

En ce qui concerne le commerce, il n'y aura jamais de libre-échange intégral mais il convient de favoriser les échanges, y compris culturels.

Certains pays en développement ont été très irrités par les résultats de l'Uruguay Round dans le secteur du textile, qu'il ont jugé décevants. Il est vrai que les pays développés ont perdu des emplois dans ce secteur. L'OMC a prévu certains correctifs, notamment les procédures anti-dumping. Un centre juridique, indépendant de l'OMC, a été ouvert afin d'apporter des conseils pour éviter d'éventuelles procédures contentieuses.

Il ne faut pas être hypnotisé par le fait de devenir une organisation des Nations unies. Le véritable problème est la recherche d'une cohérence entre les actions des diverses institutions internationales.

L'Union européenne s'est ouverte aux pays les moins avancés. C'est un point positif mais elle ne doit pas en attendre de reconnaissance éternelle. Si on veut de la gratitude, il ne faut pas faire de la politique mais acheter un chien, c'est plus sûr.

La technologie a supprimé des emplois, ce n'est pas la faute de l'OMC. Le rôle de cette institution est d'être l'architecte du commerce international et elle dispose pour ce faire de mesures contraignantes. Il existe des accords internationaux, notamment en matière d'environnement, qui sont en contradiction avec les règles de l'OMC. Il faut rechercher davantage de cohérence, ce qui demande beaucoup de travail. Il ne faut cependant pas attendre tout de l'OMC, qui est une petite organisation : ses effectifs sont par exemple le quart de ceux de l'OCDE.

Le Président François Loncle a remercié M. Mike Moore pour sa franchise et son ton très éloigné de celui de la technocratie.

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● Organisation mondiale du commerce


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