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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 4 décembre 2001
(Séance de 17 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. John Kufuor, Président de la République du Ghana

- Information relative à la Commission

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Audition de M. John Kufuor, Président de la République du Ghana

Le Président François Loncle a accueilli M. John Kufuor, Président de la République du Ghana, soulignant que ce pays, auquel la France est très attachée, va jouer un rôle important dans l'Ouest africain.

M. John Kufuor s'était présenté à l'élection présidentielle en 1996, mais il avait alors été battu par M. Jerry Rawlings. S'étant représenté à l'élection de décembre 2000, il a été élu, dans des conditions d'alternance politique qui honorent le Ghana. M. John Kufuor a accédé à la plus haute fonction de son pays dans une période particulièrement difficile, alors que la situation économique est mauvaise à la suite d'une gestion chaotique et que le pays connaît des troubles récurrents. Cependant, tel Pierre Mendès-France, qui a su en huit mois résoudre plusieurs crises et redresser la situation économique, le Président Kufuor est parvenu, en seulement onze mois de pouvoir, à établir une politique de stabilisation du pays.

Le Président John Kufuor a rappelé que le Ghana, qui compte 19 millions d'habitants, est entouré de pays francophones. Après un siècle de colonisation britannique qui a pris fin en 1957, le Ghana a connu une vie démocratique pendant une dizaine d'années. Il a ensuite connu un système de parti unique, puis son histoire récente a été rythmée par plusieurs coups d'Etat militaires suivis de périodes de dictature militaire.

Le Président ghanéen a précisé qu'il avait été élu le 7 décembre 2000 sur la base de la Constitution de 1992 qui garantit le multipartisme et la séparation des pouvoirs. Le Président peut être élu pour deux mandats de quatre ans. Le Gouvernement, dès son installation, a souhaité établir un équilibre entre l'intérêt national et celui des citoyens. Le parti dont le Président est issu est resté dans l'opposition pendant quarante ans, et plusieurs de ses responsables ont été emprisonnés, comme lui-même, à plusieurs reprises. Aussi, la politique que mène le Gouvernement respecte-t-elle les droits de l'Homme.

Le Président John Kufuor a évoqué les bonnes relations du Ghana avec ses voisins francophones, en soulignant le caractère artificiel des frontières dessinées de façon arbitraire par l'histoire coloniale. De ce fait, le même groupe ethnique peut se trouver de part et d'autre d'une frontière et il convient de dépasser ces clivages pour des raisons économiques et politiques, afin d'éviter des tentatives de déstabilisation venues des pays voisins.

Au niveau économique, pour avoir un impact, il faut réunir l'ensemble des forces ; les pays francophones représentent une entité grâce à l'union douanière, la monnaie unique, qui, à terme, aura une parité fixe avec l'euro. Ce n'est pas le cas des Etats anglophones qui, depuis les indépendances, ont chacun leur propre monnaie, ce dont leurs économies ont souffert. C'est pourquoi l'intégration économique sous-régionale est d'actualité. Il serait bon de créer une monnaie unique dans cet espace.

Selon le Président John Kufuor, l'établissement de bons rapports avec les anciennes puissances coloniales est nécessaire, car elles représentent les principaux marchés et commercent avec l'ensemble des pays de la sous-région. Le Ghana est partisan de l'économie de marché, tout en sachant que les pays les plus pauvres sont de plus en plus marginalisés dans le processus de mondialisation. Aussi vaut-il mieux appartenir à un groupe. Un projet de mise en place de structures communes est en cours pour certains services, le développement des infrastructures portuaires et du réseau routier trans-africain, afin que les matières premières puissent bénéficier d'une plus grande valeur ajoutée. Ce projet constitue une étape dont l'expression finale sera l'union africaine.

Pour développer ces efforts, la stabilité politique est nécessaire. Or, dans l'ensemble sous-régional de l'Afrique de l'Ouest, tous les pays ont été victimes de coups d'Etat. En 44 ans d'indépendance, le Ghana en a connu quatre. Depuis 9 ans, le pays bénéficie d'un régime constitutionnel, l'armée joue un rôle moins important, le Gouvernement contribue aux efforts de rétablissement de la paix dans des pays comme le Liberia, dans la région des Grands Lacs et en République démocratique du Congo. Si le Ghana est favorable à l'équité Nord-Sud, il n'ignore pas que trop d'équité n'est pas réaliste, puisque la compétitivité est la principale caractéristique de la mondialisation, et le principe de base de l'OMC, dont le Ghana fait partie. On doit donc parler de commerce équitable mais aussi d'aide substantielle aux pays en développement, pour qu'ils puissent stabiliser leurs gouvernements et leurs économies. Les membres de l'OMC doivent reconnaître que le tiers-monde a besoin d'aide et plus particulièrement de celle des pays qui ont géré ses affaires.

Le Président John Kufuor a déclaré avoir toujours considéré les relations de son pays avec la France comme stratégiques et cette visite à Paris est pour lui l'occasion de renforcer les liens d'amitié entre les deux peuples. Le Ghana espère notamment à travers ses relations avec la France renforcer ses liens avec ses voisins francophones.

Le Président François Loncle s'est réjoui, au même titre que l'ensemble de la représentation nationale, du fait qu'un citoyen ghanéen, en la personne de M. Kofi Annan, reçoive prochainement le prix Nobel de la paix. Il a par ailleurs estimé que M. John Kufuor avait eu raison d'insister, dans son exposé liminaire, sur la participation importante du Ghana, au travers de son armée, au maintien de la paix dans nombre de conflits régionaux.

M. Gilbert Le Bris a demandé des informations sur l'état de la francophonie au Ghana, qui est entouré de pays francophones, ainsi que sur la situation économique du pays dont les produits essentiels sont le cacao, l'aluminium et l'or.

Mme Yvette Roudy s'est réjouie du fait que le Ghana, pays anglophone, souhaite développer une culture bilingue intégrant le français. Elle a par ailleurs souhaité obtenir plus de détails sur la politique menée par le Président John Kufuor en matière de droits de la femme, dans la mesure où celui-ci a chargé une femme, Mme Gladys Asmah, ministre de la condition féminine, d'éradiquer la pratique de l'excision par exemple, ou encore de réduire le nombre des mariages forcés.

M. Pierre Brana a demandé au Président John Kufuor quelles étaient les causes des récents affrontement entre deux ethnies appartenant au groupe voltaïque, qui ont fait 50 morts et 150 blessés au Nord-Est du pays. Il a également souhaité connaître l'appréciation du Président ghanéen sur les initiatives africaines comme le Nouveau Partenariat pour le Développement Africain. Enfin, le Ghana envisage-t-il de ratifier rapidement l'acte constitutif de l'Union africaine ?

M. Paul Dhaille a demandé si le Président estimait possible, à l'occasion du passage à l'euro, une extension géographique de la zone franc et quel type de coopération il souhaitait voir se développer avec l'Union européenne. Il a demandé quels axes M. John Kufuor préconisait pour lutter contre la marginalisation des pays africains au sein de la mondialisation.

Le Président John Kufuor a rappelé qu'à l'époque coloniale et pendant les premières années après l'indépendance, l'apprentissage du français ne relevait que de l'initiative personnelle. A l'inverse, chacun était obligé d'apprendre l'anglais. Cette vision quelque peu fermée a vécu, et le Gouvernement soutient dorénavant toutes les initiatives visant à inciter à l'apprentissage de la langue française car c'est un moyen de rapprochement avec les voisins francophones du Ghana. Il faut préciser d'ailleurs que le Ghana a été beaucoup aidé par la France dans cette voie, par l'intermédiaire de bourses, de l'accueil de professeurs, du financement de laboratoires de langues... Enfin, le Gouvernement ghanéen travaille actuellement sur une nouvelle politique d'enseignement, fondé notamment sur un encouragement de l'apprentissage du français dès la maternelle, afin que les enfants deviennent bilingues.

En ce qui concerne les ressources du pays, le Président John Kufuor a estimé que le Ghana était un pays riche par sa géographie : le pays est recouvert sur la moitié de son territoire par des forêts tropicales, ce qui est bon pour la culture du cacao. Après avoir été longtemps le premier producteur mondial de cacao, le Ghana est aujourd'hui le deuxième derrière la Côte d'Ivoire, mais la qualité de son cacao reste meilleure. Le Ghana produit également du bois, et surtout des minerais : l'or est la première ressource du pays et l'on continue à découvrir sans cesse de nouveaux gisements. Par ailleurs, il existe de nombreux gisements de bauxite, encore largement sous-exploités.

Le Président John Kufuor s'est dit fier que son Gouvernement ait été le premier de l'histoire du Ghana a créer un ministère chargé de la condition de la femme. La ministre constitue ainsi la conscience du Gouvernement pour tout ce qui concerne les femmes, quelle que soit la politique concernée. Il est ainsi impérieux de mettre fin à l'excision, qui se pratique encore dans certaines régions du Nord du pays. De même, d'autres pratiques culturelles et traditionnelles, qui peuvent parfois s'apparenter à de l'esclavage, sont inacceptables quant au rôle de la femme. Pourtant, les femmes ghanéennes ont l'esprit d'entreprise, cela peut s'observer par leur rôle prépondérant sur les marchés, mais généralement l'argent qu'elles gagnent est accaparé par les hommes. Le Gouvernement a mis en place un plan de micro-crédits pour encourager les initiatives des femmes. L'éducation des jeunes filles est également une priorité car le développement d'un pays dépend souvent beaucoup des progrès réalisés dans ce domaine. Ainsi, au ministère de l'éducation, un responsable a été spécialement chargé de l'enseignement destiné aux filles.

Des violences ont effectivement eu lieu dans le Nord-Est du pays ces derniers jours : il s'agit d'affrontements tribaux très anciens, liés à des rivalités entre chefs, accentués par un découpage régional mis en place à l'indépendance. Pour faire face à ces violences qui ont fait 18 morts, le Gouvernement a envoyé la police et l'armée, et s'attache surtout à trouver une solution durable.

Le Président John Kufuor a indiqué que le Traité sur l'union africaine avait été ratifié par le Parlement ghanéen. Adopté à Lusaka, la « nouvelle initiative africaine » est issue d'un compromis entre les initiatives soutenues respectivement par les présidents Bouteflika et Wade qui avaient fondamentalement le même objectif, celui d'une renaissance africaine. A terme, il est souhaitable de créer une union sur le modèle de l'Union européenne, avec un parlement commun, notamment. Mais les organisations sous-régionales, comme la CEDEAO, ne doivent pas être considérées comme une démarche concurrente, c'est au contraire le premier pas vers l'unité africaine par le biais d'une approche pratique.

Le Président ghanéen a rappelé que l'existence d'une zone CFA avait contribué au développement des pays francophones. Il serait sans doute positif de créer aujourd'hui une zone élargie de monnaie unique en Afrique de l'Ouest qui entretiendrait des rapports privilégiés avec l'euro. Des discussions ont été engagées en ce sens entre les différents présidents concernés.

En ce qui concerne la lutte contre la marginalisation des pays africains, la réponse de l'Union européenne devrait consister à augmenter l'aide qu'elle apporte aux pays qui font le plus d'effort pour la bonne gouvernance et l'efficacité économique. Il faut éviter les aides indiscriminées, ne prenant pas en compte les efforts accomplis. Le Ghana a un potentiel de développement important. La Malaisie traite elle-même 70% de ses fèves de cacao, le Ghana seulement 18%. Une aide accrue permettrait de créer davantage de valeur ajoutée. Certains pays africains souhaitent devenir des opérateurs de la mondialisation et ont besoin pour ce faire d'une période transition.

Le Président François Loncle a remercié le Président John Kufuor.

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Informations relatives à la Commission

A été nommée, le mardi 4 décembre 2001 :

Mme Marie-Hélène Aubert, rapporteure pour le projet de loi autorisant l'approbation de la décision du Conseil de l'Union européenne du 29 septembre 2000 relative au système des ressources propres des Communautés européennes (n° 3423).

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