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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 25

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 16 janvier 2002
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. François Loncle, Président,

puis de M. Pierre Brana, Secrétaire

SOMMAIRE

 

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- Accord France-Luxembourg portant rectification de la frontière (n° 3153) - M. Gilbert Maurer, rapporteur
- Convention pour la protection du milieu marin de la région des Caraïbes (n° 3155) -
M. Charles Ehrmann, rapporteur
- Conventions d'entraide et d'extradition avec la République dominicaine et l'Argentine
(nos 3158, 3159 et 3512) - M. Jean-Yves Gateaud, rapporteur

- Convention fiscale France-Egypte (n° 3172) - Mme Bernadette Isaac-Sibille, rapporteure

- Amendements à la Constitution de l'Organisation internationale pour les migrations (n° 2673) - M. Georges Hage, rapporteur
- Convention Unidroit sur les biens culturels (n° 2879) - M. François Loncle suppléant M. Pierre Lequiller, rapporteur, empêché
- Informations relatives à la Commission


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Accord France-Luxembourg

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Gilbert Maurer, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg portant rectification de la frontière franco-luxembourgeoise (n° 3153).

M. Gilbert Maurer a tout d'abord souligné que l'objectif de la présente Convention était de mettre fin à une anomalie géographique du site concerné en permettant à nos deux pays d'échanger des portions de leurs territoires respectifs.

En effet, pour des raisons d'espace et de rentabilité industrielle, l'activité sidérurgique de la région frontalière avait nécessité de modifier le cours de la rivière Chiers, cours d'eau traversant les plates-formes industrielles concernées, dans le but de lui donner une direction rectiligne, différente de celle de la frontière entre les deux pays qui suit elle le tracé de l'ancien lit de la rivière Chiers et forme ainsi une boucle.

Aujourd'hui, les usines ont disparu et l'activité sidérurgique s'est éteinte. Demeurent deux parcelles luxembourgeoises enclavées en France et, réciproquement, une parcelle française enclavée au Luxembourg. Toutes ces parcelles se révèlent difficilement utilisables, interdisant l'aménagement optimal de la plate-forme industrielle française dite "entre deux voies" et rendant complexe la valorisation du terrain luxembourgeois concerné.

C'est pourquoi, d'un commun accord, les Gouvernements de nos deux pays ont souhaité mettre fin à cette situation en échangeant lesdites parcelles et rectifier ainsi la frontière franco-luxembourgeoise définie par le Traité de limites conclu à Courtray le 28 mars 1820 entre la France et les Pays-Bas.

L'article 1er stipule que la parcelle française située sur les territoires des communes de Longlaville et du Mont-Saint-Martin est échangée contre deux parcelles luxembourgeoises situées sur le territoire de la commune de Pétange. La parcelle française et les parcelles luxembourgeoises ainsi échangées sont d'une superficie équivalente, soit 38 647 mètres carrés. Il n'y a aucun habitant concerné. Les parcelles luxembourgeoises appartiennent entièrement à l'Etat luxembourgeois. La parcelle française appartient entièrement à l'Etablissement Public de la Métropole Lorraine (EPML), établissement public sous tutelle chargé de la mise en valeur des terrains industriels libérés du fait de la fermeture des sites sidérurgiques. L'échange des titres de propriétés de l'Etat luxembourgeois et de l'EPML, qui accompagne le changement du tracé de la frontière, sera réalisé devant notaires en France et au Luxembourg dès l'entrée en vigueur du présent accord.

L'article 2 confie la délimitation du nouveau tracé de la frontière résultant de l'échange des parcelles et son abornement à la Commission franco-luxembourgeoise pour la révision de l'abornement, créée par la Convention du 15-18 octobre 1853 entre la France et le Grand-Duché pour l'entretien et la conservation des bornes de démarcation. Celle-ci dressera le plan du nouveau tracé et posera les nouvelles bornes, toutes opérations dont les coûts seront supportés par moitié par la France et le Luxembourg.

La présente rectification de frontière présente plusieurs avantages importants : elle est demandée par les deux parties concernées ; elle ne cause aucune gêne à aucun habitant puisque aucune des parcelles concernées n'est habitée ; enfin elle permettra d'améliorer l'offre de terrains industriels au moment où ceux-ci se font plus rares du fait en partie du quasi-achèvement du recyclage des friches industrielles et où de nombreux projets d'activités industrielles, commerciales, logistiques et de services se font jour. C'est pourquoi le Rapporteur a recommandé l'adoption du présent projet de loi.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 3135).

Convention Caraïbes

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Charles Ehrmann, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées à la convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin de la région des Caraïbes (ensemble trois annexes) (n° 3155).

M. Charles Ehrmann a tout d'abord présenté les objectifs de ce protocole qui s'inscrit dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement. Ces objectifs sont bien sûr écologiques : permettre une meilleure protection du littoral ainsi que des espèces animales et végétales, mais aussi économiques, par la mise en valeur des atouts touristiques, et enfin politiques et sociaux, car s'inscrivant dans une perpective de développement durable.

Le Rapporteur a souligné l'importance du champ géographique couvert par ce protocole - 24 fois la France - qui dépasse largement la définition traditionnelle des Caraïbes. Le Protocole prévoit que des zones protégées peuvent être créées par chaque Partie afin de sauvegarder des écosystèmes complets, c'est-à-dire non seulement les espèces mais aussi leurs habitats. Par ailleurs, chaque Partie s'engage à prendre les mesures spécifiques en vue de protéger et préserver les espèces animales et végétales dont la liste figure dans les annexes I, II et III jointes au protocole. Les annexes I et II concernent respectivement les espèces de flore et de faune dont l'exploitation est rigoureusement interdite alors qu'en annexe III figurent les espèces de flore et de faune dont l'exploitation est autorisée mais soumise à réglementation. Il est créé un Comité scientifique et technique ayant fonction consultative et un Centre des activités régionales Antilles Guyane afin de favoriser la coordination des efforts des pays membres.

M. Charles Ehrmann a conclu sa présentation en soulignant que la France s'était déjà beaucoup impliquée dans la politique environnementale des Caraïbes et qu'elle avait tout intérêt à améliorer la coordination de son action avec les Etats voisins pour en accroître l'efficacité. La ratification de ce protocole apparaît donc comme un atout supplémentaire pour le développement des départements français d'Amérique.

M. Pierre Brana a déploré que douze années se soient écoulées entre la signature et la ratification de ce protocole.

M. Charles Ehrmann a déclaré partager ce sentiment et noté que ce délai contrastait avec la rapidité dont le Ministère des Affaires étrangères sait parfois faire preuve pour d'autres conventions.

Le Président François Loncle a estimé qu'il fallait faire la part de la pression des événements internationaux et se garder de comparaisons aventureuses. Il a précisé qu'un poste d'ambassadeur pour la coopération dans les Caraïbes venait d'être créé et qu'il avait été confié à M. Alain Briottet.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 3155).

Conventions d'entraide et d'extradition

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Jean-Yves Gateaud, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République dominicaine (n° 3158), le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine (n° 3159), et le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République dominicaine (n° 3512).

M. Jean-Yves Gateaud a indiqué que les trois conventions de coopération judiciaire étaient tout à fait classiques tant par leur contenu que par leur motivation. La signature de ce type de conventions est devenue habituelle depuis le retour de la démocratie dans la majorité des pays d'Amérique latine à partir de la fin des années 1980.

Les conventions d'entraide judiciaire en matière pénale sont ainsi tout à fait conformes aux stipulations de la convention européenne de 1959. De même, la convention d'extradition avec la République dominicaine est également conforme aux principes français du droit de l'extradition, régis notamment par la loi de 1927 et la convention européenne de 1957.

Après avoir exposé les principales stipulations des trois conventions, M. Jean-Yves Gateaud a évoqué la situation intérieure des deux pays concernés. Il a insisté sur la gravité de la crise politique, économique et sociale que traverse l'Argentine, où 45 % de la population vit dorénavant en dessous du seuil de pauvreté.

M. Pierre Brana a estimé que la mise en _uvre du mandat d'arrêt européen au sein de l'Union européenne allait réduire l'importance de l'extradition entre pays européens. Cela pourrait conduire ensuite à une redéfinition des conventions d'extradition signées entre les pays membres de l'Union et les pays tiers.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 3158, 3159 et 3512).

Convention fiscale France-Egypte

La Commission a examiné, sur le rapport de Mme Bernadette Isaac-Sibille, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République arabe d'Egypte en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune du 19 juin 1980 (n° 3172).

Mme Bernadette Isaac-Sibille a exposé que l'avenant à la convention fiscale signé le 1er mai 1999 à la demande de la France lui permettait de bénéficier de dispositions favorables à ses intérêts. A ce jour, cet avenant n'a pas été ratifié par la partie égyptienne mais devrait l'être prochainement.

Elle a évoqué la situation intérieure de l'Egypte, qui malgré une politique de libéralisation économique et une amélioration globale de la situation sécuritaire, demeure fragile. Les principales sources de revenus (tourisme, pétrole, canal de Suez) y sont à la merci d'une conjoncture défavorable. Si le Président de la République détient la réalité du pouvoir, la stabilité du régime repose en grande partie sur la loyauté de l'armée. Objet d'une forte répression après l'attentat de Louxor en 1997, l'islamisme armé n'a, depuis 1998, plus perpétré d'attentats. Cependant, au mois de janvier 2001, le Président Moubarak estimait que la menace terroriste n'avait pas complètement disparu, même si les forces de sécurité avaient la situation sous contrôle.

La crise israélo-palestinienne a un impact certain dans l'opinion égyptienne. Les sentiments anti-israéliens et anti-américains relayés par la presse progressent, notamment dans les milieux étudiants.

La situation économique et sociale de l'Egypte est difficile en raison de l'effondrement du tourisme, de la baisse du prix du pétrole, et de l'incertitude sur les transferts de revenus des émigrés. La croissance, qui avait atteint 5,1 % en 2000, a perdu deux points.

La Rapporteure a souligné l'intensité des relations bilatérales franco-égyptiennes car la France jouit en Egypte d'une image très positive, les deux pays manifestent un attachement au processus de paix, une volonté commune de lutter contre le terrorisme et de développer le partenariat euro-méditerranéen.

Elle s'est félicité de l'importance de la coopération culturelle, scientifique et technique entre l'Egypte et la France, évoquant notamment l'importance du bureau de liaison agricole franco-égyptien et le rayonnement considérable de l'Institut français d'archéologie orientale du Caire.

L'Egypte demeure pour la France, cinquième investisseur, un partenaire commercial privilégié, ce qui rend opportun l'avenant à la convention fiscale franco-égyptienne. La part de marché de la France se situe au troisième rang après les Etats-Unis et l'Allemagne. La présence de la France se manifeste au travers de grandes réalisations comme le métro du Caire, la construction et le lancement du satellite Nilesat, la vente d'Airbus, la gestion et la distribution de l'eau et les télécommunications.

Les principales modifications apportées par l'avenant permettent aux entreprises françaises de bénéficier des mêmes avantages que leurs concurrentes étrangères. Sont ainsi affirmés les principes de l'imposition exclusive des dividendes dans l'Etat de résidence de leur bénéficiaire. En matière de redevances, l'avenant généralise l'application d'une retenue à la source limitée à 15% du montant brut des revenus.

En conclusion, Mme Bernadette Isaac-Sibille s'est déclarée favorable au projet de loi, qui confère aux entreprises françaises implantées en Egypte, ainsi qu'aux résidents français, un environnement fiscal plus avantageux.

En accord avec la Rapporteure, le Président François Loncle s'est félicité des relations bilatérales privilégiées qu'entretient la France avec l'Egypte.

Suivant les conclusions de la Rapporteure, la Commission a adopté le projet de loi (n° 3172).

Organisation internationale pour les migrations

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Georges Hage, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification des amendements à la Constitution de l'Organisation internationale pour les migrations (n° 2673).

M. Georges Hage a expliqué que l'Organisation internationale pour les migrations, créée en 1951, était une organisation intergouvernementale, et non une institution spécialisée des Nations unies, où elle a un statut d'observateur.

La France en a été l'un des membres fondateurs, puis l'a quittée en 1966. Elle l'a réintégrée en 1992, et, depuis, participe de façon croissante à ses activités.

L'Organisation compte aujourd'hui 91 Etats membres. Ce nombre a doublé en dix ans, et trente Etats ont rejoint l'OIM au cours des trois dernières années. Cette évolution a obligé l'Organisation à se doter d'une structure plus efficace et à simplifier la prise de décision. C'est pourquoi plusieurs amendements à la constitution ont été adoptés par consensus dans le cadre de la 76ème session du Conseil, en novembre 1998.

Deux amendements portent sur les procédures de décision.

Le premier amendement porte sur la structure de l'Organisation actuellement formée du conseil, où siège chaque Etat membre, et du comité exécutif, composé de neuf membres élus par le conseil. L'amendement supprime le comité exécutif qui actuellement prépare les travaux et décisions du conseil, car son activité double celle des sous-comités, en particulier celle du sous-comité du budget et des finances.

Le deuxième amendement distingue les procédures d'adoption des amendements à la constitution. Actuellement, les amendements sont adoptés par les deux tiers des membres du conseil et acceptés par les deux tiers des Etats membres. Aucune nouvelle obligation ne peut être imposée à un Etat sans son accord. Cette procédure est considérée comme trop lourde, entraînant des délais souvent trop longs pour une bonne adaptation de l'Organisation à des missions qui évoluent.

A l'avenir, les amendements mineurs pourront être adoptés par les deux tiers du conseil. En revanche, les amendements qui créent des obligations nouvelles à la charge des Etats resteront soumis à adoption par les deux tiers des membres du conseil, puis à acceptation par les deux tiers des Etats membres. Suivront cette dernière procédure les amendements pour lesquels le conseil aura jugé, à une majorité des deux tiers, qu'ils entraînent un changement fondamental à la constitution.

Ces simplifications devraient avoir des répercussions favorables sur le budget de l'Organisation, grâce à des économies de fonctionnement.

Un autre amendement vise à lutter contre les retards de paiement des Etats membres. Les dispositions actuelles - majorité des deux tiers des membres du conseil - rendent en pratique très difficile d'appliquer des sanctions aux Etats mauvais payeurs. Il est instauré un mécanisme plus dissuasif. Un délai d'un an est laissé à l'Etat membre en retard pour acquitter ses cotisations. Ensuite, cet Etat perdra automatiquement son droit de vote si le montant de ses arriérés est égal ou supérieur à la somme des contributions dues par lui pour les deux années écoulées.

Enfin, un dernier amendement prévoit la limitation à deux mandats de cinq ans des fonctions de directeur général et de directeur général adjoint.

M. Brunson Mc Kinley, directeur général de l'Organisation, a été auditionné par la Commission des Affaires étrangères le 11 octobre 2000. Il a demandé l'assistance du Parlement français pour résoudre les difficultés liées à l'absence d'accord de siège pour le bureau français de l'OIM. Les bureaux nationaux de l'OIM bénéficient généralement d'un accord de siège, d'où découlent un certain nombre de privilèges et d'immunités, douanières et fiscales notamment. Le bureau de Paris ne compte que huit personnes ; les conséquences financières de l'accord de siège ne seraient donc pas très importantes, d'autant plus que ces privilèges et immunités pourraient être limités à certains postes.

Le Rapporteur a souligné que la question de la signature de l'accord de siège devrait être examinée favorablement par le Gouvernement. Cela constituerait un signal positif en direction de cette organisation dont les missions demeurent essentielles, et dont l'appui est souvent demandé par le Gouvernement pour résoudre les problèmes difficiles nés des migrations vers la France de populations en provenance des zones de conflit.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2673).

Convention Unidroit

La Commission a examiné, sur le rapport du Président François Loncle, suppléant M. Pierre Lequiller, empêché, le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (ensemble une annexe) (n° 2879).

Le Président François Loncle a expliqué que le vol et le trafic des _uvres d'art constituaient un phénomène permanent , mais qui connaît une extraordinaire expansion depuis une vingtaine d'années : c'est ainsi que le trafic des biens culturels se situe à présent en deuxième position derrière le trafic de drogue en terme de flux financiers.

En Europe, les pays riches en patrimoine culturel, comme la France et l'Italie, ont connu un triplement des vols en vingt ans. Ce phénomène se répand dans les pays d'Europe centrale et orientale. En France, le nombre de vols d'objets d'art recensés varie entre 6000 et 7000 par an, ce qui représente plusieurs dizaines de milliers d'objets chaque année. Le taux d'élucidation de ces affaires est difficile à apprécier : une centaine seulement sont élucidées chaque année, elles concernent parfois des objets volés plusieurs années auparavant.

Quant aux pays en développement, ils sont aussi très touchés. Notamment, la pratique des fouilles illicites du sous-sol a pris aujourd'hui une proportion sans précédent. Les pays au riche patrimoine archéologique sont ainsi victimes d'un pillage rémunérateur pour les réseaux d'intermédiaires impliqués, et contre lequel il est difficile de lutter : il s'agit aussi bien de pays d'Afrique, d'Amérique latine ou d'Asie.

Des instruments juridiques existent déjà : les principaux sont la Convention de l'Unesco de 1970, et, pour l'Union européenne, un règlement et une directive communautaires. Mais, pour différentes raisons, ils ne suffisent pas à endiguer ce trafic en constante expansion.

La convention Unidroit a été signée par 22 pays. Elle a été ratifiée à ce jour par huit Etats, dont l'Italie, et a fait l'objet d'une procédure d'adhésion de la part de cinq Etats, dont la Chine. Elle est donc entrée en vigueur à l'égard de treize pays.

La question posée aujourd'hui est celle de la ratification par la France de cet instrument très novateur, qui doit contribuer à une moralisation du commerce des biens culturels et à une prise de conscience en profondeur pour les professions mais aussi pour les particuliers, collectionneurs ou simples acheteurs.

L'entrée en vigueur de la convention entraînera une évolution de notre droit de la possession mobilière. M. Pierre Lequiller, Rapporteur, a examiné cette évolution. Cet examen l'a conduit à adopter une position favorable à la convention, mais à demander au Gouvernement que la ratification soit accompagnée, au plan national, de l'adoption d'une loi par laquelle le législateur formulera un cadre d'interprétation pour certaines dispositions de la convention nécessairement imprécises, s'agissant d'un instrument international devant s'appliquer à des pays aux régimes juridiques très divers. Il l'a également conduit à demander une action au plan européen, afin que les autres Etats dont le marché de l'art est actif s'associent au processus de ratification.

Les avancées principales de la convention sont les suivantes.

La convention apporte une définition très large et évolutive des biens culturels. Elle apparaît en cela particulièrement adaptée et efficace dans le contexte actuel, où des valeurs se créent autour d'objets qui n'ont longtemps intéressé qu'un cercle restreint de scientifiques ou de spécialistes.

La convention établit le principe de la restitution d'un bien culturel volé. Elle affirme aussi le principe du retour des biens culturels illicitement exportés. Dans le cas des objets volés, toute personne pourra engager une action. Dans le cas des objets illégalement exportés, seuls les Etats pourront agir. Dans les deux cas, une indemnisation sera accordée au possesseur s'il fait la preuve de sa bonne foi. Le juge de l'Etat requis conservera le pouvoir de décider s'il y a lieu de donner suite à la demande de restitution ou de retour.

M. Pierre Lequiller, rapporteur, a évoqué dans son rapport un certain nombre de précautions qui pourraient être prises par les collectionneurs en prévision de l'entrée en vigueur de la convention et après celle-ci. Il y souligne que la prudence de l'acheteur est particulièrement importante : la convention ne prévoit aucune indemnisation de l'acquéreur d'un bien culturel volé ou illicitement exporté si l'acquéreur a été négligent. La convention n'impose pas d'obligation nouvelle aux marchands, mais confirme implicitement l'obligation de connaître les mesures de protection du patrimoine des quelques pays avec lesquels ils font habituellement du commerce.

La Convention Unidroit représente incontestablement une avancée dans le domaine du droit international des biens culturels. Le Président François Loncle, faisant siennes les observations du Rapporteur, a demandé au Gouvernement d'entreprendre des efforts diplomatiques afin que la ratification par la France soit suivie d'autres ratifications au sein de l'Union européenne, en particulier de la part des autres places du marché de l'art. Il serait évidemment souhaitable que la Suisse se joigne à ce mouvement.

Le Président François Loncle, reprenant la conclusion du Rapporteur, a émis un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi, sous la réserve que le Gouvernement s'engage à examiner les évolutions législatives nécessaires afin de pleinement garantir le droit de propriété du possesseur de bonne foi, dans le contexte de l'entrée en vigueur de la convention. Les précisions indispensables, à inscrire dans un projet de loi, sont indiquées dans le rapport. Mme Catherine Tasca, Ministre de la Culture et de la Communication, s'est engagée à examiner cette question conjointement avec la Ministre de la Justice. Le délai nécessaire à la poursuite de la procédure de ratification devrait permettre d'avoir connaissance du résultat de l'étude promise par la Ministre. Dans l'attente de l'achèvement de cette étude, le Président François Loncle a proposé de donner un avis favorable au projet de loi.

M. Pierre Brana a souligné, sur ce sujet important, que tout ce qui permettait de lutter contre le vol était forcément positif et emportait ainsi la décision, même si trois problèmes demeurent préoccupants. En effet, le délai de prescription de cinquante ans prévu par la convention, est trop long. Il faut rappeler que notre délai de prescription n'est que de trois ans. Le fait que le détenteur d'une _uvre d'art doive prouver sa bonne foi constitue un renversement de la charge de la preuve telle qu'elle existe dans le droit français. Celui-ci accorde une présomption en faveur du possesseur. Par ailleurs, comment apporter facilement la preuve d'une possession antérieure à l'entrée en vigueur de la convention lorsqu'une _uvre a été transmise par héritage ? Enfin, la définition des biens susceptibles d'être réclamés n'est-elle pas trop large puisqu'il s'agit de "ceux qui ont une importance culturelle significative" ? La crainte se fait jour alors que certains collectionneurs refusent de prêter leurs _uvres, voire même de les faire figurer dans des catalogues sous peine de déclencher des demandes de restitution ou de retour.

Enfin, M. Pierre Brana a plaidé pour l'élaboration d'un texte interprétatif, mais également pour que la France entreprenne des démarches diplomatiques auprès des Etats membres de l'Union européenne afin de les convaincre d'adhérer à ce texte, les places de Londres et de Bruxelles en particulier jouant un rôle important sur le marché de l'art.

Mme Bernadette Isaac-Sibille s'est interrogée sur l'opportunité de conclure des accords bilatéraux avec certains pays non membres de l'Union européenne dont on connaît les richesses culturelles dans la mesure où la définition des _uvres d'art et des collections peut varier selon les pays.

Le Président François Loncle a répondu aux intervenants. Il a précisé que le rapport de M. Pierre Lequiller comportait les demandes de précisions qu'il a adressées à Mme Catherine Tasca, Ministre de la Culture et de la Communication, ainsi que les réponses qu'elle a faites lors de son audition par la Commission. Le Rapporteur a formulé dans ses observations les difficultés réelles qui résulteraient de la ratification de la convention en l'absence de précisions sous la forme législative, et sans une suite du côté des autres pays européens.

Les règles de prescription inscrites dans la convention sont favorables au propriétaire dépossédé. Le délai de prescription absolu est en effet de cinquante ans, mais il est adapté à la réalité de ce phénomène d'où l'aspect spéculatif et d'investissement n'est pas exclu. Ce délai ne s'applique d'ailleurs pas pour les objets faisant partie de collections publiques. Notre pays connaît quant à lui, il faut le souligner, un régime d'imprescriptibilité pour les vols de biens appartenant aux collections publiques.

Il est vrai que le droit français admet une présomption de bonne foi au profit du possesseur d'un bien mobilier. Mais cette présomption n'est pas irréfragable et le revendiquant d'un bien volé peut détruire cette présomption par tout moyen de preuve. Par ailleurs, le délai de prescription de trois ans de notre droit civil n'a pas une portée absolue : la revendication de biens volés demeure possible sans délai en cas de détention précaire ou de possession « viciée ». La convention ne procède donc pas à un bouleversement de nos principes.

La signature d'accords bilatéraux avec les pays d'origine des biens culturels est très pertinente. La France développe une politique de coopération avec de nombreux pays en développement, notamment en Afrique, afin d'améliorer la conservation et la présentation des biens culturels, qui font déjà l'objet d'accords bilatéraux. La protection du patrimoine contre le vol et l'exportation illicite est une autre dimension de cette coopération.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n°2879).

Informations relatives à la Commission :

Ont été nommés, le mercredi 16 janvier 2002 :

- M. Pierre Brana, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation d'un accord de protection et d'encouragement réciproques des investissements entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge (n° 3510) ;

- M. Georges Hage, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Cuba relative au transfèrement de personnes condamnées aux fins d'exécution de la peine (ensemble un échange de lettres) (n° 3511) ;

- M. Michel Fromet, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés (n° 3513) ;

- M. Michel Fromet, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l'enfant concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (n° 3514) ;

- Mme Bernadette Isaac-Sibille, rapporteure pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour relatif à la coopération de défense et au statut de leurs forces (n° 3515) ;

- M. Charles Ehrmann, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention d'assistance administrative mutuelle internationale du 10 septembre 1985 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, visant à la prévention, la recherche et la répression des fraudes douanières par les administrations douanières des deux pays (n° 3516).

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Luxembourg

Caraïbes

République dominicaine

Argentine

Egypte

OIM

Unidroit


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