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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 26

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 janvier 2002
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Avraham Burg, Président de la Knesset

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Audition de M. Avraham Burg, Président de la Knesset

Le Président François Loncle a souligné l'importance symbolique qu'il convenait d'accorder au déplacement commun de MM. Avraham Burg et Ahmed Qureï. Cette initiative, à laquelle a activement contribué le Président Raymond Forni, est une réponse à la préoccupation et à l'inquiétude des Français face à la dégradation de la situation au Moyen-Orient.

Le Président François Loncle a rappelé que M. Avraham Burg, qui est aujourd'hui Président de la Knesset, est député travailliste depuis 1988 et a eu l'occasion à plusieurs reprises d'exprimer son désaccord avec la politique suivie par Ariel Sharon.

M. Avraham Burg s'est tout d'abord excusé de ne pas utiliser le français, une langue qu'il estime d'autant plus qu'elle est celle de sa belle-mère, mais il a jugé préférable, pour des sujets aussi complexes, de s'exprimer en hébreu.

En préambule, M. Avraham Burg a déclaré que son intention n'était pas de chercher ou de désigner des coupables, mais bien plutôt de faire partager ses analyses et ses espoirs. Les menaces qui pèsent aujourd'hui sur le Moyen-Orient sont autant de menaces sur la paix du monde. Il est important d'expliquer comment un accord signé il y a huit années dans l'euphorie, a pu déboucher sur la situation de conflit que l'on connaît aujourd'hui.

M. Avraham Burg a rappelé la plaisanterie commune en Israël sur la différence entre un avocat français et un avocat israélien. Le premier négocie pendant cinq ans un contrat applicable dès sa signature. Le second signe immédiatement le contrat qu'il faudra plus de cinq années pour interpréter. Les accords d'Oslo ont été signés en laissant à part les points les plus douloureux. D'un côté, il n'a pas été mis fin à la politique de colonisation, de l'autre les appels à la haine diffusés dans les écoles ou les mosquées ont continué. Dans les faits, aucune des deux Parties n'a jeté la semence de la paix qui aurait pu germer progressivement dans les c_urs. Au contraire, chacune d'entre elles a commis des erreurs stratégiques.

D'un côté, M. Ehud Barak a voulu un accord définitif au-delà duquel plus aucune revendication ne serait acceptable. Ce faisant, il a obligé le Président Arafat de mettre sur la table la question du droit au retour et celle de Jérusalem. Or ces questions sont tellement chargées d'émotion qu'il est impossible aujourd'hui de trouver une formule qui puisse satisfaire à la fois l'une et l'autre partie. Si le droit au retour est reconnu, Israël devient le second Etat palestinien. A l'heure actuelle, ces problèmes sont sans solution.

De l'autre côté, M. Yasser Arafat n'a pas su répondre à la provocation de M. Ariel Sharon allant marcher sur le Mont du Temple. Il aurait dû lui dire : « soyez le bienvenu », ce qui aurait montré au monde qu'il était en faveur du libre accès aux lieux sacrés et de la coopération religieuse à Jérusalem.

Ce n'est pas parce que Israël a évacué le Liban après dix-huit années d'occupation - qui furent autant d'années d'erreurs - qu'il faut croire que les Israéliens accepteront un jour d'évacuer sous la menace du terrorisme leur propre territoire. Bien au contraire, plus ils seront attaqués, plus ils se fermeront et s'endurciront. Depuis un an et demi, la société israélienne est tombée dans une grande perplexité. La gauche israélienne a découvert que son projet de pays intégré à frontières ouvertes était difficilement viable. Quant à la droite, elle est aujourd'hui convaincue qu'il ne peut exister de solution militaire.

A tout cela se mêle la question de savoir si le Président Arafat est un partenaire pour la paix. Si M. Burg a confié ne pas avoir voté pour M. Ariel Sharon aux dernières élections, il a déclaré reconnaître ce dernier comme le seul représentant légitime d'Israël. Il doit en être de même pour le Président Arafat. Il n'appartient pas à la partie adverse de choisir le représentant de l'autre partie. Quiconque souhaite attendre l'après-Arafat a plus de chances de devoir se confronter au fondamentalisme islamique qu'au grand bazar oriental. Il est vrai toutefois, a ironisé M. Burg, qu'à part Shimon Péres, rien n'est éternel au Moyen-Orient.

Il importe que la passation de pouvoir s'opère dans un contexte pacifique, car si elle s'opérait dans un contexte de violence, chaque candidat chercherait l'appui du peuple en invoquant les actes de répression qu'il a commis à l'encontre des Palestiniens au lieu d'invoquer les aspects économiques et sociaux positifs de son programme. Le Président Avraham Burg s'est dit convaincu de la nécessité de discuter avec M. Yasser Arafat, pour que cette relève politique ait une chance de prendre place dans des conditions de paix.

Plutôt qu'un règlement global, il faudrait mettre au point un règlement intérimaire, ou plusieurs règlements intérimaires profonds et généreux excluant toute dimension religieuse ou symbolique qui doit demeurer à l'extérieur des règlements politiques. Les deux parties doivent réapprendre à se faire confiance. L'importance de l'accord devra être telle que tant Israël que Yasser Arafat devront l'appliquer.

Le premier élément fondamental est que sur le territoire situé entre le fleuve Jourdain et la mer, deux Etats doivent coexister, chacun constituant le foyer national pour son peuple. A l'intérieur de ces Etats se résoudront les problèmes humanitaires de chaque peuple. Le règlement doit inclure la participation de la communauté internationale : l'influence européenne doit occuper une place centrale, en étroite coopération avec les Etats-Unis. Il ne doit pas y avoir de diplomaties séparées, mais une seule grande diplomatie planétaire. Enfin, le règlement doit comprendre une sorte de Plan Marshall pour le Moyen-Orient incluant une dimension constitutionnelle. Il faut combler le fossé désespérant entre économie israélienne « occidentale » en progression et économie palestinienne du tiers monde.

Enfin, il est indispensable que le futur Etat palestinien cultive une réflexion démocratique ; l'on constate qu'au cours des dix dernières années, les démocraties n'ont pas connu de conflit entre elles. Le Président Avraham Burg a fait part de son optimisme naturel et de sa foi en une progression de génération en génération : la génération actuelle du peuple juif ayant fait la paix avec le peuple allemand, il incombe à lui-même d'inculquer à son fils et à sa génération la foi en la paix avec le peuple palestinien.

Le Président François Loncle a souhaité poser la question directe de savoir si le Gouvernement israélien ne poursuivait pas l'objectif d'éliminer politiquement Yasser Arafat. Il a également souhaité exprimer un sentiment personnel après que M. Avraham Burg a fait référence au passé. Rappelant que ses parents furent Justes de France et lui ont transmis une éducation fondée sur les principes qui les ont guidés en la matière, il a déclaré, avec tristesse et gravité, ne pas supporter le sort fait au peuple palestinien par le Gouvernement israélien.

M. Michel Vauzelle s'est demandé comment l'on pouvait poursuivre le processus de colonisation au rythme actuel et envisager la création un jour de deux Etats entre le Jourdain et la mer, et comment à tout le moins fixer un calendrier pour rendre espoir aux Palestiniens et ainsi diminuer la pression qui peut favoriser le terrorisme.

Le Président Avraham Burg a déclaré que l'analyse de l'état de l'opinion publique israélienne montre une certaine schizophrénie. Plus de la moitié de la population est favorable à Ariel Sharon. En même temps, plus de la moitié de la population est décidée à faire des concessions très douloureuses pour obtenir un accord de paix. Le peuple est très troublé par l'échec du processus de paix malgré les propositions très généreuses de M. Ehud Barak (qui comprenaient le partage de Jérusalem). Leur rejet par M. Yasser Arafat suscite l'incompréhension.

Il s'est dit persuadé que lorsqu'un accord sera signé, la droite reviendra à la situation qu'elle occupait à l'époque de Yitzhak Rabin et de Ehud Barak. Les partisans du partage du territoire entre deux Etats occuperont alors le centre de la vie politique. Il existe actuellement au sein de la coalition au pouvoir une composante porteuse d'une idéologie refusant l'accord de paix pour préserver l'idée du grand Israël et le maintien des colonies. C'est pourquoi la justification de la participation du Parti travailliste au Gouvernement d'Union nationale est d'éviter que cette idéologie ne se transforme en politique active.

L'Autorité palestinienne doit se transformer en Etat où sera élu un dirigeant. Un accord devrait permettre l'évacuation significative de localités, de même que cela a eu lieu lorsqu'un accord de paix a été signé entre Israël et l'Egypte.

M. Jacques Myard a souhaité savoir comment pouvait être résolu le fait qu'au Proche-Orient les conceptions religieuses rejoignent les conceptions d'Etat.

M. Pierre Brana a remercié M. Avraham Burg pour son exposé qui rompt avec bien d'autres discours israéliens et souligné que c'est le Gouvernement Sharon qui est au pouvoir et pas les Travaillistes, ce qui demeure un problème. Il s'est dit impressionné par une déclaration du Ministre de l'Intérieur qu'il a citée. « Les accords d'Oslo ne sont pas la solution mais le problème. Jamais nous n'accepterons un Etat palestinien, ce serait une catastrophe. Je préfère un Hamas sans masque à une Autorité palestinienne qui avance masquée. Alors les choses seront claires au moins. Ici ce sera une lutte à mort entre nous et les Palestiniens car tant que les Palestiniens auront de l'espoir la terreur ne cessera pas. Il faudrait donc faire venir un million de Juifs supplémentaires en dix ans et continuer à progresser. » Au vu de cette déclaration, M. Pierre Brana s'est demandé si continuer à progresser ne signifiait pas à nouveau l'extension des colonies.

M. Avraham Burg a confié qu'il n'avait pas voté pour M. Uzi Landau. Selon lui il s'agit là d'un débat idéologique très douloureux, vieux de plus d'un siècle, assez semblable à celui qui a divisé la France à propos de l'Afrique du Nord. Ce débat dépasse de loin la politique car il touche l'âme de la nation. Depuis deux millénaires, sur un plan idéologique, deux opinions coexistent en Israël : l'une considère qu'il est bon pour Israël de concrétiser ses droits historiques sur la terre de la Bible - l'Histoire n'offrant en général qu'une occasion, qu'il ne faut pas manquer -, l'autre qui estime qu'il est bon pour Israël de renoncer à son rêve historique pour vivre au sein de l'Histoire. C'est pourquoi il n'apprécie pas les tactiques de la droite israélienne, pas plus que cette dernière n'apprécie celles de la gauche israélienne. Il a dit attendre et espérer qu'un jour s'expriment des voix multiples au sein du peuple palestinien.

Selon lui aucune paix ne sera jamais possible entre M. Uzi Landau et le Hamas car l'un exige l'édification d'un grand Israël et l'autre celle de la grande Palestine. Or entre deux totalitarismes, aucune paix n'est possible. La paix ne peut se faire que si on renonce à son rêve et si l'on fait un compromis avec lui. Il a déclaré s'associer au Palestinien qui opère lui aussi un tel compromis car pour lui, une telle attitude ne relevait pas de la tactique mais du mode de vie. Aussi a-t-il regretté ne pas entendre s'exprimer la voix palestinienne de la paix comme mode de vie.

M. Avraham Burg a exprimé sa stupéfaction que le Dieu unique qu'Israël a révélé au monde soit représenté au Moyen-Orient par l'intermédiaire de douze mouvements différents. C'est pourquoi lorsque M. Arafat s'est rendu compte qu'il devait faire un compromis au nom de l'Islam, en représentant un milliard de croyants, il a fui car il ne s'agissait plus d'un compromis politique mais d'un compromis sur l'âme spirituelle même du monde musulman. Selon lui, il faut éradiquer la dimension religieuse et symbolique du processus de négociation. On doit éviter que les dirigeants se trouvent confrontés à un groupe de questions qu'on ne peut soulever. On ne peut pas au sein d'Israël régler les problèmes religieux entre les peuples avec des outils politiques.

Jamais les Palestiniens n'ont compris pourquoi Jérusalem et le Mont du Temple sont si saints et si sacrés pour Israël. Le Mont du Temple est l'adresse de Dieu en ce monde, il fait moins d'un hectare dont personne ne foule le sol, c'est un lieu où un juif religieux ne pénètre pas car il appartient en propre à Dieu. Les Israéliens quant à eux n'ont pas compris la dimension sacrée du Mont du Temple pour les Palestiniens. Une fois réglé le problème de l'Etat palestinien, de ses frontières, des son économie et des colonies, un accord sur Jérusalem interviendra si chacune des parties respecte ce qui est sacré pour l'autre. Avant de dessiner une carte, il convient que chacune définisse ce qu'elle considère comme sacré pour elle, afin d'aboutir à un accord _cuménique entre les trois religions monothéistes, sur la manière de gérer ensemble un lieu que chacun respecte.

M. Jean-Paul Durieux a relevé que les peuples quels qu'ils soient avaient un ardent besoin de deux choses. Tout d'abord ils aspirent à avoir un Etat dans des frontières sûres et reconnues. Or cela est-il possible sans continuité territoriale ? Ensuite, le droit au retour d'un peuple dispersé comme le peuple palestinien n'est pas différent du droit au retour du peuple juif quand il a souhaité retrouver la terre de ses parents. Sur ces deux questions, une progression significative est-elle envisageable ?

M. Georges Hage a rapporté les propos d'organisations non gouvernementales présentes en Palestine qui font état de dégradations et de destructions par l'armée israélienne de nombreuses réalisations dues à la France en Palestine. Qu'en pense M. Avraham Burg ?

M. Gérard Charasse a rappelé que la récente initiative du Président israélien pour amener à nouveau les deux peuples à la discussion avait été mise à mal par une décision du Premier ministre Sharon et demandé à M. Avraham Burg ce qu'il pensait de cette initiative et s'il existait une personnalité en Israël susceptible d'aller dans le sens de cette initiative.

Mme Odette Trupin a souhaité connaître le point de vue de M. Avraham Burg sur le futur statut de Jérusalem dans le processus de paix.

M. Avraham Burg a souligné qu'Israël était le seul Etat au monde qui soit reconnu sur le plan international sans que ses frontières soient permanentes ; or, il a souhaité qu'Israël, comme l'Etat palestinien, disposent de telles frontières, car elles font partie de leur autodétermination. C'est leur droit et le droit de leurs peuples.

L'Etat palestinien sera créé dès le début du prochain stade intérimaire des négociations. Dès qu'il sera créé, Israël sera le premier à le reconnaître. Il convient d'accepter une réalité dans laquelle vivra en Israël une minorité de 20% d'Arabes. Les Palestiniens sont-ils prêts à vivre avec à leurs côtés une minorité juive acceptant de vivre sous souveraineté palestinienne ? Tout règlement devrait faire voler en éclats les foyers de conflits entre populations pour permettre à l'Etat palestinien de devenir la seule démocratie arabe existant au monde.

Abordant le droit au retour, très complexe, il a fait une proposition d'ordre linguistique en suggérant que quiconque évoque le droit au retour le fait pour des raisons symboliques et que quiconque veut résoudre des problèmes humanitaires individuels peut siéger autour d'une table pour les résoudre. Les symboles, à ce stade, sont des prétextes pour ne pas trouver de solution.

S'agissant des destructions d'infrastructures financées par des fonds européens, il s'est demandé pourquoi deux peuples sages se comportent en enfants stupides. Toutefois, il a jugé qu'en brandissant des arguments douloureux contre l'autre partie, à savoir comment des terroristes palestiniens ont assassiné des citoyens français au c_ur de Jérusalem, on retournait le fer dans les plaies d'hier. Selon lui, peu importe qui est le coupable d'hier. Il est plus important de connaître celui de demain, qui est celui qui refuse de s'asseoir à la table des négociations de paix. Pour le reste, on peut justifier les comportement de chacun des deux peuples.

En ce qui concerne l'accord permanent, il a évoqué la venue du Président Sadate en Israël en 1979 cinq ans après la guerre de Kippour, très traumatisante pour Israël. Il a rappelé qu'à l'époque, il était difficile de croire que les risques pris enfanteraient un quart de siècle sans la moindre goutte de sang versé entre Egyptiens et Israéliens. Même si cette paix n'est pas enthousiasmante et plutôt froide, elle est préférable à une guerre brûlante. Il en va de même avec les Palestiniens.

M. Avraham Burg a ensuite évoqué la controverse suscitée en Israël il y a deux ans par l'invitation qu'il avait adressée à son homologue de venir devant la Knesset. Il a exprimé sa grande satisfaction d'être à son tour invité à Ramalah par M. Qureï. Deux ans c'est peu dans une perspective historique. Il a affirmé qu'il se rendrait à Ramalah même en risquant que l'on entame contre lui une procédure pour l'écarter de la présidence de la Knesset. Il a déclaré accomplir cette démarche parce qu'il estimait que le peuple palestinien devait entendre de lui et en hébreu quelle était la position d'un patriote israélien aspirant à la paix. De même, le peuple israélien doit écouter de lui en arabe quels sont les compromis exigés pour vivre en paix. Il a jugé que quiconque ne relève pas un tel défi n'accomplit pas la mission pour laquelle il s'est engagé.

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