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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 27

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 janvier 2002
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Ahmed Qureï, dit Abou Ala, Président du Conseil National Palestinien

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Audition de M. Ahmed Qureï, dit Abou Ala, Président du Conseil National Palestinien

Le Président François Loncle a remercié M. Ahmed Qureï d'avoir bien voulu revenir devant la Commission des Affaires étrangères, qui l'avait déjà entendu le 3 mai 2000. A l'époque, il avait fait part de son espoir quant aux échéances cruciales qui se profilaient, espoir qui malheureusement a été déçu. Depuis cette date, en effet, la situation n'a fait que se dégrader avec l'échec de Camp David, de Taba, le lancement de la deuxième Intifada, l'arrivée de Sharon au pouvoir et une dégradation très grave de la situation sur le terrain

M. Ahmed Qureï a d'abord souligné sa joie d'être en France en même temps que son ami Avraham Burg, le Président de la Knesset. La reprise du dialogue entre les institutions parlementaires est une démarche importante alors qu'il a été totalement rompu entre les deux exécutifs.

En effet, jamais la situation n'a été aussi grave sur le terrain. Chacun peut constater que d'un côté, il y a la puissance et les armes, et de l'autre, un peuple militairement faible, mais qui défend une cause juste et affiche une volonté de faire la paix. Les efforts de la communauté internationale ont été louables, ils ont permis d'obtenir des accords dont les Palestiniens demandent l'application.

Malheureusement, Ariel Sharon continue à tenir le langage de la force, contrairement à Yasser Arafat dans son discours du 16 décembre. A cette occasion, ce dernier a déclaré clairement que la négociation était la seule voie possible, il a clarifié les conditions d'un cessez-le-feu, condamné fermement le terrorisme et invité le gouvernement israélien à revenir à la table des négociations. 24 jours après ce discours, l'accalmie prévalait encore sans que cela ne conduise à un assouplissement côté israélien. Lors d'une réunion avec le général Zinni, l'envoyé spécial de George Bush, celui-ci avait reconnu que la situation était calme, ce que les Israéliens avaient dû admettre. Pourtant, Ariel Sharon n'a montré aucun signe de sa volonté de faire revenir le calme, faisant au contraire liquider un responsable du Fatah, comme s'il était demandeur d'une réaction violente malheureusement inévitable.

M. Ahmed Qureï a indiqué que la ville de Ramallah, siège de l'Autorité palestinienne, était réoccupée à 65 % par l'armée israélienne, que la ville de Tulkarem était entièrement réoccupée, que de nombreuses arrestations avaient lieu... L'escalade est incessante, Arafat est encerclé par des chars israéliens qui se trouvent à quelques dizaines de mètres de son bureau. La politique du gouvernement israélien ne vise pas à la paix, mais à la destruction de l'Autorité palestinienne. Si cela continue, Israël n'aura plus d'interlocuteur et se trouvera face à face avec les extrémistes. De plus, Yasser Arafat n'est pas seulement le Président élu de l'Autorité palestinienne, il est aussi l'emblème de la lutte du peuple palestinien et de sa volonté de faire la paix.

La situation est très périlleuse et il est à craindre que le temps qui nous sépare d'une catastrophe de grande envergure ne soit court si une action internationale suffisante n'est pas menée pour ramener les deux parties à la négociation. L'Autorité palestinienne quant à elle respecte le cessez-le-feu, lutte contre le terrorisme et souhaite un retour immédiat à des négociations dont le rythme devra être intensifié afin d'aboutir rapidement à un accord durable.

M. Ahmed Qureï a déploré qu'Israël ait saccagé des infrastructures publiques, notamment celles de la police à qui l'on demande pourtant d'agir plus efficacement, des habitations, des villages entiers, il a imposé un bouclage sans précédent des territoires. De nouveau, les Palestiniens sont sous une occupation totale, ce qui ne pouvait conduire qu'à une explosion. La situation sociale est très préoccupante, 50 % de la population est au chômage et l'Autorité palestinienne a de plus en plus de difficultés à payer ses fonctionnaires. Enfin, il faut savoir que les aides de l'Union européennes partent en fumée, les infrastructures qu'elles avaient permis de construire - le port et l'aéroport de Gaza, de nombreuses écoles - ayant été détruites.

M. Michel Vauzelle a souhaité savoir quel jugement M. Ahmed Qureï portait a posteriori sur l'échec des négociations au moment où Ehud Barak était Premier ministre d'Israël et où a été abordée la prise en compte par l'Etat d'Israël de la nécessité pour les Palestiniens d'avoir un Etat. Par ailleurs, il a considéré que la destruction des équipements, qui constituent par essence le fondement d'un Etat, était un véritable gâchis et demandé à M. Ahmed Qureï son sentiment sur cet échec.

Sans vouloir aller jusqu'à parler de diplomatie européenne, M. René Mangin a demandé à M. Ahmed Qureï ce qu'il attendait en plus de la part de la diplomatie française, après que les Etats-Unis se sont intéressés à la situation du Proche-Orient à la suite des attentats du 11 septembre 2001 dans la mesure où le Président Bush a reconnu le droit des Palestiniens à un Etat.

Poursuivant l'idée d'une approche plus pacifique des relations israélo-palestiniennes dans le cadre de l'Union européenne, M. Jean-Paul Durieux a souhaité savoir si M. Ahmed Qureï attendait réellement quelque chose de différent par rapport à l'intervention américaine, dans la mesure où les deux ne sont pas de même nature, l'Union européenne n'ayant pas la prétention d'être l'autorité policière du monde. Par ailleurs il l'a interrogé sur sa position dans le cas où un camp d'observateurs serait chargé de mesurer sur le terrain les incidents israélo-palestiniens.

Estimant que le début d'une solution au problème résidait dans la constitution d'un Etat palestinien viable, M. Jacques Myard s'est dit frappé par la montée de la haine et de l'irrationnel entre les peuples. Comment les Palestiniens pensent-ils la réduire alors qu'elle a des racines théologiques ?

A cet égard, le Président François Loncle a rappelé les propos de M. Avraham Burg qui constatait qu'adopter une ligne agressive devenait de plus en plus populaire au sein des deux peuples.

M. Ahmed Qureï a rappelé que l'objectif des Palestiniens à Camp David comme à Taba était bien d'arriver à un accord de paix. Yasser Arafat avait donné des instructions en ce sens. Les propositions israéliennes de Camp David étaient inacceptables ; elles ont été ensuite améliorées à Taba et jamais les deux camps n'ont été aussi proches d'un accord. Il est probable qu'avec deux mois de plus de négociations, on aurait pu atteindre un accord. Mais il est faux de dire que les offres israéliennes de Camp David étaient des offres généreuses.

M. Ahmed Qureï a souhaité que les Etats-Unis jouent un rôle efficace dans le règlement du conflit au Moyen-Orient et que l'Europe soit garante de cette efficacité. L'Europe a des intérêts économiques importants dans la région et peut exercer une influence. Il n'y aura pas de solution au conflit sans intervention de l'Union européenne, et en particulier de la France. Aujourd'hui, c'est toute l'aide économique aux Palestiniens qui est réduite à néant. Il n'est pas sage de laisser Yasser Arafat en situation d'assiégé, les Européens devraient le faire comprendre à Ariel Sharon.

L'implication américaine est importante mais elle doit s'accompagner de la présence européenne. En outre, les Etats-Unis doivent porter un regard juste à l'égard du dernier peuple encore sous occupation. L'Autorité palestinienne appelle de ses v_ux la présence d'un corps d'observateurs et elle ne craint ni l'accusation ni la condamnation. Cette présence ne peut que réconforter un peuple qui est l'objet d'une tentative à caractère de génocide ou tout au moins à caractère fortement raciste. Les observateurs pourront constater le viol de tel ou tel accord et les agressions perpétrées contre le peuple palestinien.

Aucun enracinement religieux n'est à l'origine du conflit pour les Palestiniens. Le conflit est purement politique et sa substance réelle est d'en finir avec la colonisation. Il est hélas vrai que certains représentants de notre peuple peuvent rechercher l'appui de celui-ci en adoptant une position de dureté et de véhémence, et il en est de même en Israël. Il faut rétablir le dialogue pour ramener le calme.

M. Georges Hage a demandé à M. Ahmed Qureï s'il craignait que l'on ne renvoie Yasser Arafat loin de son pays et lui a témoigné son encouragement fraternel. Si les organisations politiques qui ont pignon sur rue ménagent une sorte d'équilibre dans leurs propos et leurs comportements dont elles auront à rendre compte plus tard, dans le c_ur des humanistes et des démocrates, l'appui à la cause palestinienne est largement acquis.

Constatant que les forces israéliennes les plus populaires étaient celles dont le langage était le plus radical, M. Pierre Brana s'est demandé s'il n'en allait pas de même en territoire palestinien. A cet égard, il a souhaité connaître le rapport des forces politiques dans la mesure où le Hamas aurait aujourd'hui une influence plus forte auprès des populations que l'Autorité palestinienne.

M. Jean-Michel Boucheron a estimé que le seul but d'Ariel Sharon aujourd'hui était de changer l'interlocuteur qui ne plaît pas et a demandé à M. Ahmed Qureï comment s'expliquait fondamentalement l'énorme soutien populaire dont il jouit alors que sa logique ne peut manquer d'apparaître un jour comme vouée à l'échec. Par ailleurs, d'autres alternatives politiques sont-elles susceptibles d'aboutir un jour dans la société israélienne ?

Le Président François Loncle a fait part de son sentiment, partagé d'ailleurs, qu'il n'y a pas dans le monde arabe de vraie solidarité active à l'égard de Yasser Arafat, qui s'apparente même à une sorte d'indifférence.

M. Ahmed Qureï a répondu que l'état du rapport de forces entre les différentes tendances montrait encore une majorité en faveur de la paix, ce qui peut changer si les exactions se poursuivent. L'appui de toutes les composantes du peuple palestinien, y compris le Hamas, à Yasser Arafat lors de son discours du 16 décembre dernier en faveur du cessez-le-feu est un témoignage de ce soutien à la ligne de la paix.

Quant au soutien dont bénéficie M. Sharon auprès de la société israélienne, il a estimé qu'il procédait de la peur. On organisait la peur en prétendant que les Palestiniens veulent détruire l'Etat d'Israël, et qu'ils ont refusé les propositions de M. Barak. Le fait que le Président Clinton ait conforté cette thèse a poussé la société israélienne vers la droite et l'extrémisme.

Il a ensuite rappelé l'existence du mémorandum Pérès-Abou Ala, qui traitait de la manière d'opérer une percée psychologique dans les esprits palestiniens et israéliens en traitant d'emblée de reconnaissance mutuelle entre les deux Etats, plutôt que d'en faire un aboutissement de la négociation. Evoquer d'emblée la question des frontières constituerait une percée psychologique qui rassurerait les Palestiniens en leur montrant que la création de leur Etat est inéluctable, et qui rassurerait aussi les Israéliens en leur montrant qu'en reconnaissant cette frontière, les Palestiniens n'ont pas pour but de détruire l'Etat d'Israël. Il faut des frontières sûres intangibles entre les deux Etats. Il convient que la France et l'Union européenne soutiennent cette proposition qui permettrait d'opérer une percée véritable.

En ce qui concerne le monde arabe, celui-ci tente de donner sa chance aux efforts américains et européens pour contenir cette crise. Une intervention forte des Arabes conduirait à une explosion de la région. Le Président Moubarak a néanmoins fait une déclaration exprimant une grande colère. Mieux vaut ne pas aller dans ce sens.

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