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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 4

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 octobre 1998
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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– Audition de M. Wolfgang Schüssel, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères de la République d'Autriche, sur les objectifs de la présidence autrichienne de l'Union européenne ..........



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Audition de M. Wolfgang Schüssel, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères de la République d'Autriche.

La Commission a entendu M. Wolfgang Schüssel, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères de la République d'Autriche, sur les objectifs de la présidence autrichienne de l'Union européenne.

Le Président Jack Lang a souligné l'intérêt de la présence de M. Schüssel, en particulier au moment de la levée de l'hypothèque des élections allemandes. Il est temps que chacun contribue à sortir l'Europe de l'impasse dans laquelle elle se trouve, même si sur certains points des progrès ont été accomplis, comme sur l'euro. Cependant le Traité d'Amsterdam ne résout pas toute une série de questions : l'Europe manque d'un nouveau dessein. Outre une organisation plus efficace, la construction européenne appelle l'émergence d'un nouvel horizon.

M. Wolfgang Schüssel a relevé l'importance d'une relation bilatérale franco-autrichienne marquée par le respect mutuel, parfois l'amertume, mais toujours d'une grande richesse. L'Autriche est admirative à l'égard de la culture française, mais aussi de son ambition européenne. Le rêve d'un continent unifié, d'une zone de stabilité politique et de prospérité économique n'a jamais trouvé autant d'écho que dans l'Union européenne. La France a joué un rôle central dans ce processus.

L'Union est à la croisée des chemins. Elle a pu être qualifiée de "puissance mondiale en état d'attente". Actuellement, elle a un rôle mondial sur le plan économique, elle est la plus grande puissance civile du monde. En dépit de ses atouts, elle n'exerce pas le rôle politique qu'elle serait en droit de jouer. Pour cela, elle devrait être visible, parler d'une seule voix sur la scène internationale, par exemple avec les institutions financières internationales. Il faut rappeler le primat du politique sur les autres domaines et garantir ainsi le retour de l'Europe sur la scène mondiale.

Deux projets sont fortement mobilisateurs. L'un, l'euro, se traduit par l'apparition d'une véritable convergence économique entre quatorze Etats. Il fait aujourd'hui la preuve de sa solidité en résistant à la crise asiatique. L'autre, l'élargissement - qui ne se limite pas aux PECO - constitue une chance, celle de la réunification d'un continent divisé. Il n'en est pas moins difficile : on ne doit notamment pas sous-estimer les difficultés auxquelles sont confrontées les jeunes démocraties.

Il ne faut pas seulement créer des structures "contre" à l'image du centre d'observation contre le racisme et la xénophobie, mais aussi des institutions "pour", pour la promotion du concept de "bon voisinage" par exemple. Cette notion est essentielle dans les relations qu'entretiennent plusieurs Etats-candidats avec leurs voisins, elle est une condition préalable à un élargissement réussi et à la garantie, en tout état de cause, de la paix et de la stabilité.

Des décisions essentielles vont devoir être prises. Le Traité d'Amsterdam ne suffira pas à véritablement améliorer le fonctionnement de l'Union. D'autres réformes sont nécessaires, tenant compte de la sensibilité des petits comme des grands pays. De même, les discussions sur l'Agenda 2000 doivent prendre en compte l'intérêt de toutes les parties et donc ne pas négliger la solidarité avec les régions les plus démunies des pays contributeurs nets. On entre dans une phase décisive sur ce sujet. Le calendrier de Cardiff prévoit en effet que les éléments essentiels de la réforme seront élaborés pour le Conseil européen de Vienne de sorte qu'elle puisse être adoptée sous Présidence allemande. L'objectif est ambitieux, il n'est pas certain que les délais puissent être tenus. Le paquet financier, en particulier, semble constituer une question difficilement soluble dans l'immédiat.

Le Ministre a ensuite abordé trois points relatifs aux relations extérieures de l'Union. La Russie constitue un premier sujet de préoccupation. Lors d'une rencontre avec M. Primakov, M. Schüssel a pu avoir un aperçu des gigantesques problèmes auxquels est confrontée la Russie. Le total blocage de la situation politique, l'effondrement des recettes fiscales sont quelques-unes des raisons pour lesquelles l'un des pays les plus riches du monde est désormais importateur net de produits de base. Le problème n'est pas dans l'excès de réformes, mais dans l'insuffisance de vraies réformes. Elles doivent être menées de l'intérieur, la communauté internationale ne pouvant se substituer aux responsables nationaux.

L'Ukraine est un deuxième motif de souci. Elle ne doit pas retomber sous l'influence de Moscou, il faut la maintenir dans un cadre européen. C'est à de tels besoins que voulait répondre la proposition autrichienne de "Partenariat pour l'Europe".

Enfin l'Union a un rôle à jouer dans les Balkans. La réunion demain du Groupe de contact devra consolider un début d'espoir sur lequel les négociations ne peuvent s'arrêter. Il faut tout mettre en oeuvre pour assumer nos responsabilités à l'égard des 300 000 réfugiés du Kosovo, assurer la sécurité des 2 500 observateurs et éviter que M. Milosevic n'apparaisse comme un ange de la paix, alors même qu'il est une des sources du problème.

Par ailleurs, l'Union a un rôle à jouer dans d'autres domaines : défense des droits de l'Homme, des droits des enfants, combat contre les mines. Des programmes d'action spécifiquement européens doivent être développés.

A propos des institutions M. Jack Lang a demandé quelles seraient les propositions éventuelles de la présidence autrichienne lors de la réunion informelle de Poertschach.

M. René André s'est étonné que l'Autriche ait récemment refusé le passage de troupes françaises sur son territoire.

Parallèlement à l'élargissement, il a évoqué le problème de l'approfondissement auquel la France est très attachée.

Concernant l'aide à la Russie, il a insisté sur l'importance du volet sûreté nucléaire largement sous estimé.

M. Jacques Myard a évoqué les inconvénients de la bureaucratie bruxelloise qu'il a qualifiée "d'usine à gaz" risquant de capter la démocratie et de ruiner l'idée d'Europe.

M. Valéry Giscard d'Estaing a repris les propos de M. Schüssel souhaitant une Europe puissante. Il a insisté sur le fait que l'impuissance de l'Europe n'est pas accidentelle mais structurelle ; tant qu'elle ne sera pas dotée des moyens d'action adéquats, elle restera impuissante. C'est pourquoi la France avec d'autres pays milite pour l'évolution nécessaire des institutions européennes.

Lors d'un récent Conseil des ministres des Affaires étrangères, l'idée d'engager des négociations concernant l'adhésion de Chypre a été retenue. Sur la base des institutions actuelles, cela signifierait que la population chypriote serait représentée au Conseil des ministres par 2 voix, minimum du barème prévu par le Traité de Rome, ce qui fait une voix pour 380 000 habitants ; l'Allemagne possède 10 droits de vote, soit une voix pour 8 millions et la France d'une voix pour 6 millions : ceci est inacceptable ; c'est la raison pour laquelle ceux qui sont attachés au progrès de la construction européenne demandent une réforme des institutions. Celle-ci est au coeur du sujet. On n'a pas réussi à se mettre d'accord au moment du Traité de Maastricht. La négociation du Traité d'Amsterdam devait comporter la réforme des institutions. Cette réforme a été repoussée. Elle ne sera même pas à l'ordre du jour de la réunion de Poertschach. L'élargissement ne pourra pas se faire sur la base d'institutions aussi inéquitables.

Nous nous réjouissons du succès de l'euro ; il a souvent été dit qu'il manquait un volet politique à cette création ; cela se vérifie à l'heure actuelle puisqu'on assiste à un début de polémique entre la banque centrale et les gouvernements. Cette situation était prévisible. L'euro est la seule institution européenne qui n'a pas une enceinte parlementaire adéquate, comme il aura été créé pour EURATOM, la CECA puis par le Traité de Rome. On dit qu'il y a le Parlement européen, mais il n'a pas le même périmètre puisqu'il comprend des membres de la zone euro et d'autres qui n'en sont pas. Au demeurant, il ne bénéficie pas du degré d'expertise nécessaire pour être l'interlocuteur valable de la banque centrale.

M. Valéry Giscard d'Estaing a suggéré la création d'une institution parlementaire adaptée, c'est-à-dire une commission parlementaire de l'euro, lieu de présentation de la politique monétaire. L'expression des doutes et des recommandations se ferait ainsi selon une procédure régulière dans une enceinte adéquate.

Le Président Jack Lang a rappelé que le gouvernement français avait souhaité la constitution d'une délégation paritaire. Cette idée pourrait être retenue lors de la réunion informelle des 24 et 25 octobre. A cet égard, il a demandé par qui l'Allemagne serait représentée puisque le Chancelier Kohl avait déclaré qu'il ne s'y rendrait pas. Il s'est félicité que le Bundestag ait été consulté sur un éventuel engagement militaire au Kosovo et a souhaité qu'il en soit de même pour l'Assemblée nationale française.

M. Jean-Louis Bianco a demandé quel type d'aide humanitaire, financière, l'Union européenne devait donner à la Russie et quels seraient à l'avenir les rapports de la Suisse avec l'Union européenne et avec l'euro.

M. Pierre Brana a souhaité connaître la position du vice-chancelier sur le co-financement envisagé pour la PAC. Il a regretté que l'intervention américaine au Kosovo domine sur la scène médiatique celle de l'Union.

M. Jean-Bernard Raimond s'est déclaré surpris par l'idée que l'Union intervienne dans les relations entre l'Ukraine et la Russie.

M. Hervé de Charette a déploré que l'intervention de l'Union européenne et de sa présidence au Kosovo soit masquée par celle des Américains. L'opinion publique retiendra que, dans ce conflit typiquement européen, l'action diplomatique aura été conduite par un américain comme l'aurait été une éventuelle intervention militaire.

Répondant à ces intervenants, M. Wolfgang Schüssel a expliqué qu'au sommet de Cardiff plusieurs questions importantes (subsidiarité, avenir de l'Union, perception par le citoyen, etc...) ont été évoqués et que la Présidence ne joue qu'un rôle de coordination. Aussi si tous les membres souhaitent la réforme des institutions, ils ne sont pas disposés à discuter tant que tous n'auront pas ratifié le Traité d'Amsterdam. Il aurait fallu débattre de cette réforme lors de la négociation du Traité. Les grands pays comme l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni doivent pouvoir défendre la justice du système auprès de leurs citoyens. Au sommet de Poertschach, l'Allemagne sera représentée par M. Gerhard Schröder qui sera considéré comme un invité spécial.

Pour que l'Union européenne soit efficace, l'élargissement et l'approfondissement doivent aller de pair.

Le ministère des Affaires étrangères autrichien était favorable au passage des troupes françaises qui se rendaient en Slovaquie pour des manoeuvres. Il ne posait aucun problème du point de vue de la neutralité et du transit de matériel de guerre puisque la Slovaquie n'est pas une zone en guerre. Il n'y a eu ni refus officiel ni décision d'acceptation ce qui est insatisfaisant.

En Russie, l'Union européenne, le FMI la Banque mondiale et les autres institutions ont investi près de 800 milliards de dollars. La quasi totalité de ces sommes a quitté la Russie pour l'Occident sans aider à la construction de l'Etat de droit et aux réformes économiques du pays. La sécurité nucléaire en Russie est un problème préoccupant. La Commission européenne ne contrôle pas l'utilisation des fonds du programme Tacis destinés à vérifier la sécurité des centrales nucléaires. Certaines d'entre elles ne sont pas fiables, ce qui constitue un risque pour la Russie mais aussi pour l'Union. L'arsenal nucléaire russe constitue également un risque préoccupant. Les Etats-Unis ont signé un accord avec la Russie pour aider financièrement les scientifiques russes qui travaillent dans le domaine nucléaire et les dissuader de vendre leur savoir-faire à n'importe qui.

La bureaucratie européenne ressemble à celle de l'Autriche ou de la France. Il serait utile de définir clairement comme le proposait M. Robin Cook un code par couleur des domaines d'interventions de l'Union (rouge signifiant absence de compétence de l'Union, orange signifiant subsidiarité et vert, mission de l'Union).

En fait, l'un des problèmes essentiels de la construction européenne réside dans l'absence d'une claire hiérarchie des responsabilités. La question, délicate, est au moins aussi importante que celle de la réforme des institutions.

S'agissant du contrôle démocratique dans la zone euro, la question est très sensible, l'indépendance de la BCE étant explicitement mentionnée dans le Traité.

Le rôle du Parlement dans les opérations militaires extérieures suscite des interrogations sérieuses : qui prend la décision ? quels sont les délais admissibles ? ne risque-t-on pas la paralysie ? Il existe en Autriche un débat public sur le sujet.

Peut-on par ailleurs accepter que la politique extérieure et de défense européenne soit à ce point déficiente que des problèmes comme ceux des ambulanciers ou des réfugiés au Kosovo soient gérés par d'autres que les Européens ?

On n'a pas suffisamment souligné le caractère novateur de l'action de l'OTAN concernant le Kosovo.

Le succès de la menace de frappes militaires par l'OTAN, son engagement en Bosnie, l'apparition de nouvelles missions ouvrent un débat sur le rôle de son pilier européen. La proposition autrichienne d'une rencontre des ministres européens de la défense prend tout son sens dans un tel contexte.

En ce qui concerne la Suisse, elle est de toute évidence européenne. Elle a lutté pour une pleine participation à la Conférence européenne. Elle évolue vers l'adhésion, il convient de l'encourager dans cette voie.

Sur la PAC, l'Autriche peut s'accommoder des quatre options proposées par la Commission. Le Ministre a estimé que la proposition de cofinancement ne pourrait vraisemblablement pas recueillir l'unanimité, la France n'étant pas le seul pays réservé.

S'agissant de l'Ukraine, il n'y a pas dans ce pays de nostalgie de l'URSS ni de souhait que la Russie y exerce une influence. Mais plus que tout autre pays, l'Ukraine est tributaire de la Russie : il convient donc de l'aider.

Enfin, il faut se souvenir que la Russie est la destination d'un tiers des exportations agricoles de l'Union. L'évaporation des aides qui lui sont consenties constitue donc un problème que l'Union ne peut négliger.

Le Président Jack Lang a adressé un message à nos différents partenaires européens. La France n'est pas seule. L'Italie, la Belgique notamment, souhaitent un renforcement de l'Union, portant à la fois sur les compétences et sur les procédures. Il ne s'agit ni d'un caprice, ni d'une tocade, mais d'une volonté profonde, ancrée dans les différentes formations politiques. L'argument selon lequel le sommet ou le Conseil initialement prévu devant porter sur les institutions ne pouvait retenir cet objectif dans la mesure où tous les pays n'avaient pas ratifié Amsterdam apparaît comme une argutie. Cet argument est réversible. Beaucoup hésitent précisément à ratifier parce qu'ils ont le sentiment qu'il n'existe pas corrélativement une volonté réelle d'aller de l'avant en matière institutionnelle. La réactivation des initiatives promises et des engagements pris de ne pas en rester là constituerait un signe positif, susceptible d'encourager notre pays à ratifier ce Traité.

M. Schüssel a tenu à souligner que, depuis Amsterdam, il y avait eu une évolution des Etats-membres. On a peut-être manqué d'ambition à l'époque, semble-t-il. Dans tous les Etats membres, des courants d'idées vont dans le même sens. Il y a un mouvement qu'il faut utiliser.

Il a estimé que lorsque les procédures de ratification au Traité d'Amsterdam seront achevées, il sera possible d'envisager une révision des institutions. Cela donnerait un signal aux candidats à l'adhésion Ils ne doivent pas penser que leur adhésion prendra du retard parce nous ne sommes pas d'accord entre nous.

M. Schüssel a tenu à remercier la France pour son aide lors de la préparation de l'Autriche à l'adhésion. Il s'est félicité du nouvel essor des relations bilatérales, preuve de la vigueur et de la vitalité de l'Europe.

——fpfp——

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