Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 12

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 8 décembre 1998
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

page


– Audition de M. Karel Van Miert, commissaire européen à la concurrence ..........


3

Audition de M. Karel Van Miert, commissaire européen à la concurrence

La Commission des Affaires étrangères a entendu M. Karel Van Miert, commissaire européen à la concurrence.

Le Président Jack Lang a souhaité la bienvenue à M. Karel Van Miert, dont il a rappelé la carrière et les attributions essentielles.

Il s'est félicité que la Commission ait renoncé à remettre en cause les législations nationales relatives au prix unique du livre et de l'attitude raisonnable qu'elle semble adopter à l'égard des accords transfrontaliers en la matière. La défense d'un accord tel que celui conclu entre l'Allemagne et l'Autriche contribue à celle des langues nationales.

En revanche, de sérieuses interrogations continuent de peser sur l'attitude de la Commission à l'égard des chaînes de télévision. Le procès fait aux chaînes publiques est incompréhensible. L'Europe est le lieu de la diversité, de la créativité. Au nom d'une vision formelle, formaliste, nominale, de l'Union, on risque de donner aux chaînes privées un rôle excessif.

La clarification des missions entre chaînes publiques et privées semble en outre impossible à réaliser. Les chaînes publiques ne pourront promouvoir dans l'opinion les hautes valeurs de la culture qu'à condition de ne pas se couper du monde réel et de pouvoir, par exemple, retransmettre de grands événements sportifs.

La question n'est pas seulement juridique, mais également politique : elle est d'ailleurs susceptible de provoquer un vrai conflit. Les pouvoirs politiques nationaux doivent pouvoir imprimer une marque culturelle à leur télévision.

M. Karel Van Miert, commissaire européen, a d'emblée précisé que la Commission européenne n'avait jamais envisagé de remettre en question les systèmes nationaux afférents au prix du livre. Les Allemands, par exemple, peuvent ainsi librement adopter leur propre loi Lang. Mais celle-ci avait dû être modifiée pour tenir compte des problèmes liés au commerce du livre avec les autres pays et de la jurisprudence "Leclerc"de la Cour de Justice des Communautés européennes. Or, les Allemands et les Autrichiens ne semblent pas disposés à opérer les adaptations nécessaires à leur accord transfrontalier. Il est de bon ton d'accuser la Commission d'être "aculturelle". En l'espèce, elle ne fait qu'accomplir la mission qui lui est impartie par les traités en veillant au respect des décisions de la CJCE.

La question de la télévision est brûlante. Des plaintes sont pendantes depuis des années. L'organisation nationale de la concurrence entre chaînes publiques et privées a été le fait des seuls Etats-membres. La Commission n'est en rien intervenue pour créer une telle concurrence. A présent qu'elle existe, elle pose des problèmes de deux ordres : le financement des chaînes publiques et le problème des chaînes thématiques, d'aucuns accusant les chaînes publiques de "tuer" l'initiative privée sur ce créneau.

La Commission est longtemps restée en retrait, demandant aux Etats de régler le problème par eux-mêmes. Or, pas une seule plainte n'a été retirée. La Commission vient de façon inédite d'être condamnée par le Tribunal de première instance pour inactivité. Elle doit à présent agir.

L'existence de nombreuses plaintes non résolues incite à traiter la question de manière cohérente, d'où l'initiative prise par la Commission de présenter un projet de "lignes directrices". Il faut rappeler que celui-ci ne constituait qu'un document de discussion. Les contestations portent surtout sur la mixité du financement des chaînes publiques, parfois reconnu comme complexe par leurs dirigeants eux-mêmes. L'examen en est donc nécessaire ; peut-être fera-t-il au demeurant apparaître qu'il n'existe pas de problème.

Les chaînes publiques doivent également pouvoir se développer. La Commission avait dans ce but autorisé l'achat en commun par des chaînes publiques de droits de retransmission de grands événéments. Le Tribunal de première instance a cassé cette décision, compte tenu du flou des critères utilisés. Il n'y a pas d'a priori à l'encontre des chaînes publiques : ainsi, la création en Allemagne d'une chaîne publique thématique pour les enfants, sans publicité, ne pose pas de problème.

Le Président Jack Lang a jugé les propos de M. Karel Van Miert rassurants et réjouissants. Se déclarant désireux de ne pas alimenter une guerre quelconque, il a rappelé le rôle utile des chaînes privées dans la promotion de la culture. Il convient dans ce débat de ne pas oublier une donnée juridique essentielle : la rareté des fréquences hertziennes, qui fait des entreprises de télévision des entreprises atypiques.

De ce point de vue, on ne peut que se rallier au propos de Jacques Delors selon lequel les oeuvres de l'esprit ne sont pas assimilables à des marchandises ordinaires.

M. Patrick Delnatte a évoqué les dégâts causés par les fluctuations monétaires et la difficulté d'y réagir rapidement.

Il a déploré l'intervention de la Commission lorsqu'un Etat membre prend des initiatives destinées à sauvegarder un secteur économique.

Il a interrogé M. Karel Van Miert sur la situation des industries textiles sanctionnées et condamnées à rembourser les aides reçues, sur l'égalité de traitement entre industriels français et belges et sur la détermination réelle de la Commission à défendre les industries de main d'oeuvre au sein de l’Union européenne.

M. Roland Blum a évoqué la compétition économique entre les Etats membres et l'harmonisation fiscale. Il a souhaité que l'harmonisation ne tende pas vers une uniformisation, dont il a souligné les aspects néfastes.

M. Jean-Louis Bianco a abordé le problème des baisses sélectives de TVA.

M. Pierre Brana a demandé à M. Karel Van Miert si les problèmes complexes de la concurrence pouvaient être abordés au-delà de l'Europe dans le cadre de négociations mondiales, comme celles de l'AMI.

M. Léonce Deprez a évoqué le problème de la délocalisation des industries de main d'oeuvre, notamment en Asie.

M. Charles Ehrmann a dénoncé les ravages de la mondialisation.

Il a estimé que l'Europe du Sud était délaissée par les instances européennes au profit de la "banane bleue". Il a cité le cas de la desserte Lyon-Turin-Milan qui laissera toute l'Europe du Sud-Ouest à l'écart.

Il a également déploré la fuite des cerveaux, mais a néanmoins réaffirmé sa conviction européenne.

M. Jacques Myard a dénoncé le dessaisissement législatif des Etats au profit de la Commission. Il a souligné qu'en matière de concurrence, l'Europe n'appliquait pas les mêmes normes qu'au niveau mondial, se mettant ainsi en position d'infériorité. L'Europe est dépassée par la mondialisation.

Il a estimé que les règles de concurrence n'étaient légitimes que dans le domaine transfrontalier et que le principe de subsidiarité devait s'appliquer à la concurrence interne.

M. Paul Dhaille a interrogé M. Karel Van Miert sur la notion de "service universel" dont on ne sait trop ce qu'elle recouvre. S'appliquera-t-elle à tous les domaines et à tous les secteurs économiques et industriels ?

Le Président Jack Lang a interrogé M. Karel Van Miert sur d'éventuelles réformes institutionnelles de nature à améliorer l'organisation interne entre les différentes instances communautaires et leur efficacité démocratique.

M. Karel Van Miert a précisé que l'attribution des fréquences pouvait poser des problèmes de concurrence entre chaînes publiques et privées. La Commission européenne prend en compte la dimension culturelle mais cela ne fait pas disparaître les enjeux économiques. Par exemple, la Commission n'entend pas départager Canal Plus et TPS. En bénéficiant de l'exclusivité de diffusion des chaînes nationales sur le réseau satellitaire, TPS dispose sans doute d'un atout important. Mais Canal Plus a, lui aussi, des atouts similaires. De plus en plus de questions de ce genre atterrissent sur le bureau de la Commission, notamment dans le domaine des retransmissions sportives.

S'agissant du textile, M. Van Miert a d'abord rappelé quelles avaient été les décisions de la Commission à propos des aides réservées à tel ou tel secteur par des Etats membres. Sur la plainte de l'Allemagne et de la France, la Commission a dénoncé une loi italienne qui accordait des réductions de cotisations sociales au seul secteur du cuir et de la chaussure. De même, la Commission a jugé illégale une législation belge qui attribue des aides budgétaires aux seuls secteurs exportateurs ; elle s'oppose à toutes les autres subventions aux entreprises tant que ce dossier ne sera pas clos.

La Commission a appliqué les mêmes principes au dispositif d'aide en faveur du textile français. Auparavant, elle avait adressé de nombreux avertissements. La Commission a été saisie de ce cas par les organisations textiles allemande et italienne. Le soutien aux industries de main d'oeuvre est admis à condition qu'il soit général et non sectoriel, comme le prévoit d'ailleurs le plan Aubry.

Le thème de l'harmonisation fiscale a donné lieu à un conflit entre le Royaume-Uni d'une part, la France et l'Allemagne d'autre part. La logique de l'Union économique et monétaire devrait conduire à l'élimination des distorsions de concurrence créées par la fiscalité. Il ne s'agit pas de tout harmoniser mais seulement de limiter les dérapages afin d'éliminer cette concurrence malsaine.

L'harmonisation fiscale supposant des décisions à l'unanimité, la Commission ne peut faire de miracles. Lors de la négociation du traité d'Amsterdam, le passage à la majorité qualifiée n'a été accepté ni par la France, ni par l'Allemagne. Le Chancelier Kohl, sous la pression de certains Länder, a bloqué toute évolution. Les reproches d'inaction que l'on adresse aujourd'hui à la Commission sont donc injustifiés. En revanche, la Commission peut agir contre certains régimes fiscaux sectoriels. C'est ce qu'elle a fait à propos de dispositifs irlandais, belge ou espagnol. Elle s'est ainsi opposée à la création d'un havre fiscal aux Canaries.

M. Van Miert n'a pas souhaité répondre précisément à la question relative à la TVA qui relève du commissaire européen, M. Monti. Il a simplement rappelé que le régime communautaire autorisait une certaine souplesse ; par exemple, la création de taux réduits.

Les concentrations d'entreprises se sont multipliées au cours des dernières années. Leurs effets sont transatlantiques et même mondiaux. Ce phénomène reprend de plus belle aujourd'hui, après une courte pause liée à la crise asiatique. La Commission a été saisie de 200 cas cette année alors qu'elle n'en connaissait que 40 à 60 par an il y a cinq ans.

Quelques fusions ont particulièrement retenu l'attention. Ainsi, les fusions d'entreprises américaines risquent de créer des positions dominantes dans le domaine d'Internet. Bien que ces sociétés ne soient pas présentes sur le sol européen, la Commission s'est saisie du dossier. Un accord avec les Etats-Unis a permis de proposer de part et d'autre aux deux entreprises américaines une même solution. Dans la plupart des cas, des accords permettent de négocier avec les Etats-Unis.

D'autre part, ces opérations de fusion doivent être notifiées à des autorités nationales de la concurrence de plus en plus nombreuses. Aussi, la Commission a saisi l'OMC de la possibilité d'un traitement multilatéral de ces dossiers. Les Américains restent attachés à un réglement bilatéral. Cependant, un groupe de travail a été créé à l'OMC.

Les délocalisations constituent un problème complexe. La Commission est la première à recevoir les réactions de chaque partie concernée, quel que soit le sens de l'opération, car il ne faut pas oublier, comme le fait souvent l'opinion publique, que le mouvement est à double sens.

Le phénomène reste limité et toutes les mesures sont prises pour éviter les délocalisations artificielles en Europe. Par exemple, l'Irlande vient de se voir diminuer la possibilité qu'elle avait d'accorder des aides publiques favorisant les délocalisations. De même, la Pologne s'est vue signifier l'incompatibilité entre sa future adhésion et la persistance de zones économiques spéciales sans impôts.

A l'égard du reste du monde, la question est plus complexe, compte tenu de la fréquente absence ou insuffisance de règles sociales ou de normes en matière d'environnement. Mais de manière générale, lorsque l'on considère les flux d'investissement direct, on ne peut que constater que la France en est largement bénéficiaire.

S'agissant de leur impact particulier sur les industries de main d'oeuvre, les Etats sont libres, dès lors qu'ils disposent des marges de manoeuvre nécessaires et qu'ils le font de façon indifférenciée, de prendre des mesures d'abaissement du coût du travail. De fait, pendant quinze ans, à défaut d'autres sources de financement, les Etats ont taxé le facteur travail.

L'ouverture des économies, la mondialisation ne nous laissent pas démunis : outre l'adoption de mesures anti-dumping, ne bénéficions-nous pas d'ores et déjà de la protection d'une monnaie qui n'existe pas encore, l'euro ? Le problème est ailleurs : il réside dans l'absence, dans de nombreuses parties du monde, de règles du jeu ou d'autorité pour les faire respecter. Quelle autre raison donner aux difficultés du système bancaire japonais ?

L'Europe est de retour. Sa compétitivité s'est améliorée. L'exemple des télécommunications est éloquent. Dans certains pays, les monopoles traditionnels offraient un service exécrable, une couverture seulement partielle de la population. Aujourd'hui, la situation est toute autre et le secteur est créateur net d'emplois, on y évoque même une pénurie de main d'oeuvre. Cette amélioration née de l'action communautaire permet désormais à l'Union européenne de rivaliser avec les Etats-Unis.

Sur l'absence de contrôle de l'action de l'Union par Bruxelles, il va de soi que Bruxelles ne maîtrise rien lorsque les Etats-membres ne s'entendent pas. La PESC constitue un bon exemple de la pagaille à laquelle on peut ainsi arriver. En revanche, dans les domaines plus intégrés, l'Union parle d'égal à égal avec les Etats-Unis, comme l'a montré le cas Boeing. Le commissaire Bangemann a de même réussi à convaincre les Américains de modifier leur système de gestion d'Internet et notamment l'attribution des adresses.

L'Europe a besoin d'un système de transports plus performant car il y a trop de goulots d'étranglement. On essaie donc de favoriser les grands axes même si certaines régions restent un peu à l'écart.

Contrairement à une idée répandue, la Commission prend peu d'initiatives en matière législative et a plutôt tendance à les freiner. Les chefs d'Etat et de Gouvernement, qui estiment généralement que la Commission légifère trop, sont souvent les premiers à lui demander de le faire. Ainsi dans des domaines qui relèvent de la compétence des Etats - législation sur le dopage ou sur les mesures de sécurité à prendre dans les zoos - la Commission a été saisie de demandes de législation.

Le service universel doit bénéficier à tous. C'est d'ailleurs grâce à la concurrence dans les télécommunications que l'ensemble de la population a pu obtenir un service de qualité. Dans ce secteur, les licences sont accordées aux entreprises qui s'engagent à couvrir tout un pays.

Chacun constate les faiblesses du fonctionnement de l'Union européenne dans le contexte de la mondialisation. L'élargissement à six Etats - voire à neuf car Malte, la Slovaquie et la Lettonie deviennent des candidats sérieux -, ne fera que les souligner davantage. L'élargissement de l'Union ne sera pas concevable sans réforme des institutions.

Au niveau de la Commission, une réforme est nécessaire. Il convient notamment de mettre en place un véritable service public européen.

Le Président Jack Lang a, en tant qu'Européen convaincu, remercié M. Karel Van Miert.

________

· Union européenne

· Concurrence


© Assemblée nationale