Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 20

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 9 février 1999
(Séance de 16 heures 45)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

page


– Audition de M. Alain Richard, ministre de la Défense, sur les opérations militaires extérieures ..........


3

Audition de M. Alain Richard, ministre de la Défense.

Après avoir remercié le Ministre d'avoir répondu à l'invitation de la Commission des Affaires étrangères, le Président Jack Lang l'a interrogé sur le Kosovo. Comment la mission des observateurs de l'OSCE se déroule-t-elle ? Quelles sont précisément les missions de la force dite d'extraction ? Que sait-on des forces militaires de l'UCK et de leur armement ? Quelle est la situation humanitaire au Kosovo ? Quelles sont les perspectives ouvertes par la Conférence de Rambouillet ? Si cette dernière devait aboutir à un échec, quelles seraient les conditions d'envoi de troupes au sol au Kosovo ? Sur quelles bases juridiques ?

La crise kosovare offre par ailleurs matière à une interrogation plus générale sur le rôle du Parlement français à l'égard des opérations extérieures. S'agissant de l'autorisation d'envoi de troupes à l'étranger, ce dernier semble quelque peu en retard sur certains de ses homologues.

Le Gouvernement a annoncé une série de mesures pour corriger cette situation : rapport annuel au Parlement sur les opérations extérieures, débat au moment de la présentation du collectif budgétaire, information sur les opérations extérieures.

Le Président Jack Lang a souhaité que la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale soit associée à ce dispositif au même titre que les Commissions de la Défense de l'Assemblée nationale et du Sénat. Dans le souci d'une pleine réhabilitation de sa fonction d'information et de contrôle, il s'est interrogé sur la possibilité pour le Parlement d'intervenir dans la décision d'envoi des troupes à l'étranger. Pourrait-on subordonner celui-ci à une autorisation ou à une consultation, préalable ou immédiatement postérieure ?

M. Alain Richard a indiqué que l'engagement de la France au service de la paix et du droit international n'était pas une fiction : 5 600 hommes servent actuellement dans le cadre des accords de défense ou de coopération, ou encore dans le cadre de la présence maritime française (Océan Indien, zone maritime Pacifique) ; 6 800 militaires français sont directement engagés dans diverses opérations de soutien à la paix, essentiellement dans un cadre international et avec un mandat du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies. Enfin, pour être complet, il convient de mentionner les 18 000 militaires qui servent dans les Départements et Territoires d'outre-mer, dans le cadre des forces dites de souveraineté.

Au total, 30 000 hommes (toutes armées confondues) sont déployés en dehors du territoire métropolitain.

Cela signifie que la présence militaire française est permanente sur tous les continents ; c'est par cet engagement que la France marque le prix qu'elle attache à un monde multipolaire stable et régi par des règles de droit. Ces forces militaires font aussi sa grandeur et lui permettent de tenir son rang qui, pour n'être pas le premier, est cependant celui d'une puissance aux intérêts multiples, répartis sur l'ensemble du globe.

Les opérations extérieures menées actuellement peuvent être présentées en trois volets : celles conduites sous l'égide de l'ONU, celles sous commandement international, et enfin, celles sous commandement national.

Le Ministre a tout d'abord présenté les opérations sous l'égide de l'ONU.

Certaines sont un héritage lié au règlement de conflits passés. Il s'agit par exemple :

- de la FINUL : 246 Français sur un total de 4 480 hommes ;

- de la MIPONUH : 24 gendarmes qui, en Haïti, assistent la police civile ;

- de la MONUIK : 11 observateurs français chargés au Koweït de contrôler la frontière avec l'Irak.

D'autres s'inscrivent dans le cadre de la résolution de problèmes en cours. On peut classer dans cette catégorie :

- la MINURSO au Sahara occidental où 25 Français participent à la mission de préparation du futur statut au sein d'un détachement de 333 hommes ;

- la MONUA en Angola, normalement dévolue à la surveillance d'un cessez-le-feu maintenant rompu. Un seul Français est encore sur place ;

- la MINURCA en République Centrafricaine. La France a contribué à son soutien avec environ 270 hommes jusqu'à la fin du mois de janvier. La reconduction du mandat de cette force se fera sans participation française, puisque les forces françaises seront relevées dans leur mission de soutien par des Egyptiens. Une centaine de Français contribuent au "passage de relais". Ils auront quitté le pays à la fin du mois, à l'exception d'une douzaine d'hommes ;

- la MINUBH, en Bosnie-Herzégovine, compte 125 gendarmes français sur un total de 1 962 hommes du Groupe international de police. Cette mission, concomitante de celle de l'OTAN, vise à contribuer à l'organisation des forces de police locales.

Sur ces neuf opérations de l'ONU auxquelles la France participe, les trois plus importantes sont celles de la FINUL, de la MINURCA et de la MINUBH. Sa participation à certaines d'entre elles devrait cesser ou devenir marginale (MINURCA, MONUA). Le surcoût de ces opérations porte essentiellement sur des dépenses de fonctionnement ; il a atteint 142 millions de francs environ en 1998. Ces sommes sont partiellement couvertes par des remboursements de l'ONU, intervenant avec un retard de six à douze mois, mais qui s'effectuent de façon satisfaisante si l'on considère les difficultés financières que traverse l'ONU.

Le Ministre a ensuite évoqué les opérations sous commandement international.

La France a participé à l'opération Alysse qui, décidée en 1992, consécutivement à une attaque lancée par Saddam Hussein contre les populations kurdes, visait à interdire au gouvernement irakien l'utilisation de ses moyens aériens au sud du 32ème parallèle. Les récentes décisions américaine et anglaise de bombarder Bagdad ont conduit la France, en décembre 1998, à suspendre toute participation aux vols de reconnaissance, tout en maintenant ses aéronefs (6 avions de combat, 1 ravitailleur) dans le dispositif. La France a toutefois indiqué qu'elle pourrait, dans le futur, participer à des opérations de surveillance dans un nouveau cadre.

Une deuxième opération, dite Salamandre - nom français de la SFOR -, est menée dans le cadre de l'OTAN en Bosnie. Elle a pour objet de veiller à la stricte application des accords de Dayton : dissuasion de reprise des hostilités, retour des réfugiés, aide à la mise en place des institutions. La participation française s'élève à 3 500 hommes sur un total de 32 000. L'opération Salamandre comporte deux volets complémentaires : l'un est aérien et déployé sous l'égide de l'OTAN en Italie ; l'autre, déployé en Bosnie sous l'égide de l'ONU, a vocation de police.

Enfin, la France participe également à l'opération Joint Guard, dans le cadre de la mise en oeuvre de la résolution 1203 sur la crise du Kosovo. Cette opération comporte pour la partie française : une douzaine d'aéronefs déployés en Italie, alors qu'une dizaine sont maintenus en alerte en France ; le groupe aéronaval et ses 18 Super Etendard, actuellement en Adriatique ; une participation substantielle à la force d'extraction stationnée en Macédoine, composée de 1 800 hommes - dont 850 Français - et sous commandement d'un général français.

Le déploiement d'observateurs non armés de l'OSCE correspondait à la volonté de la communauté internationale de vérifier le bon déroulement du retrait des forces yougoslaves. Sur les 2 000 vérificateurs prévus, seulement 1 000 ont été effectivement déployés, dont 500 pour des activités de patrouille. Il est certain en revanche que l'accord Milosevic-Holbrooke a permis d'éviter une crise humanitaire au Kosovo.

Alors que la Conférence de Rambouillet commence à peine, on ne peut préjuger du résultat.

Les Européens ont, quant à eux, pris dans le règlement de la crise un niveau de responsabilité plus élevé qu'ils ne l'avaient fait en Bosnie. La raison en est qu'il existe entre eux une convergence de vues sur les objectifs globaux à atteindre. L'Europe a pris un risque. Mais si l'on pense qu'elle peut disposer d'une véritable capacité d'action, on ne doit pas faire l'impasse sur la crise kosovare, en dépit des échecs momentanés qu'elle réserve sans doute, et attendre une crise "plus facile".

La France est, quant à elle, prête à assumer la place qui lui revient dans une intervention au Kosovo.

S'agissant de la mise en oeuvre d'un accord, il convient de prendre conscience qu'elle sera nécessairement précédée d'une période intérimaire longue, pendant laquelle la force internationale déployée devra rester présente. Il est illusoire de penser que l'on pourra baisser le niveau de conflictualité au Kosovo en quelques semaines.

Les Américains doivent-ils participer à une telle force, et dans quelle proportion ? Tout dépend de ce que l'on souhaite. L'Europe cherche, à juste titre, à franchir une étape. Pour autant, dire que l'on va se passer de la participation américaine n'est pas crédible. D'une part, les moyens européens sont limités. D'autre part, il faut tenir compte des effets cumulés de l'asymétrie politique et militaire des forces entre Etats-Unis et Europe.

Le schéma vers lequel on s'oriente est le suivant : une force principalement européenne, dirigée essentiellement par des Européens, comprenant des troupes américaines. Beaucoup d'Européens en font d'ailleurs une condition de l'intervention. Sur le plan de la procédure, une nouvelle résolution sera nécessaire pour autoriser le recours à la force.

Le Ministre a ensuite détaillé les opérations extérieures sous commandement national.

Il a mentionné, pour mémoire, le détachement Epervier au Tchad, qui correspond à un détachement permanent - comme il en existe à Djibouti, à Abidjan, à Dakar et à Libreville - plus qu'à une opération extérieure. Relèvent en revanche de cette dernière catégorie quatre autres opérations, qui ne concernent pas au demeurant des effectifs importants.

La première opération consiste à la mise en place d'un bataillon interafricain RECAMP à Bissau en application des accords d'Abuja. Il est prévu que la France assure ensuite le soutien de cette force à partir de Dakar, sans déploiement de soldats français au sol.

La mission Aramis contribue à la formation des forces camerounaises dans le cadre d'une querelle frontalière entre le Cameroun et le Nigeria au sujet de la presqu'île de Bakassi.

La mission Okoumé a pour objet la sécurité de nos installations diplomatiques à Brazzaville.

L'opération Khor Angar vise à renforcer les mesures de vigilance aérienne et maritime de Djibouti dans le cadre de la menace d'un conflit entre l'Ethiopie et l'Erythrée.

Enfin, le Ministre a évoqué l'opération Corymbe qui consiste à maintenir en permanence un bâtiment de la Marine nationale au large des côtes africaines et l'opération Pécari qui contribue au déminage des abords de la Résidence des Pins à Beyrouth.

L'ensemble de toutes les opérations extérieures a représenté en 1998 un surcoût de 2,15 milliards de francs.

M. Alain Richard a souligné la variété et l'hétérogénéité de ces engagements, qui obligent la France à disposer d'un outil militaire à la fois souple, varié, réactif et d'un certain volume. La charge budgétaire qui en découle est la contrepartie de la contribution française à la paix et à la stabilité des différentes régions du monde, y compris en période de conflit.

La comparaison avec les pays étrangers montre clairement que l'influence des uns et des autres dans l'ordre international dépend étroitement des moyens qu'ils peuvent dégager pour affronter une situation de crise.

La réforme des armées n'est encore qu'à mi-chemin. C'est pourquoi, même si les capacités opérationnelles de la France montent en puissance, l'engagement de troupes françaises dans des opérations extérieures atteint déjà presque son niveau maximum. Un tel constat légitime encore plus a posteriori les réformes engagées et incite à les mener à terme.

Le Ministre a rappelé les mesures qu'il envisageait pour mieux informer les parlementaires sur les opérations extérieures : la publication d'un rapport annuel sur ce thème à la fin de chaque année ; l'organisation d'un débat lors du collectif budgétaire ; la présentation des objectifs d'une opération extérieure dans le mois suivant son déclenchement devant les commissions concernées ; le déplacement de parlementaires auprès des forces françaises en opération extérieure.

L'hypothèse d'une réforme de la Constitution pour imposer un vote préalable du Parlement avant tout déclenchement d'une opération extérieure est juridiquement envisageable, mais le Ministre a souligné les conséquences d'un tel projet sur l'équilibre de nos institutions, et notamment sur les prérogatives du Chef de l'Etat, que la Constitution désigne comme le Chef des Armées.

En conclusion, M. Alain Richard a souligné qu'une étude de la situation des différents pays du monde faisait clairement apparaître une corrélation entre l'importance du contrôle parlementaire sur les opérations extérieures et le non-engagement du pays considéré dans l'ordre international.

Le Président Jack Lang a précisé qu’en Allemagne, le Bundestag s’était réuni entre les élections législatives et la mise en place de la nouvelle majorité pour exprimer son avis alors que le Parlement français était resté muet.

M. François Lamy, évoquant la question de la réforme constitutionnelle, a rappelé que, lors de l’opération Alba, les troupes italiennes avaient dû attendre la décision du Parlement. Comment le Parlement peut-il exprimer son avis en tenant compte de toutes les données du problème, notamment les exigences de secret et d’efficacité ? Ainsi, l'accord de défense conclu avec Djibouti n'a pas été soumis au Parlement français, qui n'en a même pas été informé officiellement.

M. Georges Sarre a posé la question des suites à donner au rapport de la mission Rwanda. Par ailleurs, sur le plan constitutionnel, il est anormal que le Parlement ne donne pas son avis avant tout engagement des forces.

Le Ministre a rappelé que le Parlement français, comme l'a souligné dans son rapport la Mission Rwanda, n'a pas toujours su utiliser, dans le domaine international, les moyens d'information et de contrôle dont il dispose traditionnellement et dont il use sur d'autres sujets.

Un débat autour d'une éventuelle autorisation parlementaire sur la participation française à une intervention militaire au Kosovo est à replacer dans la réalité. Si la Conférence de Rambouillet permettait d'aboutir à un accord le 25 février, on ne pourrait, sauf à compromettre son efficacité, attendre trop longtemps pour déployer une force d'intervention au Kosovo.

Le Ministre a constaté que l'engagement militaire des Etats dans le règlement de telles crises était généralement inversement proportionnel à l'association des Parlements à la décision de recourir à la force.

M. François Loncle a observé que l’absence de renseignements sur l’UCK constatée en 1998 était préoccupante. Après la guerre du Golfe, M. Pierre Joxe, alors Ministre de la Défense, avait déjà fait état d’une absence de renseignements à l’égard de certains pays. Sur le Kosovo, ignore-t-on que l’UCK possède des bases en Albanie et comment elle les constitue sur le territoire d’un pays en crise ? Ne connaît-on pas le rôle de M. Berisha dans l’organisation de ce conflit ? Ignore-t-on que des comptes suisses et allemands alimentent cette armée ? N’est-on pas conscient du manque de crédibilité de M. Rugova ? De quelle manière peut-on être plus performant dans l'obtention de renseignements ?

Le Ministre a répondu que, sur le renseignement, l'impulsion donnée par M. Pierre Joxe avait effectivement été essentielle pour le développement de la capacité française de prévention des conflits. Cependant, le caractère limité des ressources impose en permanence de se donner des priorités parmi les vingt à trente points de tension toujours présents. La France a ainsi fait le choix de ne pas dépendre exclusivement des sources extérieures sur les questions de prolifération. De même, elle entend continuer à exercer une influence en Afrique. Elle développe aussi une politique propre en matière de renseignement spatial.

Les priorités assignées au renseignement se révèlent cependant parfois utiles : ainsi les propositions de la France sur l'Irak sont elles écoutées, pas celles de l'Allemagne.

_______

· Kosovo

· Opérations militaires extérieures


© Assemblée nationale