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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 37

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 18 mai 1999
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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– Audition de M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, sur la situation en Afrique ..........



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Audition de M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, sur la situation en Afrique.

Le Président Jack Lang a souligné que, si l'attention était aujourd'hui concentrée sur le Kosovo, la Commission des Affaires étrangères ne souhaitait pas pour autant oublier l'Afrique. Il a regretté que l'évaluation des conflits sur le plan humain différât parfois, selon que ceux-ci se déroulent sur le sol européen ou sur le sol africain. Il a fait état des nombreuses lettres et pétitions reçues concernant différents pays : le Congo-Brazzaville et la République démocratique du Congo, l'Angola, le Soudan, le Burkina-Faso, la Sierra Leone…

M. Pierre Brana a souhaité évoquer la situation assez tendue du Congo-Brazzaville faisant état de 50 000 morts depuis décembre 1998 et de 600 000 personnes déplacées. Des risques de contagion vers le Gabon existent, des incidents ont déjà eu lieu sur la frontière. Il a demandé au Ministre son sentiment sur cette situation et sur les luttes fratricides entre les partisans de l'actuel Président, M. Denis Sassou N'Guesso, ceux de l'ancien Président Pascal Lissouba et de M. Bernard Kolélas.

Evoquant le coup d'Etat au Niger et l'assassinat de son Président, M. François Loncle a rappelé que ce pays, parmi les plus pauvres d'Afrique, bénéficie de la coopération décentralisée. Existe-t-il un espoir de stabilité ? Face à l'impuissance permanente de l'OUA et à la dévalorisation de l'ONU, il a demandé de quelle façon la communauté internationale et plus particulièrement la France peuvent améliorer la situation en Afrique ?

A propos des événements en Algérie et des risques existant au Maroc, en Turquie et dans d'autres pays, M. Charles Ehrmann a émis la crainte de poussées islamistes.

Abordant la situation politique au Niger qui semblerait évoluer positivement, Mme Marie-Hélène Aubert s'est inquiétée de la suspension par la France de sa coopération avec le Niger. Quelle est l'attitude de la France vis-à-vis de ce pays ? Elle a demandé quelle était la position du gouvernement français sur la situation au Tchad où des échos de rébellion et de destitution se font entendre. S'agissant des conventions internationales liées aux questions d'environnement et de développement, en particulier à la gestion des massifs forestiers et de l'eau, la mise en œuvre de politiques rationnelles et intelligentes rencontre des difficultés. Quels sont les actions du ministère des Affaires étrangères pour y remédier ?

M. Charles Josselin a confirmé que si l'organisation de l'action humanitaire au Kosovo lui prenait une partie importante de son temps, l'Afrique constituait toujours une priorité de son action. L'actualité au Niger, en Guinée-Bissau, aux Comores et dans la Corne de l'Afrique aurait été suffisante pour le rappeler à ce continent. Il a noté que, si l'instabilité et la violence augmentaient dans certains pays, la situation économique générale de l'Afrique s'améliorait, ainsi que l'a rappelé la dernière conférence des Ministres de l'économie de la Zone franc.

S'agissant du Congo-Brazzaville, il est très difficile d'avancer des chiffres quant au nombre des victimes causées par le conflit, aucune source ne pouvant être considérée comme fiable. L'issue politique du conflit est d'autant plus incertaine que l'actuel Président Sassou N'Guesso ne peut compter sur une majorité d'ethnies pour l'emporter en cas d'élections. Sur le plan militaire en revanche, le temps joue plutôt en sa faveur et divers opposants rallient progressivement son camp.

La situation à Brazzaville s'améliore : des réfugiés sont déjà revenus, et la réhabilitation de certains quartiers est en cours, grâce notamment à l'aide française en matériaux de construction. La sécurité des chemins de fer entre Brazzaville et Pointe Noire est également rétablie.

La France estime pour sa part que la réconciliation nationale est la seule issue politique au conflit. Le Président N'Guesso en a convenu ; il est prêt à dialoguer avec tous, dès lors que son rôle de Chef de l'Etat n'est pas remis en cause et que le recours à la violence est abandonné.

En ce qui concerne le Niger, à la suite de ce que d'aucuns ont appelé le "malencontreux accident" survenu au Chef de l'Etat, le Président Ibrahim Baré, un Conseil de réconciliation nationale a été mis en place sous l'égide de l'ancien chef de la garde présidentielle, le colonel Wanké. Ce dernier a précisé que des élections seraient bientôt organisées, auxquelles ne pourrait participer aucun militaire ou ancien militaire. Le choix du gouvernement de se rallier à la nouvelle équipe en place aurait été dicté par la volonté d'éviter une guerre civile.

La France a bien sûr condamné ce coup d'Etat, l'assassinat ne pouvant être considéré comme un mode acceptable de changement des dirigeants politiques. Elle a sanctionné ce comportement en décidant d'interrompre sa coopération. Cette décision ne sera réexaminée que si le Niger s'engage résolument dans un processus démocratique. La France est prête à apporter son aide financière à l'organisation de futures élections.

La fragilité de la situation politique et militaire au Tchad a été accrue par la guérilla menée au Nord par un ancien ministre de la défense et la décision d'envoyer un contingent tchadien au Congo-Brazzaville avec comme conséquence des pertes considérables. La France demeure très attentive à l'évolution du Tchad.

En Centrafrique, le Premier ministre, M. Dologuele, mène une action positive aux côtés du Président Patassé. L'approche des élections présidentielles suscite cependant une certaine paranoïa, comme le prouve le récent incident où le directeur d'une ONG catholique fut accusé d'être à la solde de la DGSE française et de préparer un coup d'Etat contre le Président Patassé. Des dérapages ne peuvent dont être totalement exclus.

En ce qui concerne la gestion des massifs forestiers, une opération avait été lancée avec un co-financement japonais et des opérateurs asiatiques, mais les événements de la République démocratique du Congo ont retardé sa mise en œuvre, qui pourrait être reportée sur le Gabon. La question de l'eau représente un enjeu majeur pour le développement et la France est très active en ce domaine, à travers la SADEC et ses agences de l'eau.

En Algérie, les élections ne se sont pas déroulées comme nous l'aurions souhaité. La situation doit s'apprécier en tenant compte de la volonté du nouveau Président de souligner la différence existant entre le FIS et les GIA afin de marginaliser l'expression radicale de l'Islam. Il désirerait rassembler l'Islam modéré ; y arrivera-t-il ? La coopération française est une réalité en Algérie, plus importante qu'il n'y paraît, bien qu'elle soit peu évoquée. Les Algériens s'interdisent d'en parler ; c'est une situation plutôt malsaine. Une plus grande transparence des relations entre la France et l'Algérie est souhaitable. Aussi serait-il utile d'établir un dialogue à ce sujet avec les autorités algériennes.

Dans nombre de pays africains, la poussée de l'Islam se manifeste par la multiplication d'écoles coraniques. Pour maîtriser ce phénomène il faut encourager le développement des écoles publiques. La France est prête à fournir des aides, notamment par le biais de la coopération décentralisée. Les expressions de l'Islam étant assez contrastées, il convient de lutter contre les attitudes extrêmes. En aidant les Etats à se constituer, on fera progresser la laïcité. Au vu des résultats des élections israéliennes, on constate que les partis laïques ont progressé, ce dont on peut se féliciter.

Le Président Jack Lang a indiqué que plusieurs organisations, dont Reporters sans frontières, avaient protesté contre l'assassinat de M. Zongo, journaliste burkinabé. Elles ont souhaité que les autorités françaises agissent auprès du Président Blaise Compaoré pour que la lumière soit faite et que l'impunité en matière d'atteinte aux droits de l'Homme cesse en Afrique.

M. Pierre Brana a demandé comment évoluait la situation en Guinée-Bissau.

M. Charles Josselin a répondu à ces questions.

Il a précisé qu'il avait fait savoir au Président Compaoré, lors de la réunion de la Commission mixte franco-burkinabé en mars dernier, combien l'opinion française était sensibilisée par l'assassinat de M. Zongo. Ce dernier avait mené une campagne de presse pour dénoncer la mort du domestique - accusé de vol - du frère du Président Compaoré dans des circonstances mettant en cause la garde présidentielle. M. Zongo a trouvé la mort dans un accident de voiture suspect. Après de nombreuses protestations et manifestations, une commission d'enquête a été mise en place et les autorités ont accepté que des associations de défense des droits de l'Homme et de représentants des familles des victimes y siègent. Cette commission a conclu que le domestique était mort à la suite de mauvais traitements et que l'accident de la route dont M. Zongo avait été victime était un assassinat. Désormais, la justice est saisie. Des difficultés risquent de surgir après la phase d'instruction, quand des sanctions devront être prises. Dans tous leurs contacts avec le Président Compaoré, les autorités françaises lui rappellent que cette affaire ne doit pas être enterrée.

Contrairement au coup d'Etat qui a eu lieu aux Comores, celui qui s'est déroulé en Guinée-Bissau a fait 400 à 500 victimes et des dégâts matériels importants. Le centre culturel français, qui servait également d'ambassade, a été saccagé et pillé, car la Junte pensait que le Président Vieira y était présent alors qu'il s'était réfugié à l'ambassade du Portugal. La Junte refuse de laisser le Président rejoindre le Portugal qui est prêt à lui accorder l'asile politique et souhaite traduire M. Vieira en justice. La situation est extrêmement tendue ; des bandes armées commettent de nombreuses exactions la nuit. La France a rapatrié tous ses ressortissants et suit de très près l'évolution de la situation, en liaison avec l'Union européenne qui pourrait suspendre sa coopération avec la Guinée-Bissau. La présidence de l'Union a, comme la France, condamné le coup d'Etat.

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