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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 23

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 8 février 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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- Convention portant Statut de la Cour pénale internationale (n° 2065) - rapport

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Convention portant Statut de la Cour pénale internationale

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Pierre Brana, le projet de loi autorisant la ratification de la Convention portant Statut de la Cour pénale internationale (n  2065).

Evoquant les tragédies qui ont marqué ce siècle, génocide des Arméniens, horreur sans égale de la Shoah, exterminations massives commises par Pol Pot, génocide des Rwandais, purification ethnique en ex-Yougoslavie, M. Pierre Brana a rappelé que la création de la Cour pénale internationale était l'aboutissement d'un long processus engagé dès le XIXème siècle par les Conventions de La Haye du 29 juillet 1899 et du 18 octobre 1907 et par le Traité de Versailles du 28 juin 1919 qui prévoyait de déférer Guillaume II devant un tribunal spécial pour "offense suprême contre la morale internationale et contre l'autorité sacrée du traité". A la fin de la seconde guerre mondiale, l'ampleur et la gravité des crimes perpétrés par les nazis et l'horreur de la Shoah ont conduit à la création de deux juridictions : le Tribunal de Nuremberg et le Tribunal de Tokyo. Le Tribunal de Nuremberg a dessiné les fondements du droit pénal international moderne. Des conventions postérieures ont fondé le droit humanitaire moderne s'inspirant du Statut du Tribunal de Nuremberg.

Les Tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ont servi de tremplin pour la création de la Cour mais ont également révélé les failles possibles d'une juridiction pénale internationale.

Fruit d'une longue négociation et de compromis subtils, le Statut de la Cour pénale internationale a été adopté le 17 juillet 1998, 120 Etats dont la France et tous les pays membres de l'Union européenne ont voté pour, 21 se sont abstenus et 7 ont voté contre (dont 2 membres permanents du Conseil de sécurité) : Etats-Unis, Chine, Inde, Israël, Bahrein, Qatar et Vietnam. A ce jour, 93 Etats ont signé la présente Convention et 6 l'ont ratifiée. La Cour ne sera créée que lorsque 60 Etats l'auront ratifiée.

Composée de 18 juges (répartis en 3 sections : la chambre préliminaire, la chambre de première instance et la chambre des appels) et d'un Procureur, élus par les Etats Parties, la Cour est financée par ceux-ci. Toutefois, l'article 116 permet à des particuliers ou à des entreprises de participer sous certaines conditions à son financement, ce qui est regrettable.

Pour éviter certaines saisines polémiques risquant de politiser l'action du juge, la Cour n'exercera sa juridiction qu'à l'égard de faits postérieurs à l'entrée en vigueur du Statut, contrairement aux Tribunaux de Nuremberg, de Tokyo, de La Haye et d'Arusha. Les personnes morales ne peuvent être poursuivies devant la Cour, contrairement à ce qu'avait souhaité à juste titre la France.

Les articles 15, 16 et 53 à 86 détaillent les règles de procédure. L'accès des victimes devant la Cour et leur protection sont assurés grâce à une proposition française. La Cour ne peut exercer sa compétence que, d'une part, si l'Etat sur le territoire duquel le crime a eu lieu est Partie au Statut ou a accepté la compétence de la Cour par déclaration et, d'autre part, si la personne accusée est ressortissante d'un Etat Partie. L'Etat de la nationalité des victimes n'est pas pris en compte. Instance complémentaire des juridictions nationales, la Cour ne peut être saisie qu'en cas de défaillance de ces juridictions ou d'absence de volonté de l'Etat de poursuivre les crimes.

Le système de compétence de la Cour respecte les prérogatives du Conseil de sécurité qui peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis. Aucune poursuite ne peut être engagée pendant douze mois si le Conseil de sécurité le demande.

Le domaine de compétence de la Cour est limité à quatre catégories de crimes : le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression qui sera défini ultérieurement. L'article 8 définissant les crimes de guerre a posé problème, la France s'apprête à déposer sur cette disposition une déclaration interprétative, sur la valeur juridique de laquelle on peut s'interroger.

Les Etats sont tenus de coopérer avec la Cour et d'adapter leur législation interne. Ainsi en France, il faudra légiférer sur les modalités de coopération avec la Cour et prendre des mesures permettant l'exécution sur le territoire français de ses décisions. De nouvelles incriminations devront être introduites, car la Convention contient des références explicites à des crimes (grossesses forcées, stérilisations forcées, apartheid) qui ne sont pas spécifiquement incriminées dans le code pénal français. De même, le principe de l'imprescriptibilité des crimes de guerre devra être introduit.

La compétence limitée de la Cour risque d'être largement réduite par le recours possible à l'article 124 du Statut. Introduit à l'initiative de la France à la fin de la négociation de Rome, il permet à un Etat qui devient Partie au Statut de décliner pendant sept ans la compétence de la Cour pour les crimes de guerre lorsqu'il est allégué qu'un tel crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants. Cette déclaration peut être retirée à tout moment. Dès la signature du Statut, la France a annoncé qu'elle utiliserait cette faculté et, à ce jour, elle est le seul signataire à avoir manifesté une telle intention.

Selon le ministère des Affaires étrangères, les crimes de guerre peuvent être des actes isolés susceptibles de faire l'objet de plaintes abusives, sans fondement et teintées d'arrière-pensées politiques. D'après le ministère de la Défense, certaines garanties juridiques offertes par le Statut ne prémuniraient pas contre un harcèlement juridique dont pourraient être victimes des militaires français, car on ne peut préjuger des garanties procédurales offertes par une nouvelle institution.

D'après les organisations non-gouvernementales et la plupart des juristes, le risque que la Cour enquête sur des plaintes abusives et infondées classées sans suite par les juridictions françaises est infinitésimal. La Cour aura dans les premières années de son fonctionnement le souci d'asseoir sa crédibilité et de ne pas empiéter sur la compétence des Etats. Le retentissement médiatique de l'utilisation par la France de l'article 124 du Statut jetterait un soupçon sur l'action des militaires français dans les opérations de maintien de la paix. L'acharnement politico-médiatique que susciterait une plainte abusive pour crime de guerre contre des personnels français sera d'autant plus fort que la France aurait décliné la compétence de la Cour. Etant parmi les premiers Etats à ratifier le Statut de la Cour, la France adresserait un très mauvais signal à la communauté internationale. Si elle est la seule à utiliser la déclaration de l'article 124, elle sera isolée. Si elle suscite quelques vocations, elle sera critiquée.

Le Rapporteur a donc proposé donc d'approuver le projet de ratification de Statut de la Cour pénale internationale, en demandant au Gouvernement de réexaminer sa décision d'effectuer la déclaration de l'article 124.

Le Président Jack Lang a remercié le Rapporteur pour son exposé et a regretté l'intention annoncée par le Gouvernement d'utiliser la faculté ouverte par l'article 124.

M. Roland Blum a demandé pour quelles raisons la Chine et les Etats-Unis n'avaient pas signé la Convention et si un particulier pouvait saisir directement la Cour. Il a également souhaité des détails supplémentaires sur la procédure de nomination du Procureur.

M. Pierre Brana a précisé que les Etats-Unis avaient voté contre la Convention de Rome car ils ne souhaitaient pas voir leurs nationaux traduits devant d'autres juridictions que les juridictions américaines. La Chine avait accompli la même démarche pour cette raison et parce qu'elle n'était pas favorable à l'extension aux conflits internes des crimes de guerre en raison de la situation au Tibet.

La Cour pénale peut être saisie par le Procureur, les Etats Parties et le Conseil de sécurité qui lui défèrent une situation dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. C'est par leur intermédiaire que les particuliers peuvent agir et notamment les victimes. A cet égard, l'alinéa 2 de l'article 15 du Statut permet au Procureur d'ouvrir une enquête au vu de renseignements émanant de sources dignes de foi, et notamment d'organisations non-gouvernementales.

Le Président Jack Lang a ajouté que le Procureur avait la possibilité de s'autosaisir mais que le droit de saisine appartenait également aux Etats Parties et au Conseil de sécurité.

M. Pierre Lequiller a voulu connaître le nombre d'Etats ayant ratifié la Convention et savoir si le nombre minimum de 60 pays, nécessaire à son entrée en vigueur, avait des chances d'être atteint. Il a précisé que le texte ne s'appliquera pas erga omnes mais aux seuls pays signataires, ce qui restreint son champ d'application. Rappelant la déclaration de M. Alain Madelin, il a toutefois estimé que ce texte constituait un progrès incontestable.

M. Pierre Brana a indiqué que la France serait le septième pays à ratifier la Convention de Rome et que selon certains experts le chiffre de 60 pourrait être atteint à la fin de l'année prochaine car de nombreux Etats ont déjà entamé leur procédure de ratification. Dans certains pays, ce processus est long, car une réforme de la législation pénale est un préalable obligatoire à la ratification.

M. Jacques Myard a déclaré qu'il partageait les objectifs éthiques qui sous-tendent cette convention : "punir les méchants". Mais il a jugé que ce texte pouvait à l'usage se révéler dangereux car il reposait sur le présupposé que les justes gagnent toujours. Il existe un risque que cette Convention mette en place, non pas une justice fondée sur le respect des droits de l'Homme, mais sur le droit des vainqueurs. L'histoire montre que les dictateurs eux aussi savent utiliser des tribunaux. Lors de la seconde guerre mondiale une victoire nazie aurait signifié le jugement et la condamnation d'un Churchill et d'un de Gaulle.

Selon lui, il est naïf de vouloir organiser une Cour pénale internationale sur un modèle démocratique. La procédure de nomination des juges et du Procureur par les Etats n'apporte aucune garantie de véritable justice. Les rédacteurs du Statut en sont conscients puisqu'ils ont prévu grâce à l'article 127 une possibilité de retrait des Parties.

La définition du crime de guerre peut faire l'objet de beaucoup d'interprétations et par exemple s'appliquer à certains chefs d'Etat et de gouvernement ayant décidé le bombardement d'un Etat souverain sans l'accord du Conseil de sécurité. L'emploi de la force de frappe est-il même compatible avec ce texte ? C'est ce problème qui a incité les Etats-Unis à refuser cette Convention.

D'après M. Jacques Myard, la Convention de Rome comporte de nombreux dangers et c'est la raison pour laquelle il a déclaré y être hostile.

Répondant à M. Jacques Myard, le Président Jack Lang a considéré que l'argument de l'existence d'un droit de retrait est inopérant, ce type de clause figurant très souvent dans les traités internationaux. Dans le cas présent, le retrait ne peut intervenir qu'après un délai d'un an suite à sa notification. C'est grâce à une disposition semblable que la France avait malheureusement pu retirer son acceptation de la clause de juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice de La Haye en 1974. L'article 8 du Statut définit clairement la notion de crimes de guerres, toute frappe militaire ne peut y être assimilée.

Certes, le Statut de la Cour est imparfait, c'est un texte de transition, le principe de réalisme impliquant de prendre en compte un minimum de droits souverains.

M. Pierre Brana a précisé que les dispositions de l'article 8 du Statut n'interdisaient pas le recours à l'arme nucléaire. Cette question avait été débattue à Rome. Le paragraphe 2 b)xx de cette disposition stipule qu'est qualifiée de crime de guerre l'utilisation d'armes ayant déjà fait l'objet d'une interdiction générale, ce qui n'est pas le cas de l'arme nucléaire.

M. Jacques Myard a rappelé que certains traités internationaux ne prévoyaient pas de possibilité de retrait, comme le pacte Briand-Kellogg de 1928 ou certains traités d'amitié. De même, l'existence de la notion de jus cogens montre qu'en droit international, il est envisageable pour des Etats de lier leur volonté pour le futur. Le Statut de la Cour prévoit pourtant explicitement la possibilité d'un retrait, ce qui démontre que les négociateurs ont admis le caractère prématuré de ce texte au regard de la situation internationale.

Le Président Jack Lang a fait valoir que la comparaison avec le pacte Briand-Kellogg est impossible car ce texte était fondé sur le principe général de l'abolition de la guerre. Or la convention examinée ce jour est un texte d'organisation et de procédure, et non de fond.

Mme Marie-Hélène Aubert a souligné que la Convention de Rome constituait un progrès considérable, même si elle est encore perfectible, sur la question des frappes nucléaires dont elle a regretté l'absence d'interdiction. Le fonctionnement des Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda a montré qu'une justice internationale était possible et utile. Pour autant, prévenir les conflits reste nécessaire, car il n'y a pas de fatalité aux génocides et aux crimes de guerre.

S'agissant de la déclaration de l'article 124, elle a approuvé totalement la position du Rapporteur. L'impact d'une telle déclaration serait détestable sur l'opinion. La France donnerait un très mauvais exemple aux autres Etats dans la mesure où le processus de ratification ne fait que commencer. Les craintes de plaintes abusives sont largement exagérées, comme l'a bien montré le Rapporteur. S'il y a des plaintes infondées, elles seront rejetées. Certains militaires eux-mêmes craignent qu'une telle déclaration ne fasse naître des soupçons injustifiés. Ils estiment n'avoir rien à dissimuler.

Mme Martine Aurillac a souscrit à la présentation du Rapporteur selon laquelle la convention doit être envisagée comme un instrument de progrès, la Cour étant dotée d'un Statut prudent. La réserve de l'article 124 peut être utile pour voir quel sera le fonctionnement concret de la Cour. La Convention crée un système de complémentarité entre la Cour et les tribunaux nationaux, dont on peut se demander s'il n'équivaut pas à une subsidiarité. Des incertitudes demeurent cependant. Ainsi, la Convention fait obligation aux Etats de poursuivre un criminel de guerre mais que se passera-t-il si une telle personne se place sous la protection d'un autre Etat ? D'autre part, de quelle façon les juges seront-ils élus ? Enfin, la procédure prévue implique une très large coopération internationale. L'indépendance des magistrats et le financement du fonctionnement de la Cour seront à surveiller.

M. Pierre Brana a apporté les réponses suivantes : la Cour n'est pas une instance subsidiaire des juridictions nationales ; elle leur est complémentaire. La Cour peut se saisir d'une affaire, d'une part, en cas de défaillance de ces juridictions impossibilité matérielle de fonctionnement et, d'autre part, en cas de mauvaise volonté d'un Etat. L'article 17 paragraphe 2 du Statut précise cette notion : absence d'acte d'instruction, retard injustifié de la procédure, volonté de soustraire la personne à sa responsabilité pénale, etc.

Les juges comme le Procureur sont élus au scrutin secret par l'Assemblée des Etats Parties et, aux termes de l'article 36 du Statut, doivent avoir une expérience et des compétences reconnues dans les domaines du droit pénal et du droit international humanitaire et représenter de façon équitable les différentes traditions juridiques des Etats, ce qui confère un certain nombre de garanties quant à leur compétence.

La coopération avec la Cour pénale obligatoire pour les Etats Parties ou pour ceux qui pour une affaire déterminée ont accepté sa compétence.

M. Jean-Claude Lefort a apporté son soutien à la Convention, même si le progrès qu'elle apporte est limité. Il s'est étonné du ralliement exceptionnel de M. Jacques Myard à la position des Etats-Unis et a cependant regretté que deux pays membres permanents du Conseil de sécurité aient voté contre le Statut, car cela jette le doute sur la possibilité d'une saisine de la Cour par le Conseil de sécurité. Toutefois, l'universalité visée par la Convention paraît atteinte.

M. Jean-Claude Lefort a approuvé les observations du Rapporteur sur la volonté manifestée par la France d'utiliser l'article 124, jugeant regrettable que l'on donne à croire que notre pays n'est pas pleinement Partie à la nouvelle procédure. Cette déclaration ayant un caractère politique, on peut penser qu'elle pourrait ne pas être faite.

M. François Loncle a estimé que le Gouvernement devra, lors du débat en séance publique, présenter plus précisément les raisons de sa volonté d'utiliser la déclaration de l'article 124, afin de convaincre les parlementaires.

Le Président Jack Lang a observé qu'il était surprenant de la part du ministère des Affaires étrangères d'assortir systématiquement les différentes conventions signées de réserves ou de déclarations restrictives. Il a rappelé que la France n'acceptait toujours pas la juridiction de la Cour internationale de justice de La Haye pour des raisons peu compréhensibles et que la notion de jus cogens est toujours redoutée par les chancelleries. L'absence de ratification par la France de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités le démontre. Ces réticences ont un caractère tout à fait surréaliste.

Comme le Gouvernement souhaite la ratification du Statut de la Cour, le Président a proposé que la Commission, qui est limitée juridiquement dans son expression, approuve les réserves faites par le Rapporteur.

M. Jacques Myard a mis en garde contre une idéalisation de la communauté internationale et du fonctionnement des juridictions internationales. Il a rappelé que l'arbitrage, considéré à un certain moment comme la panacée, a ensuite été discrédité à cause de cas de corruption. Comment être convaincu de l'indépendance des juges de la future Cour ?

Le Président Jack Lang a souligné qu'ayant rencontré de nombreux magistrats, membres de juridictions internationales, il n'a pas eu le sentiment que de telles personnalités, choisies à l'issue d'un parcours sans faute dans leur pays, puissent être perméables à des arguments corrupteurs.

En conclusion, il a proposé que la Commission adopte le projet de loi et qu'elle accompagne son adoption d'observations sur l'utilisation de l'article 124.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2065).

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