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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 6

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 11 octobre 2000
(Séance de 9 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information sur les systèmes de surveillance et d'interception électroniques pouvant mettre en cause la sécurité nationale (M. Arthur Paecht, Rapporteur)

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La Commission a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Arthur Paecht, rapporteur, sur les systèmes de surveillance et d'interception électroniques pouvant mettre en cause la sécurité nationale.

M. Arthur Paecht a tout d'abord rappelé qu'à la suite de la parution de plusieurs rapports du Parlement européen sur le réseau Echelon et d'interrogations de l'opinion publique reflétées par la presse, la Commission de la Défense nationale avait décidé, le 29 février dernier, de lui confier un rapport d'information sur les « systèmes de surveillance et d'interception électroniques pouvant mettre en cause la sécurité nationale ». La Commission avait également décidé d'associer à l'élaboration de ce rapport un groupe de travail dans lequel chaque groupe politique serait représenté. La nature du sujet abordé, qui ne pouvait être efficacement traité que un seul parlementaire n'a toutefois pas permis aux membres de ce groupe de travail de participer directement aux investigations du rapporteur.

M. Arthur Paecht, après avoir reconnu que cette situation avait pu faire naître un sentiment de frustration chez les membres du groupe de travail, a souligné qu'il avait d'abord voulu comprendre la nature exacte du réseau Echelon, analyser ses capacités réelles et évaluer ses véritables dangers, dans trois domaines en particulier : les risques qu'il comporte pour la sécurité nationale, les possibilités qu'il offre d'une utilisation à des fins économiques et l'atteinte aux libertés publiques individuelles qu'il pourrait permettre.

Il a indiqué qu'il s'était ensuite interrogé sur les raisons de la médiatisation actuelle du réseau Echelon et de l'intérêt subit manifesté pour les réseaux d'écoutes, se demandant si ces phénomènes n'étaient pas dus à des causes complexes s'apparentant à des manipulations. Il avait également souhaité comprendre l'attitude des gouvernements occidentaux non membres du pacte fondateur d'Echelon à l'égard des réseaux d'interception.

Enfin, il s'était interrogé sur les moyens qui permettraient de réduire la vulnérabilité des administrations, des services publics, des entreprises et des particuliers aux interceptions de leurs communications et s'est demandé quelle forme pourrait prendre une position commune des Etats de l'Union européenne face aux intrusions qui peuvent léser leurs intérêts.

Le rapporteur d'information a ensuite évoqué les difficultés inhérentes au sujet et a regretté à cet égard la faiblesse des moyens dont dispose le Parlement pour mener des études sur un tel sujet. Il a souligné que l'objet de son rapport avait été considéré comme difficile par tous les interlocuteurs rencontrés, certains se félicitant cependant de l'intervention du Parlement et considérant que tout débat en cette manière était sain. Ce sont les rencontres souhaitées avec les responsables des services de renseignement qui ont soulevé les difficultés les plus grandes.

M. Arthur Paecht a fait observer qu'il s'était heurté en ce domaine à une fin de non-recevoir de la part des autorités américaines et britanniques. Le refus des autorités britanniques de permettre au rapporteur de rencontrer des responsables de leurs services de renseignement s'est fondé sur le fait qu'il n'était « même pas membre d'une instance parlementaire chargée du contrôle des services de renseignement ». Cette attitude ne peut que conforter la Commission dans l'idée que l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale de la proposition de loi visant à la création de délégations parlementaires pour le renseignement est plus que jamais nécessaire.

Aux Etats-Unis, la décision de l'administration fédérale, difficile à comprendre mais prise, semble-t-il, au plus haut niveau et après de nombreuses délibérations, de ne pas permettre de rencontre entre le rapporteur et des responsables des services de renseignement a comme conséquence de relancer toutes les suspicions sur les missions d'Echelon et en particulier sur le rôle qu'y jouent les Etats-Unis. Cette décision est d'autant plus surprenante que des responsables ou d'anciens responsables d'agences fédérales se sont exprimés publiquement sur le sujet. L'ensemble des interlocuteurs rencontrés à Washington a d'ailleurs exprimé son incompréhension vis-à-vis du refus des autorités américaines.

M. Arthur Paecht a alors fait part des principales conclusions auxquelles il était parvenu, soulignant qu'elles étaient dépourvues d'intention polémique et qu'elles reflétaient une conviction profonde :

- il existe effectivement un système d'interception des communications, mis en _uvre par les services de renseignement des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. L'existence de ce système, qui s'est développé de manière spectaculaire dans les années 70 et 80, est attestée par le fonctionnement de bases ou de stations d'écoutes dans les cinq pays participants ainsi que sur le territoire d'autres Etats comme le Japon ou l'Allemagne (à Bad Aibling). Elle est confirmée par de nombreux témoignages et par certains documents rendus publics ;

- pour les créateurs de ce système, les enjeux de sécurité justifient son maintien. Or il n'est pas impossible que certaines informations recueillies puissent être utilisées à des fins politiques et économiques. Même si aucune entreprise française ne s'est plainte d'écoutes, dont aucune preuve ne semble d'ailleurs pouvoir être apportée, les aveux non démentis d'anciens responsables de services américains, au-delà de leur aspect provoquant et moralisateur, tendent à prouver que, dans certaines affaires citées par les médias et touchant des entreprises européennes, des interceptions ont bien bénéficié indirectement à des sociétés américaines ;

- les moyens acquis depuis quarante ans par les services de renseignement acteurs d'Echelon permettent de recueillir, sinon de traiter, un très grand nombre de communications. Cependant, l'explosion des communications et le développement des mesures protectrices, en particulier le chiffrement des messages, compliquent l'exploitation des données recueillies. L'obsolescence technologique prochaine des réseaux d'écoutes limite leurs capacités, les agences de renseignement étant dépassées sur un certain nombre de créneaux ;

- le débat s'est en fait déplacé de l'intrusion dans les réseaux de communications à l'intrusion dans les réseaux informatiques, c'est-à-dire au plus près de la source émettrice des messages, compte tenu de la vulnérabilité des systèmes informatisés de communication.

Devant ces évolutions, le rapporteur d'information a tout d'abord préconisé d'appliquer un principe général de précaution, au-delà des premières mesures de prévention liées à la sécurité des systèmes d'information et de communication. Il a en premier lieu souligné la nécessité d'informer tous les acteurs sur les risques potentiels et de les sensibiliser pour qu'ils prennent les mesures de protection nécessaires de manière adaptée. Il a insisté sur l'intérêt de recommander, au sein de chaque structure constituant une cible potentielle, la formation de responsables de la sécurité des systèmes de communication.

Il s'est prononcé en faveur de la production de logiciels sûrs, tant en matière de cryptographie que pour les applications informatiques, même si, dans un premier temps, ces logiciels pouvaient être nationaux avant de devenir à court terme européens. Il a également proposé une libéralisation des programmes de cryptographie ou de chiffrement de manière à autoriser la vente et l'utilisation de programmes d'une capacité de 128 bits. Quant aux échanges qui supposent une plus grande confidentialité, comme l'échange de clés, il a estimé qu'ils devraient bénéficier aussi d'une libéralisation accrue pour des produits d'une valeur supérieure à la limite de 128 bits (jusqu'à 1 024 bits par exemple).

Enfin, après s'être prononcé en faveur d'une revalorisation des fonctions de renseignement qui ferait naître dans notre pays une véritable culture du secret et du renseignement, il a souhaité l'ouverture de négociations internationales dans un débat sur les systèmes électroniques de surveillance et d'interception qui doit s'affranchir du cadre national. Ces négociations, qui pourraient être à la fois bilatérales et multilatérales, auraient notamment pour objet de promouvoir un réel progrès des libertés démocratiques. Dans cette perspective, il pourrait être fait appel aux normes de protection dont bénéficient les citoyens américains et qui se verraient étendues aux citoyens européens.

L'Union européenne est adaptée à la mise en place d'une réglementation commune en matière de cryptologie et de protection des données. Des accords négociés dans le cadre de l'OCDE ou du G 8, qui auraient l'avantage d'associer notamment les Etats-Unis et le Canada, permettraient à la fois de renforcer l'efficacité des services nationaux en matière d'enquêtes et de poursuites contre les nouvelles formes de criminalité et de mieux protéger les libertés publiques. L'Alliance Atlantique peut également fournir un cadre de négociation dans la mesure où le dialogue est particulièrement nécessaire entre alliés sur une question intéressant leur sécurité mais qu'ils abordent avec des préoccupations et des appréciations divergentes.

En conclusion, M. Arthur Paecht a souligné le rôle essentiel des pouvoirs publics pour proposer un dispositif juridique adapté, sensibiliser les acteurs et certifier les produits de protection ainsi que les systèmes qui permettent d'assurer la sécurité des communications. Il a également demandé que l'Etat consente un effort pour favoriser le développement de l'expertise en matière de sécurité des communications. Il a enfin proposé que des moyens nouveaux soient accordés au SGDN pour lui permettre de veiller à la coordination des actions des administrations dans le domaine de la protection des systèmes de communication.

Après s'être félicité de l'utilité du travail accompli, le Président Paul Quilès a souligné que la chute du mur de Berlin avait sans doute permis de réorienter largement le réseau Echelon vers l'espionnage économique, ce qui explique que les médias s'y soient intéressés dans la période récente, malgré l'ancienneté du système.

Alors que le discours moralisateur de certains Etats, qui _uvrent par ailleurs pour que rien ne change, ne débouche sur aucune action concrète, il convient sans doute de privilégier l'idée de protection plutôt que de tenter de mettre en cause un système dont il est juridiquement difficile de contester l'existence. L'idée d'une régulation internationale de la surveillance électronique est intéressante mais elle se heurte à la concurrence des Etats et à l'opposition de leurs intérêts.

Tout en rappelant qu'il avait défendu le principe d'un rapport d'information sur le réseau Echelon, M. Jean Michel a regretté que le groupe de travail n'ait pas disposé de plus de pouvoir d'investigation et n'ait pas pu en particulier rencontrer des responsables des questions de surveillance électronique en activité. Il a demandé à ce propos que le Parlement exerce davantage les prérogatives que lui offre la Constitution, faisant ressortir le travail effectué par ailleurs par le Parlement européen.

Le Président Paul Quilès a souligné que le Parlement européen, qui se donnait peut-être un peu plus de temps, n'obtiendrait probablement pas des résultats très différents de ceux de l'Assemblée nationale. Il a rappelé que la Commission exerçait toutes ses prérogatives et qu'elle avait formulé de nombreuses propositions tendant à renforcer le rôle du Parlement dans le domaine de la politique de Défense. Il a à ce propos indiqué qu'il venait d'écrire au Premier ministre pour lui demander l'inscription à l'ordre du jour prioritaire du Gouvernement de la proposition de loi tendant à l'institution de délégations parlementaires pour le renseignement, adoptée par la Commission.

Reconnaissant l'importance du travail accompli par la Commission, M. Jean Michel a néanmoins souligné les limitations du contrôle parlementaire en France en comparaison d'autres démocraties.

S'agissant du système Echelon, il a observé que, pour la première fois sans doute, un réseau de renseignement travaillait non pour un pays mais pour un ensemble de nations appartenant au monde anglo-saxon (Etats-Unis et Royaume-Uni depuis 1943, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande depuis 1947). Par ailleurs, Echelon, qui a tissé une « toile d'araignée » planétaire avec des emprises en Allemagne, au Japon et en Suisse, jouit de moyens considérables puisque plus de 70 000 personnes y collaborent dans un environnement culturel où l'action de renseignement bénéficie d'une image positive de patriotisme au contraire de la France.

Relevant que ce réseau, auquel contribuent peut-être de grands groupes du secteur de l'informatique et des communications, est présenté comme capable d'intercepter 180 millions de communications à l'heure, il s'est inquiété des atteintes qu'il porte inévitablement à la vie privée des particuliers, ne doutant pas que les grandes entreprises prenaient déjà de leur côté les précautions nécessaires.

Il a estimé, qu'eu égard à l'ampleur des questions soulevées, des investigations plus poussées étaient nécessaires.

M. Jean-Louis Bernard a confirmé le sentiment de frustration des membres du groupe de travail, précédemment évoqué par le rapporteur. Il a néanmoins estimé que la création d'une commission d'enquête n'aurait sans doute pas permis d'obtenir beaucoup plus d'informations que n'en avait reçu le rapporteur sauf, peut-être, auprès de responsables français. Jugeant positifs les résultats du travail accompli, il a souligné qu'il en avait retiré l'intime conviction que tout peut être écouté et stocké, même si le traitement des données rassemblées peut s'avérer difficile. Dès lors, la vie privée des individus est, plus que jamais, menacée car « les murs ont véritablement des oreilles ».

Après avoir estimé nécessaire de relancer les propositions de la Commission sur la création d'une structure parlementaire de contrôle des services de renseignement, il a fait remarquer que les responsables ou anciens responsables de ces services ne pouvaient qu'être embarrassés lorsqu'ils étaient interrogés sur un système avec lequel ils coopèrent, dans le cadre d'échanges d'informations, chaque organisme ayant coutume, en ce domaine, de « faire son marché » auprès des autres. Il lui est par ailleurs apparu particulièrement nécessaire de retenir que les produits informatiques, y compris ceux destinés au grand public, comportaient d'ores et déjà de nombreuses « trappes » à renseignements, estimant qu'un recours plus général aux techniques de cryptologie pouvait offrir une protection dont la portée restait toutefois à ce jour incertaine.

M. Arthur Paecht, rapporteur, a apporté les précisions suivantes :

- comme l'a souligné M. Jean Michel, le Parlement doit effectivement exercer pleinement ses pouvoirs en vue, tout particulièrement, d'assurer la protection des individus, les Etats et les grandes entreprises disposant quant à eux de certains moyens de défense ;

- la question du réseau Echelon ne saurait se résumer à une opposition entre le monde anglo-saxon et les autres pays. Les services de renseignement appartenant au noyau fondateur d'Echelon ont en effet noué des relations bilatérales étroites avec ceux de pays extérieurs au système, ne serait-ce qu'en raison des liens créés par l'Alliance Atlantique ou la construction européenne. Il a précisé que le monde asiatique, et notamment des pays comme la Chine ou le Japon, pouvaient eux aussi se doter de systèmes d'interception distincts, soit dans un cadre multilatéral, soit de manière plus autonome ou encore à partir de relations entretenues avec le système Echelon ;

- à ce jour, seuls des parlementaires allemands ont pu visiter à Bad Aibling une station d'interception dans laquelle opèrent d'ailleurs les services de renseignement américains. Les autorités allemandes ont obtenu des Etats-Unis l'engagement de leur fournir les informations recueillies sur leur sol et de ne pas se livrer à des activités d'espionnage économique contre l'Allemagne. Elles ne disposent toutefois pas des moyens de vérifier le respect de cet engagement ;

- après avoir souligné avec satisfaction que la Commission pouvait confier des rapports d'information importants à des membres de l'opposition, il a fait valoir que le contrôle parlementaire était aussi affaire de volonté ;

- s'agissant des relations bilatérales nouées au profit de spécialistes français en marge du système Echelon, il a fait état de formations dispensées aux Etats-Unis dans le cadre d'une coopération mutuellement avantageuse.

La Commission a alors autorisé à l'unanimité la publication du rapport d'information sur les systèmes de surveillance et d'interception électroniques pouvant mettre en cause la sécurité nationale conformément à l'article 145 du Règlement.

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