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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 18 octobre 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Audition du Général d'Armée Yves Crène, Chef d'état-major de l'armée de Terre, sur le projet de budget pour 2001

- Information relative à la Commission


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La Commission a entendu le Général d'Armée Yves Crène, Chef d'état-major de l'armée de Terre, sur le projet de budget pour 2001.

Le Président Paul Quilès a souligné que le projet de budget pour 2001 marquait une nouvelle étape de la « refondation » des forces terrestres qui devraient se rapprocher, à 10 % près, du format final prévu en programmation.

Observant que l'évolution du format s'accompagnait d'une refonte du commandement sur la base des principes de modularité et de séparation des commandements opérationnels et organiques, il a constaté que, dans ce contexte de profonde transformation, l'armée de Terre restait fortement sollicitée, au titre notamment des opérations extérieures. S'agissant du projet de budget, il a noté au titre III une évolution des effectifs globalement conforme à la programmation et un relèvement des dotations d'activité. Puis, il a remarqué qu'au titre V les autorisations de programme connaissaient une baisse prévue, mais dans des proportions moindres, par la programmation, alors que les crédits de paiement étaient globalement stabilisés.

Soulignant que l'évolution majeure de l'armée de Terre au cours de cette décennie résidait dans le passage d'une posture de dissuasion à une situation d'action, le Général Yves Crène, Chef d'état-major de l'armée de Terre, a rappelé que les forces terrestres avaient pris part à plus de soixante opérations depuis 1990. Il a noté à ce propos qu'il apparaissait aujourd'hui clairement que les crises et conflits prévisibles exigeraient le déploiement d'importants dispositifs de forces terrestres.

Constatant que le règlement des crises s'étalait sur de longues durées impliquant des relèves régulières, il a indiqué que 8 500 militaires de l'armée de Terre dont 7 500 dans les Balkans étaient actuellement engagés dans plus de 15 opérations différentes. Avec plus de 9 000 militaires, l'armée de Terre est également présente dans les départements et territoires d'Outre-mer ainsi qu'en Afrique. Ses missions y sont d'ailleurs maintenant assurées, pour une part importante, par des unités dites tournantes afin d'éviter l'immobilisation d'effectifs trop nombreux. L'action de l'armée de Terre s'exerce en outre sur le territoire national par la participation à des dispositifs tels que Vigipirate, ou les plans Polmar ou Orsec qui ont mobilisé jusqu'à 10 500 hommes en décembre 1999 au moment de la marée noire et des intempéries.

Cette succession d'efforts importants a créé un phénomène de « surchauffe » actuellement en cours de réduction. D'abord parce que la professionnalisation augmente le réservoir de forces projetables professionnelles. De 60 000 personnes en 1999, ce volume est passé à 75 000 en 2000 et atteindra 85 000 en 2001. Parallèlement, le nombre de missions tend à décroître. Le Général Yves Crène a toutefois souligné la nécessité d'être très attentif à ce risque de surchauffe dans la mesure où une charge trop lourde pourrait affecter le moral et se traduire par des non-renouvellements de contrats, des difficultés de recrutement voire une spirale de surcharge et de sous-effectif. L'atteinte de l'objectif de 100 000 militaires dans les forces en 2002 devrait prémunir l'armée de Terre contre cette situation d'excès de charge, sauf événements exceptionnels.

Le Général Yves Crène a indiqué qu'en 2002, l'armée de Terre française serait, parmi les armées occidentales, celle pour laquelle la part des soutiens sera de loin la plus faible : sept militaires sur dix serviront directement dans les forces. En une décennie, l'armée de Terre a perdu plus de 50 % de ses effectifs militaires, dissous plus de régiments qu'il ne lui en reste, tandis qu'elle aura vu son engagement extérieur multiplié par dix.

Puis, le Général Yves Crène a fait le point sur la refondation de l'armée de Terre, engagée en 1996. Il a précisé que sa nouvelle organisation, avec la création de cinq régions terre et l'institution d'une inspection interne unique et modernisée, était maintenant en place. La nouvelle organisation des forces met l'armée de Terre en mesure de participer, jusqu'au plus haut niveau, à un dispositif de coalition interalliée et notamment européenne. Indiquant que la réorganisation des soutiens et des organismes de formation était actuellement contrariée par les difficultés rencontrées dans la mise en place effective du personnel civil et notamment par l'interdiction d'embauche d'ouvriers d'Etat, il a jugé que la situation ne s'améliorait que lentement. Le sous-effectif de personnel civil représente aujourd'hui 4 500 postes, dont 2 000 devraient néanmoins être pourvus au cours du second semestre. Insistant sur la nécessité d'apurer le déficit résiduel en 2001, le Général Yves Crène a souligné que le personnel civil, qui devrait représenter 20 % des effectifs de l'armée de Terre en 2002, était indispensable pour faire fonctionner la partie non projetable du nouveau modèle d'armée.

Il a alors souligné le risque d'affaiblissement des capacités de projection des forces si du personnel militaire devait être affecté à des tâches relevant désormais du personnel civil.

Puis, soulignant le comportement exemplaire des derniers appelés, il a insisté sur les difficultés qu'éprouveraient les forces terrestres en cas d'arrêt brutal de la conscription.

Estimant que les deux tiers du chemin de la professionnalisation avaient été parcourus et les trois quarts des difficultés résolues, grâce à l'engagement généreux des hommes et femmes qui composent l'armée de Terre, il a jugé qu'il n'était pas anormal, après une année très difficile, que des signes de fatigue aient pu apparaître et des doutes se faire jour sur les moyens accordés aux forces et la reconnaissance des contraintes liées à l'état militaire. Il a indiqué qu'il avait décidé, pour cette raison, un certain nombre de mesures concrètes destinées à alléger les charges, à faciliter la vie quotidienne des unités et des personnels et à conforter leur confiance. Au-delà de ces mesures, il a estimé qu'une politique de ressources humaines, adaptée à un monde en pleine évolution, devra pouvoir être mise en _uvre en vue d'offrir des rémunérations adaptées et d'assurer un cadre de vie convenable et des conditions de travail décentes, sans quoi il serait illusoire d'espérer recruter et conserver une ressource de qualité.

Devenue armée déjà presque totalement professionnelle et armée d'emploi, le « système d'hommes » de l'armée de Terre doit s'inscrire dans la durée et atteindre une stabilité qui démontrera la réussite de sa mutation.

Abordant le projet de budget pour 2001, le Général Yves Crène s'est félicité que, pour la cinquième année consécutive, les mesures qu'il prévoyait dans le domaine de la professionnalisation des effectifs militaires étaient conformes à la loi de programmation adoptée en 1996. Une nouvelle tranche de 5 879 postes d'EVAT est ouverte, portant à près de 60 000 le nombre de militaires du rang professionnels. Les 232 postes d'officiers et 933 postes de sous-officiers supprimés correspondent également aux prévisions. Le Général Yves Crène a toutefois noté, à cette occasion, qu'il serait nécessaire de tenir compte dans le budget pour 2002 des déflations supplémentaires de 2000, non rattrapées dans le projet de budget et qui concernaient 76 postes d'officiers et 238 postes de sous-officiers.

Il a par ailleurs jugé que la situation était moins satisfaisante pour ce qui concerne le personnel civil, avec une nouvelle déflation, non transformée en crédits de sous-traitance, de 174 postes qui portent à plus de 350 le nombre de postes supprimés. Cependant, le projet de budget ouvre temporairement au profit de l'armée de Terre, pour limiter ses sous-effectifs, 350 postes prévus pour la Marine. En outre, 674 postes d'ouvriers sont transformés en postes de fonctionnaires, ce qui permet d'atténuer les effets du gel des recrutements d'ouvriers. Le Général Yves Crène a ensuite indiqué que la diminution des effectifs appelés se poursuivait à un rythme accéléré : 27 000 postes sont supprimés soit 4 500 de plus que prévu. Mais, si elle fait preuve de réalisme devant le caractère délicat de la fin du service national, l'armée de Terre ne saurait pour autant faire face à une disparition brutale de son personnel appelé.

Le Général Yves Crène a ensuite indiqué que les crédits de rémunérations, qui s'élevaient à 25,2 milliards de francs et représentaient 81,6 % du titre III ne prenaient en compte aucune mesure de condition militaire alors que l'armée de Terre avait exprimé un certain nombre de besoins concernant notamment ses contingents de primes de qualification. Il a souligné que ce type de mesures, visant à rémunérer les compétences, était indispensable pour les conserver au sein de l'armée de Terre, compte tenu d'un marché du travail de plus en plus concurrentiel. Il a estimé qu'elles devraient être prises pour consolider le modèle d'armée.

Il a néanmoins noté avec satisfaction que des crédits supplémentaires étaient à nouveau accordés pour corriger l'insuffisance apparue avec la professionnalisation dans le financement des indemnités du personnel d'active.

Il a alors relevé que la part des crédits du titre III consacrée au fonctionnement diminuait de 2,9 % en francs courants, alors que le budget de 2000 avait paru amorcer un redressement de l'ensemble des moyens consacrés à cette catégorie de dépenses. Il a rappelé à ce propos que le budget de 2000 faisait suite à un audit approfondi dit « revue du titre III » qui, après avoir constaté que la totalité des économies à réaliser au titre de la réduction du format l'avait été de 1997 à 1999, en concluait à la nécessité d'une stabilisation des ressources de fonctionnement.

Les crédits consacrés par le budget de 2000 aux activités d'entraînement avaient permis d'inverser la tendance à la baisse précédemment constatée et de financer 73 jours d'activités au lieu de 70 l'année précédente. Cette amélioration est confirmée par le projet de budget qui devrait permettre de réaliser 80 jours de sortie, norme qui reste cependant encore éloignée de l'objectif des 100 jours d'activités.

Le Général Yves Crène a insisté sur le fait que, contrairement au budget de 2000, ce redressement des moyens ne portait que sur les activités et ne concernait pas les autres domaines du fonctionnement comme, par exemple, l'entretien immobilier ou les dépenses liées à l'informatique courante. Il a relevé en outre que l'armée de Terre devait financer des dépenses de fonctionnement nouvelles, notamment pour poursuivre la montée en puissance de son dispositif de recrutement et de reconversion et que la période de transition qu'elle traversait engendrait d'importants surcoûts, au titre des mesures d'accompagnement et de la formation notamment.

Le Général Yves Crène a jugé que si l'on ajoutait à ces éléments l'absence d'actualisation des ressources, hormis celles concernant les produits pétroliers, le titre III, à l'exception des crédits consacrés à l'entraînement, apparaissait comme un budget a minima.

Puis, il a présenté le titre V, indiquant qu'il s'élevait en crédits de paiement à 17 567 millions de francs contre 17 816 millions de francs dans le budget de 2000, soit une baisse de 1,4 % en francs courants alors que le budget de 2000 connaissait déjà lui-même une diminution de 5 %, conséquence des retards enregistrés dans l'engagement des crédits depuis 1996. Ces retards d'équipement, s'ils subsistent en partie, ont cessé de se creuser, comme en témoigne la relative reprise des engagements depuis 1998. Une grande vigilance est dès lors nécessaire pour ne pas voir réapparaître de nouveaux reports de charges ni de nouvelles limitations d'engagement engendrant de nouveaux retards d'équipement. Il apparaît clairement par ailleurs que les besoins de paiement vont rapidement atteindre des niveaux sensiblement supérieurs à ceux des dernières années, en raison de trois facteurs : la reprise des engagements, les retards à combler et l'accroissement attendu des dépenses de fabrication. En effet, des programmes majeurs tels que le Tigre, le SAMP/T et le NH 90 entrent en phase de fabrication, plus coûteuse et se prêtant naturellement moins aux étalements et réductions de cibles.

Le Général Yves Crène a ensuite indiqué que les autorisations de programme s'établissaient à 16 947 millions de francs, leur recul par rapport au budget de 2000 étant globalement conforme aux prévisions de la programmation. Toutefois la part prise par les commandes globales, qui sont en fait des anticipations de commandes, n'entraîne pas d'ouverture de dotations au niveau qui convient. D'une certaine manière, la remise en cause du programme de missile antichar AC 3G MP est venue alléger la contrainte en autorisations de programme après les prélèvements qui ont dû être effectués pour la commande globale du programme Tigre, celle de l'industrialisation du NH 90 et celle prévue pour le VBCI. Malgré les efforts accomplis dans la gestion des crédits, des retards dans la passation de commandes restent à craindre pour 2001.

Le Général Yves Crène a ensuite précisé que l'année 2001 verrait la commande des 52 derniers chars Leclerc, de 7 750 munitions Leclerc, de la rénovation de 40 AMX 10 RC et de l'équipement du système d'information régimentaire SIR. De même, 44 chars Leclerc, 70 engins porte-blindés, 44 véhicules blindés légers et les deux premiers modules du système d'information et de commandement des forces devraient être livrés.

Après avoir souligné que les priorités de l'armée de Terre en matière d'équipement étaient d'abord guidées par la nécessité de donner aux forces engagées tous les jours en opérations les moyens d'accomplir leur mission, le Général Yves Crène a insisté sur la nécessité de passer une première commande relative au VBCI à la fin de l'année 2000. Il a également mis l'accent sur l'importance du noyau de coercition, autour du système Leclerc notamment. Puis il a indiqué que les capacités de transport aéromobiles, actuellement fournies par les hélicoptères Puma très sollicités, devaient être renforcées. La mise en _uvre d'une force européenne efficace dans le cadre de l'Europe de la défense exige par ailleurs des capacités performantes de commandement, de renseignement et d'analyse des situations. Il est essentiel que la France en dispose, d'où l'effort consenti en faveur des programmes dits de C3R. Enfin, l'entretien des matériels existants suppose un flux d'investissements régulier. A cet égard, le Général Yves Crène a tenu à souligner que la disponibilité technique opérationnelle des équipements était actuellement inférieure de 10 à 15 points aux objectifs. Il a toutefois indiqué que le redressement de cette situation était entrepris et que le projet de budget marquait une hausse significative des autorisations de programme en ce domaine. Il a enfin souligné que l'entretien de l'infrastructure, très dispersée sur le territoire, devait être assuré, ainsi que son adaptation à la professionnalisation. Quant aux dépenses d'équipement individuel du combattant, elles ne devaient pas être négligées étant donné qu'elles concourent directement à la protection de nos soldats ainsi qu'à leur moral, surtout lorsqu'ils sont amenés à comparer leur situation avec celle de leurs homologues des armées alliées.

En conclusion, le Général Yves Crène a jugé que le format du modèle d'armée professionnelle serait bien atteint en 2002 mais que ce nouveau système d'hommes devrait être consolidé et acquérir sa stabilité dans la durée, ce qui supposera des moyens nouveaux pour atteindre cet objectif du moyen terme.

Il a enfin souligné que, dans les nombreux conflits dont nos démocraties auront à se préoccuper, la part que prendront les forces terrestres restera, selon toute vraisemblance, essentielle puisque c'est in fine au sol que se règlent toutes ces crises qui naissent au sol.

Le Président Paul Quilès a d'abord évoqué la distinction établie par le Général Yves Crène, dans un récent article, entre deux modes opératoires des forces terrestres, la coercition, d'une part, et le contrôle des milieux, d'autre part. Il lui a demandé quelles conséquences devaient en être tirées en matière de formation et d'équipement des personnels. Plus généralement, il a souhaité connaître les enseignements que l'armée de Terre retirait de ses engagements dans les Balkans et de son intégration dans des structures multinationales. Enfin, il a posé la question de la contribution de l'armée de Terre aux futures capacités européennes de réaction rapide que les pays de l'Union européenne se sont engagés à constituer au Conseil européen d'Helsinki.

M. Jean-Claude Sandrier a relevé les difficultés évoquées par le Chef d'état-major de l'armée de Terre en matière de recrutement de personnels civils, estimant qu'il pouvait être remédié à cette situation en levant les restrictions à l'embauche d'ouvriers d'Etat par les armées, dès lors que des établissements industriels publics connaissent une situation de déflation d'effectifs. S'agissant du fonctionnement courant, il a estimé que la situation prévue par le projet de budget paraissait encore plus difficile que celle de l'exercice 2000 et s'est étonné qu'on soit contraint d'envisager, dès l'examen de la loi de finances initiale, un abondement budgétaire à inscrire dans la prochaine loi de finances rectificative. Il s'est par ailleurs inquiété de l'impact sur le moral des personnels des difficultés qu'ils rencontrent du fait de la « surchauffe » de l'armée de Terre, se demandant s'il ne pouvait pas en résulter un affaiblissement des capacités opérationnelles des unités. M. Jean-Claude Sandrier a ensuite considéré que l'importance du rôle de l'armée de Terre dans des situations de catastrophes naturelles mais également pour la sécurité intérieure avait été trop fréquemment oubliée. Puis il a souhaité connaître l'appréciation du Chef d'état-major de l'armée de Terre sur les performances du char Leclerc, rappelant que ses qualités étaient décriées par les concurrents de Giat-Industries sur les marchés d'exportation.

M. Michel Dasseux a d'abord interrogé le Général Yves Crène sur le dispositif des compagnies tournantes et les missions qui leur sont assignées. Il a ensuite souhaité obtenir des informations sur le nombre et la qualité des réservistes de l'armée de Terre, ainsi que sur les dotations allouées aux réserves des forces terrestres dans le projet de budget.

M. Antoine Carré a interrogé le Chef d'état-major de l'armée de Terre sur l'accès à l'échelle 4 des sous-officiers qui, bien qu'ils réunissent les conditions requises et exercent les responsabilités correspondantes, ne peuvent bénéficier des contreparties matérielles associées à cette promotion.

Après avoir souligné la qualité de l'exposé du Général Yves Crène, et salué l'effort d'adaptation des personnels de l'armée de Terre, M. Robert Poujade a fait part de ses préoccupations à l'égard des conséquences, qu'il a jugées difficiles à réparer, d'un étalement excessif dans le temps de programmes majeurs. Il a également exprimé ses inquiétudes à l'égard de l'étroitesse des marges de man_uvre de l'armée de Terre dans le domaine des autorisations de programme et de l'insuffisance de la disponibilité opérationnelle de certains matériels dont il a relevé qu'elle serait inférieure de 15 % aux objectifs arrêtés.

M. Guy-Michel Chauveau a souhaité obtenir des précisions sur l'évolution de la doctrine d'emploi des forces terrestres, sur l'expérience de leurs engagements dans les Balkans ainsi que sur la formation des personnels au regard des missions de Petersberg. Il a également demandé quelles étaient les réflexions du Chef d'état-major de l'armée de Terre sur les coopérations conduites avec d'autres armées de Terre européennes, en dehors du cadre de l'OTAN.

Le Général Yves Crène, Chef d'état-major de l'armée de Terre a apporté les éléments de réponse suivants :

- les actions de force et les missions apparues plus récemment qui concourent à la maîtrise de la violence peuvent avoir à être conjuguées en même temps. Dans cette perspective, en plus des vertus traditionnellement nécessaires à l'accomplissement des actions de force, les personnels doivent acquérir d'autres compétences, y compris en matière linguistique, et une forme particulière d'ouverture d'esprit. Pour ce qui concerne l'emploi des matériels, un « noyau dur » est spécialement dévolu aux actions de force mais d'autres moyens plus simples peuvent utilement être mis en _uvre au cours des missions de maîtrise de la violence. Il convient dès lors de rechercher en permanence le dosage adéquat entre moyens « lourds » et « légers » qu'autorise désormais l'organisation modulaire des forces ; c'est ce que cherche maintenant à faire l'armée américaine ;

- les opérations de maîtrise de la violence nécessitent une présence matérielle forte et intimidante et un mandat international clair. Cette présence forte et ce mandat clair auraient permis sans doute de limiter les pertes subies au cours des premières opérations en Bosnie-Herzégovine. Depuis plusieurs années, la communauté internationale a fait de grands progrès dans sa capacité de mobilisation, y compris dans le cadre de l'Union européenne. La multinationalité des opérations est désormais une réalité inéluctable. Toutefois, si le fonctionnement de structures multinationales comme la SFOR ou la KFOR s'avère satisfaisant, la question de la solidité de ce type de structures pourrait se poser dans l'hypothèse d'une confrontation appelant des actions de forte intensité ;

- les actions de maintien de la paix s'inscrivent désormais dans la durée et se déroulent sur le long terme ;

- dans les nouvelles conditions d'engagement, certains matériels qui avaient pourtant été conçus pour l'époque de la guerre froide paraissent bien adaptés, comme c'est le cas de l'hélicoptère Horizon. Globalement, l'armée de Terre est bien préparée aux actions de coercition comme aux actions nouvelles de maîtrise de la violence. Par ailleurs, des progrès ont été accomplis en matière de soutien logistique. Cependant, certains matériels ont vieilli, comme l'AMX 10 P qu'il est nécessaire de remplacer rapidement par le VBCI ou les hélicoptères Puma qui subissent les effets d'une surutilisation ;

- le corps européen ne pourra faire office de corps de réaction rapide que s'il dispose de la capacité, rare en Europe, de constituer la structure de commandement d'un dispositif entrant en force sur un théâtre d'opérations. Seul l'Allied Rapid Reaction Corps (ARRC) de l'OTAN dispose actuellement de cette capacité en Europe. Le corps européen devra y parvenir en associant à parité quatre nationalités. Ses effectifs devraient augmenter de manière limitée. La brigade franco-allemande peut en constituer l'armature opérationnelle, mais une brigade d'aide au commandement devra être créée. Tous ces éléments font actuellement l'objet de discussions au niveau européen ;

- le règlement des difficultés rencontrées dans le recrutement des personnels civils n'est pas un problème insurmontable. Le ministère de la Défense en a bien conscience. La situation reste toutefois tendue et il faut que les 2 000 recrutements prévus pour l'exercice en cours soient effectivement réalisés. De même, les prévisions pour l'année 2001 devront être tenues ;

- la situation des crédits de fonctionnement courant est contrainte, à l'exception des crédits d'entraînement dont le redressement doit être poursuivi ;

- en dépit de la surchauffe qui a pu être récemment constatée dans l'armée de Terre, le moral des personnels n'est pas atteint. Il est plus exact de parler de fatigue, subie sans que la détermination individuelle soit entamée pour autant. Les capacités opérationnelles ne s'en trouvent pas amoindries ;

- l'ensemble des personnels de l'armée de Terre ont accepté, compris et réalisé du mieux possible les missions qui leur ont été assignées sur le territoire national. Cependant, si l'urgence des situations justifie bien souvent une mobilisation des militaires, il est plus contestable de maintenir un engagement de ce type dans la durée, compte tenu des tensions éprouvées dans l'emploi des forces. S'agissant du recours aux éléments de l'armée de Terre lors de l'application du plan Polmar, le Chef d'état-major de l'armée de Terre a eu l'occasion d'évoquer ce problème avec le Chef d'état-major des Armées et les autorités gouvernementales, qui l'ont entendu ;

- les difficultés rencontrées en matière de disponibilité opérationnelle des matériels, si elles ne remettent pas en cause l'aptitude de l'armée de Terre à assurer ses missions, ne sont pas sans conséquence sur le moral. Les causes de cette situation sont complexes : outre la réorganisation de la maintenance en juillet 1999, le vieillissement des matériels et les difficultés de passation des marchés de rechanges ont induit des retards et des impossibilités de réparation ;

- le caractère peu satisfaisant du niveau de disponibilité technique opérationnelle de certains matériels ne tient pas aujourd'hui à des problèmes budgétaires mais principalement à des problèmes liés au fonctionnement interne des armées, notamment à la difficulté de reconstituer à l'issue des restructurations des équipes de passation des marchés compétentes et en nombre suffisant ;

- le char Leclerc est un programme long dont le déroulement a été heurté. Néanmoins, la mise en service opérationnel de 40 chars à la fin de 1998 a permis de familiariser les unités avec ses standards et de préciser les conditions optimales de son emploi. Les chars Leclerc engagés au Kosovo se sont révélés très performants et dissuasifs. Leur taux de disponibilité s'est établi à 90 %, notamment grâce au niveau des stocks de rechanges maintenus sur place ;

- le système des compagnies tournantes outre-mer est appliqué depuis l'été 2000. La relève par ces compagnies d'unités stationnées auparavant en permanence permet d'aguerrir dans d'excellentes conditions les personnels concernés et procure davantage de souplesse de gestion à l'armée de Terre ;

- la mise en place des réserves se déroule de façon satisfaisante même si elle n'en est encore qu'à ses débuts. Un tiers de l'objectif initial, qui était de former une réserve de 30 000 hommes, a été atteint. Cet objectif, qui paraissait modeste, se révèle aujourd'hui très ambitieux face aux difficultés de recrutement, dues non pas tant à l'absence d'attrait des activités dans la réserve qu'aux possibilités matérielles, pour les citoyens intéressés, de se rendre disponibles. Reste que les 10 000 réservistes recrutés sont parfaitement intégrés dans leurs régiments et trouvent dans leurs fonctions matière à satisfaction ;

- à une époque où il y avait un sureffectif en sous-officiers, l'armée de Terre a effectivement accordé l'échelle 4 à un trop grand nombre de sous-officiers. Elle entreprend donc de résorber les effectifs en surnombre bénéficiant des avantages liés à cette promotion en mettant en _uvre jusqu'en 2003 un plan de refroidissement reposant sur l'allongement du délai entre l'obtention du certificat ouvrant droit et l'octroi de l'échelle. L'application de cette mesure n'est pas sans susciter quelques difficultés ;

- la raréfaction des autorisations de programme va commencer à créer des difficultés à l'armée de Terre lors de la gestion 2001. Pour regrettables qu'ils soient, les problèmes liés au programme de missile antichar à moyenne portée (AC 3G MP) auront au moins eu le mérite de libérer 2,9 milliards de francs d'autorisations de programme qui ont pu être utilisées notamment pour financer la commande globale du VBCI ;

- la formation des cadres en général, des officiers en particulier, aux missions internationales est de plus en plus complexe, d'autant que la pratique de terrain suit souvent rapidement la théorie. Cette formation doit répondre à des objectifs contradictoires et hétérogènes : d'un côté, l'aptitude au combat doit être développée ; de l'autre, les militaires doivent acquérir des techniques de maintien de la paix qui supposent l'adaptation à un environnement civil étranger, dans un contexte multinational, sans compter la maîtrise des relations avec les médias.

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Information relative à la Commission

La Commission de la Défense nationale et des Forces Armées a nommé M. Bernard Grasset, rapporteur sur la proposition de résolution de Mme Marie-Hélène Aubert tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences économiques, sociales, environnementales et sanitaires des essais nucléaires.

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