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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 29

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 mars 2001
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Suite du débat sur les projets américains de défense antimissile

- Informations relatives à la Commission

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La Commission a poursuivi le débat qu'elle avait tenu lors de sa réunion précédente à la suite de la communication de M. Paul Quilès, Président, sur les projets américains de défense antimissile.

Le Président Paul Quilès a estimé qu'en l'état, ces projets étaient à la fois flous et dangereux. Outre le fait que nul ne sait à ce jour s'il s'agit d'un système national ou mondial, les prémisses du projet sont elles-mêmes très imprécises. Le Président Paul Quilès a insisté à cet égard sur les incertitudes liées à la notion de « rogue states » (Etats-voyous), soulignant que la menace balistique avait été insuffisamment analysée quant à son contenu et à ses conséquences, au détriment d'autres menaces éventuelles. Il a cité à ce propos la menace terroriste, plus importante qu'on ne l'imagine généralement et constituée notamment de filières liées aux trafics internationaux de stupéfiants. Il a ajouté que, face à certains dangers, il n'était pas certain que la réponse militaire soit la mieux adaptée, comme l'illustre par exemple le cas de l'Irak. Quant aux risques dont les projets américains sont porteurs, le Président Paul Quilès en a souligné quatre : la reprise de la course aux armements, la déstabilisation des équilibres régionaux, notamment en Asie, les incertitudes sur la réaction de la Russie, qui pourrait passer de l'expectative à une posture agressive et, enfin, la division des Européens en matière de sécurité et de défense. Il a mentionné à ce propos l'attitude plus ou moins bienveillante de certains pays européens à l'égard des projets américains.

Jugeant que le Président Paul Quilès semblait considérer la question de la faisabilité du projet de défense antibalistique comme un élément secondaire du débat, M. Arthur Paecht a estimé qu'une telle appréciation devrait conduire à ne pas en tenir compte autrement que comme une simple gesticulation. Il a alors souligné qu'au contraire, la réalisation d'un système de défense antibalistique était possible et envisageable si les Etats-Unis y consacraient le temps et les ressources financières nécessaires.

Il a considéré que, dans cette perspective, il convenait d'analyser les menaces qui pèsent respectivement sur les Etats-Unis, les pays européens et la Russie. Faisant valoir que certaines menaces, qui, pour la plupart, ne pouvaient être contrées par des défenses antibalistiques, concernaient les seuls Etats européens, comme diverses formes de terrorisme, ou de trafic de drogue, et remarquant que l'Europe avait elle aussi ses « Etats voyous », il a conclu à la nécessité d'une réflexion pour y faire face, y compris avec la Russie. Il a à cet égard jugé qu'il fallait mettre en évidence le risque d'implication des pays européens dans des politiques américaines élaborées pour lutter contre des menaces qui ne les concernent pas, tout en faisant également apparaître les situations mettant spécifiquement en cause la sécurité de l'Europe.

Soulignant que son appréciation de la faisabilité des défenses antibalistiques s'appuyait sur les expériences précédentes, où malgré l'argent et le temps consacrés, les projets n'avaient jamais abouti, le Président Paul Quilès a ajouté qu'on pouvait s'interroger sur la pertinence d'une démarche qui demandait dix ans de délai pour répondre à une menace définie comme imminente, ainsi que sur son efficacité relative pendant ces dix ans, eu égard notamment aux effets déstabilisants qu'elle était susceptible d'entraîner, si on la comparait à une politique reposant sur une analyse saine des risques. Il a enfin souligné la nécessité pressante d'élaborer à l'échelle européenne un Livre Blanc analysant les menaces dirigées contre l'Europe et la façon d'y répondre.

Considérant que la menace la plus importante pour les Etats-Unis était constituée par le terrorisme, chimique ou biologique, M. Bernard Grasset a jugé que la défense antimissile n'y répondait pas, et que, sauf à penser qu'elle était inspirée par des intérêts industriels ou qu'elle avait pour objet d'entraîner certains Etats dans une course aux armements épuisante, sa pertinence apparaissait peu évidente.

Tout en exprimant des doutes sur l'influence réelle qu'avait eue l'Initiative de Défense stratégique sur la disparition de l'URSS, le Président Paul Quilès a considéré qu'une certaine volonté d'affaiblir la Chine pouvait être à l'origine des actuels projets américains de défense antibalistique.

Considérant également que l'Europe n'était pas soumise aux mêmes menaces que les Etats-Unis, M. Loïc Bouvard a attiré l'attention de la Commission sur les effets de cette situation au sein de l'Alliance atlantique. Il a fait valoir que certains membres européens de l'OTAN, au premier chef les Britanniques, s'inquiétant du découplage que créerait un bouclier protégeant les seuls Etats-Unis, demandaient, au nom de l'unité de l'Alliance, l'extension de cette protection à l'Europe, ce qui expliquait qu'on soit passé du concept de NMD (National Missile Defense) à celui de MD (Missile Defense).

Il a aussi souligné l'effort important mené parallèlement à la NMD par les Etats-Unis pour lutter contre les menaces bactériologique et chimique, des programmes étant engagés à ces fins pour un montant de 12 milliards de dollars.

Il a enfin considéré que l'insistance sur les menaces émanant des « rogue states » dissimulait en fait la peur de l'opinion américaine devant la montée en puissance de la Chine, indiquant que les interlocuteurs qu'il avait pu rencontrer lors d'une récente mission aux Etats-Unis lui avaient tous confirmé que la lutte contre une menace nucléaire chinoise figurait parmi les objectifs principaux de la défense antibalistique.

Le Président Paul Quilès a jugé que le risque de découplage, c'est-à-dire d'absence d'intervention américaine en Europe, qui existait pendant la guerre froide, était aujourd'hui remplacé par un risque de « surcouplage », c'est-à-dire d'implication de l'Europe dans des interventions américaines qui ne la concernent pas.

Constatant que les Etats-Unis restaient aujourd'hui la seule superpuissance planétaire, M. Jean Briane a recommandé la prudence, considérant qu'il ne fallait pas se laisser entraîner dans le jeu d'un pays dont l'objectif est de conserver sa suprématie.

Observant que de plus en plus de responsables, à commencer par le Secrétaire général de l'OTAN, considèrent que le projet de défense antibalistique se fera, M. Jean-Claude Sandrier a jugé que ce projet devenait de moins en moins virtuel et de plus en plus réel.

Il s'est déclaré favorable à l'organisation, à l'Assemblée nationale, d'un grand débat sur les conditions de la paix et de la sécurité dans le monde, de manière à permettre aux parlementaires mais aussi au Gouvernement de s'exprimer et de prendre position sur ce sujet.

Sur le plan international, il a souhaité la réunion d'une Conférence internationale destinée à relancer le processus de désarmement dans le monde, jugeant que cette initiative serait soutenue par un très grand nombre de pays.

Rappelant qu'une conférence du désarmement avait été instituée au sein de l'ONU mais que son activité était actuellement paralysée, le Président Paul Quilès a souligné la difficulté de se prononcer sur un projet de défense antimissile qui n'avait pas encore été défini.

M. Jean-Michel Boucheron, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, a exprimé son accord avec la qualification de « virtuel » donnée au projet américain de défense antimissile. Il a considéré que ce projet reposait sur une double imposture : d'une part, la menace pesant sur les Etats-Unis, qu'elle vienne de Corée du Nord ou de Chine, n'est pas réelle, d'autre part, il est techniquement possible de saturer par un système de leurrage tout dispositif de défense antibalistique.

Il a jugé qu'il s'agissait en fait d'un rideau de fumée destiné à financer massivement des programmes de recherche développement à caractère dual, d'intérêt à la fois militaire et civil, quitte à se fabriquer un ennemi virtuel. Le véritable objectif est de créer un fossé technologique entre les Etats-Unis et le reste du monde. Cette situation amène à s'interroger sur la politique à suivre à l'égard des entreprises françaises susceptibles de participer aux programmes antibalistiques et elle pose d'une manière plus générale la question de la coordination européenne en matière de recherche développement militaire.

Le Président Paul Quilès s'est déclaré en accord avec ce point de vue, rappelant que le Département de la Défense américain avait octroyé plus de 2 milliards de dollars aux principales entreprises américaines participant aux programmes antibalistiques en 1998 et 1999. Evoquant les déclarations du Chancelier Gerhardt Schröder sur l'intérêt industriel d'une participation des entreprises allemandes à ces programmes, il a souligné que l'association de l'Europe aux projets de défense antibalistique impliquerait des conséquences politiques qui ne semblent pas avoir été toutes prises en considération.

La Commission a alors autorisé la publication du rapport d'information sur les projets américains de défense antimissile, conformément à l'article 145 du règlement.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a décidé de reporter à une réunion ultérieure l'examen de la communication du Président Paul Quilès sur la réunion des Présidents des Commissions parlementaires de la Défense de l'Union européenne tenue à Stockholm les 12 et 13 février 2001.

La Commission de la Défense a nommé M. Robert Gaïa rapporteur sur la proposition de résolution (n° 2858) de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur le syndrome des Balkans.


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