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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 30

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 avril 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Rudolf Scharping, Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne


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La Commission a entendu M. Rudolf Scharping, Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne.

Remerciant M. Rudolf Scharping, Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne, d'avoir accepté son invitation, le Président Paul Quilès s'est réjoui que son audition, qui était la première de ce type organisée par la Commission, lui permette de présenter la réforme en cours des forces armées allemandes et de faire part de ses vues sur le partenariat franco-allemand, notamment dans la perspective du développement de la coopération européenne en matière de défense et de sécurité.

Après avoir rappelé le rôle moteur du partenariat franco-allemand à chaque étape décisive de la construction européenne, il a estimé que, si l'impulsion de la politique européenne de défense et de sécurité avait été donnée par une initiative franco-britannique, le soutien de l'Allemagne avait été essentiel pour la définition des instruments institutionnels et des objectifs de capacités militaires indispensables à sa crédibilité.

Il a observé que la spécificité de la relation franco-allemande était fondée tout à la fois sur les leçons de l'histoire, un puissant faisceau d'intérêts communs et une nécessité politique, celle de maintenir en Europe un pôle de stabilité capable de garantir la cohésion d'une Union européenne de plus en plus diverse. Puis, il a fait valoir que le poids de l'Allemagne unifiée et sa situation géographique au c_ur d'une Union européenne s'élargissant à l'Est lui attribuaient de fait des responsabilités particulières dans le maintien de la sécurité du continent. Il s'est alors félicité que le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne entende assumer ces responsabilités, même lorsqu'elles sont de nature militaire, ce qui ouvrait des perspectives nouvelles pour un approfondissement du partenariat franco-allemand en matière de défense et de sécurité.

Il a enfin appelé à la poursuite du dialogue entre la France et l'Allemagne dans le domaine de la défense et de la sécurité, soulignant que la réforme en cours des forces allemandes pour les rendre plus aptes à la gestion militaire des crises en constituait un élément essentiel.

M. Rudolf Scharping, Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne, a mis l'accent sur l'importance croissante des relations franco-allemandes dans une période de profonde transformation de la politique de sécurité européenne. Il a insisté sur le fait que la relation franco-allemande n'avait pas d'alternative comme moteur de l'intégration européenne et comme base politique des futurs progrès de l'Europe.

Relevant que, même dans le contexte d'une Europe nouvelle, aux responsabilités accrues et en voie d'élargissement à l'Est, l'importance déterminante des relations bilatérales franco-allemandes se faisait sentir à tous les niveaux du processus d'intégration européenne et en particulier dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC) et de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), il a souligné que cette situation ne diminuait pas la contribution des autres pays et n'excluait pas des divergences de vues entre la France et l'Allemagne sur certains points. Puis, il a jugé que la sécurité de l'Europe reposait sur la constitution d'un espace de stabilité élargi soutenu par l'OTAN et une Union européenne dynamique, toutes deux ouvertes à la coopération avec d'autres pays européens et à leur intégration.

Le Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne a jugé que le renforcement de l'espace de stabilité européen passait par trois grandes actions :

- le développement des capacités de l'Union européenne en vue d'assumer plus de responsabilités lorsque les intérêts de sécurité européens sont concernés ;

- l'amélioration de la cohésion et de la capacité de défense de l'OTAN ;

- le soutien à d'autres organisations internationales, en particulier l'ONU, en vue de contribuer à la paix et à la stabilité.

M. Rudolf Scharping a observé que les crises des Balkans avaient révélé que les pays membres de l'Union européenne ne possédaient pas les instruments politiques et militaires leur permettant de faire face à l'ensemble des défis de sécurité sur le continent européen. Il a souligné que ces crises avaient mis en lumière l'urgente nécessité d'une politique européenne efficace de sécurité et de défense. Il a, à ce propos, cité la déclaration suivante du Chancelier Gerhard Schröder devant l'Assemblée nationale, le 30 novembre 1999 : « l'Europe ne doit pas se contenter d'être un observateur sur la scène internationale, mais elle doit être un acteur fort qui participe de manière déterminante à la création d'un ordre mondial pour le XXIème siècle ». Il a fait valoir que, dans ce but, l'Union européenne devait se doter des moyens de décider et d'agir pour surmonter les crises.

Le Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne a alors jugé qu'une politique de sécurité moderne devait être globale et tournée vers la prévention des conflits et la coopération. Il a considéré que l'Union européenne devait se doter d'une gamme complète d'instruments de sécurité militaires mais aussi civils et politiques. Il a jugé favorablement le processus en cours, estimant que l'écart entre l'intégration économique de l'Union et le développement de sa politique extérieure, de sécurité et de défense commençait à se réduire. Puis, il a rappelé que les structures politico-militaires nécessaires étaient mises en place et que des forces étaient rendues disponibles pour des opérations de gestion de crise, même complexes, menées sous la direction de l'Union dans tout le spectre des missions de Petersberg.

Parallèlement, les pays de l'Union entreprennent d'améliorer leurs capacités militaires en matière de renseignement stratégique, de commandement et de transport stratégique.

M. Rudolf Scharping a souligné que la phase intérimaire de la PESD était achevée, ses concepts fondamentaux précisés et les bases posées pour un réel partenariat stratégique entre l'OTAN et l'Union européenne dans le domaine du maintien de la paix. Il restait cependant beaucoup à faire pour doter l'Union d'une première capacité d'intervention d'ici la fin de l'année. Des efforts considérables doivent en effet être consentis pour développer et rendre opérationnelles les instances de décision, mettre au point les procédures de gestion de crise, s'assurer que les capacités et moyens civils et militaires nécessaires sont bien disponibles et recueillir l'accord de tous les membres de l'Alliance pour le recours aux moyens et capacités de l'OTAN sur la base des principes de « Berlin plus », ce qui suppose que les réserves de la Turquie soient levées.

Après avoir souligné la volonté du Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne d'éviter toute duplication inutile et toute concurrence avec l'OTAN, M. Rudolf Scharping a mis l'accent sur la nécessité, tout particulièrement pour les pays européens, d'améliorer la capacité des forces à remplir des missions multinationales de gestion des crises.

A cet effet, les pays de l'Union ont besoin de forces rapidement disponibles, prêtes à être déployées et à être maintenues sur le théâtre d'opérations pour répondre à une grande diversité de missions. Ils ont également besoin d'un équipement moderne et interopérable, d'une organisation de commandement efficace et d'un personnel hautement qualifié, motivé et capable de remplir des missions diversifiées.

Le Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne a souligné que la réforme en cours de la Bundeswehr tendait justement à répondre à ces exigences. Il en a alors présenté les grands axes, soulignant tout d'abord qu'il était hautement vraisemblable qu'à l'avenir la défense nationale prenne la forme d'une défense collective en dehors du territoire allemand. Dans ce contexte, l'engagement des forces allemandes consistera fondamentalement à participer à des interventions communes avec des pays alliés et partenaires. Par ailleurs, les opérations de gestion de crise menées en commun avec d'autres forces dans le cadre de l'ONU, de l'OTAN ou de l'Union européenne se dérouleront sur le territoire d'autres Etats.

M. Rudolf Scharping a précisé qu'après avoir pris en considération les expériences des partenaires de la République fédérale d'Allemagne, et notamment celles de la France, le Gouvernement fédéral avait arrêté le 14 juin 2000 ses principales décisions sur la réforme de la Bundeswehr qui était la plus grande de son histoire. Ces décisions portent sur le personnel, les équipements, le volume et la structure des forces ainsi que sur la forme du service militaire. Elles concernent également la coopération avec les entreprises en vue d'améliorer l'efficacité de l'effort de défense et d'ouvrir de nouvelles perspectives de formation pour le personnel de la Bundeswehr. Le Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne s'est félicité que le budget du ministère de la Défense pour l'année 2001 ait bénéficié d'un accroissement de ses crédits de l'ordre de 3 % par rapport à l'année 2000 et que dans ce budget le taux d'investissement progresse à nouveau depuis 2000 après des années de régression. Il a précisé que le budget du ministère de la Défense bénéficiera dans leur intégralité des gains d'efficience et de productivité qu'il réalisera. Dans ce but, le ministère développe des pratiques nouvelles pour l'acquisition de matériels comme le leasing et la gestion par des entreprises privées. Le ministre a ajouté que 80 % des recettes provenant de la location ou des cessions des infrastructures des armées seraient reversées au budget de la Défense. Il s'est enfin montré intéressé par la notion de programmation pluriannuelle des dépenses militaires, annonçant que l'utilité d'une loi de programmation militaire inspirée notamment de l'exemple français était à l'étude en Allemagne.

M. Rudolf Scharping a indiqué que les nouvelles structures civiles et militaires de la Bundeswehr avaient été définies et qu'un concept d'implantation territoriale de ces unités, avait été élaboré. Il a ajouté que cette Bundeswehr de l'avenir serait en place pour l'essentiel en 2006. Il s'est attaché à la présenter comme plus réduite, mais plus moderne et performante. Elle compterait au total 285 000 militaires, hommes et femmes, dont 150 000 affectés à des forces d'intervention rapidement projetables, le contingent actuel dont dispose la République fédérale d'Allemagne pour la gestion des crises se trouvant ainsi multiplié par trois. Il a justifié le maintien d'une conscription reposant sur un service militaire plus court et modulable en relevant notamment qu'elle permettrait la constitution d'un important vivier de recrutement de militaires professionnels. Il s'est également félicité que la Bundeswehr soit ouverte aux femmes sans restriction depuis le 1er janvier 2001.

Le Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne a par ailleurs souligné que la nouvelle organisation des forces allemandes procédait d'une approche interarmées conséquente. La constitution d'un « socle de forces interarmées » représente à cet égard la novation la plus marquante. Ce socle de forces assurera toutes les fonctions transversales de commandement, renseignement, soutien et formation pour les différentes armées. Le Ministre a alors fait état du réaménagement des chaînes de commandement de la Bundeswehr et notamment de la création d'un commandement opérationnel interarmées qui aura pour tâche de planifier et de commander l'emploi des forces des trois armées. Cet état-major pourra être mis à la disposition de l'Union européenne en qualité d'« operation headquarters » pour les opérations conduites sous sa direction. La Bundeswehr disposera ainsi d'une capacité que détiennent déjà les principaux alliés européens de l'Allemagne.

Le Ministre a alors indiqué que ces transformations structurelles seraient accompagnées par une modernisation des équipements. Cette modernisation aura pour but de traduire les objectifs collectifs de capacités de l'OTAN et de l'Union européenne en programmes d'armement. M. Rudolf Scharping a en outre relevé que la limitation des budgets d'équipement militaire des pays européens appelait un renforcement de la coopération de manière à mettre en commun les ressources nationales et à tirer parti des effets de synergie potentiels.

M. Rudolf Scharping a alors souligné l'importance des initiatives fructueuses de l'Allemagne et de la France en faveur de l'approfondissement de leur coopération militaire bilatérale et de la coopération européenne en matière d'armement. Après avoir rappelé le succès de l'engagement au Kosovo de l'état-major du Corps européen, il a indiqué que l'Allemagne était résolue à favoriser sa transformation sans délai en corps de réaction rapide disponible pour des interventions dirigées aussi bien par l'OTAN que par l'Union européenne. Il a ajouté que la Brigade franco-allemande avait été proposée comme unité d'intervention rapidement déployable du Corps européen.

M. Rudolf Scharping a également déclaré que l'établissement d'un commandement européen du transport aérien, l'acquisition de l'appareil de transport militaire A400M, le développement d'une capacité européenne commune de renseignement par satellites et la constitution d'une agence européenne de l'armement constitueraient des éléments importants pour la mise en _uvre des décisions de l'Union européenne en matière de défense et de sécurité dans de bonnes conditions économiques.

Il a précisé que l'Allemagne entendait acquérir 73 A400M, soit près d'un tiers du nombre total d'appareils. L'armée de l'air allemande accroîtrait également sa souplesse d'emploi par l'acquisition de capacités de ravitaillement en vol.

Par ailleurs, l'Allemagne disposera en 2004 d'un système d'observation par satellite radar SAR Lupe. Ce système sera alors doté d'une première capacité opérationnelle qui lui permettra de participer à un réseau européen de renseignement satellitaire dont il importe de préciser les caractéristiques opérationnelles et les principes d'utilisation commune.

M. Rudolf Scharping a fait part de la volonté du gouvernement fédéral d'établir dès que possible le commandement européen du transport aérien, la cellule de coordination actuellement prévue ne pouvant constituer qu'un premier pas en ce sens. Il a souligné que l'acquisition en commun d'un avion de transport impliquait également une formation des personnels et une logistique communes. L'objectif du gouvernement allemand est de parvenir à l'établissement d'un commandement européen du transport aérien disposant d'avions de transport et de ravitaillement en vol avant la fin de la décennie.

Le Ministre s'est ensuite déclaré déterminé à développer la coopération franco-allemande dans le domaine de la sécurité et de la défense, dont il a estimé qu'elle représentait un pilier du partenariat franco-allemand comme aussi de la politique européenne de sécurité et de défense en cours de développement. Les échanges de personnel entre les forces et les formations militaires communes doivent être intensifiés. Dès cette année et pour la première fois, un officier allemand suivra une scolarité au CHEM tandis qu'un officier français poursuit un cursus similaire en Allemagne à l'Académie de Sécurité fédérale. De même une formation commune sera dispensée au Luc pour les équipages de l'hélicoptère de combat Tigre et à Fassberg pour les techniciens chargés de son entretien. La coopération bilatérale franco-allemande revêt également une grande importance dans le domaine de l'armement. La France et l'Allemagne doivent jouer un rôle moteur pour la création d'une agence européenne de l'armement qui reprendrait à la fois les fonctions de l'OCCAR et de l'OAEO (Organisation d'Armement de l'Europe Occidentale). Après avoir rappelé que l'Allemagne s'était fixé, avec les autres principaux pays producteurs d'armements des règles communes pour la restructuration et la coopération de leurs industries de défense, M. Rudolf Scharping a souligné que cette restructuration était indispensable pour maintenir leur compétitivité. Il s'est félicité des progrès importants accomplis avec la création d'EADS et d'Astrium dans le domaine de l'industrie aéronautique et spatiale tout en soulignant la nécessité de poursuivre l'effort de restructuration dans d'autres domaines, notamment dans celui des armements terrestres. Il a par ailleurs estimé que le Conseil franco-allemand de Défense et de Sécurité devait être davantage utilisé dans le domaine de la coopération en matière d'armement.

En conclusion, M. Rudolf Scharping a fait ressortir que le nouveau contexte stratégique rendait encore plus nécessaire la coopération bilatérale franco-allemande en matière de sécurité et de défense. Les Européens doivent trouver des réponses aux nouveaux risques qui apparaissent en Europe et en dehors de l'Europe. Ils doivent veiller à la poursuite du processus d'adaptation de l'Union européenne et de l'OTAN et à l'établissement entre ces deux organisations de relations de transparence et de confiance de manière à renforcer les relations transatlantiques. Ils entendent également définir leur relation avec la Russie, qui est leur plus grand voisin, au sein de l'architecture de sécurité européenne, dans la mesure où ce pays poursuit une politique coopérative et constructive. Les pays européens ne pourront pas accomplir toutes ces tâches dans un cadre national mais seulement en développant une étroite coopération inspirée par leur communauté d'histoire, de valeurs et d'intérêts.

Leur entreprise réussira d'autant mieux que l'Allemagne et la France resteront conscientes de leur responsabilité commune et de l'importance de leur contribution à l'Europe de l'avenir. La question essentielle n'est pas de redéfinir la relation franco-allemande mais de trouver de nouvelles réponses communes aux évolutions du monde. Cette adaptation ne peut aller sans discussions et occasionnellement sans divergences mais ces discussions et ces divergences ne font que refléter la proximité et l'interdépendance mutuelle des deux grands voisins au centre de l'Europe. C'est aussi pour cette raison que leur coopération pour le bien de l'Europe est aussi indispensable qu'irremplaçable.

Remerciant le Ministre pour la clarté de son exposé, le Président Paul Quilès a souligné le sens profond de l'expression « moteur franco-allemand » qui décrivait une relation forte, mais non exclusive qui a joué historiquement et joue encore aujourd'hui un rôle essentiel dans les progrès de la construction européenne.

Evoquant la concertation régulière, en matière de sécurité et de défense, entre la France et l'Allemagne, le Président Paul Quilès a rappelé qu'elle avait conduit à établir en 1996 un concept commun quelque peu décevant. Il a proposé de reprendre cette réflexion, en y associant le cas échéant le Royaume-Uni et l'Italie, de manière à aboutir aux premiers éléments d'un Livre Blanc européen qui donnerait à l'Europe de la Défense la doctrine commune qui lui fait aujourd'hui défaut.

M. Rudolf Scharping a considéré que l'Europe devait se préoccuper d'acquérir une vision commune de sécurité et de défense davantage que par le passé. Après avoir souligné que des échanges de vues informels, notamment en ce domaine, avaient déjà lieu, dans le cadre de l'OTAN, au sein d'un groupe réunissant l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie, il a jugé intéressante l'idée d'élaborer une doctrine pour orienter la politique extérieure et de sécurité commune de l'Union. Il a à ce propos mentionné le « cercle stratégique franco-allemand » qui offre à des personnalités politiques, à des experts et à des responsables de l'administration et de l'industrie un lieu de débat utile avec la participation de la fondation Friedrich Ebert. Après s'être prononcé en faveur de la création d'autres forums de ce type, il a estimé essentiel d'associer au débat stratégique sur les perspectives de la politique européenne de sécurité et de défense les Parlements et les opinions publiques au lieu de s'en tenir aux seules discussions intergouvernementales.

M. Arthur Paecht a estimé que, s'il n'était pas nécessaire de redéfinir les relations franco-allemandes, il importait parfois de les clarifier dans certains domaines.

Prenant l'exemple de l'avion de transport A400M, seul nouveau grand programme aérien européen existant dans le domaine militaire, il a mis l'accent sur la longueur des négociations relatives notamment aux spécifications et au nombre d'appareils à acquérir par chaque pays.

Notant avec satisfaction que la Bundeswehr conservait son objectif de 73 appareils, il s'est demandé si les tergiversations antérieures de l'Allemagne à propos notamment de la proposition d'avion russo-ukrainien Antonov et ses pressions actuelles pour faire baisser des prix pourtant calculés au plus juste ne faisaient pas le jeu de la concurrence américaine.

Considérant que la France et l'Allemagne avaient une approche similaire du besoin d'avion de transport militaire et du programme A400M, M. Rudolf Scharping a rappelé que, devenant ministre, il avait hérité d'une situation où la Russie et l'Ukraine avaient fondé de grands espoirs sur une vente de leur avion à l'Union européenne. Du temps a été nécessaire pour faire comprendre aux différents acteurs impliqués que l'achat de l'Antonov soulevait des difficultés politiques majeures.

La mise en concurrence n'a pas été pour autant dépourvue d'intérêt, une hausse des prix ayant été constatée après la décision politique d'acquérir l'A400M. Quant au processus de décision, il n'a pas été particulièrement long, le choix de l'A400M ayant été annoncé au cours de l'été 2000 et le MoU devant être signé de préférence en juin 2001, à l'occasion du salon du Bourget. Ces délais peuvent être considérés au contraire comme inhabituellement brefs pour un grand programme compte tenu des sommes engagées.

M. Rudolf Scharping a alors souligné le paradoxe d'une décision politique relativement rapide à laquelle l'industriel pourrait ne pas répondre dans les délais en arguant du succès de ses programmes civils, qui mobilisent ses équipes. Il a jugé que l'entreprise avait le devoir de garantir les délais de livraison et les quantités livrées, souhaitant une négociation sérieuse sur les modalités de paiement.

En revanche, il s'est dit persuadé que les pressions en faveur de l'acquisition d'avions américains de transport militaire en leasing restaient faibles, eu égard aux caractéristiques de ces appareils.

Après avoir fait remarquer que la construction européenne reposait d'abord sur les efforts nationaux des pays qui y participaient, M. Jacques Myart, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, a demandé au Ministre s'il jugeait suffisant l'effort de défense de son pays, la hausse de 3 % décidée pour 2001 apparaissant modeste et s'il considérait comme satisfaisant le budget militaire de la France qui, avec 1,75 % du PIB, était descendu à un niveau jamais atteint depuis longtemps.

Il a également demandé à M. Rudolf Scharping si, en refusant la duplication des moyens militaires de l'Union européenne avec ceux de l'Alliance atlantique et en insistant sur l'importance du lien transatlantique, il ne se prononçait pas en fait pour la subordination de la nouvelle structure européenne à l'OTAN.

Admettant que le programme d'avion de transport européen constituait bien une première réalisation commune en vue de l'amélioration des capacités militaires européennes, il a fait remarquer que les conflits récents mettaient en lumière le rôle fondamental du renseignement. Il a alors demandé si l'Allemagne allait participer aux investissements nécessaires à la création d'une capacité de renseignement satellitaire permettant aux Européens de s'affranchir de leur dépendance à l'égard des Etats-Unis en ce domaine.

Enfin, exprimant son accord avec l'idée d'une meilleure association de la Russie aux décisions relatives à la sécurité du continent européen, il s'est interrogé sur les conditions pratiques et institutionnelles qui permettraient d'y parvenir, évoquant notamment la perspective d'un Conseil de sécurité européen.

M. Rudolf Scharping a apporté les éléments de réponse suivants :

- en matière de politique de défense et de sécurité un dialogue permanent avec l'opinion publique doit être développé de manière à lui faire prendre conscience de la réalité des risques présents dans l'environnement international. Sans ce dialogue, il est difficile de faire prévaloir les besoins du long terme, auxquels répond la politique de défense, sur les demandes de court terme, notamment sociales ;

- les pays membres de l'Union européenne ont décidé que la politique européenne de sécurité et de défense ne s'appliquait pas à la défense collective qui est du ressort de l'OTAN, mais aux seules missions de Petersberg, c'est-à-dire à la gestion des crises. Il est logique que les moyens développés pour la défense collective soient également utilisés pour les missions de Petersberg ; il n'y aurait donc pas de sens à dédoubler les moyens et les capacités pour accomplir les deux types de mission en constituant, par exemple, deux flottes d'Awacs. En revanche, l'objectif est de développer une capacité de décision européenne autonome, sur la base des principes de « Berlin plus » ;

- en matière de renseignement satellitaire, le Président François Mitterrand et le Chancelier Helmut Kohl avaient conclu à Baden-Baden un accord que l'Allemagne a ensuite remis en cause en raison des coûts de sa mise en _uvre. Aujourd'hui, cependant, elle souhaite développer sa capacité de renseignement satellitaire radar en liaison avec la France et d'autres alliés. Les appels d'offre seront lancés cette année, le financement étant garanti pour la réalisation du système SAR - Lupe qui sera opérationnel en 2004. Cette nouvelle capacité pourra être combinée avec celle fournie par le système Hélios. L'Allemagne est aujourd'hui consciente qu'en matière de renseignement, celui qui n'a rien à offrir ne reçoit pas grand-chose et elle considère que la question de la capacité du réseau de renseignement auquel elle participera est importante ;

- la Russie doit avoir sa place dans le système de sécurité européen. Cependant la politique à long terme russe n'apparaît pas toujours lisible. Il arrive d'entendre les autorités russes défendre des positions très différentes. En outre la Russie cherche parfois à enfoncer un coin entre l'Europe et les Etats-Unis. Un dialogue approfondi doit néanmoins être mené avec la Russie, à charge pour elle de déterminer ses réponses dans une perspective de coopération.

M. Jean Briane s'est demandé si, sans remettre aucunement en cause leur alliance avec les Etats-Unis, il n'était pas souhaitable que les pays européens se dégagent progressivement d'une tutelle américaine qui pourrait à court terme devenir plus pesante et acquièrent plus d'autonomie en matière de défense.

M. Rudolf Scharping a répondu que l'OTAN avait déjà beaucoup évolué, comme en témoignait l'adoption en avril 1999 de son nouveau concept stratégique, salué par le Président de la République française comme une victoire de la diplomatie française notamment parce qu'il reconnaissait la nécessité du respect du droit international et des prérogatives du Conseil de sécurité des Nations Unies dans la gestion des crises. S'agissant de l'élargissement de l'Alliance, il a estimé que les pays européens devaient s'efforcer de ne pas défendre chacun isolément des candidats à l'adhésion lors du sommet prévu à Prague en 2002, comme ils l'ont fait à Madrid.

Il a estimé que l'attitude des Etats-Unis envers l'Europe était ambiguë puisqu'ils évoquaient régulièrement l'idée d'un deuxième pilier européen de l'OTAN depuis la présidence de J. F. Kennedy et qu'en même temps des initiatives comme celle tendant à développer un système de renseignement satellitaire européen avaient été interprétées par certains responsables américains comme le début d'une _uvre de destruction de l'OTAN. Il a conclu qu'il voyait les Etats-Unis, non comme un pays exerçant une tutelle sur l'Europe mais comme un partenaire de sécurité très important avec lequel il existait une solidarité réciproque, mais aussi une concurrence économique.

Il a alors observé qu'un projet de défense autonome supposait une base industrielle et technologique commune. Il a relevé à ce propos que les entreprises américaines, après avoir longtemps négligé les efforts européens en matière d'industrie aéronautique, avaient à présent pris conscience de l'émergence avec Airbus d'un concurrent global. Instruites par l'expérience, elles suivent aujourd'hui les regroupements dans les domaines de l'armement terrestre et naval avec une attention peut-être plus soutenue que les Européens eux-mêmes. Insistant sur les difficultés rencontrées dans ces deux domaines, il a estimé que les Etats européens devaient ensemble aider leurs entreprises à réagir au défi des restructurations avant que des groupes américains n'en prennent le contrôle.

M. Jean-Noël Kerdraon a demandé quelles étaient les perspectives de coopération industrielle européenne dans le domaine de la construction navale militaire tant en ce qui concerne les bâtiments de surface que les sous-marins. Il a également souhaité connaître le sentiment du Ministre sur le partenariat récemment noué entre DCN et Thales.

M. Rudolf Scharping a estimé que l'alliance entre DCN et Thales constituait une excellente contribution aux nécessaires restructurations de l'industrie européenne de défense, même s'il reste encore beaucoup à faire en ce domaine. Se référant au précédent de la création d'EADS dans le secteur aéronautique, il a constaté que le règlement des questions de la participation de l'Etat au capital et du statut du groupe avait demandé plus de temps que celui dont disposent actuellement les pays européens pour restructurer leurs industries d'armement terrestre et naval. Il s'est inquiété de la course de vitesse engagée en ce domaine avec les entreprises américaines et du risque que les pays de l'Union européenne soient obligés, à terme, d'acheter leurs équipements auprès de fournisseurs américains.

Le Ministre de la Défense de la République fédérale d'Allemagne a estimé que les restructurations des industries d'armement à l'échelle européenne constituent le problème le plus urgent à régler dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense. Observant à titre d'exemple que le nombre de constructeurs européens de blindés était trop élevé, il s'est prononcé en faveur de restructurations à l'échelle européenne dans le domaine de l'armement terrestre. Appliquant le même raisonnement au secteur de l'armement naval, il a particulièrement insisté sur la sauvegarde des compétences européennes en matière d'électronique embarquée, élément indispensable à la valeur ajoutée et à l'attractivité des matériels produits par les pays européens, alors que la construction de coques est pénalisée sur le plan concurrentiel par la compétitivité des chantiers navals des pays émergents.

Constatant qu'une force commune de réaction rapide était en cours d'élaboration, M. André Vauchez a regretté que les différentes armées européennes continuent à s'équiper séparément. Il a demandé si les politiques d'équipement militaire des différents pays de l'Union européenne comportaient une dimension commune suffisante.

M. Rudolf Scharping a rappelé que l'Allemagne s'était engagée à fournir environ 20 % des capacités de réaction rapide européennes et souligné qu'il ne s'agissait pas d'une simple annonce mais d'un objectif qui serait atteint dans les faits.

Il a jugé peu vraisemblable que l'Europe dispose d'ici 10 à 15 ans d'une armée commune mais estimé que l'intégration entre les forces européennes serait alors certainement beaucoup plus poussée. A brefs délais, le partenariat franco-allemand peut contribuer de manière importante au renforcement des capacités collectives de l'Union européenne dans le cadre notamment de la transformation du Corps européen, de la constitution d'un réseau de renseignement satellitaire ou de la création d'un commandement commun du transport aérien stratégique.

Les efforts faits pour développer la construction européenne dans le domaine de la défense paraissent encore insuffisants, notamment si on établit une comparaison avec l'importance accordée à d'autres domaines comme, par exemple, celui de l'agriculture.

Evoquant la création d'un état-major interarmées au sein de la Bundeswehr, le Président Paul Quilès a souligné la révolution que cette décision représentait pour une armée allemande, qui, jusqu'à présent, concevait son organisation comme celle d'une « armée d'alliance », dont les capacités de commandement interarmées devaient être intégrées dans les structures militaires de l'OTAN. Il s'est alors interrogé sur les liens que ce nouvel état-major entretiendrait avec les commandements de l'OTAN et s'il aurait la capacité de participer à la mise en _uvre par l'Union européenne d'opérations militaires sans recours aux moyens de l'Alliance, au cas où la nécessité s'en ferait sentir.

M. Rudolf Scharping a répondu que l'intention du gouvernement allemand était d'améliorer la coordination entre les différentes armées et de renforcer le champ des compétences du Generalinspekteur de la Bundeswehr.

Il a ajouté que l'Allemagne allait se doter d'un quartier général de forces capable de conduire des opérations interarmées et d'être mis à la disposition de l'Union européenne en tant qu'état-major opérationnel. Il a précisé que le gouvernement allemand considérait que la politique de défense de l'Union européenne et l'action de l'OTAN n'étaient pas contradictoires. Il était dès lors souhaitable que l'Union européenne soit dotée d'une capacité effective d'agir de manière autonome alors même que l'OTAN n'aurait pas la possibilité ou la volonté d'intervenir.

Remerciant le Ministre allemand de la Défense, le Président Paul Quilès s'est réjoui du renforcement des relations croisées entre les gouvernements et les parlements français et allemands.


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