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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 18 avril 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Communication de M. Paul Quilès, Président, sur la réunion des Présidents des Commissions parlementaires de la Défense de l'Union européenne tenue à Stockholm les 12 et 13 février 2001

- Examen de la proposition de résolution (n° 2858) de M. André Aschiéri et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur le syndrome des Balkans (M. Robert Gaïa, rapporteur)

- Information relative à la Commission



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La Commission a tout d'abord entendu une communication de M. Paul Quilès, Président, sur la réunion des Présidents des Commissions parlementaires de la Défense de l'Union européenne tenue à Stockholm les 12 et 13 février 2001.

Le Président Paul Quilès a indiqué que la réunion de Stockholm tenue à l'initiative de M. Henrik Landerholm, Président de la Commission de la Défense du Riksdag suédois, était la deuxième de ce type, après celle qu'il avait lui-même organisée en décembre 2000, à la fin de la présidence française de l'Union européenne, une troisième étant prévue, en juillet 2001, à Bruxelles, dans le cadre de la présidence belge.

Ces réunions, pour l'instant informelles, pourraient à terme contribuer au contrôle parlementaire de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) de l'Union européenne.

La réunion de Stockholm a été l'occasion pour le Ministre de la Défense suédois, M. Björn von Sydow, de faire le point sur le programme de la présidence suédoise en matière de sécurité et de défense. Ce programme s'articule autour de quatre axes : la mise en place de structures permanentes pour la gestion civile et militaire des crises, les relations entre l'Union européenne et l'OTAN, la collaboration avec les pays partenaires de l'Union européenne, comme la Russie et l'Ukraine, et les relations avec l'ONU auxquelles la Suède accorde, par tradition, une grande importance.

L'ensemble de ces questions est abordé en Suède dans le contexte d'un débat, essentiel pour ce pays, sur l'avenir de sa neutralité. Chacun des participants à la réunion a pu comprendre qu'il s'agissait là d'un enjeu politique de première importance pour les Suédois. Le Président Paul Quilès a indiqué qu'il avait à cette occasion souligné que l'idée de neutralité était difficilement compatible avec le système de valeurs partagées et de solidarité qui fonde aujourd'hui la construction européenne.

Mais c'est la question des relations entre l'Union européenne et l'OTAN qui a dominé les débats. Hormis la tonalité quelque peu « dramatisante » du Président de la Commission de la défense de la Chambre des Communes britannique, un consensus s'est dessiné sur deux idées essentielles. D'une part, chacun s'accorde à reconnaître que les capacités militaires de l'Union européenne n'ont pas vocation à concurrencer l'OTAN, qui reste la base de la défense collective de l'Europe. Ce qui donne au débat sur les relations entre les deux organisations un caractère plus pragmatique et moins idéologique. D'autre part, les participants ont tous insisté sur la nécessité, pour les Européens, de développer des capacités autonomes. Car, même si l'Union européenne et l'OTAN sont condamnées à coopérer en bonne intelligence, les événements des dernières années dans les Balkans, de même que le souhait manifesté aux Etats-Unis d'une réduction de l'engagement militaire américain dans la région, soulignent la pertinence de l'approche européenne actuelle. Le Ministre de la Défense suédois a d'ailleurs reconnu que la question était bien celle d'un nouvel équilibre entre l'Europe et les Etats-Unis et d'un rôle accru de l'Union européenne sur la scène mondiale. En ce domaine, l'évolution des esprits depuis à peine trois ans apparaît considérable.

Au-delà de ce débat général sur la nature et la portée de la PESD, a été abordée la question du contrôle parlementaire de cette politique au niveau européen.

Ce difficile sujet comporte deux écueils. D'une part, on ne peut se contenter d'un contrôle limité à celui des seuls Parlements nationaux, dans la mesure où c'est la capacité des différents Etats membres à agréger leurs forces qui est en cause et non les capacités de ces forces en elles-mêmes. D'autre part, il est tout aussi évident qu'une nouvelle institution internationale serait inefficace parce qu'éloignée des lieux de décision nationaux. Toutefois le vide actuel est non seulement malsain pour la démocratie mais aussi paradoxal. Jusqu'au lancement de la PESD en effet, l'organisation européenne compétente en matière de défense était l'UEO ; le traité de l'UEO prévoyait d'ailleurs une structure politique complète avec une assemblée parlementaire, qui disposait de commissions permanentes, et un conseil des ministres qui devait lui faire rapport. Le transfert des fonctions opérationnelles de l'UEO à l'Union européenne retire à l'Assemblée parlementaire de l'UEO l'essentiel de son rôle au moment même où la politique de défense européenne prend corps.

Il est nécessaire de remédier au vide et au paradoxe actuels d'autant plus rapidement que la mise en place des structures de la PESD est d'ores et déjà une réalité. Depuis le 22 janvier 2001, les trois organes permanents de la PESD (Comité politique et de sécurité, Comité militaire, Etat-major) ont acquis une existence juridique. Il importe dès lors que les Parlements nationaux accompagnent cette montée en puissance, sans attendre une initiative du Conseil de l'Union.

Concrètement, il existe trois possibilités pour le contrôle de cette politique :

- un sénat des Parlements nationaux créé par les Traités européens, qui serait la formule la plus lourde et qui obligerait à attendre la prochaine conférence intergouvernementale ;

- un organe qui réunirait des délégations des Commissions des Affaires étrangères, des Commissions de la Défense et peut-être des organes parlementaires spécialisés dans les affaires européennes de chacun des Parlements nationaux auxquels s'ajouterait une délégation de la commission compétente du Parlement européen ;

- une structure légère et informelle qui rassemblerait à intervalles réguliers des représentants des Commissions de la Défense des Parlements nationaux pour des échanges de vues.

Cette dernière formule correspond au format actuel des réunions du type de celle de Stockholm. Elle souffre toutefois d'une insuffisance qui tient à son caractère non permanent. Il paraît en effet souhaitable qu'une structure de contrôle parlementaire de la PESD ait la faculté d'intervenir et de se prononcer à tout moment, même si elle n'est pas appelée à siéger en permanence.

Le Président Paul Quilès a alors indiqué que, lors de la réunion de Stockholm, il avait souhaité élargir la question du contrôle à celle de son contenu, sans en rester au seul problème de ses modalités. A cet égard, il est clair que le contrôle budgétaire sera la première raison d'être de la structure parlementaire européenne dont la nécessité a été soulignée. Même s'il s'agit d'un domaine là encore très flou, très peu évoqué au niveau ministériel, il est d'ores et déjà clair que le financement de la PESD sera essentiellement intergouvernemental. Son contrôle doit par conséquent être interparlementaire, en liaison bien sûr avec le Parlement européen qui a son mot à dire sur les financements communs du budget du Conseil. En outre, se pose la question d'un contrôle de l'adéquation des moyens aux objectifs : il paraît évident en effet qu'un contrôle budgétaire seul n'aurait que peu de sens et qu'il doit par conséquent être rapporté aux objectifs politiques globaux de la PESD. Cette question renvoie à l'idée d'un Livre blanc ou d'un « concept stratégique » européen sur la défense et la sécurité. Manquent en effet à ce jour deux éléments à la politique de défense et de sécurité en cours d'élaboration : une analyse des moyens - matériels, humains, financiers -, qui ne se réduise pas à un catalogue de capacités et de forces, ainsi qu'une analyse des menaces et des risques.

A Stockholm, l'unanimité s'est dégagée en faveur d'un approfondissement de la réflexion sur le thème du contrôle parlementaire de la PESD. Il a été décidé de créer à cet effet, sur le modèle de la troïka, un groupe de travail associant des représentants des Commissions de la Défense des Parlements suédois, belge et français. Ce groupe de travail a été chargé de préparer la réunion qui se tiendra en juillet à Bruxelles.

Le Président Paul Quilès a par ailleurs fait mention de deux initiatives récentes relatives au contrôle parlementaire de la PESD :

- l'une consiste en un séminaire sur la dimension parlementaire de la PESD organisé à La Haye le 14 mai prochain par les Présidents des deux chambres des Etats généraux des Pays-Bas. Le Président Paul Quilès a estimé que les modalités d'organisation de ce séminaire étaient peu satisfaisantes. La réunion organisée par le Parlement néerlandais engloberait en effet l'ensemble des pays européens non membres de l'Union européenne dès lors qu'ils appartiennent à l'OTAN ou qu'ils sont candidats à l'adhésion à l'Union. Cette réunion associerait en outre non seulement le Parlement européen, ce qui paraît normal et légitime, mais aussi l'Assemblée de l'UEO, celle du Conseil de l'Europe (qui n'a pas de compétence en matière de défense), celle de l'OTAN et celle de l'OSCE. Le Président Paul Quilès a jugé que la question du contrôle parlementaire de la PESD ne pourrait pas être examinée sérieusement dans un tel format ;

- une seconde initiative émanant des Présidents des Chambres du Parlement fédéral belge soulève moins de difficultés, même si ses organisateurs la situent dans le prolongement de la précédente. Il s'agit d'une conférence sur le contrôle parlementaire de la PESD qui réunira à Bruxelles le 3 juillet prochain des représentants des différents Parlements de l'Union européenne et du Parlement européen. Cette conférence serait suivie le 4 juillet d'une réunion élargie aux Parlements des pays candidats à l'Union européenne et des pays européens de l'Alliance n'appartenant pas à l'Union. Ainsi les deux formats, l'un restreint à l'Union européenne, l'autre élargi à l'ensemble des pays européens concernés par la PESD seraient nettement distingués. Seule la réunion tenue dans le premier format serait consacrée à la formulation de propositions concrètes relatives au contrôle parlementaire de la PESD. Il semble que cette initiative pourrait s'articuler avec les réunions des représentants des Commissions parlementaires de la Défense que la Commission a commencé à organiser. Elle pourrait contribuer à l'appuyer et, peut-être, permettre de réfléchir à son institutionnalisation.

M. Robert Gaïa a souhaité que les Parlements nationaux ne laissent pas la PESD se mettre en place sans veiller à son contrôle parlementaire. Après avoir estimé nécessaire que les Parlements nationaux portent une grande attention à cette question, il a exprimé la crainte que, sans contrôle parlementaire de la PESD, leur rôle dans le domaine de la défense soit singulièrement diminué. Puis, il s'est prononcé en faveur de la proposition de création d'un organe qui rassemblerait des délégations des Commissions des Affaires étrangères, des Commissions de la Défense et peut-être des organes spécialisés dans les affaires européennes de chacun des Parlements nationaux auxquels s'ajouterait une délégation de la Commission compétente du Parlement européen.

Il a enfin souligné que la dimension parlementaire serait de nature à préserver l'originalité de la PESD par rapport à l'OTAN, dans la mesure où elle favoriserait une meilleure prise en compte de tous les aspects de la sécurité au-delà du domaine strictement militaire.

Se déclarant convaincu de la nécessité d'un contrôle de la PESD tant par le Parlement européen que par les Parlements nationaux, M. Jean-Louis Bernard s'est prononcé en faveur d'une démarche empreinte de réalisme politique et visant à trouver la solution la plus pratique et la plus facile à mettre en _uvre. Il a fait valoir qu'une structure légère et informelle rassemblant à intervalles réguliers pour des échanges de vues des représentants des Commissions de la Défense des Parlements nationaux et de la Commission compétente du Parlement européen paraissait le mieux répondre à cette exigence.

Le Président Paul Quilès a souligné qu'une structure regroupant des représentants des Commissions de la Défense des Parlements nationaux et de la Commission compétente du Parlement européen pouvait être créée sans grandes difficultés pratiques. En revanche, il s'est déclaré défavorable aux propositions visant à associer aux Parlements nationaux et au Parlement européen, les organes parlementaires d'organisations autres que l'Union européenne ou les Parlements de pays non membres de l'Union. Il a à cet égard souligné que si les pays européens candidats à l'Union ou membres de l'OTAN sans appartenir à l'Union avaient le droit d'être informés et consultés sur les questions relatives à la PESD, il ne paraissait pas possible d'envisager leur participation pleine et entière aux mécanismes de décision de cette politique ni, ultérieurement, à ses procédures de contrôle parlementaire.

M. Charles Cova a demandé si l'idée d'une structure regroupant des représentants des Commissions de la Défense des Parlements nationaux et de la Commission compétente du Parlement européen avait recueilli l'approbation de la majorité des participants à la réunion de Stockholm.

Le Président Paul Quilès a indiqué qu'un consensus s'était dégagé sur ce point entre les Présidents des Commissions de la Défense présents, le Président de la Commission de la Défense de la Deuxième Chambre néerlandaise étant absent.

Il a alors constaté l'accord de la Commission sur quatre points :

- il est souhaitable qu'un contrôle parlementaire de la PESD puisse s'exercer dans un cadre européen ;

- ce contrôle ne peut pas être exercé par le seul Parlement européen étant donné le caractère intergouvernemental de la PESD ;

- les commissions permanentes de la Défense et des Affaires étrangères des Parlements des pays membres ont vocation à participer à ce contrôle ;

- le contrôle parlementaire de la PESD ne peut être efficacement exercé que par des représentants des Parlements des Etats membres de l'Union et du Parlement européen.

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La Commission a alors procédé à l'examen de la proposition de résolution n° 2858 de M. André Aschiéri et plusieurs de ses collègues, sur le rapport de M. Robert Gaïa.

M. Robert Gaïa, rapporteur, a souligné que les médias s'étaient récemment fait l'écho, avec insistance, d'inquiétudes sur les conséquences de l'usage d'armes incorporant de l'uranium appauvri. Observant que de nombreux documents, rapports ou articles, avaient déjà révélé l'utilisation de ce type de munitions depuis plusieurs années, il a fait valoir que des interrogations plus nourries s'étaient développées essentiellement à la suite du constat d'un nombre relativement élevé de décès par leucémies et de pathologies cancérigènes chez les soldats engagés dans les Balkans depuis 1992.

Le rapporteur a rappelé que de nombreux soldats de pays européens ayant participé aux opérations de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine ou au Kosovo avaient contracté des maladies graves ou étaient décédés, mentionnant plus particulièrement les dix-huit cas suspects recensés en Italie, les quinze cas annoncés par la Belgique, ou encore les six malades déclarés par le ministère français de la Défense, la France étant le seul des trois pays où aucun décès n'était actuellement à déplorer.

Il a indiqué qu'une grande quantité de munitions comportant de l'uranium appauvri avait effectivement été employée par l'armée de l'Air américaine en Bosnie-Herzégovine. Il a évalué à 10 800 le nombre d'obus de 30 mm qui avaient été tirés aux alentours de Sarajevo en 1994 et 1995 et à près de 31 000 celui des munitions de ce type qui avaient été utilisées au Kosovo, entre Pec et Prizren, et en Serbie, lors de l'opération « Force Alliée », du 24 mars au début du mois de juin 1999.

Citant le rapport préliminaire du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), rendu public le 5 janvier dernier, M. Robert Gaïa a précisé que 112 sites bombardés par l'OTAN avec des obus à uranium appauvri avaient été répertoriés au Kosovo et présentaient, de ce fait, des risques. Il a ajouté que des traces de radioactivité avaient été constatées sur huit des onze sites de la province où des prélèvements avaient été effectués.

Le rapporteur a alors expliqué que la communauté scientifique estimait que le risque radiologique que présente l'uranium appauvri était assez faible, sa radioactivité étant inférieure à celle de l'uranium naturel. Il a également indiqué que l'hypothèse d'une contamination par contact épidermique prolongé avec ce métal se révélait improbable.

M. Robert Gaïa a fait état de suppositions relatives à l'existence d'obus en uranium appauvri fabriqués à partir d'uranium enrichi et présentant de ce fait des propriétés radioactives. Il a indiqué que des traces de plutonium et d'isotopes d'uranium 236 avaient été mises en évidence par le PNUE sur des sites bombardés par l'OTAN au Kosovo et que l'Alliance atlantique avait confirmé le 19 janvier, par la voie de son porte-parole, que les munitions à uranium appauvri contenaient ces éléments. Il a toutefois jugé que les traces observées résultaient plutôt du processus d'élaboration de l'uranium appauvri et non d'un emploi d'uranium enrichi, la teneur en isotopes radioactifs, de l'ordre de 0,0028 % d'uranium 236, se révélant presque négligeable. Il en a déduit que le risque radiologique était resté équivalent à celui que les experts s'accordent à reconnaître à l'uranium appauvri, c'est-à-dire faible.

Le rapporteur a convenu que le risque chimique de l'uranium appauvri était plus certain et plus élevé, l'uranium appauvri possédant la toxicité habituelle des métaux lourds.

Détaillant l'effet pyrophorique de ces obus, il a précisé qu'une partie de l'uranium appauvri qu'ils contenaient se trouvait disséminée sous forme de fines particules dans un rayon immédiat d'une dizaine de mètres, à moins que les conditions météorologiques n'en favorisent une plus grande dispersion. Il a alors insisté sur le danger que représentaient l'inhalation ou l'absorption prolongée de ces poussières qui peuvent ainsi pénétrer dans le sang et entraîner en particulier de sérieuses pathologies rénales.

M. Robert Gaïa a souligné que le rapprochement des données scientifiques qu'il venait d'exposer avec le constat épidémiologique effectué au sein des contingents engagés sur le théâtre des Balkans de 1992 à 1999 avait conduit M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues à déposer la proposition de résolution n° 2858, tendant à créer une commission d'enquête sur l'impact sanitaire réel des opérations en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1999 pour les militaires y ayant participé et sur les responsabilités de l'Etat en la matière.

Il a alors rappelé que la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête était soumise à deux conditions : en premier lieu, la proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ; en second lieu, les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires.

Le rapporteur a observé que l'objet de la proposition de résolution soumise à l'examen de la Commission était bien de recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés, puisqu'il s'agissait d'établir l'impact sanitaire des armes utilisées pendant les opérations en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1999 sur les militaires chargés de leur emploi. Il a précisé par ailleurs qu'aucune procédure pénale ne semblait être en cours à ce jour sur les faits ayant motivé la proposition de résolution n° 2858.

Il en a déduit que cette proposition de résolution était recevable. Néanmoins, il a exprimé des doutes sur son opportunité, d'autant moins certaine à ses yeux que la Commission avait déjà décidé d'entreprendre une investigation plus large sur le sujet, en approuvant le 10 janvier 2001 la proposition du Président Paul Quilès d'étendre à la période des opérations en ex-Yougoslavie, le champ d'investigation de la mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe, à des risques de pathologies spécifiques.

M. Robert Gaïa a alors souhaité rappeler les prérogatives, les pouvoirs et l'intérêt des missions d'information.

Il a observé que les commissions d'enquête étaient souvent supposées avoir plus de pouvoir et plus d'autorité dans leurs travaux qu'une mission d'information d'une commission permanente, notamment en raison des dispositions de l'ordonnance n° 58-1100 établissant leurs pouvoirs de convocation, l'obligation de serment des témoins et l'habilitation de leurs rapporteurs à se faire communiquer tous documents de service.

Il a néanmoins souligné que les missions d'information pouvaient être un instrument aussi efficace de contrôle et d'investigation que les commissions d'enquête. Il a en particulier relevé que les missions d'information, émanation des commissions permanentes, pouvaient s'appuyer sur les pouvoirs de convocation de celles-ci, assortis d'une peine de 50 000 francs d'amende pour toute personne refusant d'y répondre. Il s'est référé à la mise en _uvre de ces dispositions à l'encontre des représentants de l'association Avigolfe par la mission d'information sur les risques sanitaires spécifiques encourus par des militaires français au cours de la guerre du Golfe et ultérieurement dans les Balkans, pour faire ressortir la réalité de ces prérogatives.

Il a également rappelé que les pouvoirs spécifiques des commissions d'enquête ne valaient pas dans tous les domaines, l'article 6-II de l'ordonnance 58-1100 disposant en effet que les rapporteurs des commissions d'enquête sont habilités à se faire communiquer tous documents de service à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat.

M. Robert Gaïa a considéré, par contraste, qu'une mission d'information de la Commission ne pouvait que bénéficier des relations de confiance établies avec le ministère de la Défense à l'occasion des travaux des missions d'information sur les opérations menées au Rwanda de 1990 à 1994, sur le conflit du Kosovo et sur le contrôle des exportations d'armement, dont le sérieux des investigations avait été reconnu.

Il a fait valoir que la méthode mise au point pour traiter des documents ou informations classifiés s'appliquait aussi, à la satisfaction générale, à la mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques. Il a précisé par ailleurs que les documents qui avaient été transmis à cette mission d'information par le ministère de la Défense étaient nombreux et que rien ne permettait d'affirmer qu'une commission d'enquête pourrait en obtenir davantage.

Le rapporteur a ajouté que les travaux des missions d'information n'étaient pas soumis à la limitation de durée de six mois qui s'impose aux commissions d'enquête.

Il a enfin fait état de l'avancement des travaux déjà entrepris par la mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques, remarquant plus particulièrement qu'à l'initiative de cette mission, le ministère de la Défense avait dû rendre publics, le 1er février, les rapports isotopiques des obus français contenant de l'uranium appauvri. Il a également fait valoir qu'un rapport d'étape était attendu dans les semaines qui viennent. Il lui a semblé qu'opter pour la création d'une commission d'enquête reviendrait à dénier toute valeur aux efforts déployés par l'ensemble des membres de la mission d'information, ce qui ne lui paraissait pas justifié.

M. Robert Gaïa a par ailleurs soulevé plusieurs objections à l'encontre des arguments retenus dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution n° 2858.

Il a tout d'abord critiqué une conception étroite des causes possibles du syndrome, terme dont il a remarqué au passage qu'il désignait un ensemble de pathologies diverses, à l'image de celles que déclarent éprouver nombre d'anciens combattants de la guerre du Golfe, en totale contradiction avec sa signification véritable.

Observant que l'exposé des motifs visait très clairement l'utilisation de munitions à uranium appauvri, le rapporteur a rappelé qu'aucune étude épidémiologique ne mettait l'uranium appauvri au premier rang des causes des pathologies observées chez les participants aux opérations en ex-Yougoslavie. Il a conforté cet argument par le fait que les premiers résultats des analyses médicales réalisées auprès des personnels concernés n'avaient pas permis d'étayer la présomption de causalité pesant sur l'uranium appauvri.

Il a ajouté que, le 6 mars dernier, les experts de la Commission de l'article 31 du traité Euratom avaient conclu qu'il est peu probable que l'exposition des soldats engagés dans les Balkans à l'uranium appauvri puisse produire un effet sur leur santé, compte tenu des doses considérées et des délais de latence précédant l'apparition des maladies concernées. Il s'est aussi référé au rapport définitif du PNUE, publié le 13 mars, aux termes duquel les risques radiologiques et chimiques sont présentés comme négligeables.

M. Robert Gaïa en a déduit qu'il ne fallait pas cantonner les investigations, comme la proposition de résolution soumise à l'examen de la Commission y invitait, au seul uranium appauvri, les solvants ou toxiques chimiques tels que le benzène utilisé pour le nettoyage des armes étant également au nombre des pistes de réflexion à envisager. Il a alors estimé que le champ des faits donnant lieu à enquête qui avait été retenu par la Commission pour la mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques, semblait bien plus pertinent que celui que la proposition de résolution entendait attribuer à une commission d'enquête.

Enfin, le rapporteur a souligné que la mission d'information créée par la Commission avait aussi pour objectif de mettre en évidence d'éventuelles responsabilités de l'Etat et de formuler des propositions relatives aux dispositifs de soin et d'indemnisation.

Pour l'ensemble de ces raisons, il a conclu que la création d'une commission d'enquête n'était pas appropriée au sujet visé et que la poursuite des travaux de la mission d'information créée au sein de la Commission lui était préférable.

Il a alors proposé à la Commission de rejeter la proposition de résolution n° 2858.

S'exprimant au nom du groupe UDF, M. Jean-Louis Bernard a approuvé les conclusions du rapporteur, considérant qu'une commission d'enquête ferait double emploi avec les travaux de la mission d'information en cours et ceux du groupe d'experts indépendants présidé par le Professeur Roger Salamon.

M. Robert Poujade, au nom du groupe RPR, a approuvé les conclusions du rapport qu'il a jugé complet, précis et pertinent.

M. André Vauchez, au nom du groupe socialiste, a exprimé son accord avec le rapporteur.

M. Antoine Carré, au nom du groupe DL, a déclaré qu'il approuvait également les conclusions du rapporteur.

La Commission a alors rejeté à l'unanimité la proposition de résolution n° 2858.

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Information relative à la Commission

La Commission a nommé M. André Vauchez rapporteur sur la proposition de résolution n° 2865 de M. Pierre Cardo et plusieurs de ses collègues, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les procédures et le contrôle des ventes et livraisons d'armes.


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