Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission de la défense nationale et des forces armées (2000-2001)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 33

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 25 avril 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Page

- Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les exportations d'armement

2

La Commission a entendu M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les exportations d'armement.

Le Président Paul Quilès a tout d'abord souligné que l'audition du Ministre, qui intervenait après que le Gouvernement eut publié, en décembre 2000, un important rapport sur les exportations d'armement de la France en 1999, permettrait à la Commission d'approfondir son information sur l'évolution récente de ces exportations et de leur environnement juridique, européen et international.

Après s'être félicité du souci de transparence du Gouvernement dans le domaine des exportations d'armement, il a fait observer que ce souci était partagé par la Commission, comme en témoignait le rapport d'information détaillé de MM. Jean-Claude Sandrier, Christian Martin et Alain Veyret qu'elle avait publié en avril 2000. Rappelant que ce rapport, qui avait fait le point sur les modalités de contrôle et sur l'environnement juridique des exportations d'armement, avait formulé des propositions auxquelles le Ministre de la Défense avait en partie donné suite, en ce qui concerne notamment l'application du Code de conduite européen, il a souhaité connaître les autres mesures qui pourraient être prises dans cette perspective.

M. Alain Richard a d'abord exposé que le rapport du Gouvernement sur les exportations d'armement de la France en 1999 visait à inscrire dans la durée l'exercice d'information approfondie du Parlement sur les questions de transferts d'armement engagé, à partir de mars 2000, lors de la publication d'un premier document sur les exportations annuelles de matériels militaires. Il a indiqué que le Gouvernement publierait un rapport sur les exportations d'armement chaque année, précisant que dorénavant ce rapport serait également disponible en anglais, diffusé à nos partenaires de l'Union européenne dans le cadre du groupe spécialisé dénommé « Exportation d'armes conventionnelles » (COARM) et accessible au plus grand nombre sur le site Internet du ministère de la Défense.

Après avoir souligné qu'il ne verrait que des avantages à ce que l'Assemblée nationale et le Sénat organisent, chaque année, un débat sur les exportations d'armement de la France, il a fait état de la disponibilité du Gouvernement pour une discussion en séance publique sur ce thème.

Le Ministre de la Défense a ensuite rappelé que la relation d'armement s'inscrivait dans la relation internationale de défense et obéissait aux principes de la politique étrangère, dont elle constituait une composante importante, au même titre que la relation de coopération ou le dialogue stratégique. Il a précisé que, pour la France, la fourniture d'un matériel militaire à un Etat tiers revêtait une signification politique et diplomatique forte qui nécessitait, au préalable, des relations bilatérales d'excellente qualité, surtout pour les équipements les plus sophistiqués.

Il a ajouté que la politique d'exportation d'armement de la France s'inscrivait dans le cadre fixé par la Charte des Nations Unies, en particulier son article 51, qui reconnaissait le droit de légitime défense de tout Etat. Il a fait valoir que la France considérait que les transferts d'armement qu'elle décidait d'autoriser vers ses partenaires participaient de ce droit fondamental, dans le strict respect des conventions internationales relatives à la lutte contre la prolifération, des embargos de l'ONU et de l'Union européenne et en considération de la situation économique et politique des pays acheteurs ainsi que des grands équilibres géostratégiques. Il a enfin indiqué que cette politique de transfert d'armement s'inscrivait résolument dans le cadre de l'Union européenne et en particulier de son Code de conduite de juin 1998.

Le Ministre a ajouté que le rapport annuel du Gouvernement donnerait aussi l'occasion pour la première fois de rendre publics tous les textes restrictifs qui s'appliquent aux exportations d'armement de la France. Après avoir relevé que ces textes évoluaient, tout comme les embargos, il a précisé que le détail des nouvelles mesures restrictives serait joint chaque année en annexe, ainsi que la liste des Etats visés et des mesures adoptées. Il a ajouté que, dans la même logique, le ministère de la Défense éditerait, avant l'été, un premier répertoire complet et commenté de ces restrictions. Puis il a indiqué que ce répertoire préciserait les règles d'adoption et de levée des embargos, les textes internationaux à portée générale applicables, ainsi que, pour chaque pays concerné, les résolutions restrictives adoptées par les Nations Unies, l'Union européenne, l'OSCE ou les organisations régionales auxquelles la France apporte son soutien, citant à ce propos le moratoire sur les armes légères et de petit calibre de la CEDEAO.

Le Ministre de la Défense a alors souligné que l'importance politique des transferts d'armement justifiait la volonté de transparence du Gouvernement et une information du Parlement aussi complète que possible. Précisant que des efforts importants en ce sens avaient été réalisés depuis plusieurs années par le gouvernement de M. Lionel Jospin, il a indiqué que le rapport sur les exportations d'armement visait à apporter à chacun les éléments nécessaires à son jugement dans un domaine resté jusqu'à une date récente relativement mal connu.

Il a indiqué que ce rapport avait d'abord donné lieu à un travail de reconstitution statistique afin de permettre à tous de disposer d'une vision détaillée des évolutions de la politique d'exportation d'armement de la France pendant la décennie quatre-vingt-dix. Par le passé, la France ne rendait publics que les chiffres globaux de commandes et livraisons, par zones géographiques et par type de matériel. Un travail rétrospectif d'amélioration de la finesse des données a été mené afin de permettre des comparaisons économiquement significatives. Ces séries statistiques permettront de nouveaux débats de qualité, notamment avec les économistes. Le Ministre a précisé qu'à cette fin, la Direction des relations internationales de la DGA organiserait, à l'automne, un séminaire de recherche sur les effets macro-économiques des exportations françaises d'armement, qui sera notamment ouvert aux économistes de défense, aux organisations non gouvernementales et aux entreprises.

M. Alain Richard a ensuite présenté les enseignements majeurs qui pouvaient d'ores et déjà être tirés des données disponibles. Le niveau annuel moyen des commandes reçues par la France pendant la décennie quatre-vingt-dix est de 37 milliards de francs constants 1999, soit environ 12 à 15 % du marché mondial de l'armement. Il a observé que cette valeur moyenne était en baisse par rapport à celle du début des années 1980, les effets conjugués du second choc pétrolier et de la crise de la dette ayant notamment fait disparaître durablement du marché de l'armement de nombreux Etats acheteurs.

Il a indiqué que la répartition géographique des ventes françaises n'était pas significativement différente de celle des autres exportateurs principaux ni de celle du total des livraisons mondiales, même si, en raison d'une forte implantation des Etats-Unis en Europe et en Asie, ces deux régions étaient légèrement sous-représentées au profit du Moyen-Orient. Les cinq Etats qui ont le plus acheté à la France, entre 1991 et 1999 sont, en montants de commandes annuelles exprimés en francs constants 1999, les Emirats Arabes Unis avec plus de 7 milliards de francs, l'Arabie Saoudite avec environ 6 milliards de francs, le Qatar, le Pakistan et le Royaume-Uni avec environ 1 milliard de francs chacun.

Ajoutant que le rapport du Gouvernement comportait le détail des prises de commandes des Etats membres de l'ONU et des livraisons qui leur étaient destinées, il a souligné la précision des données, issues des copies des marchés fournies par les industriels. Il a aussi précisé que ces données ne couvraient pas exclusivement des matériels de guerre au sens strict mais qu'elles englobaient tous les matériels qui nécessitent une autorisation de la Commission interministérielle pour les études des exportations de matériels de guerre (CIEEMG).

Soulignant que les tableaux des commandes et des livraisons représentaient un élément précieux d'évaluation de la politique d'exportation d'armement, dès lors qu'ils étaient exhaustifs, il a indiqué qu'il avait souhaité, pour cette raison, qu'ils soient complétés par des informations très détaillées sur les cessions, onéreuses et gratuites, de matériels utilisés par les Armées. Il a rappelé à ce propos que ces cessions d'équipement étaient intégralement soumises par le ministère de la Défense à un accord interministériel dans le cadre de la CIEEMG, préalablement à toute livraison. Il a ensuite indiqué que, dans l'esprit de transparence inspirant le rapport et pour faire droit à une demande ancienne des ONG, il avait tenu à ce que soit rendu public le volume financier des cessions d'armes légères et de petit calibre puis il a annoncé qu'il ferait détailler, à partir du prochain rapport, le nombre d'armes de ce type livrées par la France de façon à ce que l'impact régional de ces livraisons puisse être mieux analysé par les observateurs extérieurs. Il a également indiqué que le ministère de la Défense et le ministère des Affaires étrangères allaient éditer, avant la Conférence internationale de juillet prochain sur les armes légères et de petit calibre, une brochure précisant les positions françaises en ce domaine. Cette brochure comprendra notamment un relevé des cessions gratuites et onéreuses d'armes légères et de petit calibre réalisées par la France entre 1997 et 2001 ainsi que des informations précises sur les opérations françaises de destruction les concernant.

Le Ministre a ensuite évoqué les procédures de contrôle et d'exportation et leurs modifications récentes. Après avoir rappelé que, comme l'avait souligné le rapport d'information de MM. Jean-Claude Sandrier, Christian Martin et Alain Veyret, le régime juridique applicable depuis 1939 aux exportations de matériels de guerre était la prohibition, il a exposé que les ventes effectuées par exception à ce principe faisaient l'objet d'un contrôle en trois phases successives. Avant l'exportation, les industriels doivent solliciter l'accord du Gouvernement pour négocier, puis pour signer un contrat. La décision est prise au niveau des services du Premier ministre. Le Secrétaire général de la Défense nationale dispose à cette fin d'une délégation du Premier ministre et s'appuie sur l'avis de la CIEEMG. L'exportation physique des matériels après fabrication est enfin soumise à une autorisation d'exportation de matériel de guerre (AEMG) délivrée par le Ministre chargé des douanes.

Après avoir souligné que les choix du Gouvernement en matière d'exportation d'armement relevaient de la souveraineté nationale, le Ministre a précisé que l'appréciation portée dans chaque cas était fonction de trois critères : le respect des engagements internationaux souscrits par la France, et en particulier du Code de conduite européen, le risque militaire potentiel que pouvaient représenter les livraisons en cause, au regard notamment de la remise en cause de la stabilité des équilibres régionaux, enfin l'éventualité d'une utilisation des équipements à des fins de répression interne ou d'un détournement par réexportation vers des pays tiers. M. Alain Richard a rappelé que ces règles avaient été détaillées dès le premier rapport du Gouvernement, relatif aux livraisons de 1998. Puis il a indiqué que le ministère de la Défense préparait l'édition d'un guide pour la mise en _uvre du Code de conduite et notamment de ses articles 2, 6 et 8 relatifs respectivement à la situation des droits de l'homme dans le pays de destination finale, au comportement du pays acheteur au regard du droit international et à la compatibilité des acquisitions d'armement avec la capacité technique et économique du pays destinataire. L'objectif poursuivi est de rendre publics des ensembles de données croisées aussi fiables que possible pour l'application des critères d'autorisation des exportations.

M. Alain Richard a alors évoqué l'adaptation récente de la responsabilité de la mise en _uvre de la procédure de contrôle. Cette adaptation vise à renforcer, au sein du ministère de la Défense, la séparation entre les fonctions de promotion et de contrôle des exportations d'armement. Ainsi, un décret du 25 août 2000 a confié la responsabilité du contrôle des exportations d'armement à la Délégation aux affaires stratégiques (DAS), qui participe aux négociations relatives aux engagements internationaux dans ce domaine. Pour sa part, la Direction des relations internationales de la DGA, auparavant également chargée de la tâche de contrôle, continue à assurer la mission de soutien aux exportations et anime la relation d'armement avec les partenaires de la France dans le cadre de rencontres de haut niveau, de comités bilatéraux, d'actions de formation des cadres et ingénieurs, de programmes conjoints de recherche-développement ou d'échanges techniques. Le Ministre a, à ce propos, mis en exergue l'importance de son action à tous les stades, depuis celui du contact initial jusqu'au partenariat dans la possession des équipements.

Le Ministre a ajouté qu'à cette amélioration de la mise en _uvre du contrôle s'ajoutait une modification mineure de la procédure. Il a en effet été décidé de ne plus soumettre les opérations limitées à la prospection, sans diffusion d'informations sensibles, à l'exigence d'un agrément préalable en CIEEMG, de façon à rapprocher les procédures françaises de celles en vigueur chez nos principaux partenaires européens, sans affaiblir pour autant la rigueur des procédures de contrôle.

Le Ministre a alors exposé qu'au cours de l'année 1999, les relations d'armement avaient été entretenues et développées avec de nombreux partenaires, notamment dans les régions d'Asie et Océanie, ainsi que d'Europe orientale. Des investissements industriels français significatifs dans le domaine de l'armement en Australie, au Brésil ou encore en Corée du Sud ont permis de renforcer cette large ouverture internationale. Quelques « grands contrats » ont été signés avec de nouveaux partenaires comme l'Afrique du Sud.

M. Alain Richard a ensuite souligné que le respect par la France de ses engagements internationaux pouvait la conduire à refuser les exportations de toute forme d'armement vers certains pays. Une transparence accrue était également nécessaire en ce domaine. A cet effet, le rapport du Gouvernement présente les refus et ajournements d'exportation de matériels au stade de la vente, fait état de la contribution française à la mise en _uvre du Code de conduite européen et rappelle la liste des Etats visés par des résolutions, notamment d'embargo, adoptées par l'ONU ou l'Union Européenne pour les exclure à un titre ou à un autre des acquisitions de matériel militaire : 18 Etats sont ainsi concernés par des décisions d'embargo et 13 font l'objet de mesures restrictives.

Le Ministre a alors souligné qu'il était indispensable d'aller également vers un meilleur contrôle des opérations de courtage. Rappelant que la diffusion incontrôlée des petites armes dans les zones de conflits internes ou frontaliers avait incité la communauté internationale à se pencher plus particulièrement sur l'action des courtiers en armement, il a indiqué qu'à l'initiative du Premier ministre, une réflexion nationale avait été engagée pour que la France se donne, dès à présent, les moyens de mieux contrôler l'activité des intermédiaires sur son territoire. En effet, si en tant que commerçant, le courtier est soumis à autorisation pour l'exercice de son activité, les opérations de courtage en elles-mêmes, lorsqu'elles ne donnent pas lieu à un mouvement physique d'exportation de matériels à partir du territoire national, échappent au contrôle de l'administration en l'état actuel du droit. Les travaux interministériels entrepris ont par conséquent eu pour objet de remédier à ces insuffisances en définissant les dispositions nécessaires pour pouvoir contrôler et éventuellement, interdire ou sanctionner les opérations de courtage.

M. Alain Richard a indiqué que les mesures envisagées portaient en premier lieu sur le renforcement du contrôle a posteriori : le Gouvernement a préparé les modifications de textes de niveau réglementaire, qui permettraient de faciliter l'identification des courtiers et le contrôle a posteriori des opérations de courtage et d'intermédiation. Le ministère de la Défense a ainsi rédigé un projet de décret en Conseil d'Etat, modifiant le décret du 6 mai 1995 de manière à y introduire une définition explicite de l'activité d'intermédiation, à prévoir que la demande d'autorisation d'exercer le commerce d'armement précisera l'activité exercée et à créer un registre de suivi des opérations spécifiques aux courtiers. De même, a été préparé un projet d'arrêté modifiant en conséquence les formulaires de demande d'autorisation et détaillant les rubriques du registre spécial des opérations que devront tenir les courtiers.

Un deuxième ensemble de mesures pourrait instituer un mécanisme de contrôle a priori, qui permettrait à l'administration d'interdire une opération de courtage ou de soumettre sa réalisation à des conditions particulières. Le Ministère prépare à cet effet un projet de loi sur le contrôle préventif des opérations d'intermédiation et de courtage. Ce texte définira des régimes d'autorisation préalable, de déclaration et de sanctions pénales. Le Gouvernement envisage dans ce cadre un régime de sanctions pénales applicables en cas de violation des embargos.

Le Ministre a précisé que ces règles en cours de validation devraient donner à l'administration les moyens de contrôler une activité d'intermédiation jusqu'à présent mal cernée sans entraver le commerce licite ni gêner l'action des intermédiaires respectant les dispositions légales.

Enfin, le Ministre a indiqué que le Gouvernement entendait poursuivre sa lutte contre le recours en diverses régions du monde aux mercenaires dans des conflits armés ou des situations troublées, soulignant que ce phénomène aggravait la violence, déstabilisait les Etats et entraînait des atteintes aux droits de l'homme, en favorisant notamment des trafics d'armement. Il a jugé qu'il convenait non seulement de prévenir et mais aussi de réprimer toute implication de ressortissants français dans ces pratiques, bien que les moyens légaux pour les combattre efficacement soient actuellement lacunaires dans le droit français. Il a alors précisé qu'une concertation interministérielle conduite par le ministère de la Défense venait de parvenir à un projet de texte législatif permettant la répression pénale du mercenariat, défini conformément au protocole I du 8 juillet 1977 additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949, auquel la France vient d'adhérer. Le dispositif envisagé comporte une définition claire de l'activité de mercenariat, prévoit des sanctions pénales dissuasives et couvre un champ d'application large englobant les actes commis à l'occasion d'un conflit armé comme d'une situation intérieure troublée.

M. Alain Richard a enfin souligné que le rapport du Gouvernement au Parlement sur les exportations françaises d'armement, dont la publication se poursuivrait à un rythme annuel, représentait une contribution politique d'importance à l'information et au débat sur le système de contrôle et de promotion établi par la France. Indiquant que le prochain rapport, en cours d'élaboration, serait remis au Parlement au début du second semestre 2001, il a précisé qu'il analyserait les statistiques de vente sur l'année civile écoulée et qu'il présenterait les évolutions réglementaires intervenues de l'automne 2000 à l'automne 2001.

Faisant valoir que le Gouvernement avait atteint en deux ans ses premiers objectifs de transparence, il a convenu que des progrès restaient possibles, comme la publication du nombre des armes légères et de petit calibre livrées.

Enfin, estimant qu'il fallait faciliter l'analyse à l'échelle européenne des rapports des gouvernements sur les exportations d'armement, il a considéré que leur harmonisation sur la forme et sur le fond représentait une priorité, en particulier dans le cas des principaux pays exportateurs. Après avoir indiqué qu'il proposerait cette action à ses collègues de l'Union européenne, il a estimé qu'un travail analogue serait à entreprendre avec les Etats-Unis.

Le Président Paul Quilès s'est félicité de l'effort de transparence accompli par le ministère de la Défense dans un domaine aussi complexe que celui des exportations d'armement, faisant valoir que la France comblait ainsi son retard par rapport à certains de ses partenaires, européens notamment. Il a néanmoins exprimé le v_u que le rapport présenté au Parlement expose la doctrine retenue par le Gouvernement français dans sa politique d'exportation d'armement, soulignant en particulier l'intérêt pédagogique de cette présentation. Il s'est également interrogé sur la convergence des pratiques suivies par les pays de l'Union européenne dans leur application des critères définis en commun dans le cadre de l'accord dit de la L.o.I. ou du Code de conduite européen, en particulier en ce qui concerne l'exigence de respect des droits de l'homme par les pays importateurs d'armes. Il a enfin demandé si un mécanisme, de nature confidentielle, pouvait être établi pour permettre au Parlement d'avoir connaissance des pays auxquels des exportations d'armement auraient été refusées.

M. Jean-Claude Sandrier a salué la qualité du rapport présenté par le Ministre de la Défense, relevant avec satisfaction la prise en considération d'un certain nombre de remarques et propositions de la mission d'information qu'il avait conduite sur le contrôle des exportations d'armement avec MM. Christian Martin et Alain Veyret. Il a également jugé que la teneur du rapport était conforme à l'engagement de transparence pris par le Gouvernement.

Il s'est alors félicité que le rapport rende compte de l'application du Code de conduite de l'Union européenne et traite des exportations d'armes de petit calibre et de matériels de police et de sécurité. Il a remarqué que la liste des embargos et des mesures restrictives internationales s'imposant à la France y était publiée, de même que celle des pays bénéficiant de cessions onéreuses ou gratuites. Il s'est également félicité de l'annonce des projets de texte législatif relatifs au contrôle du courtage et à la lutte contre le mercenariat, exprimant le v_u qu'ils soient prochainement examinés par le Parlement.

Il n'en a pas moins mis en exergue quelques interrogations demeurées en suspens. A cet égard, il a souhaité que le rapport du Gouvernement mentionne à l'avenir les pays ayant fait l'objet de refus d'exportation et présente les catégories d'armement vendues selon les pays clients, en indiquant pour chacun les considérations politiques et stratégiques ayant motivé la décision.

Il a par ailleurs demandé que, conformément aux conclusions de la mission d'information à laquelle il avait participé au sein de la Commission, le décret-loi du 18 avril 1939, dont de nombreuses dispositions étaient manifestement dépassées, soit mis à jour de manière à renforcer la crédibilité du cadre juridique des exportations d'armement.

Observant que le rapport du Gouvernement abordait la question de l'intérêt économique et de la rentabilité des exportations d'armement et qu'il annonçait des études en ce domaine, il a souhaité savoir si ces études avaient débuté et à quelle échéance elles seraient rendues publiques. Il s'est également enquis de l'appréciation portée par le Gouvernement sur la proposition de création d'un observatoire économique sur les exportations d'armement, formulée par la mission d'information de la Commission à laquelle il avait participé.

Evoquant une autre proposition de la mission d'information, tendant à la création d'une commission consultative réunissant, sous la présidence du Secrétaire général de la Défense nationale, les divers acteurs intervenant dans le domaine des exportations d'armement, il a souligné que ce forum de réflexion et d'information pourrait fournir un cadre approprié pour un examen du rapport du Gouvernement, préalablement à un débat à l'Assemblée nationale, au sein des Commissions des Affaires étrangères et de la Défense et en séance publique. Il a considéré que l'échéance du second semestre de l'année 2001, annoncée par le Ministre pour la présentation du rapport du Gouvernement sur les exportations d'armement de l'année 2000, pourrait être retenue pour ce débat.

Enfin, il a estimé que le Code de conduite adopté par les pays de l'Union européenne devait être étendu au niveau international. Il a à ce propos demandé la tenue d'une conférence internationale destinée à établir des critères universels en matière de ventes d'armements.

M. Jean-Yves Le Drian a demandé quelles initiatives le Gouvernement était en mesure de prendre au niveau européen en matière de contrôle du courtage et de l'intermédiation dans le secteur de l'armement. Il s'est également interrogé sur l'agressivité commerciale des producteurs d'armements américains sur les marchés traditionnellement disponibles pour les industriels français.

Félicitant au nom du Groupe RPR le Ministre de la Défense pour la qualité du rapport présenté au Parlement, M. Pierre Lellouche a estimé que la France donnait l'exemple en matière de contrôle des exportations d'armement. Il a néanmoins suggéré que le rapport établisse à l'avenir une comparaison internationale du volume, des lieux de destination et des caractéristiques des ventes d'armes françaises par rapport à celles des autres grands pays exportateurs. Il a également souhaité davantage de précisions quant à la nature des armes vendues, constatant que des instituts tels que l'IISS ou le SIPRI publient le détail des matériels pris en compte dans les agrégats présentés dans le rapport du Gouvernement. Il s'est enfin interrogé sur la pertinence de la notion d'exportation d'armement, observant que l'apparition de sociétés européennes intégrées telles que EADS conduisait à la vente de matériels dont une partie seulement était produite en France.

Il a alors souhaité savoir quelles initiatives le Gouvernement entendait prendre concernant l'amélioration du registre mondial des ventes d'armes et l'élaboration d'un Code de conduite des pays exportateurs d'armement à l'échelle internationale. Il a également demandé au Ministre quelle analyse il faisait de l'entrée en vigueur de la convention relative à la lutte contre la corruption adoptée par les Etats membres de l'OCDE, estimant que ce dispositif répondait davantage aux intérêts des industriels américains, qui disposaient des moyens d'en contourner l'application, qu'à ceux des industriels européens.

Il s'est ensuite interrogé sur les bases juridiques permettant de contrôler les activités de courtiers installés en France dès lors qu'elles concernent des ventes d'armes étrangères à des pays tiers. Puis, se référant aux accusations portées dans l'affaire de la vente de frégates à Taïwan, il a soulevé la question des commissions versées à l'occasion de contrats d'exportation d'armement dont il a souligné qu'elles pouvaient porter sur des sommes considérables et demandé quels dispositifs étaient susceptibles d'empêcher ces pratiques.

M. Jacques Myard, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, a demandé si le Gouvernement continuait de contrôler les ventes d'armes par le biais d'accords bilatéraux conclus avec les Etats clients. Tout en approuvant son principe, il s'est interrogé sur les effets commerciaux éventuels de l'adoption par les Etats de l'Union européenne d'un code de conduite en matière de ventes d'armes, certains Etats concurrents restant moins scrupuleux en ce domaine.

M. André Vauchez s'est interrogé sur la possibilité de retracer l'activité des sociétés de courtage dans le rapport du Gouvernement. Il a ensuite souhaité des précisions sur le dispositif législatif de contrôle du courtage en armements envisagé, tout en s'interrogeant sur les interférences que pouvait produire l'évocation du rôle des sociétés pratiquant cette activité dans un débat marqué par les efforts de transparence du Gouvernement.

Evoquant la question de la destruction des stocks d'armes anciennes, M. Aloyse Warhouver a souhaité savoir si le Gouvernement entendait instaurer également plus de transparence en ce domaine. Il a par ailleurs interrogé le Ministre sur la publicité qu'il entendait donner à son rapport sur les exportations d'armement, notamment auprès des ONG.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense, a apporté les éléments de réponse suivants :

- il ne serait pas inutile de rappeler la doctrine globale du Gouvernement en matière d'exportations d'armement dans les prochains rapports remis au Parlement. Cette doctrine relève d'une problématique de responsabilité politique. La France est un pays qui se défend et qui, dans le cadre de sa politique de défense, établit des partenariats fondés sur des relations de confiance et de solidarité qui n'excluent pas des ventes d'armements. Les ventes d'armes ne sauraient être entachées de suspicion dès lors qu'elles s'effectuent en pleine conformité avec les règles en vigueur. Il ne peut y avoir de présomption de culpabilité des personnes participant de manière régulière aux opérations d'exportation d'armement ;

- les pays de l'Union européenne connaissent des situations différentes en matière d'armement, dans la mesure où dix d'entre eux n'exportent que peu de matériels militaires et importent la grande majorité de leurs équipements des Etats-Unis. Il n'est dès lors pas aisé de parvenir à la définition de normes communes en matière d'exportation d'armement et d'assurer leur interprétation uniforme ;

- le rapport du Gouvernement mentionne les pays soumis à embargo ou à des mesures restrictives. La question de la publicité des décisions de refus d'exportation dépasse la compétence du seul ministère de la Défense et concerne le Gouvernement dans son ensemble ;

- la France entretient des relations honorables avec les Etats acheteurs dont elle comprend les préoccupations de sécurité. Elle considère donc comme légitimes certaines demandes de clauses contractuelles de confidentialité, qu'elle pourrait elle-même faire valoir auprès des pays auxquels elle achèterait des armes. Il est, dans ces conditions, difficile de publier une description précise des matériels exportés par la France. Les autorisations données par la CIEEMG sont par ailleurs assorties de clauses précisant notamment les conditions d'emploi des matériels vendus ou de modification éventuelle de leurs spécifications. Un contrôle particulièrement strict est par ailleurs exercé sur les conditions de réexportation de ces matériels ;

- l'actualisation nécessaire du décret-loi de 1939 devra faire l'objet d'un projet de loi dont la préparation sera, si possible, engagée avant la fin de la présente législature ;

- les études relatives à l'impact économique des ventes d'armes présentent un grand intérêt, notamment pour l'approfondissement du débat public à leur sujet. Il convient toutefois de ne pas oublier qu'elles défendent une thèse, elle-même susceptible de discussion ;

- on peut par ailleurs s'interroger sur l'apport d'une commission consultative dans un régime de démocratie représentative qui offre aux ONG comme aux industriels les plus larges possibilités d'expression. L'Exécutif, comme le Parlement, doit par ailleurs conserver une position spécifique qui tient à la nature de ses missions et à la responsabilité qui lui incombe de définir une politique. Il ne peut donc être assimilé aux différents intervenants privés dans le débat par ailleurs légitime sur les ventes d'armes. Un débat au Parlement sur les exportations d'armement, y compris en séance publique, est en revanche envisageable, si telle était la volonté de l'une ou de l'autre des assemblées ;

- s'agissant de l'extension du Code de conduite européen aux autres pays exportateurs, il paraît peu réaliste d'attendre une évolution rapide de certains d'entre eux, qui figurent pourtant parmi les producteurs capables d'offrir la plus large gamme d'équipements. On peut à ce propos observer que les ventes des entreprises russes d'armement conditionnent le maintien même de leurs capacités et de leurs compétences dans des domaines de haute technologie ;

- l'élargissement de l'Union européenne aura en tout état de cause pour conséquence de placer les activités d'exportation d'armement des pays candidats sous le régime du Code de conduite ;

- l'offensive commerciale américaine en matière d'exportation de matériels militaires remonte à la seconde moitié de la décennie quatre-vingt-dix. Cette tendance s'est depuis lors confirmée, bien que les Etats-Unis comptent parmi les pays les plus exigeants en termes de sécurité et de rétention de savoir-faire de haute technologie. Leur « liste blanche » sur laquelle figurent les pays considérés comme de possibles acheteurs de la quasi totalité de leurs produits reste à ce jour la plus restrictive. Pour cette raison, les Etats-Unis ont concentré leur offensive commerciale sur les acheteurs les plus solvables sans chercher systématiquement à en accroître le nombre ;

- il n'apparaît pas possible de faire figurer dans un document du Gouvernement d'autres données que celles émanant d'autorités publiques. Il est, dans ces conditions, difficile d'établir des données comparatives entre les ventes d'armes françaises et celles des principaux autres pays, étant donné le défaut d'harmonisation internationale des données statistiques et la faiblesse des mesures de transparence en matière d'exportations d'armement ;

- la convention de l'OCDE relative à la lutte contre la corruption, qui ne concerne pas exclusivement le commerce international des matériels militaires, n'est pas contestable dans son principe et sa visée. En matière d'exportations d'armement, les atouts dont dispose la France résident d'une part, dans la compétitivité de ses produits et d'autre part, dans une pratique inspirant la confiance à ses partenaires commerciaux dans la durée. Enfin, l'accord dit de la L.o.I. maintient la compétence de l'autorité administrative de contrôle du lieu de production physique du matériel, même si pour des sociétés désormais transnationales, ce critère peut parfois s'avérer difficile à appliquer ;

- l'unification européenne des procédures d'exportation d'armement peut avoir des conséquences sur la relation de confiance qui accompagne la fourniture d'équipements militaires. Des pays acheteurs peuvent se préoccuper de la nécessité d'obtenir à l'avenir l'accord d'autres pays signataires de l'accord de la L.o.I. pour des livraisons de pièces détachées d'équipements achetés aujourd'hui avec le seul accord de la France ;

- l'application de la future législation française sur le courtage au-delà du territoire français sera difficile à envisager sans une convention internationale ;

- le dispositif pénal français, surtout depuis l'entrée en vigueur de la loi transcrivant les dispositions de la nouvelle convention de l'OCDE, rend punissables les actes de corruption active de fonctionnaires étrangers ;

- toutes les activités de courtage ne doivent pas être considérées comme suspectes. Les industriels n'entretiennent pas de dispositifs commerciaux permanents dans l'ensemble des pays susceptibles de leur acheter leurs produits. Les courtiers remplissent alors ce rôle pour leur compte. Il est vrai, en revanche, que des activités de ventes d'armes suspectes sont plus facilement installées dans certaines zones où le contrôle des activités financières est également très faible. C'est l'action globale d'amélioration de la législation pénale dans ces pays, le cas échéant sous la pression internationale, qui pourra y remédier. Il s'agit d'une _uvre de longue haleine ;

- les activités des sociétés de courtage n'ont pas pu être décrites dans le rapport du Gouvernement qui se fonde sur la législation actuelle sur les cessions physiques de matériels ;

- les stocks d'armes anciennes relèvent pour une grande partie de la responsabilité du Ministre de l'Intérieur. La destruction physique de ces armes peut constituer une gêne importante pour les populations riveraines mais dans chaque cas le Gouvernement prend les précautions nécessaires, notamment pour la protection de l'environnement.

Le Président Paul Quilès, observant que le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 ne figurait pas parmi les textes dont l'inscription à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale était prévue avant la fin de la session, a demandé si son examen était envisageable à l'automne. Il s'est alors interrogé sur l'opportunité de soumettre au Parlement un texte de transition permettant d'aborder dans de meilleures conditions les questions d'équipement militaire, en tenant compte des progrès en cours de l'Europe de la Défense.

M. Alain Richard a indiqué que la question de la présentation au Parlement du projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 faisait actuellement l'objet de délibérations au sein du pouvoir exécutif. Soulignant que le ministère de la Défense avait à ce jour accompli un travail important de préparation, il a précisé que le projet était désormais examiné à un niveau interministériel. Faisant valoir que le Gouvernement était favorable à la notion de programmation militaire, il a insisté sur la prise en considération du contexte européen. Il a enfin indiqué que le débat interne à l'exécutif actuellement en cours devrait permettre de fixer prochainement les échéances pour l'examen du projet de loi par le Parlement.

* *


© Assemblée nationale