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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 11 septembre 2001
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de MM. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères, et Alain Richard, Ministre de la Défense, sur la crise macédonienne


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La Commission a entendu MM. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères, et Alain Richard, Ministre de la Défense, sur la crise macédonienne.

Le Président Paul Quilès a tout d'abord remercié les ministres d'être venus devant la Commission pour lui décrire l'évolution de la crise macédonienne et les moyens mis en _uvre par la Communauté internationale et tout particulièrement par la France pour la résoudre.

Il a rappelé que, pour leur part militaire, ces moyens consistaient en une force de l'OTAN : la « Task Force Harvest », à laquelle la France contribue avec un dispositif de 550 personnes.

Il a indiqué que, dans une lettre du 22 août dernier qu'il avait communiquée aux membres de la Commission, les ministres l'avaient informé des circonstances qui ont conduit au déclenchement de cette opération, des conditions dont elle est entourée et des modalités de son déroulement.

Il a alors souligné que, comme les ministres l'avaient rappelé dans leur lettre, deux processus parallèles étaient engagés pour résoudre la crise, l'un de réforme politique des institutions macédoniennes en application de l'accord cadre du 13 août dernier, l'autre de désarmement et de démobilisation de la guérilla albanaise par la remise volontaire de ses armes à la force internationale déployée dans le cadre de l'OTAN.

Comme les ministres l'ont également fait ressortir, ces processus, destinés à se poursuivre jusqu'à la fin du mois, constituent une phase extrêmement délicate dans l'évolution de la crise macédonienne. Cette phase comporte des risques pour les forces françaises que la Commission se doit de connaître et d'examiner.

Après avoir souligné l'importance pour la paix en Europe de l'opération militaire en cours en Macédoine, le Président Paul Quilès s'est félicité de la venue des ministres dont il a estimé qu'elle répondait au souhait, souvent exprimé par la Commission, d'un renforcement du contrôle parlementaire des opérations extérieures.

Il a alors évoqué la question de l'engagement militaire de l'Europe au-delà de la mission de l'OTAN, dont la durée a été limitée par le Conseil atlantique à 30 jours.

Il a interrogé les ministres sur la façon dont l'Europe pourrait éviter un vide sécuritaire au moment du retrait de l'OTAN. L'option qui, selon le compte rendu de la présidence belge, a été considérée avec le plus d'attention par les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne lors de leur dernière réunion informelle serait de déployer une force à partir des éléments déjà présents sur le terrain, avec l'association d'autres pays et en particulier de la Russie, dans le cadre d'un mandat de l'ONU, de manière à répondre à certaines préoccupations du gouvernement de Skopje. Quatre problèmes de nature sécuritaire se poseront en effet à l'issue des processus en cours : la protection des observateurs civils de l'Union européenne et de l'OSCE, la garantie d'un rétablissement sans violence de l'autorité légale du gouvernement macédonien dans les zones actuellement tenues par la guérilla, le découragement d'éventuelles provocations et la lutte contre les trafics d'armes, notamment grâce à une surveillance accrue des frontières, au-delà des efforts actuellement consentis, en particulier dans le cadre de l'opération « Aigle » de la KFOR.

Le Président Paul Quilès a alors interrogé les ministres sur la façon dont ils envisageaient le prolongement des processus en cours au-delà de la fin du mois de septembre. Il leur a demandé en particulier s'ils considéraient qu'il était trop tôt pour l'Union européenne d'intervenir militairement en tant que telle dans le cadre de la politique commune de sécurité et de défense, quelques semaines seulement avant la déclaration qui doit consacrer officiellement son caractère opérationnel. Il a, à ce propos, rappelé que les pays de l'Union européenne fournissaient l'essentiel des forces mises en _uvre dans le cadre de la « Task Force » de l'OTAN puis évoqué la proposition de déploiement en Macédoine d'une force limitée de l'Union européenne formulée par M. François Léotard, représentant de l'Union européenne à Skopje.

M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères, a souhaité, en premier lieu, situer dans son contexte général la situation que connaissait la Macédoine, indiquant que M. Alain Richard, ministre de la Défense, fournirait à la Commission les éléments d'information à caractère militaire.

Il a d'abord rappelé que l'Union européenne était engagée dans les Balkans depuis de nombreuses années et que, si elle n'y intervenait pas seule, elle y jouait un rôle majeur.

Puis il a souligné que l'Union était, depuis plusieurs années, confrontée à un choix essentiel, soit considérer les problèmes balkaniques comme insolubles et s'abstenir d'agir, soit _uvrer afin que les pays du Sud-Est européen connaissent une situation politique de stabilité et de règlement pacifique des différends semblable à celle du reste du continent, avec les mêmes valeurs et les mêmes principes démocratiques.

M. Hubert Védrine a fait valoir que l'engagement de l'Union européenne dans la région ne présentait pas un caractère conjoncturel ou saisonnier et qu'il mettait en jeu la crédibilité de son action extérieure. Il a également rappelé que l'action de l'Union dans les Balkans s'inscrivait dans des cadres plus larges tels que notamment le Pacte de stabilité ou la conférence de Zagreb et qu'elle s'appuyait sur un réel partenariat avec les Etats-Unis et la Russie à travers le Groupe de contact.

Puis, il a insisté sur les risques de la situation en Macédoine où, par un effet de contagion, toute dégradation pouvait notamment mettre en cause les équilibres relatifs du Kosovo et relancer un mouvement vers l'indépendance au Monténégro. Il a souhaité que les processus engagés dans les domaines politique, de sécurité mais aussi économique permettent aux deux principales communautés de Macédoine de recommencer à vivre ensemble.

Il a rendu hommage au travail accompli par MM. Javier Solana, Haut Représentant, Secrétaire général du Conseil et François Léotard au nom de l'Union européenne et par M. Pardew au nom des Etats-Unis pour convaincre les responsables politiques macédoniens de signer l'accord cadre de règlement politique de la crise, soulignant la force de l'antagonisme entre les deux principales communautés, ainsi que la méfiance et la suspicion qu'elles éprouvaient l'une à l'égard de l'autre. Il a ensuite indiqué qu'il avait été nécessaire d'exercer une forte pression sur les représentants de ces communautés tout au long du processus qui a abouti, le 5 septembre dernier, à un premier vote d'acceptation du Parlement macédonien. Il s'agit là d'une première étape.

M. Hubert Védrine a également jugé qu'au terme de la mission militaire de trente jours visant à collecter les armes de la guérilla albanaise et après le départ de M. François Léotard au cours du mois d'octobre, une reprise de la tension n'était pas à exclure. Il a estimé qu'il convenait de concevoir d'autres formules pour accompagner le processus de stabilisation au-delà de ces dates, en dépit du caractère très complexe de la situation.

A cet égard, le Ministre des Affaires étrangères a fait état de la réflexion déjà engagée dans un esprit de responsabilité et d'anticipation, en France, au niveau du Gouvernement et de la Présidence de la République, ainsi qu'avec nos partenaires européens pour prolonger, sous d'autres formes, les actions en cours.

Il a alors tenu à préciser que l'action internationale entreprise en Macédoine ne constituait pas une démonstration exclusivement européenne mais qu'elle impliquait également les alliés traditionnels de l'Union européenne. Il a souligné que, parmi les différentes options qui restaient ouvertes, plusieurs éléments essentiels paraissaient recueillir le soutien général : le maintien d'un engagement politique direct de l'Union européenne qui devrait passer par la désignation prochaine du successeur de M. François Léotard et le déploiement, postérieurement à la collecte des armes, d'une présence militaire crédible dont le format restait toutefois à définir, pour assurer la protection des observateurs de l'Union européenne et de l'OSCE.

Il a ajouté qu'à ce jour, une des difficultés principales résidait dans le fait que seule la partie albanophone réclamait une présence de l'OTAN alors que les dirigeants slavo-macédoniens se prononçaient en faveur d'autres arrangements, certains d'entre eux semblant encore considérer les accords politiques conclus sur le plan interne comme dangereux pour l'avenir de la Macédoine. Le Ministre a alors également évoqué la possibilité d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Plus généralement, le Ministre a considéré que la recherche de la meilleure formule supposait d'abord une intense concertation des Européens avec les partenaires américain et russe.

Enfin, il a souligné que les Quinze avaient décidé d'entreprendre une action politique plus résolue d'une part, à l'égard de l'Albanie et des responsables albanais du Kosovo afin d'obtenir des engagements plus précis en faveur de la stabilité en Macédoine et d'autre part, à l'égard de certains pays slaves pour qu'ils ne facilitent pas l'armement d'un camp postérieurement à la collecte des armes de l'autre.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense, a indiqué que, suite à l'accord du 13 août dernier, les membres du Conseil Atlantique avaient fixé les conditions de déploiement de la force de l'OTAN. Ils ont estimé que ces conditions avaient été remplies le 22 août, au cours d'une réunion qui a défini la mission et les conditions d'engagement de la force. Le Ministre a alors précisé que l'OTAN s'était donné pour mission en Macédoine de procéder à la collecte d'un volume d'armes qu'elle avait préalablement fixé. Les règles d'engagement définies prévoyaient un déploiement des forces sur les sites de collecte, la destruction des armes devant avoir lieu sur des sites distincts. Quant à la légitime défense permise par les règles d'engagement, il n'a pas été nécessaire jusqu'à présent d'y avoir recours.

M. Alain Richard s'est félicité de l'efficacité du processus de déploiement qui a permis aux unités françaises d'être opérationnelles moins d'une semaine après l'intervention de la décision politique, la première collecte d'armes ayant eu lieu le 28 août. Il a rappelé que la force d'environ 4 500 hommes sous commandement britannique se décomposait en quatre bataillons respectivement commandés par la France, la Grèce, l'Italie et le Royaume-Uni. La France fournit pour sa part 550 hommes.

Le Ministre de la Défense a indiqué que cette force était soumise à des risques d'incidents localisés provoqués par l'une ou l'autre partie. S'il est vrai que l'UCK macédonienne a présenté un front uni et cohérent, il n'en reste pas moins que certains chefs locaux peuvent poursuivre des stratégies isolées. Quant aux forces macédoniennes, elles sont très insuffisamment préparées à la défense territoriale, leur action oscillant entre l'inefficacité et la réaction disproportionnée. En outre, M. Alain Richard a rappelé qu'il ne fallait pas sous-estimer le rôle de la police macédonienne qui compte à son passif un certain nombre d'opérations de rétablissement de l'ordre assorties de brutalités dans les zones à peuplement majoritairement albanais. Il a précisé que cette police était placée sous l'autorité d'un ministre de l'Intérieur qui s'est le plus souvent exprimé contre le principe même d'un accord et en faveur d'une solution de force. Il faut enfin compter avec l'existence de milices composées de réservistes parfois prêts à rechercher l'affrontement.

Le deuxième type de risques auquel les forces de l'OTAN sont exposées réside dans l'existence d'une ligne de séparation à l'intérieur même de la Macédoine, l'armée régulière macédonienne n'ayant pas la possibilité de circuler au nord et à l'ouest du territoire macédonien sur une bande distante de 15 à 30 km des frontières. Le Ministre de la Défense a noté le caractère allusif de l'accord politique sur ce point. Puis il a souligné qu'alors que les responsables macédoniens voulaient rétablir l'autorité des forces régulières dans ces zones, l'UCK macédonienne y était pour sa part opposée. Il convient en outre de noter que si celle-ci met un point d'honneur à restituer les armes dont elle dispose, conformément aux quotas fixés par l'OTAN, elle ne s'en prépare pas moins à accroître parallèlement son niveau d'armement, profitant de ses liens avec la diaspora albanaise et de ses possibilités de financement qui sont loin d'être négligeables. M. Alain Richard a fait valoir à cet égard que, plus que quotidiennement, la KFOR identifiait au Kosovo des mouvements ou des caches d'armes, dont on peut penser qu'ils existent également en Albanie. De même, les forces de l'OTAN présentes aux abords de l'aéroport de Skopje ont pu y observer jusqu'à récemment la livraison de matériels lourds d'origine ukrainienne et russe, l'Ukraine et la Russie laissant par ailleurs séjourner en Macédoine des personnels qualifiés pour la formation à l'emploi de ces armements. Le Ministre de la Défense s'est néanmoins félicité que la mission de l'OTAN semble en voie d'atteindre ses objectifs, dans la mesure où 50 % du volume d'armes fixé a été collecté. Il a estimé que la présence de la force de l'OTAN ainsi que la détermination des pays membres de l'Alliance jouaient un rôle important dans la stabilisation de la situation tout en notant que la fin de la mission risquait de créer un vide sécuritaire. Il a précisé que l'UCK macédonienne souhaitait que l'OTAN assure la relève de la force actuellement présente en Macédoine tandis que, chez les responsables politiques macédoniens, l'absence d'une présence militaire internationale était perçue comme porteuse d'instabilité.

Evoquant les solutions qui s'offraient à l'issue de la mission actuelle de l'OTAN en Macédoine, M. Alain Richard a rejeté le principe de l'imposition de la paix par une occupation militaire de la Macédoine. Il a ajouté qu'une interposition armée de l'OTAN entre les deux communautés ne répondrait à aucun des principes qui guident les pays européens dans la gestion de la crise. Une solution pourrait résider dans la présence dans les zones de confrontation d'observateurs chargés de déceler les risques d'incidents et d'exploiter le renseignement acquis par la Task Force de l'OTAN. Le Ministre de la Défense a observé que cette solution impliquait l'envoi de nombreux observateurs et la garantie de leur liberté de déplacement, ce qui supposait le maintien d'une présence militaire. Il a ensuite jugé qu'il conviendrait également de développer les activités de partenariat avec les forces régulières de Macédoine qui ont besoin de se réorganiser et d'être formées au principe de multiethnicité. Il a précisé qu'il conviendrait d'aider ces forces militaires, comme les forces de police, à faire face aux risques d'actions incontrôlées. Il a ajouté que, quelles que soient les solutions retenues, il conviendrait de maintenir l'équilibre entre les deux parties et de ne pas donner de signe d'appui déséquilibrant à l'une ou l'autre. Il a en outre fait observer que la future présence militaire qui pourrait être déployée au terme de la mission de l'actuelle Task Force devrait être dissuasive afin de conserver son capital de crédibilité et être dotée de règles d'engagement adéquates, afin de ne pas être dépourvue de capacité d'action face à d'éventuels dérapages. Abordant enfin la question de la durée de la mission de cette nouvelle force, il a jugé qu'elle devrait être en cohérence avec l'échéance politique importante que représentent les élections générales macédoniennes prévues pour janvier 2002.

Le Président Paul Quilès a souhaité savoir si des groupes organisés au Kosovo avaient soutenu la guérilla albanaise en Macédoine.

Le Ministre de la Défense a répondu que des personnes transportant des armes et du matériel militaire vers la Macédoine étaient régulièrement interceptées au Kosovo, où l'on pouvait constater la solidarité de certains groupes ayant participé aux combats avant l'instauration de la présence internationale dans la Province avec des communautés macédoniennes de langue albanaise.

Il a précisé que si les convoyeurs étaient arrêtés et le matériel confisqué, il s'avérait impossible de garder en détention de façon prolongée et généralisée les personnes ainsi arrêtées.

Il a ajouté qu'en revanche, on savait peu de chose sur les mouvements d'armes et de combattants depuis l'Albanie.

Le Président Paul Quilès a interrogé le Ministre de la Défense sur la réponse de la Task Force Harvest aux actions de barrage des routes.

Le Ministre de la Défense a répondu qu'en pareil cas les dispositions de l'accord de stationnement des forces passé entre l'OTAN et la Macédoine s'appliquaient.

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Le Président Paul Quilès a alors informé la Commission que des attentats d'une extrême gravité venaient d'être commis aux Etats-Unis.

Avec l'accord des ministres et de la Commission, il a ensuite levé la séance.


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