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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 1

(Application de l'article 46 du Règlement)

(version rectifiée)

Mardi 2 octobre 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Audition du Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des Armées

- Informations relatives à la Commission

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La Commission a entendu, lors de sa séance du 2 octobre 2001, le Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des Armées.

Le Président Paul Quilès a relevé, parmi les principales caractéristiques du projet de budget, une stabilité globale des crédits d'équipement et une progression sensible du titre III permettant d'accompagner dans de bonnes conditions l'achèvement de la professionnalisation. Il a souligné qu'un effort réel était consenti en faveur des activités et du fonctionnement courant des armées. Dans le domaine des équipements, les programmes paraissent se dérouler conformément aux prévisions. Alors que les dépenses destinées aux armements classiques subissent une légère baisse, de 2% en crédits de paiement, le domaine nucléaire enregistre une augmentation très sensible de ses dotations (13% en crédits de paiement).

Le Président Paul Quilès a noté également une augmentation substantielle, tout particulièrement en autorisations de programme, des crédits d'étude et de développement. Il a enfin observé une amélioration en autorisations de programme des dotations destinées à la protection nucléaire, biologique et chimique (NBC) des forces terrestres. Il a estimé que cette évolution, si elle se concrétisait en crédits de paiement, pourrait répondre aux préoccupations exprimées par la mission d'information présidée par M. Bernard Cazeneuve sur les conditions d'engagement des forces face à la menace NBC, notamment au cours de la guerre du Golfe. Puis, après avoir remercié le Général Jean-Pierre Kelche de sa venue, il lui a demandé de commenter ces observations, dans le cadre de sa présentation du projet de budget de la défense. Il a également remarqué que les membres de la Commission ne manqueraient pas de l'interroger sur l'actualité récente.

Le Général Jean-Pierre Kelche, a tout d'abord indiqué que le projet de loi de finances pour 2002 devait être évalué dans la double perspective de l'achèvement de la programmation militaire 1997-2002 et de l'élaboration de la loi de programmation militaire 2003-2008.

Qualifiant de contrasté le bilan de la loi de programmation militaire 1997-2002, il a jugé que, si le pari de la professionnalisation était gagné, les retards d'équipement accumulés avaient provoqué sinon des ruptures de capacités, en tout cas une lente érosion des matériels, aucun programme n'ayant échappé à des restrictions de crédits. Il a ajouté que, les programmes de cohérence opérationnelle ayant été affectés, des inquiétudes pouvaient naître sur la cohérence des forces.

Il a ensuite considéré que le titre III pour 2002 était satisfaisant, les crédits de fonctionnement apparaissant convenables et la part des crédits de rémunérations et charges sociales stabilisée.

Il a précisé que cette stabilisation des crédits de rémunérations était cependant l'effet d'une conjoncture favorable, le coût des mesures de revalorisation de la fonction publique appliquées à la Défense (mesures dites « Sapin »), qui s'élevait à 1,3 milliard de francs, ayant été plus que compensé par trois facteurs d'économie : un besoin en pécules inférieur de 300 millions de francs à celui de 2001, la linéarisation des recrutements sur l'année, qui avait réduit la dépense de 400 millions de francs, et enfin le sous-effectif d'environ 4 000 postes budgétaires par rapport à l'objectif de la programmation qui diminuait de 700 millions de francs les charges de personnel. Il a observé de plus que les armées présentaient de nombreuses vacances de postes civils et que la nécessité où se trouvaient les militaires d'accomplir les tâches des civils manquants créait des difficultés dans la vie des unités. Il a également souligné les contraintes de la vie militaire, à l'époque des 35 heures dans le monde civil. Il s'est ensuite félicité que des mesures catégorielles, qui profitaient d'abord à la Gendarmerie, aient été inscrites au budget, et considéré qu'elles représentaient une première réponse aux attentes des personnels militaires. Il a cependant estimé que, compte tenu des contraintes de vie et de travail particulièrement sévères auxquelles ces personnels étaient soumis, on ne pourrait s'en tenir là.

Abordant alors les crédits de fonctionnement, il s'est félicité que le projet de loi de finances en poursuive le redressement, le nombre de jours de sortie pour l'armée de Terre passant de 80 à 89, et le nombre de jours à la mer de la Marine s'approchant, avec 97 jours, des 100 souhaités. Il a, de façon générale, jugé satisfaisant que la baisse des dépenses de fonctionnement, fixée à 20 % lors de l'élaboration de la loi de programmation, ait finalement été limitée à 18 %, ce qu'il a qualifié de compromis fonctionnel. Il a cependant attiré l'attention de la Commission sur un risque de paupérisation des armées. Puis il a fait observer que les personnels qui avaient fait le choix de servir dans une armée professionnelle avaient le droit d'être plus exigeants à l'égard du fonctionnement et de l'équipement des forces. Il a également estimé que ce niveau d'exigence ne cesserait pas de monter à l'avenir.

Il a enfin souligné que le titre III reposait sur des paramètres de stabilité fragiles, comme en témoignait notamment la poursuite du transfert des crédits d'entretien programmé du matériel vers le titre V, qui avait permis un allégement des dépenses ordinaires de 265 millions de francs.

Abordant les crédits d'équipement, il a d'abord estimé que, si la cohérence du modèle d'armée avait été maintenue, son contenu s'était dégradé sous la contrainte budgétaire. Il a fait valoir que, dans l'hypothèse d'une exécution intégrale des crédits d'équipement inscrits au projet de loi de finances initiale pour 2002, la programmation ne serait réalisée qu'à 84 %, l'insuffisance de crédits cumulée s'élevant déjà à 68 milliards de francs à la fin 2001.

Il a indiqué que, dans cette situation de contrainte financière, les développements avaient été, autant que possible, préservés, des économies ayant été faites notamment sur les crédits d'infrastructures et d'entretien programmé du matériel. Il a alors exposé que la réduction en loi de finances initiale des dotations de l'entretien programmé du matériel avait sans doute été excessive et que la baisse actuelle du taux de disponibilité des équipements leur était sans doute imputable.

Rappelant ensuite que la revue de programmes avait entraîné l'abandon de 7 programmes et en avait touché 12, il a souligné que les armées allaient aborder la nouvelle programmation avec une double difficulté, une réalisation en termes physiques moins favorable que prévue et une dotation en autorisations de programme et en crédits de paiement qui présentera un écart sensible avec les dotations annuelles prévues par le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008. En effet, avec 81,3 milliards de francs de crédits de paiement, auxquels s'ajoutent 2,7 milliards de francs de reports, le titre V subit en 2002 une encoche forte par rapport à la revue de programmes de 1998, qui avait elle-même réduit les dotations initialement prévues par la programmation. Un problème concret de réalisation physique des objectifs de la programmation en cours et de cohérence avec les perspectives fixées pour 2003 est ainsi posé.

Le Général Jean-Pierre Kelche s'est alors déclaré préoccupé du niveau des autorisations de programme. Il a jugé que ce niveau, bien que supérieur de 4 milliards de francs à celui des crédits de paiement, ne suffisait pas à maintenir une politique cohérente de commandes globales. Il a également fait valoir que la limitation de la dotation en autorisations de programme obligeait à repousser au début de 2003 des commandes qui auraient dû être passées en 2002, comme celle du programme M 51.

En conclusion, le Chef d'état-major des Armées a considéré que la France disposait d'une armée solidement professionnalisée capable d'accomplir les missions qui lui étaient demandées dans le cadre d'engagements importants et divers. Il a cependant estimé indispensable de poursuivre le redressement de ses crédits d'activité et la modernisation de ses équipements, compte tenu des retards pris.

Le Président Paul Quilès, constatant l'augmentation sensible des dépenses du titre III, a estimé que la professionnalisation des armées coûtait finalement plus cher que ce qui avait été prévu en 1997, au moment de la discussion de la loi de programmation militaire. Il a jugé que les économies annoncées, notamment en matière de rémunérations ne s'étaient pas traduites dans les faits. Citant en exemple le programme M 51, ainsi que la simulation, il s'est demandé s'il n'y avait pas aussi une dérive des coûts de l'armement nucléaire. Puis, il a demandé au Chef d'état-major des Armées si la France disposait, dans le domaine militaire, de moyens adaptés pour répondre à la menace du terrorisme international, notamment en ce qui concerne le renseignement humain, les drones et les forces spéciales. Il a également souhaité savoir si l'équipement des armées prenait suffisamment en compte les situations de guerre asymétrique.

Le Général Jean-Pierre Kelche a fait valoir que le coût de la professionnalisation des armées n'avait pas été initialement sous-évalué mais que l'imputation à la Défense de dépenses supplémentaires en avait modifié la charge réelle. Il a par ailleurs jugé illusoire de croire que le pouvoir d'achat du titre III pourrait rester constant dans la durée, évoquant à ce propos les dispositions du projet de budget qui prévoyaient une dépense de 1,3 milliard de francs au titre de l'application du « paquet Sapin » aux personnels de la Défense. Se référant aux taux de croissance moyen des dépenses de rémunérations et de fonctionnement des armées américaines et britanniques, dont il a indiqué qu'il était, au cours de la période récente, de l'ordre de 2 % par an en termes réels, il a insisté sur la nécessité d'assurer à des forces professionnelles une revalorisation tendancielle en pouvoir d'achat de leurs dépenses ordinaires.

Abordant la question de la commande globale relative au programme M 51, le Chef d'état-major des Armées a souligné que le volume d'autorisations de programme nécessaires ne pouvait être inscrit au projet de loi de finances pour 2002 sous peine de retarder le déroulement d'un autre grand programme. Il a toutefois précisé qu'il pourrait être inscrit au projet de loi de finances pour 2003 et engagé au début de l'exercice budgétaire correspondant. Il a ajouté que les travaux relatifs à la simulation se poursuivraient à un rythme normal.

Observant que les armées pouvaient contribuer à lutter contre le terrorisme sans que l'outil militaire soit pour autant le mieux adapté en ce domaine, le Général Jean-Pierre Kelche a jugé que les capacités de renseignement devaient être renforcées. Il a souligné à ce propos que les services français n'avaient pas, autant que leurs homologues américains, mis l'accent sur la dimension technologique du recueil d'information. Jugeant que la capacité française de renseignement humain était significative, il a indiqué qu'il procédait actuellement à un travail d'évaluation des moyens des armées en matière de recueil d'information, de forces spéciales et de protection NBC, afin de suggérer rapidement les améliorations possibles.

Le Chef d'état-major des Armées a observé que les armées étaient confrontées depuis longtemps à des scénarios de risques asymétriques sur les théâtres d'opérations extérieures. Se référant à l'exemple de la campagne aérienne contre la Yougoslavie, dont il a rappelé qu'elle relevait de la diplomatie coercitive, il a souligné que les hypothèses de combat classique se faisaient plutôt rares et s'est prononcé en faveur d'une réflexion sur les conclusions à en tirer pour les forces. Après avoir salué la qualité humaine et l'intelligence des situations dont sait faire preuve l'encadrement des forces françaises, il a mis en avant la nécessité de développer la capacité des personnels à s'adapter et à moduler leur comportement en fonction du contexte. Il a évoqué à cet égard l'action d'une unité française chargée de participer à la collecte des armes de la rébellion d'origine albanaise en Macédoine, indiquant qu'elle avait su sécuriser sa zone de déploiement puis négocier avec succès l'arrêt des hostilités et le début du processus de désarmement, alors que des combats sporadiques à valeur de provocation avaient été déclenchés avant son arrivée afin de la dissuader d'accomplir sa mission.

M. Charles Cova a demandé au Chef d'état-major des Armées si le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 ne devait pas être modifié, compte tenu des événements du 11 septembre 2001. Evoquant le fonds de consolidation de la professionnalisation, envisagé pour 2003, il lui a demandé s'il n'y avait pas lieu de le mettre en place dès à présent et souhaité connaître la nature des ressources destinées à l'alimenter.

Rappelant les mises en garde répétées de l'OMS sur les risques d'attentats chimiques et biologiques, Mme Michèle Rivasi a interrogé le Général Jean-Pierre Kelche sur la protection des forces armées françaises contre ces risques. Après s'être demandée si un manque de vaccins n'était pas à craindre, en cas d'attaque utilisant des moyens chimiques ou bactériologiques et notamment l'anthrax, elle a souhaité des informations sur les recherches entreprises aux Etats-Unis et en Russie dans ce domaine.

Après avoir convenu que la professionnalisation des armées était un succès malgré l'insuffisance des moyens consacrés à la Défense, M. Pierre Lellouche a reconnu que l'outil militaire n'était pas le seul moyen de lutte contre le terrorisme. Il s'est néanmoins demandé s'il ne fallait pas revoir la politique militaire à la suite des attentats du 11 septembre. Il a en particulier estimé que le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 se bornait à mentionner la menace terroriste sans en tirer les conséquences. Il a alors jugé qu'il convenait de réécrire ce projet et d'envisager un abondement des crédits militaires, au besoin dans le cadre d'un collectif, pour tenir compte de la nouvelle situation stratégique. Il s'est également prononcé pour un réexamen du dispositif de défense civile du territoire, évoquant en particulier l'insuffisance des moyens de protection NBC. Puis, il a interrogé le Chef d'état-major des Armées sur la coordination des actions menées par les différents services de renseignement, militaires et civils, en matière de terrorisme.

Après avoir estimé que la dissuasion avait été contournée par le terrorisme aux Etats-Unis, il a demandé s'il ne convenait pas d'inverser l'ordre des priorités entre les armements classiques et nucléaires, remarquant que les crédits consacrés aux premiers diminuaient dans le projet de budget, alors que les dotations des seconds augmentaient. Il a enfin regretté l'indisponibilité du porte-avions Charles de Gaulle.

M. Jean-Yves Besselat a estimé que la gravité des événements survenus aux Etats-Unis conduisait à revoir la hiérarchie des valeurs et à faire de la sécurité intérieure et extérieure du pays une priorité absolue. Il a souhaité une augmentation des moyens accordés aux armées, jugeant inacceptable que la loi de programmation militaire 1997-2002 n'ait été qu'incomplètement exécutée alors que les menaces subsistent. Il a également demandé la mise en chantier d'un deuxième porte-avions, estimant qu'elle serait de nature à exprimer une volonté politique forte d'assurer la défense du pays en garantissant la permanence à la mer du groupe aéronaval. Il a enfin déploré l'insuffisance des moyens financiers et techniques accordés au renseignement.

M. Aloyse Warhouver s'est inquiété de la qualité de l'équipement des régiments spécialisés dans le renseignement et de leurs conditions d'entraînement. Il a également demandé si un inventaire des lieux de garnison à caractère historique d'où les armées étaient amenées à se retirer serait entrepris, afin de préserver les sites les plus intéressants. Il s'est enfin interrogé sur la réparation des dommages causés aux infrastructures par les dernières tempêtes, soulignant qu'elle n'était pas encore achevée.

M. Alain Moyne-Bressand a demandé si le Chef d'état-major des Armées avait rencontré ses homologues américain et européens afin d'envisager les modalités du soutien français aux opérations militaires des Etats-Unis. Il s'est interrogé sur les moyens que les armées françaises étaient en mesure de mettre à la disposition d'une coalition internationale. Il a également souhaité savoir si le Général Jean-Pierre Kelche jugeait suffisantes la coordination et la coopération des services chargés du renseignement extérieur et intérieur.

M. Jean Briane s'est préoccupé des perspectives de recrutement des armées, notamment au regard de l'objectif de format fixé dans le cadre de la professionnalisation. Il a également demandé si la linéarisation des recrutements constituait une méthode pérenne de gestion des personnels.

M. André Vauchez s'est enquis de l'effet de la diminution des coûts des programmes sur le taux d'exécution des crédits d'équipement. Il a également souhaité des précisions concernant les incidences de la construction de l'Europe de la défense sur le projet de budget. Se référant enfin à l'accord passé entre le ministère de la Défense et les syndicats des personnels civils pour le passage aux 35 heures, il s'est interrogé sur la transposition de cette mesure aux militaires.

Après avoir observé que la cohérence opérationnelle est au c_ur de l'efficacité de toute armée, M. René Galy-Dejean s'est inquiété des craintes exprimées par le Chef d'état-major des Armées à ce propos. Il a alors demandé plus particulièrement si la cohérence opérationnelle des forces pouvait être mise à mal à risques constants, devant des risques nouveaux, ou face à ces deux types de risques.

M. Jacques Myard, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions de commissions dont ils ne sont pas membres, a demandé au Chef d'état-major des Armées quelle était son appréciation sur la stratégie poursuivie par les Etats-Unis à l'encontre de l'Afghanistan.

Après avoir fait référence à ses travaux relatifs à plusieurs lois de règlement, M. François Lamy a souligné que la loi de programmation militaire 1997-2002 était la première à être exécutée jusqu'à son terme depuis de très nombreuses années. Il a également évoqué les conséquences des charges liées aux opérations extérieures sur l'exécution de la programmation. Estimant qu'au terme de l'exercice 2001, le surcoût global de ces opérations pourrait s'élever à 3,3 milliards de francs, il a jugé souhaitable d'inscrire dès les lois de finances initiales une ligne budgétaire pour leur financement.

Mentionnant les réserves, M. Jean-Claude Viollet s'est interrogé sur leur caractère opérationnel, dont il a souligné qu'il était un des éléments de la réussite de la professionnalisation. Il a également évoqué le rôle susceptible d'être tenu par les armées dans le cadre de la défense du territoire, dans les domaines de la sécurité intérieure et de la sécurité civile.

M. Robert Poujade a estimé que la défense opérationnelle du territoire présentait par bien des aspects un caractère virtuel. Il a considéré toutefois que ce domaine de la défense suscitait à présent un plus grand intérêt. Il a rappelé qu'il impliquait tout particulièrement les réserves, dont il a souligné les difficultés d'organisation et d'emploi. Enfin, il s'est interrogé sur le rôle d'appui des armées en réponse aux demandes émanant du ministère de l'Intérieur tant pour la sécurisation de certains lieux que dans le but de rassurer le public ou pour remplir certaines tâches en cas de catastrophe. Après avoir estimé que les armées et la Gendarmerie éprouveraient de grandes difficultés à intervenir à grande échelle pour la défense opérationnelle du territoire, il a jugé qu'il convenait sans doute de dépasser cette notion tout en consentant par ailleurs un effort accru en faveur des réserves.

En réponse aux différents intervenants, le Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des Armées, a apporté les précisions suivantes :

- le concept français de défense et le modèle d'armée 2015 qui en résulte ne sont pas frappés de caducité même s'il convient d'intégrer des données liées à l'action terroriste internationale. La menace terroriste n'est d'ailleurs pas nouvelle pour notre pays et pour nos forces, qui en ont subi les effets à plusieurs reprises dans le passé ;

- s'il faut réfléchir à des adaptations voire à des accélérations de programmes capacitaires pour améliorer la contribution des armées à la lutte anti-terroriste, l'outil militaire n'est sans doute pas le premier moyen d'action en ce domaine ;

- le projet de loi de programmation militaire pour la période 2003-2008 n'a pas à être revu dans son ensemble à l'exception de certains domaines pour lesquels une accentuation des efforts est envisageable ;

- il est d'autant plus difficile de déterminer à l'avance la contribution des forces armées dans la lutte contre le terrorisme international qu'on se trouve confronté à une grande variété de scénarios possibles ;

- la stratégie mise en _uvre par les Américains s'inscrit dans le long terme. Dans un premier temps, elle vise à réduire au maximum les risques d'une seconde vague d'attentats aux Etats-Unis comme en Europe, ce qui explique le grand nombre des arrestations auxquelles il a été procédé au cours des derniers jours ;

- il s'agit d'une politique qui paraît bien pensée. Face au terrorisme, il convient de ne pas frapper dans le vide afin de ne pas encourir un risque majeur de déconsidération. À ce jour, les Américains ont déployé près de 29 000 hommes tout en menant dans le même temps des actions secrètes ;

- la France dispose de capacités qui lui permettent de coopérer, notamment avec les Etats-Unis, dans la lutte anti-terroriste, en particulier dans le domaine des échanges de renseignements et du contrôle aéromaritime ;

- en matière de renseignement, des progrès ont été réalisés dans la coopération entre les services au plan national, une structure de coordination fonctionne et la Direction du renseignement militaire participe à ses travaux ;

- les régiments français plus spécialement investis de missions de renseignement sont largement engagés tout au long de l'année et notamment dans les Balkans, au point qu'ils se trouvent pratiquement en situation de sur-emploi, ce qui pose la question de l'éventuelle création d'une unité supplémentaire du même type ;

- s'agissant de l'équilibre entre les dépenses dévolues respectivement aux armes conventionnelles et au domaine nucléaire, il convient de l'apprécier au-delà des limites de l'annualité budgétaire : l'exercice 2002 se caractérise par une augmentation au bénéfice du nucléaire en raison du cumul de plusieurs échéances relatives à des programmes d'importance considérable (simulation, SNLE-NG, M 51, ASMP améliorée) ;

- en matière de protection des militaires et des populations civiles contre les risques chimiques et biologiques, le système d'alerte-détection et de protection-décontamination fonctionne correctement face à certains toxiques. C'est ainsi que les appareils Détalac français ont pu détecter de simples traces toxiques au cours de la guerre du Golfe. Pour ce qui concerne plus particulièrement les risques biologiques, les armées françaises ne suivent pas la pratique de vaccination systématique adoptée par d'autres pays. Elles cherchent à adapter la protection des troupes en fonction d'analyses préalables de la situation sanitaire. Plus généralement, une approche globale et européenne est souhaitable en matière de protection des populations. Il conviendrait d'organiser un système d'assistance mutuelle des forces de défense civile à l'échelle européenne pour faire face à des sinistres de grande ampleur ;

- les forces françaises sont tout à fait opérationnelles, elles le démontrent tous les jours. En revanche, les retards pris dans les programmes de cohérence opérationnelle ne permettent pas d'exploiter toujours au mieux les capacités des matériels majeurs récemment entrés en service. Cette situation est d'autant plus dommageable que les programmes de cohérence opérationnelle ne sont pas les plus coûteux. Une tension comparable à celle qui affecte l'entretien programmé des matériels se fait ainsi sentir dans le domaine des programmes de cohérence opérationnelle ;

- s'agissant des réserves, le problème qui se pose dans une armée professionnelle est d'ordre psychologique. En effet, même si le projet est clair tant en ce qui concerne la composition que les modalités de fonctionnement des réserves, il s'agit de le faire vivre dans la pratique. Jusqu'à présent, les réserves ne sont intervenues que sur des créneaux très limités et individualisés, par exemple dans la gestion de la crise de la Somme. Il pourrait être intéressant d'utiliser le concept dans le cadre du plan Vigipirate. En bref, il s'agit d'une question d'acculturation, au sens où les armées doivent apprendre à associer plus étroitement les réserves à leurs activités ;

- la notion de défense opérationnelle du territoire, qui paraît surannée, recouvre une situation qui n'est pas d'actualité puisqu'elle implique un transfert de responsabilité des autorités civiles vers les armées. Il convient néanmoins de repenser la posture de défense en matière de sécurité du territoire national. Aux Etats-Unis, la posture de sécurité du pays a été mise en cause. En effet, en dépit de l'ampleur des moyens, notamment militaires, dont peut disposer la puissance américaine, les attentats du 11 septembre ont fait apparaître une vulnérabilité sur le territoire national lui-même ;

- en matière de défense du territoire, il convient de constituer des capacités de projection intérieure. Il s'agit, non pas de prédéployer des forces, mais de se doter d'une capacité à aider ponctuellement les forces de police et de gendarmerie. La tâche première est de veiller à la réactivité des armées, c'est-à-dire de faire en sorte qu'elles puissent apporter leur savoir-faire, très vite, là où il y a une crise. C'est dans cette perspective qu'a été créée la chaîne interarmées des zones de défense. Cette chaîne de commandement relie directement le Centre opérationnel interarmées (COIA) aux zones de défense, à l'intérieur desquelles ont été mis en place de petits états-majors sous les ordres du préfet. L'organisation est fondée sur une approche modulaire, qui vaut aussi bien pour la conception que pour l'exécution des missions, à géométrie variable ;

- 2 500 militaires sont actuellement employés sur le territoire national dans le cadre de l'opération Eurofiduciaire et plus de 1 000 autres sont à ce jour affectés au plan Vigipirate renforcé. Les armées ont d'ailleurs toujours été disposées à assurer les prestations justifiées qui pouvaient leur être demandées par les autorités gouvernementales pour l'accomplissement de tâches de service public, notamment le domaine de la sécurité intérieure ;

- lors de la récente catastrophe de Toulouse, les armées ont montré leur capacité de réaction rapide. Elles ont mobilisé, à cette occasion, deux avions C-160 médicalisés, 6 hélicoptères et l'Unité spécialisée de sécurité civile de Nogent-le-Retrou. Un élément du Génie, pré-alerté, n'a cependant pas pu être utilisé en raison de l'encombrement des routes dans les premières heures ;

- la question du financement des opérations extérieures est récurrente. La solution idéale serait d'inscrire en loi de finances initiale une dotation provisionnelle qui viendrait s'ajouter à l'enveloppe fixée pour le titre III. A défaut, il vaut mieux garder le système actuel. En matière d'équipement, les surcoûts liés aux opérations extérieures tiennent à une utilisation des matériels trois à quatre fois plus intensive que sur le territoire national ;

- s'agissant des perspectives de recrutement, on observe une baisse du taux de sélection qui s'explique, d'une part, par l'érosion de l'effet de nouveauté lié à l'offre importante d'emplois militaires et, d'autre part, par le redressement de la situation économique. Il n'en reste pas moins que les armées recrutent des personnels du niveau qu'elles souhaitent. Entre 1997 et 2001, 80 000 personnes ont été recrutées. La question qui se pose aujourd'hui est de faire vivre dans la durée l'armée professionnelle. La situation des armées américaines ou britanniques, confrontées à des phénomènes de manque de personnel dans certaines unités, en illustre la difficulté. Pour prévenir de telles situations, les armées doivent être à la fois flexibles et réactives. C'est pourquoi le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 a prévu d'instituer un fonds de consolidation de la professionnalisation doté de 600 millions de francs par an. Ce fonds doit permettre une gestion globale de l'ensemble des mesures existantes par dérogation au principe d'affectation des crédits à un seul objectif. Un facteur d'optimisme quant aux perspectives de recrutement tient au nombre et à la qualité des candidatures féminines, le taux de féminisation des armées étant passé de 8,9 % à 9,8 % en deux ans. C'est ainsi qu'en 2000 de l'ordre de 18 % des recrues de l'armée de Terre étaient des femmes. En fin de compte, les armées françaises échappent totalement au syndrome de l'image d'une institution en perte de vitesse ;

- les événements du 11 septembre 2001 confirment la pertinence de la construction de l'Europe de la Défense. Le Conseil européen de Laeken qui se tiendra à la fin de l'année devrait déclarer, conformément aux prévisions, l'Union européenne opérationnelle pour intervenir dans la gestion militaire des crises là où elle le jugera nécessaire.

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Informations relatives à la Commission

A la suite de la démission de M. Didier Boulaud, élu sénateur, de ses fonctions de Vice-Président, la Commission a nommé M. Robert Gaïa Vice-Président. Elle a ensuite nommé M. Jean-Claude Viollet Secrétaire en remplacement de M. Robert Gaïa.


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