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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 5

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 octobre 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information sur l'aéronautique navale
(M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur)


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La Commission de la Défense a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Jean-Yves Le Drian sur l'aéronautique navale.

Le Président Paul Quilès, après avoir rappelé que la Commission avait nommé M. Jean-Yves Le Drian rapporteur d'information le 16 mai dernier, a souligné l'intérêt d'un examen de la situation de l'aéronautique navale eu égard à la grande diversité de ses missions au sein de la Marine, depuis la chasse à partir des flottilles embarquées sur le porte-avions jusqu'aux activités de patrouille et de surveillance maritimes qui comportent un important volet de service public.

Il a également rappelé que, sur les quelque 44 000 militaires de la Marine, l'Aéronavale rassemblait 2 600 personnes (hors états-majors et soutien) dont près de 500 pilotes d'avions et d'hélicoptères.

Il a souligné qu'avec ses 142 avions et 94 hélicoptères, elle constituait une force réactive, qui se caractérisait par la souplesse d'emploi, en particulier à partir du porte-avions. Puis il a évoqué, à ce propos, les frappes assurées, au cours du conflit du Kosovo par les Super Étendard ajoutant que ces appareils resteraient pleinement opérationnels dans leurs standards 4 puis 5, jusqu'à l'entrée en service des Rafale au standard air-sol F2.

M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur, a d'abord évoqué les raisons qui l'avaient amené à entreprendre son travail. Ce qu'il a qualifié de « bruits de coursive » témoignait d'incertitudes quant au maintien de l'identité et de l'autonomie de l'Aviation navale. Certaines expériences étrangères et la perspective d'introduction dans l'Aviation navale des mêmes équipements que dans l'armée de l'Air (avion Rafale) ou l'armée de Terre (hélicoptère NH 90) pouvaient renforcer ces incertitudes.

Par ailleurs, des rumeurs et certains bruits fantaisistes contribuaient à entretenir l'idée d'une mise à la disposition de l'armée de l'Air des bases aéronavales, notamment dans la région du Grand-Ouest, de manière à lui permettre de bénéficier de nouveaux espaces d'entraînement. Au terme de ses travaux de rapporteur, M. Jean-Yves Le Drian a souligné que ni l'identité ni l'autonomie de l'Aviation navale n'étaient mises en cause en France, alors que le Royaume-Uni avait récemment décidé de regrouper dans une même force aérienne des unités de la Royal Air Force et de la Royal Navy. Il a précisé que cette réforme résultait en grande partie de l'histoire très particulière du développement des éléments aéronavals au sein de la Royal Navy.

Le rapporteur a alors insisté sur la formation tout à fait spécifique des pilotes de l'Aviation navale française qui devaient être à même de maîtriser des techniques comme l'appontage, le vol à basse altitude et à vitesse élevée au-dessus de l'océan ou encore les procédures de secours en mer. Il a également souligné l'importance de cette formation spécifique qui avait pour effet de rendre les activités de l'Aviation navale indissociables du métier de marin.

M. Jean-Yves Le Drian a jugé qu'il était toutefois souhaitable de maintenir pour les pilotes de l'armée de l'Air et de l'Aviation navale une formation commune aux techniques de base du pilotage. Il a néanmoins relevé que, pour les pilotes de chasse, la qualification à l'appontage était accomplie dans le cadre de stages de longue durée aux Etats-Unis. Il a également souligné l'utilité de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD) dont la récente mise en place permettait de renforcer le poids des armées dans leur ensemble face à leurs fournisseurs.

Puis, le rapporteur a rappelé que les forces aéronavales ne se résumaient pas aux seules unités mises en _uvre sur le porte-avions Charles de Gaulle mais qu'elles participaient à de nombreuses autres missions de patrouille et de surveillance maritimes, de service public et de transport, sans oublier l'activité des hélicoptères des bâtiments de surface. A cet égard, il s'est félicité de la bonne gestion des moyens dévolus aux opérations de patrouille et de surveillance maritimes, qu'il avait déjà pu constater dans le cadre de la Commission d'enquête sur la catastrophe de l'Erika. Il a indiqué que l'entrée en service d'appareils de type Falcon 50 spécialement adaptés aux missions de surveillance maritime représentait une réussite technique qui offrait des avantages significatifs de coût d'exploitation. Il a ajouté que, dans une optique d'optimisation de la gestion de son parc d'appareils, l'Aviation navale privilégiait désormais, dans le domaine du secours en mer, l'hélicoptère Dauphin par rapport au Super Frelon et embarquait sur les frégates, hors situation de crise, un seul hélicoptère de type Lynx au lieu de deux, cette solution anticipant d'ailleurs la situation qui prévaudra avec l'entrée en service du NH 90.

M. Jean-Yves Le Drian a ensuite souligné que le groupe aéronaval et le porte-avions de projection de puissance offraient à un pays un exceptionnel moyen d'affirmation de sa crédibilité diplomatique et militaire comme l'ont prouvé le conflit du Kosovo et l'actuelle crise en Afghanistan. Faisant valoir que la notion de projection de force tendait désormais à l'emporter sur celle de maîtrise des mers, le rapporteur a rappelé que les doctrines d'emploi des forces navales évoluaient dans le sens d'un accroissement des actions de la mer vers la terre. Il a évoqué à ce propos les bombardements effectués par les Super Étendard dans le conflit du Kosovo, observant que leur taux de réussite (75 %) figurait parmi les plus élevés au sein des forces aériennes de la coalition. Il a toutefois regretté la lenteur du rythme des livraisons à la Marine des Rafale et observé que cette situation faisait encore pour plusieurs années du Super Étendard l'avion de combat principal des forces aéronavales, ce qui justifiait sa modernisation aux standards 4 puis 5, caractérisés par une amélioration de son autoprotection et l'accès à des capacités d'attaque de nuit. Il a indiqué que, lors de sa visite sur la base aéronavale de Landivisiau, au mois de juin dernier, quatre Rafale seulement avaient été livrés à la Marine, qui, d'ailleurs, poursuivait des essais sur ces appareils. Il a précisé que la première flottille de Rafale au standard F3 (reconnaissance-nucléaire) serait opérationnelle en 2009 dans la meilleure des hypothèses. Puis, il a souligné qu'à ce jour, neuf pilotes seulement avaient pu être qualifiés sur Rafale soit à peine plus de 10 % de l'effectif des pilotes de chasse de l'Aviation navale.

Le rapporteur a néanmoins tenu à rappeler qu'avec le Charles de Gaulle, la Marine française disposait d'un des porte-avions les plus performants au monde notamment par les possibilités d'appontage qu'il permet dans des conditions atmosphériques très difficiles. Il a fait observer qu'il était le seul outil de ce type en Europe puisque les autres plates-formes aéronavales figurant dans les forces britanniques, italiennes ou espagnoles avaient un simple caractère de porte-aéronefs emportant des appareils n'ayant pas les mêmes capacités d'allonge que le Super Étendard et a fortiori le Rafale.

M. Jean-Yves Le Drian a fait également état des conversations qu'il avait menées, dans le cadre de sa mission d'information, avec le commandement britannique des forces aéronavales, à propos de la définition des deux porte-avions appelés à remplacer en 2012 puis 2015, les trois porte-aéronefs de la classe de l'Invincible actuellement en service. Il a mentionné l'éventualité d'une coopération entre le Royaume-Uni et la France dans ce domaine, en précisant toutefois que le choix des avions destinés à être embarqués sur les porte-avions britanniques aurait une incidence déterminante sur la conception même de ces bâtiments. Evoquant alors l'hypothèse de porte-avions dotés d'un système de catapultes et de brins d'arrêt, qui faciliterait la coopération entre les deux pays, il a indiqué qu'elle était à l'étude parmi d'autres.

Au terme de son exposé, M. Jean-Yves Le Drian a considéré qu'il convenait impérativement d'affecter, dès les prochains exercices budgétaires, des crédits suffisants à la poursuite des études relatives à la construction d'une seconde plate-forme qui pourrait être engagée à l'horizon 2008.

Saluant la qualité du rapport de M. Jean-Yves Le Drian, dont il a souligné qu'il devait être lu dans sa totalité, le Président Paul Quilès a estimé qu'il résumait bien les enjeux du devenir des forces aéronavales. S'interrogeant sur les missions d'un groupe aéronaval, il s'est demandé s'il ne devait être qu'un instrument de souveraineté nationale en vue de l'affirmation d'une présence ou de la gesticulation en cas de crise ou si on pouvait envisager son emploi dans un cadre européen. Estimant que le problème de la permanence à la mer du groupe aéronaval devait être posé dans une perspective européenne, il a souligné que la France devait être prête à répondre à d'éventuelles initiatives britanniques en ce domaine. Il a alors remarqué que ce débat présentait plus d'intérêt que le rappel insistant des imperfections liées à la mise en service du porte-avions Charles de Gaulle.

M. André Vauchez a estimé que la réflexion du rapporteur sur les possibilités d'une coopération européenne pour la construction d'un nouveau porte-avions était capitale pour l'avenir. Observant qu'il était sans doute plus facile de réaliser certains grands programmes en coopération que de constituer en commun une force telle qu'un groupe aéronaval, il a néanmoins considéré qu'il s'agissait là d'une piste de travail intéressante, motivante et utile. Estimant que le contexte international actuel pouvait inciter à un regroupement des efforts européens, il a souhaité que la Commission réfléchisse plus avant sur l'opportunité d'envisager un projet cohérent de coopération avec le Royaume-Uni dans le domaine aéronaval. Il a enfin regretté les critiques dont fait l'objet le porte-avions Charles de Gaulle, jugeant leurs effets déplorables sur l'image de la Marine.

M. Charles Cova a exprimé des doutes à l'égard des perspectives de coopération avec le Royaume-Uni, se référant à l'échec du programme de frégates anti-aériennes Horizon. Il a estimé que le programme de porte-avions britannique reprendrait vraisemblablement les caractéristiques des plates-formes actuelles, qui mettent en _uvre des appareils Harrier, à décollage court et à atterrissage vertical. Soulignant que ces appareils étaient essentiellement affectés à des missions de lutte anti-sous-marine, il a observé qu'ils nécessitaient deux ravitaillements en vol pour effectuer des opérations d'appui-feu sur un théâtre relativement éloigné de leur groupe aéronaval d'attache. Il en a déduit que les conceptions française et britannique en matière de porte-avions différaient de manière importante. Puis, il a jugé que, dans l'hypothèse d'une coopération rendue possible par un hypothétique choix britannique en faveur d'un bâtiment à catapultes et brins d'arrêt, il faudrait veiller à un équilibre des échanges de technologies, compte tenu de l'avance de la France en ce domaine.

Il a ensuite estimé qu'il faudrait de longues années avant qu'existent en France des unités interchangeables avec celles d'autres pays et souligné que la constitution d'un groupe aéronaval commun supposait que la défense européenne soit parvenue à un très haut degré d'intégration.

Il s'est enfin demandé si la construction d'un second porte-avions faisait partie des urgences du moment. Si sa nécessité fait l'objet d'un accord général, il convient cependant de réfléchir à la thèse selon laquelle le porte-avions nucléaire est l'instrument d'une Marine riche, à la hauteur de nos ambitions, alors que les transports de chalands de débarquement (TCD) sont les outils d'une Marine qui a tout simplement pour but de servir le pays.

M. Jean-Noël Kerdraon a, pour sa part, estimé que le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 fixait des perspectives trop limitées en ne prévoyant des études sur le deuxième porte-avions qu'en fin de période. Il a jugé nécessaire d'observer avec une grande attention l'évolution de la réflexion au Royaume-Uni, l'élément déterminant pour une éventuelle coopération ne résidant pas dans la répartition des tâches entre chaque pays mais dans le choix technique qui sera effectué. A cet égard, il a estimé que la conception du porte-avions Charles de Gaulle reflétait les meilleurs choix techniques, avec le recours au catapultage, et stratégiques, avec l'objectif de projection de puissance. Il a précisé par ailleurs que la construction d'un deuxième porte-avions ne signifiait en rien qu'il faudrait se doter de deux fois plus de Rafale ou de frégates puisque l'objectif est d'assurer la permanence à la mer d'un groupe aéronaval. Enfin, il a rappelé que les nouveaux transports de chalands de débarquement (NTCD), qui seraient également des porte-hélicoptères d'assaut, offraient une capacité stratégique d'intervention de première importance.

Evoquant le remplacement du Garibaldi, M. Robert Poujade a interrogé le rapporteur sur l'état de ses informations quant aux projets italiens, notamment en liaison avec ceux du Royaume-Uni. Il a ensuite fait observer que, si le Royaume-Uni s'en tenait au décollage vertical, cela signifiait qu'à ses yeux, l'engagement des forces sur des théâtres lointains pouvait se faire avec des appareils ayant recours à cette technique, ce qui suscitait des interrogations, eu égard aux performances du Harrier.

M. Roland Garrigues a demandé à quoi devait être attribuée la lenteur de la livraison du Rafale.

M. Jean Briane s'est demandé s'il était concevable qu'à l'avenir, un pays européen mène seul un grand programme d'armement. Il a, à ce propos, rappelé, que lorsque sa réalisation a été décidée, il était généralement admis que le Rafale serait le dernier avion de combat purement national construit par la France.

M. Jean-Yves Le Drian a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- l'Italie envisagerait le remplacement du Garibaldi en 2007 et aurait d'ores et déjà prévu à ce titre une enveloppe budgétaire d'1,2 milliard d'euros. Le choix technique est celui d'une plate-forme courte, l'inconnue portant à ce jour sur la nature de l'avion embarqué. Sont actuellement en service sur le Garibaldi des Harrier d'occasion, ce qui conduit à penser que l'Italie pourrait souhaiter se doter également à l'avenir d'avions à décollage court et à atterrissage vertical ;

- s'agissant des options privilégiées outre-Manche, une grande prudence s'impose. Les Britanniques se sont donné un an de réflexion. A l'heure actuelle, leurs interrogations portent, non pas sur l'intérêt d'une coopération européenne, mais sur les avantages respectifs des techniques de décollage court et de catapultage. La technique de décollage court répondait aux besoins de la lutte anti-sous-marine dans le contexte de la Guerre froide alors que la projection de puissance et l'action à partir de la mer paraissent aujourd'hui prioritaires ;

- la Marine accorde la priorité au remplacement de ses frégates, aujourd'hui âgées. Dans ce contexte, la construction d'un second porte-avions est difficilement envisageable, pour des raisons budgétaires, avant 2015 voire au-delà, sauf dans le cadre d'une coopération franco-britannique qui supposerait que le Royaume-Uni adopte la technique du catapultage ;

- la lenteur de l'arrivée des Rafale est due à la contrainte budgétaire, des retards techniques ayant pu également être constatés ;

- techniquement, la France est capable de réaliser seule un porte-avions, comme le prouve la construction du Charles de Gaulle. La nécessité de la coopération n'est donc pas technique mais budgétaire.

Le Président Paul Quilès a exprimé le v_u que le rapporteur poursuive sa réflexion, et notamment sur la possibilité d'une coopération européenne dans le domaine aéronaval. Il a également regretté le dénigrement dont l'aéronautique navale est trop souvent l'objet.

M. Robert Poujade a jugé que la multiplication des critiques injustifiées à l'égard du porte-avions Charles de Gaulle s'expliquait par un esprit critique exacerbé négligeant l'étude et la réflexion, un antimilitarisme latent et une absence d'intérêt du monde politique pour la défense.

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La Commission a alors décidé à l'unanimité d'autoriser, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information sur l'aéronavale.


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