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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 6

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 16 octobre 2001
(Séance de 18 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition du Général Yves Crène, Chef d'état-major de l'armée de Terre

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La Commission de la Défense a entendu le Général d'armée Yves Crène, Chef d'état-major de l'armée de Terre, sur le projet de budget pour 2002.

Le Président Paul Quilès a observé que les dotations du titre III, qui progressaient de 1 % par rapport au budget voté de 2001, autorisaient des mesures nouvelles en faveur des personnels et permettaient une amélioration du fonctionnement courant des unités. Quant aux dotations d'équipement, elles connaissent une baisse de 7 % en crédits de paiement même si elles progressent de 10 % en autorisations de programme.

Le Président Paul Quilès a alors demandé au Général Yves Crène de détailler ces évolutions. Il s'est également félicité que son audition soit l'occasion d'examiner les résultats de la mise en _uvre de la loi de programmation 1997-2002. Il a à ce propos souligné que l'armée de Terre vivait une période de transformation et d'adaptation sans précédent, qui exigeait de ses personnels beaucoup d'efforts et de travail alors même qu'ils étaient sollicités pour de multiples engagements sur le territoire national ou à l'extérieur.

Le Général d'armée Yves Crène, Chef d'état-major de l'armée de Terre, a tout d'abord rappelé que le projet de budget représentait la dernière annuité de la loi de programmation militaire 1997-2002.

Il a souligné le caractère historique, à bien des égards, de cette loi de programmation militaire, marquée par la professionnalisation de l'armée de Terre et sa transformation complète, dans un contexte d'engagements opérationnels permanents.

Puis, abordant les rémunérations et charges sociales ainsi que le fonctionnement, il a jugé que le projet de budget permettrait à l'armée de Terre d'achever son processus de professionnalisation dans des conditions relativement satisfaisantes.

Les effectifs correspondent dans l'ensemble aux prévisions de la programmation : en 2002, la professionnalisation des effectifs militaires se poursuivra, avec la création de 5 884 postes d'engagés volontaires de l'armée de Terre (EVAT) et de 667 postes de volontaires.

Pour le personnel civil, dont la réalisation des effectifs reste indispensable, il est prévu une réduction de l'écart entre l'objectif de la loi de programmation militaire et les postes budgétaires alloués.

Le Général Yves Crène a estimé qu'en matière de condition militaire, le projet de budget constituait indéniablement un début de réponse aux attentes du personnel.

En effet, pour la première fois depuis quatre ans, des mesures catégorielles sont prévues en sa faveur. Toutefois, limitées à 57 millions de francs pour l'armée de Terre, elles concernent exclusivement les sous-officiers.

Ces premières mesures, couplées avec les mesures dites « Sapin » en faveur des bas salaires, permettront concrètement d'améliorer un peu les soldes des jeunes sous-officiers et de mieux reconnaître les compétences.

Le Général Yves Crène a considéré que le projet de budget permettrait également une poursuite mieux équilibrée du redressement du fonctionnement.

Ainsi, les crédits de fonctionnement courant et d'activité des forces, indissociables en termes de préparation opérationnelle, autorisent à la fois la réalisation de 89 jours d'activités et une première amélioration, très attendue par le personnel, des conditions de vie et de travail.

Certains besoins de fonctionnement connaîtront un début de satisfaction : l'entretien immobilier qui a longtemps souffert de la contrainte budgétaire, les dépenses liées à l'informatique courante des services et des unités, la poursuite de la montée en puissance du dispositif de recrutement et de reconversion.

Le Général Yves Crène a alors estimé que le niveau du titre III du projet de budget, qu'il a jugé satisfaisant, marquait le début d'un effort nécessaire d'amélioration de la condition militaire et du fonctionnement. Il a toutefois souligné que, pour atteindre les objectifs retenus pour 2002 en matière de fonctionnement la bonne clôture de la gestion 2001 restait indispensable, ce qui impliquait la couverture des besoins non financés de l'exercice en cours, et notamment de l'ensemble du surcoût des opérations extérieures.

Au total, le Général Yves Crène a considéré que le titre III assurait globalement la réalisation de la professionnalisation, mais que certaines de ses composantes restaient à consolider pour en faire le budget de fonctionnement équilibré d'une armée professionnelle moderne.

Le Général Yves Crène a ensuite fait part d'une appréciation plus mitigée sur les crédits d'équipement. Il a jugé que le projet de budget allait accroître le retard accumulé depuis le début de l'exécution de l'actuelle loi de programmation et ce faisant, rendre délicate l'entrée dans la prochaine.

L'enveloppe des crédits de paiement s'élève à 16 888 millions de francs, soit 2 574 millions d'euros. Elle est en baisse de 3,9 % en monnaie courante et de 5,4 % en monnaie constante par rapport à la loi de finances initiale pour 2001. Elle se situe à 246,5 millions d'euros (1 617 millions de francs) en deçà du montant de la revue des programmes. En outre, ce niveau de crédits de paiement comprend l'utilisation de 91 millions d'euros (597 millions de francs) de reports de crédits de 2001. Or, les commandes globales vont commencer à produire leur plein effet en termes de paiement. De ce fait, compte tenu des niveaux d'engagements constatés depuis 1998, l'équilibre de la gestion 2002 n'est pas acquis d'emblée. La gestion de l'année 2002 pourrait bien se terminer par un report de charges net, qui pourrait atteindre 76,2 millions d'euros (500 millions de francs). Toute annulation de crédits au cours de l'année prochaine risquerait de compromettre ce fragile équilibre.

Le Général Yves Crène a alors indiqué que le projet de budget permettrait de poursuivre, dans une certaine mesure, la modernisation de l'armée de Terre, notamment par l'acquisition de systèmes d'information et de commandement (SICF) supplémentaires, de 2 systèmes de défense sol-air (SAMP/T) et de 100 engins porte-chars. I1 permettra de poursuivre également l'effort de numérisation de l'espace de bataille (SIR).

Il financera en outre le maintien de certains matériels anciens en dotation à des standards compatibles avec les normes des engagements actuels (valorisation du VAB, du Roland, de l'AMX 10 RC et du canon de 155 mm AUF 1).

Le Général Yves Crène s'est par ailleurs félicité que le projet de budget prévoie une hausse significative des autorisations de programme consacrées à l'entretien programmé du matériel. Jugeant cette hausse représentative des besoins futurs, il a considéré qu'elle devrait contribuer à l'amélioration nécessaire de la disponibilité technique de la plupart des équipements.

Pour leur part, les crédits consacrés à l'infrastructure assureront, dans une logique de stricte suffisance, la poursuite indispensable de l'effort d'adaptation et de maintien à niveau, avec notamment le plan Vivien qui devrait être achevé vers 2004 ou 2005.

S'agissant des autorisations de programme, le Général Yves Crène a jugé que, malgré une légère augmentation, leur niveau se révélait insuffisant pour conclure un certain nombre de commandes pourtant prévues par la programmation 1997-2002, ou cohérentes avec les travaux de préparation de la loi de programmation militaire suivante. Il s'ensuivra donc des retards pour certains programmes et pour certaines opérations d'équipement au-delà de 2002.

En effet, si le niveau des autorisations de programme prévu par le projet de budget est sensiblement celui envisagé par la revue des programmes, ce niveau n'est atteint que grâce à la prise en compte d'une commande « semi-globale » du programme de missiles de la famille sol-air futur (FSAF).

Dans les faits, cette commande évince d'autres commandes prévues par ailleurs et qui ne pourront pas être passées faute de ressources suffisantes : l'écart financier entre le besoin exprimé par l'armée de Terre et le projet de budget atteint 17 %, soit un manque de 3,25 milliards de francs.

Seront notamment décalés le programme d'automatisation des tirs et des liaisons de l'artillerie sol-sol (ATLAS Canon), les programmes d'acquisition du radar de contre-batterie COBRA et du système de guerre électronique de l'avant (SGEA), les programmes de postes radio pour équiper les hélicoptères et de systèmes de défense sol-air (terminaux de distribution d'information multi-directionnelle MIDS) ainsi que les commandes des abris mobiles pour équiper les PC. La commande de gilets pare-balles sera diminuée, ce qui ralentira le rythme de renouvellement d'un équipement très utilisé en opérations.

Or, pour permettre à l'armée de Terre, encore équipée pour l'essentiel de matériels produits dans les années 70 et 80, de remplir les missions qui lui sont confiées, des équipements modernes sont essentiels, voire même vitaux.

Au total, le Général Yves Crène a jugé que les commandes prévues en 2002, mais aussi l'ensemble de celles passées depuis 1998, en particulier les commandes globales, appelaient pour les années à venir des niveaux de crédits de paiement très supérieurs à celui prévu pour 2002.

La loi de finances pour 2002 ne pourra donc pas être une référence pour préparer le budget de 2003, et donner ainsi toute leur crédibilité aux choix effectués dans le cadre de la prochaine programmation.

Le Général Yves Crène a ensuite présenté un bilan de la refondation de l'armée de Terre et de la mise en _uvre de la loi de programmation militaire 1997-2002.

Il a tenu à souligner que, pour la première fois depuis longtemps, grâce à la continuité de la volonté politique, cette loi avait été globalement exécutée, notamment quant à la programmation des effectifs.

Il a souligné que les années 1997 à 2002 auront été marquées :

- par la fin anticipée de la conscription et par un marché de l'emploi plus concurrentiel en fin de période ;

- par un engagement élevé et permanent de l'armée de Terre en opérations extérieures et dans des missions de service public, où elle a fourni en permanence près de 80 % des personnels ;

- enfin et surtout, par des milliers de mesures d'adaptation qui ont entraîné un bouleversement profond dont tout le personnel, jusqu'au plus modeste, a subi les conséquences.

Au-delà de la réorganisation des forces et de leurs soutiens, ainsi que de celle des systèmes de formation et de commandement, la professionnalisation constitue le c_ur de la refondation de l'armée de Terre. Elle a été, par construction, la priorité indiscutable de la programmation qui s'achève.

Dès la fin de l'année 2002, le format retenu pour l'armée de Terre sera atteint à 99 %. C'est indéniablement un succès malgré un déficit conjoncturel de près de 11 000 postes militaires, créé par les effets conjugués de la fin anticipée du service national et de la difficulté à réaliser les personnels civils.

En revanche pour le personnel civil, dont les effectifs ne sont pas suffisamment réalisés, des difficultés perdurent. L'année 2002 devrait permettre une amélioration quantitative, encore loin des besoins qualitatifs. De ce fait, 2 500 militaires sont actuellement prélevés sur les forces pour remplir des emplois de civils.

Pendant qu'elle se professionnalisait et se réorganisait, l'armée de Terre connaissait un taux d'engagement très élevé. Au bilan, en une décennie, elle aura perdu plus de 50 % de ses effectifs militaires, dissous plus de régiments qu'il ne lui en reste aujourd'hui, tandis qu'elle aura vu son engagement extérieur multiplié par dix.

Le Général Yves Crène a considéré qu'après une réorganisation désormais achevée pour l'essentiel, la structure de l'armée de Terre s'avérait à l'expérience performante, même si des ajustements apparaissent nécessaires, au prix d'un redéploiement limité et d'une augmentation marginale des effectifs militaires.

Certaines évolutions sont en effet requises pour satisfaire aux exigences du combat moderne et aux défis de la défense européenne : accroissement des moyens du renseignement, limitation au strict besoin de la fonction combat embarqué (chars), consolidation de la fonction combat débarqué (infanterie) et renforcement de la fonction commandement.

Un redéploiement de 3 500 postes a été décidé pour permettre ces évolutions. Il laisse encore subsister, tant en opération que dans le fonctionnement global des forces terrestres, un besoin supplémentaire de 3 000 postes, reconnu en 2001 au sein du ministère.

En outre, en 2002, l'armée de Terre française représentera, parmi les armées occidentales, celle pour laquelle la part des soutiens et de l'environnement sera la plus faible puisque sept militaires sur dix serviront directement dans les forces. Le Général Yves Crène a souligné à ce propos les contraintes qu'impose ce ratio vertueux.

Puis considérant que la refondation de l'armée de Terre devait être consolidée, il a jugé un certain nombre de mesures nécessaires.

Il a en premier lieu souhaité que l'amélioration du taux d'activité soit poursuivie. Il a ensuite mis l'accent sur divers besoins en fonctionnement reconnus dans le cadre de travaux internes au ministère, en particulier dans les domaines de la sous-traitance et de l'entretien immobilier. Il a exprimé le v_u qu'à l'avenir les besoins du fonctionnement de l'armée de Terre soient pris en compte à leur niveau réel afin d'éviter qu'ils ne soient à nouveau gagés sur les activités.

Le Général Yves Crène a ensuite insisté sur l'impératif que constitue à ses yeux l'amélioration de la condition du personnel.

Il a estimé que les mesures financières prévues par le projet de budget pour valoriser la condition militaire, ne répondaient que très partiellement aux besoins avérés du personnel et à ses attentes au regard de l'évolution de la société et des efforts consentis.

Il a souligné la nécessité de poursuivre ce premier effort, notamment au profit des officiers, pour attirer et conserver un personnel de qualité au sein de l'armée de Terre.

Il a ensuite considéré qu'après l'achèvement de la professionnalisation, il restait à moderniser en profondeur les équipements.

Il a précisé que la loi de programmation 1997-2002 avait autorisé la livraison de 310 chars Leclerc et de nombreux moyens de commandement. Il a également rappelé qu'elle avait permis de finir le développement et de lancer la production de grands programmes qui resteront à payer dans l'avenir : Tigre, NH 90, véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), FSAF.

Il n'a pas caché toutefois que la modernisation des équipements de l'armée de Terre constituait une réelle préoccupation au regard de l'âge moyen des matériels, des retards et abandons consentis durant la dernière loi de programmation, des niveaux de ressources prévus pour 2002 et pour la prochaine loi de programmation.

Après avoir souligné que l'armée de Terre était pour l'essentiel équipée de matériels anciens, dont la conception remonte aux années 60, il a indiqué que le vieillissement des parcs, leur utilisation intensive en opérations extérieures et les insuffisances budgétaires avaient eu pour conséquence une chute de la disponibilité technique opérationnelle. Il a ajouté que des mesures prises dans l'urgence, y compris dans le domaine budgétaire, permettaient d'envisager un retour à une situation moins pénalisante dès 2002.

Il a cependant fait valoir qu'en raison de l'âge des matériels et de leur utilisation intensive, un effort s'imposait sur le long terme pour éviter une rechute de leur disponibilité. Il a également souligné qu'il fallait consentir à renouveler le matériel à temps ou au moins à le revaloriser, tout en consacrant à son entretien les ressources nécessaires.

Il a alors précisé que durant ces dernières années les ressources s'étaient situées en dessous des niveaux prévus par la loi de programmation militaire :

- entre 1997 et 2002, les crédits accordés en loi de finances initiale ont représenté 90 % des niveaux prévus par la loi de programmation militaire 1997-2002. Entre 1999 et 2002, ils représentent 93 % de ceux prévus dans la revue des programmes ;

- sur les mêmes périodes, les paiements effectués représentent 86 % des crédits prévus par la loi de programmation militaire et 88 % de ceux de la revue des programmes, l'équivalent d'une annuité pouvant donc être considéré comme perdue.

Le Général Yves Crène a en outre souligné les conséquences déstructurantes, constatées encore cette année, des annulations de crédits en cours de gestion. Il a fait observer que ces annulations supprimaient ou retardaient le plus souvent des programmes d'apparence mineure, dits de cohérence opérationnelle. Il a rappelé à ce propos qu'une opération d'investissement, restaurée dans l'urgence pour répondre à des besoins cruciaux voire vitaux, générait presque systématiquement des surcoûts qui induisaient des perturbations sur d'autres programmes.

Au total, face à cette érosion de ressources, l'armée de Terre a dû abandonner quelques programmes (AC3G MP, AC3G LP) et en retarder de nombreux autres (VBCI, rénovation de l'AMX 10 RC et des postes de tir sol-air Roland, etc.).

Si le programme Tigre se déroule conformément à la programmation, en revanche, l'arrivée prévue en 2011 des premiers NH 90 contraint l'armée de Terre à envisager une modernisation partielle des hélicoptères Puma et Cougar afin de pallier partiellement une baisse prévisible de ses capacités de transport aéromobile à moyen terme.

Le Général Yves Crène a estimé qu'au-delà de ce bilan, les perspectives pour les prochaines années paraissaient peu rassurantes. En 2002, comme pour la prochaine loi de programmation, le niveau de ressources prévu ne permettra pas de rattraper les retards. Pour disposer d'un outil moderne et d'une cohérence opérationnelle globale, il reste pour l'essentiel à commander et à payer plusieurs programmes majeurs, des programmes de renseignement, les valorisations et la numérisation de l'espace de bataille.

Il ne faudrait pas que, faute de ressources suffisantes, le titre V ne serve qu'à entretenir des matériels vieillissants, sans pouvoir renouveler et moderniser de manière cohérente les équipements indispensables aux engagements futurs. Dans ce contexte, on peut craindre un décrochage qualitatif rapide vis à vis de nos alliés.

En conclusion, le Général Yves Crène a observé que l'armée de Terre, qui représente 80 % de l'action militaire de la France sur le terrain et beaucoup plus en matière de risques encourus par nos armées, ne pesait paradoxalement que 21 % du titre V de la Défense.

Témoignant sa reconnaissance aux millions de Français qui ont servi sous l'uniforme dans le cadre de la conscription, il a également rendu hommage à ceux qui ont fait la « refondation » de l'armée de Terre, soulignant qu'une mutation historique s'achevait, en grande partie grâce à eux.

Le Général Yves Crène a alors fait valoir que la capacité opérationnelle de l'armée de Terre, gage de son efficacité, reposait sur trois piliers : les effectifs, les équipements et l'entraînement. Les effectifs sont en passe d'être réalisés et l'organisation est en place. Il reste à moderniser les équipements et à réunir les moyens d'un entraînement de qualité.

Le Général Yves Crène a jugé cet effort indispensable dans un monde marqué par des conflits nombreux, aux évolutions parfois imprévisibles et aux formes multiples.

Le Président Paul Quilès a alors souhaité avoir des indications sur le volume des forces terrestres projetables à bref délai, compte tenu notamment des opérations en cours. Il a ensuite interrogé le Général Yves Crène sur les capacités d'action et de renseignement dans la profondeur de l'armée de Terre, évoquant notamment les propos du Chef d'état-major des Armées relatifs au suremploi des deux régiments actuellement affectés à ces missions et s'interrogeant sur la pertinence de la création d'une troisième unité. Il a également souhaité connaître l'appréciation du Général Yves Crène sur l'état de préparation et d'équipement des éléments des forces spéciales issus de l'armée de Terre. Il lui a par ailleurs demandé un bilan de l'utilisation des drones tactiques par l'armée de Terre et un point sur les capacités recherchées en ce domaine grâce à l'acquisition de nouveaux systèmes. Enfin, il a souhaité connaître le niveau actuel de participation de l'armée de Terre aux missions de sécurité intérieure, tout en se demandant si l'utilisation des forces terrestres dans le cadre de ces missions correspondait toujours à leur haut niveau de formation et à leurs aptitudes opérationnelles.

Le Chef d'état-major de l'armée de Terre a apporté les éléments de réponses suivants :

- aujourd'hui, l'armée de Terre déploie environ 7 500 militaires sur trois théâtres dans les Balkans (Kosovo, Bosnie-Herzégovine, Macédoine), 10 000 outre-mer, dont 5 000 stationnés en permanence et 2 500 sur le territoire national, notamment dans le cadre de l'opération Staterre (protection des sites renfermant des euros). Même s'il faut préciser qu'aucune demande en ce sens n'a été faite à ce jour, on peut estimer à 20 000 le nombre d'hommes supplémentaires qui pourraient être mobilisés, au prix d'un double aménagement - modification du rythme de relève dans les Balkans et outre-mer, modification des conditions de fonctionnement courant - et sans possibilité de relève. Ces possibilités de mobilisation sont le résultat direct de la professionnalisation qui permet une utilisation de la quasi-totalité de l'effectif. C'est d'ailleurs pourquoi, aujourd'hui, la butée, en termes de capacités, n'est plus fonction des effectifs, mais des équipements : d'où la vigilance nécessaire pour que les militaires de l'armée de Terre disposent d'équipements modernes et suffisants, en qualité comme en quantité ;

- les événements actuels soulignent l'importance du renseignement humain. Les unités de l'armée de Terre spécialisées dans le renseignement et l'action dans la profondeur sont effectivement très sollicitées, notamment dans les Balkans. Un régiment supplémentaire serait par conséquent bienvenu et permettrait une adéquation entre effectifs et missions. Aucun redéploiement interne n'étant plus possible, il ne pourrait s'agir que d'une création nette d'effectifs ;

- les forces spéciales de l'armée de Terre sont d'excellent niveau, très bien entraînées et motivées. Leur manquent certains équipements de cohérence opérationnelle, qui pourraient être acquis très rapidement dans la mesure où il s'agit de petits programmes ;

- dans le domaine des drones, l'armée de Terre dispose de deux systèmes, le CL 289 de moyenne portée (150 kilomètres) et le drone Crécerelle, équipement qu'il devient urgent de remplacer. Un marché vient d'ailleurs d'être passé avec Sagem en vue de l'acquisition d'un système de drone tactique intermédiaire : il s'agirait d'un dérivé du Sperwer, mis en _uvre par les forces néerlandaises. Au-delà, il conviendra de relever les systèmes actuels, qui datent de la guerre froide. Le projet de loi de programmation militaire pour 2003-2008 prévoit l'acquisition d'un multicapteur multimission, qui repose sur le principe d'un porteur unique auquel peuvent être adjointes des charges variables. L'armée de Terre a enfin des besoins en micro-drones, de petite portée, qui peuvent, par exemple, être utilisés pour des combats en zone urbaine ou sur des terrains accidentés ;

- sur les 2 500 militaires de l'armée de Terre mobilisés pour des missions de sécurité intérieure, 1 800 sont chargés de garder les 63 dépôts d'euros et 700 utilisés en renfort du plan Vigipirate. Ces missions font partie du rôle des armées, qui doivent répondre aux difficultés passagères que peut traverser le pays. Il faut néanmoins être conscient du fait que ces 2 500 hommes doivent être relevés tous les quinze jours, ce qui implique une forte sollicitation des unités. Ce qui est contestable, en termes d'efficacité, ce sont les missions de garde statique qui s'inscrivent dans la durée et sont, de ce fait, très éprouvantes. En revanche, pour des missions ponctuelles et urgentes, l'armée de Terre est totalement disponible, d'autant plus que ses personnels disposent, pour certains, de compétences professionnelles qui peuvent s'avérer particulièrement utiles : l'opération de neutralisation et de retrait des armes chimiques à Vimy en a fait la preuve, en mobilisant des spécialistes du transport et de la manipulation de produits toxiques, soit une force de 1 000 hommes, constituée pour dix jours, puis dissoute. Le même constat peut être fait s'agissant des inondations dans la Somme.

Le Président Paul Quilès a indiqué que, lors de ses auditions, la mission d'information sur les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre avait eu l'occasion de constater que les personnels militaires étaient parfois sollicités pour seconder certaines administrations régaliennes dans l'exercice de leurs missions.

Le Chef d'état-major de l'armée de Terre a jugé que l'armée de Terre n'avait pas vocation à pallier les manques d'effectifs des administrations civiles.

M. Jean-Claude Sandrier a estimé que l'évolution des crédits du titre III de l'armée de Terre contraignait celle des dotations d'équipement, en raison d'une sous-évaluation initiale du coût de la professionnalisation des forces. Après avoir remarqué que le titre III permettait certains progrès, il a jugé que le titre V suscitait au contraire des interrogations. Puis il a souligné les difficultés de la transformation de l'armée de Terre jugeant qu'elles avaient également été sous-estimées lors de la décision de professionnalisation. Après avoir remarqué que cette transformation s'était opérée alors que l'armée de Terre était fortement sollicitée sur les théâtres extérieur et intérieur, il s'est prononcé pour un effort budgétaire spécifique en faveur de l'armée de Terre au titre III comme au titre V.

Se référant aux évolutions récentes du contexte international, il a demandé de quels moyens l'armée de Terre pourrait disposer pour participer éventuellement à une intervention en Afghanistan, tout en exprimant des doutes sur la nécessité et l'intérêt d'une telle action. Après avoir rappelé la diversité et la lourdeur des missions demandées aux militaires de l'armée de Terre, il s'est demandé s'il ne fallait pas envisager des recrutements supplémentaires.

Insistant sur la nécessité de fidéliser les personnels, M. Jean-Claude Sandrier s'est réjoui qu'un effort soit consenti par le projet de loi de finances pour 2002 en faveur de la condition militaire, mais a estimé que beaucoup restait à faire dans les domaines des infrastructures et de l'amélioration de certains services comme les transports scolaires. Il s'est également interrogé sur les moyens de prendre en compte les inégalités régionales du coût de la vie dans le calcul de la rémunération. Puis, il a demandé si le niveau des crédits d'équipement alloués à l'armée de Terre ne compromettait pas la bonne réalisation du modèle d'armée 2015. Il s'est enfin enquis des améliorations envisagées dans le domaine de la maintenance des matériels.

M. René Galy-Dejean a tout d'abord remarqué que le titre III laissait une meilleure impression que le titre V, au sein du projet de budget de l'armée de Terre. Puis, il a estimé que les crédits des forces terrestres pour 2002 pouvaient laisser redouter que leur niveau d'équipement se détériore alors même que la professionnalisation avait été menée à bien. Il a demandé si, dans ces conditions, l'armée de Terre serait en mesure de répondre favorablement à l'accélération prévisible du processus de création de la force de réaction rapide européenne. Il s'est également interrogé sur la capacité de l'armée de Terre à suppléer les troupes américaines stationnées au Kosovo dans l'hypothèse de leur retrait.

Il a enfin souhaité savoir si l'état-major de l'armée de Terre avait conduit des études pour évaluer les besoins liés à un engagement des forces françaises, en conséquence d'une dégradation éventuelle de la situation internationale.

M. Gilbert Meyer s'est interrogé sur les modalités d'exécution du titre III en 2001 qui seraient susceptibles d'affecter les équilibres de la gestion 2002. Evoquant les réserves, il a demandé si elles étaient opérationnelles. Puis il a souhaité connaître quelles mesures seraient nécessaires pour améliorer leurs capacités.

M. Charles Cova a souhaité des précisions sur les matériels qui pourraient faire défaut à l'armée de Terre dans l'hypothèse d'une projection importante, de l'ordre de 20 000 militaires, sur un théâtre d'opération extérieure. Il s'est également interrogé sur le taux de disponibilité des matériels.

M. Yves Fromion a souligné l'intérêt des réserves pour le soutien des forces d'active engagées sur le territoire national dans le cadre de missions de service public. Il s'est par ailleurs interrogé sur les réactions des personnels militaires devant la réduction du temps de travail dans la société civile. Il a également demandé au Général Yves Crène son appréciation sur les rapports sur le moral. Après avoir souhaité des précisions sur les raisons du manque de personnel civil dans les forces, il s'est enquis des capacités de projection de l'armée de Terre. Puis il a demandé si l'armée de Terre pourrait supporter de front le niveau actuel de ses engagements et la nécessité de fournir un important contingent à la force de réaction rapide européenne.

Il a enfin voulu savoir quelle était l'analyse du Général Yves Crène sur les conséquences de l'ancienneté de conception de nombreux matériels en dotation. Il s'est alors interrogé sur l'opportunité d'engager leur renouvellement, le cas échéant dans le cadre d'une coopération européenne.

M. Aloyse Warhouver a souligné la faible différence de rémunération entre les engagés volontaires de l'armée de Terre (EVAT) et les jeunes sous-officiers, en dépit des mesures prises en faveur de ces derniers dans le projet de budget. Par ailleurs, il a souhaité connaître l'état d'avancement du plan de réparation des dégâts occasionnés sur les casernements par la tempête cyclonique de décembre 1999.

En réponse aux différents intervenants, le Général Yves Crène a apporté les précisions suivantes :

- il est exact que les poids respectifs des titres III et V ont sensiblement évolué depuis le début du processus de professionnalisation. Il s'agit d'un phénomène qui s'est vérifié dans toutes les armées professionnelles. Deux modèles d'armée se dessinent désormais clairement : le premier, caractérisé par la professionnalisation, demande une certaine croissance des dépenses ordinaires, alors que le second demeure celui des armées de conscription dont les budgets restent modestes tant en fonctionnement qu'en équipement ;

- si certains coûts liés à la professionnalisation ont pu s'avérer plus élevés que ceux qui étaient initialement prévus, il n'a pas été constaté de dérapage notable au titre III ;

- à quelques milliers de postes près, l'état actuel des effectifs militaires peut être considéré comme satisfaisant : peu d'armées européennes seraient à même, comme l'armée de Terre française, de déployer de 40 000 à 50 000 hommes avec leurs équipements, ce qui témoigne de la valeur de l'outil désormais constitué ;

- s'agissant plus particulièrement de l'hypothèse d'opérations de grande ampleur dans le cadre du conflit afghan, il convient de rappeler que la loi de programmation 1997-2002 prévoit la constitution d'une capacité d'intervention maximale instantanée de 50 000 hommes avec des moyens cohérents en matière d'équipement, ce qui, en tenant compte des déploiements actuels, est cohérent avec le volume de 20 000 hommes précédemment cité. En tout état de cause, les réponses aux défis lancés par le terrorisme international ne sont pas d'ordre essentiellement militaires, mais supposent principalement la mise en _uvre d'actions civiles coordonnées de nature notamment policière, judiciaire ou financière ;

- des études ont été menées afin d'estimer l'état des effectifs potentiellement disponibles pour une opération de grande ampleur. Cet exercice a permis de confirmer que les contraintes étaient plus préoccupantes dans le domaine des équipements que dans celui des effectifs ;

- les conditions de vie des militaires constituant un enjeu majeur pour leur fidélisation, l'effort engagé avec les mesures catégorielles arrêtées dans le cadre du projet de budget devra être poursuivi au cours des prochains exercices ;

- la faiblesse de la différence de rémunération entre les EVAT et les sergents est un problème bien réel dont témoignent notamment les rapports sur le moral. Le redressement de cette situation a été jugée prioritaire dans la préparation du projet de budget. Une mesure nouvelle modeste, mais qui constitue un premier progrès, y a été inscrite à cet effet ;

- alors que la question des disparités du coût de la vie entre les régions d'implantation des unités est posée depuis de nombreuses années, les armées, de même que les administrations civiles, n'ont pas la possibilité juridique de corriger ces disparités par des mesures salariales ;

- l'armée de Terre a par ailleurs hérité, plus que les autres armées, d'habitudes de vie en décalage avec celles du monde civil ;

- les militaires constatent l'évolution de la société civile et la réduction du temps de travail, y compris pour les civils du ministère de la Défense. C'est donc un sujet de discussion. Au nom de la disponibilité totale, l'armée de Terre a établi des contraintes qui n'étaient pas toujours indispensables. Des allégements des astreintes non justifiées par des nécessités opérationnelles sont nécessaires pour ne pas décourager les militaires et leurs familles ;

- le rapport sur le moral est sincère et explicite. Beaucoup d'informations, qui recoupent celles recueillies lors des visites régimentaires, remontent par ce biais. A la lumière notamment des conclusions du rapport parlementaire de MM. Bernard Grasset et Charles Cova sur les espoirs et inquiétudes des militaires, le Chef d'état-major de l'armée de Terre adressera aux unités une synthèse des rapports sur le moral qu'elles lui ont présentés ;

- la réalisation du modèle d'armée défini pour 2015 peut effectivement être compromise par le retard d'une année environ constaté dans l'application des dispositions de la loi de programmation 1997-2002 relatives aux équipements ;

- aucun matériel majeur ne fait actuellement défaut à l'armée de Terre, hormis certaines indisponibilités temporaires d'ordre technique. Toutefois des programmes de cohérence opérationnelle portant sur des matériels secondaires mais néanmoins indispensables au déroulement d'opérations extérieures ont été affectés soit par des réductions de cibles soit par des reports ou des étalements dans le temps ;

- s'agissant du renouvellement des matériels, l'armée de Terre ne recherche pas d'accroissement global des capacités, notamment par un accroissement des performances technologiques. Le maintien en état des capacités actuelles est suffisant. Or, il n'est pas totalement assuré dans les années à venir ;

- en matière de maintenance, l'armée de Terre a été confrontée à de réelles difficultés tenant, d'une part, à une diminution des disponibilités budgétaires et, d'autre part, à certains obstacles liés aux modes de passation des marchés publics. Le relèvement notable, dans le projet de budget, des dotations d'entretien programmé des matériels répond à une urgence dans une situation très différente de celle de la guerre froide. Les ressources budgétaires étant limitées, le choix de la valorisation à mi-vie est souvent préféré à celui du renouvellement rapide. Il n'est par ailleurs plus possible de jouer sur les effets de la réduction des parcs de certains matériels pour l'approvisionnement en rechanges ;

- compte tenu de la diminution des missions instantanées et de celle des moyens, l'armée de Terre avait visé un taux de disponibilité opérationnelle des équipements de 80 % à 90 %. Ce taux s'est dégradé en 1999 et plus encore en 2000, pour accuser un retard de 15 points. C'est pourquoi, en avril 2001, à la suite d'un audit, un plan d'action maintenance a été mis en _uvre, qui identifie cinquante mesures à prendre. A ce jour, 50 % du parc de l'armée de Terre est sorti de ces difficultés et il en ira de même de la seconde moitié en 2002 ;

- s'agissant des problèmes de maintenance spécifiques au char Leclerc, ils sont dus, d'une part, au fait que ce matériel était nouveau, et d'autre part, au retard dans la livraison de certains rechanges ;

- l'armée de Terre n'aura aucune difficulté à honorer ses obligations liées à l'objectif global d'Helsinki, soit une participation à hauteur de 20 %. Tous les pays européens conçoivent ces capacités en termes exclusifs. La France est particulièrement bien placée : dans le monde d'aujourd'hui, une armée professionnelle aux effectifs limités a une efficacité plus grande. Son organisation modulaire permet en outre à l'armée de Terre de choisir dans des réservoirs de forces celles qu'elle peut affecter à l'objectif global européen ;

- certaines troupes non européennes engagées aux côtés des éléments français déployés au Kosovo se retirent du dispositif. La Grèce a accepté d'engager un bataillon pour succéder à l'unité emiratie qui doit prochainement quitter la brigade multinationale nord. Le départ du contingent américain soulèverait des difficultés d'une autre nature, mais en tout état de cause l'armée de Terre française n'en supporterait pas seule les effets et elle ne serait pas la plus mal préparée à cette possibilité. Par ailleurs, une réévaluation du dispositif de la SFOR pourrait être envisagée ;

- les surcoûts des opérations extérieures de l'exercice en cours pourraient, s'ils n'étaient pas financés dans le cadre du collectif, réduire l'effet des améliorations prévues par le projet de budget en matière de fonctionnement ;

- le nouveau concept de réserves intégrées aux forces d'active paraît pertinent. L'armée de Terre n'a toutefois pas encore réalisé sa cible des 30 000 recrutements de réservistes. Elle ne compte à ce jour qu'un peu plus de 10 000 réservistes. Un trop grand nombre de réservistes rencontrent toujours des difficultés lorsqu'ils demandent à leurs employeurs, y compris certaines administrations, de les libérer pour leur permettre d'effectuer les missions militaires qu'ils seraient à même de remplir. Les travaux engagés dans le cadre du Conseil supérieur de la réserve militaire devraient permettre d'apporter certaines améliorations à cette situation ;

- le déficit en personnels civils provient principalement des gels de postes et des interdictions de recrutement d'ouvriers d'Etat, alors que les effectifs budgétaires sont conformes à la loi de programmation militaire ;

- l'impossibilité de recruter des personnels civils est particulièrement pénalisante : 2 500 militaires remplacent aujourd'hui des personnels civils manquants ;

- en matière d'infrastructures, l'armée de Terre doit encore assumer des travaux d'adaptation aux besoins découlant de la professionnalisation. Un plan de mise à niveau des infrastructures est en cours jusqu'en 2004 : bien qu'il existe de fortes disparités selon les unités, près de 60 % des EVAT et environ 40 % des sous-officiers logés dans les quartiers disposent, à ce jour, de locaux mis aux normes modernes. L'armée de Terre se trouve donc à mi-parcours en ce domaine ;

- les dégâts subis par l'armée de Terre suite aux tempêtes de 1999 se sont élevés à 300 millions de francs. Des opérations d'infrastructure sont menées pour y remédier, dans le cadre plus général des plans de remise à niveau en cours d'exécution.


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