Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission de la défense nationale et des forces armées (2001-2002)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 20 novembre 2001
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen du rapport d'information sur la réforme de la coopération militaire (M. Bernard Cazeneuve, rapporteur)


2

- Informations relatives à la Commission

7

La Commission a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Bernard Cazeneuve sur la réforme de la coopération militaire.

M. Bernard Cazeneuve a d'abord présenté le contexte dans lequel s'était opérée la réforme de la coopération militaire décidée il y a trois ans. Il a rappelé que ce contexte avait été marqué par la fin de la guerre froide et la disparition des blocs au profit d'un système de relations internationales plus complexe, ainsi que par la disparition du ministère de la Coopération, auquel la coopération militaire était rattachée.

Il a précisé que, pour accomplir la mission d'information qui lui avait été confiée, il avait rencontré à Paris plus de vingt personnalités en charge de la coopération militaire, au ministère des Affaires étrangères, mais aussi au ministère de la Défense, et auprès du Premier ministre. Il a ajouté qu'il avait également pu évaluer la mise en _uvre de la réforme de la coopération militaire à l'occasion d'un déplacement au Sénégal.

Puis il a insisté sur le caractère bénéfique de cette réforme. La nouvelle Direction de la coopération militaire et de défense (DCMD) a su trouver sa place au sein de la Direction générale des affaires politiques et de sécurité. Des méthodes nouvelles, telles que la coopération par projet, ont été instaurées, les actions réorientées, vers la formation et l'aide aux gendarmeries notamment. L'implantation de la DCMD au ministère des Affaires étrangères a conduit les ambassadeurs à porter une plus grande attention aux actions de coopération militaire et à mieux connaître les fonctions et les actions des attachés de défense, chefs de mission d'assistance militaire locale.

Le rapporteur a ajouté qu'il avait pu se rendre compte, lors de sa mission au Sénégal, que la question de la place des forces prépositionnées au sein de la coopération militaire et du contrôle politique de leur action avait été traitée comme il le fallait dans le cadre de la réforme. Il a conclu que le contrôle politique de la coopération militaire était désormais mieux assuré et la visibilité diplomatique de ses actions bien meilleure qu'avant la réforme.

M. Bernard Cazeneuve a alors abordé la question des actions spécifiques du ministère de la Défense en matière de coopération militaire. Après avoir rappelé que la coopération conduite par le ministère des Affaires étrangères l'était avec des moyens issus des armées, il a souligné que le ministère de la Défense conduisait ses propres actions dans ce domaine. Il a alors exposé que le ministère de la Défense avait mis en place un dispositif puissant, aux méthodes éprouvées, et en cours de modernisation rapide. Indépendamment de leur représentation au sein des organisations militaires internationales, comme l'OTAN, les armées disposent, pour l'essentiel sous l'autorité de l'état-major des Armées, de 477 militaires à l'étranger, dans des postes d'attachés de défense, d'attachés de défense adjoints, d'officiers d'échange ou d'officiers de liaison, soit plus que les 406 postes de coopérants militaires techniques de la DCMD. L'implantation géographique des postes dépendant des armées n'est pas concentrée sur l'Afrique, comme celle de la DCMD, mais répartie sur l'ensemble du globe en fonction du réseau d'amitié traditionnel de la France. Quant aux structures centrales, celle de l'état-major des Armées est à elle seule plus puissante que celle de la DCMD.

M. Bernard Cazeneuve a précisé que la coopération militaire des armées était organisée selon un dispositif spécifique, le système de la Commission mixte, ou celui de la réunion d'état-major pour nos alliés les plus proches, notamment européens. Il a souligné que ce mode d'organisation, s'il n'avait rien en commun avec les modes d'action de la DCMD, était néanmoins fonctionnel et permettait un contrôle précis par l'autorité militaire et politique. Il a ajouté que la coopération conduite par le ministère de la Défense était désormais systématiquement encadrée par des accords, dont le ministère des Affaires étrangères avait pleine communication.

Le rapporteur a alors fait observer que ce dispositif, à l'ampleur jusqu'ici méconnue, se juxtaposait à celui du ministère des Affaires étrangères plus qu'il ne s'y combinait.

Il a aussi fait remarquer que, si la coopération militaire était systématiquement encadrée par des accords, il n'apparaissait pas pour autant que le Parlement en ait toujours connaissance.

Le rapporteur a alors formulé plusieurs propositions.

S'agissant d'abord de l'organisation administrative et de la conduite de la coopération militaire, il a souligné que la création de la DCMD avait été un événement positif. Considérant que le ministère des Affaires étrangères devait pouvoir exercer sa compétence propre en matière de cohérence de l'action extérieure de la France, il a jugé que la DCMD était bien l'instrument d'exercice de cette compétence qui manquait jusqu'ici dans le domaine de la coopération militaire et qu'il convenait donc d'en conforter l'existence.

Rappelant ensuite que la conduite concrète des actions de coopération militaire était aujourd'hui partagée entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Défense, il a jugé que cette organisation ne présentait pas de difficulté, pourvu qu'elle soit l'effet d'une décision réfléchie, qu'elle permette un pilotage gouvernemental clair, et que là où il n'est pas en première ligne, le ministère des Affaires étrangères exerce son droit de contrôle et d'orientation.

Sur ce point, il a estimé que, si les instruments de liaison et d'information existaient entre les acteurs de la coopération militaire, leur fonctionnement devrait être mieux systématisé et des dispositifs élaborés pour garantir une meilleure expression non seulement de la parole mais aussi des prérogatives d'orientation et de contrôle du ministère des Affaires étrangères. C'est pourquoi il a considéré qu'un processus itératif, associant le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Défense et les services du Premier ministre devait être institué. Il a précisé que ce dispositif, qui permettrait de structurer plus solidement la conduite de la coopération militaire, n'aurait à traiter que les questions les plus sensibles et les plus difficiles.

M. Bernard Cazeneuve a alors estimé que l'ensemble du système de pilotage devait placer de manière permanente la coopération militaire sous l'autorité du Conseil de défense. Il a également jugé que le Conseil de défense devait être régulièrement réuni pour statuer sur les questions de coopération militaire et de défense, selon la périodicité qui avait fait ses preuves à l'occasion de la réforme de 1998, c'est-à-dire trois ans.

Le rapporteur a ensuite présenté une deuxième série de propositions, relative au contrôle du Parlement sur la coopération militaire.

Il a d'abord exposé que les Conseils de défense étaient secrets, et que, par conséquent, le Parlement n'avait pas en principe connaissance des questions qui y sont traitées ni des décisions qui y sont prises. Puis il a fait observer que le champ des décisions prises dans ce cadre n'avait sans doute pas vocation à être couvert en totalité par le secret de la défense nationale. Il en a voulu pour preuve le fait qu'au fil du temps, le Parlement avait naturellement pu prendre connaissance des décisions prises en décembre 1998 sur la réforme de la coopération militaire. Jugeant toutefois que cette information avait été obtenue dans des conditions aléatoires et tardives, il a proposé que les Ministres concernés présentent au Parlement les grandes réformes décidées en Conseil de défense. Soulignant que le Gouvernement resterait bien sûr maître de ne pas communiquer les informations couvertes par le secret de la défense nationale ou des affaires étrangères, il a conclu qu'ainsi, dans le respect de ses prérogatives serait accompli un pas notable vers une meilleure reconnaissance des pouvoirs de contrôle du Parlement en matière de coopération militaire et de défense.

M. Bernard Cazeneuve a alors abordé la question des accords de coopération militaire et de défense. Il a d'abord souligné que nombre de ceux-ci, quoique non couverts par le secret, n'avaient jamais été ni publiés, ni transmis au Parlement, même si la doctrine du ministère des Affaires étrangères avait évolué vers une publication aussi systématique que possible des accords non classifiés. Puis il a exposé qu'en sa qualité de rapporteur pour avis des crédits des Affaires étrangères, il demandait systématiquement à l'occasion du questionnaire budgétaire que les accords nouvellement conclus lui soient adressés, ou sinon que le refus de communication soit motivé. Il a indiqué à cet égard qu'il avait ainsi pu obtenir la communication de plusieurs accords qui n'étaient ni publiés ni classifiés, et qu'il envisageait de faire figurer en annexe de son rapport d'information.

Il a alors considéré qu'un ultime pas devait être fait : la transmission à la Commission des accords au fil de leur signature, en dehors du rendez-vous budgétaire annuel. Il a proposé que les accords de coopération militaire et de défense non classifiés soient désormais transmis sans délai par le Gouvernement, à la suite de leur signature, aux Présidents des Commissions chargées de la défense des deux Assemblées.

Le rapporteur a ensuite abordé la question des accords de coopération militaire et de défense secrets.

Rappelant que la Commission s'était interrogée à plusieurs reprises sur la façon dont l'obstacle du secret pourrait être surmonté, il a relevé que la difficulté résidait dans la conciliation entre une éventuelle habilitation des parlementaires à obtenir communication de ces accords, normalement assortie de dispositions pénales spécifiques, et leur irresponsabilité civile et pénale dans l'exercice de leurs fonctions, qui est l'une des clés de voûte du statut constitutionnel du Parlement.

Il a alors fait valoir que, en tout état de cause, quand bien même un parlementaire pourrait avoir, dans des conditions d'habilitation qui restent à déterminer, communication d'accords secrets, il ne pourrait être en aucun cas certain qu'il serait en possession de la totalité du dispositif, n'ayant aucun moyen de vérification.

Il a ensuite indiqué que l'exemple de la crise de la Côte d'Ivoire en 2000 semblait illustrer la possibilité, pour l'une des parties, de ne pas appliquer toutes les dispositions d'un accord secret ; à l'inverse l'exemple du Kosovo lui a paru être la preuve que des Etats pouvaient engager des actions militaires dans un cadre juridique fixé pour la circonstance.

Soulignant que, dans ces conditions, le contrôle des accords secrets pouvait s'avérer décevant puisque très difficile à mettre en _uvre, jamais sûr, et partiel, il a conclu à la nécessité de privilégier le suivi des actions militaires menées en coopération avec le pays concerné.

Puis il a proposé que le contrôle parlementaire sur les actions extérieures de la France en matière de coopération militaire et de défense soit développé sous toutes ses formes : contrôle de routine par des visites régulières auprès des forces et des missions d'assistance militaire à l'étranger et contrôle budgétaire.

Il a particulièrement insisté sur le renforcement du contrôle que la Commission exerce par le canal de l'examen des lois de finances sur les opérations extérieures. Il a souligné à cet égard la nécessité d'exploiter les dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Il a estimé que la Commission devrait s'emparer systématiquement de la possibilité qui va lui être donnée d'être saisie pour information des mesures de gestion budgétaire relatives aux opérations extérieures et qu'elle devrait faire valoir son droit à obtenir également communication des décrets d'avances permettant leur financement. Il a également proposé que toutes les commissions concernées puissent exprimer un avis sur les décrets d'avances à l'instar de ce que la loi organique prévoit pour la Commission des Finances.

Abordant alors la situation de l'état-major des Armées, M. Bernard Cazeneuve a exposé qu'il prenait une place de plus en plus grande au sein du dispositif d'action de la France à l'étranger avec le développement des interventions militaires extérieures et plus généralement celui de l'action internationale du ministère de la Défense.

Il a considéré que, dans ces conditions, il paraissait difficile que l'état-major des Armées n'accède pas à une plus grande maîtrise de son organisation et de son financement. Saluant les efforts faits en matière de comptabilité analytique ou de gestion des postes permanents à l'étranger, dont il a rappelé qu'ils venaient d'être rattachés à l'état-major des Armées, il a jugé que le renforcement de l'autonomie de l'état-major des Armées en matière d'organisation devait se poursuivre et s'amplifier.

Enfin, il a estimé que la Commission devait établir avec l'état-major des Armées des relations plus régulières et plus solides qu'actuellement. Soulignant que, grâce notamment à ses travaux budgétaires, la Commission connaissait bien chacune des trois armées et la Gendarmerie, leurs personnels, leurs missions, leurs difficultés, leurs points forts et leurs attentes, il a regretté qu'un lien comparable ne soit pas établi avec l'état-major des Armées, qui constitue le commandement opérationnel des forces et leur structure d'emploi. Il a alors considéré que le renforcement de l'état-major des Armées et le développement de ses tâches imposaient la mise en place d'un suivi permanent de ses activités par la Commission, dans le cadre de la procédure budgétaire ou autrement.

Après avoir félicité le rapporteur pour la richesse de ses analyses, le Président Paul Quilès a jugé que les idées contenues dans son rapport d'information s'inscrivaient dans la ligne des réflexions menées par la Commission depuis 1997. Il a rappelé à ce propos que le rapport de la mission d'information sur les événements du Rwanda, publié en 1998, avait déjà mis en lumière certains dysfonctionnements de la politique française de coopération militaire en concluant à la nécessité d'un renforcement du contrôle du Parlement dans ce domaine. Il a alors souhaité une formulation plus précise de la proposition demandant un contrôle accru sur les actions menées en application d'accords de défense secrets. Puis, soulignant l'importance du rôle de l'état-major des armées dans la conduite des opérations de gestion de crise qui constituent aujourd'hui la tâche principale des forces, il s'est félicité de la proposition du rapport visant à resserrer les liens entre la Commission et cette instance. Enfin, il a regretté que l'initiative prise par la Commission pour instaurer un contrôle parlementaire de la politique du renseignement n'ait pas abouti, notre pays étant toujours en retard par rapport aux autres démocraties en ce domaine.

M. Charles Cova s'est interrogé sur la publication, en annexe au rapport, du contenu de certains accords de défense, estimant qu'elle pouvait gêner certains pays auxquels nous sommes liés par ces accords.

M. Robert Gaïa a rappelé que les troupes françaises prépositionnées, en Afrique notamment, participaient aussi à des actions de coopération. Il a alors estimé que les chevauchements inévitables qui en résultaient avec les actions d'autres ministères méritaient un traitement politique d'ensemble au plus haut niveau. Soulignant que le nombre de militaires participant aux actions de coopération dans les zones de crise était comparable à celui des agents civils, il a regretté la faiblesse de la coordination entre tous les intervenants, cause de certains dysfonctionnements. En ce qui concerne l'accès des parlementaires à des informations couvertes par le secret de la défense nationale, il s'est demandé si le droit de regard récemment reconnu au Parlement sur l'attribution des crédits de fonds spéciaux n'allait pas permettre, par contagion, d'autres avancées.

M. Bernard Cazeneuve a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- contrôler l'application d'un traité dont on ne connaît pas nécessairement toutes les clauses est par nature très difficile. C'est la raison pour laquelle le contrôle parlementaire pourrait trouver à s'exercer à l'occasion des actions de coopération militaire conduites avec le pays concerné, puisqu'à ce moment-là disparaît le secret ;

- de plus en plus d'actions de coopération sont définies par l'état-major des Armées, souvent dans le cadre de commissions mixtes présidées par les Chefs d'états-majors. Les actions internationales propres à l'état-major des Armées constituent un phénomène nouveau ;

- aucun accord publié en annexe du rapport ne comporte de clause classifiée. Lorsque certaines dispositions pourraient être considérées comme gênantes par une des parties, une clause de non-divulgation ou de non-publication est introduite à leur demande au sein de l'accord ;

- les actions de coopération menées par les forces prépositionnées d'une part et les coopérants militaires d'autre part se déroulent en parallèle car les deux dispositifs se juxtaposent. 406 coopérants militaires agissent sous l'autorité du Ministre des Affaires étrangères et 477 militaires en poste à l'étranger sont placés sous l'autorité directe du Ministre de la Défense. La plupart des coopérants militaires relevant du Ministre des Affaires étrangères sont employés en Afrique sub-saharienne alors que ceux relevant directement du Ministre de la Défense sont répartis sur toute la planète. C'est justement parce que l'articulation entre ces deux dispositifs n'est pas optimale qu'il conviendrait de réunir, une fois l'an, les responsables des deux ministères sous l'autorité du Premier ministre afin de mieux coordonner les deux logiques qui sous-tendent leurs actions : le ministère des Affaires étrangères agit en fonction de principes généraux alors que celui de la Défense est plus guidé par le souci opérationnel.

La Commission de la Défense a alors décidé, à l'unanimité, d'autoriser, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information sur la réforme de la coopération militaire.

*

* *

Informations relatives à la Commission

La Commission a nommé M. Jean-Yves Le Drian rapporteur pour avis sur le projet de loi de finances rectificative pour 2001.

Elle a en outre chargé M. François Lamy de préparer une communication sur les opérations extérieures et décidé de tenir un débat sur cette communication.


© Assemblée nationale