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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 19

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 29 novembre 2001
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Robert Gaïa, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Marie Poimboeuf, Directeur de DCN, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2001


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La Commission a entendu M. Jean-Marie Poimboeuf, Directeur de DCN, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2001.

M. Jean-Marie Poimboeuf, Directeur de DCN, a d'abord resitué le projet de réforme du statut de l'entreprise dans le cadre de l'évolution de l'industrie européenne d'armement, en soulignant des facteurs qu'il a qualifiés de structurants. A cet égard, il a insisté sur la tendance à la concentration de la demande reflétée notamment par la mise en place de l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAR) et sur l'importance des restructurations industrielles déjà accomplies qui concernent désormais le secteur de la construction navale militaire, après ceux des industries aéronautiques et de l'électronique de défense. Mentionnant à titre d'exemple le groupe allemand HDW, principal concurrent de DCN dans le domaine des sous-marins à propulsion conventionnelle, M. Jean-Marie Poimboeuf a rappelé que ce groupe avait déjà racheté les activités de construction navale de l'industriel suédois Kockums puis noué des accords avec le chantier italien Fincantieri et, le mois dernier, acquis l'entreprise grecque Scaramanda. Il a également évoqué les discussions actuellement conduites entre HDW et le chantier espagnol Izar, principal partenaire de DCN pour les activités de construction de sous-marins classiques, soulignant qu'elles démontraient à l'évidence que les restructurations se poursuivaient encore.

Puis, il a fait observer que la pression sur les prix qui résultait des réductions généralement constatées dans les budgets de défense imposait aux états-majors comme à la Direction générale pour l'Armement de rechercher les meilleurs systèmes aux meilleurs coûts. Il a alors souligné que, face à une telle situation, DCN n'était pas restée sans réaction puisqu'elle avait déjà mené à bien la spécialisation de l'ensemble de ses établissements et adapté son outil industriel en ramenant ses effectifs de quelque 28 000 agents au début des années 90 à 14 800 aujourd'hui. Il a toutefois signalé que des besoins en recrutement étaient apparus pour certaines spécialités techniques et jugé nécessaire d'y pourvoir dans les meilleurs délais. Il a par ailleurs souligné que DCN s'était dotée d'un nouvel outil de gestion économique et financier permettant de faire évoluer ses comptes vers un véritable système de comptabilité d'entreprise.

Il a également indiqué que des schémas directeurs dont l'application se poursuit actuellement avaient été arrêtés pour chacun des sites industriels. Puis, il a souligné le renforcement en cours du professionnalisme de l'ensemble des postes de travail liés aux fonctions d'achat, tout en insistant sur les limites que le statut d'administration particulier à DCN imposait aux efforts d'amélioration de sa compétitivité. Il a alors jugé pleinement justifiée la décision prise par le Gouvernement, le 6 juillet dernier, de transformer DCN en entreprise nationale. Puis, il a rappelé les principes de cette réforme : constitution de DCN en société, maintien des statuts particuliers aux personnels actuellement en fonction à DCN, conclusion d'un contrat d'entreprise fixant durablement les relations financières de DCN avec l'Etat.

Evoquant ensuite la concertation conduite avec les partenaires sociaux, le Directeur de DCN a indiqué qu'il avait présidé, depuis le mois de juillet dernier, quatre réunions plénières avec les organisations syndicales représentatives et adressé de façon individuelle quatre lettres explicatives sur la réforme à chacun des agents de l'entreprise. Il a également signalé qu'une « boîte aux lettres » électronique avait été ouverte afin de répondre à toutes les questions directement posées par ces agents, notamment sur les conséquences de la réforme à l'égard de leur situation personnelle.

Le Directeur de DCN a ajouté que l'un de ses adjoints, responsable de la préparation de la réforme, effectuait actuellement un tour des établissements et aurait rencontré, au terme de cette série de visites, l'ensemble du personnel d'encadrement, soit plus de 2 000 personnes.

S'agissant de la situation spécifique de certaines catégories professionnelles, M. Jean-Marie Poimboeuf a souligné qu'il s'était personnellement engagé à recevoir leurs représentants. Il a à ce propos indiqué qu'il avait déjà reçu les représentants des techniciens supérieurs d'étude et de fabrication (TSEF) et qu'il s'apprêtait à rencontrer prochainement ceux des secrétaires administratifs.

Il a alors insisté sur le rôle de la concertation au cours des différentes étapes d'élaboration du projet de réforme, en indiquant par exemple qu'elle avait permis de mieux expliciter le caractère étatique de la future entreprise nationale et de préciser que la conclusion du contrat d'entreprise interviendrait préalablement à son premier exercice d'activité. Il a également souligné que, grâce à la concertation, les possibilités de mise à disposition des ouvriers d'Etat, initialement limitées à quinze ans, seraient désormais ouvertes à chacun jusqu'au terme de la carrière.

Il a en outre indiqué qu'à la suite des remarques des partenaires sociaux sur le caractère relativement bref des dispositions législatives proposées, un document explicatif leur avait été adressé afin de développer l'essentiel des mesures à prendre par la voie réglementaire. Il a précisé qu'après avoir recueilli les observations des organisations syndicales sur ce document, le Ministre de la Défense avait accepté d'en signer une version finale. Après avoir souligné que l'article 36 du projet de loi, son exposé des motifs et le document explicatif constituaient un ensemble cohérent, il a indiqué que le premier projet de décret d'application serait probablement adressé aux organisations syndicales au cours de la prochaine semaine.

Abordant ensuite le contrat d'entreprise, il a précisé qu'il énoncerait les mesures d'accompagnement et de soutien dont bénéficierait la nouvelle société pour le démarrage de ses activités, en matière notamment de restructuration de sites ou de développement de produits nouveaux. Il a ajouté que ces mesures comprendraient plus généralement des garanties d'activité tant pour les principaux programmes de constructions neuves comme ceux des frégates multimissions ou des sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda que pour les opérations de maintien en condition opérationnelle. Il a ajouté que le contrat d'entreprise ouvrirait des perspectives de recrutement de nouveaux employés pour des métiers dont les qualifications sont absolument nécessaires. Il a alors précisé que l'architecture du contrat d'entreprise avait d'ores et déjà été esquissée et qu'une première version en serait prochainement transmise aux partenaires sociaux. Il a ajouté que, dès le mois de février 2002, les principales dispositions relatives à son contenu ainsi qu'aux premières activités qui seront attribuées à DCN devraient être définies.

En conclusion, M. Jean-Marie Poimboeuf a souligné que la réforme, qui avait pour but de conforter l'entreprise dans sa capacité à affronter ses concurrents, s'effectuerait dans la concertation et de manière progressive et organisée.

Relevant que les principaux éléments du contrat d'entreprise seraient connus en février 2002, M. Robert Gaïa, Président, a demandé à quelle date serait précisée leur déclinaison par site. Notant également qu'il était prévu que la future société de préfiguration procède à des recrutements dans les fonctions commerciale et administrative, il s'est inquiété des embauches dans les métiers de production, où le manque de personnel était patent.

M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis, s'est interrogé sur la date précise prévue pour la constitution de la société de préfiguration, qui semblait imminente. Il s'est ensuite interrogé sur le statut de la note explicative fournie au personnel et a demandé quelles autorités elle engageait.

Il a ensuite fait état de l'appréhension que semblaient ressentir les TSEF sur leur place et leur statut au sein de la nouvelle société, alors qu'ils devraient en être des acteurs déterminants et qu'ils croyaient à l'avenir de DCN dans son nouveau statut.

M. Bernard Cazeneuve s'est interrogé sur l'intérêt d'une simple note explicative au personnel alors que la préparation des décrets d'application semblait très avancée.

M. Jean-Noël Kerdraon a relevé que les dispositions envisagées semblaient laisser le choix à la nouvelle société de proposer une évolution de la situation à certains plutôt qu'à d'autres, tout en permettant une diversité des statuts. Il s'est alors interrogé sur les clivages au sein du personnel que cette situation risquait de créer.

Il a également évoqué la situation des TSEF qui n'ont pas pu accéder au corps des ingénieurs d'étude et de fabrication (IEF).

Puis il a demandé quelles étaient les prévisions quant à l'évolution du produit de la taxe professionnelle payée par DCN.

S'interrogeant sur la convention collective qui serait adoptée par la nouvelle société, il a demandé si celle de la métallurgie serait reprise ou si un autre dispositif serait négocié.

M. Jean-Noël Kerdraon a ensuite insisté sur la nécessité pour la nouvelle société de disposer d'un personnel formé à la gestion des ressources humaines.

Enfin, il a tenu à remercier M. Jean-Marie Poimboeuf, estimant que son charisme et son expérience, conjugués à la volonté politique du Ministre de la Défense, avaient permis de réunir les conditions du sauvetage de DCN.

M. Jean-Claude Sandrier a interrogé M. Jean-Marie Poimboeuf sur l'évolution de l'attitude des syndicats qui, après avoir assez bien accepté l'accord du 6 juillet, exprimaient aujourd'hui leur désaccord avec le texte proposé en regrettant de n'avoir pas été suffisamment associés à son élaboration.

Il a ensuite demandé quelle serait la valeur du document explicatif mentionné par le Directeur de DCN.

Enfin, il a demandé des précisions sur la valeur de l'engagement de l'Etat concernant le plan de charges de la future société.

M. Jean-Claude Viollet s'est enquis du montant et de la nature du capital de la nouvelle société. Il a également souhaité obtenir des éclaircissements sur la mise à disposition des ouvriers de l'Etat et sur les limites statutaires du détachement.

Après s'être interrogé sur la difficulté d'intégrer les spécialités de DCN dans une convention collective existante, il a demandé dans quelles conditions les opérations en cours seraient reprises par la nouvelle société. Enfin, après avoir souligné la nécessité de préserver l'unité de DCN, il a interrogé M. Jean-Marie Poimboeuf sur la nature de ses filiales.

M. Charles Cova a demandé si les choix de statut effectués individuellement par les personnels seraient irréversibles.

M. Jean-Marie Poimboeuf a apporté les éléments de réponse suivants :

- les éléments du contrat d'entreprise qui seront présentés en février prochain ne comporteront pas seulement des indications globales sur la société, son positionnement, les recrutements à opérer, les axes d'action, mais aussi une déclinaison par site. Ainsi les besoins seront précisément chiffrés et DCN pourra les faire valoir utilement dans ses négociations avec l'Etat ;

- il est prévu que la société de préfiguration procède à des recrutements dans les fonctions administrative, commerciale et de gestion des ressources humaines. Mais elle ne recrutera pas dans les métiers de production. En revanche, en 2002, DCN effectuera 260 recrutements, 120 de cadres, 100 de techniciens, et 40 d'ouvriers sous statut dans les domaines où les manques sont les plus criants : entretien des systèmes de propulsion et métiers de coque ;

- la mise en place de la société de préfiguration est espérée avant Noël. Les projets de décret nommant les représentants de l'Etat sont prêts. Pour la nomination du Président, les discussions devraient s'achever la semaine prochaine ;

- la note explicative représentera un engagement non pas simplement du Directeur de DCN mais du Ministre de la Défense. Le Ministre devrait signer cette note avant le 15 décembre, une fois la consultation des partenaires sociaux achevée. La note traitera à la fois du statut de l'entreprise, du contenu du contrat d'entreprise et du régime des personnels. Elle présentera l'avantage de constituer un engagement immédiat alors qu'il faudra plusieurs mois pour prendre l'ensemble des décrets d'application. Tous ces décrets seront néanmoins pris avant la fin de la législature ;

- il a été exposé très clairement aux TSEF qu'ils faisaient partie non seulement de l'encadrement, mais des cadres de DCN, comme les secrétaires administratifs. Tant leurs diplômes que leur expérience leur confèrent sans contestation un statut de cadre aux termes de la convention collective. Pour les TSEF qui voudraient rester fonctionnaires, la difficulté réside dans la combinaison des règles du détachement et de la convention collective. La convention collective prévoit en effet pour les personnels cadres un niveau minimum de salaire alors que les règles du détachement fixent une rémunération maximale par rapport à celle du fonctionnaire dans les cadres. En conséquence, certains TSEF, notamment les plus jeunes, ne pourront percevoir en tant que fonctionnaires détachés le revenu minimum pour bénéficier du statut de cadre aux termes de la convention collective ;

- la promotion sociale des meilleurs ouvriers est nécessaire à DCN comme dans toutes les entreprises. L'idée n'est pas de sélectionner arbitrairement certaines personnes mais de permettre aux meilleurs ouvriers de progresser pour devenir Employés techniciens agents de maîtrise (ETAM), voire ingénieurs ;

- la taxe professionnelle payée par DCN devrait avoir plutôt tendance à augmenter, notamment en raison de la hausse de la masse salariale induite par l'embauche de cadres ;

- la convention collective la plus adaptée est celle de la métallurgie. DCN a tout intérêt à s'intégrer à une convention existante plutôt qu'à en créer une spécifique pour une entreprise qui reste de taille limitée au sein du secteur industriel ;

- la transformation de DCN représente une révolution culturelle pour beaucoup et a fait naître de profondes inquiétudes, ce qui peut expliquer que la concertation paraisse insuffisante aux organisations syndicales. Le travail d'écoute et d'explication doit être poursuivi pour faire accepter une évolution pour laquelle tout ne peut pas être écrit à l'avance ;

- le capital de DCN devrait se situer aux alentours de 30  % du chiffre d'affaires, ce qui représente de 3 à 5 milliards de francs ;

- le contrat d'entreprise pluriannuel sera limité dans la durée, mais une durée minimale de cinq ans paraît nécessaire pour que la situation de la société soit durablement consolidée ;

- les engagements de plan de charges de l'Etat devront se concilier avec le respect des règles du Code des marchés publics. Ainsi, on voit mal comment le marché des futurs sous-marins nucléaires d'attaque pourrait échapper à DCN. La concurrence sera plus vive pour les futures frégates multifonctions et pour l'entretien de la flotte ;

- la reprise globale des contrats en cours ne posera pas de difficulté particulière ;

- des filiales sont nécessaires pour que DCN puisse fonctionner. Mais la loi offre des garanties puisqu'elle encadre strictement les cessions d'actifs des entreprises nationales ;

- les ouvriers conserveront leur statut. Les personnels détachés pourront, conformément aux règles de la fonction publique, revenir au sein des services de l'Etat.


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