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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 24

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 30 janvier 2002
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition des représentants des associations intervenant dans le domaine des transferts d'armement et des armes légères


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La Commission a entendu les représentants du collectif des associations intervenant dans le domaine des transferts d'armement et des armes légères.

Accueillant les représentants du collectif des associations intervenant dans le domaine des transferts d'armement et des armes légères, le Président Paul Quilès a rappelé que les organisations non gouvernementales (ONG) jouaient désormais un rôle significatif dans l'élaboration des normes internationales de contrôle des armements, de désarmement et plus largement de sécurité internationale. Il a cité à titre d'exemples la convention sur l'interdiction des mines antipersonnel et les négociations en cours sur le contrôle des transferts d'armes légères et de petit calibre, pour lesquelles la contribution des ONG a été et reste essentielle. Puis il a souligné que le rapport de la mission d'information de la Commission sur le contrôle des exportations d'armement animée par M. Jean-Claude Sandrier avait pris acte de cette réalité. Il a rappelé que le rapport de cette mission d'information proposait notamment l'organisation d'un débat sur les exportations d'armement avec les associations et tous les autres acteurs concernés sur la base d'un rapport du Gouvernement, ainsi qu'un débat devant le Parlement.

Le Gouvernement venant de publier un troisième rapport sur les exportations d'armement pour l'année 2000, le Président Paul Quilès a indiqué qu'il avait jugé utile, dans l'esprit des conclusions de la mission d'information de la Commission, d'organiser un débat sur ce rapport, d'abord en présence des associations intervenant dans le domaine des exportations d'armement, puis des industriels. Il a précisé que ces débats seraient suivis d'une audition du Ministre de la Défense sur la politique d'exportation d'armement. Il a souligné l'avancée que représentait ce processus pour l'approfondissement du débat démocratique sur les exportations d'armement, soulignant que c'était la première fois que la Commission entendait les représentants associatifs sur ce sujet.

Remerciant le Président Paul Quilès de son invitation à présenter à la Commission les positions du collectif des associations intervenant dans le domaine des exportations d'armement, M. Patrick Teil, représentant d'Agir pour un monde solidaire, a décrit leurs objectifs communs.

Le collectif, créé en 1997, comprend aujourd'hui 13 associations (ACAT, Agir ici, Amnesty international - section française, Coordination de l'action non violente de l'Arche, Justice et Paix, Ligue des droits de l'Homme, MAN - Mouvement pour une alternative non violente, Médecins du Monde, Observatoire des transferts d'armement, Pax Christi, Réseau Foi et Justice, Survie, Terre des Hommes - France). Il a lancé deux campagnes en 1997 et en 1999, qui ont été soutenues par plus de trente organisations de solidarité internationale, de défense des droits humains, de paix et de désarmement, représentant des dizaines de milliers d'adhérents. Ces deux campagnes ont comptabilisé chacune plus de 25 000 participants. Leurs objectifs étaient les suivants :

- dans la campagne de 1997 « Exportations de matériels de sécurité et de police, transferts militaires, imposons des critères », était demandé un autre mode de contrôle gouvernemental des exportations d'armement. Il était proposé que la CIEEMG introduise une dimension éthique dans son contrôle, en prenant en compte les critères définis dans le code de conduite européen et en particulier le critère du respect des droits de l'Homme dans le pays destinataire, en rendant publics les critères guidant ses décisions et en intégrant en son sein un représentant ministériel garant des droits de l'Homme. Les associations préconisaient également la création d'un Office parlementaire, auquel le ministère de la Défense fournirait un rapport annuel détaillé et qui publierait un avis annuel sur la conformité des transferts d'armement avec les critères de la CIEEMG et du code de conduite ;

- l'objectif de la campagne de 1999 « Armes légères.... la balle est dans notre camp ! » était de limiter la prolifération et l'usage incontrôlé des armes légères et de petit calibre (ALPC). Dans ce but, plusieurs demandes étaient adressées à la France : qu'elle renonce à transférer des armes légères aux pays ou régions dans lesquels un processus de désarmement ou un moratoire étaient en cours comme, par exemple la CEDEAO, qu'elle demande que les instruments de contrôle et d'information existants (codes de conduite, registre des Nations Unies) incluent les ALPC et soient améliorés, qu'elle soutienne la mise en place d'un code de conduite international sur les transferts d'armes et qu'elle rende public un rapport annuel sur ses transferts d'armement incluant les armes légères.

Depuis ces campagnes, le collectif a constaté quelques avancées intéressantes du côté gouvernemental. Tout d'abord, des efforts réels de transparence ont été réalisés, avec la publication depuis 3 ans d'un rapport annuel sur les transferts d'armes. Les cessions, puis aujourd'hui les armes légères, ont été incluses dans ce rapport. Même s'il reste encore de nombreuses améliorations à apporter, la société civile et les parlementaires ont désormais à leur disposition des informations solides sur les exportations françaises d'armement. En deuxième lieu, les critères utilisés par la CIEEMG, ceux du code de conduite de l'Union européenne mais aussi des critères propres au Gouvernement français sont mieux connus aujourd'hui. Par ailleurs, un projet de loi a été déposé au Sénat pour contrôler les courtiers. Enfin, une liste et un projet de réglementation des matériels dits de sécurité et de police sont en attente de traitement à la Commission européenne.

M. Patrick Teil a toutefois estimé que le Parlement était un peu en retrait. Malgré des demandes répétées et malgré le rapport très intéressant de la mission d'information parlementaire conduite par MM. Jean-Claude Sandrier, Christian Martin et Alain Veyret, peu d'avancées réelles ont été constatées. En 2001 a eu lieu une audition du Ministre de la Défense sur le rapport qu'il venait de publier. Mais le Ministre des Affaires étrangères n'a pas été auditionné sur ce sujet. L'Assemblée nationale n'a procédé à aucun examen du rapport du Gouvernement ni émis aucun avis sur la politique conduite en matière d'exportation d'armements. Or, c'est un domaine qui a de nombreuses répercussions en matière de politique étrangère, d'emploi, d'aménagement du territoire, de sécurité, d'environnement, etc. Le collectif des associations intervenant dans le domaine des exportations d'armement estime donc indispensable que le Gouvernement rende des comptes sur cet aspect de sa politique. Il juge également que seule une structure permanente de l'Assemblée nationale et du Sénat est à même de jouer sur le long terme ce rôle de contrôle de l'action du Gouvernement. Cette structure permettrait en outre de pérenniser les avancées gouvernementales en termes de transparence, ce qui n'est pas le cas actuellement. Qui aujourd'hui peut affirmer que la politique du prochain gouvernement sera aussi transparente et volontariste dans le domaine des transferts d'armes ? Il serait dommage que soient remises en cause les avancées constatées, dont le Président Paul Quilès est l'un des artisans.

L'intervention des parlementaires pourrait aider à réfléchir sur la légitimité des transferts d'armes. En effet, dans le rapport gouvernemental, la légitimité des ventes d'armes est justifiée par 5 lignes seulement, ce qui paraît dérisoire et insuffisant au regard des enjeux. Ne vaut-il pas mieux investir dans des moyens et des structures de prévention des crises et des conflits, des structures de médiation, des mécanismes d'intervention civile, plutôt que dans une hypertrophie des moyens militaires ? M. Patrick Teil a jugé que le développement de la défense européenne actuelle était une preuve supplémentaire de ce déséquilibre entre outils civils et militaires. D'un côté, on affirme que les moyens civils figurent parmi les priorités de la future politique européenne de sécurité et de défense ; d'un autre côté, sur les 60 000 personnes mobilisables dans le cadre de cette politique, seuls 5 000 sont là pour mettre en _uvre des moyens civils. Or, la prolifération des armes dans le monde a des conséquences néfastes sur le respect des droits humains, sur les équilibres intérieurs des pays, sur les équilibres régionaux, sur les politiques de développement. Le détournement de richesses qu'elle nécessite empêche les pays destinataires d'investir dans des projets sociaux ou dans le domaine de la santé ou de l'éducation.

Dans le domaine des équilibres régionaux, le cas de l'Inde et du Pakistan est typique. On ne peut pas s'abriter seulement derrière la souveraineté des Etats ou derrière le droit à la légitime défense pour justifier les ventes d'armes. Les Etats exportateurs ont aussi leur part de responsabilité. Il est bien évident que les matériels militaires ne sont pas des marchandises comme les autres.

M. Benoit Muracciole, représentant d'Amnesty International, a souhaité revenir sur les propositions du rapport parlementaire établi par MM. Jean-Claude Sandrier, Christian Martin et Alain Veyret.

La première proposition qui avait retenu l'attention des ONG - et qu'elles espèrent voir mise en _uvre - est la transformation du code de conduite de l'Union européenne en traité. En effet, aujourd'hui, l'interprétation des critères de ce code reste problématique. Le code comporte, notamment, un critère 2 qui prend en compte les risques que font peser les transferts d'armement sur les violations des droits humains dans le pays destinataire. Or dans le dernier rapport au Parlement sur les exportations d'armement de la France en 2000, on peut noter que des pays comme la Turquie, l'Algérie, le Togo sont encore bénéficiaires de transferts d'armement contrairement aux dernières recommandations d'Amnesty International. L'extrême sobriété de la description quantitative et qualitative des transferts, comme des motifs de refus d'exportation, dans le bilan d'application annuel du code de conduite justifie un changement radical d'approche dans le cadre d'un traité. On imagine mal aujourd'hui une telle opacité sur la vache folle par exemple. L'élaboration d'un traité portant code de conduite en matière de transferts d'armement constituerait un témoignage clair de confiance à l'égard de l'Union européenne et de sa capacité à faire respecter, dans la cohérence, les critères qu'elle édicte. Pour reprendre les termes mêmes du rapport de MM. Jean-Claude Sandrier, Christian Martin et Alain Veyret : « Ce code doit devenir une référence, nationale et internationale, plus solide ». Enfin, la démarche de transformation du code de conduite en traité impliquera sa ratification, après autorisation par les Parlements des Etats membres, ce qui instaurerait un rapport nouveau avec les citoyens de l'Europe. Lorsque le code de conduite aura acquis le statut d'un traité, son application pourra en outre être soumise au contrôle de la Cour de Justice européenne.

Le deuxième point relevé par les ONG, lié au premier, concerne la transparence. La discussion sur les exportations ne doit pas être accaparée par l'exécutif, au détriment d'un débat parlementaire et public. Même si l'on observe une amélioration dans la dernière présentation du rapport du Gouvernement, l'absence de désignation précise des matériels exportés ne permet pas de contrôler véritablement leurs risques d'utilisation. La déclaration du Gouvernement sur sa politique d'exportation du matériel de guerre, dans son premier rapport au Parlement sur cette question, est pourtant très précise quand elle souligne qu'en aucun cas « ce matériel ne doit être engagé dans des opérations de répression interne ».

La question du secret dans lequel sont tenus les accords de défense est aussi symptomatique d'une certaine culture. L'accès à l'information à leur sujet est en effet impossible dès lors qu'est prétextée une demande expresse du pays signataire. Ce point est d'autant plus sérieux que, comme l'a souligné M. Alain Richard, Ministre de la Défense dans son intervention du 25 avril 2001 devant la Commission : « Pour la France fournir un matériel militaire à un Etat tiers a d'abord une signification politique et diplomatique forte... Elle contribue à renforcer nos objectifs de politique extérieure ». Il s'agit, là encore, de penser notre démocratie comme suffisamment capable d'assumer et de défendre les choix d'un gouvernement et d'une assemblée parlementaire issue du suffrage universel dans des domaines, politique et diplomatique, qui concernent les citoyens français.

Le troisième point concerne le projet d'organiser une conférence internationale sur les concepts de stock, de surplus et de prolifération d'armes. La conférence de New York de juillet 2001 sur les armes légères n'a pu aborder cette question pourtant cruciale dans de nombreux pays du globe. M. Benoit Muracciole a indiqué à ce propos qu'en République démocratique du Congo où il venait de se rendre en mission, la prolifération des armes légères et lourdes était responsable, directement ou indirectement, de plus d'un  million de morts par an. Il semble qu'il puisse y avoir un accord au sein d'une nouvelle conférence internationale sur les trois notions de stock, de surplus et de prolifération d'armes. Un tel accord permettrait de mettre à une plus juste place l'article 51 de la Charte des Nations Unies, qui donne le droit à la légitime défense à chaque pays qui doit faire face à une agression armée. Car, avant l'article 51, il y a les articles 1 et 13, puis les articles 55, 62, 68 et 76, qui défendent la première nécessité de la protection des droits de la personne, sur une durée plus vaste que l'existence humaine. Il faut mentionner enfin l'article 26 qui demande l'établissement d'un système de réglementation des armements.

M. Patrice Bouveret, représentant de l'Observatoire des transferts d'armement, a enfin présenté une analyse du troisième rapport au Parlement sur les exportations d'armes établi par le ministère de la Défense. Il a tout d'abord relevé les améliorations introduites par ce document en matière de transparence et noté que ces améliorations tenaient compte des commentaires formulés à l'occasion des éditions précédentes.

Parmi ces améliorations, on retiendra plus particulièrement :

- la répartition des commandes et des livraisons en 23 catégories - celles établies dans le cadre de la liste commune des équipements militaires visés par le code de conduite de l'Union européenne ;

- les données fournies en matière d'armes légères et de petit calibre ;

- la description du dispositif de gestion et de contrôle des autorisations d'exportation au niveau des services de l'Etat.

Il faut également noter les travaux actuellement en cours dans le domaine de la réglementation du courtage, des intermédiaires et de la refonte du décret-loi de 1939, dont il faut espérer qu'ils pourront rapidement aboutir.

S'agissant des limites du rapport, M. Patrice Bouveret s'est tout d'abord interrogé sur sa pérennisation. Bien que la préparation d'une quatrième édition ait été annoncée, aucune garantie n'existe encore en ce domaine, la publication du rapport restant à la discrétion des services du ministère de la Défense. C'est pour éviter un retour en arrière, par exemple au début de la prochaine législature, que le collectif demande que cette publication devienne un exercice obligatoire.

En deuxième lieu, l'argumentation économique développée dans le rapport paraît faible. Le rapport affirme de manière unilatérale que les exportations d'armement exercent des effets économiques positifs, alors que - comme l'avait indiqué le rapport de la mission parlementaire conduite par M. Jean-Claude Sandrier - cette thèse est sujette à controverse parmi les économistes. C'est pourquoi d'ailleurs un séminaire a été organisé sur ce sujet, le 20 novembre dernier, par la DGA et l'IRIS. M. Patrice Bouveret a, à ce propos, jugé surprenant que, dans le rapport, le rôle du ministère des Finances, membre de la CIEEMG, dans les autorisations d'exportations ne soit pas analysé de manière précise et détaillée. Il a également regretté que le chapitre sur l'impact économique des exportations d'armes n'examine pas les retombées de ces exportations sous l'angle du pays destinataire et de son développement. C'est tout le problème des modalités de mise en _uvre du critère 8 du code de conduite européen qui se trouve ainsi posé.

Deux suggestions peuvent, entre autres, être formulées pour permettre une meilleure appréciation économique de la rentabilité des exportations :

- le coût de la politique de soutien à ces exportations (longuement décrite dans le rapport mais non chiffrée) devrait être indiqué ;

- des données sur les compensations seraient également utiles.

En troisième lieu, M. Patrice Bouveret a estimé que le rapport pourrait être rendu plus lisible par la suppression, dans les tableaux, des pays non concernés et, surtout par la mention explicite de Taiwan, encore inclus dans la ligne « Divers ». Une présentation avec des fiches détaillées par pays serait souhaitable, d'autant que la transparence ne semble pas, au vu des résultats fournis par la DGA, nuire aux exportations. L'argument du secret commercial qui est en règle générale opposé ne paraît pas crédible, les milieux informés connaissant de toute façon la réalité chiffrée des contrats conclus, au contraire de l'opinion publique, qui n'a donc pas les moyens de débattre de l'opportunité de certains d'entre eux.

Enfin, l'absence de données sur la destruction d'armes est regrettable. Dans le rapport sur l'année 1999, figuraient des statistiques sur la fin de la destruction du stock français de mines antipersonnel. D'autres armes légères et de petit calibre sont détruites par les services des armées et de la DGA. Un tel état des lieux aurait sa place dans les prochaines éditions du rapport.

D'autres points seraient également à souligner comme la faible prise en compte du matériel de sécurité et de police.

M. Patrice Bouveret a ensuite présenté trois propositions de travail, au nom du collectif des associations intervenant dans le domaine des exportations d'armement.

En premier lieu, les progrès indéniables de la transparence ne doivent pas faire oublier qu'elle n'est pas un but en soi. La transparence est avant tout un des moyens qui peuvent permettre l'exercice d'un réel contrôle démocratique. Et, sur ce point, les progrès sont modestes. Il paraît, dans ces conditions, nécessaire de mettre en place une structure parlementaire permanente de contrôle des exportations d'armes. Le contrôle démocratique de ces exportations devrait notamment empêcher tout transfert d'arme en direction de pays ne respectant pas les droits humains. C'est notamment toute la question de l'interprétation et de l'application du critère 2 du code de conduite de l'Union européenne qui est en jeu. Il y aurait une réflexion à mener au Parlement, afin que la représentation parlementaire ait son mot à dire sur le choix de transférer des armes à tel ou tel pays. Il ne s'agit pas, bien sûr, pour la représentation nationale, d'intervenir dans la négociation « technico-commerciale » des contrats en eux-mêmes, mais d'être impliquée dans la détermination de l'opportunité politique de nouer une relation militaire avec tel ou tel pays - question qui se pose d'ailleurs en des termes identiques pour les accords de coopération militaire. Pour que ce contrôle puisse s'exercer de manière concrète, il faudrait que le Parlement dispose d'une structure permanente sur les exportations d'armes, par exemple sous forme d'une délégation parlementaire, à quoi pourrait s'ajouter la tenue d'un débat annuel sur cette question à l'Assemblée nationale et au Sénat.

En deuxième lieu, il faut transformer le code de conduite européen en traité. Ce changement de statut du code serait l'occasion de renforcer la transparence sur les conditions de son application car la synthèse actuellement publiée au niveau européen ne fournit en ce domaine qu'une maigre information.

Enfin, une initiative parlementaire française pour la mise en place d'un code de conduite international serait bienvenue, afin de faire progresser l'idée d'une harmonisation internationale des critères régissant les transferts d'armes. Cette tâche est difficile. Elle nécessitera des étapes intermédiaires mais elle n'est pas impossible compte tenu de la forte concentration du marché mondial entre quelques pays exportateurs. Si les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie, qui contrôlent plus de 80  % du commerce mondial des armes, s'accordaient sur un code de conduite international, on peut penser que les autres pays exportateurs se rallieraient sans trop de difficultés à une telle procédure.

Après avoir souligné que les exportations d'armement étaient à présent soumises à des obligations accrues de transparence, d'information et de contrôle, le Président Paul Quilès a attiré l'attention des représentants des associations sur l'ampleur du chemin parcouru.

Répondant ensuite à l'inquiétude des différents intervenants sur la pérennisation du rapport annuel du Gouvernement au Parlement sur les exportations d'armement, il a jugé improbable que cette avancée soit remise en cause à l'avenir. S'agissant de l'impact économique des exportations d'armement, il a mis en garde contre toute subjectivité dans le traitement de cette question importante, qu'il a reconnu être trop succinctement abordée par le rapport du Gouvernement.

Le Président Paul Quilès a également fait valoir que le processus engagé par les Etats membres de l'Union européenne dans le cadre de leur politique commune de sécurité et de défense (PESD) avait pour but de rationaliser leurs capacités militaires et non de les accroître. Il a ajouté que la PESD visait d'abord à prévenir les crises et à accomplir des tâches de maintien de la paix, ce qui lui a semblé correspondre aux préoccupations des ONG.

M. Jean-Claude Sandrier a souhaité savoir si les associations avaient développé une analyse particulière sur les exportations d'armement depuis les événements du 11 septembre et notamment si elles préconisaient une plus grande vigilance à l'égard de certains pays clients. Observant que le contrôle parlementaire sur les exportations d'armement avait pu progresser significativement, notamment dans le cadre de la mission d'information qu'il avait animée, il a convenu que certains problèmes restaient à régler, en ce qui concerne notamment le rôle et la composition de la commission consultative que cette mission avait proposé de créer. Il s'est prononcé en faveur d'une audition publique sur les exportations d'armement des Ministres de la Défense et des Affaires étrangères par les commissions compétentes, procédure qu'il a jugée plus facile à organiser qu'un débat dans l'hémicycle. S'agissant enfin du code de conduite européen, il a souhaité que des initiatives parlementaires soient prises au niveau de la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale mais aussi au niveau européen pour faire évoluer les critères relatifs aux pays susceptibles d'acheter des armements.

M. Robert Gaïa a reconnu que l'analyse du rapport du Gouvernement sur les retombées économiques des exportations d'armes était limitée, tout en faisant valoir qu'il s'agissait d'un domaine davantage stratégique et politique qu'économique. Il a ensuite souhaité connaître le sentiment des associations sur la proposition française d'instaurer un système international de marquage des armes de petit calibre, estimant que la prolifération de ces armes était un danger pour les pays pauvres. Il s'est déclaré convaincu que la mobilisation des opinions publiques ainsi que des parlements pourrait être en ce domaine plus efficace que celle des gouvernements, par définition plus réticents.

M. Jean-Louis Bernard a demandé quelle signification les associations donnaient à leur exigence de contrôle démocratique, en s'interrogeant notamment sur son caractère parlementaire ou extra-parlementaire.

Après s'être réjoui du dialogue de la représentation nationale avec les associations intervenant dans le domaine des exportations d'armement, M. Jean Briane a souligné que si la demande de transparence et d'information était louable, il fallait également garder à l'esprit la difficulté de maîtriser complètement les transactions effectuées à l'échelle mondiale. Il s'est alors interrogé sur la proposition de créer une délégation parlementaire permanente pour le contrôle des exportations d'armement, soulignant que la Commission a d'ores et déjà toute latitude pour intervenir en ce domaine. Il a ensuite demandé des précisions sur l'évaluation à un million par an du nombre de personnes ayant trouvé la mort dans les conflits qui sévissent en République démocratique du Congo.

M. Benoit Muracciole a souligné que les Etats prêtaient peu d'attention aux observations des ONG sur les dangers des situations de crise internationale. Il a cité à cet égard les demandes d'aide financière adressées au Parlement européen par le Forum démocratique yougoslave lors des événements du Kosovo sans être suivies d'effet. Il en a déduit que les décisions d'intervention des Etats se fondaient principalement sur une logique militaire. Evoquant le cas de l'Afghanistan, il a indiqué que, lors de la conférence internationale de juillet 2001, les Etats-Unis s'étaient opposés à la demande des pays du Sud d'interdire les transferts d'armes aux entités non gouvernementales. Regrettant l'absence de moyens de prévention des conflits, il a estimé que l'impact soudain de leur déclenchement sur les opinions publiques conduisait le plus souvent les Etats à réagir dans l'urgence.

M. Benoit Muracciole a ensuite précisé que l'évaluation faisant état d'un million de morts chaque année en République démocratique du Congo émanait de l'International Rescue Committee, ce chiffre incluant les victimes directes des conflits ainsi que leurs effets concomitants sur les réfugiés. Observant que de nombreux matériels produits notamment par les Etats-Unis, la France, la Chine, la Russie et la République fédérale de Yougoslavie avaient été décelés au sein des forces belligérantes, il a insisté sur la nécessité d'établir des mécanismes qui permettront d'empêcher que des armements d'origine extérieure et notamment française soient utilisés dans de tels conflits. Se référant au précédent du Rwanda, il a dénoncé les incidences des systèmes de courtage qui bien souvent perdurent lorsque les pouvoirs changent et qui conduisent à une prolifération massive des armes de petit calibre dans les pays du Sud.

M. Patrick Teil a souligné que les associations étaient effarées par le nombre d'armes légères en circulation en Asie Centrale. Il a souhaité qu'un plan de collecte et de destruction de ces armes soit mis en _uvre en parallèle de la mise en place d'un nouveau régime en Afghanistan.

Se déclarant conscient des difficultés constitutionnelles et internationales auxquelles se heurte le contrôle parlementaire, il s'est prononcé en faveur de rencontres interparlementaires régulières, en vue de confronter les expériences des différents pays. Il a ajouté que la dimension internationale du problème n'empêchait nullement des évolutions positives, citant à cet égard l'exemple des mines antipersonnel dont la plupart des observateurs pensaient qu'il était impossible d'en interdire la production en 1992 alors même qu'en 1997 une convention internationale a été conclue à Ottawa à cet effet.

M. Robert Gaïa a observé sur ce point que les mines antipersonnel ne constituaient pas un enjeu économique significatif.

M. Patrick Teil a répondu que l'enjeu économique des armes légères est également faible.

Le Président Paul Quilès a fait remarquer qu'il était d'ailleurs significatif que ce soit surtout les armes légères qui fassent l'objet de cessions à titre gratuit dans le cadre de la coopération militaire.

Revenant sur la proposition des associations de créer une structure parlementaire permanente pour le contrôle des exportations d'armement, M. Patrick Teil a souligné qu'elle devrait être spécifique, commune aux deux assemblées et qu'elle devrait comprendre des membres des différentes commissions, étant donné le caractère transversal des questions qu'elle traiterait. Cette structure pourrait prendre la forme d'un office parlementaire commun à l'Assemblée nationale et au Sénat sur le modèle de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques déjà existant.

M. Patrice Bouveret a tout d'abord salué l'approfondissement du contrôle parlementaire des exportations d'armement, dont l'audition des représentants des associations constituait une bonne illustration.

Rappelant que la France et l'Union européenne avaient adopté une position de pointe lors de la conférence de New York sur les armes légères en proposant la signature d'une convention sur le marquage de ce type d'armes, il a fait valoir que la politique des « petits pas », lorsqu'elle allait dans le bon sens, ne pouvait qu'être soutenue par les ONG. Il a cependant insisté sur la nécessité d'instituer un système suffisamment efficace pour permettre l'identification de l'origine des armes et le déclenchement d'actions internationales contre les Etats mis en cause. Il a souligné que les associations ne pouvaient qu'interpeller les gouvernements sur la présence d'armes produites par leur pays dans les différentes zones de conflits.

M. Patrice Bouveret s'est ensuite félicité de la plus grande implication du Parlement dans les questions relatives aux transactions d'armes. Il a souhaité que cette évolution se poursuive avec la création d'une structure parlementaire permanente assurant un suivi régulier des exportations d'armement, soulignant que parallèlement les ONG continueraient à exercer leur rôle. Il a également fait valoir que la transparence était indispensable pour clarifier les problèmes et éviter les discours idéologiques. Il a ajouté en conclusion que si des progrès avaient été accomplis, il fallait aussi en attribuer le mérite aux ONG sans les campagnes desquelles certains de ces progrès n'auraient pas été possibles.

Après avoir remercié les représentants des associations intervenant dans le domaine des transferts d'armement et des armes légères pour leurs explications et leur intérêt pour le rôle des parlementaires en matière de contrôle des exportations d'armement, le Président Paul Quilès a estimé que la Commission de la Défense de la prochaine législature devrait très certainement être attentive à ce thème. Il a ensuite rendu hommage au sérieux avec lequel les ONG accomplissent leur mission sans tomber dans la démagogie et l'irresponsabilité. Il s'est félicité qu'elles sachent rester fidèles à leur idéal et à leurs ambitions tout en ayant conscience des contraintes inhérentes à un secteur aussi sensible.


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