Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission de la défense nationale et des forces armées (2001-2002)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 février 2002
(Séance de 10 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président,
puis de M. Jean-Claude Sandrier, Vice-Président

SOMMAIRE

 

Page

- Audition de M. Yves Gleizes, Délégué général pour l'armement.

2

   

La Commission a procédé à l'audition de M. Yves Gleizes, Délégué général pour l'armement.

Le Président Paul Quilès a rappelé que la Commission avait activement participé au débat sur les dispositions de la loi de finances rectificative pour 2001 qui avaient transformé DCN en une entreprise publique au capital intégralement détenu par l'Etat. Soulignant que la Commission était à présent soucieuse de suivre l'application de ces dispositions, il a rappelé l'intérêt qu'attachent ses membres à l'avenir de DCN. Après avoir constaté avec satisfaction que la société de préfiguration DCN-Développement avait été créée dans de brefs délais, il a évoqué l'accord signé entre DCN et Thales, en décembre 2001, en vue de la création de la SSDN, filiale commune des deux groupes. Puis il a noté que l'année 2002 serait déterminante pour la mise en _uvre de la réforme de la construction et de la réparation navales militaires votée par le Parlement.

Insistant sur la nécessité de mieux expliquer aux personnels les objectifs et les modalités de cette réforme, il a interrogé M. Yves Gleizes sur le contenu financier du contrat d'entreprise qui liera pour cinq ans l'Etat et DCN, sur le rôle envisagé pour cette entreprise dans la réalisation des grands équipements de la Marine et sur sa place dans l'industrie européenne de la construction navale.

Après avoir souligné que DCN était devenue, dès avril 2000, un service à compétence nationale directement rattaché au Ministre de la Défense, M. Yves Gleizes, Délégué général pour l'armement, a rappelé que la transformation de ce service en entreprise nationale avait été décidée par le Gouvernement le 6 juillet 2001 et approuvée par l'Assemblée nationale le 28 décembre 2001. Cette réforme vise à faire de DCN une entreprise performante, compétitive, rentable sur la durée et répondant aux besoins de la Marine nationale en constructions neuves et en entretien aux meilleures conditions de coûts, de qualité et de délais. Elle doit permettre à DCN de proposer des produits compétitifs aux marines européennes ainsi qu'à l'exportation hors de l'Union européenne. Elle doit également lui donner la capacité de construire un réseau d'alliances nationales et européennes et de constituer un pôle structurant dans une industrie navale européenne aujourd'hui dispersée. La réforme vise en outre à doter DCN de processus internes de fonctionnement et de contrôle aux meilleurs standards industriels. Elle doit lui permettre de développer ses capacités d'innovation tout en conservant ses compétences stratégiques pour la défense nationale. Elle doit enfin susciter de la part du personnel auquel un grand effort d'adaptation est demandé une adhésion réfléchie dans un climat social apaisé.

L'évolution de son statut devra notamment permettre à DCN de disposer de modes de fonctionnement adaptés à son activité, en particulier dans le domaine des achats et du recrutement, et de participer pleinement aux évolutions de l'industrie navale européenne.

Le calendrier prévu prévoit de constituer au début de 2003 la société nationale qui succédera à l'actuelle DCN. La DGA est concernée par ce projet à plusieurs titres : en tant que principal client de la future société, parce qu'elle exerce la tutelle de l'industrie de défense et parce qu'elle gère aujourd'hui des immobilisations et des personnels militaires qui sont affectés à DCN. Dans ce contexte, la DGA porte une attention particulière au contrat d'entreprise à conclure, aux ressources humaines de DCN et aux aspects financiers et juridiques de la réforme, notamment en ce qui concerne la capitalisation et les immobilisations de la nouvelle société, les transferts de contrats, la prise en compte de la TVA, le partage des droits de propriété intellectuelle et le financement de la recherche et technologie.

Pleinement mobilisée pour la réussite de la réforme, la DGA a mis en place une organisation interne spécifique pour en suivre la réalisation. Elle contribue aux travaux de toutes les instances concernées, en bonne intelligence notamment avec DCN et la Marine. La DGA a ainsi proposé en septembre 2001 la constitution d'une société de préfiguration, DCN Développement. Cette société qui est aujourd'hui opérationnelle a pour mission d'apporter une expertise sur les questions financières, industrielles et d'organisation relatives à la réforme de DCN. Elle pourra également procéder à des recrutements pour renforcer certaines compétences nécessaires à DCN dans son nouveau statut, afin qu'elle soit immédiatement opérationnelle à la date des apports.

S'agissant du contrat d'entreprise, M. Yves Gleizes a indiqué qu'il avait pour objet de concrétiser l'ambition commune de l'Etat et de DCN pour la période 2003 à 2008. Le contrat fixera les objectifs de DCN ainsi que les moyens pour les atteindre. En donnant à l'entreprise de la visibilité sur son activité future, il lui permettra de mieux s'organiser et d'améliorer sa productivité. S'agissant des engagements de l'Etat, il précisera le positionnement de DCN sur les principaux programmes de construction neuve et dans le domaine du maintien en condition opérationnelle. Il actera également le principe du transfert à la nouvelle société des contrats internes en cours passés par la DGA à DCN.

M. Yves Gleizes a alors souligné que deux programmes majeurs de constructions navales neuves étaient prévus sur la durée du contrat d'entreprise : le programme de sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Barracuda et le programme de frégates multi-missions. S'agissant du programme de SNA Barracuda, DCN en assurera la maîtrise d'_uvre d'ensemble, en partenariat avec Technicatome, compte tenu de la place qu'y occupe le système d'énergie-propulsion. Quant au programme de frégates multi-missions (17 bâtiments à produire au rythme cadencé de 2 à 3 par an pour un coût total de 5,2 milliards d'euros), sa réalisation requiert du futur maître d'_uvre industriel un engagement satisfaisant de respect des besoins et du calendrier de la Marine aux meilleures conditions techniques et économiques. Ce programme devra également favoriser l'émergence d'une offre industrielle susceptible de répondre aux besoins des marines européennes, tout en positionnant favorablement DCN pour nouer des alliances aux plans national et européen. Le Délégué général pour l'armement a souligné à ce propos que le besoin de 50 à 70 frégates de type multi-missions qui pouvait être identifié en Europe constituait un point de départ propice au lancement d'une coopération.

M. Yves Gleizes a ensuite précisé que la stratégie d'acquisition des frégates multi-missions en cours de finalisation au sein du ministère de la Défense devrait assurer à DCN une place majeure dans la maîtrise d'_uvre d'ensemble et la réalisation du programme. Différentes options ont été proposées au Ministre de la Défense, qui doit se prononcer très prochainement. Afin de parer à l'éventualité d'un échec de la démarche de coopération, cette stratégie d'acquisition garantira, à chaque phase, la possibilité d'un repli dans un cadre uniquement national, dans le respect du calendrier initial.

M. Yves Gleizes a alors abordé les engagements d'amélioration de productivité que DCN devra prendre dans le cadre du contrat d'entreprise. Il a souligné que son changement de statut permettra d'abord à DCN de réduire le coût de ses achats en lui procurant la souplesse de contractualisation qui lui faisait défaut. Cet objectif de réduction du coût des achats fera l'objet d'indicateurs précis qui permettront de mesurer les progrès accomplis. Pour améliorer sa productivité, DCN devra également se recentrer sur ses métiers stratégiques : la maîtrise d'_uvre d'ensemble des grands projets (commerce, gestion des contrats, architecture d'ensemble, intégration, essais) et la réalisation de plates-formes propulsées complexes (conception détaillée, gestion de chantier, réalisation d'éléments de structure complexes, assemblage et intégration physique des équipements). Dans le domaine des systèmes (systèmes de combat et d'énergie-propulsion), DCN aura à développer ses activités dans le cadre de partenariats industriels et commerciaux. Dans le même temps, DCN devra responsabiliser ses sous-traitants et leur permettre d'assurer de manière autonome la réalisation de sous-ensembles complets.

L'amélioration de la productivité de DCN passe également par la maîtrise des délais et des coûts. Cette maîtrise est indispensable pour assurer le bon déroulement des programmes de construction neuve et des opérations de maintenance dans un contexte de contrainte budgétaire et face à l'urgence opérationnelle du renouvellement de la flotte. Enfin, parmi les engagements d'amélioration de productivité attendus de DCN figure également la maîtrise de la qualité, pour laquelle des objectifs précis seront fixés à l'entreprise.

Abordant le chantier des ressources humaines et financières de la future société DCN, M. Yves Gleizes a rappelé que la loi votée en décembre dernier apportait des garanties importantes concernant le statut des personnels. Un décret d'application des dispositions de la loi relatives aux personnels fait actuellement l'objet d'une concertation avec les organisations syndicales. Cette concertation devrait aboutir mi-mars pour permettre une publication du décret en mai. Le Délégué général pour l'armement a par ailleurs précisé que DCN rembourserait à l'Etat les rémunérations et charges sociales des personnels mis à sa disposition, en déduisant les charges relatives aux effectifs exerçant encore des fonctions administratives sans équivalent dans une entreprise. Il a ajouté que, parallèlement, DCN examinait les recrutements nécessaires pour renforcer son potentiel en ressources humaines dans certains métiers, notamment d'encadrement et de recherche et technologie. Il a remarqué à ce propos qu'un effort important de formation et d'optimisation de l'emploi des personnels serait nécessaire pour accompagner le recentrage de DCN sur ses métiers stratégiques.

Le Délégué général pour l'armement a ensuite souligné que, pour permettre à DCN de devenir une société viable et compétitive sur le long terme, il était indispensable de la capitaliser à un niveau suffisant lors de sa création, afin de lui permettre de disposer d'un bilan comptable équilibré dès son premier exercice, de supporter les dépenses relatives aux restructurations et aux adaptations nécessaires et de couvrir ses besoins de fonctionnement. Il a également précisé que la prise en charge de la TVA sur l'ensemble des ventes de DCN au titre des programmes et opérations de maintien en condition opérationnelle donnerait lieu à un surcoût par rapport à la situation actuelle. Le Délégué général pour l'armement a souhaité que ce produit fiscal, estimé à 120 millions d'euros par an, ne diminue pas les ressources du ministère de la Défense.

Il a souligné le contexte favorable dans lequel s'inscrivait la transformation de DCN, qui opère sur des marchés offrant de réelles perspectives, en premier lieu, au plan national avec l'existence de deux programmes nouveaux de constructions neuves. M. Yves Gleizes a également annoncé que la DGA soutiendrait DCN, au titre des programmes d'études-amont, pour la remise à niveau de son potentiel de recherche et technologie.

Evoquant alors la place de DCN dans l'industrie navale militaire européenne, le Délégué général pour l'armement a rappelé que les principaux acteurs du secteur sont issus d'une phase de restructuration qui s'est principalement effectuée jusqu'à présent sur des bases nationales. Après avoir évoqué la situation de BAE Systems, qui, au Royaume-Uni, a constitué des partenariats européens avec l'allemand STN-Atlas et l'italien Finmeccanica dans le domaine des systèmes, il a mentionné les discussions en cours entre HDW et Thyssen Werften, en vue d'un rapprochement souhaité par le gouvernement allemand. Puis il a cité le groupe Izar, issu de la fusion des chantiers civils et militaires publics espagnols et dont l'ouverture du capital est envisagée dans les prochaines années ainsi que Fincantieri, chantier italien encore majoritairement public, mais qui doit être privatisé à moyen terme. Il s'est également référé à Thales qui, à partir de ses implantations dans le domaine des systèmes et équipements en France et aux Pays-Bas, a élargi ces dernières années ses activités vers la maîtrise d'_uvre et s'est implanté dans des pays comme le Royaume-Uni ou l'Australie. Il a par ailleurs souligné qu'aux Etats-Unis, les chantiers se sont restructurés autour de General Dynamics et de Northrop Grumman, observant que leur positionnement prioritaire sur leur marché national n'excluait pas qu'ils cherchent à l'avenir à développer plus activement leurs exportations et à s'implanter en Europe. Il a cité à ce propos l'exemple du rachat de Santa Barbara par General Dynamics en Espagne, dans le secteur des armements terrestres.

M. Yves Gleizes a alors estimé que la prochaine phase de restructuration conduirait à des regroupements transnationaux en Europe. Les actions menées par HDW en direction d'Izar et de Fincantieri, les perspectives d'ouverture du capital de ces deux dernières sociétés et la stratégie d'acteurs majeurs comme BAE Systems ou Thales montrent que cette phase s'ouvre. La DGA souhaite que cette consolidation industrielle se fasse au niveau européen plutôt qu'au niveau transatlantique et que l'industrie française y trouve toute sa place. Après avoir estimé qu'il était temps que DCN devienne un partenaire capable de nouer des liens structurels avec d'autres entreprises européennes, le Délégué général pour l'armement a souligné qu'il lui appartiendrait, avec les possibilités que lui donne son nouveau statut, de participer aux restructurations en cours afin de ne pas rester dangereusement isolée. Il a ajouté qu'elle serait en mesure de défendre et de développer une position de maître d'_uvre dans ses métiers stratégiques. Une première alliance structurante a été nouée avec Thales pour la maîtrise d'_uvre des projets à l'exportation et des programmes en coopération. Cette alliance a pris la forme d'une société commune détenue à parité, SSDN, et elle pourra être ouverte, le moment venu, à d'autres partenaires, européens ou français.

Le Délégué général pour l'armement a ajouté que la société DCN devrait également poursuivre ou engager la constitution de partenariats industriels. Il a cité, parmi les partenaires de DCN, Technicatome pour la maîtrise d'oeuvre des systèmes d'énergie-propulsion ainsi que Whitehead Alenia Sistemi Subacquei (Wass) et Thales, dans le secteur des armes sous-marines. Dans le secteur des sous-marins classiques, où l'offre est restreinte, il a jugé que DCN devait consolider son partenariat stratégique avec Izar sur le Scorpène et le S80. Dans le domaine des bâtiments de surface, il a estimé que DCN pouvait s'appuyer sur le programme des frégates multi-missions pour jouer un rôle majeur sur un marché potentiel de 50 à 70 bâtiments au niveau européen. Ces alliances pourront être consolidées et approfondies et s'élargir à d'autres partenaires en vue d'atteindre une taille critique à l'échelle des marchés européens et mondiaux.

M. Yves Gleizes a conclu que la DGA, qui avait un « devoir historique » vis-à-vis de DCN, lui apporterait tout son soutien dans la phase de transformation aujourd'hui engagée.

M. Jean-Claude Sandrier a demandé quelle était la portée actuelle des accords conclus entre DCN et le constructeur espagnol Izar, notamment dans le secteur des sous-marins à propulsion classique. Après avoir observé qu'Izar semblait privilégier la coopération avec le groupe allemand HDW et, dans le domaine des bâtiments de surface fortement armés, avec l'américain Lockheed Martin, puis que le chantier italien Fincantieri, voué à une privatisation prochaine, paraissait lui aussi sur le point de nouer des liens avec des partenaires allemands et américains, il s'est inquiété des risques d'isolement de DCN en Europe, préjudiciables à ses perspectives d'exportation.

Il s'est ensuite interrogé sur le rôle dévolu à DCN pour la construction des 17 frégates multi-missions dont les premiers exemplaires devraient être livrés avant 2008. Il a alors souhaité savoir si un partenariat avec Thales, dans le cadre de la nouvelle société SSDN, était envisageable pour la réalisation de ce programme. M. Jean-Claude Sandrier a également demandé au Délégué général pour l'armement quelle était son appréciation sur les ambitions et les perspectives d'activité du groupe Alstom dans le domaine de la construction navale militaire, en association avec des partenaires étrangers. Il s'est enfin inquiété des perspectives de vente du sous-marin Scorpène au Portugal.

M. Jean-Yves Le Drian a fait valoir que l'ensemble des membres de la Commission étaient préoccupés par le risque de « Giatisation » de DCN. Soulignant la vigilance avec laquelle la représentation nationale entendait contrôler le respect des engagements pris lors de la transformation du statut de DCN, il a rappelé que le contrat d'entreprise devrait être transmis au Parlement avant la fin de l'année. Se déclarant en accord avec l'objectif de faire de DCN une entreprise performante d'ici cinq ans, il s'est félicité que le Délégué général pour l'armement ait conscience du « devoir historique » de la DGA à son égard, souhaitant qu'il en soit de même à la Direction du Trésor.

M. Jean-Yves Le Drian a alors demandé pourquoi la filiale commune à DCN et Thales, SSDN, n'était toujours pas créée deux ans et demi après l'autorisation du Parlement. Il s'est ensuite interrogé sur la co-existence de SSDN avec la société de préfiguration DCN-Développement. Abordant les perspectives d'activité de la future société DCN, il a demandé que la stratégie d'acquisition des SNA Barracuda et des frégates multi-missions soit cohérente avec les objectifs de la réforme de DCN. Après avoir souligné qu'il était prioritaire de faire de DCN un outil industriel performant et rappelé la responsabilité historique de la DGA à son égard, il a estimé que, si une stratégie d'acquisition contraire à ces principes était retenue, le Parlement et les salariés de l'entreprise auraient été trompés. Il a ensuite insisté sur la nécessité de capitaliser la société DCN à un niveau suffisant, de manière à éviter un processus de dégradation identique à celui de la société Giat-Industries.

Rejoignant les propos de M. Jean-Yves Le Drian, M. Jean-Noël Kerdraon s'est déclaré totalement satisfait du choix fait en 2001 de transformer DCN en société nationale. Les conditions en ayant été posées, il reste aujourd'hui à mettre la réforme en _uvre : M. Jean-Noël Kerdraon s'est toutefois dit méfiant à cet égard. Evoquant le parallèle souvent établi entre DCN et Giat-Industries, parfois sans bonne connaissance de cette dernière entreprise, il a estimé que les situations de l'une et de l'autre étaient très différentes. Il a toutefois souligné que, dans les faits, si la question centrale du plan de charges de DCN n'était pas traitée de manière satisfaisante, des inquiétudes pouvaient naître. Il a fait valoir son expérience en ce domaine, évoquant les conséquences des lenteurs et des reports de commandes auxquels il avait assisté et soulignant la nécessité de les éviter à tout prix. Il a jugé que de mauvais débuts dans la vie de la nouvelle société atteindraient le moral des personnels, qui ont besoin d'objectifs clairs et de contrats « gagnant-gagnant » pour l'Etat, la Marine et DCN. Jugeant que le succès de la réforme de DCN supposait une capitalisation adéquate de la nouvelle société et un plan de charges adapté, il a souhaité que la question de la maîtrise d'_uvre du programme de frégates multi-missions soit réglée en 2002. L'expérience du nouveau transport de chalands de débarquement (NTCD) ou de l'IPER du Triomphant a montré que le non-respect des engagements de commande pesait lourdement sur le moral des personnels.

M. Jean-Noël Kerdraon s'est enfin interrogé sur l'état de la réflexion relative au deuxième porte-avions, et notamment sur le résultat des contacts pris avec le Royaume-Uni sur cette question.

M. Bernard Cazeneuve a insisté sur l'importance d'une mise en _uvre rapide du contrat d'entreprise, soulignant que les dispositions votées dans le cadre de la réforme de DCN prévoyaient qu'il soit porté à la connaissance du Parlement avant la fin de l'année 2002. Il a ajouté que ce contrat devait prévoir le plan de charges de l'entreprise, les efforts d'investissement site par site ainsi que les niveaux d'embauches et le montant de la capitalisation nécessaire pour que l'entreprise dispose des moyens financiers indispensables à son essor. Il a souligné que la réforme votée par le Parlement n'était en aucun cas un premier pas vers la privatisation. A cet égard, M. Bernard Cazeneuve a jugé qu'il convenait d'être vigilant devant les attitudes de blocage de ceux qui seraient tentés de faire la preuve de l'inefficacité de l'entreprise publique en lui refusant les moyens de fonctionner : si le Parlement a demandé que le contrat d'entreprise lui soit transmis, c'est pour marquer la portée politique de son vote et empêcher que le projet initial soit trahi.

Evoquant les recompositions qui s'opéraient à l'échelle européenne, M. Bernard Cazeneuve s'est interrogé sur la stratégie industrielle de DCN, demandant quel type d'alliance l'entreprise pouvait envisager de nouer tout en étant en concurrence avec ses partenaires potentiels sur certains produits à l'exportation.

Il a ensuite souhaité savoir comment le Délégué général pour l'armement envisageait le rôle de chantiers civils susceptibles d'intervenir, de manière performante, en sous-traitance globale comme les Constructions Mécaniques de Normandie (CMN).

Il a enfin plaidé pour que des moyens financiers suffisants soient engagés de manière volontariste et résolue en faveur de DCN, faisant valoir que plus les actions d'accompagnement de sa transformation tarderaient, plus les bassins d'emploi seraient désarticulés, vouant du même coup la réforme à l'échec. Il a jugé que toute économie faite aujourd'hui pour des raisons comptables nourrirait les pertes sociales et les déficits de demain.

M. Jean-Claude Viollet a déclaré partager l'analyse des intervenants précédents. Faisant observer que la société de préfiguration DCN-Développement avait bénéficié d'une capitalisation limitée et qu'elle disposait de marges de man_uvre relativement réduites en matière de passation de marchés et d'embauche, il s'est demandé si cette base de départ donnait à la réforme toutes ses chances de réussite. Evoquant ensuite le contrat d'entreprise de DCN, notamment dans sa dimension européenne, il a estimé que deux options étaient possibles : soit, après l'alliance avec Thales, DCN recherche des contrats à l'exportation, soit elle se place d'emblée dans une perspective européenne et essaie de participer aux recompositions en cours dans des conditions à préciser. Il a jugé que, quelle que soit la stratégie industrielle choisie, le contrat d'entreprise devrait garantir le plan de charges en constructions neuves comme en entretien. Il a ajouté que ce contrat devrait également décliner les niveaux d'investissement et d'embauches dans les métiers stratégiques de DCN. Enfin, estimant que le temps était désormais compté et compte tenu de l'urgence, il s'est demandé s'il ne serait pas pertinent de transmettre au Parlement un calendrier de la réforme qui lui permettrait d'en suivre la mise en oeuvre.

M. Roland Garrigues a demandé au Délégué général pour l'armement des précisions sur l'implantation du centre de pliage automatique de parachutes à Montauban.

M. Jean-Claude Sandrier a souhaité connaître les perspectives de commande de missiles anti-chars Trigan par l'armée de Terre.

Après avoir indiqué qu'il fournirait par écrit à M. Roland Garrigues les éléments d'information qu'il avait demandés, M. Yves Gleizes a apporté les réponses suivantes aux différents intervenants :

- la DGA a transmis au groupe EADS un projet de marché relatif à l'achat de 25 postes de tir et de 1 000 missiles Trigan. La décision revient maintenant à EADS ;

- les chantiers civils tels que CMN ou les Chantiers de l'Atlantique se positionnent sur des créneaux complémentaires à ceux de DCN, ce qui offre des possibilités de partenariat, notamment à l'exportation ;

- s'agissant de la stratégie industrielle de DCN, notamment dans le domaine des sous-marins, c'est au directeur de DCN qu'il revient de la définir. Le partenariat entre DCN et Izar sur le Scorpène a conduit à la conclusion d'un contrat à l'exportation avec le Chili ; le gouvernement portugais n'a, quant à lui, toujours pas annoncé son choix pour l'achat de sous-marins. Des prospects sont par ailleurs en cours en Inde et en Malaisie ;

- l'accord entre DCN et Izar porte sur le produit Scorpène ;

- le produit structurant pour la stratégie à l'exportation de DCN est la frégate multi-missions. Des deux options qui s'ouvrent - définir un produit national proposé ensuite à l'exportation ou définir le produit dans un cadre européen -, c'est la seconde qui paraît préférable afin d'obtenir le meilleur produit au moindre coût, ce qui risquerait de ne pas être le cas si la frégate était conçue dans un cadre strictement national et sans chercher à bénéficier de l'éventail de compétences le plus large dans les phases préliminaires. DCN est, quoi qu'il en soit, assurée de jouer un rôle central dans le programme pour lequel la France commande 17 frégates.

M. Jean-Yves Le Drian s'est vigoureusement opposé à cette analyse, estimant que l'option européenne empêchait de garantir le plan d'entreprise. Il a estimé qu'aucun partenaire européen, sauf à faire acte de bénévolat, ne serait intéressé par une démarche consistant à définir un projet, puis à être contraint de faire une large place à un concurrent pour sa réalisation.

M. Bernard Cazeneuve s'est déclaré en totale convergence de vues avec M. Jean-Yves Le Drian. Il a estimé que le processus de décision politique européen n'était pas parvenu à un degré d'intégration suffisant pour qu'il soit possible de définir en commun, à un stade aussi précoce, des équipements de défense majeurs relevant de la souveraineté nationale. Il a ajouté que la démarche proposée par la DGA conduisait à faire des industriels les moteurs de la politique de défense européenne, ce qui n'était évidemment pas souhaitable.

M. Jean-Noël Kerdraon a souligné que les propos du Délégué général pour l'armement lui inspiraient de profondes inquiétudes pour l'avenir. Faisant valoir que DCN savait faire des frégates et qu'elle disposait d'une grande expérience en ce domaine, il a jugé que beaucoup de temps allait être perdu et que la confiance des personnels dans l'avenir de leur entreprise serait atteinte si la démarche esquissée par M. Yves Gleizes était retenue. Il a alors souhaité que la décision de confier à DCN la réalisation des frégates multi-missions soit prise dès 2002.

M. Yves Gleizes a fait valoir que la conduite du programme Horizon démontrait que les coopérations européennes sur des projets de réalisation de frégates étaient possibles.

Il a ensuite insisté sur la convergence d'objectifs entre la DGA et la Commission s'agissant de l'évolution de DCN. Il a fait valoir que pour favoriser la participation de DCN au mouvement de restructuration industrielle européenne en cours, il était nécessaire de rapprocher les points de vue des différents Etats sur leurs besoins et de susciter des coopérations industrielles. Il a souligné que cette approche conduirait à conférer un rôle majeur à DCN, l'associerait à ses homologues européens et aurait des effets très bénéfiques sur les coûts. Il a estimé qu'attribuer le programme a priori à un consortium constitué de DCN et Thales, pour autant que le code des marchés publics le permette, risquerait de dissuader les coopérations.

Le Délégué général pour l'armement a ajouté que la DGA avait le souci de rendre complètement opérationnelle dans les plus brefs délais la société de préfiguration de la future société DCN. Tout en convenant que sa dotation en capital actuelle, de 3 millions d'euros, était insuffisante, il a indiqué que le principe d'une augmentation avait été accepté au niveau interministériel, notamment pour favoriser les embauches nécessaires.

M. Yves Gleizes a enfin précisé que Thales et l'Etat avaient abouti à un accord sur la création de SSDN. Il a ajouté que le retard constaté dans la mise en place de cette société résultait actuellement des processus de consultation des instances compétentes et des représentants des personnels. Il a précisé que SSDN serait globalement opérationnelle à la fin du premier semestre de 2002, convenant toutefois que, récemment, Thales a déclaré vouloir connaître au préalable la stratégie d'acquisition des frégates multi-missions.


© Assemblée nationale