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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 31

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 27 mai 1998
(Séance de 16 h 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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– Examen de l’avis sur les projets de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Hongrie, de la République de Pologne et de la République tchèque (M. Arthur Paecht, rapporteur pour avis)


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– Communication sur la participation française à la force de stabilisation en Bosnie-Herzégovine (M. François Lamy, coordinateur du groupe de travail sur les interventions extérieures)


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M. Arthur Paecht, rapporteur pour avis, a présenté son avis sur les projets de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Hongrie, de la République de Pologne et de la République tchèque.

Après avoir constaté que l’élargissement de l’OTAN suscitait de nombreux débats à l’étranger, M. Arthur Paecht a tout d’abord regretté la relative indifférence des médias et de l’opinion publique en France à l’égard de cette question.

Il a relevé que l’article 10 du traité de Washington donnait la possibilité à l’Alliance atlantique d’accueillir en son sein d’autres pays mais que le processus juridique d’élargissement était complexe, les trois protocoles d’adhésion, un par candidat, devant être ratifiés dans les mêmes termes par les seize Etats-membres. Il a rappelé que, depuis sa création, l’Alliance s’était élargie à la Grèce et à la Turquie en 1952, à l’Allemagne en 1955 et à l’Espagne en 1982. A cet égard, il a souligné les inconvénients de la présence simultanée de la Grèce et de la Turquie qui oblige l’Alliance à traiter fréquemment des litiges opposant ces deux pays, mais s’est interrogé sur ce qui aurait pu advenir s’ils n’étaient pas tous deux membres de l’Alliance.

Le rapporteur pour avis a alors indiqué que, pour l’ensemble des membres de l’Alliance, l’élargissement avait pour finalité de renforcer la stabilité et la sécurité en Europe. Il a souligné que les pays candidats avaient en vue le renforcement de leur sécurité mais que, parallèlement, l’Alliance s’était efforcée de rassurer la Russie pour éviter de lui donner le sentiment qu’un glacis se constituait à ses frontières. Il a également précisé que les trois pays candidats avaient satisfait aux critères de démocratie, de respect des droits de l’Homme et d’ouverture à l’économie de marché qui avaient été fixés pour leur adhésion.

Présentant le processus d’association politique et militaire des pays candidats, M. Arthur Paecht a indiqué que ceux-ci étaient progressivement intégrés dans les instances de décision de l’OTAN. Il a également rappelé que les forces armées de la Pologne et de la Hongrie avaient participé aux missions de l’IFOR puis de la SFOR, et avaient fourni des policiers au groupe international de police (IPTF). Il a fait valoir que la création de forces multinationales associant les pays de l’ex-Pacte de Varsovie entre eux ou avec des membres de l’Alliance démontrait leur capacité à contribuer à la stabilité de l’Europe et à régler leurs différends par des voies pacifiques.

Le rapporteur pour avis a alors souligné l’importance des réformes engagées dans les forces armées des trois pays candidats, qui portent principalement sur l’évolution des budgets de défense, la réduction des effectifs des armées, la réorganisation des structures de commandement et le renouvellement des équipements. A cet égard, il a précisé que les stocks de matériels avaient été réduits de moitié dans les trois pays conformément au traité sur les forces conventionnelles en Europe et que l’obsolescence d’une grande partie de leurs équipements, par exemple dans le domaine des communications et des systèmes de défense aérienne, nécessitait leur modernisation, notamment dans un souci d’interopérabilité avec les matériels en service dans l’OTAN.

Abordant les questions soulevées par l’élargissement de l’OTAN et pour lesquelles aucune réponse satisfaisante n’avait encore été apportée, M. Arthur Paecht a insisté sur la nécessité de redéfinir le rôle et les missions de cette organisation. Il a indiqué que les Etats-Unis préconisaient actuellement d’étendre largement les missions de l’OTAN en dehors des cas prévus à l’article 5 du Traité de Washington et envisageaient de transposer sur des théâtres éloignés l’expérience des interventions de rétablissement et de maintien de la paix menées en ex-Yougoslavie. Il a jugé que cette conception mondialiste, qui rendait l’Alliance atlantique plus politique que militaire, posait la question du rôle de l’OSCE ou de l’ONU, dès lors que l’on considérait, comme la France, que l’OTAN ne devait pas intervenir sans un mandat de ces organisations. Soulevant la question de la cohérence entre la construction de l’Union européenne et l’élargissement de l’Alliance atlantique, M. Arthur Paecht a indiqué que les membres européens de l’OTAN, tout en restant favorables au maintien du lien transatlantique, tendaient à privilégier la construction d’une identité européenne de sécurité et de défense pouvant utiliser les moyens de l’OTAN. Il a fait remarquer que le rythme de l’élargissement faisait également l’objet de débats, rappelant qu’un consensus s’était établi lors du sommet de Madrid pour l’adhésion rapide, dans une première étape, de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque, alors que douze pays s’étaient portés candidats et que la France avait souhaité l’inclusion de la Roumanie et de la Slovénie parmi les premiers pays invités à participer à l’Alliance.

Après avoir estimé que les nouveaux contours de l’OTAN étaient militairement peu cohérents en raison des discontinuités territoriales qu’ils faisaient apparaître, le rapporteur pour avis a considéré qu’à terme, les pays membres de l’Union européenne, même actuellement neutres comme l’Autriche, avaient vocation à adhérer à l’Alliance, ne serait-ce que parce que les zones de défense collective et de solidarité en matière de sécurité intérieure ne pouvaient être durablement dissociées.

Il a relevé que les Etats-Unis ne souhaitaient pas renouveler dès 1999 la procédure d’élargissement pour permettre l’adhésion de pays dont ils considèrent qu’ils ne sont pas prêts et a déclaré partager une certaine réserve sur une seconde vague d’adhésions tant que le nouveau concept stratégique n’aura pas été précisé. Il a cité, à ce propos, les exemples de l’Acte fondateur, signé entre l’OTAN et la Russie en mai 1997, ou de la Charte sur un partenariat spécifique entre l’OTAN et l’Ukraine, signée en juillet 1997, qui renforcent la démarche de coopération avec ces pays et permettent de concevoir une étape intermédiaire de partenariat renforcé avec des pays non membres.

Abordant la question du coût de l’élargissement, M. Arthur Paecht a fait observer que les premières études américaines l’avaient évalué à un montant situé entre 60 et 120 milliards de dollars mais que ces évaluations avaient été, par la suite, revues à la baisse, notamment par le secrétariat général de l’OTAN. Il a souligné, à ce propos, qu’il ne fallait pas inclure dans le coût de l’élargissement les dépenses civiles, militaires ou d’infrastructures qui auraient, de toute façon, été effectuées par les Etats membres ou les candidats, même en l’absence d’adhésion nouvelle.

Il a regretté qu’en traitant de manière prioritaire la question de l’élargissement, les Etats-Unis, en accord avec la majorité des Etats membres, aient relégué au second plan les débats relatifs au concept stratégique, à l’institution d’une identité européenne de sécurité et de défense, ou à l’adaptation des structures de commandement et des procédures. Soulignant que les réflexions stratégiques privilégiaient les risques d’instabilité et de crises régionales mettant en cause la stabilité en Europe, il a, par ailleurs, constaté que la planification des forces armées avait conduit à augmenter les délais d’intervention et à réduire les forces prépositionnées, les forces américaines stationnées en Allemagne ayant, par exemple, été réduites des deux tiers.

Souhaitant que le nouveau concept stratégique reste centré sur les missions de l’article 5, il a estimé que l’OTAN devait également assumer des tâches de gestion des crises, dites « non article 5 », pour faire face aux nouveaux risques. Il a toutefois souligné que la question de l’instance d’élaboration du mandat de ces missions de gestion de crise restait posée et qu’il paraissait peu envisageable que l’OTAN puisse agir sans mandat de l’ONU ou de l’OSCE. Il a observé qu’à cet égard, la pratique avait devancé les textes puisque le déploiement des forces en ex-Yougoslavie, dans le cadre de l’IFOR puis de la SFOR, correspondait à ce nouveau schéma d’intervention de l’OTAN en dehors des cas prévus par l’article 5. Il a, par ailleurs, estimé que le nouveau concept stratégique ne devait pas exclure une intervention dans le cadre de l’identité européenne de défense et de sécurité, conduite sous l’égide de l’UEO, avec les moyens de l’OTAN, remarquant à ce propos qu’il ne pouvait être question pour les Etats européens de financer une « OTAN bis » à côté de celle qui existait déjà.

En conclusion, le rapporteur pour avis a souligné que l’élargissement n’était qu’un des éléments de la sécurité européenne puisque le Partenariat pour la paix, le nouveau Conseil permanent euro-atlantique, l’Acte fondateur OTAN-Russie et la Charte OTAN-Ukraine contribuaient également à la préservation de la paix sur le continent et constituaient des étapes préparatoires à des rapprochements ultérieurs. Il a fait valoir que l’élargissement devait être lié à l’adhésion à l’Union européenne, l’objectif à terme étant la constitution d’un pilier européen de l’Alliance cohérent et homogène.

Après avoir indiqué qu’en 1982, la Commission de la Défense ne s’était pas saisie pour avis du projet de loi autorisant la ratification du protocole sur l’accession de l’Espagne, il a souligné qu’en décidant de se prononcer sur l’adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque, elle marquait l’intérêt que présente l’évolution actuelle de l’OTAN pour la sécurité de la France.

Il a enfin proposé à la Commission d’émettre un avis favorable aux trois projets de loi, regrettant toutefois que la Pologne ait, au contraire des deux autres pays candidats, décidé de ne ratifier le protocole d’adhésion la concernant qu’après tous les membres de l’Alliance.

Faisant écho aux propos de M. Arthur Paecht, le Président Paul Quilès a regretté l’absence de débat de fond, tant au Parlement que dans l’opinion publique, sur un sujet qui revêtait pourtant une grande importance pour l’Europe. Il a déploré que la question de l’élargissement ait été abordée avant la réflexion sur le concept stratégique, dont il a fait observer qu’elle ne manquerait pas de faire apparaître des problèmes de fond non négligeables, comme l’indiquent certaines déclarations de responsables américains. A cet égard, il a fait état des propos tenus, le 18 avril dernier, par l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’OTAN, estimant qu’ils laissaient présager une évolution de cette organisation qui conduirait à en modifier profondément la nature. Il a précisé que l’ambassadeur américain y envisageait la possibilité d’une intervention militaire de l’OTAN sans accord préalable de l’ONU, soit qu’un consensus se soit dégagé parmi les Etats membres, soit qu’un pays-tiers en ait fait la demande directement. Il a également indiqué que, dans le même discours, l’ambassadeur avait expliqué que, si l’OTAN avait disposé d’une force de projection multinationale rattachée à son commandement Sud, cette force aurait pu contribuer au règlement de crises africaines comme celle du Rwanda.

Après avoir jugé cette prise de position préoccupante, le Président Paul Quilès a observé qu’en participant à des évolutions marquées, non seulement par l’élargissement mais aussi par l’élaboration d’un nouveau concept stratégique, la France s’était engagée dans un processus qu’elle ne maîtrisait pas et souligné qu’il était nécessaire qu’un débat approfondi, au niveau national, ait lieu sur ce sujet.

M. René Galy-Dejean a estimé que, s’agissant de l’évolution de l’Alliance atlantique, la difficulté tenait à la méthode divergente suivie par la France et les Etats-Unis, l’esprit cartésien des Français les amenant à faire de la définition du concept stratégique un préalable à toute avancée ultérieure tandis que les Etats-Unis, dans une démarche toute pragmatique, montraient le mouvement en marchant, jusqu’à faire du concept stratégique un état de fait.

Sur ce point, M. René Galy-Dejean a cité la question de l’élargissement qui conduira à créer, de facto, d’étape en étape, une sorte de glacis encerclant la Russie, l’OTAN ayant pris pied dans tous les pays d’Europe centrale.

M. René Galy-Dejean est ensuite revenu sur l’attitude de la Pologne, soulignant qu’elle s’expliquait par la situation géographique de ce pays et son expérience historique : s’il existe un consensus des Occidentaux sur l’élargissement, la Pologne estimera qu’elle ne peut que renforcer sa sécurité en entrant dans l’OTAN ; mais si, d’aventure, le traité d’élargissement n’était pas ratifié par tous, la Pologne ne souhaiterait pas se trouver dans une situation qui gênerait la Russie sans pour autant accroître sa sécurité à l’Ouest.

M. René Galy-Dejean a, par ailleurs, estimé que l’élargissement, lorsqu’il sera arrivé à son terme, aura permis aux Etats-Unis d’atteindre un de leurs objectifs, qui est de sécuriser les territoires situés à l’ouest de la Russie afin de compenser l’incertitude qui pèse sur les conditions de sécurité de leur façade pacifique. Il a également jugé que, sous couvert de construction de la sécurité européenne et d’interopérabilité, l’élargissement répondait aux intérêts économiques des Etats-Unis, les pays de l’Est de l’Europe représentant, du fait du délabrement de leur équipement militaire, un marché potentiel intéressant pour les industries de défense américaines. Il a conclu en soulignant la nécessité, pour la France, d’être vigilante, la ratification des traités d’adhésion, à laquelle il s’est déclaré favorable, n’excluant pas la clairvoyance.

Revenant sur la question du coût financier de l’élargissement, il a indiqué qu’existait à cet égard une étude très intéressante, élaborée par le Commissariat général au plan, qui en évaluait l’ampleur tant pour les nouveaux membres que pour la France.

Enfin, il a souhaité connaître la position de la France sur une éventuelle demande d’adhésion de l’Autriche, eu égard à son statut de neutralité actuel.

M. Arthur Paecht a estimé que les propos du Président Paul Quilès renforçaient sa propre analyse concernant certaines visions de l’évolution de l’OTAN vers un statut d’organisation dotée d’un pouvoir d’intervention à l’échelle mondiale, sans mandat préalable de l’ONU.

S’agissant de l’opposition supposée entre le cartésianisme français et le pragmatisme américain, M. Arthur Paecht a fait observer que les Etats-Unis se montraient sans doute plus cartésiens qu’on ne l’admettait généralement, dans la mesure où leur action apparaissait strictement conforme à leurs objectifs.

Evoquant la question des intérêts économiques en cause dans l’élargissement, il a jugé qu’il ne pouvait être reproché aux Etats-Unis de vouloir être la première puissance mondiale mais qu’en revanche, les Européens se devaient de réagir rapidement, sous peine d’une disparition de l’industrie européenne et que c’est à elle-même que la France devait s’en prendre pour son incapacité à dépasser les débats internes sur les restructurations.

Quant à la constitution d’un glacis sur les frontières occidentales de la Russie, il a rappelé que celle-ci, qui n’avait pas renoncé à son rôle de puissance internationale, en ressentait en effet la crainte. Dans le cas de la Pologne, il a estimé que si le raisonnement proposé par M. René Galy-Dejean correspondait effectivement à l’analyse des dirigeants polonais, on pouvait se demander pourquoi, dans ces conditions, elle avait demandé à faire partie de la première vague d’élargissement.

M. Arthur Paecht est revenu ensuite sur la question du coût financier de l’élargissement, rappelant que la répartition des contributions pour les futurs membres avait été faite selon une méthode proportionnelle -2,48 % pour la Pologne, 0,9 % pour la République tchèque et 0,65 % pour la Hongrie- sans que la base de calcul choisie soit claire. Il a fait observer que les coûts n’avaient pas été décomposés et qu’il n’existait pas d’analyse spécifique des charges nouvelles liées à l’élargissement. S’agissant plus particulièrement de l’évaluation menée par le Commissariat général au plan qu’avait mentionnée M. René Galy-Dejean, il a indiqué qu’elle concluait à une estimation inférieure aux chiffres avancés aux Etats-Unis.

Le Président Paul Quilès a alors souligné, à ce propos, la multiplicité et le caractère évolutif des estimations en ce domaine, les plus récentes apparaissant sensiblement minorées par rapport aux précédentes.

M. Arthur Paecht a fait valoir que les discussions sur le coût de l’élargissement ne devaient pas occulter le fait que la constitution d’une alliance efficace avait un prix.

M. Arthur Paecht a ensuite abordé la question de la neutralité de l’Autriche. Il a rappelé qu’en assurant sa neutralité, le traité d’Etat de 1955 avait permis à ce pays de recouvrer pleinement son indépendance, de mettre un terme à l’occupation soviétique d’une partie de son territoire, et de consacrer des ressources budgétaires plus importantes à sa modernisation économique. Il a fait observer qu’aujourd’hui, toutefois, alors que le traité d’Etat paraissait caduc, l’Autriche souhaitait suivre sa propre voie et, même, affirmer son identité propre, ce qui l’avait conduite à adhérer à l’Union européenne et l’amènerait sans doute, dans le contexte géopolitique nouveau de l’Europe centrale, à réexaminer sa neutralité pour s’orienter vers l’adhésion à l’OTAN.

M. Arthur Paecht a, par ailleurs, estimé qu’au regard de sa position géographique et de la longueur de ses frontières, l’Autriche se devait de prendre une décision sur ce sujet dans un avenir proche.

La Commission a alors donné un avis favorable aux projets de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Hongrie, de la République de Pologne et de la République tchèque.

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M. François Lamy, coordinateur du groupe de travail sur les interventions extérieures, a ensuite présenté une communication sur la participation française à la force de stabilisation en Bosnie-Herzégovine.

M. François Lamy a tout d’abord exposé que la mission qu’il avait effectuée en Bosnie-Herzégovine du 30 avril au 2 mai 1998 s’inscrivait dans le cadre du groupe de travail sur les opérations extérieures dont il est le coordinateur. Il a précisé que cette mission avait eu trois objectifs principaux, vérifier l’adéquation entre la définition des missions confiées aux forces françaises et leur exécution, étudier la situation de la Bosnie-Herzégovine avant la mise en application d’une troisième phase des accords de Dayton et le renouvellement de la présence d’une force militaire internationale, et faire le point de la situation des troupes françaises au sein de la SFOR.

Abordant le volet militaire de l’action de la SFOR, M. François Lamy a constaté qu’il s’agissait d’une réussite. Il a indiqué que la SFOR disposait de moyens suffisants, tant en effectifs qu’en matériel, que sa mission était clairement définie, et effectuée selon les règles du chapitre VII de la Charte des Nations Unies permettant l’usage de la force si nécessaire, et que les opérations de contrôle des forces militaires croates, bosniaques et serbes se déroulaient bien. Il a précisé que ces opérations consistaient à procéder à des contrôles réguliers des dépôts d’armes et à la surveillance des entraînements, le non-respect des directives de la SFOR étant passible de sanctions.

Evoquant ensuite le volet politique des accords de Dayton, M. François Lamy a estimé que la réussite était beaucoup moins grande. Il a exposé que les raisons en étaient d’abord institutionnelles, la situation politique de la Republika Srpska n’étant pas stabilisée et le fonctionnement de la Fédération croato-musulmane étant bloqué, notamment du fait que, pour chaque poste, tout responsable, membre d’une communauté, était doublé par un adjoint ressortissant de l’autre communauté, chacun surveillant l’autre. Il a également souligné l’absence de règlement de deux problèmes : celui des réfugiés et déplacés et celui des criminels de guerre.

S’agissant des réfugiés, M. François Lamy a expliqué que leur retour se heurtait d’abord à des difficultés pratiques et indiqué que, dans les campagnes, les maisons détruites le sont restées, même si les villes, et en particulier Sarajevo, se reconstruisent. Il a ajouté que la SFOR n’était pas en état de garantir la sécurité des réfugiés, une fois ceux-ci réinstallés, et que, lorsque des maisons sont sélectionnées à l’intention de personnes rapatriées, elles sont fréquemment détruites la nuit, sans qu’on arrive à arrêter les coupables. Il a également indiqué que nombre de réfugiés et déplacés ne souhaitaient pas revenir, soit par peur, soit du fait des conditions extrêmement rustiques de leur vie antérieure, une partie des déplacements semblant correspondre de fait à une sorte d’exode rural.

M. François Lamy a souligné que l’objectif de réinstallation de 200 000 réfugiés fixé par le Haut Commissariat aux réfugiés pour 1998 était considéré par les interlocuteurs de la mission comme irréaliste. Il a ajouté que, sur 15 000 retours prévus pour le mois de février 1998, seuls 3 200 avaient eu lieu.

S’agissant de l’arrestation des criminels de guerre, M. François Lamy a fait remarquer qu’ils étaient encore nombreux en liberté, et ce dans toutes les zones. Il a ajouté que c’est par sa méthode que se singularisait plutôt l’approche du commandement français, celui-ci préférant mettre les criminels de guerre en situation de plus en plus inconfortable, jusqu’à finalement obtenir leur reddition. Il a expliqué que l’amélioration du fonctionnement de l’Etat et de l’administration, rendue possible grâce à la présence de la SFOR, avait pour conséquence de réduire les revenus illégaux des criminels de guerre et de les priver ainsi des moyens de payer leur garde rapprochée. Il a insisté sur le fait que la récente reddition de l’un de ces criminels n’avait eu aucun caractère spontané. M. François Lamy a, à ce propos, souhaité que les militaires français expliquent mieux leur stratégie de façon à faire apparaître qu’ils ont, tout autant que les autres forces, la volonté de procéder à l’arrestation des criminels de guerre, cette question restant un point clé pour les autorités bosniaques musulmanes.

Exposant alors l’articulation du dispositif français au sein de la SFOR, M. François Lamy a expliqué que, outre le poste de commandant adjoint de la SFOR, la France avait la charge de la division multinationale Sud-Est, dite Division Salamandre. Il a attiré l’attention sur l’originalité de cette unité, la multinationalité s’étendant à l’Etat-major lui-même, puisque les trois adjoints du Général commandant la division sont trois généraux italien, espagnol et allemand. Il a exposé que les interlocuteurs de la mission avaient considéré que cette organisation comportait de nombreux avantages, pour peu que l’intensité des actions menées ne soit pas trop élevée. Il a indiqué qu’elle était considérée comme favorisant la formation, l’intégration et aussi l’amplification des forces, chacun apportant sa spécificité comme dans le cas du Batalat, le bataillon d’hélicoptères basé à Ploce en Croatie, organisé à partir de roulements d’équipages multinationaux. M. François Lamy a également fait état de l’intégration spécifique du bataillon marocain qui assure la sécurité des camps à la satisfaction générale. Il a précisé que la langue de travail de la Division Salamandre était le français.

Abordant alors la situation des personnels dans les forces, M. François Lamy a indiqué que les officiers comme les hommes du rang lui avaient déclaré qu’ils appréciaient la clarté de leurs ordres de mission et des règles d’engagement applicables, qui sont celles de l’OTAN.

Il a précisé que, dans l’environnement multinational où ils sont placés, les Français apparaissaient à la fois fiers de leur spécificité et de leur capacité d’adaptation, mais regrettaient de ne pas bénéficier des avantages matériels de certains de leurs camarades de l’OTAN.

Il a également fait état des difficultés soulevées par les conséquences de la réforme des rémunérations des personnels en opération à l’étranger sur la solde des appelés, qui avait, de ce fait, été amputée de 25 % au 1er janvier.

Soulignant que la bonne réalisation du volet militaire des accords de Dayton contrastait avec la mise en oeuvre moins satisfaisante de leur volet politique, M. François Lamy a estimé que cette situation ne permettait pas d’envisager un retrait de la SFOR sans risque de reprise du conflit.

Abordant les affaires dites civilo-militaires relatives aux tâches de reconstruction, M. François Lamy a souligné que la présence économique de la France n’était pas à la hauteur de son engagement militaire. Il a néanmoins estimé qu’il n’était pas certain que l’armée soit forcément la mieux adaptée pour mener des actions d’intérêt économique et social, ne serait-ce qu’en raison des problèmes de nature politique que soulevait la conduite de telles actions. Il a enfin estimé que le rattachement exclusif des affaires civilo-militaires à l’Etat-major des armées pouvait apparaître critiquable et exprimé sa préférence pour une participation à leur gestion des services des Affaires étrangères, voire de la Coopération.

Concluant son exposé, M. François Lamy a estimé utile que la Commission demande au Ministre de la Défense et au Chef d’Etat-major des Armées de venir lui présenter les bases sur lesquelles serait instituée la nouvelle participation française à la stabilisation de la Bosnie-Herzégovine.

Le Président Paul Quilès a alors exprimé son accord avec la suggestion de M. François Lamy.

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