Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission de la défense nationale et des forces armées (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 juin 1998
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président,

SOMMAIRE

 

pages


– Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les exportations d’armement et les opérations extérieures


2

– Information relative à la Commission

9

   

La Commission de la Défense a procédé à l’audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les exportations d’armement et les opérations extérieures.

Le Président Paul Quilès a tout d’abord souligné que la Commission de la Défense attachait d’autant plus d’importance à l’audition du Ministre de la Défense sur les exportations d’armement et sur les opérations des forces françaises sur des théâtres extérieurs qu’il s’agissait de domaines largement soustraits, dans le passé, au contrôle parlementaire.

Après avoir rappelé qu’il avait remis, en décembre 1997, un rapport au Parlement sur les mesures d’aide et de soutien à l’exportation des matériels de défense, M. Alain Richard a présenté les fondements de la politique suivie par la France en ce domaine. Il a fait valoir que les quelque 150 pays dotés d’une armée parmi les 185 membres de l’ONU étaient confrontés à des menaces diverses, comme l’illustre la permanence d’environ une vingtaine de foyers de tension dans le monde. Il a considéré qu’eu égard aux conséquences dangereuses de la tentation humaniste d’un désarmement unilatéral qui laisserait libre cours à l’usage incontrôlé de la force, il convenait de mettre en place les instruments d’une politique responsable visant à encadrer la vente et la cession de matériel militaire. Il a souligné le caractère contestable, tant d’un point de vue éthique que politique, des condamnations globales des exportations d’armement, faisant au contraire ressortir la légitimité de la politique d’équipement militaire des pays acquéreurs qui ne peuvent se voir dénier leur droit à se défendre. Il a néanmoins rappelé qu’aux yeux de la France, les échanges d’armement ne devaient pas être dissociés d’un partenariat politique et ne sauraient être considérés exclusivement sous l’angle économique ou commercial. Précisant que ce partenariat politique pouvait être dicté par des considérations stratégiques ressortant d’une politique de prévention, il a cité en exemple le déséquilibre flagrant en matière d’équipement militaire entre Serbes d’une part, Croates et Musulmans d’autre part, auquel les accords de Dayton avaient notamment pour objet de remédier en permettant à la fédération croato-musulmane de se doter de capacités défensives minimales. Il a ajouté qu’il s’agissait là d’un des éléments expliquant le rétablissement de la paix en Bosnie-Herzégovine.

Le Ministre de la Défense a ensuite procédé à l’analyse géographique de la politique française d’exportation de matériel militaire.

Il a rappelé que deux zones faisaient l’objet, de la part de la France, d’une attention particulière, l’Union européenne et l’Europe centrale et orientale d’une part, zone dans laquelle l’intégration à l’OTAN de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque ne devait pas s’accompagner d’un monopole américain des fournitures d’armements ; le Proche-Orient, d’autre part, région dans laquelle la France a développé des relations de défense avec des pays dont l’histoire récente témoigne d’une volonté de préservation de la stabilité stratégique. S’agissant du marché asiatique, M. Alain Richard a rappelé que la France cherchait à y développer sa présence, que ce soit pour empêcher la domination exclusive d’autres puissances comme les Etats-Unis ou la Chine, ou pour instaurer un dialogue politique original avec les Etats de cette zone, dans le prolongement, par exemple, de l’initiative de forum euro-asiatique, ou encore pour les aider à conforter leur indépendance par des coopérations industrielles variées. Quant à l’absence d’exportation de matériel militaire vers l’Afrique, le Ministre de la Défense a souligné qu’elle tenait tant au dénuement économique de ce continent qu’à l’existence d’autres outils de prévention et d’équilibre, tels que les accords de Défense. Evoquant enfin le marché sud-américain, il a indiqué que la France, globalement peu présente, y occupait toutefois certaines positions auprès de pays soucieux d’assurer leur indépendance.

Présentant ensuite l’évolution récente du marché global des exportations d’armement, M. Alain Richard a indiqué qu’il avait diminué de 50 % depuis la fin des années 80 pour s’établir aujourd’hui entre 200 et 250 milliards de francs de chiffre d’affaires. Il a dressé un panorama des principaux fournisseurs d’armement, au premier rang desquels figurent trois pays assurant à eux seuls 75 % des exportations, les Etats-Unis pour 105 milliards de francs, le Royaume-Uni (45 milliards de francs) et la France (30 milliards de francs).

Il a indiqué que venait ensuite un groupe d’exportateurs de matériels de défense que l’on peut qualifier de moyens, comprenant la Russie, qui réalise 20 milliards de francs de chiffre d’affaires, la République Fédérale d’Allemagne et la Chine, présentes pour chacune à hauteur de 5 à 10 milliards de francs. Il a enfin évoqué les exportateurs émergents que sont Israël, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Corée du Sud.

M. Alain Richard a fait ressortir le caractère récent de la hiérarchie actuelle, notamment dans les premiers rangs : il a souligné à ce propos que les Etats-Unis étaient passés d’une attitude prudente au cours de la guerre froide à un effort d’exportation soutenu puisque, depuis 1988, le volume de leurs ventes d’armes est resté constant alors que le marché s’est globalement réduit de moitié. Il a ajouté qu’avec une part de marché de l’ordre de 50 %, les Etats-Unis étaient désormais très loin devant la Russie.

M. Alain Richard a ensuite présenté les principaux acheteurs, soulignant la concentration d’un marché sur lequel une trentaine de pays (sept pays du Golfe et du Proche-Orient, dix pays d’Asie et douze pays d’Europe occidentale) génèrent 95 % du chiffre d’affaires. Après avoir fait observer que quatre pays (Arabie Saoudite, Taiwan, Turquie, Japon) représentaient à eux seuls 35 à 40 % du marché, il a indiqué que venaient ensuite une douzaine de pays dont le montant annuel des importations d’armement est de 5 à 7 milliards de francs. Il a précisé que les premiers importateurs de cette catégorie étaient les Etats-Unis, le Royaume-Uni, les Emirats Arabes Unis, l’Australie et les Pays-Bas, et ajouté que neuf autres pays (Israël, Suède, Singapour, Corée du Sud, Koweït, Suisse, Grèce, Norvège et Allemagne) intervenaient pour des montants annuels moins élevés, de l’ordre de 4 à 5 milliards de francs.

Commentant la configuration particulière du marché européen, le Ministre de la Défense a fait observer qu’il regroupait seulement trois grands pays producteurs généralistes, quatre s’étant spécialisés sur certains créneaux de l’éventail technologique (l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas et la Suède), et les autres intervenant quasi exclusivement à titre d’acheteurs. Il a toutefois remarqué que la part des exportations intraeuropéennes d’armement ne pouvait que baisser, la proximité géographique et l’intensité des relations industrielles entre les pays européens conduisant à privilégier la production en coopération.

Le Ministre de la Défense a, à ce propos, estimé que l’esprit de résistance à l’égard de la prédominance américaine était, en Europe, plus répandu dans le domaine industriel que dans le domaine politique. Il a par ailleurs regretté que la perception de la réalité géopolitique que constituent les exportations d’armements souffre d’un certain déficit d’informations.

M. Alain Richard a ensuite présenté les principes et les règles qui encadrent la politique française d’exportation d’armement. Il a souligné que la France, qui ne participait d’aucune façon à la prolifération d’armes de destruction massive figurait bien au contraire parmi les pays qui la combattaient le plus activement. Il a rappelé que notre pays menait en ce domaine une coopération intense avec les puissances signataires des conventions internationales de lutte contre la prolifération, dès lors que des relations de confiance étaient établies avec elles. Il a également indiqué que la France respectait les embargos fixés par l’ONU ou par l’Union européenne et se conformait aux critères d’exportation définis tant par le Conseil de sécurité de l’ONU que par le Conseil européen de 1991 à 1993. Il a précisé que la France avait, en ce domaine, milité pour la transparence et l’institution de mécanismes de contrôle des engagements pris dans le cadre d’une politique générale de développement d’un droit international fiable, ne permettant pas le détournement ou le discrédit des normes élaborées en commun.

Le Ministre de la Défense a rappelé que, sous la présidence du Royaume-Uni, l’Union européenne avait adopté en 1998 un code de conduite sur les exportations incluant un dispositif de consultation réciproque des pays européens exportateurs d’armement. Il a souligné que les principes de contrôle qui étaient à la base de ce dispositif ne représentaient pas une innovation complète pour la France mais qu’ils constituaient un changement important pour le Royaume-Uni qui ne disposait pas jusqu’à présent d’un système légal et réglementaire de suivi des exportations d’armements. Il a précisé que le code de conduite concernait en priorité les pays exportateurs d’équipements militaires, que le système de consultation ne concernait que ces derniers et que l’information des autres membres de l’Union européenne serait assurée par un compte rendu annuel.

Evoquant la procédure de la CIIEMG, créée il y a près de cinquante ans, M. Alain Richard a fait observer qu’elle permettait d’évaluer les demandes d’exportation dans un cadre interministériel et qu’elle portait sur les trois phases de prospection, de négociation et de vente. Il a également rappelé que le départ physique des armements depuis la France était soumis à contrôle.

Le Ministre de la Défense a ensuite mis l’accent sur les enjeux économiques des exportations d’armement. Il a indiqué que, pour l’année 1997, le montant des livraisons avait atteint 30,2 milliards de francs et celui des prises de commande 43,3 milliards de francs. Il a précisé qu’en 1996, les exportations avaient représenté une part élevée du chiffre d’affaires de plusieurs grandes entreprises françaises : 45 % pour Thomson-CSF ; 46 % pour Aérospatiale ; près de 70 % pour Matra, pour des volumes certes inférieurs ; 19 % pour la DCN ; 52 % pour GIAT-Industries et 43 % pour Dassault Aviation.

Soulignant que 20 à 25 % des emplois du secteur des industries de défense étaient liés aux exportations, M. Alain Richard a rappelé que de nombreux grands programmes, tels que les programmes Mirage, Rafale, La Fayette ou Tigre, ne pouvaient être menés à bien sans perspectives d’exportation en raison du coût de leur développement. Il a fait observer que cette dépendance à l’égard des exportations plaçait la France dans une situation spécifique, analogue à celle du Royaume-Uni, alors qu’aux Etats-Unis les exportations représentent seulement 10 à 15 % du chiffre d’affaires des grandes entreprises.

Après avoir relevé l’importance du rôle de l’Etat pour la détermination du cadre politique des exportations d’armement, M. Alain Richard a enfin souligné que ce rôle devait également s’inscrire dans une relation de partenariat avec les industriels et de coopération politique et technologique avec les pays clients.

Remarquant que l’Union européenne n’avait adopté qu’un « code de conduite » en matière d’exportation d’armements et non un « code de bonne conduite », le Président Paul Quilès a demandé des précisions sur la procédure de consultation prévue en cas d’acceptation d’un marché précédemment refusé par un autre Etat membre. Soulignant que la procédure devait rester confidentielle, il s’est demandé si l’engagement de ne pas en tirer d’avantages commerciaux ne s’apparentait pas à un « voeu pieux ».

Le Ministre de la Défense a indiqué que le nouveau dispositif concernait principalement le Royaume-Uni et la France, l’Allemagne obéissant déjà à un système d’autorisations parlementaires qui n’a pas d’ailleurs évité certains dérapages de la part d’entreprises privées, notamment dans une affaire d’exportation de matériels susceptibles de permettre la production d’armes chimiques. Il a précisé que, selon le code de conduite, un pays qui décidait de refuser une autorisation d’exportation devait l’annoncer aux autres Etats et que si l’un d’eux décidait néanmoins de permettre une transaction globalement identique, il devait communiquer ses motifs aux pays qui avaient renoncé à cette vente. Il a estimé que ce mécanisme avait une valeur dissuasive certaine dans la mesure où il exposait l’Etat qui choisirait d’exporter malgré le refus d’un autre Etat à un risque de controverses publiques sur sa politique de ventes d’armes. Reconnaissant que des tricheries restaient possibles, le Ministre a relevé qu’elles comportaient le risque de scandales tels que celui que le Royaume-Uni vient de connaître à propos d’une vente d’armes à une faction armée du Sierra Leone.

Rappelant les trois autorisations successives que requiert la procédure suivie devant la CIEEMG pour la prospection, la négociation puis la vente et faisant valoir la gêne que pouvait constituer pour les industriels l’obligation d’obtenir une autorisation pour la seule action commerciale de prospection, M. René Galy-Dejean a demandé si le commerce de certaines armes, ou avec certains pays, ne pouvait pas être dispensé de cette première autorisation.

Evoquant ensuite le plan que le précédent Ministre de la Défense avait présenté à l’Assemblée nationale l’année dernière pour encourager les exportations d’armements et le qualifiant de plan de combat très innovant, il s’est interrogé sur ce qu’il en était advenu et si le Gouvernement en avait retenu une partie, voire l’avait fait sien.

Il a ensuite demandé si les services du ministère des Finances avaient affiné leurs méthodes d’analyse des risques à l’exportation en vue de leur couverture. Il a à ce propos cité l’exemple de certains pays jugés trop pauvres pour qu’on fasse bénéficier leurs contrats d’armement de la garantie de l’Etat alors que l’expérience montrait qu’ils réglaient toujours ponctuellement leurs achats de matériel militaire.

Enfin, évoquant un cas où une importante commande d’armement en suspens s’était rapidement débloquée après qu’une décision eut été prise sur les conditions de la présence en France de certains ressortissants du pays acheteur, il a demandé quelle cohérence pouvait être établie entre les exportations de matériels de défense et les autres aspects de la politique suivie à l’égard des Etats qui s’en portent acquéreurs.

S’inquiétant des évolutions de long terme, M. Jean-Claude Sandrier a demandé si les données relatives au volume du marché mondial des armements et à la part de l’exportation dans le chiffre d’affaires des entreprises de défense étaient disponibles pour la période des dix années écoulées et, symétriquement, s’il existait des études prospectives sur l’état du marché des exportations d’armement dans dix ans. Evoquant ensuite les programmes en coopération et notamment le VBCI, il s’est déclaré préoccupé du risque que leur développement, imposé par l’aggravation de la concurrence, conduise à la fabrication d’équipements qui ne répondraient pas tout à fait aux besoins exprimés par les armées.

M. Georges Lemoine a demandé quels étaient les produits français qui avaient le plus de succès à l’exportation.

Le Ministre de la Défense a apporté les éléments de réponse suivants :

— la suppression de l’autorisation pour la phase de prospection des exportations d’équipement les moins sensibles est à l’étude ; il importe toutefois de tenir compte de la situation sensible et conflictuelle de certaines zones, où de simples actions de prospection peuvent suffire à soulever de graves difficultés politiques ;

— certaines des mesures d’aide à l’exportation élaborées par le Gouvernement précédent sont appliquées par le Gouvernement actuel et mobilisent d’importants moyens humains au sein des Etats-majors et de la DGA qui s’efforcent de développer leur partenariat avec les entreprises pour soutenir la présence de ces dernières à l’étranger ;

— le travail d’évaluation fait par les services du ministère des Finances pour l’assurance des contrats d’exportation n’opère pas de distinction fondamentale entre les transactions civiles et militaires, et il n’appartient pas au Gouvernement d’établir un double barème pour tenir compte de la propension de certains Etats à mieux tenir leurs engagements en matière militaire qu’en matière civile ;

— des actions d’accompagnement peuvent être menées par le Gouvernement à l’appui d’une opération d’exportation lorsqu’elles sont conformes à sa politique étrangère et aux principes généraux de son action ; mais le Gouvernement n’envisage pas d’infléchir sa politique ou de manquer à ses principes pour obtenir un marché ;

— s’agissant des études prospectives, il convient de distinguer le court et le long terme. Pour établir des prévisions à court terme, la DGA réunit des séries de contrats et leur affecte un coefficient de réussite. La prévision est cependant d’autant moins sûre que les contrats ont une valeur unitaire élevée et qu’ils présentent un caractère exceptionnel. La prospective à long terme implique, quant à elle, une réflexion d’ensemble sur l’évolution des conditions stratégiques et économiques. Deux facteurs sont donc à prendre en compte pour évaluer la croissance des marchés d’armement : le développement économique et la « conflictualité » de la région considérée. Il apparaît toutefois que le premier de ces facteurs tend à l’emporter sur le second comme en Asie, où la croissance a conduit à la hausse des budgets de défense alors que la conflictualité a plutôt diminué, ou encore au Moyen-Orient, où la baisse des PNB liée à l’évolution des prix du pétrole a provoqué une certaine restriction des marchés d’armements bien que la conflictualité reste forte ;

— le lancement de programmes en coopération entre des partenaires disposant d’une industrie d’armement établie donne lieu d’abord à des échanges difficiles, chacun tenant à ses traditions et considérant qu’elles correspondent au meilleur choix militaire. Le programme de frégate Horizon en est un bon exemple. Il n’en reste pas moins qu’en face de la concentration de l’industrie américaine, les pays européens ne pourront maintenir chacun un marché national indépendant. Ils sont donc de plus en plus contraints au choix de la coopération, d’ailleurs souvent justifié par des politiques de défense aux objectifs convergents.

Le Président Paul Quilès a alors abordé la question des opérations extérieures. Il a d’abord exposé que des décisions importantes concernant la force de stabilisation en Bosnie-Herzégovine venaient d’être prises par l’OTAN et l’ONU, aux termes desquelles celle-ci était maintenue jusqu’en décembre 1998, date après laquelle elle ferait l’objet d’un réexamen régulier à intervalle de six mois. Il a également noté que la force de stabilisation disposerait de moyens renforcés pour soutenir les autorités locales face aux désordres civils. Evoquant ensuite les risques de déstabilisation qu’entraînerait la poursuite de la guerre civile au Kosovo, il a rappelé que le Ministre de la Défense avait déclaré, à l’issue de la dernière réunion du Conseil des Ministres de la Défense de l’OTAN, que l’Alliance avait fait étudier une gamme très étendue de mesures militaires propres à concourir à la stabilité régionale et à contribuer, en appui des mesures de pression diplomatique, au règlement de la crise. Il a également souligné qu’un débat s’était instauré entre les Etats-Unis et les autres alliés sur la base juridique d’une éventuelle intervention militaire, les récentes déclarations de responsables américains et en particulier du Ministre de la Défense des Etats-Unis faisant ressortir que, pour ce pays, l’approbation du recours à la force par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne serait plus la condition indispensable d’une intervention d’imposition de la paix. Il a alors demandé au Ministre quel jugement il portait sur cette tendance de certains Etats, et en particulier des Etats-Unis, à vouloir s’affranchir des contraintes du mandat du Conseil de sécurité, ajoutant qu’il en comprenait certaines motivations mais qu’il la considérait comme dangereuse pour l’avenir.

Evoquant d’abord la situation en Bosnie-Herzégovine, le Ministre de la Défense a souligné qu’en dépit des réticences dont font preuve les communautés et de progrès encore insuffisants dans la mise en oeuvre du plan de paix, il convenait de souligner l’amélioration considérable de la situation depuis la signature des accords de Dayton, les affrontements armés ayant cessé. Il a néanmoins indiqué que les tâches restant à accomplir pour parvenir à la construction d’une Bosnie-Herzégovine où les communautés coopéreraient entre elles justifiaient le maintien d’une force d’intervention extérieure. Il a précisé qu’un accord prévoyant le maintien d’une force de volume identique avait été conclu entre les pays participants et ajouté que les missions de cette force seraient davantage orientées vers le soutien aux actions civiles. Il a rappelé que la création d’une force de police internationale avait constitué un point d’achoppement du débat entre alliés, la France, sans marquer à cet égard d’opposition de principe, y étant hostile dans le cas particulier de la Bosnie-Herzégovine où stationnent depuis six ans des troupes envoyées par la communauté internationale et pour laquelle un règlement politique est intervenu depuis trois ans. Il a relevé qu’il aurait été quelque peu contradictoire de constater l’amélioration de la situation et de mettre simultanément en place une force de police internationale. Il a précisé qu’un compromis était intervenu, prévoyant que les contingents étrangers assureraient une mission d’ordre public, sous le contrôle du commandant de la SFOR, les missions de police judiciaire restant entre les mains des autorités locales. M. Alain Richard a, à ce propos, fait part du faible enthousiasme des différents pays concernés pour participer à cette force spéciale, dont le commandement serait assuré par l’Italie, et souligné que, quant à elle, la Gendarmerie française, déjà très sollicitée sur de nombreux théâtres d’intervention, ne pouvait assurer, en supplément de ses tâches actuelles, qu’une mission de formation des forces de police locales.

Faisant état des échéances à venir, M. Alain Richard a fait ressortir l’importance de l’enjeu que représentent les élections de septembre prochain qui doivent permettre à des hommes politiques moins engagés dans les conflits du passé de participer au pouvoir. Parmi les tâches à accomplir dans les mois à venir, il a également cité la réinstallation des réfugiés qui avaient fui leur pays et la poursuite du plan de capture des personnes inculpées pour crime de guerre. Le Ministre a à cet égard précisé que la moitié de ces personnes avait déjà été transférée à La Haye pour y être jugées.

Abordant ensuite l’analyse de la situation au Kosovo, qu’il a qualifiée de préoccupante, le Ministre de la Défense a souligné le caractère injustifiable du comportement de la police et de l’armée serbes, qui multiplient, à l’encontre de la population civile d’origine albanaise, des exactions sans commune mesure avec les actes de terrorisme subis par les personnes d’origine serbe. M. Alain Richard a déploré que M. Milosevic ait engagé une vaste opération de répression brutale, alors même que des discussions politiques s’amorçaient et a estimé qu’alors que M. Rugova, le représentant des Albanais du Kosovo refusant l’option de la violence, avait assumé les risques inhérents à la négociation, M. Slobodan Milosevic avait gravement compromis par son action les faibles chances de paix.

M. Alain Richard a indiqué que les diplomaties occidentales se donnaient néanmoins pour objectif de faire pression sur M. Milosevic afin de rétablir les conditions propices à la négociation et que la France s’efforçait de préserver la cohésion entre Européens en jouant un rôle actif au sein du groupe de contact afin d’encadrer et de limiter la crise. Il a rappelé que, face au comportement de M. Milosevic dont ils avaient déjà l’expérience, les pays occidentaux avaient demandé à l’Alliance atlantique de planifier un schéma de riposte possible, que cette planification avait été mise à l’étude et examinée par les Ministres de la Défense de l’OTAN la semaine dernière. Le Ministre de la Défense a toutefois fait observer qu’il ne pouvait être question d’une mise en oeuvre précipitée de ce plan, apparemment souhaitée par certains alliés de la France. Il a présenté ensuite la gamme des mesures envisagées, allant du soutien à l’action humanitaire à l’intervention d’une force armée sur le sol du Kosovo, en passant par le contrôle de l’espace aérien, le déclenchement de frappes aériennes et l’interdiction pour les armements lourds serbes d’effectuer des mouvements au sol. Il a souligné que ce plan, loin d’être un projet d’escalade, représentait un message de fermeté indiquant à M. Milosevic les conditions du retour à une négociation sur l’autonomie du Kosovo, sans lequel il ne peut y avoir de rétablissement d’une situation de paix.

M. Alain Richard a estimé que si la parole devait rester à la diplomatie et si les contacts entre MM. Eltsine et Milosevic avaient produit certains résultats, les propositions du dirigeant serbe restaient insuffisantes et justifiaient le maintien de la pression occidentale.

Il a enfin fait observer qu’un éventuel recours à la force ne pourrait être autorisé que par le Conseil de sécurité de l’ONU. Tout en relevant que certaines déclarations américaines récentes n’allaient pas dans ce sens, le Ministre de la Défense a estimé que la position des Etats-Unis ne pouvait être considérée comme définitivement arrêtée. Il a néanmoins indiqué que si, dans l’hypothèse de la poursuite de l’offensive serbe, la Russie bloquait les décisions nécessaires au sein du Conseil de l’ONU et ne se ralliait pas au projet de résolution présenté par le Royaume-Uni pour autoriser l’usage de la force, elle risquait de donner raison à ceux qui préconisent une action unilatérale de l’OTAN.

Le Président Paul Quilès a fait valoir que la mention de « base juridique pertinente », figurant dans la récente déclaration du Conseil des Ministres de la Défense de l’OTAN relative au Kosovo, avait dû être longtemps méditée et qu’elle reflétait de sensibles divergences entre alliés. Il a remarqué qu’il paraissait difficile d’invoquer, à l’appui d’une intervention unilatérale de l’OTAN l’article 51 de la Charte des Nations Unies relatif à la légitime défense.

M. Alain Richard a signalé que certains pays alliés étaient à la recherche d’une base juridique autre que celle d’un mandat du Conseil de sécurité pour une intervention de l’OTAN au Kosovo. Il a par ailleurs estimé que l’OSCE n’était pas en mesure d’autoriser les mesures nécessaires au rétablissement de la paix en cas d’aggravation de la crise.

Evoquant le mandat de la SFOR et la mission que la Commission de la Défense avait effectuée le mois dernier en Bosnie-Herzégovine, M. François Lamy a regretté que les forces présentes sur le terrain soient dans l’incapacité d’assurer la sécurité des réfugiés et des déplacés en ex-Yougoslavie et a émis la crainte qu’une partition de fait s’installe de manière irréversible. Il s’est également interrogé sur la notion d’affaires civilo-militaires en en relevant l’importance pour la stabilisation politique et économique des pays concernés.

Le Ministre de la Défense a indiqué que, selon lui, une partition de fait existait et que la question était de savoir si elle pouvait être rendue irréversible par l’impossibilité du retour des réfugiés. Faisant référence à des rencontres récentes avec la présidence collégiale de la Bosnie-Herzégovine, il a fait état d’un certain raidissement dans l’application des règles de cohabitation. Il a en revanche noté que l’évolution de la Republika srpska devait être prise en compte dans la mesure où son gouvernement actuel représentait une alternative crédible aux extrémistes. Il a à ce propos souligné que l’enjeu des prochaines élections était de favoriser une relève politique capable de dépasser les crispations actuelles.

M. Alain Richard a ensuite fait état d’expériences positives de retour des réfugiés. Mais il a également déclaré qu’il fallait éviter de créer les conditions d’un durcissement des positions à l’approche des élections législatives.

Il a enfin souligné que les affaires civilo-militaires supposaient une coopération entre de nombreux partenaires et en particulier entre la Défense et les autres ministères intéressés, notamment ceux de la Justice et de l’Intérieur. Soulignant que les réservistes américains apportaient une contribution significative aux projets de reconstruction, il a indiqué que le projet de loi sur les réserves, qui sera présenté au Parlement au cours de la prochaine session, fournirait l’occasion d’une nouvelle réflexion à ce sujet.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Robert Gaïa rapporteur pour avis sur les projets de loi, adoptés par le Sénat, autorisant la ratification du protocole II d’interdiction des mines et pièges, annexé à la Convention de Genève (n° 29) et de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel (n° 964).


© Assemblée nationale