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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 19

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 27 janvier 1999
(Séance de 11 heures 45)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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— Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les négociations relatives au concept stratégique de l’OTAN 2


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— Information relative à la Commission

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La Commission a entendu M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les négociations relatives au concept stratégique de l’OTAN.

Le Président Paul Quilès a souligné que ces négociations soulevaient, pour la politique de défense française, d’importantes questions, touchant notamment à la contribution de la France à la sécurité européenne et à ses relations avec l’organisation militaire intégrée. Il a ajouté qu’en décidant de s’intéresser à une négociation en cours dans le domaine de la défense, la Commission s’était engagée dans une démarche novatrice mais estimé que, dans ce domaine, une plus grande transparence pouvait être utile et conduire en particulier à renforcer l’adhésion de la Nation à la défense. Evoquant le « syndrome somalien » qui avait dissuadé les Etats-Unis d’engager des forces terrestres dans plusieurs circonstances, il a fait valoir que les débats, notamment parlementaires, relatifs à la politique de défense et de sécurité pouvaient permettre de mieux faire comprendre à l’opinion les éventuels sacrifices que les actions militaires pouvaient demander.

M. Alain Richard s’est déclaré en accord avec les thèmes développés par le Président Paul Quilès tout en se félicitant de l’esprit de partenariat qui marque les relations entre la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale et le Gouvernement.

Le Ministre de la Défense a indiqué que la révision du concept stratégique de l’OTAN constituait une étape importante pour l’adaptation de l’Alliance atlantique et donc, pour la France qui en est membre depuis sa création. Celle-ci se doit d’aborder cette étape sans crispation et sans naïveté, tout en conservant à l’esprit la spécificité de sa position et les avantages susceptibles d’être retirés du nouveau concept. Elle doit aussi se souvenir, tout au long de la négociation, de son devoir d’allié, qu’elle remplit actuellement sur le terrain tant en Bosnie-Herzégovine qu’au Kossovo. L’adaptation de l’Alliance est un processus évolutif, amorcé au lendemain de la chute du mur de Berlin, par l’adoption à Rome, en 1991, de ce que l’on a alors appelé le « nouveau concept » stratégique de l’OTAN. Aujourd’hui, comme elle en est convenue au sommet de Madrid de 1997, l’Alliance doit prendre acte des nouvelles donnes du contexte international : disparition de l’Union soviétique, développement d’un monde multipolaire et émergence de nouvelles entités parmi lesquelles figure au premier rang l’Union européenne.

Le Ministre de la Défense a précisé que les réunions ministérielles du Conseil de l’Atlantique Nord ont, progressivement, au cours des années passées, déjà précisé les contours d’une Alliance transformée. Son élargissement à trois Etats d’Europe centrale et orientale et le développement de relations de coopération et de partenariat avec l’ensemble du continent ont d’ores et déjà montré que l’Alliance contribuait, à sa manière, au renforcement de la sécurité et de la stabilité en Europe. Les travaux de révision du concept stratégique de 1991 n’ont véritablement commencé qu’à l’automne 1998. La négociation progresse, avec prudence, préparant les principales décisions politiques dont la plupart ne seront sans doute prises qu’à l’approche immédiate du sommet.

S’agissant des missions de l’Alliance, le sommet de Bruxelles de 1994 a fixé des principes conduisant à les étendre au maintien et au rétablissement de la paix. La France a pleinement joué son rôle en participant activement à toutes les missions dites « hors article 5 » en Bosnie-Herzégovine et aujourd’hui au Kossovo. C’est dans un cadre relativement consensuel qu’il convient aujourd’hui de s’interroger sur le point de savoir si ces nouvelles missions de gestion de crise doivent figurer parmi les « fonctions essentielles » énumérées par le concept stratégique, alors que cette dénomination paraît devoir être réservée au cœur même de l’Alliance atlantique, constituée par la défense collective prévue par l’article 5 du Traité de Washington. Une chose est sûre : la dénomination des missions de gestion de crise ne doit pas aboutir à une modification des relations entre l’OTAN et l’ONU. La France est, pour sa part, fermement attachée à la légitimité que procure, pour toute opération ne relevant pas de l’article 5 et impliquant le recours à la force, « l’autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies », seul à même de lui donner une base légale incontestable. Cette formule, conforme au droit international, aurait rendu possible l’action de l’Alliance au Kossovo en 1998, même si ce cas ne constitue pas un précédent à nos yeux. Il importe en ce domaine de dégager un équilibre entre la menace de paralysie de l’OTAN, difficilement admissible lorsqu’elle pèse sur des situations de détresse humanitaire, et une autosaisine qui battrait en brèche les principes de la Charte de l’ONU.

M. Alain Richard a fait part des interrogations que pouvait susciter l’initiative américaine concernant la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, bien que la France partage les préoccupations de ses alliés sur ce sujet. Le développement de ces armes, notamment dans le domaine balistique, peut, à long terme, se révéler très inquiétant. Aussi paraît-il intéressant, en ce domaine, de favoriser les échanges d’informations, de coordonner les activités des alliés et d’examiner les aspects civils des risques. Toutefois, il importe de rappeler que la lutte contre la prolifération continue de passer par les régimes de non-prolifération auxquels la France, avec la majorité de ses alliés, est partie prenante et qu’il convient de ne pas affaiblir. Les événements récents d’Asie du Sud ne doivent pas faire oublier que la décennie écoulée a été marquée par des progrès non négligeables dans le domaine du renforcement des instruments internationaux de non-prolifération ou du désarmement chimique et biologique.

Soulignant que les Etats-Unis entendent profiter du sommet de Washington pour renforcer les capacités militaires de l’Alliance dans le domaine de la projection des forces et de leur adaptation à toutes les formes de menace, M. Alain Richard a indiqué que, face aux propositions faites à cette fin par le Ministre de la Défense américaine, M. William Cohen, la France avait adopté une position marquée par le réalisme et la prudence. La France partage en effet avec ses Alliés les mêmes besoins opérationnels, en particulier ceux de flexibilité, mobilité et survivabilité, dont elle a déjà tenu compte dans l’élaboration de la loi de programmation de 1996, mais elle exprime certaines réserves face à une extension excessive des capacités collectives de l’Alliance qui risquerait notamment de créer de nouvelles situations de dépendance vis-à-vis des Etats-Unis.

La France souhaite donc mettre l’accent sur l’interopérabilité qui constitue, par excellence, l’élément multiplicateur des forces d’une coalition. Les études qu’elle mène actuellement de concert avec ses alliés européens et américains, reposent sur une identification précise et réaliste de ces besoins d’interopérabilité. Elles s’attachent, dans chacun des domaines, à définir un niveau d’interopérabilité de stricte suffisance, tenant compte à la fois des besoins et des ressources budgétaires de la France, préservant son autonomie de décision et lui laissant l’entière maîtrise de l’engagement de ses forces. Si la France partage le souci de rationaliser et de coordonner les activités d’armement au sein de l’OTAN, elle considère que les réformes envisagées à cette fin ne doivent pas aboutir à une quelconque intégration, ni se substituer aux décisions nationales. Les travaux de l’Alliance doivent également tenir compte des initiatives européennes telles que la création de l’OCCAR, de façon à préserver les possibilités de constitution d’une industrie européenne de l’armement.

M. Alain Richard a souligné que l’identité européenne de défense ne constituait pas une nouveauté au sein de l’Alliance. Depuis le sommet de l’OTAN de Bruxelles en 1994, les Alliés ont apporté leur soutien à son développement, en vue de parvenir, à terme, à une défense européenne commune compatible avec celle de l’Alliance atlantique. La France avait, dès 1995, dans le cadre de son rapprochement avec l’Alliance, appelé à la reconnaissance d’une identité européenne substantielle à l’intérieur de l’OTAN, proposition qui trouva un écho dans une série de mesures acceptées lors de la réunion ministérielle de Berlin en 1996. Ces mesures, qui consistent en particulier à organiser entre l’UEO et l’OTAN les relations nécessaires à la préparation d’opérations menées sous le contrôle politique et la direction stratégique de l’UEO, offrent la possibilité de forger un outil européen de défense au sein de l’Alliance. Le changement d’attitude du gouvernement britannique qui s’est déclaré disposé à renoncer à son opposition déterminée aux projets européens en matière de défense, la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et le dialogue bilatéral qui a suivi ouvrent de nouvelles perspectives. Il existe aujourd’hui une chance raisonnable de faire progresser l’Union européenne sur le très long chemin qui doit mener à une réelle capacité autonome en matière de défense. Dans ce contexte, le sommet de Washington ne doit pas être considéré comme un aboutissement mais comme un jalon utile qui peut nous permettre d’obtenir que les Alliés approuvent les résultats atteints d’ici là avec les Britanniques, la présidence allemande et d’autres partenaires européens susceptibles de se joindre à cette initiative. Il convient de ne pas écarter la possibilité d’obtenir un « Berlin plus » qui permettrait l’utilisation par les Européens des capacités de l’Alliance sans condition préalable des Etats-Unis.

En conclusion, le Ministre de la Défense a rappelé que le sommet de Washington avait été voulu par les Etats-Unis qui souhaitent en faire un succès public et politique. La participation de la France à ce succès peut être l’occasion de trouver des contreparties, en l’abordant dans un esprit loyal mais pragmatique. La France ne saurait plus aujourd’hui se cantonner dans un rôle d’obstruction, elle entend au contraire participer et conduire des actions sur le terrain. C’est sans complexe qu’elle se doit de faire valoir ses vues, parce que ce sont celles d’un allié exemplaire face aux risques, mais qui continue de remettre en cause les déséquilibres qui affectent le fonctionnement de l’Alliance atlantique.

Le Président Paul Quilès a tout d’abord souhaité avoir des informations sur les négociations relatives aux conditions d’utilisation par l’UEO des moyens de l’OTAN et sur le rôle des pays bénéficiant, au sein de l’UEO, d’un statut d’observateurs dans la construction de la future identité européenne de sécurité et de défense. Après avoir rappelé les conditions mises par les Etats-Unis à cette construction et récemment présentées par le Secrétaire d’Etat américain, Mme Madeleine Albright, comme les trois D (« non-discrimination », « non-diminution des capacités de l’Alliance », « non-duplication des moyens »), il s’est demandé si cela ne risquerait pas d’être un frein à l’affirmation par l’Europe de son autonomie en matière de défense. Enfin, il s’est interrogé sur la position du Royaume-Uni à l’égard des conditions énoncées par Mme Albright.

Le Ministre de la Défense a rappelé qu’au moment de l’élaboration du compromis de Berlin, l’UEO paraissait la seule institution capable d’exprimer les intérêts européens en matière de défense et de constituer le cadre de leur décision politique en vue d’actions militaires collectives. Il a par ailleurs estimé que la responsabilité des opérations militaires devait essentiellement revenir aux membres de l’UEO appartenant également à l’Alliance atlantique. Mais il a fait observer que le Traité d’Amsterdam donnait des outils de décision à l’Union européenne en attribuant au Conseil européen une capacité d’impulsion politique et en instituant un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Il convient à présent que le Conseil européen acquière la capacité de combiner les moyens diplomatiques et militaires en temps réel. S’agissant des décisions de Berlin, leur mise en œuvre est quasi-terminée, sous réserve de quelques retards dans les relations techniques militaires entre l’UEO et l’OTAN. L’objectif est que, au moment du sommet de Washington, les mécanismes prévus à Berlin puissent être opérationnels.

Puis M. Alain Richard a fait observer que, contrairement au système institutionnel français, où existe une forte cohérence entre l’action diplomatique et militaire, les Etats-Unis connaissaient un système pluraliste dans lequel certains départements ministériels pouvaient bénéficier d’une forte autonomie, notamment le département d’Etat. En ce qui concerne la condition de « non-discrimination », il a souligné que les Etats-Unis craignaient avant tout d’affronter une position collective européenne. Il a souligné que l’exigence américaine de la « non-duplication » des moyens était plus préoccupante dans la mesure où, pour les Etats-Unis, les outils communs souhaités par les Européens, notamment dans les domaines du renseignement et de la planification opérationnelle, existaient déjà au sein de l’organisation militaire intégrée et pouvaient être mis à leur disposition. La conviction française est au contraire que l’instance politique européenne compétente en matière de défense devra disposer de moyens d’évaluation, de renseignement et de planification propres.

Le Ministre de la Défense a reconnu que le compromis franco-britannique de Saint-Malo prévoyait que le Conseil européen devait pouvoir disposer d’éléments propres, « sans duplications inutiles ». Il a fait état à cet égard des difficultés inhérentes à tout changement profond de position diplomatique dont les attitudes britanniques actuelles portaient nécessairement la marque.

Evoquant les événements du Kossovo qui risquaient de placer les pays européens dans une situation de fait accompli, M. René Galy-Dejean a plaidé pour que la France refuse d’engager ses propres forces en dehors de tout mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies. Evoquant son dernier avis budgétaire, il a par ailleurs qualifié d’échec la démarche diplomatique suivie par la communauté internationale dans la lutte contre la prolifération nucléaire et balistique. Il a rappelé à ce propos que les Etats-Unis semblaient ne pas avoir été capables de détecter les capacités balistiques de la Corée du Nord, ni d’empêcher les essais nucléaires pakistanais à la suite des expérimentations indiennes. Il a enfin relevé que les Etats-Unis essayaient d’impliquer les pays européens dans une politique de contre-prolifération qui exclurait l’ONU et serait mise en œuvre par l’OTAN. Considérant que les récentes frappes aériennes sur l’Irak constituaient une illustration de cette politique de contre-prolifération, il a également plaidé pour que la France s’oppose à toute dérive qui porterait atteinte à l’autorité de l’ONU et au droit international.

Faisant part de son pessimisme sur les possibilités réelles de constitution d’un pilier européen autonome de défense, M. Loïc Bouvard a émis la crainte que les décisions essentielles n’aient déjà été prises sur les grandes questions à l’ordre du jour du sommet de Washington. Il a souligné la difficulté de la position de la France, qui se trouve souvent seule, dans la mesure où ses partenaires européens s’accommodent du déséquilibre transatlantique. Il s’est alors interrogé sur la capacité de l’OTAN à agir en dehors d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies et sur la volonté des pays européens de mener une action propre sans l’accord des Etats-Unis. Soulignant qu’il était atlantiste, mais surtout européen, il a plaidé pour une initiative commune de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne en faveur de l’Europe de la Défense.

M. Alain Richard a souhaité un débat plus intense sur les relations que la France devait entretenir avec les Etats-Unis. Il a estimé qu’il convenait de rompre avec une attitude oscillant entre la dénonciation isolée, perçue à l’extérieur comme l’expression d’un souci de contrarier systématiquement les initiatives américaines et la résignation assortie de protestations de principe.

Après avoir souligné la nécessité de partager la problématique de nos partenaires européens, il a estimé que l’originalité de nos positions pouvait rejoindre leurs préoccupations. Il a cité, à cet égard, l’exemple des derniers développements de la crise du Kossovo, où la position originale de la France a consisté à s’opposer au recours à l’ultimatum et à demander que soit reconnue la prééminence du groupe de contact.

S’agissant de la crise irakienne, M. Alain Richard a souligné qu’il existait des motifs sérieux d’exercer un contrôle particulier sur l’Irak qui, non seulement a constamment manifesté la volonté de dissimuler des armes de destruction massive, mais y a eu recours à deux reprises, d’autant plus que tous les pays arabes de la région sont eux-mêmes en accord sur ce point. Après avoir fait état de la nécessité de réorganiser ce contrôle, il a observé que les frappes unilatérales n’avaient pas permis d’atteindre les objectifs recherchés. Constatant que les positions françaises n’avaient donné lieu à aucune rupture politique avec les Etats-Unis, il a insisté pour que la France ne se prive pas, dans ses relations avec ces derniers, de ses possibilités de dialogue et d’influence et garde l’attitude d’un partenaire prêt, si nécessaire, à prendre sa part de responsabilités. Il a reconnu que le manque de volonté européenne de rééquilibrage de l’Alliance était un phénomène réel, mais fait valoir que certains pays européens prenaient conscience des différences d’intérêts qui pouvaient les opposer aux Etats-Unis dans le traitement de crises concernant directement l’Europe.

Le Ministre de la Défense a ensuite souligné que la coopération européenne en matière de sécurité et de défense concernait d’abord et essentiellement les crises survenant sur le continent européen ou à ses abords. Elle n’empêchait donc pas des différences d’appréciation et des initiatives autonomes au-delà, comme c’était le cas de la Grande-Bretagne en Irak.

Il a enfin mis l’accent sur le rôle que pouvait jouer la gestion commune des crises dans la constitution progressive de l’identité européenne de défense.

A une question complémentaire du Président Paul Quilès qui s’interrogeait sur l’accord récemment intervenu au sein de l’organisation militaire intégrée pour attribuer alternativement à un Britannique et à un Allemand le poste d’adjoint européen au SACEUR, M. Alain Richard a souligné que la constitution d’une chaîne européenne de commandement au sein des structures militaires interalliées ne pouvait que reconnaître le rôle majeur de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission a nommé M. Guy-Michel Chauveau, rapporteur pour avis sur le projet de loi autorisant la ratification du traité, modifiant le traité sur l’Union européenne, signé à Amsterdam le 2 octobre 1997, sous réserve de son dépôt.


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