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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES,

COMPTE RENDU N° 31

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 mai 1999
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

pages

– Echange de vues sur le nouveau concept stratégique de l’Alliance atlantique approuvé par les chefs d’Etat et de gouvernement lors de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Washington les 23 et 24 avril 1999

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– Echange de vues sur les missions de la Commission effectuées auprès des forces les 15 et 19 avril 1999

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— Informations diverses : création d’un groupe de travail sur la guerre du Kosovo

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La Commission de la Défense a tout d’abord procédé à un échange de vues sur le nouveau concept stratégique de l’Alliance atlantique approuvé par les chefs d’Etat et de gouvernement lors de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Washington les 23 et 24 avril 1999.

Le Président Paul Quilès a présenté le nouveau concept stratégique et le communiqué final, qui sont les deux principaux textes de portée générale adoptés lors du Sommet de Washington. Parmi les autres textes adoptés par le sommet, la « déclaration sur le Kosovo » propose que la crise fasse l’objet d’une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU et reconnaît le rôle de la Russie dans la recherche d’une solution. Le sommet a également rendu public un « plan d’action pour l’adhésion » destiné à aider les pays candidats à se préparer à intégrer l’OTAN.

Le Président Paul Quilès a estimé que le concept stratégique adopté à Washington était écrit dans un style particulier, d’une lecture parfois malaisée, due probablement à un souci de masquer les divergences entre Alliés et à permettre des interprétations ouvertes.

Le nouveau concept stratégique rappelle en premier lieu les trois tâches fondamentales restant au cœur des missions de l’Alliance : la « sécurité », la « consultation » entre Alliés et la « défense ». A ces trois tâches déjà identifiées dans le concept stratégique de 1991, s’en ajoutent deux nouvelles : la « gestion des crises » et le « partenariat » avec d’autres pays de la région euro-atlantique.

Le texte adopté précise que la fonction de gestion des crises sera exercée « conformément à l’article 7 du Traité de Washington », qui reconnaît la primauté du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il prévoit également que l’OTAN s’efforcera « si une crise se produit, de contribuer à sa gestion efficace, conformément au droit international ». Les formulations adoptées sont donc éloignées des propositions américaines tendant à affranchir l’OTAN de l’autorité du Conseil de sécurité, mais elles n’excluent pas expressément la possibilité pour l’OTAN de mener au cas par cas des opérations militaires sans mandat explicite de ce même Conseil de sécurité. Une certaine ambiguïté est entretenue sur le point de savoir si, à cet égard, la crise du Kosovo constitue un précédent.

Le concept stratégique considère que la zone géographique d’intervention de l’OTAN ne peut pas faire l’objet d’une définition précise. Les risques auxquels est exposée la sécurité de l’Alliance sont en effet considérés comme « très divers » et venant de « plusieurs directions ». Toutefois, la notion de risque, qui recouvre notamment les phénomènes de prolifération, est distinguée nettement de celle de menace. En outre, le rôle de l’OTAN n’est pas défini comme « global », mais en relation directe ou indirecte avec la sécurité des Etats membres.

Le nouveau concept précise clairement qu’un des buts principaux de l’Alliance consiste à prévenir la prolifération ou à en inverser le cours par des moyens diplomatiques. Le recours aux moyens militaires n’est envisagé qu’en cas de menace directe ou d’attaque effective.

Le concept stratégique réaffirme le principe de la « porte ouverte », mais rappelle que l’élargissement doit servir « les intérêts politiques et stratégiques généraux de l’Alliance, accroître son efficacité et sa cohésion et renforcer la sécurité et la stabilité européennes en général ». La réaffirmation de ces conditions paraît justifiée, à l’égard de certains pays candidats qui, sans être encore en mesure de faire face pleinement aux obligations qui découleraient de leur appartenance à l’OTAN, ont tendance à voir dans l’adhésion à l’Alliance la seule réponse aux problèmes de stabilité stratégique auxquels ils sont confrontés.

Le concept stratégique souligne ensuite que le Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) « offre une dimension politique élargie pour les consultations et la coopération » avec les pays non-membres, créant ainsi un risque de concurrence pour l’OSCE. Il propose par ailleurs aux pays partenaires une association en amont à la planification des actions de maintien de la paix de l’OTAN.

Le nouveau concept salue les efforts de l'Union européenne pour « renforcer sa dimension de sécurité et de défense » et réaffirme les principes de Berlin (mise à disposition par l’Alliance de ses moyens et capacités pour les opérations dirigées par l’UEO). Il accepte en outre la perspective d’une reprise par l'Union européenne des responsabilités de défense incombant actuellement à l’UEO.

Le concept stratégique recommande plus particulièrement aux Alliés européens une modernisation et une réforme profonde de leurs forces, qui devront disposer de capacités accrues en matière d’efficacité dans l’engagement, de mobilité, de protection et de soutien logistique dans la perspective d’opérations prolongées. Il met l’accent sur l’interopérabilité et sur la nécessité de maintenir la supériorité en matière d’information.

Le communiqué final, qui précise plusieurs points abordés dans le concept stratégique, mentionne explicitement les pays susceptibles d’être invités à adhérer dans une énumération qui peut être considérée comme reflétant un ordre de préférence : Roumanie et Slovénie, puis Estonie, Lettonie, Lituanie, ensuite Bulgarie et Slovaquie, et enfin Macédoine et Albanie. Bien qu’aucun engagement ne soit pris à l’égard de ces pays, il est prévu de faire le point sur le processus d’élargissement lors du prochain sommet de l’Alliance, au plus tard en 2002.

Le texte du communiqué contient par ailleurs une appréciation positive sur la déclaration de Saint-Malo, malgré d’indéniables réticences américaines. Il prend acte de la « résolution de l'Union européenne à se doter d’une capacité d’action autonome, de manière à pouvoir prendre des décisions et, lorsque l’Alliance en tant que telle n’est pas engagée, approuver des actions militaires ».

Toutefois, sur l’insistance, notamment, des Etats-Unis, le texte souligne la nécessité d’associer, « aussi pleinement que possible », les Alliés européens non-membres de l’Union européenne (la Turquie notamment) aux opérations de réponse aux crises dirigées par l’Union européenne. S’agissant de la mise à la disposition de cette dernière des moyens de l’Alliance, le communiqué annonce un ensemble de mesures désignées sous l’appellation de « Berlin plus » et qui devront assurer :

û la garantie d’accès de l’Union européenne aux capacités de planification de l’OTAN ;

û la présomption de disponibilité au profit de l’Union européenne de moyens de l’OTAN préidentifiés à cette fin ;

û l’identification, en vue d’opérations dirigées par l’Union européenne, d’une série d’options de commandement européen impliquant en particulier un renforcement du rôle du D-SACEUR européen ;

û l’adaptation de la planification des forces de l’organisation militaire intégrée aux besoins européens.

Ces mesures témoignent d’un souci européen d’accéder à une plus grande autonomie dans le domaine de la défense mais elles paraissent aussi s’inscrire dans une logique de constitution d’une capacité d’action militaire de l’Union européenne au sein de l’organisation militaire intégrée. On peut dès lors s’interroger sur ce que devrait être à terme la position de la France qui, après avoir choisi de se rapprocher de l’organisation militaire intégrée, pourrait être tentée d’opter pour la réintégration totale.

Relevant que le concept stratégique avait été rédigé en anglais, M. Charles Cova s’est demandé si sa traduction en français était fidèle et si elle n’avait pas donné lieu à des interprétations différentes de l’esprit initial du texte.

Le Président Paul Quilès a répondu que, bien qu’un peu lourde, cette traduction était fidèle, le manque de clarté de certains termes relevés par les membres de la Commission s’expliquant par le souci de masquer les divergences de points de vue.

Estimant que le concept stratégique traduisait une évolution qui répondait aux préoccupations exprimées par la Commission lors de l’examen du rapport d’information du Président Paul Quilès sur l’avenir de l’OTAN, M. René Galy-Dejean s’est réjoui du résultat du Sommet de Washington, qu’il a qualifié de succès pour l’Europe et pour la France. Soulignant la contribution de la France et plus particulièrement du Président de la République à ce résultat, il a souligné que les Etats-Unis n’avaient pas pu faire prévaloir leur thèse selon laquelle l’OTAN n’avait pas besoin d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies pour entreprendre des opérations de gestion des crises. Il s’est félicité que les textes adoptés lors du Sommet de Washington tiennent compte des potentialités de développement de l’identité européenne de sécurité et de défense et reconnaissent le rôle de la Russie dans la sécurité européenne.

Le Président Paul Quilès a rappelé qu’il avait déjà eu l’occasion de souligner la nécessité d’associer plus étroitement la Russie au règlement des crises avant même le sommet, dont la date lui avait semblé inappropriée en raison même d’une absence russe, rendue inévitable par le déclenchement des frappes aériennes sur la République fédérale de Yougoslavie. Par ailleurs, il a précisé que la confrontation des textes adoptés à la réalité des pratiques révélait la fragilité de certains des accords qu’ils exprimaient.

M. Guy-Michel Chauveau a jugé que le rapprochement des positions européennes entrepris depuis plusieurs années avait conduit à une rédaction du nouveau concept stratégique qui en autorisait une lecture ouverte. Il a estimé que la crise du Kosovo pouvait contribuer à de nouveaux progrès dans la voie de la défense européenne. Soulignant le caractère décisif de la volonté politique dans la mise en œuvre des arrangements concernant la défense, il a ajouté que l’exemple de la Russie était significatif à cet égard puisque l’existence de l’Acte fondateur n’avait pas pour autant permis le développement d’une coopération concrète de ce pays avec l’OTAN. Evoquant l’échéance de la présidence française de l’Union européenne dans un an, il a souhaité que la Commission réfléchisse dès à présent aux initiatives que la France pourrait prendre à cette occasion pour concrétiser l’identité européenne de défense à la suite des décisions qui pourraient être prises au Sommet de Cologne de l’Union européenne. Il a enfin considéré que des inquiétudes légitimes pouvaient naître quant à la réalité de l’autonomie d’action militaire offerte à l’Union européenne par les mécanismes de mise à la disposition des moyens de l’OTAN annoncés au Sommet de Washington.

M. Loïc Bouvard a précisé que, pour comprendre les concessions américaines au Sommet de Washington, il fallait revenir à l’objectif principal des Etats-Unis : la cohésion de l’Alliance. Pour ce faire, un pas vers les Européens était nécessaire, ce qui a conduit à la rédaction présente du nouveau concept stratégique de l’OTAN. Les Etats-Unis n’en restent pas moins incontestablement la puissance dominante au sein de l’OTAN, qui continue à jouer un rôle militaire et politique majeur en Europe. En définitive, l’OTAN continuera à gérer les problèmes de sécurité européens tant que les Etats du continent et, au premier chef, ceux qui disposent du potentiel militaire le plus significatif n’auront pas la volonté de construire une politique de défense commune.

Le Président Paul Quilès a noté que la question de la défense européenne donnait actuellement lieu à des réflexions à chaud, au moment où l’Europe occidentale participe à une guerre sur son propre continent, en jouant un rôle militaire subordonné, ce qui ne va pas sans susciter des enthousiasmes soudains. Il est cependant nécessaire de situer le débat au-delà des slogans que ces enthousiasmes peuvent inspirer. Relevant que l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale d’un débat sur la défense européenne était envisageable, il a souhaité que la Commission puisse, le cas échéant, le préparer. Il conviendra, en particulier, de peser toutes les implications et conditions d’une défense européenne plus autonome, notamment en ce qui concerne la volonté politique de nos partenaires ou les efforts financiers à consentir. La Commission devra, en tout état de cause, examiner cette question avec d’autant plus d’attention que des évolutions profondes se produisent dans tous les pays d’Europe occidentale et même aux Etats-Unis (le conflit du Kosovo semblant en cela servir de catalyseur).

Tout en reconnaissant que le concept stratégique ne fermait pas la porte au développement de l’identité européenne de défense, M. Pierre Lellouche a estimé que les négociations qui y avaient conduit révélaient néanmoins leurs limites. Il a alors suggéré des rencontres entre les Commissions de la Défense des Parlements de l’Union européenne pour examiner des actions communes à la lumière des décisions de Washington. Il a enfin souligné que l’Europe devait, si elle voulait s’imposer comme acteur autonome dans le domaine de la défense, prendre les mesures financières et d’organisations correspondantes.

Informant la Commission qu’il avait eu récemment l’occasion de s’entretenir avec M. Valdo Spini, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Députés italienne, qui figurait parmi les responsables politiques européens dont les idées semblaient les plus avancées en matière de construction de l’Europe de la défense, le Président Paul Quilès a exprimé son accord avec la proposition de M. Pierre Lellouche, tout en soulignant que les rencontres qu’il suggérait nécessitaient un travail d’analyse préalable.

M. Georges Lemoine a fait part de son inquiétude quant à la marginalisation de l’UEO et s’est demandé quel rôle cette institution était amenée à jouer à l’avenir.

Le Président Paul Quilès a considéré que la construction de l’Europe de la défense impliquait, à terme plus ou moins rapproché, la fusion de l’UEO dans l’Union européenne, l’obstacle essentiel à cette fusion étant la différence de composition des deux organisations. Des pays comme l’Autriche ou la Finlande, dont la politique s’inspire plus du non-alignement que de la neutralité, ont cependant la volonté de participer à la défense européenne.

La Commission a ensuite procédé à un échange de vues sur les missions effectuées par certains de ses membres auprès des forces engagées dans le cadre de la crise du Kosovo.

Le Président Paul Quilès a tout d’abord rappelé que trois délégations se sont rendues le jeudi 15 avril auprès de régiments dont des éléments sont engagés en Albanie ou en Macédoine (17ème Régiment du Génie Parachutiste cantonné à Montauban, 1er Régiment de Hussards Parachutistes à Tarbes et 1er Régiment Etranger de Cavalerie, à Orange) et que deux délégations se sont rendues, le lundi 19 avril, l’une en Macédoine, l’autre à Istrana puis sur le Foch.

Les autorités macédoniennes ont fait valoir que la Macédoine acceptait le déploiement actuel des forces de l’OTAN dans une perspective d’intervention humanitaire ou de maintien de la paix mais qu’elle excluait l’utilisation de son territoire ou de son espace aérien pour une offensive terrestre. Elles ont également souligné que l’intervention de l’OTAN avait des conséquences graves, notamment économiques, l’essentiel du commerce extérieur de la Macédoine se faisant avec la Yougoslavie ou transitant par ce pays. C’est pourquoi la Macédoine a un besoin urgent d’une aide financière et budgétaire substantielle. Le problème est de faire arriver rapidement ces moyens financiers. Enfin, les activités de l’UCK et l’afflux de réfugiés sont une source de grave préoccupation, compte tenu des équilibres ethniques délicats de ce pays.

Le Président Paul Quilès a ensuite présenté les enseignements recueillis au cours des déplacements auprès des forces.

Les déploiements permettent d’expérimenter des situations d’emploi correspondant aux nouvelles missions de gestion des crises. Les forces françaises relèvent d’une chaîne de commandement de l’OTAN, celle de l’ARRC en Macédoine, et doivent suivre des procédures qu’elles ne maîtrisent pas toujours, dans une ambiance multinationale. Les missions aériennes à partir d’Istrana ou du Foch sont également intégrées dans le dispositif de l’OTAN mais restent sous contrôle national. L’intégration dans un dispositif multinational, fatalement complexe, suppose un entraînement adéquat des hommes et des matériels, une bonne connaissance du terrain et le maintien des capacités au meilleur niveau. Les objectifs sont déterminés par le commandement allié mais le commandement de la force a la possibilité de les refuser.

Le Président Paul Quilès a souligné que plusieurs types de facteurs limitaient les missions opérationnelles des avions. D’une part, la menace antiaérienne serbe reste efficace. Elle oblige les appareils à voler à une altitude supérieure à 5 ou 6 000 mètres et à s’éloigner de leur objectif, et conduit l’OTAN à déployer autant d’avions d’appui et de protection que d’avions d’attaque au sol. D’autre part, les capacités techniques des appareils ne sont pas toujours adaptées. Les Jaguar comme les Super Etendard ne peuvent être mis en œuvre que par paire. L’éloignement de la base d’Istrana oblige les appareils à se ravitailler deux fois au-dessus de l’Adriatique. Seuls les Mirage 2000-5 ont la capacité requise d’identification des objectifs qui leur sont assignés grâce à leurs systèmes informatiques et à des capteurs spécifiques. Les méthodes de guidage laser supposent d’excellentes conditions météorologiques. De manière générale, il apparaît un certain décalage entre l’ampleur des moyens aériens utilisés et la nature des objectifs, ce qui peut laisser supposer un engagement dans la durée si l’objectif consiste toujours à amoindrir fortement les capacités serbes.

D’autres contraintes sont plus spécifiques à la Marine. Les deux catapultes du Foch devront être révisées fin juin début juillet, ce qui interrompra, pour au moins cinq à six semaines, la présence du groupe aéronaval en Adriatique. Enfin, à plusieurs reprises, les appareils qui n’avaient pas pu délivrer leur armement sur les objectifs l’ont largué à la mer.

Les membres de la Commission qui ont participé aux déplacements auprès des forces ont retenu que l’état d’esprit des hommes était serein en ce qui concerne la définition de leurs missions ou les conditions dans lesquelles ils ont à les remplir. Ils ont pu constater également l’attention apportée par l’encadrement aux contacts avec les familles. La disponibilité des forces pour des opérations sur préavis court paraît bonne et bien organisée. Compte tenu des rotations et des engagements des forces sur d’autres théâtres, le volume des forces déployables n’en reste pas moins limité. Le modèle d’organisation adopté est fonctionnel. La durée de quatre mois des missions semble adaptée dans la mesure où des missions d’une durée plus longue (six mois) seraient à la fois plus difficiles à organiser et risqueraient d’être préjudiciables à l’efficacité des forces même si la motivation des personnels pour les départs en opération extérieure est bonne.

En conclusion, le Président Paul Quilès a souligné que les missions effectuées sont apparues fructueuses, tant pour les forces, sensibles à la venue de la Commission, que pour la Commission elle-même, agissant ainsi dans sa fonction institutionnelle d’information et de contrôle, mais aussi de liaison entre la Nation et son armée.

M. Pierre Lellouche a regretté que la Commission de la Défense ne dispose pas d’informations précises sur le coût financier des opérations militaires en République fédérale de Yougoslavie et que seule la presse publie des données chiffrées, en ce qui concerne les actions humanitaires ou militaires. Il a souhaité connaître la situation des stocks de munitions et de rechanges, des informations portées à sa connaissance faisant état d’achats de bombes aux Etats-Unis et d’absence de pièces détachées pour réparer les avions français. Il s’est demandé quelles mesures le Gouvernement devrait prendre au cas où la guerre d’usure aérienne se prolongerait et où le volant des appareils français mis à la disposition de l’OTAN serait augmenté. Enfin, il s’est interrogé sur les capacités françaises de déploiement supplémentaire de forces terrestres.

Partageant cette analyse, le Président Paul Quilès a considéré comme anormal que le Parlement dispose d’informations chiffrées sur le coût des opérations extérieures essentiellement par l’intermédiaire des médias.

M. François Lamy a indiqué que les chiffres parus dans la presse sur le coût des opérations extérieures avaient un caractère officiel, puisqu’ils lui avaient été confirmés par le ministère de la Défense. Il a toutefois remarqué que les évaluations de coût publiées avaient singulièrement varié au cours des dernières semaines. Il a, à ce propos, souhaité que l’avis de la Commission sur le prochain projet de loi de finances rectificative soit centré sur l’analyse de la participation des forces françaises aux opérations menées dans le cadre de la crise du Kosovo.

Il a rappelé que, selon les déclarations du Chef d’état-major des armées, le Général Jean-Pierre Kelche, la France ne pourrait pas mettre à la disposition d’une opération terrestre au Kosovo beaucoup plus d’effectifs que ceux qu’elle déployait actuellement en Macédoine. Il s’est alors interrogé sur les objectifs de la professionnalisation et sur les capacités réelles des armées, compte tenu du niveau des dépenses militaires.

Enfin, il a souhaité que le ministère de la Défense communique une évaluation précise du résultat des frappes aériennes réalisées depuis six semaines par l’OTAN, par rapport aux objectifs fixés.

Le Président Paul Quilès a rappelé que des évaluations des résultats des frappes étaient rendues publiques par l’OTAN et certains états-majors alliés. Il a par ailleurs souligné que le conflit du Kosovo servait de révélateur d’une situation des forces qui sera à analyser dans le cadre du prochain budget.

M. Guy-Michel Chauveau a soulevé une question relative à la rotation des unités : alors que dans d’autres armées alliées, le personnel et les matériels sont remplacés ensemble, l’armée de l’Air française ne remplace que les équipages, préférant conserver sur place les mêmes équipements ce qui pouvait poser des problèmes d’entretien. Il a par ailleurs attiré l’attention de la Commission sur l’utilisation du téléphone portable par les personnels des unités déployées, soulignant son intérêt pour le moral mais aussi les difficultés qui pourraient en résulter en opération.

M. Yann Galut a informé la Commission de son déplacement, en tant que rapporteur pour avis du budget de l’armée de l’Air, à Istrana et à Avord, d’où partent les avions AWACS et où il a rencontré pilotes et mécaniciens. Il a confirmé que le ministère français de la Défense validait quotidiennement les missions de nos aviateurs et que des différences d’approche avec le commandement allié pouvaient conduire à refuser certaines missions qui nous sont proposées. Il a insisté sur l’importance que revêtait, pour la Commission, une connaissance exacte du coût des opérations et s’est inquiété d’éventuels arbitrages budgétaires qui financeraient ce coût par des annulations de crédits d’équipement militaire.

Après avoir souligné que dans les trois derniers budgets les munitions et l’entretien du matériel figuraient parmi les postes les plus touchés par les restrictions, M. René Galy-Dejean a estimé que la situation actuelle était la conséquence de ces décisions. Il s’est inquiété d’estimations selon lesquelles une trentaine d’appareils de combat ne seraient pas en état de voler par manque de pièces de rechange. Soulignant la nécessité de porter remède aux insuffisances manifestées par le conflit, il s’est prononcé en faveur d’un réexamen des équilibres budgétaires, non seulement au sein de l’enveloppe des dépenses militaires mais aussi dans l’ensemble du budget de l’Etat. Concernant le résultat des frappes aériennes, il s’est demandé si les objectifs fixés au début de la campagne n’étaient pas exagérément limités et s’est félicité de la hausse de leur nombre ainsi que de l’augmentation de la participation des forces aériennes françaises. Il a par ailleurs exprimé sa préoccupation sur l’état réel de la défense antiaérienne serbe qui n’est sans doute pas aussi affectée que ce qui a été annoncé.

M. Charles Cova a indiqué que, selon les informations qu’il avait recueillies, les industriels français consentaient des efforts importants pour produire suffisamment de bombes pour le détachement de l’armée de l’Air opérant dans le conflit du Kosovo. L’outil de production, qui est actuellement relancé, devrait permettre de couvrir les besoins.

M. Loïc Bouvard a estimé que l’erreur fondamentale des Alliés avait été de croire qu’ils pouvaient répéter la stratégie appliquée auparavant dans le cadre de la crise bosniaque et d’estimer que des frappes limitées contre la République fédérale de Yougoslavie amèneraient les autorités de Belgrade à signer à brève échéance un accord politique réglant la situation du Kosovo. Ils ne s’attendaient donc pas à un conflit aérien long, de sorte que les Européens se sont laissé entraîner dans une guerre à laquelle ils étaient mal préparés.

Se félicitant de la qualité des débats, le Président Paul Quilès a alors proposé la constitution d’un groupe de travail de dix membres chargé de recueillir des informations sur les opérations en cours en République fédérale de Yougoslavie et d’en étudier le déroulement. Ce groupe de travail sur la guerre du Kosovo analyserait notamment les conditions du déclenchement du conflit, les buts de guerre poursuivis, l’articulation des démarches diplomatiques avec la conduite des opérations militaires et les modalités de participation de la France aux actions menées. Le groupe de travail devrait également examiner la relation de la France avec l’OTAN, le coût réel des opérations et le rôle du Parlement.

Mme Martine Lignières-Cassou a attiré l’attention des membres de la Commission sur le fait que les enseignements des opérations en cours devraient être pris en considération lors de l’élaboration de la prochaine loi de programmation militaire.

Le Président Paul Quilès, soulignant que la durée des activités du groupe de travail dont il proposait la constitution serait par nature incertaine, a estimé que la situation exigeait que des réflexions soient immédiatement engagées sur le conflit. Il a ajouté qu’un bilan des opérations pourrait ainsi être fait dans de brefs délais une fois le conflit terminé.

M. Guy-Michel Chauveau a souhaité que le rôle des ONG dans le secours aux populations et l’articulation de leurs activités avec les missions humanitaires des forces soient étudiés par le groupe de travail proposé.

La Commission a alors décidé de créer en son sein un groupe de travail de 10 membres sur la guerre du Kosovo.

M. Georges Lemoine a ensuite souhaité que la Commission de la Défense manifeste sa confiance et son soutien à la Gendarmerie nationale, compte tenu du malaise observé dans les unités.

M. Pierre Lellouche s’est montré perplexe sur les conditions de création du GPS. Il a émis le vœu qu’une mission d’information, voire une commission d’enquête, permette à l’Assemblée nationale d’être informée sur cette unité d’exception.

Le Président Paul Quilès a fait valoir qu’une enquête judiciaire étant en cours, le Parlement ne devrait pas interférer dans son déroulement.

M. Pierre Lellouche a précisé qu’il ne proposait pas que le contrôle du Parlement porte sur les faits donnant lieu à une procédure pénale mais sur les mécanismes de décision administrative qui avaient conduit à la constitution du GPS.

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