Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission de la défense nationale et des forces armées (1999-2000)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 43

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 22 septembre 1999
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

page

- Audition du Général Jean Rannou, Chef d'état-major de l'armée de l'Air sur le projet de loi de finances pour 2000

2

La Commission de la Défense a entendu le Général Jean Rannou, Chef d'état-major de l'armée de l'Air sur le projet de loi de finances pour 2000.

Accueillant le Général Jean Rannou, le Président Paul Quilès a souligné que la Commission attendait avec un intérêt tout particulier ses commentaires sur un projet de budget dont les évolutions apparaissaient à première vue contrastées, le titre III progressant, notamment en crédits de fonctionnement courant, ce qui devrait correspondre à une amélioration certaine à structure et format constants, tandis qu'on pouvait noter une diminution des moyens du titre V, en crédits de paiement comme en autorisations de programme, sans que soit mise en cause la bonne exécution de la programmation adaptée à la suite de la revue de programmes.

Le Général Jean Rannou a d'abord présenté les grandes lignes du projet de budget de l'armée de l'Air pour 2000. Il a exposé que celui-ci s'élevait à 34,5 milliards de francs, soit une réduction de 3,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1999. La part des crédits de l'armée de l'Air dans ceux de la Défense s'établissait à 18,4 % en baisse de 0,4 point par rapport au budget voté de 1999.

Il a indiqué que le titre III, en augmentation de 0,8 %, atteignait 15,7 milliards de francs et qu'il représentait, comme dans le budget voté de 1999, 14,9 % des dépenses ordinaires de la Défense.

Il a souligné qu'au contraire les ressources en crédits de paiement des titres V et VI étaient, avec 18,8 milliards de francs, en baisse de 6,9 %, la part de l'armée de l'Air dans les crédits d'équipements de la Défense étant en crédits de paiement de 22,7 %, soit une baisse de 0,8 point par rapport à la loi de finances initiale pour1999.

Il a évoqué la réduction des autorisations de programme, en baisse de 10,3 % à 18,2 milliards de francs, la part Air représentant 20,8 % des autorisations de programme allouées à la Défense, soit une diminution de 2,7 points.

Abordant les crédits du titre III, il s'est félicité de la hausse des moyens destinés au fonctionnement hors carburants opérationnels alors que la logique de la loi de programmation aurait dû conduire à une baisse. Leur montant s'élève à 1,628 milliard de francs, en hausse de 183 millions de francs, soit 12,7 % par rapport au budget voté de 1999. Soulignant que cette majoration, que l'armée de l'Air demandait depuis longtemps, améliorait sensiblement sa situation, il a fait valoir qu'elle représentait un véritable rebasage des moyens de fonctionnement, faisant suite à une période très tendue qui s'était traduite notamment par une baisse sensible de la participation française aux exercices aériens interalliés et qu'elle était un gage d'efficacité opérationnelle et d'interopérabilité au sein de l'OTAN.

S'agissant des effectifs, il a indiqué que leur déflation était globalement conforme à la programmation, sous réserve de deux ajustements réalisés pour la première fois à l'occasion du projet de budget pour 2000 et décidés compte tenu de l'expérience acquise au cours des trois premières années de la professionnalisation. Le premier de ces ajustements consiste en la transformation de 270 postes de sous-officiers en autant de postes de militaires techniciens de l'air. En effet, l'expérience acquise sur les trois bases aériennes entièrement professionnalisées fait apparaître un déficit de militaires du rang engagés en raison d'une légère sous-estimation de certaines fonctions de soutien. Par ailleurs, cette politique de transformation d'emplois, menée de façon prudente eu égard au contexte de déflation des effectifs, mais continue, devrait permettre une meilleure répartition en âge des effectifs et des grades de l'armée de l'Air. Le deuxième ajustement, financé notamment par les économies réalisées grâce à la suppression de 27 postes de sous-officiers, de 30 postes d'appelés et surtout de 336 postes de personnels civils que l'armée de l'Air n'arrive pas à pourvoir, a consisté à développer le recours à la sous-traitance pour certaines fonctions non strictement opérationnelles et pour des tâches non spécifiquement militaires, telles que le nettoyage et l'entretien des installations, la maintenance de divers matériels techniques ou la sécurité contre l'incendie.

Rappelant que, comme il l'avait indiqué à l'occasion de sa présentation du précédent budget, l'année 1999 était essentielle pour la réussite de la professionnalisation, le Général Jean Rannou s'est félicité que le bilan des actions menées au cours de cette étape décisive s'annonçait très positif. Il a exposé que, dès la fin de l'année 2000, l'armée de l'Air, avec 71 980 personnels, aurait pratiquement rejoint, à 900 postes près, soit 1 % seulement de différence, le format global de 71 080 prévu en programmation pour l'annuité 2002, seuls des ajustements dans la ventilation des postes et des statuts restant à effectuer. Rappelant que l'armée de l'Air avait initialement souhaité que la professionnalisation soit réalisée en deux ans, il s'est félicité qu'elle atteigne son format final avec deux années d'avance sur la date limite prévue par la programmation et qu'elle s'épargne ainsi d'éventuelles difficultés découlant d'un déficit de ressources en appelés.

Le Général Jean Rannou a également souligné que, sur les 4 050 millions de francs de crédits militaires récemment ouverts par décret d'avance pour compenser notamment une part des surcoûts entraînés par les opérations extérieures, les besoins de l'armée de l'Air ne s'élevaient qu'à 700 millions de francs, soit 17 % seulement du montant total, alors qu'elle avait participé à près de trois mois d'opérations aériennes décisives. Il a fait valoir que le moindre poids relatif de ces coûts était d'abord lié au caractère économique du fonctionnement des bases aériennes, qui constituaient pourtant les outils de combat de l'armée de l'Air, certaines, comme Solenzara, Istres et Avord ayant directement participé aux opérations. Il a aussi exposé que, pour projeter 98 appareils dont 76 avions de combat, 998 militaires seulement avaient été déployés, ce qui constituait un ratio inférieur de deux à trois fois à ceux observés dans les forces aériennes des partenaires de la France. Il a, à ce propos, fait remarquer que les effectifs déployés par l'armée de l'Air dans certaines fonctions étaient sans doute trop sévèrement calculés et qu'un ratio de 12 personnels par avion au lieu de 10 serait sans doute plus raisonnable.

Eu égard à ces efforts d'économies, le Général Jean Rannou a observé que l'armée de l'Air avait subi 25 % des annulations de crédits d'équipement qui avaient, de fait, gagé les dépenses de fonctionnement financées par le décret d'avance.

Évoquant alors les perspectives d'activité aérienne, il a indiqué que la dotation prévue dans le budget voté de 1999 pour le carburant opérationnel permettrait en l'état actuel des estimations d'achever l'exercice budgétaire dans des conditions normales. Relevant que la dotation pour 2000 correspondait, avec 829 millions de francs, au maintien en francs courants de celle de l'année précédente, il a fait remarquer qu'en revanche les évaluations sur la base desquelles elle avait été calculée, soit un baril à 14,6 dollars et un dollar à 6 francs, étaient très inférieures aux cours moyens actuellement constatés, soit un baril à 23 dollars et un dollar à 6,3 francs. Convenant que rien ne permettait de conclure que ces conditions n'évolueraient pas au cours de l'exercice, comme elles l'avaient fait en 1999, il a néanmoins souligné que, si elles devaient rester inchangées, il conviendrait, en cours d'année, de majorer les crédits de carburant opérationnel afin de ne pas faire dépendre l'activité aérienne et l'entraînement des forces des aléas des marchés.

Commentant la réduction significative du montant des autorisations de programme, le Général Jean Rannou a indiqué qu'elle était due à un transfert, qualifié de « prêt », au profit de la Marine pour un montant de deux milliards de francs en vue du financement du programme Horizon et souligné que ce mouvement de crédits avait pour conséquence le décalage de six mois à un an de certaines opérations du programme Mirage 2000 D, parmi lesquelles l'étude et la mise au point des armements de cet appareil, les missiles Scalp et Apache, et l'armement air-sol modulaire (AASM). Précisant qu'à ce stade ce décalage ne remettait en cause, ni la cohérence, ni le calendrier des opérations en question, il a observé qu'en revanche il réduisait d'autant les marges de man_uvre actuelles et que de nouvelles diminutions ne pourraient se traduire que par des reculs de programmes. Soulignant que de tels reculs de programmes conduisaient ensuite l'armée de l'Air, lors de conflits comme celui du Kosovo, à mettre en place des dispositifs d'accélération, il a également fait remarquer que la diminution du montant des autorisations de programme entraînait, au moment où le Gouvernement mettait en _uvre une politique de commandes globales, un report à 2001 de la deuxième tranche des commandes de ce type, prévue pour l'acquisition de 12 Rafale Air. Il s'est également inquiété des conséquences de la diminution des autorisations de programme sur le financement à venir de l'Avion de Transport Futur (ATF). Toutefois, il a précisé qu'il avait été convenu de traiter le cas de l'ATF en dehors de la construction budgétaire 2000.

Faisant alors le point sur la poursuite de la modernisation des équipements de l'armée de l'Air, en application de la loi de programmation, il a indiqué qu'en matière de dissuasion l'entrée en phase de développement du missile ASMP-A (amélioré) devrait intervenir vers la mi-2000.

S'agissant de la prévention et de la protection, il a exposé que la Force aérienne de combat prendrait livraison des trois derniers Mirage 2000 modifiés dans la version 2000-5 et de cinquante missiles air-air MICA. Il a indiqué qu'ainsi fin 2000, avec 37 Mirage 2000-5 et 75 missiles MICA, elle disposerait d'un système de défense aérienne complet, cohérent et performant, qui avait manqué au Kosovo. Il a ajouté que seraient par ailleurs commandés 170 missiles MICA, sur une cible totale de 1 070. S'agissant des missiles sol-air SATCP Mistral pour la protection antiaérienne des bases et des unités projetées, il a précisé que 240 seraient commandés tandis que 150 seraient livrés et que la rénovation du système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA), qui avait démontré son efficacité dans les opérations aériennes menées lors du conflit du Kosovo, se poursuivrait. Parallèlement, huit nouvelles bases seront équipées du nouveau système de transmission MTBA, les 21 derniers systèmes faisant l'objet d'une commande groupée.

En matière de projection de puissance, 12 Mirage 2000 D et 4 pods de désignation laser avec caméra thermique (PDLCT-S) seront livrés, portant les dotations respectives à 81 appareils sur les 86 prévus et à 31 pods.

Le Général Rannou a ajouté que seront passées, début 2000, les commandes de 500 armements air-sol modulaires (AASM) que l'armée de l'Air aurait souhaitées dès 1995.

Un deuxième Rafale Air sera livré et, comme le premier, il servira au développement des armements.

Soulignant que les opérations du Kosovo avaient une nouvelle fois mis en évidence la nécessité de pouvoir retrouver des membres d'équipage éjectés en zone hostile, il a exposé qu'un quatrième hélicoptère Cougar « Resco » (recherche et sauvetage au combat) serait commandé en 2000. Il a souligné que ce programme, qui faisait l'objet d'un contrat avec l'Arabie saoudite, était mené en coopération entre les trois armées et, après avoir fait observer que les prévisions initiales portaient sur 14 appareils, il a fait valoir qu'il n'était pas possible de constituer une force « Resco » avec quatre hélicoptères seulement.

Précisant par ailleurs que les flux consacrés au maintien en condition opérationnelle (MCO) des aviations de combat et de transport étaient conformes aux décisions prises lors de la revue de programmes, il a indiqué qu'allait être mise en place, à l'initiative de l'armée de l'Air et sous la direction de son actuel sous-chef d'état-major « Plan-Finances », une structure intégrée relevant du Comité des chefs d'état-major et regroupant des services des trois armées et de la Délégation générale pour l'armement. Il a précisé qu'une amélioration sensible de la gestion du MCO sous tous ses aspects financiers, contractuels, techniques et industriels était attendue de cette réforme de grande portée des procédures internes au ministère de la Défense.

En conclusion, le Général Jean Rannou a jugé que les opérations menées lors du conflit du Kosovo du 24 mars au 21 juin 1999 avaient confirmé la place que tenait l'arme aérienne dans la résolution des crises et la conduite des conflits modernes. Relevant que, dans la chronologie des opérations visant à établir et maintenir la paix, les actions aériennes constituaient un préalable, le plus souvent indispensable à toute autre forme d'intervention, il a relevé que, dans le conflit du Kosovo, elles avaient aussi suffi à remporter la décision, lors de la première phase de ces opérations.

A ce propos, il a souligné l'évolution accomplie depuis dix ans : pendant la guerre du Golfe, une campagne aérienne de 43 jours avait été suivie d'un engagement terrestre très bref, avant la reddition des forces irakiennes ; en 1995, l'emploi des forces aériennes en Bosnie-Herzégovine durant 18 jours avait contribué de manière décisive à la cessation des hostilités, puis aux accords de Dayton ; en 1999, lors du conflit du Kosovo, les autorités politiques de la coalition ont pu choisir, pour amener le parlement et le président serbes à accepter le plan de paix du G8, de recourir à la seule arme aérienne, la souplesse et la précision de cette arme ayant permis, par la progressivité des frappes et la maîtrise du choix des cibles, de convaincre la Serbie, au terme de 78 jours d'opérations, que sa stratégie était sans issue.

Précisant que ce conflit était le premier de l'histoire où une coalition avait pu vaincre une force armée significative sans être réellement au contact avec elle, il a estimé qu'on avait assisté, à cette occasion, à un changement irréversible des conditions d'emploi de l'instrument militaire. Il a considéré qu'il fallait y voir le résultat de l'évolution technologique en ce qui concerne en particulier les moyens de recherche et de désignation des cibles et les procédés de guidage des missiles et des bombes. A l'appui de ce jugement, il a fait valoir qu'au cours de la guerre du Golfe 10 % des armements tirés étaient des armes de précision, alors que dans les opérations du Kosovo la proportion était de 90 %, en attendant les 100 % dans les années qui viennent. A ce propos, il a indiqué que les bombes lisses tirées par les Mirage 2000, dont elles constituaient l'armement le plus simple, offraient aujourd'hui une précision de dix mètres.

Il a souligné que le Rafale serait doté, pour sa part, d'un système d'armement très précis utilisable par tout temps.

Au regard de cette transformation des conditions de conduite des conflits, il s'est déclaré préoccupé par l'évolution de la part des crédits consacrés à l'armée de l'Air dans le budget de la Défense. Dans un périmètre excluant les crédits de la Gendarmerie et les pensions, mais intégrant les moyens gérés par l'état-major des Armées en vue de financer des programmes intéressant l'armée de l'Air, les dotations affectées à cette armée étaient passées de 22 % en 1997 à 21 % dans le projet de budget pour 2000, tandis que, pour un périmètre comparable, des pays comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se situent dans la zone des 28 %.

Il a fait valoir que l'écart se creusait encore si l'on comparait les crédits militaires d'équipement et de recherche, hors dépenses d'infrastructure, puisque la part de ces crédits intéressant l'armée de l'Air est passée en France de 27 % en 1997 à 24 % dans le projet de budget pour 2000, tandis qu'aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, elle se situe au-delà de 30 %.

Faisant remarquer que la France apparaissait comme le pays de l'Alliance disposant des armées les plus modernes dans lequel les forces aériennes faisaient l'objet des arbitrages budgétaires les moins favorables, il s'est inquiété des conséquences à terme d'une poursuite de cette orientation, dont témoignaient en particulier l'absence de commandes d'appareils neufs pendant près de 8 ans (1991) et les difficultés soulevées par le projet de budget pour 2000 pour le financement des programmes Rafale et ATF, et a exprimé la crainte qu'elle fasse perdre à la France la place qu'elle occupe et qu'elle est capable de garder dans un secteur militaire crucial dont l'importance ne cesse de croître.

Évoquant l'intervention de la France dans le conflit du Kosovo, le Président Paul Quilès a interrogé le Chef d'état-major de l'armée de l'Air sur les performances des matériels engagés, sur l'état des stocks de munitions ainsi que sur le niveau de préparation et d'entraînement des personnels. Il s'est également demandé si l'écart sensible que l'on avait pu observer en matière de capacités de tirs de précision par rapport aux Américains était susceptible de se réduire dans un délai raisonnable.

Le Général Jean Rannou a apporté les éléments de réponse suivants :

- s'agissant des performances des matériels, la comparaison avec les Etats-Unis n'est pas pertinente dans certains domaines du fait de l'absence totale de capacités européennes correspondantes.

Tel est notamment le cas dans le domaine spatial militaire : un ou deux satellites sont suffisants pour établir des bases de données ; en revanche, pour développer d'autres capacités comme celles qui permettent d'assurer des fonctions de renseignement permanent, il en faut beaucoup plus. Or, contrairement aux pays européens, les Etats-Unis accordent depuis trente ans à leur armée de l'Air les moyens d'investir dans le domaine spatial militaire, qu'il s'agisse de l'observation et du renseignement, des communications ou des systèmes de navigation par GPS (global positioning system).

Sur ce dernier point d'ailleurs, l'acquisition par les Européens d'un système propre pose un problème qui est moins budgétaire, du fait de la relative modicité de son coût, que technique, les deux fréquences utilisables actuellement ayant été données, l'une aux Etats-Unis, l'autre à la Russie.

De même, la comparaison entre les moyens européens et américains n'a que très peu de pertinence en matière de bombardiers lourds (B1, B2 et B52) ou d'avions de transport lourds (C17), domaines où, là encore, les Européens ne disposent pas de capacités équivalentes ;

- s'agissant des appareils de défense aérienne, les Mirage 2000 DA utilisés par les forces aériennes françaises ont effectué des missions aux résultats satisfaisants, même s'il faut souligner que, dans sa version future (2000-5) qui sera en service dès la fin de l'année, cet avion développera des performances bien supérieures, du fait de sa capacité multicibles et de ses moyens d'analyse. Le Mirage 2000 D en revanche est, d'ores et déjà en matière de vol à basse altitude à très grande vitesse, le meilleur appareil existant et il est en voie de le devenir s'agissant de ses capacités de tir de précision en altitude par tout temps, notamment grâce au recours au GPS. D'ores et déjà, sur les 96 bombes non guidées, tirées sur coordonnées par cet appareil et qui ont pu être restituées, 92 sont allées au but.

Au total, les moyens dont disposent les forces aériennes françaises sont d'un niveau satisfaisant, le problème tenant à leur petite quantité, notamment en comparaison avec l'armée de l'Air américaine. Ainsi, la France est relativement pauvre en matière de capteurs ou de systèmes de désignation laser. En revanche, elle dispose seule d'un équipement unique de localisation des radars, monté sur les Mirage F1CR. Par ailleurs, l'armée de l'Air française n'a guère développé de capacités en matière de furtivité, même si le Rafale, sans disposer de moyens actifs dans ce domaine, comme le B2 par exemple, a des capacités passives de haut niveau.

De même, les pays européens ne disposent pas actuellement de systèmes de missiles guidés par GPS permettant le tir tout temps. Là encore cependant, la mise en service prochaine de l'armement air-sol modulaire au sein des forces aériennes françaises devrait combler ce manque ;

- la France ne dispose pas de stocks de munitions adaptés, du fait de l'application régulière d'ajustements budgétaires aux munitions. Cette relative faiblesse de stocks n'a pas gêné pour autant les forces aériennes françaises, la procédure de recomplètement liée à notre appartenance à l'OTAN ayant pu suppléer à cette faiblesse ;

- l'écart qui sépare l'armée de l'Air française de l'US Air Force ne semble pas pouvoir être comblé sans coopération avec les autres pays de l'Union européenne. L'Europe compte des chercheurs d'excellente qualité et seuls la volonté de coopération et les moyens financiers restent pour l'instant insuffisants. Si les restrictions budgétaires se poursuivent, l'armée de l'Air ne pourra pas garder le niveau quantitatif d'aujourd'hui, même si elle reste efficace sur le plan qualitatif.

- seule l'expérience de la guerre du Golfe et des opérations de Bosnie-Herzégovine acquise par les chefs de mission a permis à nos équipages présents au Kosovo de pallier certaines insuffisances d'entraînement dues à des raisons budgétaires en matière de missions menées avec d'autres pays de l'OTAN ou de tirs. L'efficacité des tirs s'est du reste progressivement améliorée au fil des missions. Par ailleurs, les Jaguar, pourtant équipés d'un système de positionnement rudimentaire, ont fait un travail remarquable, avant même que l'efficacité de leur emploi soit accrue par des vols communs avec les Mirage F1CT. Enfin, aucun équipage n'a fait défection.

S'exprimant au nom du groupe RPR, M. René Galy-Dejean a tout d'abord fait remarquer que la présentation des crédits de la défense dans le projet de loi de finances, sans cesse modifiée et rendue plus complexe, créait des difficultés croissantes pour l'exercice du contrôle parlementaire. Il a ensuite souligné que le projet de budget de l'armée de l'Air l'amenait à un constat grave et triste qui, au-delà de toute polémique, lui inspirait une certaine désespérance pour trois raisons essentielles.

En premier lieu, toute cohérence stratégique semble avoir disparu. Alors que l'armée de l'Air a joué un rôle essentiel dans la résolution de la crise du Kosovo, aucune conséquence n'a été tirée de cet état de fait dans le domaine budgétaire. Le budget de l'armée de l'Air va diminuant, notamment en autorisations de programme, tant en pourcentage des crédits militaires qu'en montants absolus.

M. René Galy-Dejean s'est en second lieu inquiété d'un début de casse de notre outil de défense, alors que, jusqu'à présent, malgré les restrictions budgétaires, l'essentiel avait été sauvegardé. Ainsi, la deuxième tranche de commandes groupées, décidée pour le Rafale Air, vient d'être différée. Comment les prix, sur lesquels les industriels se sont engagés dans le cadre de cette procédure, pourront-ils être tenus ?

Enfin, M. René Galy-Dejean a estimé que le Ministre de la Défense ne maîtrisait plus sa démarche en raison des contraintes budgétaires. C'est ainsi que l'armée de l'Air a été conduite à transférer 2 milliards de francs à la Marine de manière à compléter le groupe aéronaval constitué autour du porte-avions Charles de Gaulle, notamment par des frégates antiaériennes. Mais ce choix du maintien, vaille que vaille, de la cohérence du groupe aéronaval s'est fait au détriment de l'avenir de l'armée de l'Air.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis des crédits de l'armée de l'Air, a déclaré ne pas sombrer, pour sa part, dans le catastrophisme, les capacités de l'armée de l'Air et les choix budgétaires dont elle fait l'objet devant s'apprécier désormais dans un contexte d'interventions non plus nationales mais multinationales, comme l'a illustré l'exemple du conflit du Kosovo.

Il a également relevé que le lancement du programme ATF entraînerait mécaniquement, dans les budgets à venir, une hausse de la part des autorisations de programme allouées à l'armée de l'Air.

M. Yann Galut a également souhaité rendre hommage aux personnels de l'armée de l'Air, engagés dans les difficiles opérations menées dans le cadre du conflit du Kosovo.

Soulignant que l'action des forces aériennes françaises dans ce conflit soulève un certain nombre de questions relatives à leur équipement, il s'est inquiété de l'absence de certains matériels majeurs, notamment dans le domaine des missiles anti-radar et des systèmes embarqués de brouillage actif. Après avoir interrogé le Général Jean Rannou sur le système NCTR, il a souhaité des précisions sur les équipements qui ont dû faire l'objet d'accélérations de programmes, demandant si ces mesures étaient les conséquences de restrictions budgétaires antérieures. Il s'est par ailleurs interrogé sur la pertinence du choix de développer les technologies liées à l'attaque au sol à très basse altitude, alors que les bombardements effectués dans le cadre du conflit du Kosovo l'ont été à moyenne altitude. Il a enfin demandé une évaluation des capacités françaises de renseignement et de transmission ainsi que des éventuelles améliorations à y apporter. S'agissant des dépenses ordinaires, il s'est inquiété des différences de rémunérations entre les personnels de l'armée de l'Air accomplissant des missions au Kosovo depuis le territoire français et les personnels basés à l'étranger à cette fin, qui perçoivent des suppléments au titre de la participation aux opérations extérieures. Enfin, il s'est interrogé sur les enseignements qui pouvaient être tirés du conflit quant à la capacité des pays européens à mener des interventions aériennes de manière plus autonome.

Le Général Jean Rannou a apporté les éléments de réponse suivants :

- les accélérations de programmes ont concerné essentiellement des programmes en retard ou en cours, dont la réalisation était susceptible d'améliorer la performance des équipements utilisés dans les opérations menées contre les forces yougoslaves. L'absence de programmes nouveaux, à la différence des besoins suscités par les opérations aériennes de la guerre du Golfe, montre que les matériels dont dispose l'armée de l'Air lui permettent actuellement d'assurer ses missions de façon convenable. Système d'analyse du spectre émis par les moteurs des avions en vue de leur identification, le Non Cooperative Target Recognition (NCTR) était encore en cours de développement au moment du conflit. Seuls quelques F15 et F16 américains en bénéficiaient, alors que ce système s'est révélé nécessaire pour les missions de combat antiaérien dans un cadre de coalition. Désormais, certains Mirage 2000 en sont équipés. Au total, une cinquantaine d'accélérations de programmes a été réalisée à la demande de l'armée de l'Air ;

- la réglementation applicable aux suppléments de rémunérations lors d'opérations extérieures ne prend pas en compte la capacité de l'armée de l'Air à se déployer depuis la métropole sur un théâtre relativement proche. Cela pose de sérieux problèmes puisque la rémunération des équipages employés depuis la France est inférieure de moitié (pour les soldes les plus élevées), voire dans des proportions plus grandes encore (pour les soldes les plus faibles) à celle des équipages en opérations extérieures. Cette inégalité de situation est mal comprise par les personnels mais il semble difficile d'y remédier par des solutions globales ;

- l'armée de l'Air ne dispose pas d'armements anti-radar, à la différence de certaines armées européennes dotées de missiles Harm dont l'efficacité n'est pas totale mais qui présentent l'avantage d'entraver l'usage des radars adverses. Par ailleurs, l'armée de l'Air ne dispose pas non plus de système de brouillage actif, les concepts offensifs développés notamment dans le cadre de la dissuasion ayant privilégié la pénétration d'avions isolés en raison du format des forces aériennes françaises. En revanche, les appareils sont dotés de systèmes d'autoprotection intégrés, dont l'efficacité est avérée ;

- l'entraînement des pilotes français s'effectue dans des conditions de vol à basse altitude mais aussi à moyenne et haute altitudes. Le vol à basse altitude (50-70 m), s'il est effectué à très grande vitesse (1250 km/h) et par mauvais temps, constitue un mode d'action très sûr qui ne nécessite pas de capacités de brouillage actif. Les moyens techniques de l'armée de l'Air permettent à ses pilotes d'évoluer dans ces conditions. Néanmoins, les raids de l'OTAN lors du conflit du Kosovo ont démontré l'aptitude des matériels et des personnels à intervenir à moyenne altitude.

- les complémentarités entre les images obtenues par le satellite Hélios, les Mirage IV et les Mirage F1CR, montrent bien l'intérêt des différents capteurs dans le domaine du renseignement. Les capacités actuelles ne permettent le traitement et l'utilisation de ces images qu'en temps différé, car il est nécessaire que les avions reviennent à leur base, puis transmettent les images déjà traitées au centre de commandement opérationnel (le CAOC de Vicence pendant le conflit du Kosovo). Dans une étape ultérieure, la transmission des données devra s'opérer en vol pour un renseignement en temps réel ;

- la polyvalence du Rafale et ses capacités, supérieures de 40 % à celles des Mirage, justifient la réduction à terme du format de l'armée de l'Air. Alors que les missions effectuées lors du conflit du Kosovo nécessitaient 5 à 6 ravitaillements en vol pour un même appareil, un à deux auraient suffi dans le cas du Rafale ;

- la proximité géographique du Kosovo explique qu'aucune difficulté n'ait été rencontrée dans le transport logistique, sauf au moment de la plus forte intensité des opérations de pont humanitaire, auxquelles la France a beaucoup participé. Un théâtre d'opérations plus éloigné, comme celui du Timor oriental, démontre l'intérêt du programme ATF, les durées de trajet des Transall et des C130 étant trop longues ;

- toutes les capacités aériennes des Européens n'ont pas été utilisées, mais il s'agit avant tout d'une question de volonté politique. De plus, faute de moyens, les pays européens ne peuvent pas mener toutes les opérations. Depuis la création de la DRM en 1992, la France s'est dotée de capacités qui lui ont permis d'accéder à une qualité de renseignement comparable dans certains domaines à celui dont disposent les Etats-Unis. Les Européens utilisent des moyens de commandement où ils sont numériquement majoritaires et grâce auxquels ils peuvent agir en commun mais ce sont ceux de l'OTAN. Dans le domaine de l'action aérienne, les exigences d'interopérabilité qui sont très fortes incitent les pays européens à se regrouper pour mettre en commun leurs ressources. Le groupe aérien européen, qui réunit à présent sept pays dont l'Allemagne, a mis au point des procédures communes qui ont été utilisées pendant la crise du Kosovo, notamment pour le ravitaillement en vol qui a été assuré de manière indifférenciée par les différents appareils de la coalition. Les prochains domaines de coopération entre Européens concernent le sauvetage des équipages en territoire hostile et la gestion de l'espace aérien.

L'Europe de la Défense se construit ainsi par étapes successives en associant même dans certains cas des pays neutres.

Faisant valoir qu'au cours de la crise du Kosovo, la participation de la France avait représenté 10 % et celle du Royaume-Uni 5 % des capacités engagées par les Etats-Unis, M. René Galy-Dejean a souligné l'importance de l'écart séparant les moyens américains et européens.

Le Président Paul Quilès, après avoir observé que près de 90 % des frappes sensibles avaient été réalisées par des avions américains pour des raisons généralement plus politiques que techniques, a jugé que le débat sur la construction de l'Europe de la Défense ne pouvait être réduit au seul constat des capacités existantes.


© Assemblée nationale