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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 2

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 5 octobre 1999
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition du Général Yves Crène, Chef d'état-major de l'armée de Terre, sur le projet de loi de finances pour 2000

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La Commission a entendu le Général Yves Crène, Chef d'état-major de l'armée de Terre, sur le projet de loi de finances pour 2000.

Le Président Paul Quilès, après avoir accueilli, au nom de la Commission, le Général Yves Crène a souligné que le projet de budget de l'armée de Terre apparaissait contrasté. La légère augmentation du titre III recouvrait deux mouvements opposés : une progression des crédits de personnel et une baisse des dépenses de fonctionnement, qui permettait néanmoins, au-delà des économies dégagées par la mutation du format de l'armée de Terre, une amélioration notable des conditions d'activité.

S'agissant du titre V, le Président Paul Quilès a relevé la hausse sensible des autorisations de programme, qui lui a semblé bien augurer du respect en termes physiques de la programmation, telle qu'elle a été révisée à la suite de la revue de programmes. Il a noté que les crédits de paiement étaient, quant à eux, en réduction.

Avant de présenter le projet de budget de l'armée de Terre pour 2000, le Général Yves Crène a dressé un bilan de la situation des forces terrestres, dont il a souligné qu'elles étaient engagées dans une transformation complexe et, simultanément, fortement sollicitées par de nombreuses activités opérationnelles.

La refondation de l'armée de Terre, engagée dès 1996, comporte deux phases majeures : la première, concernant la réorganisation des forces, et qui s'est traduite notamment par la dissolution de près de 40 régiments des forces et de plus de 80 organismes de moindre volume, ainsi que par le transfert ou la réorganisation de plus de 30 formations diverses peut être considérée comme achevée. En termes d'organisation, le dispositif atteint est d'ores et déjà celui du nouveau modèle d'armée retenu par la programmation.

La seconde phase consiste désormais à réorganiser le système de commandement et à rationaliser, avec le souci d'une stricte économie de moyens, l'ensemble du dispositif de soutien et de l'appareil de formation. Moins spectaculaire, cette phase n'en reste pas moins délicate à mener : entre 2000 et 2002, près de 200 organismes seront dissous, tandis que plus de 200 autres seront transférés ou restructurés. N'ayant pas vocation à être projetés en tant que tels, ces organismes reposent pour une part notable sur du personnel civil et, pour quelque temps encore, sur des appelés ; or, c'est dans ces catégories de personnel que sont rencontrées aujourd'hui les plus grandes difficultés de réalisation des effectifs. Cette seconde phase est également complexe en raison de la diversité des missions dévolues aux organismes restructurés : formation des cadres officiers et sous-officiers dont le recrutement doit être maintenu et soutien de l'armée de Terre sur l'ensemble du territoire et des théâtres extérieurs.

La réorganisation de l'armée de Terre vise également à la doter de deux chaînes de commandement, l'une à vocation opérationnelle et l'autre de nature organique. La chaîne à vocation opérationnelle, en place depuis cet été, est chargée d'assurer l'entraînement des forces, ainsi que de conduire et de soutenir les opérations dans lesquelles l'armée de Terre est engagée. La chaîne de commandement organique est prévue pour 2000 avec la création des cinq futures régions de l'armée de Terre, qui sera ainsi en mesure à la fois de vivre et de se préparer sur le territoire national, tout en ayant la capacité d'engager rapidement et de manière souple les forces et les états-majors opérationnels en fonction des missions.

Le Général Yves Crène a également rappelé que la professionnalisation constituait le c_ur de la refondation de l'armée de Terre et la priorité indiscutable de la loi de programmation pour la période 1997-2002.

Le recrutement des engagés (EVAT) se poursuit dans des conditions satisfaisantes, bien qu'il représente une ponction annuelle de près de 10 000 jeunes sur une ressource qui n'est pas illimitée. Le recrutement de l'armée de Terre est toutefois conforme à ses besoins en nombre et en qualité.

Le Général Yves Crène a ensuite attiré l'attention de la Commission sur le déficit chronique de ressources en personnel appelé, auquel est confrontée l'armée de Terre. En moyenne, depuis le début de l'année 1999, le sous-effectif atteint 12 % et les prévisions pour la fin de l'année font craindre une dégradation, même si on constate, dans toutes les formations, l'excellence du comportement des appelés.

La refondation des forces terrestres repose également sur un recours accru au personnel civil pour les domaines ne relevant pas des missions strictement opérationnelles. Or, l'armée de Terre continue de rencontrer de réelles difficultés liées à l'inadéquation géographique, mais aussi qualitative, entre les postes à pourvoir et la ressource disponible au sein du ministère de la Défense. L'existence de cette ressource, qui reste pourtant très théorique, a pour conséquence de limiter, de manière contraignante, les embauches d'ouvriers, alors même que les candidats ne manquent pas dans certaines des zones où les besoins sont constatés. Au total, le sous-effectif en personnel civil, qui représente aujourd'hui près de 3 800 postes, soit plus de 11 % des besoins, constitue l'obstacle majeur à la réussite du processus de professionnalisation. Il doit être résorbé au plus vite compte tenu de la réduction de la ressource en appelés et de la nécessité d'affecter les EVAT aux forces projetables.

Le Général Yves Crène a ensuite souligné que, pour majeure et significative qu'elle soit, la crise du Kosovo devait être replacée dans la perspective historique des quelque 60 crises dans lesquelles la France s'est engagée depuis 1990. La constante de l'ensemble de ces opérations reste la part importante que doivent y prendre les forces terrestres dans des situations politiques et humaines multiples, diverses et complexes. Dans le cas du Kosovo, l'engagement de l'armée de Terre a commencé dès le mois de décembre 1998, lorsqu'une force d'extraction a été installée en Macédoine. Aujourd'hui, les 5 500 militaires de l'armée de Terre sur place s'ajoutent à ceux maintenus en Bosnie-Herzégovine, ce qui porte à 8 500 les effectifs terrestres dans les Balkans.

Le Général Yves Crène a souligné que le conflit du Kosovo validait l'essentiel des choix faits depuis 1996, à commencer par la décision de professionnaliser l'armée de Terre. L'expérience acquise au cours de ces événements a confirmé la nécessité d'une chaîne de commandement à vocation spécifiquement opérationnelle, capable de faire face à la soudaineté des crises, en projetant rapidement un dispositif pris dans un réservoir de forces entraînées et doté d'un état-major capable de participer à une opération multinationale.

Le conflit du Kosovo confirme aussi les choix faits en matière d'équipement et notamment la priorité accordée au domaine des systèmes de commandement et d'information pour donner à la France la capacité de jouer le rôle de nation cadre. L'efficacité de l'emploi de moyens lourds tels que les canons automoteurs ou les chars Leclerc, dont la puissance est un facteur efficace de dissuasion doit également être soulignée. A cet égard, le Général Yves Crène a exprimé sa satisfaction devant le comportement du char Leclerc, mis en situation opérationnelle pour la première fois. La protection des personnels mérite toutefois une attention toute particulière. Outre l'équipement individuel et l'amélioration de la protection du VAB, de l'AMX 10 P et de l'AMX 10 RC, les forces terrestres attendent d'être dotées rapidement d'un véhicule de combat d'infanterie (VCI) répondant à leurs besoins en ce domaine.

Le Général Yves Crène a également relevé les enseignements que l'engagement de l'armée de Terre dans le cadre de la crise des Balkans permettait de dégager, en ce qui concerne le volume des troupes engagées. Le réservoir de forces projetables professionnelles dont dispose l'armée de Terre représente aujourd'hui 60 000 personnes, soit un tiers de ses effectifs. Il n'en représentait qu'un dixième en 1996 et en constituera près des trois-quarts à l'horizon 2002, ce qui représentera l'un des meilleurs ratios parmi les armées occidentales. Ce résultat, obtenu en comprimant au maximum les effectifs consacrés au soutien et au fonctionnement, constitue bien l'enjeu des réorganisations de la période 1999-2002.

Au 10 septembre, le total des effectifs engagés ou prépositionnés en dehors de la métropole s'élevait à plus de 20 000 hommes. Compte tenu du jeu des relèves, ce dispositif signifie que 50 000 militaires professionnels de l'armée de Terre auront effectué en 1999 une mission d'au moins quatre mois hors métropole. Cette charge constituant aujourd'hui un maximum, la réalisation du modèle prévu par la programmation reste une impérieuse nécessité.

Le chemin accompli depuis trois ans témoigne de l'engagement sans réserve des hommes et des femmes de l'armée de Terre sur lesquels pèse une lourde charge et à qui le Général Yves Crène a tenu à rendre hommage en rappelant leur disponibilité, leur professionnalisme ainsi que leur comportement exemplaire sur tous les théâtres où ils sont présents.

S'agissant du projet de budget de l'armée de Terre pour 2000, le Général Yves Crène s'est félicité qu'il respecte le cadre fixé par la loi de programmation militaire.

Le titre III s'établit pour 2000 à 30 916 millions de francs, contre 30 700 millions de francs dans le budget voté de 1999, ce qui représente une très légère progression en francs courants.

L'évolution des effectifs budgétaires reste conforme à la programmation, dans la mesure où elle permet la poursuite de la professionnalisation, grâce notamment à la création de 5 872 postes d'EVAT. Toutefois, les effectifs autorisés des autres catégories de personnel subissent quelques abattements par rapport aux prévisions :

- une mesure d'anticipation de déflation portera à 1 438 au lieu de 1 221 le nombre de postes d'officiers et de sous-officiers supprimés ;

- 23 333 postes d'appelés sont supprimés, soit 700 de plus que prévu ;

- 23 postes de personnels civils seront supprimés, alors que la programmation prévoyait au contraire la création de 315 postes de cette catégorie.

Les déflations anticipées de postes d'appelés et de civils constituent une adaptation des effectifs à la réalité. Elles seront, pour une part, compensées par l'ouverture de crédits de sous-traitance qui permettront, dans certains cas, de faire face aux vacances de postes.

La création de 4 300 postes de caporaux et caporaux-chefs au sein des 5 872 postes d'EVAT créés constitue un réel motif de satisfaction. Cette mesure permettra d'améliorer une promotion interne, qui répond à la tradition du métier militaire, mais qui est également nécessaire pour la fidélisation de nos soldats.

Au total, si les emplois budgétaires accordés sont effectivement réalisés, aux deux tiers de la durée de la programmation, les deux tiers de la professionnalisation auront été assurés. La part des rémunérations et charges sociales dans le titre III sera portée à 81 % pour l'exercice 2000, ce qui constitue une situation conforme aux prévisions, mais qui tendra à peser sur les dépenses de fonctionnement. L'an dernier, le précédent chef d'état-major de l'armée de Terre avait alerté la Commission sur la contrainte excessive qu'il avait dû faire porter sur cette catégorie de dépenses. Par la suite, un audit, réalisé au début de cette année, a clairement mis en lumière la nécessité de relever le niveau de ressources à affecter au fonctionnement. Selon un indicateur communément retenu en ce domaine, le nombre de jours de sortie sur le terrain, qui se situait aux alentours de 100 par an au début des années 1990, était tombé à 70 en 1999.

Sous réserve que les hypothèses économiques relatives au coût du carburant soient vérifiées, les crédits alloués pour 2000 dans le projet de budget devraient permettre de remonter à 73 jours de sortie, dont 37 avec moyens organiques, l'objectif étant à terme de revenir à 100. A cette amorce de redressement s'ajoutera la possibilité d'effectuer des missions d'entraînement blindé à l'étranger, indispensables au développement des capacités de projection. Le Général Yves Crène a, à ce propos, souligné la nécessité de maintenir un ratio d'activité comparable à celui de nos principaux partenaires, notamment européens.

D'autres domaines du fonctionnement connaissent certaines améliorations dans le projet de budget : l'entretien immobilier, les locations immobilières, les frais de déplacement du personnel civil. Mais ces crédits ne font que combler une partie des insuffisances créées en 1999.

Au total, l'amorce de redressement que permet le titre III du projet de budget ne peut être tenue pour réellement encourageante que dans la mesure où elle se verra confirmée par la suite.

S'agissant du titre V, dont il a estimé qu'il promettait une gestion tendue, le Général Yves Crène a porté une appréciation empreinte de davantage de précautions.

Avec 17 816 millions de francs de crédits de paiement pour 2000, l'armée de Terre enregistre une réduction de 673 millions de francs courants par rapport aux ressources accordées en 1999 et de près de 1,3 milliards de francs par rapport à l'annuité de la programmation. Ce niveau de crédits de paiement rejoint celui de la réduction pratiquée lors de la construction du budget de 1998, sans que ces deux situations puissent être comparées.

Alors qu'en 1998, l'abattement de ressources pratiqué s'était traduit, à la suite de la revue de programmes, par une amputation des équipements initialement retenus par la loi de programmation, la réduction du niveau de crédits prévue pour 2000 est à considérer comme une conséquence des retards pris antérieurement dans la réalisation des opérations, notamment en raison de difficultés d'engagement des crédits apparues depuis 1996.

Ces difficultés d'engagement résultent d'une accumulation de circonstances objectives et défavorables, liées d'une part aux régulations budgétaires des années 1995 et 1996 et d'autre part aux vastes mouvements de restructuration et de modernisation qu'a connus l'ensemble du ministère de la Défense depuis 1996 :

- restructuration du format des armées et de la DGA ;

- modernisation des procédures financières, avec l'introduction de la comptabilité spéciale des investissements et la généralisation du contrôle financier déconcentré ;

- refonte de la nomenclature budgétaire qui a entraîné celle des systèmes d'information et de comptabilité ;

- modernisation, enfin, des méthodes d'acquisition en contrepoint des gains de productivité obtenus.

Ces perturbations, qui produisent aujourd'hui mécaniquement leur effet sur les crédits de paiement, n'en ont pas moins un aspect essentiellement conjoncturel.

Le Général Yves Crène a souligné que les objectifs fixés en 1998 par la revue de programmes constituaient à présent la référence en termes de contenu physique comme de niveau de ressources. Il a fait valoir que ce niveau devra être rejoint dès que les perturbations précédemment évoquées auront fini de produire leurs effets et voulu voir, dans la préservation d'un niveau d'autorisations de programme conforme à la revue de programmes, la marque d'une volonté de réaliser les équipements prévus.

Il a estimé qu'au total, les crédits de paiement inscrits dans le projet de budget pour 2000 ne devraient pas, par eux-mêmes, entraîner de nouveaux décalages, mais considéré que, si tel n'était pas le cas, il serait nécessaire d'envisager des mesures en cours de gestion pour ne pas retomber dans le cercle vicieux de nouvelles perturbations.

Le Général Yves Grène a par ailleurs rappelé que la loi de programmation avait entériné le principe de commandes globales, financées par des autorisations de programme antérieures non utilisées. Toutefois, alors que des commandes importantes avaient été passées, qu'il s'agisse, pour l'armée de Terre, du dépanneur Leclerc auprès de GIAT Industries ou, plus récemment de l'hélicoptère Tigre, et que d'autres restaient à réaliser, notamment le missile antichar de 3ème génération à moyenne portée (AC3GMP), des volumes considérables d'autorisations de programme avaient été annulés (près de 6,5 milliards de francs depuis 1997 pour la seule armée de Terre), ce qui remettait en cause le financement initialement imaginé.

La marge dont dispose aujourd'hui l'armée de Terre en matière d'autorisations de programme est donc très limitée. En l'état actuel des choses, une ponction supplémentaire sur les autorisations de programme pourrait conduire à remettre en cause le déroulement d'un ou plusieurs programmes inscrits dans le projet de budget pour 2000. Les commandes globales ne doivent pas être effectuées au détriment des autres opérations et les programmes de cohérence opérationnelle, qui constituent l'environnement indispensable des grands programmes d'équipement, ne doivent pas être sacrifiés.

Ainsi, l'armée de Terre a renoncé à prévoir en 2000 une commande globale de 7 500 obus antichars à effet dirigé (ACED), se contentant d'une tranche de 2 500 obus. En 2000, elle se limitera par ailleurs à la commande globale de l'AC3GMP, qui a déjà dû être reportée de quelques mois, faute de disposer en 1999 des autorisations de programme suffisantes.

Cette perspective d'une gestion tendue l'année prochaine, ne devrait toutefois pas empêcher la poursuite de la modernisation des équipements dans les domaines prioritaires.

Pour la partie télécommunications et systèmes d'informations et de commandement :

- 11 modules du SICF (système intégré de commandement des forces) seront commandés ;

- le système de coordination dans la 3ème dimension MARTHA sera poursuivi ;

- 1 816 postes radio de 4ème génération (PR4G) seront commandés et 2 436 livrés.

Par ailleurs, la poursuite de la fabrication des véhicules blindés légers longs, dont 80 seront commandés et 44 livrés, ainsi que le lancement du développement du véhicule de combat d'infanterie (VCI) permettront à terme d'améliorer la protection des personnels des forces de projection.

S'agissant des autres grands programmes, une commande de 44 chars Leclerc sera passée en 2000, avec une livraison de 34 nouveaux exemplaires de ce matériel. Le programme AC3GMP bénéficiera d'une commande globale de 454 postes de tir et de 11 000 missiles. La phase de production du programme SAMP/T (sol-air moyenne portée/terre) se poursuivra.

Le respect de la loi de programmation 1997-2002 est primordial pour assurer la transition vers l'armée professionnelle. Mais l'horizon ne s'arrête pas en 2002 et le nouveau modèle d'armée devra être consolidé. Il s'agira en particulier de maintenir ses capacités, en veillant notamment à assurer aux forces un niveau d'entraînement adapté. La pérennité de ce nouveau modèle d'armée devra être garantie par un renouvellement régulier des effectifs, ce qui pose la question de l'attractivité des postes offerts. Les autorités en charge de l'armée de Terre ont le devoir de garantir aux hommes et aux femmes qui en font partie des conditions de vie et de travail adaptées et décentes par égard pour leur engagement, mais aussi par souci de la pérennité du nouveau système. Dans le même esprit, les perspectives de carrière, de reconversion, les dispositifs d'aide à la famille doivent faire l'objet d'une attention accrue et les efforts en matière d'infrastructure doivent être poursuivis.

De même, en matière d'équipement, la réalisation du modèle envisagé à l'horizon 2015 est tout aussi nécessaire malgré certains retards qui devront être rattrapés pour atteindre les capacités opérationnelles que la France se doit de détenir.

Le Président Paul Quilès s'est alors interrogé, au vu de l'expérience de l'année 1999, sur l'évaluation par la loi de programmation des coûts en rémunérations de la professionnalisation. Il s'est notamment demandé si les insuffisances de crédits constatées dans le domaine des rémunérations au cours de la gestion 1999 et couvertes par le récent décret d'avance devaient être considérées comme temporaires ou si elles étaient le signe de difficultés structurelles.

Il a ensuite souhaité savoir si la chaîne de commandement à vocation opérationnelle mise en place par l'armée de Terre aurait la mission de s'insérer dans un dispositif de coalition et, dans ce cas, quelle relation elle serait susceptible de développer avec les états-majors de nos partenaires européens à la fois au sein et en dehors de l'Alliance.

Enfin, s'interrogeant sur les critères qui avaient conduit au choix des équipements du contingent français de la KFOR, il s'est demandé si le char Leclerc était un matériel bien adapté à la mission assurée dans ce cadre et si le Chef d'état-major de l'armée de Terre avait constaté des insuffisances dans l'équipement des forces terrestres en vue d'opérations extérieures.

Le Général Yves Crène a apporté les éléments de réponse suivants :

- l'évaluation qu'on peut faire, quatre années après le début de la professionnalisation, fait apparaître que les coûts de celle-ci ont été correctement estimés. La méthode d'évaluation retenue tenait compte à la fois de la disparition de l'ensemble des coûts liés aux postes d'appelés et des dépenses nouvelles induites par le recrutement des personnels professionnels supplémentaires. Ces évolutions contraires faisaient apparaître un besoin de financement estimé à environ 250 millions de francs par an en rémunérations et charges sociales. Le titre III devant rester constant, la loi de programmation a gagé ce différentiel par une réduction des coûts de fonctionnement, hors rémunérations et charges sociales, de 20 % sur six ans. Cette méthode d'évaluation a correspondu à la réalité, à l'exception de l'année 1999, où une hausse des rémunérations et charges sociales induite par des accords intervenus dans la fonction publique a comprimé de façon exceptionnelle les ressources de fonctionnement qui ont été réduites de 20 % sur trois ans au lieu de 6. Les mesures prises pour l'année 2000 remettent sur le chemin d'une évolution des dépenses conforme aux évaluations initiales ;

- au contraire des coûts de transformation de l'outil militaire, les coûts de fonctionnement du nouveau système d'armée professionnalisée, lorsqu'il sera stabilisé, restent à apprécier ;

- les insuffisances de crédits apparues pendant l'année 1999 s'expliquent, pour la plus grande partie, par le coût des opérations extérieures ;

- les moyens de commandement créés pour les besoins de la nouvelle chaîne opérationnelle sont destinés, le cas échéant, à s'intégrer, en totalité ou en partie, aux structures multinationales auxquelles le Gouvernement demanderait à l'armée de Terre de participer, soit dans le cadre de l'OTAN, comme dans le cas de la contribution française à la force d'extraction du Kosovo ou du contingent français au sein de la KFOR, ou dans un autre cadre, comme l'expérience en a été faite dans le passé ;

- on peut considérer qu'un équipement moins lourd que le char Leclerc suffirait pour l'action actuellement menée au Kosovo. Cependant, il y a eu un moment où on ne savait pas comment la crise se dénouerait. Si une intervention terrestre avait été nécessaire, ce sont ces chars qui auraient permis aux forces françaises d'y tenir leur place. Les forces doivent avoir la capacité de répondre au niveau de violence le plus élevé. Par ailleurs, la présence de chars Leclerc produit un effet dissuasif ;

- la principale insuffisance dans l'équipement des forces terrestres françaises réside dans l'obsolescence et la trop faible protection de l'AMX 10 P. Le moment est grandement venu de renouveler cet équipement.

Après avoir souligné la qualité de l'accueil que lui avait réservé l'armée de Terre pour la préparation de son avis budgétaire, tant à Paris qu'au Régiment de marche du Tchad où il était allé se rendre compte sur le terrain des transformations en cours, M. Jean-Claude Sandrier s'est inquiété, dans le cadre d'un processus de professionnalisation qui se déroulait d'une façon satisfaisante, du déficit de la ressource en appelés, qui semblait atteindre près du tiers de l'effectif de certains régiments. Il s'est également interrogé sur la persistance du déficit en personnel civil, les postes n'étant pourvus ni par mobilité ni par embauche, alors que des listes d'attente existent et que les incitations à la mobilité géographique apparaissent insuffisantes, compte tenu des pertes financières subies par les personnels concernés.

Après avoir souligné la priorité que représentait le VCI pour l'équipement de l'armée de Terre et observé que beaucoup de temps avait été perdu pour son acquisition, il s'est demandé si les performances que montrait le char Leclerc au Kosovo ne devaient pas conduire à retenir le même constructeur, c'est-à-dire GIAT Industries, pour ce nouveau matériel. Il a, à ce propos, préconisé de préférer le « mieux disant » au « moins disant ».

Le Chef d'état-major de l'armée de Terre a apporté les éléments de réponse suivants :

- le déficit en personnel appelé qui est en moyenne de 12 % pourrait atteindre 16 %, ce qui suppose une insuffisance de ressource plus grande encore dans certains régiments. Cette question reste préoccupante, dans la mesure où, en 1999, l'effectif de l'armée de Terre est encore composé pour un tiers de personnel appelé, mais aussi parce que le déficit en personnel appelé tend à prendre un caractère erratique, peu prévisible, en fonction des incorporations. On peut cependant espérer que, l'armée de Terre supprimant chaque année plus de 22 000 postes d'appelés, cette difficulté s'atténuera progressivement ;

- la non-réalisation des effectifs de personnel civil prévus par la loi de programmation et les lois de finances successives constitue une difficulté majeure. 11 % des effectifs théoriques restent non pourvus. L'armée de Terre ne peut supporter simultanément les charges de sa transformation, d'engagements opérationnels sur un rythme soutenu, d'un déficit chronique en appelés et d'une absence de réalisation des effectifs de personnel civil prévus. Un effort doit être consenti pour pourvoir les postes vacants. Cet effort pourrait consister en une accélération des concours d'ouvriers fonctionnaires ou en de nouvelles dérogations à l'interdiction d'embauche pour des postes qu'il est impossible de pourvoir par mobilité du fait de leur localisation géographique, alors qu'une main d'_uvre est disponible sur place ;

- le VCI est appelé à être le véhicule d'usage courant des fantassins sur l'ensemble des théâtres. L'acquisition d'un véhicule bien protégé avant 2005 est indispensable. La DGA a lancé un nouvel appel d'offres et deux réponses, dont celle de GIAT Industries, sont actuellement en cours de dépouillement.

Soulignant que l'opinion publique et les membres de la Commission n'ont pas nécessairement eu une perception claire des raisons de l'engagement du char Leclerc au Kosovo lorsqu'il a été décidé, M. Jean-Louis Bernard a souhaité, à l'instar du Président Paul Quilès, obtenir des précisions sur les motivations de cette décision.

Le Général Yves Crène a insisté sur le caractère spécifique du contexte dans lequel le char Leclerc est déployé au Kosovo. Surdimensionné en l'espèce, il ne le serait pas en d'autres occurrences.

Mme Martine Lignières-Cassou a demandé un bilan quantitatif et qualitatif de la féminisation de l'armée de Terre. Elle s'est également interrogée sur le rôle déterminant de l'emploi des forces terrestres dans les conflits, eu égard à l'expérience de la crise du Kosovo. Enfin, elle a souhaité savoir quel était l'état des réflexions du Chef d'état-major de l'armée de Terre sur les priorités d'équipement pour la période couverte par la prochaine loi de programmation militaire.

Le Général Yves Crène a souligné que la féminisation est non seulement une réalité mais également une nécessité correspondant à l'intérêt bien compris de l'armée de Terre. Relevant le haut degré de qualité du recrutement féminin, il a rappelé que l'armée de Terre s'est fixé pour objectif une féminisation progressive. Si 5 % des engagés volontaires professionnels étaient des femmes en 1996, elles en représentent presque 8 % aujourd'hui. Il a par ailleurs considéré que le déroulement de la crise du Kosovo ne devait pas occulter l'implication déterminante de l'armée de Terre dans tous les conflits qui l'ont précédée. Il a souligné que le rôle des forces terrestres était essentiel pour mettre un terme aux violences survenant, soit de manière classique entre des Etats, soit, selon des modalités plus nouvelles, au sein d'un même Etat. Dans les deux cas, les tensions naissent toujours sur un territoire donné. Pour y mettre un terme, il est nécessaire de déployer sur ce territoire une force de contact capable à la fois de s'interposer, de dissuader, et éventuellement d'agir. S'agissant de l'élaboration de la prochaine loi de programmation militaire, la réflexion n'est pas encore formalisée. Il semble difficile de planifier dès à présent le fonctionnement d'une armée totalement professionnelle, dont il n'existe pas de précédent récent capable de constituer un référent. Le mode d'évaluation des besoins financiers de cette armée sera en tout état de cause différent de celui qui avait permis d'établir le coût de sa constitution. Les comparaisons avec les armées de Terre étrangères donnent également certains indices des difficultés qui pourraient apparaître, notamment en termes de recrutements.

Revenant sur les difficultés créées pour l'armée de Terre par le déficit actuellement constaté en personnel appelé, M. Pierre-André Wiltzer a attiré l'attention du Général Yves Crène sur le sentiment d'injustice éprouvé par de nombreux jeunes non dégagés de l'obligation d'accomplir leur service militaire en raison de leur date de naissance. Il a exprimé la crainte que ce sentiment contribue à accroître les difficultés d'incorporation des appelés en fin de période de programmation, à l'image des évolutions observées lors de la suppression de la conscription en Belgique.

Le Général Yves Crène a déclaré ne pas souhaiter se trouver confronté à une telle situation qui ne pourrait qu'obérer la transformation de l'armée de Terre. En 1996, elle comprenait 130 000 appelés. En 1999, les appelés représentent un tiers de ses effectifs. Leur proportion sera encore de 26 % en 2000. L'armée de Terre ne peut donc s'en passer. Une suspension avant l'heure du service militaire induirait des perturbations gravissimes, d'autant plus difficiles à surmonter qu'elles se conjugueraient avec celles nées des vacances de postes de personnels civils.

Le Président Paul Quilès a souhaité savoir, compte tenu des forces engagées sur les divers théâtres, et en particulier dans les Balkans, de combien d'hommes l'armée de Terre pourrait actuellement disposer dans le cadre d'autres opérations.

Le Général Yves Crène a précisé que l'armée de Terre disposait avant l'engagement au Kosovo d'un réservoir de 4 500 hommes projetables et relevables trois fois par an ou d'un niveau de douze mille hommes engagés en une seule fois. La capacité de projection est liée à la nécessité de relever ou non le dispositif engagé. Si le besoin s'en faisait sentir, il serait nécessaire d'effectuer des réajustements dans le déploiement actuel des forces terrestres et de redéfinir les priorités d'emploi, par exemple, en ne relevant que tous les six mois au lieu de quatre mois les troupes engagées dans les Balkans, ou en ne relevant pas immédiatement les unités tournantes déployées outre-mer. Toutefois, le paradoxe de l'évolution de l'armée de Terre est qu'au moment où ses effectifs militaires décroissent, ses capacités opérationnelles augmentent. Ainsi, le réservoir de militaires professionnels, estimé à 60 000 hommes en 1999, passera à plus de 68 000 hommes l'année prochaine.

À une question complémentaire de M. René Galy-Dejean sur la signification de ce réservoir, le Chef d'état-major de l'armée de Terre a précisé qu'un niveau de 60 000 hommes projetables ne correspondait pas arithmétiquement à un niveau de 20 000 hommes déployés sur la base de trois relèves par an, en raison de la nécessité de construire un contingent cohérent du point de vue opérationnel et adapté à la mission.

Après que M. Gilbert Meyer eut constaté que le format de l'armée de Terre défini il y a près de cinq ans ne semblait plus correspondre aux besoins actuels, compte tenu des nouvelles missions dictées par les évolutions stratégiques, le Général Yves Crène a considéré que les effectifs fixés par la loi de programmation militaire lui paraissaient raisonnables mais que la nature de leur engagement relevait du pouvoir politique.

Le Président Paul Quilès a alors souligné que les différents scénarios d'intervention auxquels était aujourd'hui confrontée l'armée de Terre ne pouvaient être qu'incomplètement connus au moment de l'élaboration du Livre blanc sur la Défense et qu'il était vraisemblable qu'un réexamen des hypothèses d'emploi des forces terrestres devrait être entrepris dans le cadre des travaux de préparation de la prochaine loi de programmation militaire.

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