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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 octobre 1999
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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Projet de loi de finances pour 2000 (n° 1805)

- Audition du Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des Armées

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La Commission a entendu le Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des Armées, sur le projet de loi de finances pour 2000 (n° 1805).

Accueillant le Général Jean-Pierre Kelche, le Président Paul Quilès a rappelé les conditions délicates dans lesquelles il exerçait sa mission puisqu'il avait à veiller à la capacité opérationnelle de forces qui se trouvent elles-mêmes en profonde restructuration dans le cadre de la professionnalisation. Soulignant que l'équipement des armées était de haut niveau si l'on en juge par la contribution de la France au conflit du Kosovo, mais qu'il appelait un effort continu de modernisation et de développement des capacités, en particulier dans les domaines de la frappe de précision à distance de sécurité ainsi que du renseignement, il a indiqué que l'audition du Chef d'état-major pouvait être pour la Commission l'occasion de mieux évaluer l'incidence prévisible du projet de budget de la Défense pour 2000 sur l'état de préparation et les capacités opérationnelles des forces françaises.

Le Général Jean-Pierre Kelche a exposé que le projet de loi de finances pour 2000 formait la quatrième annuité de la loi de programmation militaire 1997-2002. Il l'a caractérisé, au titre III, par un respect des engagements de la professionnalisation, voire peut-être un arrêt de la dégradation du fonctionnement, mais, au titre V, par un niveau d'autorisations de programme contraint, non optimisé et susceptible d'avoir des conséquences sur les capacités de la future armée professionnelle et un niveau de crédits de paiement qui, pour être explicable, n'en est pas moins préoccupant.

S'agissant d'abord de la professionnalisation, le Chef d'état-major des Armées a considéré qu'aux deux tiers du parcours, le constat était positif. D'ores et déjà, la Marine, l'armée de l'Air et la Gendarmerie sont très proches de leur format final, l'armée de l'Air n'en étant éloignée que de 1 % seulement. Dans l'armée de Terre, les départs des cadres et la création de postes d'engagés se déroulent favorablement.

Le Général Jean-Pierre Kelche s'est néanmoins déclaré en accord avec les préoccupations du Chef d'état-major de l'armée de Terre en ce qui concerne la décrue de la ressource en appelés, le sous-effectif devenant chronique, de l'ordre de 15 à 20 %, ce qui, combiné avec l'insuffisance de recrutements des personnels civils, créait une tension forte, l'armée de Terre étant encore très dépendante de la conscription.

Il a rappelé que l'an dernier, il estimait que la hausse des rémunérations et charges sociales comprimait de façon excessive, dans la loi de finances pour 1999, les crédits de fonctionnement et jugé que, dans le projet de budget, la situation était différente puisque la moindre progression des coûts de personnel aboutissait à diminuer la pression sur les dépenses de fonctionnement, qui ne sont réduites que de 1,8 % par rapport aux crédits votés de 1999.

Il a néanmoins ajouté que, depuis le début de la programmation, les crédits de fonctionnement avaient diminué de 21,5 % alors que la loi de programmation militaire avait prévu une réduction de 20 % seulement et ce, à l'horizon 2002. Il a ajouté que l'avance ainsi réalisée avait permis de prendre en 2000 des mesures palliatives pour restaurer un peu les conditions d'entraînement. Il a expliqué que, dans les conditions actuelles, seul le volume important d'opérations extérieures en cours permettait d'assurer un niveau d'activités acceptable, mais a souligné que l'action menée en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, quelle que soit sa qualité, ne pouvait se substituer à un entraînement au combat.

S'agissant des rémunérations et charges sociales, il a relevé que le projet de loi de finances prévoyait des évolutions limitées des crédits pour les indemnités, un glissement vieillesse-technicité négatif, sur lequel il s'est interrogé, et un développement de la sous-traitance en contrepartie de postes supprimés ou non honorés. Il a, à ce propos, observé que le transfert d'activités à la sous-traitance ne pourrait être immédiat, ce qui pourrait soulever le problème de l'exécution des crédits correspondants. Il a ajouté que pour la première fois certains chefs d'état-major avaient décidé de présenter des mesures de « dépyramidage », des postes de sous-officiers étant supprimés au profit de postes de militaires du rang.

Il a indiqué enfin que, si le titre III progressait d'un milliard de francs, cette évolution incluait l'intégration au sein du ministère de la Défense du secrétariat aux Anciens combattants, la progression à périmètre constant n'étant que de 300 millions de francs. Il a conclu que le titre III du projet de budget de la Défense était convenable, mais que son niveau devrait être relevé pour les exercices à venir de manière à éviter des pertes de compétence des forces (entraînement opérationnel).

S'agissant des crédits d'équipement, le Chef d'état-major des Armées s'est déclaré nettement moins optimiste. Il a souligné que les réductions cumulées causées essentiellement par la revue des programmes, les « encoches », les annulations, elles-mêmes dues en majeure partie à la nécessité de financer les opérations extérieures, le transfert progressif au titre V des crédits d'entretien programmé du matériel et l'inscription au budget de la défense de dépenses civiles de recherche et de développement (dépenses du BCRD) représentaient 59 milliards de francs, soit 11 % du montant des dotations d'équipement initialement prévu par la loi de programmation. Il a fait valoir que cette situation avait obligé les armées à opérer des choix difficiles, notamment en matière d'approvisionnement en munitions, de sorte qu'à l'occasion du conflit du Kosovo on avait été amené à constater que les stocks étaient à la limite de la rupture, ce qui avait obligé à les recompléter d'urgence.

Le Général Jean-Pierre Kelche a précisé que les crédits prévus par la loi de programmation militaire n'intégraient pas de contribution au BCRD dans le cadre des dépenses en faveur de l'espace, alors qu'avaient été inscrits à cet effet au titre V 500 millions de francs en 1998, 900 millions de francs en 1999, et 1,5 milliard de francs en 2000. Il a fait remarquer également que cette contribution au BCRD comportait peu de dépenses de nature réellement duale, leur montant pouvant être estimé à 75 millions de francs seulement pour 2000. Il s'est toutefois réjoui des efforts du Ministre de la Défense pour donner un véritable caractère de dualité aux dépenses du BCRD financées par les crédits militaires dans le domaine spatial.

Il a ajouté, que si le niveau des crédits de paiement paraissait compatible avec les engagements réalisés et prévus, on constatait en revanche dans le projet de budget une déconnexion entre les autorisations de programme et les crédits de paiement qui risquait de provoquer à terme des retards dans le déroulement des programmes. Il a ajouté que le niveau des autorisations de programme, tout en excédant de 4,5 milliards de francs celui des crédits de paiement, restait insuffisant pour lancer l'ensemble des commandes globales prévues, et qu'il avait fallu de ce fait reculer la passation de certaines d'entre elles après l'année 2000. Remarquant que si le décalage, effectué dans ces conditions, de la seconde commande globale d'avions Rafale n'avait pas eu de conséquences sur les conditions de livraison, tel ne serait pas le cas pour d'autres si cette politique était maintenue. Il a cependant fait observer que le ministère des Finances avait dû sans doute se persuader que le ministère de la Défense ne disposait plus guère d'un surplus d'autorisations de programme disponibles puisque le dernier arrêté d'annulation n'avait porté que sur les crédits de paiement. En tout état de cause, les montants prévus d'autorisations de programme ne permettent pas de couvrir les engagements prévus au titre des programmes M 51 et NH 90, pour ce qui concerne son industrialisation et sa fabrication. Les besoins éventuels d'autorisations de programme pour l'ATF ne sont pas prévus.

Malgré ces insuffisances, le projet de budget pour 2000 n'entraîne pas de rupture dans le domaine de la politique d'équipement qui conserve sa cohérence.

Plusieurs livraisons relevant des programmes majeurs seront au rendez-vous de 2000 : 4 Rafale, 12 Mirage D, 3 Mirage 2000-5, 3 Transall rénovés, 34 chars Leclerc, des missiles Eryx, Mistral, Mica...

Ainsi, aux deux tiers de la loi de programmation militaire, les armées disposeront de 227 Leclerc sur les 307 qui doivent être acquis d'ici 2002 et de 90 avions de combat de dernière génération sur les 300 prévus à l'horizon 2002. Par ailleurs, le Charles de Gaulle entrera en service au troisième trimestre 2000 et la Marine alignera quatre des cinq frégates furtives La Fayette inscrites en programmation.

Les 21 programmes menés en coopération européenne absorberont 8 % des crédits de paiement du titre V en 2000 alors qu'ils n'en représentaient que 5,4 % en 1997. En 2002, ils consommeront 11 % des ressources prévisibles.

Dans le domaine de l'espace, la coopération européenne connaît des difficultés. En matière de télécommunications spatiales, la France qui poursuit seule, après le retrait des Britanniques, la définition du programme qui succédera à Syracuse II négocie toujours la possibilité d'une coopération avec l'Allemagne. En matière d'observation, la revue de programmes de 1998 a conduit, après le retrait de l'Allemagne, à l'interruption du programme de satellite radar. Enfin, l'Espagne a renoncé à sa participation au programme de satellite Hélios II dont le lancement est prévu en 2003.

Depuis le début de la loi de programmation militaire, les armées ont consenti un important effort de clarification dans la gestion des crédits du titre V (nouvelle nomenclature, développement de l'informatisation, suivi de la consommation des crédits en temps réel...).

Abordant les activités des armées en 1999, le Général Jean-Pierre Kelche a indiqué que les opérations extérieures avaient coûté environ 4,5 milliards de francs, soit un peu moins que prévu il y a quelques mois, en raison notamment de la réduction de la participation française à la KFOR rendue possible par l'arrivée de troupes d'autres pays. Le conflit du Kosovo qui a coûté globalement 2,8 milliards de francs a donné lieu à des dépenses particulièrement lourdes au titre V (1,6 milliard de francs) en raison des consommations de munitions.

Le Général Jean-Pierre Kelche a conclu en soulignant que le projet de budget pour 2000 ne remettait pas en cause les objectifs de la loi de programmation militaire, alors que le conflit du Kosovo avait démontré que chacune des trois armées conservait une réelle capacité opérationnelle conformément à l'engagement pris pour la période de restructuration. Ainsi, malgré une légère érosion en nombre d'appelés et grâce au déroulement satisfaisant des processus de restructuration, le projet d'armée professionnelle conserve une bonne crédibilité au sein de l'institution militaire.

Le Général Jean-Pierre Kelche a néanmoins attiré l'attention de la Commission sur la nécessité d'être vigilant pour les budgets des années postérieures à 2000.

Interrogeant le Général Jean-Pierre Kelche sur les enseignements tirés du conflit du Kosovo, le Président Paul Quilès a demandé si des aménagements des priorités et du rythme d'exécution des programmes lui paraissaient nécessaires au vu de cette expérience. Il a souhaité savoir si, dans le domaine aérien, ce conflit pourrait donner lieu à une révision des doctrines d'emploi et en conséquence des spécifications des matériels. Il a également demandé quelle politique il jugeait souhaitable dans le domaine des munitions, eu égard aux insuffisances constatées.

Souhaitant que soit communiqué à la Commission l'état des personnels militaires présents dans les représentations diplomatiques françaises à l'étranger, M. Didier Boulaud a attiré l'attention du Général Jean-Pierre Kelche sur l'importance de leurs effectifs dans certains postes et s'est interrogé sur les critères d'affectation de ces personnels expatriés et donc coûteux.

M. Guy-Michel Chauveau a d'abord interrogé le Général Jean-Pierre Kelche sur une éventuelle évolution de la doctrine française vers un emploi civilo-militaire de nos forces, notamment à la lumière de l'expérience du Kosovo.

Puis, notant que les armées européennes appartenant à l'OTAN étaient numériquement bien plus nombreuses que celle des Etats-Unis, mais sensiblement plus pauvres en moyens budgétaires, il a demandé si un meilleur effort de complémentarité des dépenses militaires en Europe ne permettrait pas d'éviter des redondances et d'améliorer les capacités opérationnelles. Il s'est également interrogé sur le ratio entre les effectifs et les dépenses d'équipement dans les armées européennes et américaines.

Il a enfin interrogé le Général Jean-Pierre Kelche sur la coopération européenne en matière de recherche et de développement ainsi que sur le pouvoir d'impulsion et d'orientation des Etats dans ce domaine face aux groupes industriels de plus en plus puissants qui se constituent.

M. Pierre Lellouche a demandé au Général Jean-Pierre Kelche s'il n'était pas possible d'envisager un système de financement des opérations extérieures qui n'obère pas les crédits disponibles pour l'entraînement des forces et la modernisation de leurs équipements. Il s'est demandé si une dotation ne pouvait pas être créée pour financer la partie constante, d'une année sur l'autre, des dépenses d'opérations extérieures. De la même manière, il a demandé si le surcoût en munitions du conflit du Kosovo réduirait les ressources des programmes en cours.

Puis il a demandé au Général Jean-Pierre Kelche s'il était en mesure de chiffrer les corrections nécessaires pour les budgets des deux prochaines années. Enfin, constatant que les Etats-Unis avaient refusé de ratifier le Traité d'interdiction totale des essais nucléaires et avaient décidé d'engager des négociations pour modifier le Traité ABM de 1972, il a demandé quelles implications cette politique pourrait avoir à terme sur la dissuasion nucléaire française.

Remarquant que les armées et en particulier, l'armée de Terre, éprouvaient des difficultés dans le recrutement des appelés, M. Charles Cova a souligné que, sur une ressource annuelle de plus de 250 000 jeunes, nos forces n'en avaient besoin que de 90 000 en 2000 et 60 000 en 2001. Désireux de proposer de nouvelles mesures pour assouplir les règles du report du service militaire, il a demandé au Général Kelche si les déficits constatés ne concernaient que certaines spécialités ou l'ensemble des postes encore occupés par les appelés.

Le Général Jean-Pierre Kelche a apporté les éléments de réponse suivants :

- soulignant que les objectifs de l'intervention contre la République fédérale de Yougoslavie n'étaient pas d'infliger un maximum de dommages, ni de détruire un pays mais plutôt d'obtenir par une action progressive et mesurée un effet de découragement afin de faire céder le pouvoir yougoslave, il a estimé que l'utilisation de l'arme aérienne dans ce cadre ne constituait qu'un exemple parmi d'autres. Sa progressivité, son caractère prévisible pour l'adversaire, le souci de limiter dans toute la mesure du possible les dommages infligés aux populations civiles étaient contraires aux canons habituels de l'art de la guerre aérienne. Les contraintes spécifiquement militaires ne concernaient que la recherche de l'efficacité dans les tirs et la sécurité d'emploi qui conditionnait la durée de l'intervention. L'emploi des forces aériennes pourrait être différent dans le cadre d'un autre conflit où nos appareils auraient, par exemple, à appuyer des forces terrestres. Il serait donc hasardeux de revoir de manière radicale la doctrine d'emploi des forces aériennes sur la base d'un conflit qui peut être considéré, à certains égards, comme atypique. L'essentiel est de disposer d'un outil militaire aussi ouvert que possible dans ses capacités ;

- s'agissant des munitions, la France ne s'est pas trouvée en rupture de stock. Néanmoins, les stocks constitués pour certaines catégories d'armements se sont révélés très limités, au point que des commandes de recomplètement aux Etats-Unis ont été nécessaires. La certitude qu'il était possible de racheter certaines munitions, si nécessaire, expliquait ce faible niveau des stocks ;

- des informations peuvent être communiquées aux parlementaires sur les effectifs et la répartition des postes de personnels à l'étranger, question à laquelle le Chef d'état-major des Armées porte une attention soutenue. L'Etat-major des Armées est confronté en ce domaine à un problème de pénurie, notamment lorsqu'il s'agit de nommer des officiers dans les GFIM de l'OTAN ;

- l'armée de Terre adapte ses doctrines d'emploi à la nature des engagements dans lesquels elle est amenée à intervenir. Ainsi, les capacités de mobilité et de puissance de feu du char Leclerc, initialement conçu dans la perspective de l'affrontement des deux blocs, ont permis de faire la démonstration de la force de la présence militaire alliée à l'égard des populations locales. Conjointement avec l'artillerie, le Leclerc contribue aussi à un dispositif permettant de dissuader les Serbes de toute action armée éventuelle ;

- la comparaison du rapport entre effectifs et budget d'investissement en Europe et aux Etats-Unis doit être faite avec prudence. Ce type de raisonnement peut être fallacieux, comme l'exemple du Kosovo l'a montré : si l'Europe n'a assuré que 20 % des missions de frappe aérienne, c'est par choix et non du fait de capacités limitées. Le fait que son niveau de participation à la force terrestre déployée au Kosovo soit bien supérieur à celui des Etats-Unis résulte d'ailleurs tout autant d'un choix ;

- en matière de complémentarité des systèmes de défense européens, il existe actuellement une volonté commune des Européens de passer des décisions politiques symboliques, telles que la constitution de la brigade franco-allemande, de l'Eurocorps, de l'Euromarfor, etc. à la mise en _uvre de systèmes opérationnels, que la France propose d'ailleurs depuis longtemps déjà. Tel est le sens de l'évolution de l'Eurocorps vers une force de réaction rapide et de la décision de doter l'Euromarfor d'une structure permanente nécessaire à sa crédibilité. La prochaine loi de programmation militaire devra prendre en compte ces perspectives de complémentarité intereuropéenne accrue. Elle devra cependant tout autant tenir compte du fait que la complémentarité a ses limites : d'une part, les coalitions d'Etats ad hoc qui se forment peuvent différer selon la nature de la crise ; d'autre part, la persistance d'intérêts exclusivement nationaux nécessite le maintien de capacités d'action autonomes pour la France ;

- en matière de recherche et développement, la démarche adoptée est celle d'une sélection, au niveau national, des créneaux jugés prioritaires, qui sont ensuite présentés à nos alliés européens en vue de la constitution de partenariats de compétences croisées. Dans cette perspective, un pas important a été franchi avec la présentation au Royaume-Uni et à l'Allemagne du plan prospectif à trente ans, document de référence pour l'équipement à long terme de nos forces. L'étape du décloisonnement des planifications nationales, que la France a proposé à ces mêmes partenaires, n'a pas encore rencontré leur adhésion ;

- la question du provisionnement des crédits nécessaires au financement des opérations extérieures est depuis longtemps objet de débats. L'orthodoxie budgétaire commanderait d'évaluer le socle de dépenses reconduit d'année en année et de le provisionner en loi de finances initiale. Faute d'une telle démarche, et le titre III ne pouvant assumer cette dotation sous enveloppe constante, le ministère de la Défense en est réduit aux deux expédients que sont le provisionnement minimal de crédits dans un article en loi de finances initiale (160 millions de francs en rémunérations et charges sociales dans le projet de loi de finances pour 2000) et l'annulation, en cours d'année, de crédits sur le budget d'investissement qui retarde d'autant la modernisation des équipements militaires, afin de gager des ouvertures de crédits pour financer les surcoûts en dépenses ordinaires.

M. Pierre Lellouche a alors estimé nécessaire de créer un titre nouveau dans le budget de l'Etat, distinct des titres III, V et VI pour y inscrire les crédits destinés au financement des opérations extérieures. Des procédures seraient alors mises en place pour permettre la consommation des crédits de ce titre en fonction des besoins.

M. François Lamy a fait observer que le problème du financement des opérations extérieures était régulièrement discuté à l'occasion des débats sur la loi de finances rectificative. Il a ajouté qu'aux termes d'une décision du Conseil de défense de mars 1997 distinguant les opérations extérieures normales et exceptionnelles, les secondes devraient être financées sans prélèvement sur les ressources de la Défense.

M. Arthur Paecht s'est demandé s'il ne fallait pas faire appel au financement de l'organisation internationale sur le mandat de laquelle les opérations extérieures étaient exécutées.

M. Pierre Lellouche a objecté que la pénurie des ressources de l'ONU rendait ce système difficilement praticable et que l'OTAN disposait déjà de procédures particulières de financement.

Le Président Paul Quilès a rappelé que M. François Lamy préparait un rapport d'information sur la question du contrôle parlementaire des opérations extérieures, dans lequel il traiterait également des procédures permettant leur financement.

Il a souligné que la Commission de la Défense reprendrait ce débat à l'occasion de l'examen de ce rapport d'information et du prochain projet de loi de finances rectificative.

Le Général Jean-Pierre Kelche a alors indiqué que les majorations de crédits prévues pour les munitions dans le projet de loi de finances pour 2000 avaient réduit d'autant les dotations destinées à la modernisation de l'équipement des armées.

S'agissant du niveau des autorisations de programme demandées dans le projet de budget, il a constaté qu'il se traduirait par un report de certaines commandes globales, qui pèserait sur les dotations d'équipement de 2001. A cet égard, il a estimé nécessaire d'augmenter le montant des autorisations de programme dans le budget de 2001, afin de passer ces commandes globales. Il a indiqué que, pour les commandes globales prévues dès 2001 dans le cadre des trois programmes NH 90, M 51 et Rafale, environ 18 milliards de francs d'autorisations de programme seraient nécessaires.

Évoquant enfin le refus du Sénat américain d'approuver le traité d'interdiction complète des essais nucléaires, il a estimé qu'il aurait un impact considérable sur l'opinion mondiale et risquait de constituer un encouragement à la prolifération des armes nucléaires.

Le Général Jean-Pierre Kelche a toutefois indiqué que les orientations de la politique américaine n'étaient pas de nature à entraîner une modification de la doctrine de dissuasion française, en vertu de laquelle l'armement nucléaire de la France était dimensionné afin de faire face tant à une agression majeure qu'à celle d'un trublion de dimension régionale. On peut toutefois craindre que les trublions régionaux ne se multiplient après la décision du Sénat américain.

De même, il a jugé grave la décision américaine de remettre en cause le traité ABM, tout en notant que la position française, pourtant rationnelle, n'était pas reçue par des interlocuteurs américains, qui ne comprennent pas que puisse être contesté aux Etats-Unis le droit de défendre leur territoire et leur population contre des Etats voyous (rogue states). Il a estimé que l'argumentaire français devait mettre l'accent sur le caractère inacceptable de la démarche bilatérale actuellement suivie par les Etats-Unis. Il a ajouté que ces initiatives risquaient d'alimenter la course aux armements dans certaines régions, telles que le Golfe, le sous-continent indien ou le sud-est asiatique, qui constituaient autant de zones où pouvaient apparaître des menaces de nature balistique.

Rappelant que la doctrine classique française de dissuasion nucléaire conduisait à faire l'impasse sur les moyens de défense antibalistique, M. Pierre Lellouche s'est interrogé sur les conséquences stratégiques de l'évolution de la position américaine.

M. René Galy-Dejean a souligné que le coût d'un programme de défense antibalistique avoisinait les 300 milliards de francs.

Le Général Jean-Pierre Kelche a estimé que la dissuasion offrait une garantie de sécurité crédible contre les menaces de tirs balistiques nucléaires. Il a par ailleurs exprimé ses doutes sur la possibilité d'édifier un bouclier antibalistique parfaitement étanche à l'échelle de l'Europe, ajoutant que vouloir suivre la voie des États-Unis en ce domaine reviendrait à s'engouffrer dans un piège financier similaire à celui qui avait été fatal aux Soviétiques lorsqu'avait été lancée l'initiative de défense stratégique. Il s'est néanmoins prononcé en faveur d'une vigilance accrue en matière de lutte contre la prolifération. La priorité n'en restait pas moins de construire un outil capable de faire face aux crises survenant en Europe.

Revenant sur l'état des ressources en appelés, il a insisté sur la difficulté à prévoir le comportement des jeunes bénéficiant d'un report d'incorporation. Le déficit actuellement constaté porte sur de multiples emplois, pour lesquels des palliatifs partiels de sous-traitance sont étudiés.

A une question de M. Arthur Paecht sur les problèmes d'effectifs du service de santé des Armées liés à la diminution du nombre d'appelés, le Général Jean-Pierre Kelche a indiqué que la situation demeurait difficile aux niveaux de la sélection et du recrutement des personnels employés sur contrats civils.

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