Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission de la défense nationale et des forces armées (1999-2000)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 29 mars 2000
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président,
et de M. Jean-Bernard Raimond, Vice-Président
de la Commission des Affaires étrangères

SOMMAIRE

 

Page

- Audition de M. Bernard Kouchner, Chef de la Mission d'Administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo


2

La Commission a entendu, conjointement avec la Commission des Affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, Chef de la Mission d'Administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo.

Mettant en exergue les lourdes tâches de M. Bernard Kouchner, Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU au Kosovo, le Président Paul Quilès a rappelé que la résolution n° 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies charge la Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) d'exercer les fonctions administratives de base dans la province, d'y organiser la mise en place d'institutions provisoires pour une autoadministration démocratique, et d'en déterminer le statut futur.

Observant que beaucoup avait déjà été accompli sous l'autorité de M. Bernard Kouchner, tout particulièrement dans le domaine du rétablissement des services publics de base et de l'association de la population albanophone à l'administration de la province, il a néanmoins souligné que la mission du Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU au Kosovo se trouvait à une période cruciale de son action. Il a souligné que le dernier rapport du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de sécurité donnait une image encore sombre de la situation. Le niveau et la nature de la violence dirigée contre les minorités en situation de vulnérabilité sont considérés dans ce rapport comme inacceptables. Quant aux événements de Mitrovica, ils montrent que les tensions ethniques peuvent toujours déclencher de nouveaux cycles dramatiques de violence et de vengeance. L'impunité des auteurs de crimes persiste. L'appareil judiciaire reste à construire. Les forces de police sont insuffisantes. Enfin, les représentants des minorités, et tout particulièrement des Serbes, restent éloignés des tâches administratives auxquelles la population albanophone est associée par l'intermédiaire de la Structure administrative intérimaire mixte (JIAS).

Le Président Paul Quilès a salué les efforts entrepris par M. Bernard Kouchner pour organiser des élections locales, qui pourront poser les bases d'une société civile démocratique au Kosovo tout en observant que, selon le dernier rapport du Secrétaire général de l'ONU au Conseil de sécurité, la province était loin de connaître une situation de réconciliation, et même de simple tolérance. Soulignant que les progrès accomplis ne pouvaient encore être tenus pour irréversibles et que le risque de nouvelles violences subsistait, par exemple sous l'effet d'une détérioration de la situation dans la région de Presevo, en Serbie proprement dite, il a remercié le Représentant du Secrétaire général de l'ONU d'être venu devant les Commissions des Affaires étrangères et de la Défense nationale de l'Assemblée nationale. Il a estimé qu'il serait très utile pour l'information de ces Commissions qu'il leur précise les difficultés auxquelles il se trouve confronté ainsi que les mesures qui lui paraissent nécessaires pour les surmonter. Faisant état de la dernière intervention de M. Bernard Kouchner devant le Conseil de sécurité, dans laquelle il énonçait deux impératifs : donner confiance aux Serbes et aux minorités et préciser l'avenir pour les Kosovars albanophones, il lui a demandé quelles actions concrètes pouvaient permettre de respecter ces impératifs dans le cadre de la résolution n° 1244.

Après avoir remercié de leur présence les représentants des Ambassades d'Italie et d'Allemagne en France, M. Jean-Bernard Raimond, Président, a évoqué la première rencontre qu'il avait eue, en septembre 1982 à Varsovie, avec M. Bernard Kouchner, lequel menait une délégation comprenant, entre autres, Simone Signoret et le philosophe Michel Foucauld, afin de rencontrer Lech Walesa, emprisonné en application de l'état d'urgence décrété par le Général Jaruzelski. A l'appui de cette démarche, M. Bernard Kouchner avait déjà évoqué un droit d'ingérence qui est, depuis, selon ses propres termes, entré dans les faits, dans la réflexion et dans les c_urs. Evoquant le conflit de Tchétchénie, M. Jean-Bernard Raimond, a regretté, à cet égard, qu'aucun geste des pays du G 7 n'ait été accompli en faveur des populations tchétchènes, tout en soulignant qu'il était encore temps de le faire.

Se référant aux déclarations du Secrétaire d'Etat américain, Mme Madeleine Albright et du Haut Représentant de l'Union européenne pour la PESC, M. Javier Solana, il a demandé à M. Bernard Kouchner son sentiment sur la possibilité de parvenir à la stabilité dans la région des Balkans tant que Slobodan Milosevic resterait au pouvoir en Serbie.

M. Bernard Kouchner, Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU au Kosovo et chef de la MINUK, a souhaité faire le point sur la réalité, qu'il a qualifiée de problématique, de l'application de la résolution n° 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui guide la démarche de la communauté internationale au Kosovo. Rappelant que neuf mois seulement s'étaient écoulés depuis le début de l'intervention de la MINUK, il a souligné que ce laps de temps, qui pouvait paraître long à ceux qui _uvrent quotidiennement au Kosovo, restait court au regard de l'Histoire et de l'expérience de la plupart des autres missions de maintien ou d'imposition de la paix conduites par l'ONU, telles que celles d'Angola et du Liban. A cet égard, il a attiré l'attention sur l'impossibilité de changer la réalité des comportements individuels en quelques mois seulement, ajoutant qu'exiger le contraire de la MINUK reviendrait à condamner son action.

Le Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU a mis en exergue le contexte de l'action des Nations Unies au Kosovo, rappelant qu'en juin 1999 huit cent mille réfugiés kosovars d'origine albanaise se trouvaient aux pourtours de la province et que cent cinquante mille autres s'étaient réfugiés dans d'autres pays. Il a ajouté qu'il n'existait alors plus d'administration, dans la mesure où l'émigration des Kosovars d'origine serbe, qui monopolisaient les fonctions administratives, avait provoqué un vide que les Kosovars d'origine albanophone ne pouvaient pas combler immédiatement. Il a fait valoir que, face à cette situation, la MINUK, aidée par la KFOR, avait permis le retour des réfugiés dans des conditions relativement bonnes, en recréant progressivement des possibilités de logement, fortement réduites par la destruction de cent vingt mille maisons par les milices serbes. Il a également indiqué que la MINUK rencontrait des difficultés pratiques de fonctionnement du fait de la présence d'un grand nombre d'organisations non gouvernementales (environ trois cent quatre-vingts) dont la coordination n'est pas aisée et l'efficacité inégale, mais aussi en raison des différences d'approche et de méthode des personnels issus de ses quatre composantes respectivement constituées par l'OSCE, le Haut commissariat des Nations Unies aux Réfugiés, l'Union européenne et l'ONU. Il a souligné que l'expérience de la MINUK était à cet égard sans précédent et différait, par exemple, de celle de la mission des Nations Unies au Timor oriental, organisée sous la forme d'une structure unique.

M. Bernard Kouchner a expliqué qu'à l'instar du Représentant du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés, il avait craint au début de son mandat les conséquences de l'hiver très rude qui caractérise le Kosovo, rappelant qu'alors les maternités n'étaient pas chauffées.

S'agissant de la démilitarisation de l'UCK, imposée par un document annexé à la résolution n° 1244, M. Bernard Kouchner a rappelé qu'il s'agissait de la première expérience de ce type menée par une force d'intervention internationale. Il a estimé qu'en dépit de la difficulté de la tâche, notamment dans un pays gorgé d'armes, il était parvenu à faire respecter, pour l'essentiel, l'accord de désarmement signé par le Général Michael Jackson, alors commandant de la KFOR, l'armée de libération du Kosovo ayant rendu quelque 10 000 armes qu'elle possédait. Il a souligné que ce résultat, satisfaisant malgré le caractère encore inachevé du processus de désarmement, permettait d'envisager avec confiance la transformation de l'UCK en force civile, sous l'appellation de Kosovo Protection Corps (KPC). Il a précisé que l'objectif de la communauté internationale était désormais de former dans ce cadre des unités civiles, dont l'effectif serait de 5 000 personnes. Il a indiqué à cet égard que les programmes d'entraînement français et japonais conduisaient à des résultats encourageants, le KPC ayant déjà achevé la reconstruction de 3 200 maisons, dont 300 serbes.

Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies a ensuite expliqué que, dans le silence de la résolution n° 1244, il avait fait le choix d'associer toutes les tendances kosovares à la reconstruction politique du Kosovo. Il a justifié ce choix par la nature même de la mission qu'il exerce au Kosovo, qui n'est pas humanitaire mais politique, dans toute l'acception du terme. Conscient de la nature politique des enjeux de sa mission, M. Bernard Kouchner a d'ailleurs cherché activement à mettre en contact MM. Ibrahim Rugova et Hashim Thaci, ce qu'il a obtenu après deux mois et demi d'efforts.

M. Bernard Kouchner a ensuite présenté les organes politiques mis en place. En premier lieu, le Kosovo Transitional Council, qui constitue une structure consultative à vocation législative, compte 38 membres issus de toutes les communautés présentes au Kosovo, de la société civile et des différentes religions ; en deuxième lieu, l'Interim Administrative Council, qui rassemble les représentants des tendances politiques ayant participé aux discussions de Rambouillet -sauf les Serbes qui, pour des raisons de sécurité et des motifs internes à leur communauté, ont choisi de quitter cette enceinte - est un embryon de pouvoir exécutif ; il existe enfin un appareil administratif composé de vingt départements, codirigés chacun par deux responsables, dont un représentant de la communauté internationale (MINUK, OSCE, Union européenne). M. Bernard Kouchner a souligné le caractère unique de ce mécanisme d'association politique au sein d'une mission de rétablissement de la paix mise en _uvre par la communauté internationale, ajoutant que la mission mise en place au Timor oriental exerçait son action dans un contexte de tolérance très différent de celui du Kosovo.

Abordant enfin la question des élections, M. Bernard Kouchner a rappelé que se tiendraient, conformément à la décision du Conseil de sécurité des Nations Unies, des élections locales, qui devraient avoir lieu en octobre, sous réserve de l'enregistrement de l'ensemble de la population. Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies a estimé qu'en vue du bon déroulement de ces élections, il fallait à tout prix rassurer les Serbes, mission difficile dans un contexte de violence et d'insécurité où étaient commis de quatre à cinq meurtres par semaine. Il a toutefois précisé que ce chiffre, encore trop élevé, représentait une amélioration au regard des quelque 40 à 50 meurtres qui étaient perpétrés chaque semaine au début de son mandat.

Il a souligné que la fréquence des meurtres commis au Kosovo était à présent comparable à celle des grandes villes d'Europe et que ce résultat avait été atteint malgré un effectif insuffisant de policiers qui obligeait les forces de la KFOR à exercer un métier de maintien de l'ordre pour lequel elles ne sont pas préparées.

Il a également convenu que la nécessité de redonner confiance à toutes les communautés se heurtait à celle d'ouvrir les fosses communes à la demande du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (sur environ 550 fosses communes répertoriées, seules environ 150 ont été ouvertes). Il n'a pas, par ailleurs, été possible de protéger les personnes isolées appartenant aux communautés minoritaires malgré les efforts déployés, notamment par les Britanniques à Pristina et les Français à Mitrovica. On a donc assisté à un phénomène de regroupement des communautés minoritaires.

M. Bernard Kouchner a alors estimé qu'après avoir élaboré un statut des minorités, il serait impératif de donner un sens à la notion d'autonomie substantielle, ce qui supposait de revenir aux travaux de la conférence de Rambouillet et au statut d'autonomie de la province mis en place par le Maréchal Tito.

En conclusion, M. Bernard Kouchner a regretté que seuls les événements négatifs soient soulignés par les médias alors que de réels progrès ont été accomplis, qu'ainsi par exemple des systèmes bancaires et d'assurances ont été mis en place, qu'un système hospitalier fonctionne et que, pour la première fois depuis 10 ans, près de 90 % des enfants sont maintenant scolarisés.

Le Président Paul Quilès, après avoir jugé impressionnant le travail accompli par la MINUK, a souhaité savoir comment se réglaient les éventuelles divergences de vues qui pouvaient l'opposer à la KFOR. Il s'est également demandé si la situation serait suffisamment calme pour autoriser l'organisation des élections locales à l'automne et a posé la question de l'élection éventuelle, à une échéance ultérieure, d'une assemblée représentative à l'échelle de la province, tout en soulignant le risque que cette assemblée se prononce dès sa constitution pour l'indépendance. Enfin, après s'être enquis de l'appréciation de M. Bernard Kouchner sur l'apparition de certaines formes de criminalité organisée, comme la prostitution, le trafic de drogues ou le recel de voitures volées, il lui a demandé quel était le niveau d'effectifs qu'il jugeait nécessaire d'affecter aux forces de police pour lutter contre ces formes de criminalité et, plus généralement, établir une situation d'Etat de droit.

Après avoir félicité Bernard Kouchner pour son rôle pacificateur, dont il a jugé qu'il méritait estime et admiration, M. Pierre Brana a considéré que seules des élections locales pouvaient être envisagées dans un proche avenir, soulignant qu'elles étaient de nature à lancer un processus démocratique, longtemps absent de la région, en habituant les différentes communautés à la recherche de solutions en commun tout en permettant de faire le point sur l'influence réelle des partis politiques. Il s'est demandé si les élections n'allaient pas aboutir à une compétition entre les mouvements de MM. Hashim Thaci et Ibrahim Rugova, estimant réelles les chances de succès du second de ces mouvements, de tendance modérée.

Il a souhaité savoir quels mécanismes permettraient d'aplanir les différends entre les deux présences internationales civile et militaire au Kosovo, évoquant les tendances « proserbes » ou « proalbanaises » imputées à tel ou tel de leurs représentants. Enfin il s'est inquiété de la situation de M. Adem Demaci, ancien porte-parole de l'UCK.

M. René André a tout d'abord félicité M. Bernard Kouchner pour le travail effectué dans une région remplie de contradictions. Evoquant la place des Serbes au Kosovo, il a demandé quelle était l'influence actuelle de Monseigneur Artemije, dont le parti avait désavoué la politique menée par Slobodan Milosevic. Il s'est également interrogé sur les conditions mentionnées par le ministre russe des Affaires étrangères, M. Igor Ivanov, pour le rétablissement durable de la paix, et demandé en particulier à M. Bernard Kouchner s'il jugeait réaliste celle relative au retour d'un contingent limité de forces yougoslaves au Kosovo. Enfin, après avoir exprimé des inquiétudes sur la participation des Serbes aux élections locales, il a estimé qu'il convenait d'exclure toute référence à l'indépendance de la province et de s'en tenir au statut prévu d'autonomie substantielle.

M. Jacques Myard a estimé que M. Bernard Kouchner pouvait être surnommé « M. Mission impossible ». Les puissances mondiales lui ont demandé de résoudre la quadrature du cercle : trouver une solution politique alors qu'il n'en existe peut-être pas. Le succès de la MINUK se mesurera à son départ, si la situation du Kosovo reste stable. Pour le moment, deux légitimités s'affrontent : d'une part, la logique de l'indépendance jugée intolérable par les Serbes qui avaient déjà considéré comme un chiffon rouge la notion d'autonomie substantielle incluse dans les accords de Rambouillet ; d'autre part, la partition refusée par les Kosovars. Quelle peut donc être la solution politique stable ?

M. Georges Hage a souligné les difficultés de la tâche de M. Bernard Kouchner. Ce dernier a eu raison d'évoquer le temps historique mais il faut également penser au temps vécu, celui des Kosovars qui subissent la situation actuelle. M. Georges Hage a tout d'abord fait référence aux réflexions de M. Alain Badiou qui a dressé le constat suivant : hier, des miliciens au nom de la nationalité serbe persécutaient les Albanais ; aujourd'hui, des miliciens au nom de la nationalité albanaise persécutent les Serbes et les Tsiganes. La différence, c'est que cette fois, la purification ethnique semble réussir. L'OTAN est en cela plus efficace que M. Slobodan Milosevic.

M. Georges Hage a ensuite demandé si l'opération de guerre qui avait été menée au nom du droit d'ingérence, sous l'égide de l'OTAN, contre des peuples faibles, devait être considérée comme la préfiguration d'une stratégie permanente à laquelle la France serait inéluctablement liée.

M. François Lamy a demandé si les structures complexes de la MINUK offraient un outil bien adapté dans tous les domaines et s'il ne serait pas opportun d'avoir recours, pour l'organisation des forces de sécurité et d'ordre public, au concept de nation cadre utilisé pour le commandement des forces d'intervention de nature militaire.

M. Bernard Kouchner a estimé que l'entente entre la MINUK et la KFOR n'a jamais été aussi bonne. Une réunion rassemble chaque jour entre 17 et 18 heures, le général commandant de la KFOR, ses adjoints et les responsables de la MINUK. Tout le monde n'est pas toujours d'accord mais chacun y met du sien. Il n'y a jamais eu de vraie opposition même si certaines divergences ont pu exister, concernant par exemple la démilitarisation. La KFOR compte environ 45 000 personnes, la MINUK 2 500. Les militaires, plus nombreux, assument également des actions humanitaires, ce dont M. Bernard Kouchner s'est réjoui, mais ce qui suscite parfois des polémiques avec les professionnels de l'humanitaire. La KFOR et la MINUK se rejoignent sur un même but : l'application de la résolution n° 1244. Toutes les décisions sont communes et aucune polémique n'a éclaté jusqu'à présent, même quand on a voulu élargir la zone de confiance à Mitrovica. Au Timor oriental toutefois, l'organisation est différente puisque M. Sergio Vieira de Mello commande à la fois la structure civile et militaire.

S'agissant des élections, certes il y aura des tensions. Mais la KFOR est partie prenante pour assurer la sécurité au cours de cette période. Les Kosovars ont déjà voté dans des conditions équivalentes sous le régime de Milosevic, avec de l'ordre de 85 % de participation. Si on réussit à tenir ces élections, elles permettront de connaître la configuration des forces politiques en présence. Une crise peut évidemment éclater à tout moment ; des tensions sont à craindre au moment des élections, mais tous les partis politiques souhaitent leur organisation. Lors de ce scrutin, on assistera à une compétition entre M. Thaci et M. Rugova mais d'autres partis se manifesteront aussi.

En ce qui concerne les forces de police, elles s'élèvent à environ 2 500 personnes, ce qui n'est pas suffisant ; la MINUK avait demandé 6 000 mais 5 000 serait déjà un effectif plus satisfaisant. Cependant certains signes positifs doivent être relevés ; ainsi, sur les 170 membres de la police du Kosovo, 30 sont serbes. Il y a beaucoup d'exagération dans les différents reportages sur la criminalité au Kosovo : contrairement à leurs conclusions, on n'est pas frappé par l'ampleur de la prostitution, même si certains réseaux ont été découverts. Il en est de même pour la drogue. Il est vrai que, comme à Paris, elle circule mais le trafic n'a pas l'ampleur qu'on lui prête en raison de la forte présence policière (800 opérations de police et 200 barrages en moyenne, chaque jour). En revanche le trafic de voitures volées est important, elles constituent la moitié du parc et on tente d'y remédier en réinstituant une immatriculation des véhicules.

Il n'est évidemment pas aisé d'animer une police multinationale où 23 nationalités cohabitent. A cet égard, il a souligné l'excellence du travail accompli par les Russes à Pristina. Il a également fait état de la bonne intégration des forces russes au sein de la KFOR.

Lorsqu'il a présenté sa mission au Conseil de Sécurité, elle a été approuvée par tous, notamment par le représentant russe. Le maintien de la paix est prioritaire et remettre actuellement des troupes yougoslaves aux frontières risquerait de déclencher une reprise de la guerre.

L'utilisation du deutsche mark au Kosovo obéit à une logique puisque c'était la monnaie déjà en circulation auparavant, comme du reste en Serbie et au Monténégro, ce qui évitait d'en émettre une autre ; le dinar circule également, mais on ne peut investir dans cette monnaie ni opérer de transactions avec l'étranger.

M. Bernard Kouchner s'est défendu d'être pro-serbe ou pro-albanais : les dictatures doivent toutes être rejetées et il faut se battre contre elles.

Dans la KFOR il y a des cultures différentes mais chacun obéit aux consignes et aux ordres. Les attaques contre les Français sont totalement injustifiées. Il faut se rappeler que le contingent français est arrivé à Mitrovica en pleine crise, la situation y était très difficile.

M. Bernard Kouchner a fait part de son indignation quant aux commentaires de certains journaux selon lesquels il exaspérerait l'armée française. Ces insinuations sont sans fondements : M. Bernard Kouchner voit les militaires français quotidiennement et travaille étroitement avec eux. Il refuse une autre critique qui lui est souvent faite, celle d'un excès de précipitation. Il a été accusé de proposer une solution trop rapide pour l'administration de Mitrovica, mais son plan est pourtant en train d'être mis en _uvre. Il a enfin réfuté les accusations le présentant comme anti-serbe, alors qu'il a un grand respect pour le peuple serbe, dont il faut reconnaître l'influence positive dans l'histoire.

Répondant aux questions de M. René André, M. Bernard Kouchner a exprimé son admiration pour la personnalité de Monseigneur Artemije, le président du Conseil national des Serbes, mais celui-ci ne semble pas majoritaire dans sa communauté. Ainsi, s'il préfère les démocrates, M. Bernard Kouchner rencontre, à l'exception des mouvements les plus extrémistes, tous les Serbes, notamment les membres de l'Assemblée nationale serbe, et même le représentant de M. Slobodan Milosevic. Sur la question du vote des Serbes, il espère pouvoir enregistrer sur les registres électoraux toutes les personnes concernées de cette communauté, où qu'elles se trouvent actuellement. Enfin, la proposition de M. Igor Ivanov de permettre le retour des troupes fédérales yougoslaves aux frontières est irréaliste.

M. Bernard Kouchner a précisé qu'il ne parlait jamais de l'indépendance du Kosovo. Réussir la substantielle autonomie de la résolution n° 1244 est déjà une entreprise très difficile. L'autonomie est d'ailleurs une formule qui a fonctionné sous Tito de façon assez satisfaisante. Parvenir à une solution est une mission difficile et exaltante, mais certainement pas impossible. Mettre en place la démocratie dans un pays de deux millions d'habitants doit être à la portée de l'Union européenne et des pays engagés dans la KFOR et la MINUK. Si les moyens nécessaires sont accordés, cet objectif devrait pouvoir être atteint.

Suite à une question de M. Jacques Myard lui demandant quand cessera la présence internationale au Kosovo, M. Bernard Kouchner lui a répondu qu'il estimait que les troupes de l'OTAN étaient là pour longtemps.

Le Président Paul Quilès a observé à cet égard qu'il y a des zones dans le monde, Chypre par exemple, où la présence durable de forces internationales permet d'éviter les affrontements, même si elle ne résout pas tous les problèmes.

M. Jean-Bernard Raimond a estimé que les troupes de l'OTAN resteraient aussi longtemps que M. Slobodan Milosevic resterait au pouvoir.

M. Bernard Kouchner a déclaré qu'une évolution interne du Kosovo ne suffira pas à elle seule à la mise en place d'un règlement durable, qui dépend de la situation de l'ensemble des pays de la région. C'est d'ailleurs dans un cadre régional qu'il faut envisager l'avenir, car ces pays peuvent réaliser eux aussi, par l'ouverture des frontières, la libéralisation du commerce, le développement de leurs relations de toute nature, ce que les pays d'Europe occidentale ont mis cinquante ans à réaliser.

Concernant la question de la partition, il faut rappeler que les limites du Kosovo doivent demeurer : une autre solution n'est pas viable, car impossible à réaliser. En revanche, cette position impose le devoir d'assurer la sécurité des communautés, et notamment des Serbes. Or il est vrai que la communauté internationale n'y a pas encore réussi.

Les évolutions parfois nous surprennent, il ne faut donc pas faire preuve d'un excès de pessimisme. Il faut en effet se rappeler la situation à Beyrouth ou à Londonderry il y a 15 ans : la fin de la partition y paraissait alors irréaliste. A Mitrovica par exemple, M. Bernard Kouchner pense que les Serbes et les Albanais vont finir par se parler et que l'administration commune pourra se mettre en place.

Sa qualité d'universitaire n'a pas empêché M. Alain Badiou de s'exprimer avec légèreté sur une question grave. Son absence de protestations lors des massacres d'Albanais commis l'an dernier le discrédite. L'épuration ethnique s'est déroulée avant l'arrivée de la KFOR et pas maintenant. Comment rétablir la confiance et la tolérance dans une région où tant d'innocents ont été assassinés et où plusieurs milliers de personnes d'origine albanaise sont toujours portées disparues ? M. Alain Badiou devrait mieux se renseigner.

Le droit d'ingérence n'aura sa véritable signification que lorsqu'il sera appliqué à titre préventif, pour empêcher les massacres. L'intervention de l'Alliance atlantique au Kosovo répondait à un objectif humanitaire, mais était tardive.

Le modèle de la nation cadre ne paraît pas transposable à la police internationale présente au Kosovo, qui est dirigée par un commissaire danois bien que les Américains fournissent les effectifs les plus nombreux. L'adéquation entre la nationalité des titulaires des fonctions principales de commandement et celles du plus gros contingent n'est pas indispensable.

La faille du système répressif résulte plutôt de l'absence d'autorité judiciaire organisée et impartiale, les magistrats serbes et albanais favorisant leurs compatriotes. M. Bernard Kouchner réclame à tous les pays, y compris au sien, des juges internationaux : il n'en a été pour l'instant affecté que deux à la MINUK.

Les interventions internationales continuent à être discréditées par le sentiment qu'il existe deux poids et deux mesures en fonction des circonstances. Toutefois l'idée de protection internationale des groupes humains progresse, même si l'expression « droit d'ingérence » est encore trop souvent considérée comme péjorative, notamment en France. Un jour viendra où cette protection sera confiée à une institution internationale spéciale, plus proche d'une force de police que d'une armée, à la disposition d'une ONU réformée.

Slobodan Milosevic est à l'évidence un obstacle à l'établissement d'une paix durable, mais cela ne doit pas empêcher les pays participant aux actions de la communauté internationale dans les Balkans de nouer des liens avec la société civile serbe. Isoler les Serbes dans leur ensemble reviendrait à renforcer leur intransigeance.

Félicitant le Représentant spécial pour la clarté de son exposé et de ses vues, pour son volontarisme et pour sa fougue, qu'il savait paradoxalement allier avec la patience, le Président Paul Quilès l'a assuré de la fierté qu'il éprouvait, en tant que Français, à constater le travail accompli en neuf mois par un concitoyen à la tête d'une mission telle que la MINUK.

Il a par ailleurs souligné qu'il ne pourrait exister de véritable droit d'ingérence sans réforme en profondeur de l'ONU, et tout particulièrement de son Conseil de sécurité, rappelant qu'un groupe d'études venait de se constituer à l'Assemblée nationale pour examiner cette question, dans le cadre d'une réflexion globale sur la prévention des conflits et le maintien de la paix.

--____--


© Assemblée nationale