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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 juin 2000
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Communication de MM. Pierre Lellouche et Guy-Michel Chauveau sur les travaux de la mission d'information sur la prolifération nucléaire et balistique .


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- Informations relatives à la Commission

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La Commission a entendu une communication de MM. Pierre Lellouche et Guy-Michel Chauveau sur les travaux de la mission d'information sur la prolifération nucléaire et balistique.

Le Président Paul Quilès a tout d'abord indiqué que la communication de la mission d'information constituée de MM. Guy-Michel Chauveau, Pierre Lellouche et Aloyse Warhouver porterait essentiellement sur les projets américains de défense nationale du territoire (national missile defense ou NMD). Il a fait observer que cette question dominait en effet le débat actuel sur la prolifération, les partisans américains de la NMD la considérant comme la seule réponse réaliste aux risques créés par l'émergence de nouveaux Etats capables de se doter d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs, tandis qu'en Europe elle était source de préoccupation ou même d'inquiétudes, certains y voyant une mise en cause grave des équilibres de la dissuasion et des traités qui garantissent la stabilité stratégique dans le domaine nucléaire.

M. Pierre Lellouche a remercié le Président Paul Quilès d'avoir donné à la mission d'information sur la prolifération nucléaire et balistique les moyens de mener un travail approfondi sur une question importante pour l'avenir à long terme de la doctrine de défense de la France et de l'Europe. Il a ensuite exposé que cette mission d'information, qui travaillait selon une approche bipartisane, s'était fixé l'objectif très ambitieux de dresser un état des lieux de la prolifération nucléaire, balistique, chimique et biologique et d'en tirer des conclusions pour la politique de défense et de sécurité de la France et de l'Europe. Après avoir indiqué que M. Guy-Michel Chauveau et lui-même rencontraient à cette fin la plupart des responsables français compétents sur ces questions, il a ajouté que la mission s'était également rendue aux Etats-Unis et en Russie et prévoyait d'autres déplacements à l'étranger d'ici à la publication de son rapport au début de l'automne prochain. Il a précisé que le thème de son intervention, à savoir le projet des Etats-Unis de déployer un système de défense du territoire national contre les missiles balistiques intercontinentaux, connu sous le nom de NMD (National Missile Defense) ne serait qu'un des sujets abordés par le rapport de la mission d'information.

Rappelant que la NMD avait été l'un des thèmes principaux du récent sommet entre la Russie et les Etats-Unis, M. Pierre Lellouche a estimé qu'elle devrait continuer à faire l'actualité alors qu'approche la date du troisième essai d'interception de missile, prévu en même temps que le prochain sommet du G 8.

Il a tout d'abord souligné que la question pertinente était aujourd'hui de savoir, non si les Etats-Unis allaient déployer une défense nationale antimissiles, mais comment ils allaient le faire. Le processus actuel semble en effet d'autant plus irréversible qu'il s'inscrit dans une histoire déjà longue, le thème de la défense antimissiles ayant été constant dans la pensée et les programmes militaires des Etats-Unis depuis la fin de l'invulnérabilité du territoire de ce pays, en 1957. Dès cette date en effet, est envisagé le déploiement d'un système comprenant 3 600 satellites en orbite basse, dit programme BAMBI (Ballistic Anti-Missile Boost Interceptor). Jugé irréaliste en 1964, ce programme est remplacé par le projet Sentinel, lancé en 1967 par le Secrétaire à la Défense Robert McNamara, dans le but officiel de protéger le territoire américain contre une attaque chinoise. Là encore, c'est un système de grande envergure qui est envisagé puisque l'objectif est de déployer 2 500 missiles intercepteurs, répartis sur 25 sites différents (16 sites équipés chacun de 100 missiles Spartan dotés d'une charge nucléaire en vue d'interceptions exo-atmosphériques et 9 sites équipés de missiles Sprint également pourvus d'une charge nucléaire mais destinés à des interceptions endo-atmosphériques). La mise en place d'un réseau de 23 radars d'alerte et de désignation d'objectifs est également prévue.

Le projet Safeguard développé sous l'administration Nixon reprend largement la configuration du programme Sentinel, mais en lui assignant un objectif différent : à la logique de défense s'ajoute le souci de rester dans la course technologique avec l'URSS qui poursuit également un programme ambitieux en ce domaine. Les progrès parallèles des négociations sur le contrôle des armements conduisent néanmoins à revoir à la baisse le projet dont le déploiement n'est plus envisagé que sur deux sites en 1971, configuration que le traité ABM de 1972 confirme en droit. L'amendement à ce traité, introduit en 1974, limite encore le schéma de déploiement puisqu'un seul site est autorisé pour chacune des parties : Moscou pour l'URSS, le site de Grand Forks, dans le Dakota du Nord, pour les Etats-Unis. Ce dernier est opérationnel le 1er octobre 1975, pour peu de temps toutefois, puisque, dès le mois de janvier 1976, le Congrès met fin au programme Safeguard. L'abandon de ce programme est en réalité lié à des difficultés techniques ainsi qu'à l'absence de concrétisation de la menace chinoise. La tentation de la défense est donc abandonnée au profit des concepts de dissuasion et de destruction mutuelle assurée sur lesquels sont encore fondés les équilibres stratégiques dans le monde. A cet égard, M. Pierre Lellouche a fait remarquer que l'idée selon laquelle la vulnérabilité des populations civiles était un gage de stabilité - idée qui est à la base du concept de dissuasion - apparaît révolutionnaire dans l'histoire stratégique, l'instinct naturel des sociétés les poussant au contraire à se défendre.

L'annonce par le Président Reagan de l'initiative de défense stratégique (IDS), le 23 mars 1983, marque le retour en force de la défense antimissiles dans le débat stratégique. Ce programme reposait sur l'idée radicale de supprimer l'arme nucléaire, au profit d'un programme de défense antimissiles extrêmement ambitieux et recourant aux technologies les plus novatrices. Si ce projet n'a pas abouti, il n'en reste pas moins que l'importance des ressources budgétaires qui lui ont été consacrées a pu contribuer à accélérer le processus de décomposition de l'URSS. La fin de la guerre froide ne s'est pas traduite par un abandon des projets de défense antimissiles, mais par leur adaptation au nouvel environnement stratégique. C'est ainsi que l'administration Bush a lancé le programme GPALS (protection globale contre des frappes limitées), afin de parer à l'éventualité d'un lancement accidentel ou non autorisé de missiles. Dans ce cadre, il était prévu de déployer avant 1996 mille intercepteurs au sol ainsi qu'un réseau de radars et de satellites d'alerte. Dans le même temps, les enseignements de la guerre du Golfe ont conduit les Etats-Unis à développer des programmes de défense de théâtre et, pour ce faire, à proposer à la Russie une adaptation du traité ABM.

M. Pierre Lellouche a estimé qu'au contraire des précédents projets, la NMD faisait aujourd'hui l'objet, dans la classe politique américaine, d'un consensus très large, fondé sur une estimation des menaces liées à l'émergence de nouvelles puissances nucléaires ou de nouvelles capacités balistiques. Il a jugé que la victoire du parti républicain au Congrès en 1994 avait marqué un tournant politique dans l'histoire de la défense antimissiles, les pouvoirs exécutif et législatif américains s'étant, depuis cette date, constamment affrontés sur cette question. Ainsi, en 1995, le Président Clinton a opposé son veto à une proposition de loi sur la défense antimissiles du territoire, en invoquant les menaces qu'elle faisait peser sur le processus de négociations START ; le Congrès n'en a pas moins voté une enveloppe de 3,7 milliards de dollars en faveur de l'ensemble des systèmes de défense antimissiles, supérieure de 30 % à la demande présidentielle. Une nouvelle offensive législative est intervenue en 1996, sous l'égide du leader de la majorité sénatoriale, Bob Dole, et du Speaker de la Chambre, Newt Gingrich. Si elle a échoué, elle n'en a pas moins influé sur la politique de l'administration qui a alors proposé un nouveau plan dit « 3 + 3 », soit trois ans de développement et trois ans de préparation en vue d'un déploiement éventuel d'un système de défense antimissiles national.

C'est au cours de l'année 1998 que les termes actuels du débat sur la NMD se nouent, avec la réalisation des essais nucléaires indiens et pakistanais et la publication du rapport de la Commission nommée par le Congrès pour évaluer la menace balistique et présidée par l'ancien Secrétaire d'Etat à la Défense Donald Rumsfeld. Ce rapport estime en effet que le territoire américain est exposé à la menace de tirs de missiles balistiques de la Corée du Nord, de l'Iran et de l'Irak à l'échéance de cinq à dix années. La crédibilité de ces estimations est renforcée par des essais successifs de missiles balistiques par plusieurs pays. Le 6 avril 1998, le Pakistan teste le Gahauri ; le 11 avril, c'est au tour de l'Inde de tester le missile Agni II. En juillet intervient un essai iranien. Enfin, le 31 août 1998, la Corée du Nord teste le Taepo Dong 1, qualifié par des experts américains de « tir de validation du rapport Rumsfeld ».

Ces différents événements conduisent l'administration Clinton à revoir sa position : le concept de « 3 + 3 » est abandonné au profit d'un nouveau calendrier. D'une part, en janvier 1999, le Secrétaire d'Etat à la Défense, William Cohen, annonce que l'administration décidera à l'été 2000 de déployer ou non une défense nationale antimissiles, tout en repoussant le délai limite de déploiement effectif de 2003 à 2005. D'autre part, l'administration Clinton propose pour la première fois une ligne budgétaire pour l'acquisition de matériels de défense antimissiles, gonflant ainsi le budget de la défense antimissiles de 6,6 milliards de dollars supplémentaires, 10,5 milliards de dollars étant prévus au total sur ce poste pour une période de cinq ans. Par ailleurs, sous la pression du Sénat, est promulgué, le 22 juillet 1999, le National Missile Defense Act, qui dispose que « la politique des Etats-Unis est de déployer aussitôt que techniquement possible une défense nationale contre une attaque limitée par des missiles, qu'elle soit accidentelle, non autorisée ou délibérée ». En décembre 1999, un document publié par la Maison Blanche, A National Security Strategy for a new Century (une stratégie de sécurité nationale pour un nouveau siècle), explicite les quatre critères qui fonderont la décision présidentielle de l'été 2000 :

- l'évolution de la réalité concrète de la menace ;

- l'état de la technologie validée par une première série de tests rigoureux et l'efficacité opérationnelle du système proposé ;

- le coût du système ;

- enfin, les conséquences de la poursuite du programme sur l'environnement stratégique global et sur les objectifs des Etats-Unis en matière de maîtrise des armements, en particulier dans le domaine de la réduction des armes nucléaires stratégiques dans le cadre de START II et START III.

M. Pierre Lellouche a indiqué que le calendrier actuel prévoyait l'élaboration d'une étude de faisabilité de la NMD par le Pentagone après la réalisation du troisième essai d'interception. C'est sur cette base que devrait être prise la décision de déploiement par le Président des Etats-Unis à l'automne prochain. Quatre options sont en fait possibles :

- retarder la décision de déploiement, ce qui revient à laisser le prochain Président des Etats-Unis décider de ce programme majeur ;

- prendre une décision de principe en faveur du déploiement, sans toutefois engager dès 2001 la construction de la base de lancement des intercepteurs, afin de ne pas violer le traité ABM. En effet, l'échéance prévue de 2005 pour le déploiement de la première phase du système national de défense antimissiles nécessite de commencer les travaux de construction du site des intercepteurs en Alaska au printemps 2001 (avril, mai ou juin, selon la rigueur de l'hiver). Mais, selon les études menées conjointement par des experts américains et russes au sein de la commission consultative permanente établie par le traité ABM, ces travaux s'assimilent à la construction d'un nouveau site ABM, en violation du traité. Le délai de six mois imposé par l'article XV du traité ABM avant le retrait effectif d'une partie nécessiterait donc de dénoncer ce traité au plus tard aux alentours de novembre 2000, s'il était décidé d'engager en 2001 la construction de la base de lancement des intercepteurs ;

- prendre la décision de déployer un système de NMD en 2005, ce qui revient à autoriser les travaux de construction de la base de lancement des intercepteurs dès 2001 et, dans l'absence d'accord avec la Russie sur l'adaptation du traité ABM, à un retrait américain de ce traité ;

- certains experts évoquent enfin un retour au calendrier initial, fixant l'échéance du déploiement à 2003, dans le cadre d'une action d'urgence justifiée par la menace.

M. Pierre Lellouche a ensuite présenté les différents types de programmes envisagés dans le domaine de la défense antimissiles et développés sous l'égide de l'organisation pour la défense contre les missiles balistiques (BMDO), placée sous la tutelle du Pentagone.

La NMD a pour mission de prémunir le territoire des cinquante états américains contre une frappe limitée de missiles balistiques. L'architecture retenue repose sur l'utilisation d'intercepteurs destinés à détruire par collision (Hit to Kill) les missiles attaquants. La man_uvre repose sur un dispositif sophistiqué de repérage, d'acquisition de la trajectoire et de guidage des intercepteurs, composé de satellites d'alerte avancée, de radars spéciaux, de senseurs infrarouge et d'un système intégré de communication, commandement et contrôle de l'engagement. Ce dispositif comprend cinq types d'éléments :

- le premier élément est constitué par un système de radars d'alerte avancée mis à niveau en vue de détecter et de suivre tout lancement de missiles à destination des Etats-Unis (Upgraded Early Warning Radars). Les systèmes d'alerte avancée actuels basés au sol devront être modernisés à cet effet de façon à acquérir les fonctions exigées par la NMD ;

- l'alerte avancée sera également assurée par moyens satellitaires. Dans un premier temps seront utilisés les satellites DSP (Defense Support Program), qui seront ensuite remplacés par le système satellitaire de senseurs à infrarouge SBIRS-High (Space-Based Infrared System) et complétés par les SBIRS-Low, satellites en orbite basse chargés de détecter et de suivre les missiles sur l'ensemble de leur trajectoire. Ils devraient permettre une estimation de la trajectoire des missiles beaucoup plus précoce que celle qui est actuellement possible et, de ce fait, une transmission des informations plus rapide au système de gestion du combat (Battle Management) et de C 3 (Commandement, contrôle et communications) ;

- le système intégré de communication, commandement et contrôle de l'engagement (BMC 3), troisième composante de la NMD, en est en quelque sorte le cerveau. C'est par son intermédiaire que le commandant en chef de la Défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD) contrôlera le système NMD. Cette composante a pour fonction de fournir une aide à la décision et de transmettre les instructions du commandement aux autres éléments du système ;

- le radar à bande large (X-Band Radar) doit rechercher et suivre la trajectoire du missile. Il doit distinguer les leurres, fournir des informations en continu pendant l'opération d'interception et, en définitive, une estimation de la frappe (« kill assessment ») qui évalue l'échec ou la réussite de l'interception ;

- les intercepteurs basés au sol (Ground-Based Interceptors ou GBI), sont en quelque sorte le bras armé de la NMD. Ces intercepteurs doivent frapper et détruire par la seule force de l'impact (Hit to Kill) les têtes d'un missile balistique soit à mi-course, soit dans la phase exo-atmosphérique de leurs trajectoires. Chaque GBI se décompose en un propulseur indépendant du véhicule tueur qui dispose de ses propres capacités de détection, de propulsion, de guidage et de calcul, la mise en _uvre de l'ensemble étant gérée par la base de lancement.

M. Pierre Lellouche a fait observer que le calendrier de la NMD avait beaucoup évolué. Jusqu'à la fin de l'année 1999, c'est une configuration en trois étapes qui était envisagée. Dans une première phase dite C-1 (capability-1), il était prévu de déployer à la fin de l'année 2005 un système composé de 20 intercepteurs basés en Alaska, de mettre à niveau 5 radars d'alerte existants en Alaska, sur les côtes Est et Ouest, au Groenland (Thulé) et au Royaume-Uni (Fylingdales Moor) et de construire un radar à bande large sur les îles Aléoutiennes. Dans une deuxième phase dite C-2 (capability-2), en 2007, 100 intercepteurs auraient été déployés sur le même site de l'Alaska, tandis que seraient construits d'autres radars à bande large en Alaska, au Groenland et au Royaume-Uni. La troisième et dernière phase aurait vu le déploiement de 250 intercepteurs en Alaska, mais également au Dakota du Nord, ainsi que 8 nouveaux radars à bande large sur les côtes des Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Groenland et éventuellement en Corée du Sud. A ce stade, le système aurait eu la capacité de traiter une attaque de quelques dizaines de têtes (environ quarante) avec des systèmes d'aide à la pénétration complexes, à l'échéance de 2010 ou 2011. A la fin de l'année 1999, ce schéma prévisionnel en trois étapes a été revu au profit d'un plan en deux phases, la phase C-1 étant en fait écartée au profit du passage direct à une configuration de type C-2, sous la réserve toutefois que seul un radar à bande large serait construit, en Alaska. Dans cette configuration baptisée « phase C-1 élargie », l'ensemble des 100 intercepteurs sera prêt en 2007 seulement, le système étant néanmoins opérationnel dès 2005.

M. Pierre Lellouche a rappelé que les Etats-Unis développaient par ailleurs cinq programmes de défense antimissiles de théâtre, qui se divisent en deux groupes : dans un premier ensemble, on trouve les programmes PAC-3 (Patriot Advanced Capabilities 3), Navy Area et MEADS (Medium Extended Air Defense System) dits « programmes de basse couche », au contraire des deux programmes THAAD (Theater High Altitude Area Defense System) et NTW (Navy Theater-Wide Defense) dits « programmes de haute couche ». Les « couches » caractérisant les capacités de ces systèmes sont en fait définies par l'altitude d'interception du missile attaquant, par sa vitesse mais également par celle du missile intercepteur.

Les différents programmes de défense antimissiles, et en particulier la NMD, donnent lieu à un effort de recherche-développement considérable, exerçant un effet d'entraînement dans le domaine des hautes technologies et dont l'incidence se fait sentir sur un large spectre de recherches d'intérêt militaire.

Abordant ensuite le débat suscité par le projet NMD, M. Pierre Lellouche a fait remarquer au préalable qu'aucun de ses éléments n'était susceptible de modifier le consensus politique qui s'était formé aux Etats-Unis en faveur de ce projet.

La première critique qui lui est adressée est d'ordre technique et repose sur le fait qu'il est toujours plus simple de saturer un système défensif que de développer une défense totalement efficace. Cet argument est résumé par la formule « les mathématiques sont contre les Américains ».

Un deuxième type de critiques porte sur l'évaluation de la menace, beaucoup de pays, dont la France, contestant sa réalité de la part d'Etats à faibles capacités techniques et industrielles comme la Corée du Nord. S'il est vrai que l'accélération de la prolifération balistique a été très forte au cours des années récentes, huit Etats disposant aujourd'hui de missiles à moyenne portée, la France conteste le lien systématique établi par les Etats-Unis entre capacités militaires et intention politique de les utiliser. S'agissant par exemple de la Corée du Nord, il semble paradoxal de tirer argument de l'imperméabilité des dirigeants de cet Etat aux calculs rationnels sur lesquels repose la dissuasion tout en poursuivant, comme le font les Etats-Unis, un programme de coopération dans le domaine nucléaire qui postule en définitive la rationalité des décisions des responsables nord-coréens.

M. Pierre Lellouche a estimé que la question de fond soulevée par la NMD concernait la place de la dissuasion dans un monde multipolaire, une interrogation essentielle portant sur la méthode, unilatérale ou négociée, par laquelle allaient être déterminés les rôles respectifs des armes défensives et offensives. A l'heure actuelle, le traité ABM, qui, depuis les modifications qui lui ont été apportées en 1997, permet le déploiement de défenses de théâtre, symbolise l'approche contractuelle qui prévaut en ce domaine. M. Pierre Lellouche a noté que les contre-propositions russes à la NMD relevaient de la même approche. Tout au contraire, le retrait unilatéral des Etats-Unis du traité ABM, notamment souhaité par 25 Sénateurs américains qui considèrent que ce traité n'a plus de valeur juridique au motif que la Russie ne saurait être considérée comme l'Etat successeur de l'URSS, représenterait un saut dans l'inconnu. M. Pierre Lellouche a alors estimé que la thèse de l'administration américaine selon laquelle la NMD n'impliquait que des modifications mineures au traité ABM ne pouvait pas être conciliée avec les violations des dispositions fondamentales de ce traité qu'entraînerait le déploiement d'un tel système.

En conclusion de son intervention, M. Pierre Lellouche a jugé que la victoire du Parti démocrate aux prochaines élections présidentielles américaines pourrait laisser présager un déploiement minimal et négocié avec la Russie tandis que l'élection d'un Président républicain était susceptible de favoriser une approche unilatérale, marquée par une très forte réduction de l'arsenal nucléaire et la mise en place d'une défense antimissiles étendue. Il a également observé que le projet américain de NMD contribuait à réveiller le débat nucléaire en Europe, largement tabou depuis la fin de la guerre froide, comme en témoignait la prise de position très ferme du Chancelier allemand au début du mois de juin. Il a estimé, à titre personnel, qu'il était pour le moins paradoxal que les Etats-Unis se montrent les plus volontaristes dans le domaine de la protection de leur territoire contre des tirs de missiles nucléaires alors que les conditions actuelles de la prolifération balistique posent avant tout le problème de la vulnérabilité de l'Europe et du Sud de la Russie.

M. Guy-Michel Chauveau a exposé que, autant les éléments d'information recueillis par la mission montraient que la Convention sur les armes chimiques entrait progressivement en vigueur dans toutes ses dispositions, y compris son dispositif de vérification, autant les proliférations balistiques et bactériologiques apparaissaient beaucoup moins bien contrôlées par des traités. C'est en particulier sur ces questions que la mission d'information allait désormais porter son attention.

Il a mis l'accent sur le qualificatif de « national » utilisé pour désigner le projet de défense antimissiles du territoire américain. Soulignant que l'élaboration d'un tel concept, qui impliquait un découplage entre la défense des Etats-Unis et celle de leurs alliés, paraissait paradoxale après la célébration du cinquantième anniversaire de l'OTAN et l'adoption d'une nouvelle doctrine stratégique de l'Alliance, il a relevé que le souhait de construire une défense fondamentalement nationale correspondait bien au sentiment qui prévalait aux Etats-Unis. Il a noté à ce propos que les conséquences de la NMD sur les équilibres stratégiques ne constituaient que le quatrième et dernier critère de la future décision du Président des Etats-Unis.

Il a ensuite mis en exergue les évolutions diplomatiques importantes qui s'étaient produites depuis la constitution de la mission d'information, la mise à l'index de la Corée du Nord, par exemple, apparaissant désormais ostensiblement caduque. Mais il a également fait remarquer que les modifications du paysage international n'avaient guère d'incidence sur le souci profond des Etats-Unis de défendre leur territoire contre toute menace, notamment balistique, et qu'ainsi beaucoup de critiques qui étaient formulées aujourd'hui à l'encontre de la NMD n'étaient pas très différentes de celles qui pouvaient l'être en 1983, à l'égard de l'IDS.

Il a à ce propos observé qu'au-delà des menaces imputées aux « Etats voyous » (rogue states), on pouvait se demander si les Etats-Unis n'entendaient pas également se prémunir contre un développement futur de l'arsenal chinois.

Après avoir souligné le montant considérable de l'effort financier consenti par les Etats-Unis en faveur de la défense antimissiles et ses retombées industrielles et technologiques de toute nature, il a fait remarquer que l'Union européenne, au stade actuel de son développement, ne pourrait pas se dispenser d'élaborer progressivement une doctrine sur les questions soulevées par la NMD. Il a également exposé, qu'à l'occasion de son voyage en Russie, la mission d'information avait pu constater un souhait réel, de la part des autorités russes, de pouvoir débattre des questions de l'équilibre nucléaire stratégique et des problèmes de la défense antibalistique du territoire avec les pays de l'Union européenne dans leur ensemble.

Il a ajouté qu'un Livre Blanc sur la défense européenne, détaillant ses objectifs et ses moyens, devrait inévitablement prendre en compte la question de la dissuasion nucléaire française et britannique.

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Informations relatives à la Commission

A la demande de la mission d'information sur la prolifération nucléaire et balistique, le champ de ses travaux a été étendu à l'ensemble des armes de destruction massive (nucléaires, biologiques et chimiques).

La Commission a ensuite procédé à la nomination des rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2001 :

Ont été nommés :

pour les crédits de la Défense :

· M. René Galy-Dejean (Dissuasion nucléaire)

· M. Bernard Grasset (Espace, communications et renseignement)

· M. Jean-Yves le Drian (Marine)

· M. Yann Galut (Air)

· M. Georges Lemoine (Gendarmerie)

· M. Michel Meylan (Services communs)

· M. Jean Michel (Crédits d'équipement)

· M. Jean-Claude Sandrier (Forces terrestres)

· M. Aloyse Warhouver (Titre III et personnels de la défense)

- pour les crédits des Affaires étrangères :

· M. Bernard Cazeneuve

pour les comptes spéciaux du Trésor :

· M. Loïc Bouvard

La Commission a par ailleurs décidé de nommer, au cours d'une prochaine réunion, un rapporteur d'information sur la réforme de la coopération militaire.


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