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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 20 juin 2000
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe Camus, Président du Directoire d'Aérospatiale-Matra Technologies.

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La Commission a entendu M. Philippe Camus, Président du Directoire d'Aérospatiale-Matra Technologies.

Le Président Paul Quilès s'est réjoui des progrès rapides des regroupements européens dans le domaine des industries aéronautique, spatiale et d'armement, dans le prolongement de la déclaration conjointe des chefs d'Etat et de gouvernement français, allemand et britannique de décembre 1997. Il a fait valoir qu'il en attendait, pour l'Europe de la défense, la constitution d'une base industrielle forte et autonome, c'est-à-dire une offre européenne d'armement adaptée aux nouvelles missions des forces et capable de les équiper aux conditions financières les plus favorables.

Après avoir rappelé les étapes récemment franchies par l'industrie européenne aérospatiale et de défense dans la voie de sa consolidation : accords d'octobre 1999, relatifs l'un à la création d'EADS, l'autre au regroupement dans le domaine des missiles entre Aérospatiale-Matra, BAe-Systems et Finmeccanica, dans la perspective d'une association allemande ultérieure, création effective d'Astrium depuis le 2 mai dernier et décision du 14 avril dernier de constituer une société commune dans le domaine aéronautique, entre les partenaires d'EADS et Finmeccanica, il a exprimé l'espoir d'une transformation à brève échéance d'Airbus en société commerciale intégrée, de manière à ce que soit tiré le meilleur parti des compétences industrielles de chacun des participants.

Il a également fait état de l'effort entrepris en parallèle par les gouvernements européens pour mettre en place les structures et les règles juridiques nécessaires à la réussite économique de ce mouvement de regroupement. Il a mentionné à ce propos l'OCCAR, dont il a souligné qu'il avait vocation à devenir une véritable agence européenne de l'armement, ainsi que le prochain accord issu de la lettre d'intention (L.o.I, letter of intent) de 1998, considérant que cet accord devrait éliminer une part notable des obstacles juridiques à un fonctionnement optimal des sociétés européennes transnationales dans le secteur de l'armement.

Il a alors souligné que l'intervention de M. Philippe Camus permettrait à la Commission de mieux comprendre les conditions et les perspectives de succès de la dynamique en cours de regroupement européen dans le secteur des industries aéronautique, spatiale et d'armement.

M. Philippe Camus a d'abord présenté la future société EADS. Rappelant que son introduction en bourse se ferait début juillet, il a précisé qu'en 1999, son chiffre d'affaires pro forma aurait été de 22,5 milliards d'euros, faisant de cette entreprise le troisième producteur mondial de l'industrie aérospatiale et de défense, tout près de Lockheed-Martin (23,8 milliards d'euros) et devant Bae-Systems (18,8 milliards d'euros) ou Raytheon (18,5 milliards d'euros), mais loin derrière Boeing, qui, avec des ventes totalisant 54,2 milliards d'euros, restait le premier industriel du secteur.

Il a ensuite exposé que le portefeuille d'activité d'EADS était à 75 % civil et 25 % militaire, ce qui lui conférait une structure proche de celle observée chez Boeing. Il a souligné à ce propos que les avions commerciaux de la gamme Airbus représentaient 54 % de l'activité du futur groupe en 1999.

Il a précisé que le choix d'un statut de droit néerlandais pour le groupe EADS avait été dicté par trois considérations : ne faire relever EADS de la nationalité d'aucun des deux partenaires fondateurs, autoriser l'inscription dans ses statuts de dispositions, relatives notamment aux OPA, qui sont d'ordre public dans d'autres systèmes juridiques, notamment français, et éviter une surimposition de la société mère qui n'avait pas d'activité industrielle.

En termes de structures, il a indiqué que la société mère EADS NV contrôlerait directement trois sociétés exerçant des métiers nettement définis : Airbus, dont le siège sera à Toulouse, Eurocopter, constituée depuis près de 10 ans, et la nouvelle société de satellites Astrium, tandis que les autres activités, correspondant à des consolidations moins achevées, seraient rattachées à trois autres filiales d'EADS NV, respectivement de droit français, allemand et espagnol.

Il a ensuite relevé que la répartition de la valeur des participations, avant augmentation du capital, avait été fixée à 56,46 % pour Aérospatiale-Matra, 37,25 % pour DASA et 6,29 % pour CASA, puis ajouté que l'évolution vers la structure définitive du capital serait obtenue par la mise sur le marché de titres de ces sociétés et par une augmentation de capital.

Enfin, M. Philippe Camus a exposé qu'il avait été fait en sorte que la direction soit constituée sur la base d'un principe de parité entre les deux groupes fondateurs, le comité de direction et le conseil d'administration notamment étant chacun composé de 5 Français, 5 Allemands et 1 Espagnol.

M. Philippe Camus a estimé que le dispositif ainsi mis en place traduisait un partenariat solide et efficace. Il a considéré que la récente commande, par le gouvernement britannique, de missiles air-air Meteor, et d'avions de transport militaire A400M, alors que des solutions américaines lui avaient été proposées avec insistance, portait reconnaissance de la qualité de ce partenariat. De même le pouvoir d'attraction d'EADS est illustré par le choix récent de Finmeccanica de lui apporter ses activités aéronautiques, de préférence à Bae-Systems.

M. Philippe Camus a cependant considéré que la consolidation de l'effort de regroupement industriel qui avait permis la constitution d'EADS supposait la création en Europe d'un environnement industriel, politique et juridique réduisant les handicaps des entreprises européennes face à la concurrence d'outre-Atlantique.

Il a alors souligné que, dans le domaine civil, l'accord instituant EADS avait créé les conditions nécessaires à la transformation d'Airbus en société intégrée et au lancement parallèle du programme A3XX qui donnerait au constructeur européen la possibilité d'offrir, à l'instar de Boeing, une gamme complète de produits. Il a précisé à ce propos que le programme A3XX, d'envergure mondiale, reposait sur des analyses techniques, financières et commerciales positives, le développement d'un très gros porteur de ce type étant une réponse adaptée à la hausse du trafic aérien et au souci des compagnies aériennes d'offrir les tarifs les plus compétitifs possibles. Il a ajouté qu'il s'agissait d'un projet compris et attendu par ces compagnies.

En revanche, il a fait observer que, dans le domaine de la défense, la situation était radicalement différente, le marché européen restant à la fois émietté et globalement étroit, au contraire du marché américain intégré et deux fois plus vaste. Il a considéré que la constitution, pour les entreprises de défense, d'un environnement comparable à celui des groupes américains concurrents passait par l'élaboration de programmes européens communs, par une politique d'exportation coordonnée et enfin, par des orientations claires en matière de sécurité d'approvisionnement et d'échanges de technologies. Après avoir fait observer qu'en Europe les besoins étaient exprimés selon des calendriers non harmonisés et des spécifications différentes, définies par les états-majors de plusieurs pays, il a souligné les conséquences négatives, d'un point de vue industriel, de cet émiettement. Alors que le rapport entre le volume global des marchés européen et américain était de l'ordre de 1 à 2, il devenait, pour de nombreux programmes individuels, de 1 à 6. Soulignant la hausse considérable des coûts qui en découlait, il a insisté sur la nécessité de constituer un environnement moins défavorable pour l'industrie européenne. Il a fait valoir à ce propos qu'une entente entre clients européens permettrait un meilleur étalement des frais fixes de recherche et développement, assurant une meilleure compétitivité à la grande exportation tout en garantissant une satisfaction à coût plus faible des besoins, à l'intérieur d'enveloppes budgétaires nécessairement limitées. Soulignant qu'une telle entente était un souhait très vif d'EADS, il a cependant fait remarquer que le principe de la convergence des besoins n'était pas acquis, et que, à côté de succès comme le missile air-air Meteor ou l'avion de transport militaire A400M, les incompatibilités de calendriers et de capacités provoquaient encore des difficultés sérieuses, comme dans le cas du missile antichar Trigat.

Faisant alors référence au budget militaire français, M. Philippe Camus a indiqué que le niveau actuel de dépenses d'équipement ne permettait pas à l'industrie, dans les domaines où EADS était présent, de conserver un potentiel technologique suffisant. Le centre de gravité de l'industrie d'armement avait de ce fait tendance à se déplacer de l'Europe continentale vers le Royaume-Uni dont les choix budgétaires sont, dans la durée, plus ambitieux. Le budget militaire d'équipement allemand, de ce point de vue, reste aussi aujourd'hui un problème.

M. Philippe Camus a alors exprimé la crainte que les budgets d'équipement militaire ne permettent pas, en Europe occidentale, de financer tous les programmes dont la nécessité est notamment apparue lors du conflit du Kosovo. Rappelant que le marché militaire américain lui était pratiquement fermé, M. Philippe Camus a souligné la nécessité pour EADS d'exporter ses produits, afin de mieux étaler les coûts fixes et de trouver les équilibres économiques et industriels nécessaires au développement de l'entreprise. Il a regretté l'absence actuelle d'une politique européenne commune dans ce domaine, jugeant que les critères définis notamment dans le cadre de la L.o.I étaient insuffisamment précis. Ceci laisse aux Etats une marge d'appréciation au cas par cas qui gênera une gestion optimale de l'outil industriel en raison de l'incertitude pesant sur les perspectives de marché.

Enfin, il a rappelé que l'intégration de l'industrie européenne de l'armement nécessitait l'acceptation claire d'une interdépendance technologique entre pays participants. Il a souligné la nécessité, pour chaque pays, de déterminer une position sur leur spécialisation ou non en matière de grands métiers et de domaines de compétence. Chacun aura à se prononcer sur son renoncement à une autosuffisance technologique complète, au nom d'un meilleur partage des coûts.

Le Président Paul Quilès a évoqué une récente déclaration de M. Philippe Camus selon laquelle EADS « ne demande qu'à trouver des partenaires aux Etats-Unis ». Citant en exemple l'accord récent passé par EADS avec Northrop-Grumman, notamment pour l'équipement radar de l'A400M, il l'a interrogé sur les partenariats transatlantiques qu'il envisageait de développer et dans quels secteurs. Il lui a également demandé de préciser les avantages qu'il en attendait, ainsi que les difficultés qui pourraient en découler.

Par ailleurs, faisant état de l'objectif d'atteindre une marge opérationnelle de 10 % que se serait fixé EADS, il a souhaité connaître comment le groupe comptait y parvenir, par quelle stratégie et dans quel secteur.

Puis il a interrogé M. Philippe Camus sur la politique qu'EADS, en tant qu'actionnaire, allait suivre à l'égard de Dassault, s'inquiétant tout particulièrement des risques d'une concurrence dommageable entre l'Eurofighter et le Rafale.

M. Philippe Camus a apporté les éléments de réponse suivants :

- la priorité d'EADS était d'abord de rechercher des accords en Europe. Toutefois, compte tenu de la taille du marché américain, EADS ne pourrait pas en être absent, sous peine de perdre à terme ses positions technologiques et économiques. L'un des objectifs de la restructuration des groupes européens est de les mettre à niveau pour aborder dans des conditions de meilleur équilibre les relations de compétition mais aussi de coopération que commande leur coexistence avec les entreprises américaines de leur secteur.

Dans le domaine strictement militaire, si, jusqu'à présent, quelques accords ponctuels ont été conclus pour un objet précis avec Northrop-Grumman, Lockheed-Martin et Boeing, il semble difficile d'aller beaucoup plus loin à court terme, ne serait-ce que parce que l'opinion publique américaine n'y est pas prête. Sur le plus long terme, d'éventuelles coopérations industrielles transatlantiques de plus grande ampleur deviendraient certainement davantage possible ;

- l'objectif de résultat d'exploitation rapporté au chiffre d'affaires est de 8 %, pour 2004, compte tenu d'un coût de 2 % relatif aux frais de recherche et de développement de l'A3XX. Aujourd'hui, la marge opérationnelle d'EADS s'établit à 6 %, ce qui signifie qu'il lui faut gagner 4 points, soit environ un milliard d'euros de résultat annuel supplémentaire. La moitié de ce montant peut être obtenue grâce à la synergie réalisée entre les trois sociétés, le reste provenant de la croissance des marchés civils. La fusion, réalisée entre sociétés complémentaires, et non pas concurrentes, devrait conduire à des créations et non à des suppressions d'emplois, notamment grâce à l'A3XX ;

- la position d'EADS vis-à-vis de Dassault n'a pas évolué. EADS conserve sa participation de 46 %. Si la famille Dassault souhaite un jour se rapprocher d'EADS, la question sera examinée. Pour l'instant, elle ne se pose pas.

Une « muraille de Chine » sépare, au sein d'EADS, les activités concernant respectivement l'Eurofighter et le Rafale, sauf pour ce qui touche à leur armement. En effet, en tant que fabricant de missiles, EADS est amené à équiper les deux avions et à coopérer sur ce terrain, notamment à travers MBD, avec BAe-Systems.

Après avoir fait ressortir les très bons résultats d'Airbus, M. Alain Moyne-Bressand a interrogé M. Philippe Camus sur les réactions de la société Boeing à l'égard du système des avances remboursables. Il lui a également demandé si la dissémination, à travers l'Europe, des centres de fabrication d'Airbus ne constituait pas un handicap pour l'entreprise, et si la décision concernant les sites de fabrication de l'A3XX était arrêtée. Ensuite, évoquant des contacts déjà anciens pris avec la Chine pour la construction d'un moyen-courrier, il a souhaité savoir où en était ce projet. Enfin, il a interrogé M. Philippe Camus sur la faisabilité d'un avion de transport civil supersonique, éventuellement en partenariat avec Dassault, pour succéder, le cas échéant, au Concorde.

M. Guy-Michel Chauveau, après avoir souhaité connaître les raisons du retard de la signature de l'accord issu de la L.o.I. de 1998, s'est demandé s'il ne fallait pas, dès à présent, envisager de lui donner un contenu plus ambitieux. Concernant le projet américain de défense antimissiles (NMD), il a demandé à M. Philippe Camus son avis sur les possibilités techniques de réalisation d'un système d'interception des missiles balistiques stratégiques.

M. Philippe Camus a apporté les éléments de réponse suivants :

- Boeing a d'ores et déjà pris conscience du fait qu'Airbus, avec des résultats publiés pour la première fois et une part de marché de 50 %, était devenu un industriel installé et un concurrent solide ; l'annonce récente, faite à Paris par le Président de Boeing, du lancement d'une version allongée du Boeing 747 doit être interprétée comme une reconnaissance de la pertinence du choix de développer l'A3XX, et l'abandon récent par Boeing de l'argument selon lequel les avances remboursables (qui sont conformes à l'accord de 1992) ne devraient pas être effectuées par des Etats témoigne également d'un changement de registre du discours de l'entreprise américaine. Boeing sera cependant attentif à l'avenir à toute initiative d'Airbus qu'il considère à présent comme un concurrent très sérieux. La création de la société intégrée Airbus anticipe cette nouvelle attitude de Boeing ;

- depuis longtemps, la spécialisation des sites fait partie des principes d'organisation d'Airbus. La constitution de la société intégrée Airbus renforcera cette spécialisation par la suppression des doublons hérités de l'histoire. En revanche, il est vrai qu'il existe une sensibilité particulière des pays partenaires à propos des sites de l'assemblage final, et notamment de celui de l'A3XX. Il faut y voir cependant d'abord, sans la sous-estimer, une question de symbole, l'assemblage final ne représentant que 7 % de la charge de travail de la construction d'un avion de ligne ;

- s'agissant d'un partenariat avec les Chinois, l'idée n'a pas été poursuivie. L'A318 semble une réponse opérationnelle équivalente au moyen courrier envisagé au départ dans ce cadre. Pour autant, Airbus a des accords de sous-traitance en plein développement avec l'industrie chinoise ;

- des travaux de recherche sont menés en matière d'avions civils supersoniques, la société Dassault procédant en particulier à des études sur la faisabilité d'un supersonique d'affaires. Il n'existe cependant pas de projet de développement d'un appareil supersonique qui remplacerait le Concorde, notamment du fait de la très grande difficulté à en trouver l'équilibre économique ;

- à la suite des travaux menés dans le cadre de la L.o.I. de 1998, un accord doit être signé le 26 juillet. Cet accord ne contiendra cependant que des clauses minimales, notamment en matière d'exportation où chaque pays conservera sa liberté d'appréciation. Dans la mesure où la décision continuera d'être prise au cas par cas, les actions de grande exportation, toujours longues et coûteuses, seront handicapées par une absence de certitude sur les débouchés. Il est donc indispensable de réfléchir d'ores et déjà à de nouveaux progrès dans l'harmonisation du cadre juridique de l'industrie européenne de défense ;

- l'industrie aéronautique et spatiale française est la seule en Europe à savoir fabriquer des missiles balistiques. L'expérience qu'elle a accumulée permet d'établir que le développement de programmes de missiles antibalistiques représente une tâche difficile. Le missile Aster possédera, dans sa version la plus évoluée, des capacités antibalistiques permettant l'interception en fin de trajectoire. Les programmes américains comportent en revanche des options d'interception à haute altitude qu'Aérospatiale-Matra n'a pas évaluées.

M. Denis Verret, Président d'Aérospatiale-Matra Lagardère International a ajouté que le programme américain NMD était source de préoccupations dans la mesure où il comportait un risque de découplage stratégique des défenses américaine et européenne et où il pourrait conduire à l'établissement de liens particuliers entre les Etats-Unis et la Russie au détriment de l'Europe. En outre, les fonds requis pour la mise en place d'un système de défense antibalistique du territoire étaient d'une telle ampleur qu'une décision des Européens d'y participer accaparerait une grande partie des ressources disponibles, obérant de ce fait la mise en _uvre de la politique de défense commune définie en particulier à Helsinki.

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